Croquis honnêtes/50

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Gangloff (p. 161-163).

Les nouveaux Chevaliers.

C’est une singulière erreur, et fort répandue, que de s’imaginer que la Chevalerie soit morte et qu’il n’y ait plus aujourd’hui de chevaliers.

Dans les petits Manuels d’histoire qui sont destinés à former l’esprit et le cœur des générations nouvelles, on ne craint pas en effet d’affirmer que la Chevalerie, née vers le neuvième siècle, est morte au seizième. Un peu plus, on fixerait l’année de son décès, et l’on rédigerait des lettres de faire part datées du jour exact où cette pauvre Chevalerie a succombé sous les coups de l’auteur de Don Quichotte.

Ce De profundis est anticipé, et, vive Dieu, la Chevalerie vit encore. J’imagine même qu’elle vivra toujours, et que, quand sonnera le suprême clairon, il y aura encore quelques chevaliers qui diront : « Présent ».

C’est qu’en effet la Chevalerie, qu’il faut se garder de confondre avec la Féodalité, est un idéal plutôt qu’une institution. Le Chevalier, qu’on le sache bien, n’est autre chose que le Soldat chrétien.

Le cardinal Lavigerie, cœur chaud et esprit qui voit loin, l’a très intelligemment compris, et ces jeunes gens qu’il envoie là-bas, tout là-bas, ces missionnaires en armes qu’il destine à combattre le monstre-esclavage, à affranchir les corps et à sauver les âmes de tant de créatures de Dieu ; ces soldats qui sont certainement appelés à être des martyrs et dont le Martyrologe est déjà ouvert,

Ce sont, n’en doutez pas, ce sont des chevaliers.

Et maintenant, Éminence, laissez dire. Laissez les objections s’accumuler contre votre œuvre sublime ; laissez grouiller et croasser tous les bas ennemis d’une aussi haute entreprise.

Vous êtes de ceux qui font honneur à la race humaine ; vous êtes de ceux dont elle gardera le souvenir.

Et sur votre tombe, un jour (qui n’est point proche), on écrira peut-être ces deux vers que vous me permettrez, n’est-ce pas, d’improviser en votre honneur :

Ci-gît un grand évêque et digne d’un autre âge :
Il fit des chevaliers et vainquit l’esclavage.