De la vie à la mort/Chapitre V

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De la vie à la mort (tome second)
J. Maisonneuve (p. 157-216).


CHAPITRE V


Le Monde fantastique : Les Sorciers, les Loups-garous, les Lutins, les Animaux fantastiques, le Diable.


1o Les sorciers


À part les jeteurs de sorts, qui de nos jours sont qualifiés de sorciers, et les lutins dont il sera question tout à l’heure, on ne croit plus guère aux sorciers ni aux loups-garous tels qu’on les définissait jadis. Il n’y a plus guère que les très vieilles gens à se souvenir des histoires qui effrayaient tant nos pères.

Cependant Julien Daniel, du village de Launay en Bruz, raconte à qui veut l’entendre, que lorsqu’il était jeune, il allait après sa journée faite, à la Houssaye, qui est une sorte de gentilhommière en ruines, où demeurait un homme instruit qui lui apprenait le plain-chant pour être chantre à l’église de Bruz.

Il y avait une lieue pour revenir chez lui et, presque toujours, il faisait nuit quand il quittait la Houssaye.

Un soir, en passant devant les champs appelés les Lublards, il aperçut à travers les haies des gens qui dansaient autour d’une couée de feu.

Il crut que c’était des jeunes gens qui s’amusaient, et voulut s’en assurer. Il se dirigea vers l’échalier du champ, mais une fois qu’il fut de l’autre côté de la haie, il ne vit plus rien : les sorciers, — c’était eux assurément, — avaient fui à son approche et le feu était éteint.

À Bourg-des-Comptes, au bout de la rabine (avenue), se dresse une vieille croix, aux trois quarts vermoulue, près de laquelle les sorciers se réunissent pour danser. On les a vus vers minuit, se tenant par la main autour de la croix, en chantant leur ronde :

» À travès has et buissons,
« J’trouverons l’z’autr’s là où y seront[1]. »

Dès qu’ils aperçoivent un passant, ils se jettent sur lui en poussant des cris, et le contraignent à danser et à chanter avec eux. Si le pauvre homme une fois entré dans la ronde, répète avec les sorciers le refrain sans y rien changer, ils l’entraînent, comme le dit la chanson, dans une course vertigineuse, le précipitent, en ricanant, dans les buissons et les haies, le tirent à travers tous les fourrés de ronces et d’épines, à moitié mort de peur et de fatigue, déchiré, ensanglanté, toujours tiré, toujours poussé, et ce n’est qu’au point du jour qu’il peut espérer échapper à ses bourreaux. Il reprend alors, s’il en a la force, la route de son village.

Quand le danseur, recruté par les sorciers, au lieu de dire exactement leur chanson, a l’idée de la modifier ainsi : « Par-dessus has et buissons, » etc., les sorciers désarmés, le font sauter délicatement par-dessus les talus, les buissons et les haies, sans lui faire aucun mal, lui rendent sa liberté, et reviennent à leur ronde autour de la croix.

À l’autre extrémité de la rabine hantée par les sorciers, s’élève un des plus vieux chênes de l’avenue. Cet arbre, qui est appelé le chêne au loup, doit son nom à une terrible et vieille histoire.

Un loup avait été tué dans le bois du Boschet et pendu à une branche de chêne. Le diable, les sorciers et les loups sont camarades, personne ne l’ignore, aussi affirme-t-on que Satan venait souvent, la nuit, s’asseoir sous la branche où se balançait le cadavre de son compère.

Un soir de décembre, les femmes de la ferme du château s’étaient réunies pour faire la veillée. Elles filaient assises en cercle dans l’étable. Au milieu d’elles, crépitait une chandelle de résine, posée dans une poêle[2], pour garantir la paille des étincelles qui auraient pu l’enflammer. Un chaudron, plein de châtaignes bouillies, des pichés de cidre et des écuelles de terre, étaient sur le sol à la portée des fileuses. Chacune racontait son histoire, et les vieilles faisaient frémir les jeunesses par le récit des aventures épouvantables qui leur étaient arrivées la nuit.

Cependant une des fileuses traitait de niaiseries et de contes de bonnes femmes, tout ce qui faisait trembler ses compagnes, et quand une conteuse affirma qu’elle avait vu le diable et les sorciers sous le chêne au loup, elle s’écria : « La vue vous a belluetté[3], la mère. Tenez, il est tout à l’heure minuit, j’y vas, ma, sous le chêne au loup, et si le diable y est, eh bien ! que le diable m’emporte !

Les fileuses se signèrent épouvantées, et regardèrent du côté de la porte pour voir si Satan n’entrait pas.

La femme s’était levée. Elle sortit malgré les efforts de ses amies pour la retenir, et se dirigea vers le chêne.

Il fallait que le cidre lui eût tapé sur la caboche (tête), ou que le diable lui-même la poussât.

Les femmes de la ferme la virent avec terreur, s’éloigner dans la nuit. Les hiboux gémissaient dans les bois du Boschet, l’insensée n’y prit garde. On entendait au loin comme un vague bourdonnement : — C’est la chanson des sorciers, dirent les fileuses. — C’est le vent dans les arbres leur cria la folle, et elle pressa le pas.

Les femmes entendirent encore le bruit de ses sabots sur la terre gelée, puis elles rentrèrent terrifiées, dans l’étable, attendre la malheureuse.

Elles attendirent longtemps, les fileuses du Boschet. Jamais l’insensée qui avait tenté le diable ne revint à la ferme.

Le matin, lorsqu’elles osèrent aller à sa recherche, elles aperçurent dans le haut du chêne au loup, la coiffe et des lambeaux de vêtements ayant appartenu à la pauvre fille.

Depuis ce temps-là bien des années ont passé sur les vieux arbres du Boschet ; mais dans les nuits d’hiver, on voit encore quelquefois se balancer sur la branche la plus élevée du chêne au loup, la coiffe de la fileuse.

Pour être sorcier il faut se frotter tout le corps avec de la graisse d’un enfant arraché du ventre de sa mère avant le terme naturel.

L’enfant est coupé en morceaux et mis à bouillir, sa graisse est recueillie dans des vases fermant hermétiquement et que l’on cache dans les fermes derrière la roche du foyer, grosse pierre qui remplace la plaque de fonte dans les cheminées des paysans.

Avant de se servir de cette graisse, elle est présentée à un prêtre, sorcier lui-même, qui prononce certaines formules à rebours afin de donner à l’onguent l’efficacité nécessaire.

Sur le coup de minuit, lorsque tout le monde dort, celui qui veut devenir sorcier et qui a pu se procurer de la graisse d’enfant s’en va dans un carrefour, là il se déshabille et s’enduit le corps de la pommade en disant :

 « Par sus his et par sus has,
Et par sus la ch’minée j’m’en vas,
Jusque dans la forêt de Paimpont,
Où tous les compagnons y sont. »

Et il est transporté aussitôt au milieu des sorciers.

On montre encore à l’heure actuelle, nombre de carrefours où les sorciers se réunissaient et où le clergé, pour les chasser, fit placer des calvaires. L’un des plus célèbres est celui de la Croix-Madame, sur la route de Rennes à Redon, près du bourg de Bruz.

Un nommé Grohan, de la ferme du Marais, dans la commune de Chartres, passant une nuit devant le pâtis de la Croix-Madame, vit les sorciers qui dansaient autour d’une jeune fille toute nue.

Grohan s’écria : Et par Jésus.

Aussitôt les sorciers se dispersèrent et il ne resta plus que la pauvre fille qu’ils avaient arrêtée sur la route.

Grohan lui donna sa blouse pour se couvrir le corps et l’emmena chez lui. Elle lui dit qu’elle était de Redon et il écrivit à ses parents de venir la chercher, ce que ceux-ci s’empressèrent de faire.

Mais les sorciers avaient reconnu Grohan et jurèrent de se venger.

Un jour que la mère de celui-ci avait fait de la bouillie de blé noir que l’on appelle, chez nous, des noces, elle la porta dans la cour de la ferme pour la faire refroidir. Elle dit à son gars : « Reste près de la bassine afin d’empêcher les animaux d’approcher et de manger les noces. »

Grohan monta la garde, mais bientôt ayant éprouvé le besoin d’aller se déculotter derrière un pailler, il fut aussitôt saisi par les sorciers qui le guettaient et qui l’emportèrent tout déculotté jusqu’à Redon.

En passant devant les marais de Renac, l’un d’eux dit : « C’est un coquin, il faut le jeter à l’eau. »

— Non, dit un autre, portons-le plus loin.

Arrivés à Redon, ils voulurent l’empaler sur la tour de l’église ; mais comme ils le montaient il leur échappa et chose étonnante il se retrouva tout à coup, toujours déculotté, juste à la place où les sorciers l’avaient pris. Il entra dans la ferme et sa mère lui dit : — Les noces sont-elles froides ?

— Elles doivent être mangées depuis longtemps, répondit-il, et il se laissa choir sur une chaise, courbaturé et malade.

Ses parents lui prodiguèrent des soins, et il leur raconta ce qui lui était arrivé.

Une autre fois, Grohan partit une nuit pour aller au marché de Montfort. En traversant la lande de Perruche, près de Chancor, il fit encore la rencontre des sorciers, complètement nus, qui l’obligèrent à danser un rigodon avec eux.

Tout en dansant il attira son chapelet et dit encore : « Et par Jésus ! » Tous se sauvèrent, à l’exception de deux qu’il avait touchés. Il les laissa sur la lande et s’en retourna chez lui.

Si on ne délivre pas les sorciers avant le soleil levé, en faisant le signe de la croix, il faut les vêtir et les nourrir toute la journée. Or, lorsque Grohan se réveilla, il faisait grand jour.

Il alla sur la lande de Perruche où il trouva les deux individus à la même place, mais couverts de sang : Des blatiers qui étaient passés par là pour se rendre au marché les avaient fouaillés d’importance les laissant presque morts sur la bruyère.

Grohan, pour les couvrir, donna à l’un sa blouse et à l’autre sa chemise et les emmena dans le petit bois de la Haie où il alla les délivrer le lendemain matin.

(Conté par Julien Gruel, jardinier à Bruz.)

Au mois d’avril 1885, j’allai faire une excursion dans l’antique forêt de Broceliande qu’on appelle aujourd’hui Paimpont. C’est dans cette forêt que se trouve la fontaine de Baranton où l’enchanteur Merlin et la fée Viviane se donnaient rendez-vous.

En allant visiter le petit bourg de Concoret qui est situé dans le Morbihan, mais sur les confins de l’Ille-et-Vilaine, je demandai à mon guide Auguste Provost, cloutier à la Ville-Danet, en Paimpont, pourquoi lorsqu’on parlait de Concoret on ajoutait toujours le pays des sorciers.

— Parce que, me dit-il, il y en avait beaucoup autrefois qui demeuraient à Concoret, et qui se réunissaient la nuit dans les Crezées (clairières) des bois, ou dans l’aire à battre le grain des villages environnants.

Un dimanche matin, avant le jour, Jean Ruelland, dit de la Bouvray, se rendait à la première messe lorsqu’il aperçut les sorciers qui dansaient une ronde dans l’aire du village du Pertuis du Fau. Il approcha d’eux sans être aperçu et mit en croix le balai et le fourgon du four. Les danses cessèrent comme par enchantement et tous restèrent tels qu’ils étaient en dansant.

Ils aperçurent de la Bouvray auquel ils dirent :

« Jean de la Bouvray,
Defait c’que tu as fait. »

— Vous attendrez ben que je sois revenu de la messe.

Et en effet, comme on était en hiver et que la première messe est dite avant le jour, il repassa de bonne heure au Pertuis du Fau et put les délivrer.

Parmi eux il avait reconnu le vicaire de Concoret.

Dans beaucoup d’histoires de sorciers, il est mention de prêtres se mêlant à leurs exercices nocturnes.

Une femme de la ferme de Cicé, dans la commune de Bruz, alla un soir de Toussaint à confesse à son curé. Elle était enceinte de sept mois.

Sa confession terminée le prêtre lui dit : — Vous vous exposez bien ma fille, dans votre position, à vous en aller seule ainsi la nuit par les bas chemins.

— Oh ! je ne sais pas peurouse, répondit-elle.

Mais c’est égal quand elle fut sortie de l’église il faisait nuit noire, aussi alla-t-elle chez un boucher lui emprunter un grand couteau pour se défendre si elle faisait de mauvaises rencontres.

Dans un sentier du bois de Cicé, elle rencontra un homme masqué, qui voulut la saisir par les épaules, mais de son couperet, elle lui abattit le poignet.

L’homme se sauva en poussant un cri de douleur et la femme ramassa la main tombée par terre, et continua sa route.

Le lendemain matin, elle se dit : Personne que mon confesseur ne savait que je devais revenir chez moi à pareille heure. Il faut que je m’assure si c’est lui que j’ai rencontré hier soir.

Elle se rendit au presbytère et demanda à la servante, qui vint lui ouvrir la porte, si elle pouvait parler au curé.

— Il n’est pas là, répondit la domestique.

— On m’a cependant dit qu’il était malade.

— Non non, il n’est pas là.

— Je suis certaine qu’il est malade et je veux lui parler.

— Vous ne le pouvez pas.

— Si, je suis sûre qu’il est dans sa chambre, et elle y monta malgré la servante.

Le curé était en effet au lit. La femme lui dit : — Vous êtes donc malade, monsieur le curé ?

— J’ai seulement un peu de fièvre, répondit-il.

— Ce n’est pas vrai ; montrez-moi votre bras, que j’y ajoute la main que voici.

— Ne me perdez pas, lui dit-il.

— Vous vouliez donc vous procurer l’enfant que je porte.

— J’ai été puni comme je le mérite, s’écria-t-il, et il perdit connaissance.

(Conté par Julien Gruel, jardinier à Bruz.)


2o Les loups-garous


Les loups-garous sont des sorciers métamorphosés en loups par le diable, et qui sont forcés de courir le long des nuits par les champs, les chemins et les villages. Ils cherchent, dans les ténèbres, les croix des carrefours, mais ne peuvent en approcher. Cependant, si quelqu’un, en les frappant, peut faire couler leur sang, ils sont désensorcelés et alors il leur est possible d’approcher du calvaire, de l’enlacer de leurs bras, de dire des prières, et de recouvrer leur forme d’homme.

De jeunes garçons se sont amusés à courir les campagnes la nuit recouverts d’une peau de loup pour effrayer les gens. Des malfaiteurs ont employé ce travestissement pour voler et piller les habitations isolées.

On se souvient encore à Rennes de l’aventure suivante :

Depuis un temps immémorial, la vieille église de Saint-Étienne, située sur la place contiguë à la rue d’Échange, sert de magasin de campement à l’armée.

Jusqu’en 1843, un vieux cimetière a existé autour de l’église et était entouré de murs tombant en ruines.

En 1825, tout le quartier de la paroisse de Saint-Étienne fut mis en émoi par l’apparition d’un loup-garou qui, couvert de peaux de bêtes, venait à l’heure de minuit, effrayer la malheureuse sentinelle du campement, qui montait la garde à l’une des brèches du champ du repos.

La nuit de Noël, le loup-garou vint comme à l’ordinaire, pour faire peur au soldat, mais cette fois il eut affaire à un vieux troupier qui cria : « Qui vive ! »

Pas de réponse.

Le militaire s’élança la baïonnette en avant et au moment où il rejoignit le promeneur nocturne, celui-ci lui dit : « Arrêtez, ne frappez pas, je suis un homme comme vous. »

— Je ne connais pas d’homme de ton espèce répondit le soldat, qui lui enfonça son arme dans le flanc,

Le pauvre diable put cependant s’en aller ; mais comme la neige recouvrait la terre, le lendemain on découvrit sa demeure en suivant la trace de son sang.

C’était un jeune homme de seize ans appartenant à une honorable famille de Rennes. Il mourut au bout de quelques jours du coup de baïonnette qu’il avait reçu pour avoir voulu jouer au loup-garou.

On chercha à cacher ce malheur, et les parents déclarèrent que, mordu par un chien, leur fils avait succombé à ses blessures.

Les garous ne sont pas toujours changés en loups par le diable. On les voit quelquefois sous la forme de chats ou de levrettes.

Un soir d’hiver, au village des Riais, dans la commune de Bain, de nombreux paysans étaient réunis dans une étable où chacun d’eux racontait une histoire de sorciers, de loups-garous ou de revenants.

Quand ce fut le tour du père Pichard, le bonhomme secoua la cendre de sa pipe éteinte en la frappant sur l’ongle de son pouce et demanda : « Quelle histoire voulez-vous ? »

— Le conte de votre chatte, s’écria-t-on de tous côtés.

— Ce n’est point un conte, mes enfants, mais une histoire vraie qui m’a causé ben des tourments. Enfin, puisque vous y tenez, je vas vous la dire sans cachemiteries et sans détours : Au temps où j’allais faire la cour à ma pauvre défunte femme, à la Haute-Chapelle, proche l’étang de Bain, je revenais ici, nuitamment par le chemin de la Croix-des-Haies.

Un soir que j’étais resté plus longtemps que de coutume, — j’avais le cœur joyeux alors, — je chantonnais en rentrant au logis. Tout à coup, en débouchant d’un chemin creux dans le carrefour de la Croix-des-Haies, j’aperçus au pied même de la croix, une grosse chatte blanche qui miaulait tendrement, et qui vint à moi frotter son échine contre mes jambes. Elle me suivit jusqu’aux premières maisons du village, puis elle sauta dans un fossé, et je ne la revis plus.

Les jours suivants, et pendant longtemps, je rencontrai cette bête sur mon chemin. Je m’habituai à son manège et n’y fis plus attention.

Bref, je me mariai, et n’eus plus l’occasion de repasser la nuit par la Croix-des-Haies. J’oubliai la chatte.

Une nuit, après cinq à six mois de mariage, je me réveillai vers minuit et fus tout étonné de ne plus trouver ma femme à côté de moi. J’appelai : « Nanon ! Nanon ! » Point de réponse. J’allumai la chandelle, il n’y avait personne dans la maison ; je trouvai ça bien étrange.

Je me rendormis, et le matin, lorsque je me réveillai, ma femme était à mes côtés.

— Où donc es-tu allée cette nuit ? lui demandais-je.

— Moi, dit-elle en rougissant ; mais elle ne répondit pas.

Je n’insistai pas davantage ; mais la nuit suivante, je fis le guet :

À minuit, plus de femme ; mais dans la chambre une grosse chatte blanche faisant force ronrons tout autour du lit.

Un matin que ma femme faisait le ménage, une araignée lui tomba dans le cou. Elle se sauva dans un cabinet pour se déshabiller.

La curiosité me fit regarder par le trou de la serrure et je vis une chose bien surprenante : ma femme avait à la naissance du cou, près de l’épaule gauche, une marque rouge ayant vaguement la forme d’une patte de chat.

J’avais entendu dire que les personnes qui couraient le garou portaient une marque sur le corps.

Or, l’absence de Nanon, la nuit, cette patte de chat sur le dos, ne me laissaient plus aucun doute : ma femme courait le garou !

Je n’en mangeai pas de la journée, et je restai plusieurs jours à errer dans les champs comme un fou.

Je m’enhardis cependant à lui demander ce que c’était que cette marque qu’elle avait dans le dos. Elle ne répondit rien et s’en alla ; ses yeux verts et brillants semblaient furieux.

La chatte de la Croix-des-Haies qui venait dans notre chambre la nuit, était trop grosse pour passer par le trou au chat, et j’avais bien soin, chaque soir, avant de me coucher, de fermer la porte au verrou ; alors, comment s’y prenait-elle pour pénétrer dans notre demeure ?

Une nuit, étant encore seul dans mon lit, j’allumai la chandelle et j’attendis la visite de l’animal.

Vers une heure du matin, j’entendis gratter à la porte et bientôt je vis la patte passer par le trou, atteindre le verrou et ouvrir la porte ; j’éteignis promptement la lumière.

Le lendemain, j’aiguisai une hache et j’attendis la nuit. Même manège que la veille ; mais j’étais là près du trou, la hache au poing, et aussitôt que la patte se fit voir, je frappai de toutes mes forces.

J’entendis un cri horrible, un cri de douleur qui me fait encore frémir, bien qu’il y ait plus de quarante ans de cela.

Nanon fut trois jours sans rentrer au logis, et quand elle y revint, elle avait une main coupée.

La pauvre femme ne sortit plus la nuit, et je n’ai jamais revu la chatte de la Croix-des-Haies.


3o Les lutins


Il n’y a pas un village, un hameau, une ferme de l’Ille-et-Vilaine, où l’on ne parle du lutin, joueur de tours, tantôt bon, tantôt mauvais, toujours capricieux. Tout le monde l’a entrevu ou a été victime de ses farces.

Au milieu de la nuit, le lutin ouvre les écuries, sort les chevaux, les enfourche et va les promener au clair de lune. Il les rentre avant le jour, les panse, les étrille et le garçon d’écurie ne se douterait pas, le matin, de ce qui s’est passé si les crins des chevaux n’étaient tressés par le lutin comme la chevelure d’une jolie femme.

On lui donne dans chaque canton les noms les plus divers : Maît’ Jean, Petit-Jean, Martine, l’Éclaireur, Payenne, Payel, le Pilou, le mouton Birette, le Chat noir, la Jument blanche, la Levrette, etc., etc.

M. Didier, ancien instituteur à Poligné, m’a dit, — très sérieusement, — que lorsqu’il habitait ce petit bourg, il avait vu Payenne. Mais laissons-le parler :

« La foire du Petit-Fougeray, en Chanteloup, avait lieu cette année-là un jeudi, jour de congé pour moi. J’avais envie d’y aller, et mon voisin le boulanger m’avait offert une place dans sa charrette, seulement pour éviter la chaleur, il voulait partir à trois heures du matin, force me fut donc de me lever de bonne heure, et comme je pouvais me rendre chez le voisin en passant par mon courtil, j’ouvris la porte qui y conduisait. Dieu de Dieu ! j’en ai encore la chair de poule ; car je vis comme je vous vois, une grande levrette blanche, couchée en travers de la porte qui me regardait d’un air goguenard.

» Je reculai jusque dans la maison, et m’en allai par le bourg, afin d’éviter la méchante bête qui n’était autre que Payenne changée en lévrier. »

Petit-Jean, le Lutin de Bruz

Les vieux habitants de la commune de Bruz se souviennent encore du père Richard, de Cicé, qui fut si longtemps le courou[4] de pochées du moulin de Chancor.

C’était lui, qui, monté sur son bidet, allait chercher le grain chez les pratiques, et leur reportait la farine. Il était bavard comme une pie borgne et, parcourant sans cesse tous les villages, il apprenait les nouvelles qu’il colportait d’un bout à l’autre de la paroisse.

Ce n’était point alors comme de nos jours, les gazettes étaient inconnues dans les campagnes, et les commères attendaient avec impatience le père Richard, pour savoir ce qui se passait loin de chez elles.

Le bonhomme aimait bien à lever le coude, et un jour qu’il s’était oublié à boire des chopines et à raconter ses histoires dans les fermes où il allait, le soleil était couché depuis longtemps lorsqu’il songea à retourner à Cicé.

Il grimpa à la fin sur son guichenas[5] et se mit en route.

En longeant le talus d’un pré, il vit au clair de la lune, assis devant lui, un nain avec une grande barbe qui lui descendait jusqu’au bas du ventre, et de grands cheveux qui l’abritaient par derrière.

C’était tout ce qu’il avait pour le couvrir.

Le petit homme, pas plus haut que le genou d’une personne d’une taille ordinaire, paraissait bien vieux, bien vieux, et riait en ouvrant une bouche d’une grandeur démesurée.

Quand le cavalier approcha de lui, il l’interpella ainsi :

— Père Richard, si, toi, tu as bu tout ton soûl aujourd’hui, ton cheval, lui, n’a guère mangé, car il n’avance point.

— Tu ne serais pas capable de le suivre, failli mousse.

— Parions que si. Le premier rendu à la mare là lin, va tantouiller l’autre dedans. Est-ce convenu ?

— Accepté, dit le bonhomme, qui talonna son cheval.

Mais quand il arriva à la mare, le nain l’attendait. Sans lui laisser le temps de descendre il empoigna le courou de pochées par un pied, l’attira à lui, avec une force extraordinaire, et le trempa dans l’eau tant qu’il put.

— Ma revanche, dit le pauvre diable tout mouillé.

— Accepté, dit le nain, jusqu’au marais d’Apigné.

— Richard fouetta sa bête de toutes ses forces ; mais malgré cela, il trouva encore le nain qui l’attendait, et qui le traîna pendant plus d’un quart d’heure, dans la vase du marais et le laissa si bouillonnou, si bouillonnou[6] que personne n’aurait pu le reconnaître.

L’infortuné courou de pochées rentra chez lui malade, courbaturé, et resta couché pendant plus de huit jours à trembler les fièvres.

Le père Richard, sur ses vieux jours, ne parlait jamais, sans frissonner, de sa rencontre avec Petit-Jean, le lutin de Bruz.

(Conté par Garnier, de Bruz.)
Les aventures de Maître Jean

Deux filles de la Noë-Mahé, dans la commune de Saint-Brieuc-des Iffs, avaient organisé des filois dans leur étable.

Un soir qu’elles étaient à mettre des chaises pour les invités, elles remarquèrent qu’au lieu de trois moutons qu’elles possédaient, il y en avait un quatrième qui vint près d’elles en bêlant gentiment pour se faire caresser, et qui se frottait contre elles en faisant l’aimable.

L’une des filles dit : « C’est tout de même ben drôle. Je ne connais point ce mouton-là. Il n’est pas du village. Ma fa, tant pire. J’vas tirer mon jarretet[7] pour l’attacher à la boucle de fer que v’la dans le mur. »

C’est ce qu’elle fit ; mais aussitôt que l’animal se vit attaché il poussa des cris effrayants, se démena, sauta, fit des bonds à faire trembler l’étable, ses yeux furieux semblaient lancer des flammes.

L’une des filles alla chercher son frère qui vint couper le jarretet, et le mouton qui n’était autre que Maît’ Jean, se sauva dans la cour de la ferme où il alla s’asseoir sur une pierre, près des écuries.

Il revint à cette place presque tous les soirs, et pendant que les gens de la ferme étaient assis sur le seuil de la porte, à manger leur soupe, on entendait le mouton qui disait sur sa pierre : « Soup’ soup’ soup’ soup’ soup’. »

Un gars dit : « J’te dépaisserai[8], Maît’ Jean. » et, en effet, il dit un matin au pâtou de la ferme : « Va chercher des glaines et fais les brûler pendant toute la journée sur la pierre où le mouton va s’asseoir. »

L’enfant fit ce qui lui fut commandé.

Le soir, à l’heure où le mouton devait venir, on enleva toute trace de feu, de glaines, de cendre, et les gars s’en allèrent sur le seuil de la porte de la ferme.

Maît’ Jean arriva et alla s’asseoir sur la pierre qui était brûlante. Aussi ce soir-là n’eut-il le temps que de dire une fois soup’ et de se sauver comme s’il avait le feu au derrière.

On ne le revit jamais dans la paroisse de Saint-Brieuc-des-Iffs, et l’on apprit qu’il était allé jusqu’à Saint-Symphorien.

La Jument blanche

Trois filles du village de la Marionnais dans la commune de Bruz (on prononce Marionnas), s’en allèrent un soir aux filois.

Il faisait quasiment nuit, lorsqu’elles arrivèrent près d’un grand marais dont il fallait faire le tour.

— Si nous pouvions le traverser, dit l’une d’elles, j’serions rendues tout de suite.

Ren n’est pu facile répondit une autre : V’là là une jument blanche, que je ne connais point, mais qui a l’air ben douce, et qui ne demandera pas mieux que de nous passer.

— Elle ne pourra toujours pas nous porter toutes les trois, ajouta la dernière.

— Elle en portera ben deux, répliquèrent-elles ; l’une restera de l’autre côté pendant que l’autre reviendra chercher la troisième.

Et la plus brave sauta sur la bête en disant : « Viens-ta, Victoire ? »

Et Victoire grimpa à son tour.

— Il y a encore de la place pour ta, Céleste. Viens vite.

En effet, jamais on n’avait vu jument si longue.

Céleste monta, elle aussi, et il y aurait encore eu de la place pour une quatrième.

La jument, talonnée par les filles qui jacassaient et riaient comme des folles, avança gaillardement dans l’eau qui lui monta bientôt jusqu’aux cuisses.

Les jeunesses étaient obligées pour ne pas se mouiller les pieds de se mettre presque à genoux sur la bête, ce qui les faisait rire encore plus.

Tout à coup, toutes les trois poussèrent un cri, la jument venait de disparaître dans le marais, et les filles barbotaient dans la vase.

Elles entendirent ricaner dans une touffe de jonc, et une voix leur dit :

Ah ! Ah ! Ah !
Les filles de la Marionnas,
Irou[9] cor aux filois !

Les malheureuses eurent tellement peur qu’elles se dépatouillèrent[10] ben vite et se sauvèrent chez elles, corrigées pour longtemps d’aller ainsi courir la nuit.

(Conté par Fine Daniel, de la ferme des Houx en Bruz)
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Le Lutin des écuries

Le nommé Jean Delamarre, qui habitait le village de la Giraudais, dans la commune de Bruz, exerçait autrefois le métier de roulier entre Bruz et Guignen.

Il possédait trois chevaux pour faire ce service et, selon l’usage établi dans nos campagnes, il couchait dans son écurie. Son lit, composé de planches à peine équarries, était accroché à un mur à plusieurs mètres au-dessus du sol, de sorte qu’il fallait une échelle pour y monter.

Comme ses chevaux composaient tout son avoir et le faisaient vivre honnêtement, Jean les soignait de son mieux et sans aucune préférence. Aussi, qu’on juge de sa surprise et de son inquiétude quand il s’aperçut que deux d’entre eux maigrissaient, tandis que le troisième était rond et gras comme une pomme.

Il n’en dormit pas la nuit suivante et entendit un bruit inexplicable. Il lui semblait qu’on étrillait une de ses bêtes, qu’on ouvrait et fermait le coffre à avoine, et enfin qu’un cheval mangeait le grain qu’on lui donnait.

Le matin, il remarqua que le cheval gras avait le poil lisse et les crins de la crinière tressés.

Plus de doute, c’était le lutin dont Jean Delamarre avait souvent entendu parler.

Que faire ? Ma foi, le roulier coupa la crinière du cheval, ce qui devait, selon lui, empêcher le lutin de le monter et de l’aller promener dans les prés, comme il le faisait sans doute pendant le sommeil du maître.

Delamarre ne tarda pas à se repentir de ce qu’il avait fait. Quand le lutin fut pour tresser la crinière de son cheval favori, et qu’il ne la trouva plus, il devint furieux. Il gravit les échelons de l’échelle conduisant au lit du roulier et se mit à le pigaler[11] de telle façon que le lendemain le pauvre diable eut le corps brisé, moulu, et qu’il fut dans l’impossibilité de se livrer au travail.

La nuit suivante, il en fut de même.

Delamarre raconta ses chagrins à son frère qui lui répondit : « Sois tranquille, je vais aller coucher avec toi, et à nous deux nous aurons bien raison de ce mauvais génie. »

Il y alla, et son sommeil à lui ne fut nullement interrompu ; mais Jean n’en eut pas moins sa correction habituelle. Dans la lutte qu’il soutenait contre le lutin, ses mains ne rencontraient qu’une masse poilue qui lui échappait chaque fois qu’il voulait la saisir, et qui semblait n’avoir ni corps ni membres.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, le routier fut consulter son confesseur qui, après l’avoir écouté, lui dit : « Faites bénir un petit habit, autrement dit un scapulaire, que vous porterez sur la poitrine. Je vous assure que vous pourrez ensuite dormir tranquille. »

Comme bien on pense, Jean Delamarre fit tout de suite ce que son curé lui conseillait, et, en effet, il ne revit plus son ennemi. Il l’entendit bien, par exemple, faire un vacarme de dépit dans les greniers et dans les granges, mais ce fut tout.

Les deux chevaux maigres reprirent de l’ampleur, la crinière du cheval gras repoussa et tout alla pour le mieux.


4o Les animaux fantastiques


La Bête de Pierric

Tout le monde, à Fougeray, a entendu parler de la Bête de Pierric, plusieurs personnes affirment l’avoir vue, mais très peu de gens connaissent l’origine de cette légende et de l’animal fantastique qui en est l’objet.

Un ancien percepteur, de cette localité, m’a raconté qu’un soir, sa femme et lui sortant vers onze heures de chez des amis, aperçurent au clair de lune, courant devant eux par les rues, un animal étrange, ayant la taille d’une génisse. Ils eurent la curiosité de le suivre et le virent franchir avec une agilité extrême le mur du cimetière. C’était assurément la Bête de Pierric.

Voici la légende que je dois à l’obligeance de M. G…, médecin à Fougeray, auquel est arrivée l’aventure étrange qui termine ce récit :

À la fin du xviie siècle, Louis-Gilles de Rougé donna les seigneuries de Fougeray et de la Roche-Giffart en dot à sa fille, Innocente-Catherine de Rougé, à l’occasion de son mariage avec Jean de Kerhœnt de Kergournadec, marquis de Cœnten-Faô.

Les malheureux vassaux n’eurent pas à se féliciter de leur nouveau seigneur, véritable bandit, qui avait tous les vices, et dont la vie licencieuse apportait la désolation dans les familles.

Un jour, sortant de sa forêt de Teillay (qui, à cette époque, se prolongeait jusqu’au château de Fougeray), il dirigea ses pas vers Pierric. Comme il allait s’engager sur une passerelle jetée sur la rivière la Chère, il fit la rencontre de deux jeunes et jolies villageoises qui causaient ensemble au bord de l’eau.

Selon son habitude, il s’approcha d’elles et voulut les violenter ; mais il trouva une résistance à laquelle il était loin de s’attendre, et que n’admettaient pas ses instincts de bête fauve. Furieux, il les précipita dans la rivière où les pauvres filles se noyèrent.

À partir de ce moment, on appela la passerelle : Le pont Gatoué, autrement dit le pont du crime.

Ayant commis d’autres actes d’une barbarie sans exemple, le marquis de Cœnten-Faô fut mandé à la cour pour rendre compte de sa conduite. Effrayé de l’interrogatoire qu’il allait avoir à subir, il préféra en finir avec la vie. Il se fit conduire en voiture dans le bois de la Serpaudais, remit un fusil chargé entre les mains de son cocher, se plaça devant lui et dit : « Tire juste, car si tu me manques, moi je ne te manquerai pas ! »

Son valet le tua et l’enterra sous une cépée de chêne.

Aussitôt après la mort du seigneur de la Roche-Giffart, on vit, dans les ténèbres, un animal inconnu effectuer le parcours de Fougeray à Pierric et de Pierric à Fougeray. Sa course terminée, il disparaissait derrière les tombes du cimetière de cette dernière paroisse. On lui donna le nom de la Bête de Pierric.

Les habitants furent tellement effrayés de l’apparition de cet animal, qu’ils ne voyagèrent plus que deux ou trois ensemble après le coucher du soleil.

Il y a de cela trente ans environ, M. G…, médecin à Fougeray, fut appelé la nuit dans un village de la commune de Pierric, pour voir une femme dangereusement malade.

Les deux hommes qui étaient venus le chercher devaient retourner avec lui. L’un d’eux s’appelait Maugendre et avait 35 ans, l’autre était un jeune homme de 17 ans.

Le médecin, pendant qu’on attelait son cheval, dit à Maugendre : « Allez devant, je vais vous prendre sur la route. Quant à toi, dit-il au plus jeune, reste avec moi. »

Il faisait un clair de lune superbe, et l’on voyait dans la campagne comme en plein jour.

À vingt mètres au delà du pont Gatoué, tous les deux aperçurent Maugendre ; mais leur attention fut tout à coup distraite par un feu follet qui voltigeait au-dessus des roseaux de la rivière.

M. G… dit à son compagnon de route : « Laissons Maugendre monter la côte à pied, nous nous arrêterons à la croix de Renefort pour le faire monter avec nous. »

Arrivés à cette croix ils virent une bête noire, plus forte qu’un gros chien, qui passa à deux reprises différentes, de gauche à droite et de droite à gauche, devant le cheval, et courut sur la banquette vers la croix où se trouvait Maugendre.

Quand la bête eut disparu, M. G… appela plusieurs fois Maugendre sans obtenir de réponse. Il mit alors son cheval au galop disant en plaisantant : « La Bête de Pierric aurait-elle emporté Maugendre ? »

Ils allèrent ainsi jusqu’auprès du bourg sans rencontrer leur homme ; enfin ils le virent debout et immobile en face le portail du cimetière.

— Qui diable vous a amené ici ? demanda le médecin.

— Je n’en sais rien.

— Vous avez couru ?

— Non.

— Mais alors comment êtes-vous là ?

— Je vous attendais près de la croix de Renefort, lorsque j’ai aperçu une boule de feu, puis un animal comme je n’en ai jamais vu, qui m’a renversé. En moins de temps qu’il ne m’en faut pour vous le dire, je me suis trouvé transporté à la porte de ce cimetière.

Quand à deux heures du matin, le médecin s’en retourna seul chez lui, Maugendre s’écria : « On me donnerait tout Pierric et tout Fougeray, que je ne consentirais pas à m’en aller à votre place. »

La Belle et la Bête de Béré, à Châteaubriant

Une légende qui s’est perpétuée de génération en génération, depuis le xve siècle, à Châteaubriant, a eu pour origine la disparition d’une jeune fille d’une rare beauté, qui fut, dit-on, enfermée dans le couvent des moines de Saint-Sauveur de Béré. Là, après avoir subi le dernier des outrages, elle aurait été assassinée et enterrée dans l’église du couvent.

Cette demoiselle du château du Val, dans la commune d’Auvernay, était fiancée à un gentilhomme sans fortune qui cherchait à se créer une position.

L’abbé de Saint-Sauveur, Eybert de Saint-Herblain, cadet de famille, aussi libertin que mauvais prêtre, avait remarqué la merveilleuse beauté de l’héritière du château du Val et en avait fait part à son ami le seigneur de Retz qui, bien que maréchal de France et ayant combattu à côté de Jeanne d’Arc, commettait dans le pays des crimes tellement atroces que, plus tard, il fut condamné à mourir sur un bûcher.

Afin d’éloigner le fiancé de la jeune fille qu’ils convoitaient, de Saint-Herblain et le seigneur de Retz firent appeler ce gentilhomme à Paris, où il fut chargé d’une affaire assez bien rétribuée, mais qui nécessitait pour un temps assez long sa présence dans la capitale.

Profitant de son absence, ils firent surveiller celle qu’il devait épouser, et un jour qu’elle se promenait sur le bord de la rivière de Chère, songeant sans doute au bien-aimé, elle fut enlevée de force et transportée dans le couvent des moines de Saint-Sauveur, d’où elle n’est jamais sortie.

On assure que son âme, parée des vêtements blancs que portait la jeune fille le jour de sa première communion, et qui rappellent la gracieuse enfant aux longs cheveux blonds, vient le soir prier auprès d’une croix située à Bout-de-Pavé, tandis que l’âme des meurtriers apparaît aux habitants de Béré sous la forme d’un animal étrange, inconnu, glaçant d’effroi ceux qui le rencontrent et qu’on désigne à Châteaubriant sous le nom de Bête de Béré.

De nombreuses personnes dignes de foi, un prêtre, un professeur, des commerçants, des ouvriers, des femmes, des enfants, ont vu le blanc fantôme en prière ou le monstre errant, comme une âme en peine, dans les carrois (carrefours).

Deux vigoureux gaillards, Yvon Gérard et Noël Biton, qui voulurent aller la nuit, lutter contre l’animal fantastique, rentrèrent chez eux ruisselant de sueur, les membres endoloris, la figure méconnaissable, et tous les deux sont morts peu de temps après leur rencontre avec la Bête de Béré.

C’est à l’époque des mois noirs de novembre et de décembre que le monstre se fait voir : Lorsqu’aux rez-de-chaussée des maisons la famille est réunie devant l’âtre et qu’on a oublié de fermer les volets de la fenêtre, tout à coup deux yeux brillants comme des charbons apparaissent derrière les vitres, faisant trembler de peur les femmes et les enfants qui s’écrient : « Ô ciel ! la Bête de Béré ! »

Si l’on ouvre aussitôt la porte, on aperçoit, s’en allant tranquillement dans la rue, un animal inconnu, ressemblant tantôt à un chien, tantôt à un mouton, et même parfois à une chèvre.

M. l’abbé Goudé, qui a publié en 1889, les Histoires et Légendes du pays de Châteaubriant dit à propos de la légende de Béré :

« Si vous demandez à la vieille Marie Gledel ce que c’est que cette bête, elle vous répondra qu’au temps où les moines habitaient le couvent de Saint-Sauveur, une jeune fille entrée chez eux ne reparut plus… Le bruit courut que, pendant une nuit, elle avait été enterrée sous le clocher de l’église… Les ennemis des moines firent circuler dans tout le pays cette incroyable et mystérieuse histoire ; les pères l’apprirent à leurs enfants et voilà comment elle est arrivée jusqu’à nous. »

Mais plus loin, dans ce même ouvrage, le savant et l’archéologue ne pouvant passer sous silence ses découvertes, raconte qu’au mois d’avril 1872, au lieudit le Chêne-Chollet, près le couvent de Saint-Sauveur, des maçons creusant un puits, éventrèrent un souterrain dans lequel il découvrit lui-même, le bon abbé Goudé, des dents d’enfants.

Or, dans ses mandements du 30 juillet et du 13 septembre 1440, l’évêque de Nantes accusa Gilles de Laval des plus abominables excès, de débauches contre nature, d’enlèvement et d’égorgement d’enfants des deux sexes.

On n’ignore pas, d’ailleurs, que les crimes de ce terrible seigneur de Retz inspirèrent à Charles Perrault son conte de Barbe-Bleue.

Le couvent de Saint-Sauveur, après le crime commis sur l’infortunée jeune fille du château du Val, fut abandonné par les moines et, plus tard, des religieuses en prirent possession. Il fut encore, quelque temps avant la Révolution de 1789, le théâtre de scènes scandaleuses dont furent saisis les tribunaux de Rennes.

Le Diable à Teillay

Le marquis de Cœnten-Faô, seigneur de la Roche-Giffart, commit tant de crimes pendant sa vie qu’il devint un objet d’effroi après sa mort. Nul n’osait aller la nuit dans la forêt de Teillay, car l’âme du brigand revenait et revient encore, paraît-il, tantôt à cheval, tantôt en voiture, parfois même à pied, chassant, appelant ses chiens et passant comme l’éclair dans les taillis et sous les futaies.

Ce fantôme apparaît sous toutes les formes, et sert même de monture au diable ainsi que le prouve la légende suivante qu’on raconte à la veillée :

Simon Le Bigre revenait à la nuit noire, du marché de Châteaubriant, lorsqu’il rencontra près de Teillay, attaché à un hallier, un cheval qui l’interpella en ces termes :

— Te souviens-tu, Simon Le Bigre, qu’un jour je te rencontrai sur le bord de l’étang de la Pile ? Je venais de tuer des canards, et il faisait si froid que mon chien refusait d’entrer dans l’eau pour aller les chercher. Sur mon ordre, tu y fus à sa place.

Qu’on juge de la frayeur du pauvre Simon en reconnaissant la voix du défunt marquis et en se rappelant cette aventure, cause de douloureux rhumatismes.

— Je me rappelle bien, dit-il en frissonnant.

— Eh bien ! reprit le cheval, je veux aujourd’hui te rendre service à mon tour.

Écoute bien : Tu vas rencontrer mon maître tout à l’heure. Il va te demander ton couteau. Or, prends garde, c’est le diable, et si tu veux éviter la mort, présente-lui la lame et non le manche.

— Merci bien, balbutia le pauvre homme.

En effet, à cent pas plus loin, il aperçut un monsieur, avec de grandes bottes et des éperons, qui avait une cravache sous le bras.

Le nouveau venu se planta au milieu du chemin et dit d’une voix formidable : — Donne-moi ton couteau.

Simon, tout tremblant, lui présenta la lame de son Eustache. Satan poussa un cri de rage, continua son chemin vers l’endroit où le cheval était attaché en disant : Sale bête ! tu as parlé, gare à toi ! Il enfourcha aussitôt l’animal, et Le Bigre les entendit s’enfoncer comme un ouragan dans la forêt. Les buissons tremblaient, les branches craquaient et les cailloux faisaient feu sous les pieds du cheval, qui filait comme le vent.

Simon Le Bigre s’en alla se coucher, mais il ne dormit guère cette nuit-là.

(Conté par le père Guérin, âgé de 80 ans, garde de la forêt de Teillay.)
La Levrette blanche

Il y avait autrefois, au village de l’Hôtel-aux-Merles, dans la commune de Pancé, un brave homme, nommé José[12] Martin, qui était veuf, et possédait pour toute fortune, une maison et quelques lopins de champs qui lui suffisaient pour élever ses deux fils.

L’aîné, appelé José, comme son père, seconda celui-ci de bonne heure dans les travaux des champs, et lui rendit de véritables services. C’était un garçon laborieux, rangé et économe.

Yaume[13], le jeune, était tout l’opposé de son frère : enfant, il allait marauder avec les petits vagabonds de son âge, voler les pommes dans les courtils et les vergers, dénicher les oiseaux dans les haies et dans les bois. Plus tard, il tendit des collets dans les brousses pour prendre des lièvres et des lapins, qu’il allait vendre au marché de Bain où il dépensait tout son argent avec de mauvais sujets de son espèce.

Le pauvre père Martin, usé par l’âge et les privations, s’en alla un jour rejoindre sa bonne femme, et laissa ses deux gars se disputer son héritage.

José fut le plus mal partagé : il eut la masure du bonhomme et s’en contenta. Le jeune eut les champs et commença par en vendre un, afin de pouvoir continuer sa vie de débauche.

L’aîné épousa une honnête fille de son village, qui lui apporta un joli mobilier et quelques immeubles. Il loua sa maison, les terres de sa femme, et s’en alla comme fermier au Frétay, la plus belle métairie de la paroisse. Comme il était honnête et travailleur, il prospéra dans ses affaires.

Yaume, le mauvais gas, vendit son bien sillon par sillon, et se trouva promptement aussi gueux qu’un rat d’église.

Il jalousait le bonheur de son frère, et n’en parlait que pour dire : « Ce n’est pas étonnant que José soit riche, il a eu non seulement la meilleure part de la succession du père Martin, mais il a encore trouvé, cachées dans un mur de la maison, les éliges[14] du vieux. »

Ses amis, les ivrognes, au lieu de le blâmer, ne firent que l’encourager. À force de mentir, Yaume finit par croire ce qu’il inventait, et se promit bien de nuire à son frère ou de lui jouer quelques mauvais tours. Mais en attendant, il n’avait plus le sou, et ses camarades le fuyaient. Les auberges, où jadis il était si bien accueilli, se fermaient désormais pour lui. Il en conçut un vif dépit, et cherchant le moyen de faire fortune, il essaya de tous les métiers, de tous les commerces, sans jamais réussir.

Le braconnage était encore ce qui lui rapportait le plus d’argent ; mais à ce jeu, il risquait la prison et le fouet, car les seigneurs ne plaisantaient pas.

Une nuit que Yaume était allé tendre ses collets sur le domaine du Plessis-Godard, il réfléchissait au moyen de se procurer des fonds, lorsqu’en passant par un carrefour, où cinq chemins se croisaient, il s’écria dans un moment de désespoir : « Pour cent écus, je me donnerais au diable ! »

— C’est facile, répondit une voix derrière lui. Il se retourna surpris, et aperçut Satan dont les yeux lançaient des éclairs, et dont les cornes, noires et luisantes, brillaient au clair de lune.

Bien qu’il eût désiré être à cent pieds sous terre, et que la sueur lui coulât sur le front, Yaume n’osa fuir ; il s’efforça de prendre un air crâne et dit d’une voix assurée :

— Que veux-tu, compère ?

— Il me semble avoir répondu à ton appel. Voici les cent écus que tu demandes.

Et il fit sonner dans sa main de grosses pièces de six livres. Il n’en fallut pas davantage pour décider le gars.

Cependant lorsque Yaume leva les yeux et qu’il vit Satan rire dans sa barbe, un frisson lui courut dans le dos, et il dit :

— Bien obligé compère ; mais on assure que tu fais payer cher tes services.

— Ceux qui t’ont dit cela n’en savent rien. Ce sont des imbéciles.

— Mais alors, qu’exiges-tu ?

— J’exige que tu viennes ici, chaque année, le premier samedi de l’Avent, à l’heure de minuit.

— Et que m’arrivera-t-il ?

— Je te changerai en levrette blanche pour huit jours.

— Et j’aurai ?

— Dans ta poche autant d’argent que tu pourras en dépenser.

— C’est convenu.

— Tope, dit le diable en tendant sa patte crochue.

Yaume avança timidement la main, et n’eut pas plutôt touché celle de Satan, qu’il jeta un affreux cri de douleur et fut changé en levrette.

Le diable s’en alla, et le grand lévrier se mit à courir comme s’il était possédé du démon.

Pendant huit nuits, — car il n’était visible qu’après le coucher du soleil ; — on ne rencontrait que le malheureux animal qui semblait ne pas avoir une minute d’arrêt.

Il effrayait les femmes et les enfants, jetait par terre les paysans revenant des foires ou des marchés, et s’en allait ravager les jardins et les champs. Son frère surtout fut victime de ses méchancetés.

Les huit jours s’écoulèrent, et la levrette revenue comme par hasard au carrefour, reçut de la part du diable, une si rude volée de coups de bâton, qu’elle resta comme morte sur place.

Pendant son évanouissement, le diable rendit sa forme humaine à Yaume Martin qui se réveilla à l’endroit où son marché avait été conclu huit jours auparavant.

Le failli gars eut toutes les peines du monde à se lever, tant il était meurtri et courbaturé par les coups et la fatigue. Il se traîna misérablement au bourg de Pancé, et y resta plusieurs semaines avant de se rétablir.

Lorsque ses douleurs furent passées, Yaume les oublia dans les cabarets. Dans ses poches les grandes pièces de six livres ne diminuaient point, sonnaient agréablement aux oreilles de tout le monde, et lui procuraient tous les plaisirs qu’il pouvait désirer ou imaginer.

Un soir, en revenant du marché de Bain, il s’arrêta à l’auberge du Château-Gaillard, et n’en sortit que très tard après avoir bu plusieurs pichés de cidre.

Le temps était superbe et la lune éclairait la campagne.

Yaume s’en allait en chantant à tue-tête des chansons impies, lorsqu’il rencontra sur la route un jeune poulain qui vint gambader autour de lui et se faire caresser.

« Tiens, dit le gars, v’là un p’tit ch’va ben docile, j’ai presque envie de l’enfourcher. »

Aussitôt qu’il eut manifesté ce désir, le jeune poulain se mit à genoux devant lui pour permettre à Yaume de le monter plus facilement.

Ce dernier, tout en riant des gentillesses de l’animal, lui grimpa sur le dos. La bête se releva et partit au galop.

Sans être dirigé, le poulain prit de lui-même le petit chemin creux de Pancé, par le bois du Perrin, passa près du menhir de la Pierre-Longue, traversa la chaussée de Quenouard, monta rapidement les rochers de ce nom, et arriva promptement au bourg.

Le cimetière de Pancé, à cette époque, entourait l’église et se trouvait au milieu des maisons.

Une pauvre vieille femme, qui avait perdu son mari quelques jours auparavant, s’était oubliée à prier et à sangloter sur la tombe du défunt. Elle sortait du champ du repos, juste au moment où le cavalier passait, et fit le signe de la croix en terminant son chapelet qu’elle tenait à la main. À ce signe, le poulain se cabra et se déroba sous Yaume qu’il jeta brutalement par terre, le nez sur les cailloux. Tandis que le gars se relevait et secouait la poussière de ses vêtements, il entendit un bruit d’ailes sur sa tête et un ricanement prolongé.

La vieille, épouvantée, se sauva chez elle pendant que Yaume se disait ; « C’est certainement le diable qui vient de me jouer un tour de sa façon. Serait-ce un avertissement ! Que me veut-il ? »

Après avoir réfléchi, il s’aperçut, à son grand désespoir, qu’il était à la veille du premier samedi de l’Avent.

Cette découverte le bouleversa, lui donna des cauchemars toute la nuit. Le lendemain il eut la fièvre et resta au lit à trembler de peur.

Que faire ? Reculer ? Oh ! non, le diable saurait bien le trouver. Il était plus prudent d’aller au rendez-vous que d’encourir la colère de Satan.

Il attendit jusqu’à la dernière minute, jusqu’au dernier moment ; mais enfin il s’y rendit. Le diable était là qui lui reprocha son peu d’empressement à le venir voir, et lui demanda s’il n’était pas content, s’il avait à se plaindre, s’il avait manqué d’argent, etc. Sur la réponse négative de Yaume, il ajouta d’un ton courroucé : « Alors, fallait venir plus tôt. » Et il administra sa correction habituelle au pauvre gars qui perdit bientôt connaissance et fut changé en levrette.

La métamorphose accomplie, l’animal s’en alla dans le jardin de José Martin pour recommencer à arracher les légumes, à manger les fruits et à briser les fleurs. Il continua ainsi plusieurs nuits.

Le fermier du Frétay, furieux, indigné, ne put se contenir plus longtemps ; il chargea son fusil et poursuivit la méchante bête.

Cette levrette lui fit faire des courses échevelées au clair de lune. Quand elle le voyait fatigué et prêt à l’abandonner, elle s’arrêtait devant lui, se mettait sur le derrière en montrant les dents comme pour rire. Alors José ajustait le chien qui recevait la charge presque à bout portant sans avoir aucun mal. Néanmoins il s’amusait à faire la culbute et à rester étendu sans mouvement. Le chasseur se précipitait vers l’animal croyant l’avoir tué ; celui-ci se relevait prestement, en causant une peur effroyable à José, autour duquel il tournait jusqu’à ce que d’un coup de gueule, il lui eût emporté le fond de son pantalon. Bienheureux encore lorsqu’il n’emportait que la chemise. Après cela, il s’en allait ricaner derrière une haie.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, José consulta un vieil ermite qui habitait une grotte que l’on voit encore aujourd’hui sur la rive gauche du Semnon, dans un rocher situé en face de la propriété du Plessis-Godard, et qui est appelée la grotte aux loups.

Le solitaire lui dit après avoir lu dans un vieux livre :

« Tu as affaire au malin esprit, et tu ne te débarrasseras de cette maudite levrette qu’en suivant les conseils que je vais te donner.

» Voici de gros boutons de plomb qui ont été jadis sur l’habit de chasse de saint Hubert ; tu les feras bénir par le recteur de la paroisse, tu les mettras dans ton fusil en guise de balles, et lorsque tu verras l’animal au clair de lune, au lieu de l’ajuster en plein corps, comme tu as fait jusqu’ici, tu tireras sur son ombre. Je ne doute pas que tu réussisses. »

José remercia le saint homme, lui fit sa petite offrande, et s’en alla faire bénir les boutons par le recteur de Pancé.

Le soir venu, il attendit son ennemi de pied ferme.

À onze heures, la levrette arriva. Elle brisa les choux du jardin sur son passage, et vint s’asseoir au milieu d’un carré de salades en face de la maison, le nez tourné vers la porte.

Le fermier, cette fois, s’était caché dans le grenier, et profita, pour faire feu, du moment où la bête était immobile, et où son corps éclairé par la lune, projetait une ombre énorme.

Un cri affreux se fit entendre.

Il descendit aussitôt et courut au jardin. Il trouva à la place de la levrette, son malheureux frère baigné dans son sang.

Il était minuit, et le huitième jour, depuis la métamorphose, venait d’expirer.

José s’arrachait les cheveux. Il appelait au secours, il pleurait, il sanglotait.

Tout le monde de la ferme fut debout dans un instant.

Les uns transportèrent le blessé dans un lit pendant que les autres couraient chercher le prêtre.

En voyant le malheureux garçon, le recteur de Pancé reconnut que Yaume n’avait plus que quelques instants à vivre, et lui demanda s’il voulait recevoir les secours de la religion, se repentir de sa conduite passée, et mourir en chrétien. Sur un signe affirmatif du moribond, les assistants se retirèrent. Yaume se confessa, reçut les derniers sacrements et mourut en tenant la main du prêtre et celle de son frère.

Le diable caché dans un coin, poussa un cri de rage, en voyant cette âme lui échapper, et se sauva par la cheminée, quand le prêtre, en l’apercevant, l’aspergea d’eau bénite.

(Conté par la mère Bouillaud, fermière au Fretay en Pancé.)

  1. « À travers haies et buissons
    « Nous trouverons les autres où ils seront. »
  2. Grand bassin de cuivre.
  3. Vue trouble, voir des beluettes, des étincelles.
  4. Coureur.
  5. Nom donné à une race de chevaux de lande qui ont à peu près disparu, et qui autrefois étaient nombreux dans le canton de Guichen.
  6. Couvert de boue.
  7. Jarretière.
  8. Je t’attraperai.
  9. Irez-vous encore.
  10. Sortirent de l’eau.
  11. Piétiner.
  12. Joseph.
  13. Diminutif de Guillaume.
  14. Économies.