De la fréquentation scolaire/02

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De la fréquentation scolaire
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 517-525).

DE LA FRÉQUENTATION SCOLAIRE[1].
(Suite.)

Il ne sert à rien de dire sans cesse, de répéter tous les jours que l’instruction primaire devrait être donnée gratuitement à tous et qu’elle devrait être légalement obligatoire. On peut se demander si les pouvoirs publics pourraient arriver tout d’un coup à réaliser ce programme.

Il est à craindre, en attendant, que nous n’imitions un peu les personnes qui, au lieu de surveiller attentivement leurs affaires, de les améliorer chaque jour dans la mesure de leurs forces, disent : « Quand j’aurai telle position, je ferai ceci ; si les circonstances deviennent favorables, je ferai cela, je réaliserai des économies, etc., etc., » et qui, en définitive, restent dans un état précaire ou misérable.

L’instruction sera gratuite. Fort bien. Le père de famille n’aura plus à payer huit, dix ou douze francs par an. Cela ne changera pas beaucoup la situation de ceux qu’on appelle les pauvres : car il est peu d’enfants de cette catégorie qui ne soient exemptés de la rétribution scolaire.

Remarquons, en outre, que cette gratuité ne semble devoir être en réalité, quant à présent, qu’une demi-gratuité. Pour que l’école soit absolument gratuite, en effet, il faut que l’élève y trouve, sans frais pour sa famille, non-seulement l’enseignement, mais aussi les objets et instruments nécessaires pour ses études.

Ce que l’on obtient le plus difficilement des familles — qui ne le sait dans le monde des instituteurs et des institutrices ? — c’est moins le prix de la rétribution mensuelle que celui des livres et autres objets classiques. Le livre fait surtout défaut.

Quand, à la fin de l’année, on compte ce qu’il a fallu débourser pour un écolier de sept à dix ans, on s’aperçoit que le montant de la rétribution n’atteint pas la moitié des frais. Ces frais, est-1l besoin de le dire, augmentent chaque année. La suppression de la rétribution scolaire imposerait donc à l’État de très-grands sacrifices.

L’instruction, rendue légalement obligatoire, comporte des dépenses bien autrement considérables. Je l’ai déjà dit, on ne comprend guère l’obligation sans la gratuité ; et, dans ce cas, la gratuité doit être entière, absolue : elle doit s’étendre à tout, jusqu’au prix d’une feuille de papier.

Quoi qu’il arrive, on le devine, je pense, il nous restera toujours beaucoup à faire pour seconder comme nous le devons l’action de l’État. N’attendons pas et voyons tout de suite ce que nous pouvons par nous-mêmes.

La gratuité est chose excellente. Ne pourrions-nous, par notre seule influence, l’obtenir au moins en grande partie ?

L’obligation nous paraît-elle meilleure encore ? Est-ce que nous ne réussirions pas, à force de persévérance et de dévouement, à faire comprendre à tous les pères de famille que, sous peine de manquer de la manière la plus grave à leurs principaux devoirs de chef de famille et de citoyen, ils sont tenus de nous envoyer leurs enfants ? Je le crois. Plus d’un lecteur de la Revue pédagogique dira, j’en suis certain : « J’ai obtenu le double résultat demandé ».

Pour réussir dans cette tâche difficile, ardue s’il en fût, il est tout d’abord nécessaire que l’instituteur ait réellement, complètement la confiance des familles.

Pour l’obtenir, il lui faut, cela s’entend, des qualités essentielles. Il doit être, avant tout, un homme de bien, reconnu pour tel. Austère dans sa conduite, modeste et grave dans son attitude, on le trouvera toujours bienveillant, toujours obligeant, et constamment étranger aux luttes des partis — si partis il y a dans la localité — quelles que soient les occasions où elles viennent à se produire.

Au point de vue professionnel, l’instituteur doit être un apôtre, au sens précis du mot. Si par malheur il ne comprenait pas ainsi sa mission, on aurait beau faire des lois, on n’arriverait qu’à de médiocres résultats.

Examinons de quelles ressources il peut disposer d’ailleurs. Il en est plusieurs.

La première, c’est la caisse des écoles, institution qui n’est point nouvelle et dont les bienfaits ne sont connus cependant que dans un très-petit nombre de communes. On peut l’établir partout, comme il est dit à l’article 15 de la loi du 10 avril 1867 :

« Une délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet, peut créer dans toute commune une caisse des écoles destinée à encourager et à faciliter la fréquentation des écoles par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents.

» Le revenu de la caisse se compose de cotisations volontaires et de subventions de la commune, du département ou de l’État.

» Elle peut recevoir, avec l’autorisation du préfet, des dons et des legs. Le service de la caisse des écoles est fait gratuitement par le percepteur. »

Cette institution est, à mon avis, l’une des conceptions les plus heureuses du ministre qui a préparé la loi du 10 avril 1867. Demandons-lui les bienfaits qu’elle peut répandre :

« Il ne suffit pas, dit M. Duruy (circulaire du 19 mai 1867), d’ouvrir gratuitement à un enfant la porte de l’école : l’expérience prouve que beaucoup d’enfants qui y sont admis à cette condition, se dispensent d’y venir, ou y paraissent si irrégulièrement qu’ils n’en profitent réellement pas.

» Cela tient à plusieurs causes que la caisse des écoles peut faire disparaître. Le besoin qu’ont les parents des services de leurs enfants : la caisse ne peut-elle pas leur allouer des secours à la condition de l’envoi régulier de leurs enfants à l’école ? »

Ce langage, plein de vérité en 1867, pourrait encore s’appliquer très-exactement à la situation présente. Je me permettrai de souligner les derniers mots rapportés plus haut, en répétant ici ce que j’ai dit ailleurs sur le même sujet.

Quand la famille est réellement pauvre, quand l’enfant a absolument besoin de gagner son pain, on ne peut moins faire que d’accorder un secours à peu près égal au produit du travail manuel de cet enfant. Je ne veux point parler de ceux que l’on pourrait arracher à la mendicité et au vagabondage.

L’instruction ministérielle continue ainsi :

« Ces enfants manquent de vêtements. Ne peut-elle (la caisse des écoles) leur en donner ? Ils n’ont pas le moyen de se procurer des livres et du papier : ne peut-elle leur en fournir ? »

Oui, la caisse des écoles devrait être constituée de manière à pouvoir répondre à tous ces besoins. J’estime qu’il devrait y avoir dans toutes les communes un vestiaire placé sous la direction d’un comité de dames patronesses désignées par la commission administrative de la caisse des écoles. Il est bien avéré que l’enfant pauvre souffre beaucoup, dans son amour-propre, de n’être pas à peu près vêtu aussi proprement que ses camarades. Il est gauche, embarrassé, se sent humilié et n’aime point à venir à l’école.

Je pense également qu’un petit magasin de fournitures classiques devrait exister à côté du vestiaire. Il serait tenu de même par les dames patronesses.

Les livres, le papier, l’encre, les plumes, tout est cher aujourd’hui !

Un certain nombre de conseils municipaux ont pris la louable habitude d’inscrire au budget communal un crédit spécial pour fournitures de classe aux élèves indigents, mais ce crédit est rarement suffisant. On l’emploie généralement à l’acquisition de quelques volumes que instituteur garde précieusement dans l’école. Les livres sont mis entre les mains des enfants au moment des leçons, puis ils sont replacés dans l’armoire municipale : c’est trop de parcimonie.

Il faut que l’élève ait en toute propriété ses livres et autres instruments de travail, qu’il puisse les emporter chez ses parents, lire, écrire, dessiner devant eux et les intéresser ainsi à ses petites études. Toute la famille y gagnera.

Nous devons profiter de toutes les occasions favorables pour augmenter notre fonds de secours. Naît-il un enfant dans une famille riche ou seulement aisée ? Nous demandons le don du nouveau-né. Se fait-il un mariage ? Nous réclamons le don des fiançailles, etc.

Qu’est-ce qui empêcherait, en outre, d’établir dans les communes une société protectrice des écoliers ?

Cela fait, efforçons-nous de convertir les familles à cette idée si juste, si vraie, que sans l’assiduité à l’école, il ne peut y avoir de progrès sérieux. Nous y arriverons par l’influence que nous devrons aux qualités précédemment énumérées.

Nous l’exercerons, en l’augmentant, de deux manières : 1° par l’enfant ; 2° directement par nos rapports avec les familles.

L’autorité du maître sur la famille s’exerce facilement par l’enfant.

C’est, il ne faut point l’oublier, un auxiliaire précieux. Quand il demande une chose raisonnable et qu’il y emploie tout son talent, il est irrésistible. Mais il faut pour cela, qu’il agisse d’après sa propre inspiration et non par conseil, encore moins par ordre : il doit obéir à un désir vrai, intime.

C’est ce désir qu’il s’agit de faire naître.

Nous voulons que notre élève soit assidu à la classe, qu’il craigne de manquer une leçon ? Amenons-le peu à peu à beaucoup aimer l’école. C’est moins difficile que l’on ne croit généralement. L’enfant est naturellement porté à imiter. S’il s’aperçoit que nous avons nous-même du plaisir à faire la classe, il l’aimera, il s’y plaira. Il reconnaîtra aux conditions suivantes que nous avons du plaisir à l’instruire :

La classe sera toujours très-propre, tout y sera constamment en ordre, on sera séduit rien qu’en y entrant. Notre exactitude ne sera jamais en défaut ; nous serons toujours grave — sans rudesse, sévère sans froideur et tout — dans notre manière d’être attestera que nous sommes heureux de vivre au milieu de nos élèves, qui seront, comme nous, constamment et utilement occupés. Nous ne manquerons jamais d’être poli avec eux, même quand nous serons obligé de les gronder ou de les punir, ce que nous nous efforcerons d’ailleurs de ne point faire trop souvent, dussions-nous fermer volontairement les yeux sur quelques légers délits.

Les leçons ne seront pas trop longues et auront été préparées avec soin, ce qui facilitera singulièrement notre tâche et nous la rendra agréable. On ne sait pas assez combien ce point est important. Un maître qui aurait oublié de préparer sa classe la ferait mal ; il serait embarrassé, ennuyé, maussade. Les élèves s’en apercevraient vite et lui en sauraient mauvais gré.

Nous n’oublierons jamais cette préparation si nécessaire : toutes les difficultés auront été prévues et levées d’avance ; nous aurons une réponse claire, nette, précise à faire à chaque question. Nous provoquerons les questions au lieu de les redouter. Notre enseignement sera bien gradué, raisonné ; il sera animé, attrayant : le travail du jour fera désirer celui du lendemain. Nos élèves feront des progrès et s’en apercevront ; ils prendront de plus en plus goût à l’étude : rien n’encourage comme le succès.

Des récompenses distribuées avec discernement viendront s’ajouter aux autres moyens d’émulation. Tout le monde se plaira à l’école, ou voudra y venir régulièrement et longtemps. Les parents le reconnaîtront, s’intéresseront davantage aux travaux de leurs enfants, seront eux-mêmes fiers des progrès obtenus et y regarderont à deux fois avant de laisser interrompre de si bonnes études.

C’est alors que par des visites fréquentes, quoique discrètes, nous arriverons à nous emparer tout à fait de la place.

Ajouterai-je qu’il faut là de la prudence, du tact, de l’habileté ? Nous ne dirons jamais à un père, à une mère, que son enfant n’est pas intelligent ; on ne comprendrait point le motif de notre franchise et l’on nous en voudrait.

Du reste, s’il est des enfants plus intelligents que d’autres, ce qui ne saurait être contesté, il en est fort peu qui manquent de moyens au point de ne pouvoir nous faire honneur quelque peu.

Règle générale, dans nos rapports avec les familles, nous insisterons plutôt sur les qualités de nos élèves que sur leurs défauts.

Tout cela est bien connu des maîtres expérimentés, mais on ne saurait trop le répéter à ceux qui débutent.

Je veux, en terminant, appeler l’attention des instituteurs, nos collaborateurs, nos amis, sur deux autres moyens pratiques d’attirer les élèves à l’école et de les y rendre assidus. Le premier, c’est l’institution d’un genre particulier de récompenses, sous le nom de prix d’assiduité.

Tout élève qui, dans le cours de l’année, n’a pas manqué une classe sans motif légitime, reçoit un livret de caisse d’épargne d’au moins dix francs et un beau volume.

Celui qui n’a pas manqué plus de dix classes a droit aussi à un prix d’assiduité, mais qui ne consiste cette fois, qu’en un beau volume. Le nombre de ces prix n’est limité que par le chiffre du fonds spécial dont dispose l’école pour cela.

Presque toujours, jusqu’ici, les prix d’assiduité ont été fondés par des personnes riches, éclairées, libérales. Il n’est presque pas de commune où l’on ne trouve une ou plusieurs maisons dévouées à l’intérêt publie, et qui ne se fassent un plaisir d’accorder des récompenses de cette nature. La caisse des écoles nous en fournira d’autres.

Le second moyen que je propose d’employer est celui-ci :

Tous les trimestres, il y aurait, pour chaque classe, sous le nom de Séance scolaire, un examen public portant sur une ou deux des matières enseignées dans les trimestres précédents. Cet examen serait fait par l’instituteur ou l’institutrice, en présence de l’autorité locale, du conseil municipal et des familles. La séance se terminerait par la récitation de quelques morceaux de littérature et par quelques chants. Il ne serait prononcé aucun discours, aucune allocution.

Toute la commune, cela est certain, prendrait intérêt à ces petites fêtes. L’examen ne manquerait pas de prouver que les élèves assidus sont les plus forts ; et, rentrée chez elle, plus d’une mère de famille (on connaît l’’amour-propre des mères), ferait assurément de salutaires réflexions.

L’école ne tarderait pas à être de la part du maire, du curé, du conseil municipal et de la population entière, l’objet d’une plus grande et plus réelle sollicitude.

Nos séances scolaires ne pourraient avoir lieu qu’avec l’autorisation de l’administration préfectorale, mais tout porte à croire que cette autorisation serait donnée de bonne grâce.

Chateau,
Inspecteur de l’instruction primaire
à Meaux.

  1. Voir le n° de Mars 1878.