Croquis honnêtes/32

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Gangloff (p. 109-113).

Famille ancienne, Famille moderne.

Voici un charmant spectacle et qui repose l’âme : toute une famille groupée autour du père et l’enveloppant de son amour comme d’une atmosphère lumineuse et chaude, comme d’une auréole. Moi qui vous parle, j’ai connu cette joie, et j’avais l’autre jour à ma table quinze convives la mère, les sept enfants, les deux gendres et les quatre petits-enfants. Le plus vieux de ces convives (c’était moi) avait soixante ans, et le plus petit six mois. Oh ! la belle couronne !

Il est certain que rien encore n’a pu détruire en notre chère France l’amour de la famille, ni les doctrines éhontées de quelques sectaires, ni l’abaissement de la foi, ni le fol amour du bien-être, ni le théâtre, ni le roman. Malgré tant d’éléments délétères, il y a encore chez nous des milliers de familles où l’on s’aime.

La famille moderne, s’il faut tout dire, a même quelque chose de plus gracieux a l’œil, de plus élégant, de plus riant que la famille antique.

Mais c’est ici surtout qu’il faut aller au fond des choses, et ne se point contenter d’un premier regard.

Nos pères étaient certainement plus sévères, et, pour lâcher le grand mot, gâtaient moins leurs enfants.

D’abord ils en avaient davantage, et n’avaient pas le temps de se perdre en ces câlineries qui sont parfois efféminantes.

Puis, ils avaient une foi plus vive en l’autre vie et préféraient voir mourir leurs enfants, très aimés cependant, plutôt que de les voir « tourner à gauche ». C’est de ce dernier mot qu’ils se servent le plus volontiers dans tous les « Livres de raisons » qui sont parvenus jusqu’à nous.

Ces admirables parents ne sacrifiaient jamais l’âme à la santé, et la peur d’un rhume ne les induisait pas en ces concessions sans nombre, en ces dangereuses capitulations et gâteries qui sont le caractère de l’éducation moderne.

Ils aimaient leurs enfants virilement, austèrement, chrétiennement.

Chose qui stupéfierait les mères et même les pères modernes, on ne laissait pas, en ce temps-là, les enfants parler à table, et on les faisait déloger au dessert. Croyez bien qu’ils n’en digéraient que mieux.

Surtout on les dressait à l’obéissance, et je dois avouer en rougissant qu’on n’était pas sans leur donner le fouet de temps en temps. Je vois d’ici l’indignation de « Monsieur, Madame et Bébé », et celle aussi de ces beaux Messieurs qui écrivent de gros livres pour montrer qu’il faut toujours « prendre l’enfant par le sentiment » et transformer l’éducation en une fête. Théoriciens, va !

Les enfants avaient, je le confesse, quelque peur de leurs parents ; mais ce serait mentir à l’histoire que de s’imaginer qu’ils les aimaient moins.

J’ai vu des hommes de soixante ans qui tremblaient encore devant un reproche de leurs mères, mais qui avaient pour ces terribles mamans un amour d’une tendresse et d’une profondeur que le nôtre ne surpasse pas.

Cette rude éducation faisait des hommes.

En pourrions-nous dire autant de la nôtre ?