Cours d’agriculture (Rozier)/CHARBON DE TERRE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 34-42).


Charbon de terre. (Hist. Natur. Écon. Rur.) Le charbon de terre, connu dans les provinces septentrionales de France sous le nom de houille, est une Substance inflammable que l’on trouve dans le sein de la terre à différentes profondeurs, & dont l’industrie humaine qui ne connoît presque rien d’inutile dans la nature, a su tirer le plus grand parti. Cette substance répandue assez généralement en France, offre de tous côtés des ressources d’autant plus précieuses, qu’elles peuvent suppléer à l’usage du bois à brûler dans presque toutes les opérations où on l’emploie. La métallurgie, les arts, les manufactures, le chauffage qui, depuis quelque temps, se plaignent avec tant de raison de la disette du bois, voient tous les jours s’étendre les moyens de se servir du charbon de terre. Si l’entrepreneur est intéressé à bien connoître cette production minérale, l’agriculteur ne l’est pas moins. Souvent il trace de pénibles sillons au-dessus d’une mine qui renferme cette richesse ; souvent les entreprises économiques, comme les brûleries, les opérations de la soie, les usines &c., demandent l’emploi le moins dispendieux des substances propres à chauffer. Dans tous les cas, une connoissance au moins générale de tout ce qui peut devenir entre ses mains principe d’économie, source de richesse, ou moyen de simplifier & de perfectionner ses travaux, peut lui être du plus grand secours. Une notice exacte du charbon de terre & des usages dont il peut être, entre donc absolument dans les vues que nous nous sommes proposées. Être utile à tous en général, & à chacun en particulier, en les mettant à même de tirer le plus grand parti de tous les objets que la nature offre ; tel a toujours été notre plan ; heureux si l’habitant de la campagne profite de nos veilles, de quelque manière que ce soit ! Pour remplir cet objet, après avoir donné une description exacte du charbon de terre, nous examinerons ses variétés & les caractères qui l’empêchent d’être confondu avec le charbon de bois fossile & quelques autres substances ; ensuite nous verrons les principes qui le composent, & nous dirons un mot sur sa formation. De-là, après avoir parlé des mines que l’on trouve dans les différentes Provinces du Royaume, nous entrerons dans de plus grands détails sur ses usages, ses propriétés, l’emploi dont il peut être pour les engrais en agriculture, pour le chauffage, les arts & les manufactures.

Description du Charbon de terre. Le charbon de terre est une substance minérale susceptible de s’enflammer, de conserver le feu plus long-temps & de produire une chaleur plus vive qu’aucune autre substance connue. Sa couleur est noire en général ; il est plus ou moins sec, & plus ou moins friable, quelquefois assez compacte, quelquefois feuilleté, mais toujours imprégné d’une matière bitumineuse abondante. Si vous brisez un morceau de charbon de terre, les grains paroissent toujours anguleux, d’un noir de différentes nuances depuis le brillant jusqu’au mat. Sa solidité varie aussi. Certaines veines de charbon de terre en fournissent d’assez dur pour que l’on soit obligé de se servir d’une masse de fer pour le briser. C’est pour cette raison que dans quelques provinces de France on le nomme charbon de pierre. D’autres fois il est friable & presque terreux. Souvent la même veine produit ces deux espèces. Le charbon de terre exposé à l’air pendant quelque temps subit des altérations assez variées, qui dépendent des principes qui le composent, il se délite & se brise de lui-même, il tombe en efflorescence, il se recouvre d’une poussière rougeâtre ferrugineuse. Dans les grandes chaleurs l’ardeur du soleil fait quelquefois suinter l’huile tenace & le bitume dont il est imprégné : en un mot, d’après l’observation constante de ceux qui en font usage, les charbons de terre trop long-temps exposés à l’air, deviennent moins propres à entretenir le feu ; très-peu de charbon y reste intact & solide. Tels sont les caractères extérieurs du charbon de terre, qui l’empêchent d’être confondu avec les bitumes proprement dits, le charbon de bois fossile, & les tourbes.

Quoiqu’il soit une vraie concrétion bitumineuse, la grossièreté des parties qui le composent, & la manière dont il se comporte au feu, empêcheront toujours de le confondre avec les bitumes solides, tels que le jayet, l’asphalte, & les terres bitumineuses tels que l’ampélite. Le systême, que le charbon de terre étoit dû à la décomposition de vastes forêts ensévelies dans la terre par de grandes révolutions, & l’empreinte des plantes qu’il porte souvent, a conduit nécessairement quelques Auteurs à le confondre avec le charbon de bois fossile que l’on rencontre quelquefois dans la terre ; mais la nature même de ce dernier, qui a encore tous les caractères d’un vrai bois brûlé & pyriteux, établit entr’eux une grande différence ; enfin, le tissu fibreux des branches, les racines, les parties végétales entrelacées les unes dans les autres, dont la tourbe n’est que le résultat, son peu de solidité, sa forme même s’opposeront toujours à ce qu’on la confonde avec le charbon de terre.

Espèce de charbon de terre. De cette confusion même que l’on a mise entre ces différentes substances, on doit en conclure, qu’il règne une très-grande variété dans les charbons de terre pour l’apparence extérieure. En général on peut en distinguer deux espèces principales, dont toutes les autres ne sont que des variétés ou plutôt des passages. 1o. Le charbon de terre compacte, dur, gras au toucher, noircissant les doigts, d’un noir luisant comme le jayet ; sa pesanteur est assez considérable, c’est celui que Zimmerman nommoit charbon de poix ou charbon de forge. Il ne se rencontre que très-enfoncé dans la terre & contient une portion de bitume très-considérable ; quelquefois il est assez dur pour pouvoir être poli & travaillé au tour, comme celui de Lincoln en Angleterre & dont on fait des boîtes & des tabatières. 2o. Le charbon de terre tendre, friable, se décomposant très-facilement à l’air, plus léger que le premier, est moins bitumineux que lui. La texture cassante & lamelleuse lui a fait donner le nom de charbon d’ardoise. La plus grande différence est sur-tout dans la manière dont ils se comportent au feu & dans leurs usages. Le premier ne s’enflamme pas trop ardemment à la vérité, mais une fois allumé il produit une flamme claire & brillante, une fumée épaisse & une chaleur plus vive & plus durable ; aussi l’emploie-t-on beaucoup plus, sur-tout dans les travaux en grand, que la seconde espèce qui s’allume assez facilement, mais ne donne qu’une flamme passagère & de peu de durée. Sa chaleur plus douce & plus modérée suffit pour les besoins ordinaires du ménage & pour échauffer les poêles & les cheminées des appartemens.

Analyse du charbon de terre. Si l’on examine plus particulièrement la nature du charbon de terre, & qu’à l’aide de la chimie on veuille découvrir les principes qui le composent, on trouvera de l’eau ou phlegme qui passe par la distillation à la chaleur de l’eau bouillante, à un degré supérieur de l’esprit alcali volatil : en augmentant insensiblement le feu, il passe une huile plus ou moins épaisse qui est un vrai bitume, & il ne reste plus qu’un charbon poreux & léger, que les Anglois ont nommé coaks, dont nous parlerons plus bas. Ainsi cette substance n’est que de l’eau, un peu d’esprit alcali volatil, une huile bitumineuse & de la terre.

Origine du charbon de terre. Il semble que l’analyse chimique du charbon de terre, devoit naturellement conduire à connoître son origine, & par quel accident on en trouve des mines plus ou moins abondantes dans différentes parties du globe. Cette production singulière qui semble s’éloigner de la nature de toutes les autres, & tenir le milieu entre le règne végétal & le minéral, qui en paroît être le résultat, a été attribuée à la décomposition des végétaux. On a imaginé que de très-vastes forêts avoient été ensevelies dans la terre par des révolutions particulières du globe ; que là elles s’étoient détruites, qu’elles avoient fermenté, & que le produit de cette grande décomposition étoit les bitumes tant fluides que solides (Voyez le mot Bitume) ; que ces bitumes, en se solidifiant, étoient devenus charbon de terre. D’autres ont pensé que les veines, les couches, les mines de charbon avoient été formées en même-temps que le globe, & étoient aussi anciennes que les autres substances minérales. M. le Camus enfin a proposé dans le Journal de Physique (1779, T. 13) un systême particulier & qui rend facilement raison de tous les phénomènes & de tous les accidens qui accompagnent les charbons de terre. D’accord avec tous les naturalistes sur la formation première du bitume en général, il croit que quelques courans de bitume ont pénétré en différens temps, différentes espèces de terre, ou de pierre qui se sont trouvées, à raison de leur dureté, plus ou moins imprégnées des qualités bitumineuses, ce qui a dû nécessairement former ces différences que nous remarquons dans la houille ou charbon de terre. Ainsi dans ce systême il n’est plus une espèce particulière de bitume, mais une terre pénétrée & minéralisée par le bitume. Ce systême si simple, explique assez facilement tout ce qui accompagne le charbon de terre. Ce courant de bitume vient-il à rencontrer une couche argileuse & à la pénétrer, on aura du charbon de terre argileux ; il sera au contraire calcaire, si la couche où le bitume se fixe n’est remplie que de terre calcaire & de coquilles, &c. &c.

Mines de charbon de terre. Ces courans, ces dépôts de bitume, quand ils sont d’une certaine étendue, deviennent des mines de charbon de terre plus ou moins propre aux arts, & que l’on exploite en grand. Il n’est pas de notre ressort de détailler ici l’exploitation d’une mine ; ce genre de connoissance est hors de la sphère à laquelle nous nous sommes astreints & nous mèneroit trop loin. C’est aux Auteurs qui en parlent, & qui ont écrit de grands traités sur cet objet, que le cultivateur doit avoir recours, si par hasard il est dans le cas d’en avoir besoin pour exploiter quelque mine qui se rencontreroit dans ses possessions.

Cependant, comme il est on ne peut plus intéressant de connoître les richesses du pays que l’on habite, ou celles des pays voisins, dont on peut tirer parti pour différens objets, nous croyons nécessaire d’indiquer ici les principales mines de charbon de terre répandues dans toute l’étendue de la France. Nous les distribuerons par provinces.

Hainaut François. Fresnes, Anzin près Valenciennes ; près Notre-Dame du Saint-Cordon, les Houillères du Vieux-Condé, Carnières.

Lorraine. Hargarthen, Grise-Borne, Dipenviller, Dothweiller.

Artois. Pernes-sur-la-Clarence, Bienvillers entre Arras & Dourleux.

Haute-Alsace. Val de Villers à deux lieues de Schelestat, Saint-Hippolyte à une lieue de la même ville.

Franche-Comté. Champagné, prévôté de Faucogney ; Lure, Saint-Hippolyte, Sainte-Agnès, Salins.

Bourgogne. Nole, entre Autun & Beaune ; Meillonaz, Montbar, Épinac, Geurse, Montcenis, Châtelaine, Blanzi, Toulon-sur-l’Arroux, Martenet, Saint-Berain, Saint-Eugène, Charmoy, Saint-Nizier-sous-Charmoy, Morey.

Lyonnois. Sainte-Foix-l’Argentière, Saint-Genis-Terre noire, Saint-Martin-la-Plaine, Saint-Paul-en-Jarest, Rive de Giez, Saint-Chaumont-sur-le-Giez, la Varicelle, le Grand-Floin, ou les Grandes-Flèches, Saint-Genis-les-Ollières, Dargoire-sur-le-Giez, la Catonnière, Tartaras, Mouillou, Gravenaut. (Cette dernière est abandonnée, ainsi que plusieurs autres, dont le feu brisou ou moffettes, & les eaux ont empêché l’exploitation.)

Forez. Saint-Étienne, Montsalson, Treuil, Monthieu, Terre noire, Saint-Jean de Bonnefonds, Villars, Bois-Montsier, Roche-la-Molière, la Beraudiere, la Rica-Marie, Chambon, Firmini, Saint-Germain-l’Erpt, Cremeaux, Sorbières, Fouillouse, Fosse, Clapier, le Clusel, Saint-Didier, à une lieue de Beaujou, près Roanne.

Beaujolois. Lay, Saint-Symphorien.

Dauphiné. Près Briançon, entre Cezanne & Sestriches ; Ternay, Laval à quatre lieues de Grenoble, la Ferrière, district d’Allevard ; la Montagne des Soyères ; Val des charbonniers, près Saint-Laurent du Pont ; Pommiers près la mine précédente, Montmaur à trois lieues de Cap.

Provence. Pepin, route de Marseille ; Peynier, à une lieue d’Oriole ; Piolène dans la principauté d’Orange, entre Orange & Mormas ; Venasque à deux lieues de Carpentras, Lassecour, près de Bagnols ; Mauzangues, Laroque.

Languedoc. Les environs d’Alais & du château Desportes, Vigan, Nesiez près Pézenas, Boussage, Saint-Bolis dans le Quercy, près de Montauban ; Crausac dans le Rouergue, Albin, Firmi, Severac-le-Castel, Mas de Bonac.

Périgord. Saint-Lazare.

Limosin. Lapmais, paroisse de Bosmoreau, Argental, Meymac, Varetz, près de Brives.

Auvergne. Lampres, paroisse de Champagnat ; Sauxillanges, Ste. Fleurine, Lande-sur-Alagnon, Frugères Anzon, Bosgros, Gros-Mesnil, Fosse, Laroche, Brassager, les Lacqs & quatre autres mines voisines, Mechecote & quatre autres tout auprès, Auzat, Grande Combelle & cinq voisines.

Bourbonnois. Fins, près de Chatillon ; Noyant près de Moulins.

Nivernois. Decize, Druy.

Touraine, Anjou & Maine. Saint-George-de-Chatelaison, dans le Saumurois ; Concourson, Doué, Montreuil-Bellay, Saint-Aubin-de-Luignié, Chaudefonds, Chalonne, Montjean-sur-Loire, Noulis.

Bretagne. Nord, près Saffri ; Vieille-Vigne, Montrelais, ou mines d’Ingrande.

Normandie. Littry.

Picardie. Ardingheim, proche Boulogne ; Rethi, Gaulancourt, Beuvraines ; entre Fremiches & Libermont.

Isle de France. Noyon, près des Chartreux, Candor, Fretoy.

Telles sont toutes les mines de charbon de terre de France en exploitation à présent, ou qui l’ont été autrefois, & que des accidens locaux ont fait abandonner. En jetant un coup d’œil sur cette table, on voit facilement que presque toute la France possède, dans les différentes régions, des dépôts d’une substance dont les arts tirent le plus grand avantage. Si l’on en excepte la Champagne & la Guienne, toutes les provinces en renferment assez, non-seulement pour leur consommation, mais encore pour pouvoir en fournir celles qui en manquent, ainsi que la capitale qui en absorbe une si grande quantité. Les rivières & les canaux qui traversent ce grand Royaume, & qui entretiennent une circulation perpétuelle, donnent la facilité de pouvoir transporter aisément cette matière si pesante par elle-même. La médiocrité ordinaire de son prix, la commodité de son emploi, la grande chaleur qu’elle produit, la font préférer à l’usage du bois dans les forges, les manufactures, & même pour le chauffage. Des provinces & des Royaumes entiers où le bois est rare & fort cher, n’emploient pas d’autres substances combustibles ; heureux si en France l’on n’est pas obligé quelque jour d’y avoir recours uniquement pour tous les usages où le bois est employé ! Les manufactures y gagneront beaucoup & le chauffage peu. Parcourons les meilleurs moyens de se servir du charbon de terre pour l’agriculture, pour les arts & le chauffage.

Usage du Charbon de terre dans l’Agriculture. Il est très-peu d’objets dans la nature qu’un agriculteur intelligent ne sache convertir à son usage, & duquel il ne puisse tirer du profit, sur-tout quand il en connoît bien la nature & les principes. Rien n’est inutile, & tout devient un fonds de richesses ou de ressource quand on l’emploie à propos. L’espèce de glaise bleue ou noire que l’on rencontre ordinairement à l’ouverture d’une mine de charbon de terre, & que l’on doit regarder comme un charbon imparfait, répandue sur les prés & dans les terres fortes, est très-utile. Les sels vitrioliques & alumineux qu’elle contient se développent par les pluies & les rosées qui pénètrent la terre, & forment dans son sein, avec des sucs qu’ils rencontrent, des combinaisons nouvelles très-propres à hâter & fortifier la végétation. (Voyez le mot Ampélite) Toutes les cendres en général sont regardées à juste titre comme d’excellens engrais ; celles du charbon de terre, qui, à la vérité, peuvent n’être considérées que comme de la terre brûlée, ne sont pas pour cela sans propriétés, & les agriculteurs qui les emploient conviennent qu’elles fournissent un très-bon amendement dans les terres labourables. L’exemple des paysans des environs de Saint-Étienne, démontre cette vérité de pratique. Ils s’en servent, mêlées avec du fumier de bœuf & de vache, pour engraisser leurs prairies & leurs terres à blé. M. de Gensane dit qu’en les employant avec modération à l’engrais des mûriers, elles corrigeroient la trop grande ténacité de la séve sans être préjudiciables à la feuille & de-là aux vers à soie. C’est à l’expérience à faire valoir cette idée ou à la faire rejeter. En Angleterre, ces cendres sont du plus grand usage dans l’Agriculture ; mais on a très-grand soin de les choisir & de les approprier à la nature des terreins. La cendre de houille grasse est très-bonne pour l’engrais des marais, des potagers & autres terreins où l’on cultive les légumes ; celle de houille maigre est très-propre à fertiliser les prairies. De tous les produits de la combustion du charbon de terre, la suie est préférable pour l’engrais ; elle est excellente pour le foin & pour le grain. Dans le pays de Liège on l’emploie non-seulement pour fertiliser ce qu’ils appellent des terreins froids, mais encore en la répandant au pied des houblons, on fait périr une espèce d’insecte qui dévore toutes les années une grande quantité de feuilles de cette plante. En Angleterre on a la coutume d’en répandre quarante boisseaux par acre de terre (cent-soixante perches). Quelques terres en demandent davantage. Cet engrais produit un foin très-gras & très-doux, détruit les vers & toutes les mauvaises herbes. Si l’on emploie cette suie pour les terres à blé, il faut attendre le mois de Février ou au moins le retour de la belle saison, pour que les pluies & les neiges ne la dissolvent pas trop vite : il ne faut pas non-plus différer trop tard, parce qu’il seroit à craindre que la sécheresse ne la desséchant trop, l’empêchât d’être dissoute, & de pénétrer ainsi la terre. (V. au mot Engrais, l’usage que l’on peut faire de la houille & de ses cendres.)

Dans la Maçonnerie. Le charbon de terre brut, ou en cendres, peut entrer dans la composition du ciment & des mortiers. Pour les bassins & les canaux où l’on veut retenir l’eau, on prépare un mortier que l’on fait en prenant une partie de briques pilées & passés au sas, deux parties de sable fin de rivière, de la chaux vieille éteinte, en quantité suffisante, & passé à la claie ; le tout étant bien broyé, on y ajoute de la poudre de charbon de terre & de la poudre de charbon de bois ; comme ces deux dernières substances s’imbibent facilement de l’eau du mélange, il faut l’employer sur le champ, de peur que le ciment ne sèche trop vite. En Suède, on emploie le charbon de terre dans le crépissage des caves voûtées. La cendrée de Tournay, qui n’est qu’un mélange de cendres de charbon de terre qui a servi à cuire de la chaux, & de petits morceaux de cette même chaux, qui ont tombé au fond du four avec la cendre, fait d’excellent mortier & ciment, propres pour tous les ouvrages dans l’eau. Ce ciment & ce mortier sont très-longs à faire ; la patience & le travail en viennent à bout : combien n’est-on pas récompensé de ses peines par la durée & la solidité des ouvrages que l’on a construits. Voici un procédé simple pour le faire. Mettez dans le fond d’un bassin pavé de pierres plates & unies, de la cendrée de Tournay, que l’on peut mêler avec un sixième de tuileau pilé ; faites couler sur cette cendrée de la chaux éteinte dans une suffisante quantité d’eau ; battez le tout ensemble pendant dix à douze jours consécutifs, & à différentes reprises, avec une demoiselle ou cylindre de bois ferré par dessous, du poids d’environ trente livres, jusqu’à ce qu’il fasse une pâte bien grosse ou bien fine. On peut employer ce mortier sur le champ, ou le conserver pendant plusieurs mois de suite, sans qu’il perde sa qualité, pourvu que l’on ait soin de le couvrir & de le mettre à l’abri du soleil & de la pluie. La cendre de charbon de terre fait, dans ce mortier, le même effet que la pouzzolane.

M. Belidor, dans son Architecture hydraulique (t. 4, p. 186), dit qu’un mélange de douze parties de cendrée de Tournay, ou simplement de mâchefer contre une de chaux, a formé un ciment si bon, qu’après deux mois de séjour dans la mer, la mâçonnerie qui en étoit liée, composoit un corps si dur, qu’on trouva plus de difficultés à séparer ses parties, que celles d’un bloc de la meilleure pierre. À Toulon, on a fait entrer, avec le plus grand succès, du mâchefer concassé dans un béton qui est devenu de la plus grande solidité.

Dans les Arts. Dans la principauté de Nassau, à Sultzbach, on se sert de la suie de charbon de terre en place du noir d’ivoire, dans la composition de l’encre d’Imprimerie. On en extrait une huile, un cambouis, en faisant bouillir le charbon de terre dans l’eau, & le remuant sans cesse. À Sultzbach, on retire le bitume du charbon de terre par une espèce de distillation. Après cette opération, il est dans l’état de braise ou de coaks, comme les Anglois le nomment, & il est alors du plus grand usage pour les fontes de mines.

On peut, avec très-grand avantage, employer le charbon de terre non préparé, dans toutes les manufactures ou il s’agit d’appliquer seulement le feu à une chaudière ou bouilloire : en général, il chauffe bien, assez vîte, & sur-tout longtemps ; la dépense est infiniment moindre que celle du bois. Mais lorsqu’on a besoin d’un feu de grande flamme, le charbon de terre ne vaut plus rien.

Dans les provinces abondantes en charbon de terre, on l’emploie avec succès & un très-grand bénéfice, dans les fours à chaux pour calciner les pierres : aussi dans quelques-unes lui a-t-on donné le nom de champline. Les fours à briques, à tuiles, à poteries ; beaucoup de verreries, quelques glaceries, le trouvent d’un très-bon usage. Les brasseurs, les teinturiers, les distillateurs, les raffineurs, les brûleurs d’eau-de-vie trouvent une très-grande économie à ne se servir que de ce charbon. (Voyez Alambic)

Dans les forges & en métallurgie. Un des plus anciens & des plus grands emplois du charbon de terre est, sans contredit, les forges ; mais toute espèce de charbon n’est pas également propre ; le meilleur est celui qui, au feu, dure long-temps, produit de la flamme, répand beaucoup de chaleur, qui s’élève de lui-même en forme de voûte au-dessus du morceau de fer qui est à la forge, sur-tout lorsque cette espèce de croûte a de la consistance, de la fermeté, & qu’elle se conserve longtemps : enfin, qui produit moins de mâchefer.

Dans les fontes des mines, les parties huileuses & bitumineuses, celles sulfureuses même qui se produisent pendant sa combustion, attaquent les métaux, & sur-tout le fer qui est exposé directement au feu de ce charbon. On a donc été obligé de lui donner une préparation préliminaire, par laquelle on le dépouille de toutes ces parties nuisibles. Ce dépouillement se fait, ou par la distillation, comme à Sultzbach, ou par un premier grillage qu’on lui fait subir, & qui le réduit à l’état de braise. Pour avoir une idée juste de cette opération, que l’on se représente celle par laquelle on convertit le bois en charbon. Ces braises ou coaks donnent une chaleur qui surpasse en vivacité & en durée, non-seulement celle du charbon de terre ordinaire, mais même celle du charbon de bois. Avec ces braises, on peut griller & rôtir les mines, les fondre dans les hauts fourneaux, dans les fourneaux à vent ; traiter, forger & fendre le fer, chauffer & perfectionner l’acier. Tous les travaux du cuivre, du plomb, & même des demi-métaux, peuvent s’exécuter avec le charbon de terre, préparé ou non préparé, ou mélangé avec une certaine quantité de charbon de bois ordinaire, suivant les circonstances & les formes des différens fourneaux.

Il est donc très-peu d’arts qui ne puissent employer le charbon de terre, d’une façon ou d’une autre, dans presque toutes les opérations ; mais où son grand avantage paroît le plus généralement, c’est dans le chauffage économique, en le substituant au charbon ordinaire & au bois qui, de jour en jour, devient & plus rare & plus cher.

Dans le chauffage. Les pays principaux où l’on ne consomme que du charbon de terre pour le chauffage & les usages de la cuisine, sont le Liégeois & toute l’Angleterre. Mais la nécessité y conduira bientôt beaucoup d’autres provinces, par la disette du bois. En effet, les usages économiques & journaliers du bois de charpente, celui des cuisines, celui du chauffage pendant une partie de l’année, rendent de jour en jour, cet objet le plus difficile à se procurer, comme le plus dispendieux. Il seroit donc économique de n’employer que du charbon de terre, sur-tout dans les provinces où il abonde. On y trouveroit un avantage très-considérable, non-seulement pour la dépense, mais encore pour la chaleur & la durée de cette chaleur. Tous les produits du charbon de terre peuvent être utiles comme ceux du charbon de bois ; la suie & les cendres peuvent devenir de très-bon engrais, comme nous l’avons vu plus haut, & les cendres de ce charbon sont bien plus abondantes que celles du bois. On emploie le charbon de terre de différentes façons pour le chauffage, ou simplement en gros morceaux, tels qu’ils sortent de la mine, ou réduits en petits morceaux, corroyés avec une terre grasse & réduits en forme de pelotes & de gâteaux, connus, dans le pays de Liège, sous le nom de hochets. Dans une cheminée ordinaire, on met une espèce de cage, ou grille de fer assez forte pour résister au poids du charbon & à l’activité du feu ; c’est dans cette grille que l’on arrange un lit de charbon, un lit de menu bois recouvert d’un autre lit de charbon. On y met le feu qui s’y conserve très-long-temps. (Voyez au mot Cheminée, la forme & le dessein d’une cheminée économique où l’on brûle du charbon de terre.)

On a craint en France que la vapeur & la fumée, qui s’exhalent du charbon de terre non préparé, pendant sa combustion, soient dangereuses & incommodent les personnes qui en font usage, & l’on a proposé d’y substituer l’usage des braises ou coaks. Quoiqu’il n’y ait aucun danger à se servir du charbon de terre ordinaire, sur-tout quand la cheminée tire bien, & que la fumée a une libre circulation, cependant le coaks est préférable quand on peut s’en procurer facilement ; il a l’avantage de former un feu plus clair & plus agréable, de répandre une chaleur plus vive, & de ne pas exhaler une odeur aussi pénétrante. M. M.