Critique de la théologie dogmatique/11

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XI

Chapitre ii. — De Notre-Seigneur Jésus-Christ en particulier. Ce chapitre contient l’exposé de la doctrine sur la deuxième personne de la trinité.

§ 131. — Liaison avec ce qui précède et parties de la doctrine.

Déjà depuis l’éternité, et par conséquent avant notre naissance et notre chute, l’Être omniscient et infiniment bon avait décrété de nous sauver par son Fils unique. Ensuite, aussitôt après la chute de nos premiers parents, Il commença à préparer le genre humain par tous les moyens, naturels et surnaturels à recevoir le Sauveur. Enfin, au terme fixé d’avance « lorsque les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils, formé d’une femme et assujetti à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi » (Gal., iv, 4, 5), parut Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui consomma réellement l’œuvre de notre salut (p. 43).

Article 1er. De la personne du Seigneur Jésus-Christ ou du mystère de l’incarnation, § 132. Importance et imcompréhensibilité du dogme ; court exposé de son histoire ; doctrine de l’Église sur ce sujet et parties de cette doctrine.

C’est Dieu qui a accompli la rédemption, la deuxième personne c’est Jésus-Christ fait homme. Jésus-Christ est homme et Dieu ? Que signifie cela : homme et Dieu ? D’après tout ce qui a été exposé, la conception homme et la conception Dieu non seulement diffèrent mais sont presque contraires. Dieu c’est l’indépendance, l’homme c’est la dépendance ; Dieu c’est le créateur, l’homme la créature ; Dieu c’est le bien, l’homme le mal. Comment comprendre l’union de ces deux conceptions sur lesquelles cela est basé ? Suit l’explication. Mais comme toujours, l’explication se borne à la discussion avec ceux qui ne considèrent pas le Christ comme Dieu, aussi bien qu’avec ceux qui voient en lui tout Dieu, toute la trinité ; avec ceux qui ne voient en lui qu’un demi-Dieu ; puis avec ceux qui considèrent comme une apparence le corps du Christ et ceux qui se refusent à voir l’âme humaine de Jésus-Christ ; avec ceux qui disent que Jésus-Christ est né comme tous et avec ceux qui distinguent en Christ l’homme et le Dieu ; avec ceux qui confondent l’homme et le Dieu en Christ et avec ceux qui séparent Dieu de l’homme, mais disent qu’en lui la volonté est la même ; avec ceux qui affirmaient que :

Jésus-Christ, par sa nature humaine, serait non le propre Fils de Dieu le Père, mais un Fils selon la grâce, un Fils adoptif, en présupposant évidemment la division, en Jésus-Christ, des deux natures en deux personnes (p. 49).

Au milieu de toutes ces hérésies sur la personne du Seigneur Jésus, l’Église orthodoxe, dès les temps apostoliques, défendit constamment et développa une seule et même doctrine, qu’elle exprima avec une force particulière au quatrième concile œcuménique dans les termes suivants : « Conformément à l’enseignement des Saint-Pères, nous déclarons d’une voix unanime que l’on doit confesser un seul et même Jésus-Christ, Notre-Seigneur ; le même parfait dans la divinité et parfait dans l’humanité ; vrai Dieu et vrai homme ; étant comme homme composé d’une âme et d’un corps ; consubstantiel au Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité ; en tout semblable à nous hormis le péché ; engendré du Père avant les siècles selon la divinité ; le même né dans ces derniers temps selon l’humanité de la Vierge Marie, mère de Dieu, pour nous et pour notre salut ; un seul et même Christ, Fils unique, Seigneur, en deux natures sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation, sans que l’union ôte la différence des natures, l’une et l’autre conservant sa propriété et concourant en une seule personne et une seule hypostase ; en sorte qu’il n’est point partagé ou divisé en deux personnes, mais que c’est un seul et même Fils unique, Dieu le Verbe, Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme les prophètes et Notre-Seigneur lui-même nous l’ont enseigné, et comme le Symbole des Pères nous l’a transmis ».

On voit par là que toute la doctrine de l’Église orthodoxe sur la personne du Seigneur Jésus se résume en deux propositions, savoir : 1o qu’il y a en Jésus-Christ deux natures : la nature divine et la nature humaine ; et 2o que ces deux natures en Lui ne forment qu’une hypostase (p. 49, 50).

Il est impossible de laisser passer cela. Les termes de cette définition forment une série de contradictions intérieures. La conception de la nature unie à Dieu exclut la conception de Dieu, puisque l’esprit illimité ne peut avoir de nature. « Deux natures en lui ne forment qu’une hypostase ». Et « l’hypostase » ne peut avoir aucun sens, puisque ce mot n’a pas de signification dans la langue et n’a reçu aucune définition. Dans ce dogme il n’y a point de sens raisonnable ; mais comme tous les autres, il s’appuie sur l’Église, « l’Église sainte et infaillible ». Or depuis qu’elle existe, depuis le commencement même, l’Église affirme ce dogme. Il est exprimé dans la sainte tradition et dans la sainte Écriture. Ainsi dit la théologie. Examinons si cela est vrai. Bien que j’aie résolu de passer rapidement toute cette seconde partie, je sens qu’il est nécessaire de s’arrêter sur ce passage des preuves que Christ est Dieu, car ce passage, bien que placé au milieu, comme pour expliquer les vérités postérieures, est en réalité la base du dogme de la trinité exposé au commencement, et s’il existe un dogme de la Trinité, il ne découle que de la reconnaissance de la divinité du Christ. C’est seulement après que lui est adjointe la troisième personne : le Saint-Esprit.

L’origine de l’affirmation que Dieu n’est pas un, mais a des personnes, provient de la divinité du Christ. Le § 133 : Le Seigneur Jésus a la nature divine, et Il est nommé le fils de Dieu, a pour but de prouver que Jésus-Christ a la nature divine, non comme les autres hommes créés par Dieu, mais d’une manière particulière, qu’il est la seconde personne de Dieu. Le même sens est attribué à l’expression : Fils de Dieu. Il est prouvé que Jésus-Christ n’est pas le Fils de Dieu comme tous les hommes, mais un Fils de Dieu particulier, l’unique, la seconde personne de la trinité. En voici les preuves de l’Ancien Testament :

1) Dans le iie Psaume… « Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils ; Je vous ai engendré aujourd’hui », c’est-à-dire j’ai engendré ou j’engendre éternellement. Dans le Psaume cix… Dieu lui-même a dit : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’étoile du jour » ; c’est-à-dire avant tous les temps. Le prophète Michée, en prédisant que le Messie doit sortir de Bethléem, ajoute qu’il a aussi une autre origine éternelle : « Sa génération est dès le commencement, dès l’éternité ». (Mich, v, 2)…

2) Les paroles du Psaume xliv : « Votre trône, ô Dieu ! subsistera éternellement ; le sceptre de votre règne sera un sceptre de rectitude et d’équité ; Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est à cause de cela, ô Dieu ! que Votre Dieu vous a oint d’une huile de joie d’une manière plus excellente que tous ceux qui y ont part avec Vous » (6, 7)… « Je vais vous envoyer mon Ange, qui préparera ma voie devant ma face ; et aussitôt le Dominateur que vous cherchez et l’Ange de l’alliance si désiré de vous viendra dans son temple. Le voici qui vient, dit le Seigneur des années » (Mal., iii, 1)… « Le temps vient, dit le Seigneur, où je susciterai à David une guerre juste, un roi qui régnera, qui sera sage, qui agira selon l’équité et qui rendra justice sur la terre. En ce temps-là Juda sera sauvé, Israël habitera dans les maisons sans rien craindre ; et voici le nom qu’ils donneront à ce roi : le Seigneur (Jéhovah), qui est notre Juste » (Jér., xxiii, 5, 6 ; comp, xxxiii, 15, 16) (p. 51, 52).

Aucun de ces passages ne se rapporte à Jésus-Christ. L’auteur des Psaumes parle de soi-même et non du Christ. Si les paroles « Je », « moi » se rapportaient au Christ, l’auteur dirait : « Sa génération est dès le commencement de l’éternité ». Il s’agit de la génération de quelqu’un, c’est-à-dire de la génération de chaque homme. Il n’y a là rien de commun avec la divinité du Christ. Les paroles du Psaume xliv se rapportent à Dieu seul et non au Christ. Les prophéties de Malachie se rapportent à tout prophète ; les paroles de Jérémie à un roi quelconque, mais il ne s’y trouve pas l’ombre d’un rapport quelconque avec Christ. Ce sont là toutes les preuves de la divinité du Christ fournies par l’Ancien Testament.

Suivent les preuves du Nouveau Testament.

1) Le passage de l’entretien avec Nicodème, cité comme preuve de la divinité de Jésus-Christ :

« Personne n’est monté au ciel que Celui qui est descendu du Ciel, savoir le Fils de l’homme qui dans le ciel… car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Celui qui croit en lui n’est pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné parce qu’il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu » (Jean, iii, 13, 16, 18). Ici d’abord le Seigneur s’attribue l’omniprésence, attribut qui ne peut appartenir à nul être créé ; ensuite Il se nomme Fils unique (μονογενὴς) de Dieu, sans doute dans le sens propre c’est-à-dire engendré de la nature divine, ayant la nature divine ; car à ce Fils appartient l’omniprésence, — attribut divin ; enfin Il atteste que sans la foi en Lui, nommément comme Fils unique de Dieu, qui est omniprésent le salut, est impossible aux hommes (p. 52).

À la question de Nicodème : Comment l’homme peut-il naître de nouveau pour entrer dans le royaume de Dieu ? Jésus répond que personne ne peut monter au Ciel que celui qui connaît déjà Dieu. On peut interpréter ces paroles de bien des façons, mais on ne peut y voir Jésus parlant de lui. Il est évident, en effet, qu’il parle de tous les hommes, qu’il désigne clairement par : Fils de l’homme. Du sens de tout cet entretien avec Nicodème, qui commence par l’affirmation de Jésus : que personne ne verra le royaume de Dieu, s’il ne vient pas d’en haut, il est évident qu’en parlant du Fils de l’homme, Jésus parle non de soi-même mais de tous les hommes. En outre, dans tout l’entretien, il est question tantôt du fils de l’homme tantôt du fils né, unique, mais il n’est dit nulle part que ce Fils de Dieu soit exclusivement Christ. Enfin ces paroles ne peuvent avoir la signification que leur prête l’Église, car l’expression Fils de l’homme signifie nettement le fils humain, c’est-à-dire les hommes ; et l’appellation de « Fils de Dieu » est celle même par laquelle Jésus enseignait aux hommes à se désigner eux-mêmes. De sorte que si Christ eût voulu dire qu’il se trouvait dans un rapport particulier, exclusif, envers Dieu, il devait choisir une autre expression pour l’exprimer. Je ne puis m’empêcher de penser que Jésus n’avait pas l’intention d’exprimer un dogme si important. S’il se nommait Fils de Dieu, s’il nommait ainsi les hommes, il ne voulait dire que cela. De sorte que ce texte prouve précisément le contraire de ce que l’auteur voulait démontrer.

Je ne citerai pas ici le témoignage des Évangiles, qui nient tout simplement la divinité du Christ ; j’examinerai seulement ceux des passages cités ici, comme preuves de la divinité du Christ.

2) La parabole des vignerons :


Dans une parabole qu’il prononça devant les prêtres, les scribes et les anciens des Juifs (Marc, xi, 27), la parabole de la vigne, « qu’un homme planta, entoura d’une haie… loua à des vignerons » (Ibid., xii, 1-2), où Il entendait par cet homme le Père céleste, qui planta son Église au milieu du peuple juif et la leur remit à eux comme chef du peuple, notre Sauveur dit que, la saison étant venue, le maître de la vigne envoya aux vignerons ses serviteurs les uns après les autres « pour recevoir du fruit de sa vigne » (Ibid., 2), mais que les vignerons ayant battu et chassé ignominieusement les uns et même tué les autres (3-5) le maître se décida à leur envoyer son propre Fils : « Enfin, ayant un Fils unique qu’il aimait tendrement, Il le leur envoya encore après les autres, en disant : ils auront quelque respect pour mon Fils. Mais ces vignerons dirent entre eux : Voici l’héritier, allons, tuons-le et l’héritage sera à nous. Aussi, s’étant saisis de Lui, ils le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne » (6-8) (p. 53).

Dans cette parabole, selon l’Église, les vignerons personnifient les Juifs ; le maître, Dieu. Pourquoi donc seul le « Fils », signifie-t-il le « Fils » ? Selon l’esprit de la parabole, le Fils doit aussi avoir une signification allégorique. Toute la parabole nous prouve que par « Fils », il faut entendre quelque chose qui n’est sûrement pas le Fils.

3) Lorsque le Seigneur ayant guéri le paralytique, « les Juifs le persécutèrent parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat » (Jean, v, 16), Il répondit comme pour se justifier : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi incessamment » (Ibid., 17) Cette réponse dans laquelle le Seigneur Jésus s’attribue l’égalité avec Dieu le Père en droit et en pouvoir… (p. 53).

Jésus ordonne à tous de prier Dieu le Père, d’appeler et de considérer Dieu comme un père. Ce passage ne peut donc que prouver le contraire, à savoir que Jésus se regardait simplement comme tout homme et définissait son rapport envers Dieu exactement de la même façon que le rapport de tous les autres hommes envers Dieu. Ses paroles : « je fais ce que mon père fait » signifient évidemment la même chose que les paroles : « Soyez parfaits comme votre père ». Ici, il rapporte ses paroles aux autres. Mais quand il dit : « Je fais ce que mon père fait » il rapporte ses paroles à soi, comme homme et nullement comme Dieu.

Qui cherchaient encore avec plus d’ardeur à Le faire mourir, parce que non seulement Il ne gardait pas le sabbat, mais qu’Il disait même que Dieu était son Père (ἴδιον, se faisant ainsi égal à Dieu (Jean, v, 18) (p. 53).

Puis, n’importe comment, ces paroles ne prouvent qu’une chose : que Jean Damascène, désirant expliquer la vraie signification de la filiation du Christ envers Dieu, interprète faussement les paroles du Christ. Ces paroles signifient seulement que les Juifs, par leurs accusations contre Christ, ont tombé dans l’erreur où tombe maintenant l’Église en le glorifiant. Ces paroles ne peuvent avoir d’autre signification :

« En vérité, en vérité, je vous dis que le Fils de l’homme ne peut rien faire de Lui-même, et qu’il ne fait que ce qu’il voit faire au Père, car tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme Lui. » (Jean, v, 19) (p. 53).

C’est la réponse aux reproches qu’on leur adresse, à lui et ses disciples, de violer le Sabbat. Il dit que Dieu ne cesse pas de créer et de produire. Pourquoi l’homme cesserait-il ?

« Car comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il Lui plaît. Car le Père ne juge personne, mais Il a donné tout pouvoir de juger au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n’honore point le Fils n’honore point le Père qui l’a envoyé » (Jean, v, 21, 22, 23) (p. 54).

Il est dit la même chose à propos de la guérison le jour du sabbat. On dit que l’homme peut guérir le jour du sabbat, et décider lui-même ce qu’il faut faire ; « il vit d’après Dieu et tâche d’être parfait comme le père ; que l’homme est le fils de Dieu, et qu’il faut le respecter comme Dieu ».

« Car comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. » (Jean, v, 26) (p. 54)

C’est ce que Jésus enseigne toujours : que la vraie vie c’est la connaissance du vrai Dieu et que chacun a cette vie en lui.

Tous ces passages ont un sens indéniable, à savoir que Jésus-Christ se reconnaît le même fils humain de Dieu que tous les autres hommes, et non-seulement ne s’égale pas à Dieu, comme les Juifs l’en ont accusé, mais s’oppose toujours à Dieu. Les paroles « mon Fils bien-aimé » (Matth., iii, 17), même dites du ciel, signifient seulement que le Christ est fils de Dieu comme tous les hommes, mais aimé de Dieu.

« Lisez avec soin les Écritures, parce que vous croyez y trouver la vie éternelle, et ce sont elles qui rendent le témoignage de moi. » (Jean, v, 39) (p. 54).

Les Écritures parlent de lui, du prophète, de ses disciples, mais il n’est pas même fait allusion à sa divinité.

4) Il se présenta bientôt un cas du même genre. Le Sauveur étant venu un jour dans le temple de Jérusalem, les Juifs l’ayant entouré, Lui demandèrent avec instance : « Jusqu’à quand nous tiendrez-vous l’esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-le clairement » (Jean, x, 24) Alors en leur répondant il dit entre autres : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un » (Ibid., 36) (p. 54).

C’est un mensonge voulu. Il n’a pas répondu « entre autres » disant : — « Mon père et moi nous ne sommes qu’un ». Voici ses paroles : Les Juifs s’assemblèrent autour de lui et lui dirent : « Jusqu’à quand nous tiendras-tu l’esprit en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous franchement ». (Jean, x, 24.)

Et non « entre autres » mais comme il est dit chez Jean, il leur répondit : « Je vous l’ai dit et vous ne le croyez pas ; les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi ; mais vous ne croyez point parce que vous n’êtes pas de mes brebis, comme je vous l’ai dit. Mes brebis entendent ma voix et je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle, elles ne périront jamais ; et nul ne les ravira de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tous ; et personne ne les peut ravir de la main de mon Père. Moi et mon Père nous ne sommes qu’un ». (Jean, x, 25-30.)

Il a dit clairement que ses brebis, c’est-à-dire ceux qui lui obéissent, ne lui peuvent être enlevées, parce qu’il les conduit selon la volonté de Dieu ; et, en ce qu’il leur enseigne, s’exprime la volonté de Dieu. C’est ce que signifient les paroles : Moi et mon Père nous ne sommes qu’un. Pour bien indiquer que ces paroles ne signifient rien d’autre, et afin qu’on ne leur donne pas une interprétation fausse, l’évangéliste ajoute aussitôt la compréhension grossière et mensongère des Juifs.

Ce passage qui nie nettement la divinité du Christ est ainsi raconté par l’évangéliste : Cette réponse irrita tellement les Juifs qu’ils « prirent des pierres pour le lapider » et lui dirent : « Ce n’est point pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais c’est à cause de ton blasphème, et parce que, étant homme, tu te fais Dieu. » (Jean, x, 31-33.)

De ce passage la théologie dit :

Et pourtant, même alors, le Sauveur, loin de faire remarquer aux Juifs qu’il ne se reconnaît pas Dieu, comme ils le pensaient, se mit à insister avec plus de force sur cette idée, en se nommant directement Fils de Dieu, inséparable du Père (p. 54-55).

Comment pouvait-il se nommer ainsi pour leur montrer qu’il ne se considérait pas comme Dieu, mais fils de Dieu, ce qu’il enseignait que tous les hommes doivent être ? Voici tout ce passage :

« Alors les Juifs prirent encore des pierres pour le lapider. Jésus leur répondit : J’ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres de la part de mon Père : pour laquelle me lapidez-vous ? » Les Juifs lui répondirent : Ce n’est point pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais c’est à cause de ton blasphème, et parce que, étant homme, tu te fais Dieu. Jésus leur répondit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit : vous êtes des dieux ? Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu était adressée, et si l’Écriture ne peut être rejetée, dites-vous que je blasphème, moi que le Père a sanctifié, et qu’il a envoyé dans le monde, parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu ? Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez point. Mais si je les fais et que vous ne vouliez point me croire, croyez à mes œuvres, afin que vous connaissiez et que vous croyiez que le Père est en moi et que je suis en lui. » (Jean, x, 31-38 )

Comment dire plus clairement qu’il n’est pas Dieu ? Mais tous ceux sont Dieux dans lesquels est la parole de Dieu, et, comme tous les hommes il se nomme fils de Dieu. La théologie voit ici la preuve que Jésus-Christ s’est reconnu égal à Dieu ; et elle poursuit :

5) Un autre cas semblable, mais plus frappant encore, se présenta avant la mort du Sauveur. On s’était saisi de Lui et on L’avait amené lié au tribunal de Caïphe. Ici, après avoir entendu plusieurs faux témoins, contre Jésus, le grand-prêtre se leva et lui demanda publiquement : « Je vous commande par le Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ, le Fils de Dieu. » (Matth., xxvi, 63 ; comp. Marc, xiv, 61). Et Jésus, sans hésiter, lui répondit : « Vous l’avez dit, je le suis ; mais je vous déclare que vous verrez dans la suite le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté de Dieu, venir sur les nuées du ciel. » (Marc, xiv. 62). Alors le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : Il a blasphémé ; qu’avons-nous plus besoin de témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème. Que vous en semble ? Ils répondirent : Il a mérité la mort. » (Matth, xxvi, 65-66). Et ayant conduit Jésus à Pilate, les Juifs lui dirent : « Nous avons une loi, et selon notre loi, Il doit mourir parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » (Jean, xix, 7) Ainsi notre Sauveur ne balança point à confirmer par sa mort le dogme de sa divinité (p. 55).

Devant le tribunal on demande de nouveau au Christ non s’il se reconnaît Dieu (il n’est même pas question de cela) mais Fils de Dieu, et Christ répond : « Je le suis » ; puis il parle de l’importance du Fils de l’homme, « assis à la droite de la majesté de Dieu, sur les nuées du ciel. » On le condamne parce qu’il se nomme « Fils de Dieu », et de tout cela on tire la preuve qu’il est Dieu. Tout le temps les Juifs accusent Christ de blasphème parce qu’il exhorte tous à reconnaître sa filiation divine, et se fait l’égal de Dieu. Christ répond tout le temps que le plus proche de Dieu c’est le Fils de Dieu, non lui, Jésus, mais le Fils de l’homme. C’est ce qu’il répète devant le tribunal, il est condamné pour cela ; et c’est la preuve qu’on nous donne qu’il se reconnaissait Dieu.

Considérant la divinité du Christ prouvée par lui-même, la théologie, plus loin, en voit la confirmation dans ce fait que Christ s’accorde, comme au Fils de l’homme, les attributs de la divinité. Comme preuve l’auteur cite les versets suivants :

« Personne n’est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel, savoir, le Fils de l’homme qui est dans le ciel » (Jean, iii, 13.)

« Car où il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, j’y suis au milieu d’elles. » (Matthieu, xviii, 20.)

« Leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde. Amen ! » (Matthieu, xxviii, 20.)

« Et maintenant glorifie-moi, mon Père ! auprès de toi-même, de la gloire que j’ai eue vers toi, avant que le monde fût fait. » (Jean, xvii, 5.)

« Comme mon Père me connaît, et comme je connais mon Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. » (Jean, x, 15.)

« Toutes choses m’ont été données par mon Père ; et nul ne connaît le Fils que le Père ; et nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le faire connaître. » (Matthieu, xi, 27.)

Ces versets, d’après la théologie, signifient que Christ s’accorde les attributs divins : l’omniprésence, l’aséité, l’éternité, l’omnipotence, l’omniscience. Aucun de ces versets ne parle de l’égalité du Fils de l’homme avec Dieu, et, en aucun cas, ne prouve la divinité du Christ, comme le veut la théologie. Dans cette voie on pourrait avec autant de justesse accorder les attributs divins aux disciples du Christ, auxquels il répétait, de diverses manières, qu’il est en eux et eux en lui, comme son Père est en lui.

Ces citations terminent les preuves de la divinité du Christ, exprimées par lui-même ; viennent ensuite les preuves empruntées aux paroles des Apôtres.

Ce que notre Sauveur Jésus enseigna par rapport à sa personne, ses disciples l’enseignèrent également après Lui par l’inspiration de l’Esprit-Saint. Ainsi :

1o Le saint Évangéliste Matthieu, en dépeignant la conception miraculeuse du Sauveur, rapporte à sa personne la prédiction d’Isaïe : « Une Vierge concevra, et elle enfantera un Fils à qui on donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous » (i, 23 ; Isaïe, vii, 14) (p. 56).

Je cite sans rien omettre. C’est ce que la théologie regarde comme la première preuve des paroles des Apôtres. On lit et on s’étonne. Peut-on voir en ces paroles la preuve que Christ est Dieu ? Emmanuel c’est un nom qui signifie : « Dieu avec nous. » Ce passage est cité par l’évangéliste du prophète pour montrer que Jésus était le Messie. Quel lien y a-t-il entre ces paroles et la divinité de Christ ? C’est absolument incompréhensible.

La seconde preuve :

Le Saint Évangéliste Marc commence son Évangile par ces mots : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » (i, 1) ; puis en racontant le baptême du Sauveur il dit : « Et aussitôt qu’il fut sorti de l’eau, Il vit les cieux s’ouvrir, et l’Esprit, comme une colombe, descendre et demeurer sur Lui ; et une voix se fit entendre du ciel : Vous êtes mon Fils bien-aimé ; c’est en vous que j’ai mis toute mon affection, » (Ibid., 10, 11) (p. 56).

Ces paroles : « Fils de Dieu », « Vous êtes mon Fils bien aimé, c’est en vous que j’ai mis toute mon affection », signifient seulement que le Fils bien-aimé de Dieu ne peut nullement être lui-même Dieu.

La troisième preuve :

Le saint Évangéliste Luc cite la prédiction de l’Ange à Zacharie sur son fils Jean, qui devait naître et servir de précurseur au Messie « Il convertira plusieurs des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu, et il marchera devant Lui dans l’esprit et dans la vertu d’Élie. » (i, 16, 17)(p. 56)

Ces paroles de la prophétie de l’Ange à Zacharie se rapportent à Dieu et non au Christ.

La quatrième preuve :

Saint Jean le théologien commence ainsi son Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était en Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui » (i, 1-3). C’est-à-dire il nomme directement le Verbe Dieu ; il le présente comme existant depuis le commencement de toute éternité, distinct du Père et ayant créé tout ce qui existe. Plus loin il écrit : « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, telle que le Fils unique devait la recevoir du Père ; Il a habité parmi nous plein de grâce et de vérité… car la loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ. » (Ibid., 14-17) C’est-à-dire encore il atteste que ce Verbe est nommément le Fils unique de Dieu le Père, qu’Il s’est fait chair et n’est point autre que Jésus-Christ (p. 56-57).

Non seulement on ne voit point que le Verbe n’est autre que Jésus-Christ qui a créé tout, mais à qui lira tout le chapitre, il sera clair que le Verbe (logos) a la signification générale, métaphysique, indépendante du Christ. En aucune façon on ne peut déduire de ce chapitre que Christ est Dieu. Pour dire cela il ne fallait parler ni de Verbe ni de Lumière, mais de la naissance des hommes. La preuve de la divinité du Christ que tire l’Église de ce chapitre est basée sur l’union arbitraire d’une partie du premier verset « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était en Dieu. Il était au commencement avec Dieu », au quatorzième verset : « Et le Verbe a été fait chair », puis au dix-septième, où il est dit que la grâce fut donnée par Jésus-Christ.

On ne peut isoler la première proposition du premiers verset. Elle est liée à la dernière.

Après cela, on parle de la lumière éclairant chaque homme qui vient dans le monde, de la naissance des hommes, du pouvoir ou de la possibilité pour tous de devenir enfants de Dieu — et non du Christ seul, ni de Dieu, mais de plusieurs nés de Dieu.

Ces différentes pensées non seulement ne confirment pas que le Verbe est Christ, mais indiquent nettement que le Verbe (logos) c’est le commencement de la vraie vie de tous les hommes.

Ensuite on dit que le Verbe s’est fait chair, et d’après les versets suivants il faut supposer qu’on parle de l’apparition de Jésus-Christ. Mais dans le verset 17 on ne dit pas que le Verbe était Jésus-Christ lui-même ; on dit comment ce Verbe se manifestait aux hommes : par la grâce et la vérité. Cela paraît exclure toute possibilité de reconnaître Christ comme Dieu. Aussitôt après nous trouvons : « Nul n’a jamais vu Dieu », de sorte que les paroles : « Nous avons vu sa gloire », ne peuvent se rapporter au Christ-Dieu. Et cependant c’est ce passage qui est considéré comme la meilleure preuve de la divinité du Christ :

Plus loin encore il est dit : « Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui en a donné la connaissance. » (Ibid., 18) C’est-à-dire, enfin, il fait voir que Jésus-Christ est le Fils unique dans le sens propre, comme étant dans le sein même du Père (p. 57).

Si le Fils unique a confessé ce Dieu que nul n’a jamais pu voir il est évident que ce Fils n’est pas Dieu. La théologie en tire la conclusion contraire :

Et, en terminant son Évangile, il fait remarquer que le but de cet Évangile était de prouver la divinité de Jésus-Christ : « Ceux-ci sont écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (xx, 31) (p. 57).

Cela est déjà tout à fait faux. L’observation de Jean n’a pas pour but de prouver la divinité de Jésus-Christ, il ne parle que de la fidélité de Christ envers Dieu.

Le même Apôtre, au commencement de sa première Épitre, nomme Christ Notre Sauveur « La Parole de vie » (i, Jean, i, 1), « la vie éternelle, qui était dans le Père et qui est venue se montrer à nous. » (Ibid., 2) ; et à la fin de la même Épitre, il dit : « Nous savons encore que le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné l’intelligence, afin que nous connaissions le vrai Dieu et que nous soyons en son vrai Fils. C’est Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle » (Ibid., v, 20) nommant ici vrai Fils de Dieu et vrai Dieu, Celui qu’il avait nommé auparavant la vie éternelle (p. 57).

Ce raisonnement dénote déjà la mauvaise foi. Les paroles : « C’est lui qui est le vrai Dieu », évidemment ne peuvent pas se rapporter au Christ, elles se rapportent à Dieu : voilà toutes les preuves des Évangiles.

Enfin dans l’Apocalypse, il cite plusieurs fois les paroles du Sauveur qui lui était apparu : « Je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le principe et la fin » (i, 10, 12, 17, 18 ; ii, 8 ; xxii, 12, 13), et il déclare que Christ est « le Prince des Rois de la terre » (i, 5), « le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs » (xix, 16) (p. 57).

Comme chacun peut le voir, même dans ces passages de l’Apocalypse, livre qui n’a aucun fondement pour expliquer la doctrine du Christ, il n’y a aucune indication sur la divinité du Christ. « Le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs » ce n’est pas Dieu.

Viennent ensuite les preuves empruntées aux Apôtres.

Le Saint Apôtre Jude, en dépeignant les hérétiques, dit : « Il s’est glissé parmi vous certaines gens dont il avait été prédit, il y a longtemps, qu’ils s’attireraient ce jugement ; gens impies, qui changent la grâce de notre Dieu en une licence de dissolution, et qui renoncent Jésus-Christ, notre unique Maître et notre Seigneur ». (4) (p. 58).

Dans les versions les plus anciennes de l’Épître de Jude on lit : « Ceux qui renient l’unique potentat et maître (δεσπότην καὶ κύριον) Jésus-Christ ». Dans les versions plus récentes et dans la nôtre on lit : « Ceux qui renient le seul maître Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Dans la première version, il ne peut même être question de la divinité du Christ. Dans la seconde, la discussion semblerait devoir être encore moins possible, puisqu’ici, Dieu est appelé comme il est appelé toujours : l’unique, et après lui, Jésus-Christ est appelé prophète ou saint. Mais cette absence de preuves est considérée comme preuve. Telles sont aussi les preuves des Épitres de saint Paul.

Dans ses Épitres le saint Apôtre Paul nomme le Sauveur : Dieu « qui s’est fait voir dans la chair » (i, Tim., iii, 16), « le Seigneur de la gloire» (i, Corinth., ii, 8) « le grand Dieu » (Tite, ii, 11-13), « Dieu béni » (Rom., ix, 4-5), le « propre (ἴδιον) Fils » de Dieu (viii, 32, qui, ayant la forme et la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour Lui une usurpation d’être égal à Dieu » (Ph., ii, 6). Il lui approprie les attributs divins : l’éternité (Hebr., viii, 3), l’immutabilité (i, 10, 12), l’omnipotence, (Hebr., i, 3 ; Ph., iii, 21), et dit : « Tout a été créé par Lui dans le ciel et sur la terre, les choses visibles et les invisibles, soit les Trônes, soit les Dominations, soit les Principautés, soit les Puissances ; tout a été créé par Lui et pour Lui. » (Col ; i, 16.) « Il est avant tous et toutes choses subsistent en Lui. » (Ibid., i, 17; comp. Hebr., i, 3) (p. 57, 58).

En trois passages de ces chapitres : (Romains, ix, 4,5 ; Tim., ii, 11, 13 ; Tim., iii, 16), Christ est nommé Dieu. Je prends le texte et je vois que ces trois indications de la divinité du Christ reposent sur une addition de mots aux anciennes versions et sur l’inexactitude de la traduction et de la ponctuation. Le passage de Timothée est lu de façons différentes. Dans les copies les plus anciennes, on ne trouve pas du tout le mot Dieu. À sa place il y a le pronom relatif, tantôt masculin, tantôt neutre. En tout cas ces différents versets se rapportent à Christ et non à Dieu. Le remplacement, dans les versions plus récentes, du pronom par le mot Dieu, ne saurait être une preuve de la divinité du Christ. Suivant le passage de Tite : ii, 11-13. « Et l’apparition de la gloire du grand Dieu, et notre sauveur Jésus-Christ ». Le mot et est pris par le théologien pour deux points, pour l’égalité, et au lieu de comprendre comme on comprend plusieurs passages semblables, qu’on parle ici de la gloire de Dieu et de Jésus-Christ, ces paroles sont données comme preuve de la divinité du Christ.

Enfin le dernier passage : Rom., ix, 15, est lu de telle façon que Christ est appelé Dieu béni, parce qu’on omet la ponctuation qui devrait être après les paroles : « Christ selon la chair. » Ici, il faut un point, après la louange ordinaire à Dieu : « qui est Dieu au-dessus de toutes choses, béni éternellement. Amen ! » Cette faute consciente fournit une preuve de la divinité du Christ. Dans tous les livres sur Christ on parle de lui comme des prophètes et même on ne dit pas : Fils de Dieu : (υἱὸς τοῦ θεοῦ) mais : παῖς τοῦ θεοῦ, ce qui signifie plutôt serviteur de Dieu.

Voilà toutes les preuves.

Évidemment, ce ne sont pas des preuves, mais une réunion de mots pouvant servir à l’affirmation d’une proposition qui n’a de base ni dans les Évangiles ni dans les Épitres. Quiconque a étudié la Sainte Écriture et connaît dans l’original les critiques de l’Écriture et l’Histoire de l’Église sait pertinemment qu’au premier siècle du christianisme, où il n’existait encore que les épitres et les évangiles, il n’était même pas fait allusion au dogme de la divinité du Christ. Le meilleur démenti aux preuves de l’Église sur la divinité du Christ ce sont toutes ces tentatives vaines pour trouver quelque chose ressemblant à une preuve. Tout ce qui pouvait ressembler à une indication, toute phrase pareille, tout rapprochement avec la parole, toute faute, toute possibilité d’une erreur de lecture, tout cela est pris comme preuve. Mais de vraies preuves il n’y en a pas et il n’en peut être parce que l’idée même de la divinité du Christ n’était ni en lui, ni en ses disciples. On voit cela, surtout en lisant en original les Actes des Apôtres, qui renferment leur doctrine.

Plusieurs fois on y mentionne Christ, mais pas une seule fois on ne dit qu’il est Dieu ; encore plus, on ne lui attribue aucune particularité sur les autres saints. Il est nommé : juste, prophète, envoyé de Dieu, et même pas υἱός, comme chez Paul et Jean, mais παῖς, ce qui signifie plutôt garçon, serviteur, que fils, et ne peut nullement être associé à la doctrine artificielle du Christ-Dieu.

Pour avoir la preuve claire, évidente, que jamais le principal propagateur de la doctrine de Christ, Paul, n’eut l’idée de la divinité du Christ, il faut lire ces passages des épitres qui définissent clairement le rapport du Christ envers Dieu :

i Corinth., viii, 6 : « Toutefois nous n’avons qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel procèdent toutes choses, et nous sommes pour lui ; et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par lequel sont toutes choses, et nous sommes par lui. »

Eph., iv, 6 : « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous et en vous tous. »

Eph., i, 17 : « Afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne l’esprit de sagesse et de révélation par sa connaissance. »

i Cor., xi, 3 : « … et que Dieu est le chef du Christ. »

C’est exprimé encore plus simplement et indiscutablement dans :

i Tim., ii, 5 : « Car il y a un seul Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme. »

En effet, paraît un homme qui enseigne à tous les autres le rapport qui doit exister entre l’homme et Dieu, rapport qui est le sien, et le compare au rapport du fils envers son père. Afin qu’il ne soit aucun malentendu, il se nomme lui-même — et les hommes en général — le Fils de l’homme. Il dit que le fils de l’homme est le fils de Dieu. En expliquant le rapport de l’homme envers Dieu, il dit que de même que le fils doit imiter son père, avoir avec lui le même but, la même volonté, (la parabole du pasteur), de même l’homme doit aspirer à être semblable à Dieu, doit faire ce que fait Dieu ; et il dit de lui-même qu’il est le fils de Dieu. Quelles autres choses Christ pourrait-il dire en effet, s’il enseignait aux hommes qu’ils sont fils de Dieu ? Il ne peut dire qu’il est le fils de Dieu, puisqu’il enseigne la même chose à tous les hommes. On ne peut dire aussi, ce que ni lui ni les Juifs n’ont jamais pensé, qu’il est Dieu, et la deuxième personne de la trinité. C’est pourquoi ils ne nient point sa filialité avec Dieu, mais ils lui attribuent une signification particulière. On lui dit : « Si tu es un homme comme tous les autres, si tu manges et bois avec les gentils, tu n’as rien à nous apprendre ; mais si tu es le fils de Dieu, le Messie, montre-nous ton pouvoir et des miracles, ou marche au supplice. » Christ niait l’un et l’autre. Il disait « Je ne suis pas comme tous, j’accomplis la volonté de mon Père, Dieu, et je l’enseigne aux hommes. Mais je ne suis pas particulièrement le fils de Dieu, je ne suis le fils de Dieu que parce que j’accomplis sa volonté. Et c’est ce que j’enseigne à tous les hommes ». Voilà contre quoi il lutta toute sa vie, et c’est précisément cela qu’on lui impose et on veut prouver qu’il affirmait ce qu’il niait, alors qu’une pareille affirmation détruirait tout le sens de sa doctrine.

Selon la doctrine de l’Église, Dieu n’est descendu sur la terre que pour sauver les hommes. Leur salut est de croire qu’il est Dieu. Alors, pourquoi n’a-t-il pas dit nettement : je suis Dieu ; sinon nettement, du moins sans métaphores, de façon qu’on ne puisse, sans aucun désir mauvais, le comprendre autrement. Et même en admettant la métaphore, au moins qu’on puisse s’expliquer ses paroles dans le sens de sa divinité ; et sinon exactement mais du moins que ses paroles ne contredisent pas sa divinité. Tandis qu’il s’exprime de telle façon qu’on est forcé de comprendre qu’il a affirmé à plusieurs qu’il n’est pas Dieu. Si encore il avait révélé à ses disciples les plus proches ce mystère qu’il a transmis aux hommes. Mais non, tous ses disciples enseignent qu’il est juste intermédiaire entre les hommes et Dieu, et non Dieu.

Mais voilà qu’il s’ensuit que pour notre salut, qui vient de lui, il faut comprendre toutes ces paroles non dans le sens que lui et ses disciples leur donnaient. Il ne faut pas se fier à son bon sens, mais il faut croire l’Église qui, en se basant sur les interprétations de quelques versets, affirme le contraire de ce que disaient Christ et ses disciples.

Je me suis arrêté sur ce passage non pour prouver que Christ n’est pas Dieu ; prouver cela est inutile : pour celui qui croit en Dieu, Christ ne peut être Dieu. Dans l’exposition du dogme de la trinité et tout l’embrouillement inévitable qui s’en suit, cela est trop évident. Je me suis arrêté sur ce passage, parce qu’il est la source des insanités précédentes. Je comprends qu’après la mort du Christ, ses disciples, profondément pénétrés de sa doctrine, en parlant de lui, de cet homme qui enseignait que tous sont fils de Dieu et doivent se confondre dans la vie avec Dieu, et qui dans sa propre vie, jusqu’à sa mort, lui-même se soumit à la volonté de Dieu et se confondit avec lui, je comprends que les disciples l’aient appelé divin, fils de Dieu, bien-aimé, à cause de l’élévation de sa doctrine qu’il réalisait dans sa vie. Je comprends que les hommes grossiers, en écoutant la doctrine des Apôtres, n’aient pu en comprendre que les mots, et que sur ces mots, grossièrement compris, ils aient basé leur doctrine, et, avec l’obstination propre à la grossièreté, aient défendu leur compréhension et nié toute autre, précisément parce qu’ils ne pouvaient le comprendre ; et qu’ensuite ces gens grossiers, aux premier et deuxième conciles, aient soutenu cette erreur redoutable.

De même pour le dogme du péché originel, je puis admettre la compréhension des hommes qui ne peuvent voir dans l’histoire de la chute que le fait qu’Adam n’a pas obéi à Dieu qui lui avait interdit de manger le fruit défendu. (Cette compréhension n’est pas fausse, elle n’est que grossière). De même je puis admettre l’interprétation des hommes qui disent que Jésus était Dieu et, par ses souffrances et sa mort, a sauvé les hommes. Cette conception n’est pas fausse, elle n’est que grossière et incomplète. L’interprétation d’après laquelle l’homme est tombé parce qu’il a désobéi à Dieu est juste en cela qu’elle exprime la pensée que la sujétion, la faiblesse, la mort de l’homme, sont les conséquences de ses passions charnelles. Il est également juste que Christ était Dieu, dans ce sens, comme l’a dit Jean, qu’il nous a montré Dieu.

Mais dès que les hommes commencent à affirmer que c’est là la seule vérité ; qu’il y a tant d’années en tel endroit, a vécu Adam créé par Dieu ; que Dieu lui planta un jardin etc., etc., et qu’en cela réside toute l’importance de la doctrine ; ou que Jésus est la deuxième personne de Dieu, qui s’est incarnée dans la Vierge Marie, par l’opération du Saint-Esprit ; quand ils affirment que la forme même sous laquelle ils expriment cette pensée est la seule vraie, alors je ne puis plus admettre ce qu’ils disent. Leur affirmation précise le sens même de la pensée qu’ils expriment et détruit la possibilité de toute union avec la religion, et les dénonce évidemment, en ce que leur obstination indique chez eux la grossièreté et l’incompréhension. Or c’est ce qu’a toujours fait l’Église au nom de sa sainteté et de son infaillibilité.

§ 134. — Le Seigneur Jésus a la nature humaine, et Il est proprement le Fils de la Vierge Marie. — Ensuite le § 135 prouve que Christ est né comme homme de la Vierge Marie, et que Marie, en le mettant au monde, est restée vierge. On cite les preuves de ce qu’on ne peut comprendre, et les explications des Pères de l’Église :

Et non seulement ils enseignaient ainsi, mais encore ils cherchèrent souvent à mettre en évidence la possibilité et la convenance parfaite de ce mode miraculeux de naissance du Messie. Ils alléguèrent en preuve ou explication de la possibilité l’omnipotence de Dieu et quelques autres miracles du même genre, par exemple : le buisson qui brûlait sans se consumer, et le fait que le Sauveur, après sa résurrection, peut entrer chez ses disciples par une porte fermée (p. 78).

§ 136 Le Seigneur Jésus est un homme saint.

i. — La parole divine enseigne d’abord que le Seigneur est exempt du péché originel (p. 84).

ii. — La parole de Dieu enseigne que le Seigneur Jésus est parfaitement pur de tout péché personnel (p. 86.)

iii. Suivant cette doctrine si positive et si claire de la parole de Dieu, la sainte Église a cru invariablement que le Seigneur Jésus, qui nous est consubstantiel selon l’humanité, nous est semblable en tout, hormis le péché… (p.  87.)

Et même par cette sainteté de Notre Seigneur Jésus, la sainte Eglise entendait autrefois non seulement une exemption complète de tout péché, soit originel, soit personnel et volontaire, mais aussi l’impeccabilité, l’exemption de tout désir sensuel ou de toute faillibilité, l’exemption de toute tentation intérieure. Aussi lorsque Théodore de Mopsueste eut osé soutenir, entre autres, que le Seigneur Jésus n’avait point été exempt des tentations intérieures et de la lutte des passions, le cinquième œcuménique (en 553) condamna sa fausse doctrine comme l’une des plus importantes, (p. 87, 88.)

ii. — De l’unité d’hypostase en Jésus-Christ.

Dans le § 137 : Réalité de l’union des deux natures en Christ dans une seule hypostase, on raconte la chose suivante :

Quand nous professons en Notre Seigneur Jésus-Christ deux natures, la nature divine et la nature humaine, nous professons en même temps qu’il n’y a en Lui qu’une seule personne, que ces deux natures sont réunies en Lui dans la seule hypostase de Dieu le Verbe ; car « nous croyons que le Fils de Dieu… a pris sur Lui dans sa propre hypostase une chair d’homme, conçue du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, et s’est fait homme » ; que, par conséquent, son humanité n’a pas en Lui une personnalité particulière, ne forme point une hypostase à part, mais qu’elle a été prise par sa divinité dans l’unité de son hypostase divine ; ou pour nous servir des paroles de Saint Jean Damascène : « L’hypostase de Dieu le Verbe s’est incarnée, en prenant de la Vierge l’embryon de sa nature, — la chair animée par une âme pensante et raisonnable ; de sorte qu’elle est devenue elle-même hypostase de la chair… La seule et même hypostase du Verbe, étant devenue l’hypostase des deux natures, ne permet à aucune d’elles d’être sans hypostase, elle ne leur permet pas non plus d’être des hypostases différentes l’une de l’autre ; et elle n’est jamais hypostase, tantôt de l’une des natures, tantôt de l’autre, mais elle demeure toujours l’hypostase des deux natures inséparablement et indivisiblement… La chair de Dieu le Verbe ne reçut point une hypostase indépendante et ne devint point une hypostase différente de celle de Dieu le Verbe ; mais ayant reçu l’hypostase en elle, elle fut plutôt reçue dans l’hypostase de Dieu le Verbe que constituée en hypostase indépendante. » (p. 88, 89).

Ce récit n’est déjà plus que le délire d’un fou : la divinité en une personne divisée en deux ; et ces deux, redevenant une.

C’est là une vérité solidement fondée sur la sainte Écriture, où nous voyons : 1o qu’en Jésus-Christ, avec deux natures, la nature divine et la nature humaine, il n’y a qu’une seule hypostase, une seule personne ; et 2o que cette hypostase est nommément l’hypostase du Verbe ou du Fils de Dieu, laquelle ayant pris et réuni en elle la nature humaine avec la nature divine, reste indivisiblement l’unique hypostase de l’une et de l’autre nature (p. 89).

Tout cela est confirmé par la Sainte Écriture, par les Pères de l’Église, et par les décrets des conciles. À la fin, on fait appel au bon sens :

La saine raison elle-même, fondée sur les principes de la théologie, ne peut s’empêcher de reconnaître que l’hérésie de Nestorius, qui divisait Jésus-Christ en deux personnes, renverse complètement le mystère de l’incarnation et de la Rédemption. Si la divinité et l’humanité en Christ n’étaient pas réunies en une seule hypostase, mais formaient deux personnes séparées ; si le Fils de Dieu n’était uni avec le Christ homme que moralement et non physiquement, et habitait en Lui comme dans Moïse et les autres prophètes, l’Incarnation n’a point eu lieu, et l’on n’en saurait dire : « Le Verbe fut chair, » ni, « Dieu a envoyé son Fils formé d’une femme. » Car alors le Fils de Dieu n’a point été formé d’une femme. Il n’a point pris la chair humaine ; mais ce n’est qu’extérieurement qu’il s’est rapproché de l’homme Christ, né d’une femme. D’un autre côté si ce n’est pas le Fils de Dieu qui pour nous a souffert et est mort sur la croix, en sa chair, prise par Lui dans l’unité de son hypostase, mais simplement l’homme Christ, n’ayant rien de plus qu’une union morale avec le Fils de Dieu, notre rédemption n’a pas même pu s’accomplir, — parce qu’un homme borné, quelle que soit d’ailleurs sa sainteté, est incapable de donner une satisfaction suffisante à la justice infinie de Dieu pour les péchés de tout le genre humain. Or, en sapant ainsi le mystère de l’Incarnation et le mystère de la Rédemption, l’hérésie de Nestorius sapait par là même tout l’édifice de la foi chrétienne (p. 96).

Ainsi, c’est précisément sur ce que l’on ne peut ni comprendre, ni même exprimer, ce qu’on ne peut formuler qu’en l’apprenant par cœur et répétant les mots, qu’est basé tout l’édifice de la foi chrétienne. À propos de l’explication de ce dogme, on songe involontairement que, plus le dogme est vilain et insensé, — comme celui de la rédemption, de la grâce — plus l’Église lui accorde d’importance, et plus il est discuté.

Les discussions sont-elles nombreuses parce que le dogme est vilain, ou est-il insensé parce qu’il est né de la discussion et de la colère ? Je crois que c’est l’un et l’autre. Le dogme insensé, par son essence entraîne la discussion, et la discussion déforme encore plus le dogme. Il est à remarquer que, plus l’Église attache d’importance à un dogme, plus il entraîne de discussions, de supplices ; et moins il a de sens et de possibilité d’une application morale quelconque. Les dogmes de l’origine de l’âme, de la nature du Christ, du mystère de la communion, plus ils étaient éloignés d’une application morale quelconque, plus ils bouleversaient l’Église.

§ 138. Mode de l’union hypostatique des deux natures en Christ.

Comment les deux natures en Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine, se sont-elles unies en une seule hypostase, nonobstant toute la différence qui existe entre elles ? Comment Christ étant Dieu parfait et homme parfait, n’est-il néanmoins qu’une seule personne ? « C’est, » selon la parole de Dieu, « quelque chose de grand que ce mystère de piété ». (i. Tim., iii, 16), et par conséquent d’incompréhensible par notre raison.

Mais, autant que ce mystère est accessible à notre foi, la sainte Église, en s’appuyant sur la même parole de Dieu, nous enseigne qu’en notre Sauveur les deux natures étaient unies : 1o d’un côté — « sans confusion (ἀσυγχύτως) et invariablement, ou sans changement » (ἀτρέπτως), contre la fausse doctrine des monophysites, qui confondaient en Christ les deux natures en une seule ou admettaient en Lui le changement de la Divinité en chair ; et 2o d’un autre côté, « indivisiblement » (ἀδιαιρέτως) et, « inséparablement » (ἀχωρίστως), contre l’erreur des Nestoriens, qui divisaient en Christ les deux natures, et d’autres hérétiques, qui niaient que ces natures fussent unies constamment et sans interruption. (Dogme du concile de Chalcédoine) (p. 97).

C’est encore prouvé en dehors de la Sainte Écriture :

Enfin, même des réflexions de la saine raison. Suivant ses principes naturels elle ne saurait admettre que la nature divine et la nature humaine aient été confondues ou mêlées en Christ, et qu’ayant perdu leurs qualités elles aient formé une nouvelle, une troisième nature ; car la Divinité ne peut changer, et la fusion ou le mélange de deux êtres tout à fait simples, de l’âme humaine et de la Divinité est impossible ; à plus forte raison, le mélange ou la fusion d’une chair grossière avec la divinité, le plus simple de tous les êtres, est physiquement impossible. La raison ne peut pas non plus admettre que la nature divine ait été changée en nature humaine ou la nature humaine en nature divine, le premier étant en opposition avec l’immutabilité et l’immensité de Dieu, et le second avec la petitesse de l’homme. Mais en se fondant sur les principes de la théologie chrétienne ou révélée, la raison doit dire que ce n’est qu’avec la réunion sans confusion ni changement des deux natures en Christ, qu’avec leur parfaite intégrité, qu’a pu s’accomplir la grande œuvre de notre rédemption ; car le Sauveur ne pouvait souffrir pour nous sur la croix que par sa nature humaine, comme Il ne pouvait donner autrement que par sa Divinité un prix infini à ses souffrances. Ce serait, par conséquent, renverser le mystère de notre rédemption que de reconnaître en Christ la fusion ou le changement des deux natures en une seule (p. 100, 101).

De plus

Les deux natures étaient unies en Christ indivisiblement et inséparablement : Indivisiblement, en ce sens que, quoiqu’elles résidassent en Lui dans leur parfaite intégrité et avec leurs différences, avec toutes leurs qualités particulières, elles n’existaient point séparément, ne formaient pas deux personnes particulières, n’ayant entre elles qu’une union morale, comme l’enseignait Nestorius, mais étaient réunies dans la seule et même hypostase de l’Homme-Dieu : vérité que nous avons déjà développée. Inséparablement, en ce sens que s’étant unies dans la seule et même hypostase du Sauveur au moment de sa conception dans le sein de la Vierge, ces deux natures ne se sont plus séparées et ne se sépareront jamais ; leur union est perpétuelle (p. 101, 102).

De sorte que :

« Si quelqu’un dit », lisons-nous, dans saint Grégoire le Théologien « qu’à présent Il (le Sauveur) a quitté sa chair, et qu’en lui la Divinité demeure dépouillée du corps, mais ne confesse pas qu’il demeure aujourd’hui encore et reviendra avec l’humanité qu’il a prise, qu’un tel homme ne voie jamais la gloire de sa venue ! Car où est présentement le corps, sinon avec Celui qui le prit ? Il n’est point dans le soleil, comme le disent avec tant de légèreté les Manichéens, pour y être glorifié sans gloire ; il ne s’est pas répandu ni déployé dans l’air, comme la vibration de la voix, l’émanation du parfum, le sillonnement de l’éclair qui ne s’arrête pas. Autrement comment expliquer qu’on Le toucha après la résurrection » (Jean, xx, 27) « et qu’il se montra un jour à ceux qui l’avaient percé ? »(xix, 37) (p. 104. 105).

§ 139. Conséquences de l’union hypostatique des deux natures en Christ. — 1o par rapport à Christ même.

De l’union hypostatique de deux natures en Jésus-Christ découlent des conséquences : 1o par rapport à Jésus-Christ même, 2o par rapport à la sainte Vierge sa Mère, 3o par rapport à la Sainte-Trinité.

Les conséquences de la première catégorie sont :

a) La communication ou communion en Christ des attributs de ses deux natures. Elle consiste en ce que, dans la personne de Christ, chacune des natures transmet ses attributs à l’autre, et nommément en ce que ce qui Lui est propre selon l’humanité Lui est attribué à Lui-même comme Dieu, et ce qui Lui est propre selon la Divinité attribué également à lui-même comme homme (p. 105).

b) La déification de la nature humaine en Christ. Il faut entendre par là, non que l’humanité en Christ ait été changée en Divinité, qu’elle ait cessé d’être limitée et quelle ait reçu les attributs divins en échange des attributs humains, mais que, prise par le Fils de Dieu dans l’unité de son hypostase, elle a participé à sa Divinité, s’est unie avec Dieu le Verbe, et, par cette participation à la Divinité, s’est élevée dans ses perfections au plus haut point possible à l’humanité, sans cesser néanmoins d’être humanité (p. 108).

c) À Jésus-Christ, comme seule et même personne, comme Homme-Dieu, « une seule et inséparable adoration divine » et, selon la divinité et selon l’humanité… (p. 112).

d) En Jésus-Christ il y a deux volontés et deux actions… (p. 114).

Suivent de longues discussions sur les deux volontés et les deux actions, les démentis et les preuves des Écritures et du bon sens. En général, l’insanité, dans ce chapitre, arrive à un degré tel qu’il devient pénible de le lire, si on lit avec le désir de comprendre la pensée de l’auteur.

Ensuite, selon la subdivision établie au commencement du chapitre où l’on dit que les conséquences de l’union hypostatique en Jésus-Christ sont doubles envers : a) lui-même ; b) la Vierge Marie ; c) la Trinité, suit :

§ 140. 2o Par rapport à la sainte Vierge, mère du Seigneur Jésus. — L’auteur analyse les conséquences de l’union hypostatique envers la Vierge Marie. Il expose la polémique entre Macédoniens et Nestoriens. La subdivision sur les conséquences par rapport à Jésus-Christ et la Vierge Marie est faite pour discuter Nestorius qui a appelé la Vierge Marie : Mère du Christ.

§ 141. Par rapport à la Sainte Trinité. — Il est prouvé que malgré l’incarnation, la Trinité est restée la Trinité. Il faut comprendre ainsi :

« Je n’ajoute pas de quatrième Personne dans la Trinité, à Dieu ne plaise ! mais je confesse comme une seule Personne Dieu le Verbe et sa chair. La Trinité resta Trinité même après l’incarnation du Verbe… La chair de Dieu le Verbe ne reçut pas d’hypostase indépendante et ne devint point une hypostase différente de l’hypostase de Dieu le Verbe ; mais, ayant reçu en elle l’hypostase, elle fut prise dans l’hypostase de Dieu le Verbe plutôt qu’elle ne devint une hypostase indépendante. Ainsi elle ne demeure point sans hypostase et n’introduit pas dans la Trinité une autre hypostase (p. 130).

§ 142. Application morale du dogme sur le mystère de l’Incarnation. — Voici la leçon qui se dégage du dogme : 1o toutes ces discussions sacrilèges, selon l’auteur, « raffermissent en nous la foi » ; 2o la foi raffermit en nous l’espérance ; 3o allume en nous l’amour de Dieu ; 4o nous apprend à glorifier non seulement Dieu, mais à « glorifier de toutes les forces de notre nature, notre toute sainte, toute pure, toute bénie et toute glorieuse souveraine Mère de Dieu et toujours Vierge Marie » ; 5o À respecter en nous la nature humaine, parce que Christ était Dieu et homme ; 6o « Il nous présente enfin dans le Fils de Dieu incarné, le plus parfait modèle à imiter, suivant ses propres paroles : « Je vous ai donné l’exemple, afin que, ce que je vous ai fait, vous le fassiez aussi, vous autres. » (Jean, xiii, 15) ».