Des Fleurs de bonne volonté/Figurez-vous un peu

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Des Fleurs de bonne volontéMercure de FranceII. Poésies (p. 135-136).

II

FIGUREZ-VOUS UN PEU

Oh ! qu’une, d’Elle-même, un beau soir, sût venir,
Ne voyant que boire à Mes Lèvres ! ou mourir…

Je m’enlève rien que d’y penser ! Quel baptême
De gloire intrinsèque, attirer un « Je vous aime » !

(L’attirer à travers la société, de loin,
Comme l’aimant la foudre ; un’, deux ! ni plus, ni moins.)

Je t’aime ! comprend-on ? Pour moi tu n’es pas comme
Les autres ; jusqu’ici c’était des messieurs, l’Homme…

Ta bouche me fait baisser les yeux ! et ton port
Me transporte ! (et je m’en découvre des trésors…)


Et c’est ma destinée incurable et dernière
D’épier un battement à moi de tes paupières !

Oh ! je ne songe pas au reste ! J’attendrai,
Dans la simplicité de ma vie faite exprès…

Te dirai-je au moins que depuis des nuits je pleure,
Et que mes parents ont bien peur que je n’en meure ?…

Je pleure dans des coins ; je n’ai plus goût à rien ;
Oh ! j’ai tant pleuré, dimanche, en mon paroissien !

Tu me demandes pourquoi Toi ? et non un autre…
Je ne sais ; mais c’est bien Toi, et point un autre !

J’en suis sûre comme du vide de mon cœur,
Et… comme de votre air mortellement moqueur…

— Ainsi, elle viendrait, évadée, demi morte,
Se rouler sur le paillasson qu’est à ma porte !

Ainsi, elle viendrait à Moi ! les yeux bien fous
Et elle me suivrait avec cet air partout !