Cours d’agriculture (Rozier)/CONCOMBRE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 454-463).


CONCOMBRE. Pour sa description générale, voyez le mot Citrouille. M. von Linné a placé les melons, les pastèques sous le genre des concombres : comme ces espèces sont très-distinctes, il en sera question sous leurs dénominations particulières ; & les melons & les pastèques fourniront des articles séparés. Ce qui distingue botaniquement le concombre des citrouilles, des courges, est la semence. Celle du premier est pointue par les deux bouts ; celle des autres est renflée sur ses bords, & tronquée à sa base. Les citrouilles ont leur pistil divisé en cinq, & les concombres, divisé en trois. M. Tournefort l’appelle cucumis sativus vulgaris, & M. von Linné, cucumis sativus.

CHAPITRE PREMIER.

Des espèces de Concombres.

I. Concombre commun ou tardif. Sa fleur est jaune, petite, en comparaison de celle des citrouilles, d’une seule pièce, évasée en forme de soucoupe, découpée en cinq parties aiguës, ainsi que le calice : à côté des fleurs, naissent de petites vrilles. Les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, mais sur le même pied ; les fleurs mâles sont en beaucoup plus grand nombre. À la base des fleurs femelles, on voit une proéminence arrondie, qui est le fruit, & sur laquelle porte & s’implante le pistil. Cette proéminence, ou embryon, s’alonge peu à peu, devient un fruit cylindrique, dont les extrémités sont arrondies, souvent courbé en demi-lune, & quelquefois chargé de verrues. Son diamètre, lors de sa perfection, est ordinairement de trois pouces, & sa longueur, de huit à douze : sa couleur varie du blanc au jaune, au vert.

Ses tiges sont rampantes, sarmenteuses ; leurs feuilles alternativement placées, découpées peu profonément, & à angles droits.

Cette espèce a fourni les variétés suivantes, ou espèces jardinières.

1°. Le concombre vert ou concombre à cornichons. Son fruit est extrêmement petit, & on le destine à la confiture dans le vinaigre.

2°. Le concombre hâtif, moins gros, & plus précoce que le précédent.

3°. Le petit concombre hâtif ou concombre à bouquet. Le fruit naît au sommet des tiges, par bouquet de trois à quatre. Les tiges sont alors droites ; & à mesure que le fruit grossit, elles s’inclinent contre terre, & finirent par ramper, sans beaucoup s’étendre ; ce qui rend cette espèce très-commode pour les couches & pour les cloches qui couvrent presqu’entièrement la tige. La longueur du fruit est ordinairement de quatre à cinq pouces, son diamètre, de deux ; son écorce est jaune.

4°. Concombre vert ou perroquet. Cette dénomination lui a été donnée à cause de sa couleur ; il grossit autant que le concombre commun.

5°. Concombre blanc. Il acquiert plus de volume que tous les précécédens, & même quelquefois du double, dans les provinces méridionales. À mon avis, c’est le plus délicat.

II. Concombre serpent. Cucumis flexuosus. Lin. Quelques auteurs l’appelent Luffa. Sa forme est très-alongée, quelquefois de trois à quatre pieds, sur deux à trois pouces de diamètre. Son extrémité est arrondie, plus grosse que celle qui tient à la queue ou pétiole, & qui est alongée. Son écorce, d’abord verte, est marquée, dans toute sa longueur, par des sillons réguliers & bien distincts. Ce fruit se replie sur lui-même souvent en plusieurs cercles, & quelquefois dans la forme des serpens, instrumens de musique. Lors de sa maturité, sa couleur change, devient paille, & finit par celle de jaune doré. Sa feuille est découpée, & ses tiges velues & grêles. L’estimable auteur de l’année champêtre a eu tort, dans un sens, de critiquer la description donnée par Olivier de Serres. Le père d’Ardene n’a pas connu le concombre, dont parle l’auteur du Théâtre d’Agriculture : c’est le cucumis anguinus. Lin. Voici comment il s’explique : « Autre race de concombre, que de la commune, se void, non sans, esbahissement par son estrange figure, ressemblante celle du serpent, autant naïfvement, qu’on diroit que la nature a voulu là refaire son propre ouvrage. Ces concombres croissent entortillés, de la longueur de quatre à cinq pieds, & davantage, ayans la tête, les yeux, la bouche comme les vrais serpens, (voilà le fabuleux) toutesfois les yeux & la bouche peints sans enfoncement, qui descouvre la chose, en y regardant de près. Leur couleur est universellement barrée, en veines grises, vertes & jaunes. Ils tiennent à la plante par le bout de la queue. L’horreur de leur figure les rend plus admirables que mangeables, encore que leur goût, de lui-mesme, soit aussi bon, que des autres concombres. Leur semence est venue d’Espagne à Toulose. »

Ces deux espèces de concombre sont originaires des grandes Indes. L’auteur de l’École du Jardin potager, & celui du Nouveau Laquintinye, parlent de deux autres espèces jardinières de concombre, que je ne connois point. Je vais rapporter ce qu’en dit ce dernier.

III. » Concombre noir. Cucumis sativus perfoliatus fructu nigricante. Ce concombre pousse quelquefois trois tiges, le plus souvent une ou deux très-grosses, à cinq faces ou cannelures, creusées en étoile, longues de deux à trois pieds, droites, tant que le fruit ne les fait pas ramper. Les feuilles y naissent dans un ordre alterne, fort près les unes des autres ; elles sont grandes, portées par des queues creuses, de cinq à six lignes de diamètre sur douze à quinze pouces de longueur, portées par des pédicules longs de trois à quatre pouces. Les fruits acquièrent au moins un pied de longueur sur trois à quatre pouces de diamètre, & sont relevés de plusieurs petites côtes suivant leur longueur. Leur écorce raboteuse devient d’un vert presque noir, quelquefois marbré ou rayé de blanc ; la chair est sèche, & tire sur la couleur jaune. Ce concombre est médiocrement estimable.

IV. » Concombre de Barbarie. Cucumis sativus maximus. Ses sarmens ou tiges s’étendent presqu’aussi loin que celles du précédent ; ses feuilles, et toutes les parties de la plante, sont un peu moindres que celles du potiron. La plupart de ses feuilles sont palmées, ou découpées très-profondément. Les fruits, qui ont quelquefois près de deux pieds de longueur, sur neuf ou dix pouces de diamètre, sont d’un vert très-foncé, quelquefois y marbrés de vert plus, clair, ou de blanc, rarement de jaune. La chair est sèche, & un peu pâteuse. Le seul mérite de ce gros concombre est de se conserver en lieu sec, jusqu’à la fin de janvier. »

CHAPITRE II.

De leur Culture.

On ignore quel est précisément le pays natal du concombre commun ; &, par conséquent, si on n’avoit pas l’expérience pour soi, il feroit difficile de décider, au juste, l’époque à laquelle il convient de le semer.

Cette plante est très-sensible au froid, d’où je conclus qu’elle est originaire des pays chauds, & que si l’art n’aidoit pas la nature dans les provinces du nord de ce royaume, les fruits n’y mûriroient pas.

I. Des semis. Les habitans des provinces du midi peuvent semer sur de petites couches, (voyez ce mot) dès le mois de janvier ; au mois de mars, en plein air, dans un lieu bien abrité ; en avril, en pleine terre, ainsi qu’en mai ; & en juin, pour prolonger leurs jouissances. Il est prudent quelquefois de couvrir, avec de la paille, ces derniers concombres, afin de les garantir, au besoin, des matinées froides de l’automne. Si on aime à jouir, ou plutôt si on veut avoir des primeurs ; car ce n’est pas une vraie jouissance, il faut alors imiter l’exemple des jardiniers des environs de Paris.

Quelques auteurs conseillent de semer la graine cueillie depuis deux à trois ans, & disent gravement que les tiges sarmenteuses qu’elles poussent, sont moins longues, & plus chargées de fruits que celles provenues des graines de l’année. Pourquoi, en toute occasion, veut-on contrarier la nature ? Si la graine de deux ans valoit mieux que celle de la première année, la nature n’auroit pas donné à cette dernière la facilité étonnante qu’elle a de germer, (ainsi que les semences de toutes les cucurbitacées) dès que la chaleur de l’atmosphère est au point convenable à son développement. La germination des graines est soumise à des loix physiques : on aura beau faire, la graine de persil restera, de trente à quarante jours, avant de sortir de terre. Celle d’acacia, d’aubépin, &c. germera la seconde année ; & sur cent graines de chaque espèce, à peine il y en aura dix qui pousseront dans la première. Choisissez la graine la mieux nourrie, & de l’année, & vous aurez de belles plantes ; ce que vous reconnoîtrez par expérience.

Les jardiniers des environs de Paris sèment au commencement d’octobre, & mettent une graine ou deux de concombre hâtif dans de petits pots de quatre pouces de diamètre : ils sont remplis d’une terre préparée, moitié terre légère & moitié terreau, & les pots sont aussitôt rangés contre de bons abris. Si les deux graines germent, on supprime, après quelques jours, la moins bien venue.

Tant que la saison se maintient belle, ces pots exigent seulement les arrosemens nécessaires : les matinées & les nuits deviennent-elles froides, il faut se servir des paillassons : enfin, la gelée commence-t-elle à se faire sentir, les paillassons deviennent insuffisans ; les pots exigent d’être mis sous cloche, ou sous des châssis, & dans une couche ; & à mesure de l’augmentation du froid, vous augmenterez les réchauds, (voyez le mot Couche) la grande paille sur les cloches.

Dès que les premières fleurs commencent à paroître, on choisit un temps doux ; l’on dépote chaque plante, en prenant le plus grand soin de retenir la terre attachée aux racines ; on la porte & on la plante sur une couche neuve, garnie de ses cloches ; enfin, on l’arrose légèrement.

Si les concombres ont été semés en octobre, ils fleuriront en février, & leurs fruits seront mûrs en avril. Ceux semés en novembre & décembre, supporteront plus difficilement les rigueurs de l’hiver, & la maturité de leurs fruits sera plus tardive. Telle est, d’après l’auteur du Nouveau Laquintinye, la méthode des jardiniers jaloux d’avoir des primeurs. Voici la méthode ordinaire, telle qu’il la décrit.

« La pratique ordinaire est de semer, à la fin de novembre ou décembre, sur couche, une vingtaine de graines de concombre hâtif sous chaque cloche, que l’on borne, & que l’on couvre de paillassons ou de litière, &c. suivant que le temps est plus ou moins rude. Trois semaines, ou un mois après, repiquer le jeune plant sur une couche neuve, (qu’il faut réchauffer exactement) cinq ou six pieds sous chaque cloche, & lui donner de l’air, toutes les fois qu’il est supportable ; un mois après, le planter en place & à demeure, à dix-huit pouces ou deux pieds l’un de l’autre, sur une troisième & dernière couche, chargée de dix à douze pouces de terre meuble, mêlée d’une moitié de terreau. Les maraîchers, (Voyez ce mot) ne la couvrent que de sept ou huit pouces de terreau, & forment le dernier lit de la couche avec le fumier le plus menu, qui supplée à la trop petite épaisseur du terreau. Lorsque ce plant est assez fort, rabattre la tige, en la coupant, & non en la pinçant avec l’ongle, au-dessus de la seconde feuille : c’est ce qu’on appelle faire la première taille… rechauffer la couche au besoin, pour y entretenir une chaleur modérée, & non trop forte : ce point est important… couvrir le plant avec soin, le découvrir toutes les fois qu’un rayon de soleil, ou un temps doux le permet… arroser avec de l’eau échauffée au soleil, ou tiédie au feu, si la longueur du plant en indique le besoin… lorsque la tige rabattue a poussé ses deux branches ou bras, les arrêter à deux yeux ; & lorsque les secondes branches montrent du fruit, les pincer ou couper avec l’ongle, à un œil au-dessus du fruit ; & tailler de même les branches qui sortiront successivement les unes des autres. Comme cette multiplication des branches produiroit de la confusion, élaguer, de temps en temps, les branches gourmandes & stériles, celles qui sont trop foibles pour bien nourrir leurs fruits ; retrancher les feuilles dures, & une partie de celles qui sont éloignées du fruit, qui lui font trop d’ombrage, & lui dévorent la sève nécessaire à sa nutrition[1] ; donner de l’air, le plus souvent qu’il est possible : si le plant n’est pas sous châssis, mais sous cloches, & que les branches ne puissent plus être contenues sous les cloches, les laisser sortir & étendre en liberté, avec l’attention de couvrir la couche avec des paillassons soutenus par des baguettes, si l’on est encore menacé de quelque gelée. Enfin, lorsque le fruit commence à avancer, & que la saison amène des jours de chaleur, comme il arrive ordinairement en avril, il faut commencer à donner à cette plante, qui aime l’eau, des arrosemens abondans, & aussi fréquens que le besoin l’exige, & avoir grand soin de la tailler. Avec ces soins, les premiers fruits doivent être bons à couper au commencement de mai, si les rigueurs de l’hiver, & des premiers jours du printemps, n’ont pas été excessives : mais, en suivant cette méthode, il seroit bien plus avantageux d’élever le plant dans de petits pots, jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour être mis en place ; parce que, comme je le répète pour la dernière fois, les transplantations altèrent beaucoup sa force, & retardent son progrès : les concombres, bien cultivés, donnent du fruit pendant deux ou trois mois.

» Le concombre tardif exige bien moins de soins & de dépenses. Au commencement d’avril, on fait, dans une plate-bande d’espalier, ou dans un terrein abrité, des fosses d’environ un pied cube, éloignées de deux pieds l’une de l’autre ; on les remplit de terreau gras, ou de fumier bien consommé, recouvert d’un peu de terreau fin, ou mieux de terre meuble, mêlée d’égale partie de terreau. Vers la mi-avril, on sème, dans chaque fosse, deux ou trois graines : jusqu’à la fin de mai, on défend, des gelées tardives, les jeunes plants, avec des cloches ou des pots renversés, ou des paillassons soutenus sur un treillage, & bordés de fumier de litière. Lorsque le plant est en sureté, on ne laisse qu’un pied dans chaque fosse : tout le reste de leur culture consiste à les arroser abondamment, & à les tailler exactement, à mesure que le fruit arrête sur les branches. Semés sur couche en mars, & mis en place entre la mi-avril & le commencement de mai, dans les fosses garnies de terreau, ou dans une couche sourde, ils ont bien plus d’avance, sur-tout s’ils ont été élevés dans des pots, &, par conséquent, donnent plutôt de fruit : d’ailleurs, n’étant sur une couche qu’à quatre à cinq pouces de distance, il faut moins de temps & de verre, ou de paillassons, pour les défendre du froid.

» Les amateurs de concombre peuvent s’en procurer jusqu’aux fortes gelées. Au commencement de juillet, on sème, à demeure, de la graine de concombre tardif sur une couche de litière fraîche & de fumier sec, mêlés ensemble, & recouverts de dix à douze pouces de bonne terre meuble. On soigne & on cultive le plant, suivant les besoins : lorsque les nuits commencent à devenir froides, ce qui arrive ordinairement dès le commencement de novembre, on couvre le plant avec des châssis vitrés, ou avec des cloches, & on ajoute, par la suite, des paillassons, de la litière, & autres couvertures nécessaires pour le défendre des grands froids. On a soin d’entretenir exactement la chaleur de la couche, par des réchauds, & on peut espérer de recueillir du fruit jusqu’aux fortes gelées.

» Les concombres destinés à produire des cornichons, se sèment en pleine terre, vers la fin de mai.

» Le concombre noir, & le concombre de Barbarie, se sèment sur couche à la fin d’avril, & se repiquent dans des fosses garnies de fumier consommé, ou dans une terre bien fumée ; le noir, à deux pieds de distance, celui de Barbarie, à six ou sept pieds. Comme leur principal mérite est de se conserver fort avant dans l’hiver, il suffit que leur fruit soit mûr avant les gelées, & placé dans un lieu sec & aëré : ils n’exigent que d’être taillés & mouillés au besoin. »

Les habitans du centre & du midi du royaume peuvent actuellement se rapprocher du plus ou du moins, suivant leurs facultés, de la culture en usage dans les environs de Paris : qu’ils fassent cependant la plus grande attention à la chaleur de leurs couches, & à l’activité du soleil des provinces méridionales ; tout seroit bientôt détruit. Si on n’excepte quelques jours, & parfois quelques semaines de gelées dans les mois de janvier & de février, la liqueur se soutient dans le thermomètre, à la hauteur de six, huit à dix degrés au-dessus du terme de la glace, & les plus fortes gelées ne passent pas cinq à six degrés ; dans ce cas, des paillassons, & de la litière sèche, jetée sur les couches, suffisent, & défendent les jeunes plants contre la rigueur de la saison : en un mot, chacun doit se conformer au climat qu’il habite.

La fin d’avril, dans les provinces méridionales, est l’époque à laquelle les concombres, simplement semés sur couches, ainsi qu’il a été dit, sans cloches, sans châssis, commencent à étendre leurs rameaux. On les arrête au second nœud, lorsqu’ils ont six feuilles, & leurs seconds bras, à un œil au-dessus du fruit, lorsqu’il est noué, & ainsi de suite, à mesure qu’ils poussent de nouveaux bras.

En avril ou au commencement de mai, on replante, en pleine terre, les concombres semés en mars, & ceux semés en avril, mai & juin, lorsque les pieds sont assez forts.

Les jardiniers ont, presque par-tout, la coutume absurde de couper les fleurs mâles, qu’ils nomment fausses fleurs, au moment qu’elles paroissent ; parce que, disent-ils, elles absorbent la sève des autres, & leur nuisent : comme si la nature faisoit quelque chose en vain ! Ces prétendues fausses fleurs sont absolument essentielles à la fécondation des fleurs femelles ; la nature ne les multiplie pas, & ne leur fait pas devancer les autres sans raison.

Est-il nécessaire de pincer, d’arrêter les bras ? D’où vient cette méthode ? peut-on, sans risque, la supprimer ? Voila des questions que les jardiniers, jaloux de s’instruire, devroient se faire à eux-mêmes. Il est constant que si, dans un petit espace, comme, par exemple, sur une couche, on veut avoir beaucoup de fruit, on est forcé de serrer les plants, & de retrancher les bras. Il en est ainsi dans un petit coin de jardin ; mais lorsque l’étendue ne manque pas, il convient de livrer la plante à elle-même. Encore une fois, la nature lui a donné les moyens d’étendre au loin ses tiges sarmenteuses ; ne la contrariez donc pas, elle connoît mieux que vous ses loix & ses fins. On dira peut-être que les fruits en seront plus gros, mieux nourris, parce que la sève y sera plus abondante, &c. C’est un raisonnement captieux, & voilà tout. Je demande, à mon tour, à ces jardiniers : arrêtez-vous les courges, les citrouilles, les potirons, les courges longues, qui occupent une bien plus grande superficie de terrein ? Non : eh ! pourquoi donc arrêter les concombres, qui végètent suivant la même loi que ces plantes vagabondes ? Apprenez donc que le nombre des fruits est toujours en raison des rameaux & des feuilles ; que les racines des arbres même suivent cette proportion. Taillez un ormeau, par exemple, en tête semblable à celle d’un oranger ; ses racines auront très-peu de longueur : livrez cet arbre à ses propres forces, & ses racines iront au loin chercher la nourriture nécessaire à ses branches. Si, dans les plantes cucurbitacées, les racines ne sont pas proportionnées à l’étendue des rameaux, remarquez que la nature les supplée par des feuilles amples & en grand nombre, & que ces feuilles nourrissent la plante & les fruits. Si vous en doutez, supprimez toutes ces feuilles, & vous verrez les tiges, les fruits souvent périr, ou au moins languir, jusqu’à ce que des feuilles nouvelles leur aient apporté de nouveaux sucs, & les aient, pour ainsi dire, rappelés à la vie.

Si vous craignez que les fruits ne soient pas assez beaux, assez bien nourris, en laissant courir les rameaux, voici un moyen meilleur que tous vos retranchemens. Mêlez, par avance, une bonne terre végétale, avec moitié ou un tiers de fumier bien consommé : dans l’endroit où vous auriez arrêté, taillé le bras, ouvrez une petite fosse de six à huit pouces de profondeur, sur un pied ou un pied & demi de largeur ; travaillez le fond de cette fosse, couchez mollement la tige sur cette terre travaillée ; enfin, remplissez la fosse avec cette terre préparée, de manière qu’elle forme par-dessus une espèce de monticule, qui imitera celle formée par les taupes, & ainsi de suite, de distance en distance ; arrosez aussitôt cette terre, pour qu’elle se colle contre les tiges. Par ce procédé, plus conforme au vœu de la nature, on obtient des fruits superbes. Je réponds de l’expérience.

II. Maladie des concombres. On la nomme le meunier, ou le blanc. Elle se manifeste, dans les provinces méridionales, au commencement d’octobre ; & dans celles du nord, en septembre, tantôt plutôt, tantôt plus tard ; cela dépend de l’époque des premières fraîcheurs. Les feuilles se couvrent d’une espèce de poussière blanche, ou farine : les unes se crispent, les autres périssent, & occasionnent la perte du fruit. Cette soustraction de feuilles, opérée par la gelée blanche, & qui fait périr le fruit, prouve de nouveau, ainsi que je l’ai remarqué dans la note précédente, combien il est nécessaire de conserver les feuilles, lorsqu’elles sont en bon état, & démontre combien elles sont nécessaires aux fruits. Le seul remède est de couper alors les feuilles meunières : je les ai souvent laissées sécher sur pied, sans le moindre inconvénient. On prévient le blanc, lorsqu’on couvre les plantes, ou avec de la paille, ou avec des paillassons, dès que l’on craint une nuit ou une matinée froide dans le commencement de l’automne. Ces fraîcheurs sont fréquentes, lorsque le vent du nord règne, & que le vent du sud veut entrer. Ce combat de vents dure quelquefois plusieurs jours de suite, & occasionne souvent des gelées blanches : les premières sont toujours dues à cette cause. Dans cette circonstance, la rosée tombe de très-bonne heure après le soleil couchant : elle est très-abondante, les herbes en sont chargées ; & un peu avant le soleil levant, elle se change en rosée blanche. Si ces rosées sont funestes aux concombres, elles ne nuisent point aux vignes, aux champs, & détruisent, ou obligent les insectes à gagner leur retraite,

CHAPITRE III.

Des propriétés des Concombres.

I. Quant à ses propriétés médicinales, voyez ce qui a été dit au mot Citrouille. Ses semences sont au nombre des quatre semences froides. Le fruit nourrit peu : lorsqu’on en a au-delà de sa provision, on peut en donner aux bœufs, aux vaches, ou cruds, ou cuits à demi avec du son. Toute espèce de volaille mange avec plaisir cette préparation ; mais j’ai observé que les poulets encore jeunes, & qui en avoient beaucoup mangé, avoient le dévoiement, ainsi que les canetons. Si, au son & au concombre, on ajoute des feuilles de choux ou de carottes, elles corrigent cette nourriture, & la rendent moins relâchante.

Le concombre blanc, N°. 6, est, à mon avis, le meilleur &L le plus délicat ; le concombre serpent est beaucoup plus parfumé & plus sucré que tous les autres. Relativement à sa forme singulière, & lorsqu’il est farci, il figure bien sur une table.

II. Manière de préparer les cornichons. Le concombre serpent, confit au vinaigre, lorsqu’il n’a encore qu’un pied ou dix-huit pouces de longueur, est aussi bon que les cornichons ; mais son écorce est plus dure ; il faut le peler avant de le manger.

Voici différentes manières, publiées par les auteurs, pour confire les cornichons ordinaires : on choisira celle que l’on voudra. Le soin le plus important, est d’avoir du bon vinaigre de vin, & non celui tiré des lies de vin, ou de poiré ou de cidre, tel qu’est, en général, le vinaigre vendu à Paris.

Première manière de confire les cornichons. Mettez du vinaigre & du sel sur le feu, dans un chaudron ; lorsqu’ils seront prêts de bouillir, jetez-y vos concombres, & ôtez-les de dessus le feu ; ensuite vous les couvrirez d’un couvercle qui les fasse entièrement baigner ; les ayant laissés ainsi pendant quelques jours, voyez s’ils ont assez de sel & bon goût ; puis vous les arrangerez dans de petits barrils avec des pimens blanchis, clous de girofle, poivre en grains, fenouil, ail, estragon, roquette, perce-pierre ou christe marine, chacun suivant son goût : vous foncerez ensuite les barils, & achèverez de les remplir de saumure.

Cette méthode est dangereuse, en ce que l’on emploie un vaisseau de cuivre, & que les fruits y séjournent pendant quelque temps. Ne voit-on pas que l’acide du vinaigre & du sel, corrodent le cuivre, en convertissent une partie en chaux de cuivre, c’est-à-dire en vert de gris ? Ce sel n’est pas visible : les cornichons, j’en conviens, conservent leur couleur naturelle, & même elle est rehaussée, & cette exaltation de couleur est due aux parties du vert de gris tenues en dissolution dans le vinaigre. Que faut-il donc penser des préparations de cornichons faites par plusieurs marchands épiciers de Paris ? Après avoir disposé les cornichons dans des vases ou des bouteilles à goulot fort évasé, ils y ajoutent un gros sol de cuivre, afin que sa dissolution donne au fruit une belle couleur ; j’en ai trouvé de bonne foi sur ce point, ils croyoient ne pas mal faire.

Il faut encore observer de tenir les cornichons dans des vaisseaux de faïence ou de terre vernissée. Si c’est dans du grès, ou dans des vaisseaux non vernissés, ils décomposent le vinaigre, & les cornichons se gâtent, à moins que ces cruches ne servent depuis long-temps au même usage ; alors, les parties acides, nichées & fixées dans tous les pores des cruches, empêchent la décomposition du vinaigre : les premiers sont préférables, à tous égards.

Seconde manière. On choisit les plus petits cornichons ; on les met dans un linge blanc ; on les y frotte les uns contre les autres, afin de les dépouiller de leur duvet, après quoi, on les jette dans l’eau bouillante : on les y laisse environ quatre minutes ; on les en retire pour les mettre dans l’eau fraîche, &, on les laisse refroidir. On les fait égoutter sur un linge blanc ; & quand ils ont perdu leur eau, on les place dans un pot : on les y arrange les uns sur les autres, en plaçant de distance en distance quelques feuilles de laurier & quelques grains de poivre ; après quoi on versera par-dessus du vinaigre blanc, si on en a, (au mot Vinaigre, je décrirai une manière simple de changer le vinaigre rouge en vinaigre blanc) en ajoutant une once de sel par pinte de vinaigre : cette méthode est en tout préférable à la première, & la cuite légère dans l’eau, dépouille l’écorce du fruit d’une certaine âcreté.

Troisième manière. Une manière plus simple, est, après avoir lavé exactement, & essuyé les cornichons, de les mettre tout uniment dans du bon vinaigre blanc ou rouge : leur couleur se conserve mieux avec le premier, parce que, à mesure que le cornichon est pénétré par le vinaigre, sa partie colorante se fixe sur l’écorce, & y reste attachée ; alors les cornichons perdent leur couleur verte. On y ajoute du sel, une once par pinte : on laisse le vaisseau découvert, c’est-à-dire, simplement couvert d’une planche, d’un morceau de bois, parce que le vinaigre devient plus acide lorsqu’il est en contact immédiat avec l’air. Ce couvercle sert seulement à empêcher l’entrée des ordures dans le vase ; il faut que le vinaigre surpasse de deux doigts les cornichons, & le recroître de temps à autre ; enfin, avec un poids quelconque, on empêche les cornichons de monter à la surface. La partie hors de l’eau noircit & se moisit. Si on goûte ce vinaigre un mois après, on le trouvera fade, le fruit en a absorbé l’acidité, ou du moins une grande partie. Il faut alors lui donner de nouveau vinaigre & changer le premier. J’ai conservé, de cette manière, des cornichons pendant deux ans : on confit ainsi les pimens, les jeunes épis de mais ou blé de Turquie, les petits melons, &c.

Au mois d’octobre, dans les provinces du midi, & de septembre dans celles du nord, enlevez tous les concombres qui n’approchent pas de leur maturité, c’est-à-dire, qui n’ont pas encore perdu leur première couleur ; n’importe la grosseur du fruit, & mettez-les au vinaigre, ainsi qu’on vient de le dire : conservez cette préparation jusqu’à la fin du printemps ; alors, donnez-en souvent aux valets de la ferme, cette nourriture préviendra beaucoup de maladies causées par l’effervescence du sang dans les grandes chaleurs.

  1. Je suis bien éloigné de penser comme l’auteur ; l’expérience prouve que les plantes se nourrissent plus par leurs feuilles que par leurs racines. Si des feuilles couvrent le fruit, & le garantissent des rayons du soleil, on les détournera ; mais on ne les coupera pas.