De la dignité et de l’accroissement des sciences (trad. La Salle)/Livre 2/Chapitre 12

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De la dignité et de l’accroissement des sciences
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres de François Bacon, chancelier d’AngleterreImprimerie L. N. Frantin ; Ant. Aug. Renouard, libraireTome premier (p. 332-334).
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CHAPITRE XII.

Des appendices de l’histoire, lesquels envisagent les paroles des hommes, comme l’histoire elle-même considère leurs actions. Leur division en épîtres et en apophthegmes.

Or, ce n’est pas seulement la mémoire des actions des hommes qui doit être conservée, c’est encore celle de leurs paroles. Nul doute qu’on ne donne quelquefois à ces paroles une place dans les histoires, en tant qu’elles peuvent servir à éclaircir les narrations des actions et leur donner plus de poids. Mais ces paroles des hommes, ces dits humains, ce sont les livres de harangues, d’épîtres et d’apophthegmes, qui en sont les vrais dépôts. Or, on ne peut disconvenir que les harangues des personnages d’une prudence consommée, sur les affaires et les causes importantes et difficiles, ne servent tant à augmenter ses connoissances, qu’à nourrir son éloquence. Mais, s’agit-il d’acquérir une certaine prudence dans les affaires, on tirera de plus grands services des lettres écrites par des hommes de marque sur des sujets sérieux. Car, parmi les paroles humaines, il n’est rien de plus sain et de plus instructif que les lettres de ce genre ; elles ont plus de naturel que les discours publics, et plus de maturité que les entretiens subits. Que s’il s’agit d’une correspondance suivie selon l’ordre des temps ; condition qui se trouve dans les lettres des lieutenans généraux, gouverneurs de provinces, et autres hommes d’état, aux rois, aux sénats ou autres supérieurs ; et réciproquement des supérieurs aux subalternes ; c’est, sans contredit, pour l’histoire un mobilier des plus précieux. Et l’utilité des apophthegmes ne se réduit pas au seul plaisir et à la simple utilité qu’ils peuvent procurer pour le moment ; ils sont aussi susceptibles d’une infinité d’application à la vie active et aux usages de la société. Ce sont, pour me servir de l’expression d’un écrivain, comme autant de haches et de stylets, qui, à l’aide d’une sorte de pointe et de taillant, percent tout et tranchent les nœuds des affaires. Les occasions font le cercle, et ce qui un temps fut commode, peut encore être employé et redevenir utile, soit qu’on le donne comme sien, ou qu’on l’attribue aux anciens. Comment pourroit-on douter qu’un genre d’ouvrages, que César a honoré de son propre travail, puisse être utile dans la vie active ? Et ce livre, plût à dieu qu’il existât ! car ce que jusqu’ici on nous a donné en ce genre, nous paroît rassemblé avec bien peu de choix[1]. En voilà assez sur l’histoire et sur cette partie de la science qui répond à l’une des loges, ou des cases de l’entendement.

  1. Il paroît qu’il n’en excepte pas même la collection d’Érasme ; et nous, qui l’avons actuellement entre les mains, nous sommes de son avis.