Cours d’agriculture (Rozier)/CHEMINÉE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 197-200).


CHEMINÉE, Physique, Économie domestique. Il est peu d’incommodité aussi cruelle, aussi fatigante qu’une cheminée qui fume. Autant une bonne cheminée est avantageuse, autant une mauvaise est désagréable : elle n’échauffe point l’appartement, parce qu’on est obligé d’y laisser traverser un courant d’air extérieur, toujours froid ; elle tourmente plus qu’elle ne sert à ceux qui veulent s’y chauffer. La fumée, ce fléau terrible par sa nature, pour les yeux délicats, dégrade bientôt tous les objets sur lesquels elle s’attache, elle les ternit & les enduit d’une espèce de vernis brun, que rien ne peut enlever. Comme elle n’est que le résultat de la décomposition du corps qui brûle, & qu’elle est un mélange des parties aqueuses, huileuses, terreuses & salines qui se dissipent, ses effets, soit sur nos yeux, soit dans nos appartemens, ne doivent point étonner. Dans la construction des cheminées de nos maisons de la ville, les soins & les dépenses que l’on multiplie pour les empêcher de fumer, réussissent quelquefois, mais le plus souvent le succès n’est pas heureux ; & la cheminée une fois construite, si elle fume naturellement, il sera presque toujours très-difficile, pour ne pas dire impossible, de remédier à cette incommodité. À la campagne, où les maçons sont plus ignorans, plus mal-adroits, le mal est bien encore plus grand ; il est peu de cheminées qui ne fument, sur-tout dans les maisons des paysans. L’habitude où ils sont, dès leur naissance, de vivre dans une atmosphère éternelle de fumée, fait qu’elle ne les incommode presque point ; mais est-ce une raison pour ne pas essayer de les préserver de cette incommodité ? Quelquefois le pouvoir de l’habitude, le mal qu’elle nous fait trouver léger, n’en est pas moins un vrai mal. Tâchons de le prévenir, & par quelques principes sûrs, essayons de guider le manœuvre qui veut construire une bonne cheminée, ou celui qui cherche à corriger les défauts d’une mauvaise.

Le tuyau d’une cheminée est un canal dans lequel doit s’écouler la fumée d’un corps qui brûle. Deux causes principales déterminent la fumée à s’élever dans ce canal : 1o. sa légèreté plus grande que celle de l’air de l’atmosphère ; 2o. le mouvement que lui a imprimé le feu, & qui est perpétuellement augmenté par la raréfaction de la colonne d’air renfermée dans la cheminée, & dilatée par le feu qui est à sa base. Tant que la fumée sera plus légère qu’un pareil volume d’air, elle s’élèvera d’elle-même & sans effort ; tant que la colonne d’air sera dilatée, elle cherchera à monter, & entraînera avec elle la fumée ; enfin, tant qu’une nouvelle colonne d’air remplacera, par l’ouverture inférieure de la cheminée, celle qui s’échappe par l’orifice supérieur, la fumée ne pourra redescendre & rentrer dans l’appartement. Qui ne seroit pas persuadé qu’après des principes si simples & si clairs, on ne pût être sûr d’empêcher toute cheminée de fumer ? Cependant, rien de si difficile. Il y a tant de causes, tant de circonstances intérieures & extérieures, prochaines & éloignées qui font fumer, qu’il est presque impossible de les détruire toutes à la fois. Nous allons en parcourir quelques-unes, afin que les connoissant, on puisse y remédier jusqu’à un certain point.

1o. Un des grands défauts d’une cheminée, c’est le parallélisme de ses parois ; les quatre côtés ou les quatre murs s’élevant toujours également, gardent entr’eux une même distance, ou s’ils se rapprochent, c’est de si peu, qu’on doit compter ce rapprochement pour rien. Cette construction vicieuse retarde l’ascension de la fumée, & accélère sa chûte, parce que, dans les angles, il se forme naturellement un remoux par lequel une partie de la fumée redescend vers le foyer, le long des parois, tandis que l’autre remonte par le centre. Le remède à ce défaut est de construire, 1o. le tuyau circulaire, & non pas carré ; 2o. de rétrécir l’âtre de la cheminée, par deux corps de maçonnerie, jusqu’à quelques pouces au-dessus du chambranle. Alors la fumée, en redescendant dans les angles, rencontre ces deux corps, se trouve arrêtée dans sa route, reflue sur elle-même, & se mêlant avec le courant de fumée du milieu, elle s’élève avec lui. Si le tuyau circulaire va en rétrécissant vers le haut de la cheminée, alors cette colonne de fumée, diminuant toujours de grosseur, se resserre avec le tuyau, acquiert de la force, gagne de la vélocité en perdant de l’espace, comme une rivière dont le lit va en rétrécissant ; & son effort étant égal en tout sens, elle s’élève tout à la fois.

2o. La disproportion de l’orifice supérieur de la cheminée, avec son ouverture inférieure. S’il est beaucoup trop petit, relativement à l’intérieur & au feu qu’on veut y faire habituellement, la fumée n’a plus assez d’espace pour s’exhaler, & le tourbillon, qui reflue alors dans l’appartement, ne redescend pas, mais n’a pu monter. Au contraire, si l’ouverture supérieure se trouve trop large, comme il arrive aux cheminées de cabinet, qui se dévoient dans de grands tuyaux ; dans ce cas, la petite colonne d’air, parvenue à l’espace plus large, s’étend, se divise, prend une surface plus grande par sa force expansive naturelle, perd par conséquent de sa vélocité, & de son ressort nécessaire pour supporter la fumée ; alors la colonne intérieure oppose une résistance difficile à surmonter. La seule exposition de ces deux défauts indique assez les remèdes nécessaires.

3o. La situation extérieure de la cheminée, par rapport aux bâtimens qui peuvent la commander. Il est très-difficile de pouvoir obvier à cet inconvénient ; il faut tout l’art d’un fumiste, plus physicien que maçon, pour le faire disparoître. Le vent arrêté, réfléchi, répercuté par les toits des maisons, prend toutes sortes de directions, quelquefois même une perpendiculaire à la cheminée, & par-là contrarie nécessairement le tourbillon de fumée qui s’exhale, & le fait refluer dans l’appartement. Si l’on peut élever la cheminée de façon qu’elle domine de tous côtés, on évitera certainement ce défaut, mais souvent cet expédient n’est pas possible ; il n’y a pas d’autre moyen que de rétrécir l’âtre de la cheminée, ce qui donnera plus de force au courant de fumée. Cela n’empêchera pas que souvent l’impétuosité du vent ne fasse fumer de temps en temps.

4o. La situation intérieure de la cheminée. Elle peut être vicieuse par elle-même, sur-tout si elle se trouve en face d’une porte ou d’une croisée ; car, à chaque fois que l’on ouvre ou que l’on ferme la porte, il se fait nécessairement un bouleversement dans la colonne d’air de la cheminée, sa direction se dérange, & la fumée perd pour l’instant la force qui la faisoit monter. Une grande cheminée dans un petit appartement, fume presque toujours. Elle absorbe trop d’air, & la masse qui circule dans cet espace étroit, ne suffit pas pour donner à la fumée sa vivacité ordinaire. Quand on allume du feu dans deux appartemens contigus, la cheminée où il y en a le moins, fume, parce que le plus grand feu attire une plus grande quantité d’air, par conséquent tout le courant se dirige vers celui-ci, & l’autre n’en a pas assez pour élever & soutenir la fumée dans la cheminée.

5o. La température de la disposition de l’atmosphère. On sait que l’air (voyez ce mot) peut tenir en dissolution une certaine quantité d’eau. Dans les temps humides il est surchargé ; c’est pourquoi la fumée alors a tant de peine à s’élever : bien loin de s’exhaler, elle semble retomber par son propre poids, & refluer dans les appartemens ; l’air, embarrassé par les particules aqueuses, semble émousser la pointe du feu ; le feu lui-même ne jouit plus de son ressort & de son activité. La fumée montant avec lenteur, rencontre au sortir de la cheminée, un air épais & lourd qu’elle n’a pas la force de déplacer. Au contraire, dans les temps secs, dans les jours de gelée, l’air est libre, pur, léger, la fumée le pénètre facilement, parce qu’il oppose une foible résistance.

6o. La dernière cause principale à laquelle on peut attribuer la fumée, c’est la direction du soleil au-dessus de la cheminée. Cet effet arrive ordinairement dans les beaux jours d’hiver, vers le midi, lorsque les rayons lumineux frappant perpendiculairement, ou presque perpendiculairement l’orifice supérieur de la cheminée, pressent au-dessus, empêchent la fumée de sortir, & occasionnent en même temps son reflux.

Telles sont, en peu de mots, les causes principales de la fumée dans nos appartemens. Il y en a beaucoup d’autres particulières & moindres, qui dépendent des premières, & qui ne sont que passagères, comme lorsque l’on souffle le feu, lorsque l’on commence à l’allumer, lorsqu’une personne se place devant le chambranle, &c. &c. L’explication de toutes ces causes accidentelles, & leurs remèdes sont trop visibles pour nous arrêter plus longtemps.

Voici les conditions générales dans la construction d’une cheminée pour qu’elle ne fume pas. 1o. Il faut faire en sorte qu’elle ne soit pas dominée par les bâtimens voisins ; 2o. que son orifice supérieur, moins large que l’inférieur, y soit cependant proportionné ; 3o. que sa largeur intérieure soit en raison & du feu que l’on y doit faire habituellement, & de l’appartement qu’elle doit échauffer ; 4o. qu’elle soit placée dans l’endroit le plus avantageux de l’appartement, & comme au centre, & s’il se peut en face d’un mur, & non d’une fenêtre ni d’une porte ; 5o. si l’appartement ne fournit pas assez d’air à la cheminée, on peut lui en fournir de dehors, par des ventouses qui s’ouvrent dans la cheminée à la hauteur du chambranle ; 6o. enfin, si malgré ces précautions la cheminée fume encore, on peut rétrécir intérieurement sa capacité, par le moyen de planches de plâtre qui, la diminuant, augmenteront la rapidité du courant de la fumée.

Une cheminée est destinée à chauffer simplement un appartement, ou à la préparation des alimens. Dans le premier cas, les chambranles peuvent avoir quatre pieds & demi ou cinq de largeur, sur trois pieds & demi ou trois pieds huit pouces. Dans les grands sallons, les galeries, les salles d’assemblées, on doit leur donner plus de hauteur & de largeur, mais toujours proportionnellement à la largeur des appartemens. Dans le second cas, on ne craint pas de leur donner une grande largeur, parce que le service de la cuisine demande un feu étendu ; il en résulte une plus grande commodité, & il est beaucoup plus facile de faire cuire plusieurs choses à la fois.

Si l’on ne chauffe la cheminée qu’avec du bois, l’âtre doit être de niveau avec la chambre. Deux chenets suffissent pour élever le bois, & laisser circuler l’air tout autour. Si on la chauffe avec du charbon de terre, (voyez ce mot) alors on la garnit d’une grille ou cage de fer, dans laquelle on met le charbon de terre. Ordinairement cette grille est placée entre deux maçonneries qui servent à supporter les vases où l’on veut faire cuire quelque chose. Le feu du charbon de terre est plus durable que celui du bois, & infiniment moins dispendieux.

Le manteau de la cheminée peut être construit en briques ou en pierres ; mais il faut avoir la plus grande attention d’éviter de l’appuyer contre quelque mur foible & sujet à se fendre à la chaleur, d’y laisser pénétrer des poutres ou des soliveaux : ces pièces de bois desséchées par la chaleur continuelle qu’elles éprouvent, prennent feu à la fin, & causent d’affreux incendies. M. M.