Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Façade occidentale

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Façade occidentale.

Aucune de nos grandes cathédrales ne possède une façade plus monumentale, plus majestueuse que celle de Notre-Dame de Paris. On peut dire que le XIIIe siècle, cette époque empreinte de tant de puissance et d’originalité, s’est représenté lui-même dans ce merveilleux portail. D’abord, les vastes proportions de l’ensemble absorbent toute l’attention et commandent le respect. Cette masse vigoureuse inspire, suivant l’énergique expression d’un de nos devanciers, une sorte de terreur religieuse à ceux qui la contemplent, mole sua terrorem incutit spectantibus.

Puis, quand on passe à l’étude de tous les détails, on se sent à la fois surpris et charmé de rencontrer auprès de tant de force, tant de délicatesse dans l’ornementation, tant de finesse dans la sculpture, tant d’ingénieuse recherche dans la composition et dans l’arrangement des figures et des bas-reliefs.

La façade se divise en trois parties dans sa largeur, et en quatre étages dans son élévation. Les deux tours qui l’accompagnent, la dépassent encore d’une hauteur considérable. Quatre contreforts en dessinent les grandes divisions verticales et marquent en même temps, à partir du sol, la largeur de chaque tour, ainsi que celle des collatéraux de la nef.

Trois larges portes ogivales, partagées chacune en deux baies carrées par un pilier-trumeau, et surmontées de tympans sculptés, s’ouvrent sous des voussures profondes, toutes peuplées de figures. Longtemps on a cru que ces portes étaient jadis précédées d’un perron de treize degrés, dont le massif aurait formé pour la façade un admirable soubassement. Les fouilles de 1847 ont démontré jusqu’à l’évidence que jamais il n’en avait été ainsi. Il est probable que ces marches, dont la plupart des auteurs anciens parlent sans cependant les avoir vues, existaient du côté du logis épiscopal, non dans l’axe de la façade, mais sur le côté de la tour du sud, et qu’elles descendaient vers la rivière. Aujourd’hui on entre à peu près de plain-pied du parvis dans l’église.

Sur chacun des quatre grands contreforts, à la hauteur où les voussures des portes commencent à se courber, on remarque une niche plate formée de deux colonnes que surmonte une triple ogive, avec entablement composé de tourelles et de petits châteaux. Deux niches semblables se trouvent en retour d’équerre, une à chaque bout de la façade. Elles contenaient en tout six figures, dont il ne reste plus que des silhouettes mutilées. On sait que dans celles du mur de face les figures représentaient saint Étienne vers le cloître, saint Denis vers l’évêché, et, dans le milieu, deux femmes couronnées. La plupart de nos prédécesseurs ont cru que ces dernières étaient la Religion et la Foi. Mais nous considérons comme certain qu’on devait y voir les personnifications de l’Église et de la Synagogue, l’une fière et triomphante, l’autre humiliée et vaincue ; l’une, la tête haute et le regard fixé sur le Christ, l’autre, le visage baissé et les yeux couverts d’un bandeau ; l’une, coiffée d’un diadème, tenant élevés la croix et le calice, l’autre, laissant tomber à la fois sa couronne, les tables de la loi et son étendard brisé pour toujours. Les sculpteurs et les verriers du moyen âge affectionnaient ce beau motif. On en trouve des exemples notables à Saint-Denis, à Chartres, à Reims, à Bourges, à Lyon et dans la plupart de nos églises importantes des XIIIe et XIVe siècles.

Une double rangée de feuillages, prolongée horizontalement dans tout le travers de la façade, sépare l’étage inférieur de la galerie des rois. Cette galerie se compose de vingt-huit arcs trilobés, garnis de boutons à l’archivolte, et surmontés de bastilles ; ils ont pour appuis des colonnes coiffées d’excellents chapiteaux à crochets. Vingt-quatre de ces arceaux sont complétement ouverts, tandis que les quatre autres ne sont qu’appliqués sur les contreforts ; il y en a quatre de plus en retour, deux à chaque extrémité du portail. Là se trouvaient vingt-huit effigies royales, dont nous aurons à parler plus en détail dans la description des sculptures. En arrière de l’arcature, il existe un passage qui traverse l’épaisseur des contreforts. L’enlèvement des statues y laisse à découvert des baies carrées, dont l’architrave repose sur des impostes d’un style sévère. Un plafond de pierre l’abrite. Il faut parcourir cette galerie, dont la structure intérieure est aussi étrange que solide. Au-dessus de la galerie des rois, s’étend celle de la Vierge, terrasse à ciel ouvert, bordée d’une balustrade à jour. Le XIVe siècle, sur son déclin, avait refait cette rampe dans un style qui s’éloignait beaucoup du dessin primitif ; elle vient d’être rétablie en entier, d’après quelques parties anciennes qui étaient restées en application sur les contreforts. Elle consiste en une nombreuse série de petits arcs, la plupart en ogives, quelques-uns cintrés, tous accompagnés de colonnettes, décorés à l’archivolte de pointes de diamant. La devanture cache des socles sur lesquels ont été posés, au mois d’août 1854, cinq grandes statues de pierre, exécutées par MM. Geoffroy Dechaume, Chenillon, Toussaint, Pascal et Fromanger : Adam[1] à la tour du nord, Ève à celle du midi, et dans le milieu, en avant de la rose, la Vierge portant le Christ, entre deux anges qui tiennent des chandeliers. C’est en résumé la chute et la rédemption.

Nous sommes parvenus au troisième étage du portail. À chaque tour, deux larges baies, comprises sous une même ogive, avec une rose feinte dans le tympan, éclairent de vastes salles intérieures. Au centre, s’épanouit la rose qui illumine toute la partie antérieure de la nef. Un arc cintré, soutenu par des colonnettes, lui sert d’encadrement, et un double cordon torique en suit tout le pourtour. Un premier rang de douze petits arcs trilobés s’y développe autour d’un compartiment circulaire garni de redents ; une seconde rangée, tangente à la circonférence, compte un nombre double de baies semblables aux premières. Toute cette arcature à jour a ses colonnettes et ses chapiteaux. Les baies du troisième étage sont toutes enrichies de moulures, de fleurons, de crochets, de consoles historiées. De grands trèfles fleuronnés remplissent les angles des espaces carrés, dans le champ desquels s’ouvrent les baies des tours et la rose médiane. Un entablement feuillagé couronne cette troisième partie de la façade.

Ici les tours commencent à se détacher de la masse. Mais une arcature à jour, un pont hardiment jeté sur l’abîme, les relie encore l’une à l’autre, et forme la transition entre la partie pleine du portail et la séparation absolue des deux clochers. Cette arcature, haute et légère, se compose d’ogives géminées, avec colonnettes en faisceaux pour supports, et trèfles percés dans les tympans. Suspendue entre les tours, elle va se prolonger ensuite sur leurs parois et les enveloppe d’une brillante galerie. Respectant les contreforts qui lui font obstacle, elle laisse seulement sur les parements de leurs piles l’empreinte de son passage. À son sommet elle porte une balustrade découpée en quatrefeuilles, à tous les angles de laquelle sont venus percher des oiseaux, s’accroupir des démons et des monstres. Ces pittoresques figures viennent d’être rétablies ; les anciennes n’existaient plus ; mais quelques-unes, en tombant, avaient laissé leurs pattes attachées à la pierre.

Façade occidentale de Notre-Dame de Paris.

  1. L’ancienne statue d’Adam, ouvrage du XIVe siècle, se trouve aujourd’hui dans les magasins de l’église Saint-Denis, où elle a été portée avec un grand nombre d’autres sculptures provenant du musée supprimé des Petits-Augustins. C’est une figure entièrement nue, d’un travail fort curieux ; elle a subi quelques mutilations, surtout dans les jambes.