Croquis honnêtes/56

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Gangloff (p. 182-186).

La Résurrection.

Il est minuit. Un bruit terrible se fait entendre, et une immense lumière éclate. Cette lumière sort d’une grotte qui est un tombeau, et de ce tombeau s’élance un homme qui brille lui-même comme cent soleils. Il est beau autant que lumineux ; il est le type splendide du genre humain. À travers les soldats endormis il marche, il vole, il triomphe. Jamais la vie ne s’est manifestée avec autant d’éclat ni sur notre terre, ni dans les autres mondes. Que ce triomphateur, que ce Jésus, que ce Dieu aille d’abord au-devant de sa mère, c’est ce qui n’étonnera personne ; mais qu’il ait réservé sa deuxième visite à cette Madeleine qui personnifie si bien l’humanité pécheresse et repentante, c’est ce que nous admirons encore plus vivement. La mort est vaincue, l’hiver de Testament a pris fin, et voici, voici venir le printemps éternel. C’est un Dieu qui ressuscite.

Nous sommes dans une vieille église « au cintre surbaissé ». C’est la fin du jour. Odeur d’encens ; derniers murmures de l’orgue petite lampe de sanctuaire qui paille seule au-dessus de l’autel. Derrière un pilier se cache un être humain. Jeune encore, l’homme est pâle et se soutient à peine. Il jette souvent un regard vers le ciel ; il se parle à lui-même ; il converse avec Dieu. « J’ai péché, j’ai péché. Morte est ma vertu, morte mon âme. Ce qui était pur en moi, je l’ai corrompu ; ce qui était haut, je l’ai abaissé ; ce qui était grand, je l’ai amoindri. Le vice me ronge, le vice me tue. Que ferai-je ? » Et il pleure. Mais soudain il se jette à genoux, frappe sa poitrine, et s’écrie : « Ibo ad patrem. Je retournerai à mon père. » C’en est fait le feu remonte à ses yeux, et la force bouillonne en son cœur. Demain, demain, il s’approchera de cet redeviendra un avec Dieu. C’est un Dieu qui ressuscite.

C’est en 18.., dans notre France. Tout est par terre. Il n’y a même plus de partis. On n’est même plus fanatique et l’on s’amuse de tout. Un scepticisme universel, avec cet étrange sourire qui veut dire Tout est fini, et rien ne recommence. » On ne se fait plus casser la tête pour quoi que ce soit. « Si nous pouvions seulement, dit-on de toutes parts, si nous pouvions avoir un bon « petit bien-être ! » Le reste, hélas ! ne compte pas. On n’admire plus rien, et l’on ne déteste plus rien. « Bah ! nous avons encore de bons comédiens, et l’Europe nous envie nos coiffeurs. » Et l’on essaie de rire, mais on ne peut pas. Rien, rien, rien… Tout à coup, un Saint a paru. Il se lève au milieu de ce peuple qui gît dans l’ombre de la mort ; il va vers lui et lui dit « Debout. » Il raconte à ces désespérés une belle histoire qui est tirée d’un livre appelé « Évangile » ; il leur fait le récit des miracles de Jésus, et les renouvelle devant eux. À mesure qu’il leur lit le Sermon sur la montagne, ils se redressent, écoutent, sont ravis, exultent : « Voilà, voilà la Vérité. » Bref, ils « comprennent », et, sans plus attendre, déclarent la guerre aux sept Vices capitaux, et se mettent à pratiquer les sept Œuvres de Miséricorde qu’ils transportent soudain dans le domaine économique et social. Le sens du sacrifice leur est rendu, et ils en viennent à détester leur petit bien-être pour se dévouer passionnément à tous ceux qui n’ont même pas le nécessaire. Ils montent aux mansardes, et fondent parmi nous vingt œuvres admirables pour donner du travail à tous les inactifs. Ils demandent aux prêtres de leur écrire une « Théologie sociale » et veulent sur-le-champ la mettre en action. Ils aiment le rai, le Beau et le Bien. Ils s’élancent vers le ciel promis, ils espèrent, ils croient. C’est un peuple qui ressuscite.