Cours d’agriculture (Rozier)/CHEVELÉE, CHEVELU

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 273-274).


CHEVELÉE, CHEVELU. Ces deux mots n’ont point la même signification ; mais comme on les confond dans plusieurs de nos provinces, & qu’ils servent à exprimer la même chose, je suis obligé de les accoupler ici. Le premier de ces mots désigne les boutures, les marcotes, (voyez ces mots) garnies de leurs racines capillaires, autrement dites chevelues, à cause de leur ressemblance avec des cheveux. Dans plusieurs provinces, le mot chevelée désigne une marcotte ou couchée de vigne, lorsqu’elle est séparée du cep ; & qu’elle est garnie de petites racines ; & le chevelu proprement dit, est l’assemblage des petites racines d’un arbre, d’un arbrisseau, d’une plante.

Lorsqu’on replante un arbre ou une plante quelconque, faut-il conserver son chevelu ? Les auteurs ne sont point d’accord sur ce sujet. Les jardiniers, d’après les préceptes de M. de la Quintinie & des anciens maîtres, ne manquent jamais de supprimer en partie les chevelus, de les ébarber, de les raccourcir ; enfin, de les mutiler. Les raisonnemens les plus convaincans n’ont aucune prise sur la routine & sur le préjugé, il faut recourir à l’expérience. Que l’on plante donc, dans la vue de connoître la vérité, un arbre garni de toutes ses racines, & ces racines garnies de leur chevelu, & un arbre dont les racines & les chevelus auront été bien & dûment écourtés, suivant la méthode générale, & on verra une différence étonnante entre la facile reprise du premier, & sa forte végétation comparée à celle du second. Je le répète, la nature n’a pas multiplié les racines, les suçoirs, pour les soumettre à la serpette du jardinier. Au mot Racine, j’entrerai dans le plus grand détail à ce sujet.

Sur toutes les plantes bulbeuses, formées par un assemblage d’écailles ou de tuniques, tels que les oignons de cuisine, les lis, les hyacinthes, &c., les filamens qui sortent de la bulbe, ne sont pas des chevelus, mais de simples parties fibreuses qu’on peut, à la rigueur, détruire lorsqu’on les replante, sinon lorsqu’elles commencent à darder, parce que ces fibres delicates meurent si elles sont meurtries, & il en pousse de nouvelles. Un seul coup d’œil sur la texture de ces fibres & sur les chevelus, découvrira la différence qui se trouve entre les uns & les autres. La manière d’être des oignons est bien différente du celle des arbres ; plusieurs végètent sans être placés dans la terre, (la squille) fleurissent, & la graine fructifie s’ils sont suspendus dans un lieu dont l’atmosphère soit un peu humide. Ils n’ont donc pas, comme les arbres, un besoin essentiel de leurs fibres ; aussi leur texture charnue se pourrit pour peu qu’elle soit meurtrie : de-là on s’est imaginé qu’il falloit les couper toutes. Donnons encore un exemple pour prouver la nécessité de conserver les chevelus. Une laitue va fournir cette preuve. Levez une laitue garnie de tous ses chevelus & de la terre qui les environne, replantez-la, & elle ne s’appercevra pas d’avoir été déplacée. À présent faites tomber la terre qui environne ces chevelus, & plantez cette laitue, en observant de bien étendre ses chevelus, & de les bien ménager, & plantez une semblable laitue avec la cheville, sans endommager les chevelus : enfin, plantez encore une pareille laitue, après avoir supprimé la majeure partie des chevelus, & vous verrez la différence frappante qu’il y aura dans leur reprise, dans leur retard & dans leur végétation. Cette expérience est simple, aisée à faire, & dissipera les doutes ou les préjugés des plus incrédules. La paresse des jardiniers a été le principe de l’erreur générale ; il a plutôt planté cent laitues ou oignons ébarbés, que quarante qui ne le sont pas.