Cours d’agriculture (Rozier)/LAIT (supplément)

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LAIT. Ce fluide n’a pas été considéré tout à fait, dans le Cours complet d’Agriculture, sous ses véritables rapports avec l’économie rurale et domestique ; d’ailleurs, des expériences, publiées récemment, ont démontré, contre l’opinion de Rozier, qui étoit celle de son temps, que si le lait possède quelques unes des propriétés du chyle et de l’émulsion, ou ne pouvoit le confondre avec ces deux liquides, puisque en les exposant au feu on n’en obtient, par l’évaporation au feu, aucune pellicule membraneuse, semblable à la matière caseuse, ni aucune matière comparable à ce qu’on nomme sucre de lait, et qu’ils ne forment point de coagulum par la fermentation spontanée, ou à l’aide de la présure et des acides. (Voyez Précis d’expériences et observations sur les différentes espèces de lait, considérées dans leurs rapports avec la Chimie, la Médecine et l’Économie rurale, par Messieurs Parmentier et Déyeux, membres de l’Institut national de France.

Les avantages que le lait procure sont immenses ; il est, après le pain, l’article le plus essentiel de la métairie, et ses produits donnent lieu à des fabriques plus ou moins renommées, pour la qualité du beurre ou des fromages qu’elles préparent ; les opérations qu’on y exécute ont été trop bien présentées dans cet Ouvrage, pour ne pas borner notre tâche à citer quelques exemples sur les causes capables d’apporter au lait des modifications qui, sans toucher a ses caractères spécifiques, peuvent augmenter ou affaiblir sa qualité.

Rien n’est plus variable que la qualité des parties constituantes du lait, et la proportion où elles se trouvent ; l’âge, la santé, l’organisation et la nourriture de la femelle, les soins qu’on en prend, le passage trop subit du sec au vert ; et vice versa. Les endroits qu’elle habite ne sont pas les seules circonstances qui influent plus ou moins sur cette proportion.

En effet, l’expérience journalière prouve que le lait est séreux et abondant à l’époque du part ; qu’il diminue de quantité et augmente de consistance à mesure qu’on s’en éloigne ; que dans une même traite, le lait qui sort le premier du pis n’est nullement semblable au dernier ; que celui-ci est infiniment plus riche en principes que l’autre ; qu’il faut à ce fluide un séjour de douze heures dans les mamelles, pour acquérir toute sa perfection ; qu’enfin le lait, trait le matin, a constamment plus de qualité que le lait du soir, parce que, vraisemblablement, le sommeil donne à l’animal ce calme si nécessaire au perfectionnement de toutes les humeurs ; observations importantes qu’il ne faut jamais perdre de vue, quelle que soit la destination qu’on donne aux laitages.

On s’est donc trompé, en imaginant que la nature plus ou moins atténuée et succulente des herbages qui entrent dans la nourriture des animaux contribuoit le plus directement à améliorer la qualité du lait et que les plantes conservoient toujours leur odeur, leur couleur et leur saveur, puisque la plupart se trouvent décomposées par l’acte même de la digestion ; ils facilitent le travail de l’estomac, en donnant plus d’énergie aux organes destinés à préparer les premiers matériaux du lait, à les réunir et à leur imprimer le cachet particulier de l’animal. C’est ainsi, par exemple, que du sel marin, ajouté à des fourrages insipides et détériorés, concourt à rendre le lait pins épais et plus savoureux. Certes, il n’y a point, dans ce premier assaisonnement de nos mets, les élémens du beurre, du fromage et du sucre de lait ; s’il opère un pareil effet, ce n’est qu’en soutenant le ton de l’estomac et en augmentant les forces vitales, que pourroit affoiblir l’usage d’une nourriture défectueuse.

Cependant, si les alimens n’ont pas toujours une influence marquée sur la nature des différens principes qui constituent le lait, il n’en est pas moins vrai que ces principes reçoivent, de la part des végétaux dont ils sont formés, certains caractères, en quelque sorte indélébiles. Si les fourrages administrés aux animaux sont naturellement aqueux, et par conséquent peu sapides, le lait qui en proviendra sera abondant, mais séreux ; si au contraire ils sont, comme on dit, aigres, durs et fibreux, les produits de ce fluide n’auront encore ni moelleux, ni flexibilité ; enfin, le lait donnera des résultats plus parfaits dès que les herbages seront fins, savoureux et aromatiques. — Ces observations, qui réduisent à sa juste valeur l’influence des alimens sur la qualité du lait, nous paroissent suffisantes pour expliquer la cause qui fait que le lait provenant des troupeaux nourris dans les prairies composées de beaucoup de plantes fines et aromatiques, donnent des produits qui réunissent tant de qualités ; pourquoi, lorsque ces mêmes plantes n’ont perdu, par la dessiccation, que leur humidité superflue et une partie de leur odeur, elles n’en donnent pas moins aux femelles qui en sont nourries un lait aussi abondant, pour le moins, en principes, que si ces animaux étoient au vert ; pourquoi les femelles qui paissent dans les lieux aquatiques et ombragés, fournissent communément un lait moins bon que celles qui vivent dans des herbages gras, mais découverts, et sur des terrains qui leur sont propres ; car, si la vache se trouve bien des pâturages succulens des plaines, la brebis se plaît sur les endroits secs, et la chèvre dans les pays montueux ; enfin, pourquoi la vache qui a vêlé en juillet donne en octobre un lait plus riche en crème, quoiqu’elle soit nourrie avec des fourrages secs.

Il seroit superflu de s’arrêter plus longtemps sur cette question, toute importante qu’elle soit. En général, il paroît démontré que le lait est un de ces fluides dont la perfection est subordonnée à une foule de circonstances, souvent si difficiles à réunir, qu’il n’est pas aussi commun qu’on le pense, de rencontrer des femelles, toutes choses égales d’ailleurs, qui le donnent constamment bon, et dont les principes soient parvenus au même degré d’appropriation.

La plus grande quantité de lait qu’une vache puisse fournir, dans la saison du vert, est évaluée, d’après une suite d’expériences, à vingt-quatre pintes, ou quarante-huit livres environ dans les deux ou trois traités ; mais le produit commun est de douze pintes environ ; et quoique plus savoureux, et en plus grande abondance pendant l’été que l’hiver, le lait qu’elle donne dans cette dernière saison est plus riche en principes.

C’est dans les organes mammaires que le lait reçoit ses propriétés caractéristiques, qui augmentent ou diminuent d’intensité, à raison d’une foule de circonstances dont nous venons d’exposer les principales ; mais, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que, dans tous les temps et chez toutes les femelles, le lait trait le premier est toujours plus clair et d’une qualité inférieure à celui qui vient ensuite, et que la crème est d’autant plus abondante et plus parfait» qu’on approche des dernières gouttes restantes dans les pis ; plus on répète les traites, dans l’espace de vingt-quatre heures, plus le lait est abondant et moins il contient de crême, et vice versa, ce qui sembleroit faire présumer que la nature ne s’occupe d’abord que de la composition du lait, et que c’est avec une portion de ce fluide qu’elle fabrique la crême ; que la succion du lait en facilite beaucoup la sécrétion ; que plus souvent le nouveau né tette, moins le lait qu’il prend est substantiel et gras ; observations importantes, bien capables de donner carrière à l’esprit, par rapport aux conséquences multipliées qu’on peut en tirer pour l’avantage de la médecine pratique et de l’économie domestique.

Il est difficile de déterminer, par l’analyse la plus exacte, la quantité et la proportion des parties constituantes du lait, puisqu’elles changent d’état à chaque instant de la journée et qu’elles varient dans les divers animaux, dans les animaux de la même espèce, dans le même animal, enfin dans la même traite.

À défaut du tableau des produits, nous allons offrir, sous un seul point de vue, les différentes espèces de lait, rangées dans l’ordre où nous pensons qu’elles doivent être, relativement aux produits les plus essentiels que nous avons apperçu qu’ils fournissoient, toutes choses égales d’ailleurs, plus abondamment les unes que les autres.

BEURRE FROMAGE SEL ESSENTIEL SÉRUM
La brebis La chèvre La femme L’ânesse
La vache La brebis L’ânesse La femme
La chèvre La vache La jument La jument
La femme L’ânesse La vache La vache
L’ânesse La femme La chèvre La chèvre
La jument La jument La brebis La brebis

On peut donc, à la rigueur, former de ces six espèces de lait les plus usitées, deux grandes divisions ou classes : l’une qui, riche en matière caseuse et butireuse, comprendroit les faits de vache, de chèvre et de brebis, tandis que, dans l’autre, on rangeroit les faits de femme, d’ânesse et de jument, comme plus abondans en sel essentiel et en sérosité.

Mais, l’emploi du lait en mature ne se borne pas seulement aux usages économiques ; on est parvenu à en faire quelques applications heureuses aux arts ; nous citerons, entr’autres, la clarification des liqueurs vineuses et spiritueuses, la conservation des viandes dans le lait caillé, le blanchiment des toiles par le petit lait aigri, etc. (Parmentier.)