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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Criticisme kantien

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 375-388).

CRITICISME KANTIEN.

Article I. Exposé du criticisme.

Les deux sens du mot criticisme.

La Métaphysique. Esthétique transcendantale.

Analytique transcendantale. Dialectique transcendantale.

La Morale. Le problème. Première formule de l’impératif moral. Deu.vième formule : les fins en soi. Troisième formule : Vautonomie. L’objectivité du devoir.

La Métaphysique morale. Le primat de la volonté, f.a foi. Les postulats de la raison. Lm foi et la science.

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CPJTICISME KANTIEN

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La religion.

L’esprit du kantisme.

Article IL Examen du criticisme.

Le kantisme et l’orthodoxie.

Le criticisme théorique. Les erreurs fondamentales qugements synthétiques a priori, antinomies, choses en soi). Les points secondaires.

Le criticisme moral.

Les erreurs fondamentales. Les points secondaires.

Le criticisme jugé par ses conséquences.

Conclusion.

Littérature.

Abréviations :

Crii.* = Critique de la raison pure, trRd. Tremesay gues et Pacaud, Paris, Alcan, igoô. Crit.^^ Critique de la raison pratique, trad. Picavet,

Paris, Alcan, 1888.

Prol. = Prolégomènes à toute métaphysique future,

trad. nouvelle, Paris, Hachette, 1891. Fond. = Fondements de la métaphysique des mœurs,

trad. V. Delbos, Paris, Delagrave, 1907.

Article premier : Exposé du criticisme.

Les deux sens du mot Criticisme.

Rompant avec la théorie scolasticjue de la perception, la philosophie post-cartésienne avait presque universellement admis que nos sens ne nous renseignent immédiatement que sur la façon dont ils sont affectés. Dès lors le problème se posait, en droit, de la relation qui existe entre les impressions produites en nous par les choses et les choses elles-mêmes, c’est-à-dire, pour employer déjà les termes de Kant, entre ce qui apparaît, le phénomène (f(/.tvdy.£voj), et ce qui est mais n’apparait point, la chose en soi, le noumène {voo’j/j.svo-j’). Le phénomène ressemble-t-il au noumène, du moins peut-il conduire à une connaissance du noumène ? telle est la forme la plus simplifiée sous laquelle se présente Vidée critique. — De ce point de vue, le Criticisme est donc un problème : la raison est mise en demeure de se prononcer, avant toute spéculation, sur la portée métaphysique de ses pouvoirs ou, ce qui revient au même, sur sa propre compétence à parler de réalités placées en dehors de l’expérience, c’est-à-dire en dehors de l’intuition sensible, actuelle ou possible.

Mais le criticisme a un autre sens : il désigne aussi une doctrine : c’est alors la solution particulière donnée par Kant au problème susdit. Nous examinons ici le criticisme comme doctrine.

La Métaphysique.

Le point de départ de Kant est, en un sens, délibérément celui d’un dogmatiste. Admirateur de J.-J. Rousseau et de Newton, il ne songe pas à mettre en doute la réalité dudeA’oir ni l’objectivité de la science : ce sont là pour lui deux faits qu’aucune doctrine ne saurait ébranler sans se condamner. Il admet donc la valeur de la raison. Mais il croit s’apercevoir qu’on ne peut sans danger se fier à toutes ses démarches : admirable tant qu’elle travaille sur les données sensibles, la raison tombe dans des contradictions quand elle se risque au delà de l’expérience (Prol., p. 33 ; voir dans la Critique * tout ce qui concerne les antinomies). D’où vient cette différence de succès dans les procédés d’une même faculté ^ ? C’est sans doute,

1. Le mol « faculté » est pris ici pour désigner simplement

« un ensemble de phénomènes homogènes « , Pas plus

que la distinction de la sensibilité, de l’entendement et de la raison, cette terminologie kantienne n’a une portée métaphysique.

pense Kant, que la raison ne trouve pas également dans tous les domaines les conditions qui rendent son exercice légitime : le meilleur des instruments fonctionne de travers quand on le détourne de son usage. — Mais alors, si l’on veut éclaircir une fois pour toutes les droits de la Métaphysique à se présenter comme science, une tâche s’impose : il faut pousser l’examen plus loin qu’on n’a fait encore et, au lieu de s’attacher au contenu de la connaissance, remonter jusqu’à ses conditions. Telle est l’œuvre que se proposera Kant. Cette enquête d’un genre tout nouveau mérite un nom spécial : ill’appelle transcendantaleK {Prol., p. 2^5, 80 ; Crit.*, p. 56.)

Le procédé. — Il reste à décoinrir un procédé commode pour organiser la recherche et même pour l’instituer d’une manière concrète : Kant pense le trouver dans les fameux jugements synthétiques a priori.

L’esprit porte deux sortes de jugements, les uns analytiques, c’est-à-dire tels que le prédicat est contenu dans la notion du sujet, par exemple : les corps sont étendus ; ces jugements offrent peu d’intérêt, ils n’enrichissent pas la connaissance (Crit. p. 46 sq.) ; les autres, synthétiques, c’est-à-dire tels que le prédicat ajoute une détermination nom’elle à la notion du sujet, par exemple : le sucre est doux. — Mais il y a plus ; Kant croit reconnaître parmi ces derniers jugements des propositions universelles et nécessaires ; il en signale qui relèvent de la Mathématique :

« La ligne droite est la plus courte entre deux points » 

(Crit.^, p. 51), — de la Physique : « Dans tous les changements du monde coi-porel, la quantité de matière reste la même >> (ibid.), — de la Métaphysique :

« Tout ce qui commence a une cause » (ibid., p. 52).

C’est là, pense-t-il, un fait remarquable ; car tant qu’il s’agit de jugements synthétiques particuliers et contingents, il est aisé d’en assigner le fondement ou la raison : si on lie à un sujet un attribut que sa simple notion ne contient pas, c’est parce que l’expérience montre la connexion réalisée, la synthèse faite. Mais ici sur quoi s’appuie-t-on ? Ce ne peut être sur l’expérience, car celle-ci n’offre jamais que des cas singuliers ; de plus, elle dit ce qui est, non ce qu’il est nécessaire qui soit ; c’est donc sur autre chose, = X. (Crit.^, p. 48 ; cf. Prol., p. 84 sqq. ; rapprocher Crit.’-, p. 16 sq.) Or ces jugements synthétiques, qu’on peut appeler a priori pour signifier qu’ils n’ont pas leur raison dans l’expérience, forment le contenu même du savoir, puisque le savoir a pour objet, et objet unique, l’universel et le nécessaire. Dès lors, la question qui se posait tout à l’heure en termes encore abstraits et vagues peut se formuler d’une manière plus précise : rechercher les conditions de la connaissance revient à se demander comment sont possibles des jugements synthétiques a priori.

C’est en effet par ce biais que Kant abordera son enquête, et voici comme il la conduira : estimant posséder dans la Mathématique et dans la Physique des jugements synthétiques a priori d’une valeur incontestable et incontestée (Crit.*, p. 53 ; Prol., p. 85), c’est à ces jugements qu’il s’attachera pour remonter analytiquement aux Conditions d’une connaissance a priori en général. L’Esthétique transcendantale étudiera les propositions de la Mathématique (science à intuition, « (VôyjTt ?) ; l’Analytique transcendantale, celles de la Physique (science à concepts). Il ne restera

1. Par extension on appellera aussi de ce nom le résultat de la recherche. Ainsi est transcendantal, dans la langue de Kant, « ce qui, antérieur à la connaissance, rend la connaissance possible ». Par contre, est dit transcendant, ce qui ne peut tomber sous l’expérience immédiate ; le mot est donc synonyme de « métaphysique ». 73 :

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plus qu'à s’assurer si la Métaphysique vériûe les conditions trouvées (Dialectique transcendantale).

Esthétique transcendantale. — La Mathématique se compose de la géométrie, qui traite des déterminations de l’espace, et de l’arithmétique dont on pourrait montrer que, se fondant sur la notion de nombre, c’est-à-dire de succession, elle a pour objet les déterminations du temps. Kant se demande comment il se peut faire que les jugements synthétiques de ces deux sciences, quoique a priori, échappent aux démentis de l’expérience, se vérilient en elle, soient X objectifs ». — Si l’on pose d’un côté l’esprit, de l’autre une chose en soi, la question est insoluble ; on ne Aoit pas en effet pourquoi les choses obéiraient aux exigences de la pensée, à moins de supposer une harmonie préétablie entre elles et l’esprit, ce qui est un deus ex machina (Lettre à Herz, 21 févr. 1772). Mais on sait que la perception sensible n’atteint immédiatement que les phénomènes (voir supra, col. 735 ; Crit.*, j). 353, etc.) ; ce cjue nous appelons un objet ^ n’est rien autre qu’une certaine synthèse de sensations. Or, il faut dans un objet de ce genre distinguer deux éléments constitutifs, car nous avons en lui le résultat d’une collaboration où la chose en soi et le sujet peuvent chacun revendiquer leur part. Appelons avec Kant, par un souvenir d’Aristote, matière du phénomène ce qui vient de la chose en soi, et forme, ce qui est dû à l’action de l’esprit. Dans ces conditions, il existe un moyen — et un seul — de répondre à la question posée : il suffît en effet que l’esprit, dans ses jugements, se restreigne à la forme des phénomènes, c’est-à-dire à ce qu’il apporte luimême, à ce qui est sa contribution propre, pour qu’il puisse en spéculer d’avance et en juger a priori ; mais s’il en est ainsi, pour expliciuer le paradoxe de la Mathématique et justifier en droit les jugements qu’elle porte a priori sui* les déterminations de l’espace et du temps, il n y a qu'à reconnaître dans l’espace et dans le temps les formes respectives des phénomènes extérieurs et intérieurs, c’est-à-dire l’apport de la sensibilité elle-même ; ce qui reste, la sensation, mais la sensation brute, sera la matière. C’est à ce parti que se résout Kant, estimant qu’il n’y a pas d’autre moyen d’assigner à ce qu’il considère comme un fait sa raison nécessaire et sutRsante. {Crit.^, p. 68 sqq. ; etc.)

Suivant cette conception, il faut dire que les impressions reçues par la sensibilité — et provoquées par l’action des choses en soi (Crit.*, p. 3g sq., 63), nous sont d’abord données inétenducs et in temporelles ; c’est l’activité subjective pré-consciente, ou transcendantale, qui les développe spontanément (suivant des lois propres, identiques chez tous les hommes) dans l’espace et dans la durée. Alors seulement la conscience empiriijue, individuelle, en prend connaissance ; naïvement, elle croit se trouver en présence d’objets bruts, mais en fait, la Nature (=z ensemble des phénomènes) est en partie l'œuvre de l’esprit, elle porte son empreinte et lui reflète ses propres lois.

A la preuve qu’on vient de voir et qui mérite seule lenom de transcendantale, Kant ajoute d’autres arguments, tendant à démontrer directement quel’espace elle temps sonll>ienrt priori (Crit.^, i).66s<jq. ; 72 sqq.). La conclusion de rEsthétique transcendanlale n’est pas seulement quc l’impression sensible, sous peine de n'être jamais connue ou, ce qui revient au même, de n'être jamais un ol/Jet, devra se prêter à l'élaboration de l’activité subjective, se laisser informer à l’image de l’esprit ; ce n’est pas seulement que l’espace

1. Le mol objet a deux sens : phénomène et cliose en soi ; on l’emploiera toujours désormais dans le premier sens (voir CritJ, p. 28, 71 sq. surtout 82 et 83).

et le temps ne sont pas « des qualités réelles inhérentes aux choses en soi » (Prol., p. 63), mais une fonction de la sensibilité et un accommodement des phénomènes ; c’est encore et surtout que les jugements synthétiques a priori de la Mathématique n’ont de sens et ne peuvent avoir de valeur que lorsqu’ils se bornent aux objets de l’intuition sensible actuelle ou possible (Crit.^, p. 89). Ainsi, du point de vue de la sensibilité, on ne peut rien savoir des choses en soi, — si ce n’est qu’elles sont : « Pour apparaître, il faut être. » (Crit. p. 27.)

Analytique transcendantale. — Il existe une Physique pure, c’est-à-dire une science « qui présente fi priori et avec toute la nécessité requise pour les propositions apodictiques, les lois auxquelles la nature est soumise » (Prol., p. 85). Elle est composée de jugements synthétiques tels que ceux-ci : dans les changements, quelque chose demeure (principe de la permanence ou de la substance, Crit.*, p. 206 sqq.) ; ce qui arrive dans l’expérience a une cause (principe de la production ou de causalité, Crit.*, p. 2Il sqq.). On a donc le droit d’admettre comme existant tout ce que de pareils jugements supposent pour être légitimes. Mais quand on essaie de remonter à la soiirce de leur possibilité, quand on se demande à quel titre l’esprit peut porter sur le monde de l’expérience des jugements qui ne se bornent pas à énoncer un fait, mais qui, une fois pour toutes, formulent une loi que les événements futurs véi-ifient, on se trouve acculé à un dilemme ; car cet accord des lois de l’entendement avec celles de la nature ne peut se produire que pour deux raisons : c’est que la connaissance emprunte à la nature les lois qu’elle proclame (= le sujet est soumis à l’objet), ou que la nature est conditionnée par la connaissance (= l’objet est soumis au sujet). Crit.*, p. 123 sqq. ; Prol., p. 134 sq.

Crusius seul connaissait un troisième terme : <> un esprit qui ne peut ni se tromper ni nous tromper, aurait dès l’origine imprimé en nous ces lois de la nature » ; mais c’est une solution troj} simple, et l’on ne pourrait en ce cas, dit Kant, discerner ce qui vient de l’esprit de vérité et ce qui vient de l’esprit de mensonge (Prol, p. 134sq. ; voir encore une autre raison, Crit.^, p. 168).

Des deux hypothèses qui restent en présence, la première est contradictoire, par définition, puisqu’il s’agit de jugements a priori : force est donc bien d’admettre la seconde. Kant conclut : « c’est un principe — et si étrangement qu’il sonne d’abord à l’oreille, il n’en est pas moins certain — que l’entendement n’emprunte pas à la nature ses lois a priori, il les lui prescrit » (Prol., p. 135). — Telle est l’essence de la fameuse « déduction transcendantale ».

Kant ne veut pas dire par là que pour établir les lois de la nature on puisse toujours se passer de l’observation ; sa thèse ne vise que les lois les plus générales : tout ce qui est nécessaire pour vérifier les conditions de la connaissance peut être atrirmé a priori, mais c’est cela seul ([ui peut l'être. Vouloir anticiper non seulement la forme mais le contenu de l’expérience serait une entreprise contradictoire (Crit.^, 2' éd., p. 166 sqq. ; Prol., p. 132). — Ajoutons encore que ce n’est pas à l’esprit individuel que Kant attribue la qualité de législateur ; il en fait l’apanage de la nature humaine en général : celle-ci est, par sa constitution même, la source de la nécessité qui s’imprime sur les phénomènes, l’organisatrice de la nature qui s’impose ensuite à la conscience'.

1. Il faut distinguer une double application des catégories : a) préconscienle, mécanique, tra.iscendanlule ; b) consciente, réacchie, cnipirir/ue.

Par la première, on constitue l’objet ; par la seconde,

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Du coup, la notion d’objectivité est transformée : mérite d’être appelé objectif, ce qui vaut pour tous et pour chacun, ce qui est universel et nécessaire ; la subjectivité est la cause et la gai*antie de l’objectivité {Crit. S p. 167 sqq. ; ProL, p. 92 sq. ; 189 sq.) Après avoir au par quel raisonnement Kant arrive à suspendre la nature à l’esprit, il y aurait à étudier comment il s’efforce d’expliquer le mécanisme même de cette dépendance : c’est l’objet de la théorie du schématisme. Celle-ci a pour but de montrer comment certaines fonctions unificatrices de l’esprit (= : ^ catégories ) entrent enjeu, — quelle préparation ont du subir les impressions sensibles (même après que, sous l’action des formes, elles ont acquis de participer à l’étendue et à la durée) pour être accessibles à une élaboration ultérieure et apparaître enfin, devant la conscience, comme phénomène, c’est-à-dire comme objet. Mais toute cette machination transcendantale, aujourd’hui à peu près discréditée parmi les adeptes mêmes du Kantisme, nous intéresse peu ici. Directement, le succès ou l’insuccès du schématisme tel que Kant l’a construit, ne fait rien pour ou contre la position doctrinale qui a rendu un schématisme nécessaire’.

Une grande conséquence doit ressortir de l’Analytique ; on peut la formuler en deux thèses complémentaires :

a) La science, c’est-à-dire la connaissance, est nécessairement limitée à l’expérience actuelle ou possiljle. Son objectivité venant de ce que l’esprit lui-même pose les conditions de l’apparition des phénomènes, cette objectivité cesse dès qu’il s’agit des

« choses », lesquelles n’apparaissent pas, ne peuvent

apparaître. Ainsi l’on trouve tout à la fois ce qui garantit la science et ce qui la limite.

b) La métaphysique, s’occupant de ce qui n’apparaît pas, n’est pas une connaissance objective. On doit même dire qu’elle n’est pas une connaissance du tout : une connaissance implique un objet ; or on a vu qu’un objet est le résultat d’une fusion de Y intuition fournie par la sensibilité et du concept fourni par l’entendement ; mais la métaphysique, par définition, se prive de toute intuition sensible : elle reste donc en face de simples concepts. — La raison croit spéculer sur l’Etre, mais elle spécule sur ses propres « idées » ; ses démarches sont dialectiques, ce qui, chez Kant, signifie illusoires (Cr/L’, p. 291).

Dialectique transcendantale. — Si les conclusions de l’Analytique sont vraies, on doit pouvoir, pense Kant, les corroborer par une étude directe de la Métaphysique. Pour cela il n’y a qu’à dresser la table complète des « idées » où la raison aboutit quand elle pousse ses « concepts » au delà de l’intuition (usage transcendant), et à en faire la critique. Ces idées sont au nombre de trois : celle du moi, celle du monde, celle de Dieu. En d’autres termes, la Métaphysique comprend une psychologie, une cosmologie et une théodicée rationnelles, qu’il faut examiner successivement.

a) Psychologie rationnelle (Crit.*, p. 821 à 3’j6 ; ProL, p. 162 sqq.). — Nous parlons couramment du moi, et en un sens nous faisotis bien ; c’est là, pense Kant, une réalité indéniable (v. Cril. 2= éd., p. 158 ; i^*-’éd., p. 346 et 88). Mais il faut tout de suite reconnaître que l’expression est équivoque. Nous avons

on le connaît. La vérité consiste dans la coïncidence de ces deux usages de la raison. L’erreur vient de l’action perturbatrice de la sensibilité [Crit. l, p. 291 sqq.).

1. Cf. pour compléter l’exposilion de l’Analytique, et du Schématisme en jiarticulier, l’article : La ihcorie de Vexptrience d’après Kant, par A. Vale.nsin, dans la Reçue de Philosophie, juillet 1908.

appris par l’Esthétique transcendantale que les phénomènes intérieurs nous apparaissent sous la forme du temps, étirés pour ainsi dire dans la durée : ainsi, le moi ne s’apparaît jîas à lui-même comme il est en soi, dans son essence métaphysique, dans son existence nouménale, mais comme moi empirique (Crit.’, p. 162, 86 ; crit.’^, p. 6 et 7). C’est de ce moi-là que parle le sens commun. Mais du moi pur, que savons-nous, que pouvons-nous savoir ? une chose seulement, et c’est négatif : c’est qu’il est la condition de la connaissance, son supposé nécessaire. Est-ilune substance, nel’est-il pas, est-il matériel ou spii’ituel, mortel ou immortel ? Autant de questions auxquelles, suivant Kant, il est impossible de répondre, car ni l’analyse ni l’expérience ne sauraient nous renseigner. D’une part en effet on ne peut extraire de la notion de « condition » celle de « substance », puisque ces deux notions sont adéquatement distinctes ; mais d’autre part on ne peut davantage espérer se donner l’intuition du moi pur, puisqu’il ne saurait y avoir d’intuition en dehors des lois mêmes de l’intuition (espace et temps).

Mais si nous ne pouvons arriver, lorsqu’il s’agit du moi, à la notion de substance, a fortiori et en conséquence ne pouvons-nous parvenir à en déterminer légitimement les autres attributs, puisqu’ils supposent la substance : une déduction de ce genre est donc toute verbale. C’est de ce point de vue que Kant critique les arguments classiques pour la substantialité, la simplicité et la personnalité du moi ; — ce sont-là, dit-il, autant de pai-alogismes transcendantaux.

b) Cosmologie rationnelle (Crit.^, p. 3’; 6 sqq. ; ProL, p. l’ji sqq.). — La raison, s’exerçant sur l’idée du monde, démontre rigoureusement, à l’aide de principes universellement reconnus, des thèses contradictoires, ou antinomies.

i""" antinomie (Crit.*, p. 388 sqq.). Thèse : Le monde a un commencement dans le temps et est limité dans l’espace.

Preuve : Si le monde n’a pas commencé dans le temps, il faut admettre que le moment présent a été précédé par une série infinie de phénomènes, actuellement achevée ; ce qui est contradictoire (Démonstration analogue pour l’espace).

Antithèse : Le monde n’a ni commencement dans le temps ni limite dans l’espace.

Preuve : Ce qui se pi-oduit dans le temps est nécessairement daté, c’est-à-dire situé dans vine série par rapport à des événements antérieurs. Mais le commencement du monde ne peut être daté que par rapport à un temps vide (= : o) ; c’est dire qu’il n’est pas daté du tout ; il ne s’est donc jamais produit et le monde n’a pas commencé (Dém. analogue pour l’espace).

2° antinomie (ib. p. 894 sqq.). Thèse : Toute substance composée est composée de parties simples, et il n’existe rien qui ne soit simple ou composé de parties simples.

Preuve : S’il n’en était pas ainsi, supprimez par la pensée toute composition, il ne reste rien, ce qui est absurde.

Antithèse : Nul composé ne consiste en parties simples et il n existe rien de simple dans le monde.

Preuve : Il est de l’essence de l’étendue d’être indéfiniment divisible ; et comme les substances sont étendues, elles sont donc indéfinimevt divisibles ; mais rien de ce qui est divisible n’est simple ; donc…

3° antinomie (ib. p. /Joo sqq.). Thèse : Il faut nécessairement admettre pour expliquer le monde une causalité libre.

Preuve : Autrement l’on n’arrive jamais à une cause première, ce qui est absurde.

Antithèse : L’ne causalité libre est inadmissible. 741

CRITICISxME KANTIEN

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Preuve : Une cause qui, à un moment, se déterminerait à agir sans que cette détermination ait sa raison d’être au moins dans un état antérieur et ainsi de suite, serait un démenti formel au principe de causalité, sur lequel on s’appuie.

4e antinomie (ib., p. 406 sqq.). Thèse : Au monde sensible se rapporte, soit comme sa partie, soit comme sa cause, un être nécessaire.

Preuve : La série des phénomènes est contingente ; Donc…

Antithèse : // n existe nulle part un être absolument nécessaire.

Preu^e : L’être nécessaire ne fait pas partie du monde, puisque celui-ci est contingent ; il n’est pas non plus la série entière des phénomènes, car la série ne peut être plus nécessaire que ses éléments ; enfin il n’est pas hors du monde, car du moment qu’il entrerait en rapport avec le monde, il admettrait un commencement : il serait donc dans le temps, donc dans le monde, ce qui est contre l’hypothèse.

Ce jeu dialectique a un intérêt tragique. Si nous croyons à la valeui’de la raison, il nous faut, dit Kant, résoudre ces antinomies. Or il n’y suffit pas

« de l’art métaphysique des plus subtiles distinctions » 

(Prol., p. 170) ; il n’y a que deux moyens de sauver la raison : a) ou admettre une erreur cachée dans ses hypothèses mêmes (Prol., p. 177), en vertu de ce principe que « deux propositions contradictoires ne peuvent toutes deux être fausses, à moins que le concept sur lequel toutes deux reposent ne soit lui-même contradictoire » (ib.). Qu’on songe à ce que l’on pourrait déduire de la notion d’un cercle carré ! — Telle est la solution qu’il convient, suivant Kant, d’adopter pour les deux premières antinomies : il nous faut, en d’autres termes, admettre que le monde sur lequel spécule la raison, c’est-à-dire ce qui est supposé correspondre à cette idée, invérifiable dans l’intuition, d’une « totalité des phénomènes », n’est qu’un pseudoobjet, un être chimérique ; et nous sommes amenés à soupçonner que son absurdité réside sans doute en ce qu’il est une « idée », un symbole, dont on parle comme d’une « chose >'. Or c’est précisément ce que l’Analytique nous prescrit de penser (Crit.’, p. 428) ;

— ^)ou nier que thèses et antithèses se contredisent, et pour cela distinguer des plans différents. C’est la solution qui paraît préférable pour les deux dernières antinomies (Cr(7.^, p. 454 sqq. ; Prol. p. 181 sqq.). Nous dirons donc que dans l’univers de l’expérience il n’y a pas de causalité libre ni d’Etre nécessaire ; en d’autres termes, nous admettrons les thèses poiu" le monde phénoménal. Quant aux antithèses, il nous est sans doute interdit de leur donner une valeur probante pour le monde transcendant, mais rien ne nous empêche de concevoir leur possibilité dans ce monde-là. La question reste donc ouverte, et si par hasard on trouvait dans la suite un moyen radicalement différent des procédés de l’ancienne métaphysique pour aborder ce problème, la tentative ne serait pas condamnée d’avance.

t) Ttiéodicée rationnelle. — Tous les arguments pour l’existence de Dieu peuvent, suivant Kant, se ramener à trois : l’ontologique, le cosmologique, le téléologique (Crit.^, p. 489).

Le premier de ces arguments est un paralogisme, car il n’y a pas de passage de l’idée à l’être (O/L’, p. 490 sqq.).

Le second, pour être complet, doit comprendre deux moments : on conclut d’abord de l’existence d’un être contingent à celle d’un être nécessaire ; on démontre ensuite « pie cet être nécessaire est parfait, ce qui est la notion même de Dieu. Or, dans la première partie, on fait du concept de cause un usage transcen dant, donc illégitime (cf. Analytique) ; quant à la deuxième partie, elle est réciproque de la thèse ontologique, donc également fausse. Retoui’nons en effet la proposition « l’être nécessaire est parfait », nous obtenons : « quelque être parfait est nécessaire » ; mais comme il ne saurait y avoir de distinction entre des êtres pai’faits, on peut écrire : « tout être parfait, ou l’être parfait, est nécessaire », ce qui est la thèse ontologique (C///.^, p. 500 sq.).

L’argument téléologique ou de finalité seul est

« vénérable » (Crit.*, p. 510), du moins on peut l’accorder

pour l’instant’, mais il n’aboutit qu’à un architecte, et encore imparfait.

Conclusion. — Ainsi la métaphysique est condamnée, du moins comme science. Et à nous en tenir aux résultats immédiats de la Critique, la seule attitude légitime en face de ce que l’esprit tend spontanément à concevoir comme des réalités transcendantes, est l attitude agnostique.

Ce n"est jias à dire, ajoute cependant Kant, que les

« idées)’du monde, de l’àme, de Dieu, n’aient aucune

utilité, car la tendance natiu-elle de la raison serait alors inintelligible : elles nous aident, comme principes régulateurs (Crit.*, p. 622 sqq.), à systématiser nos connaissances ; ce sont des symboles utiles, ou, si l’on veut, des « foyers imaginaires » où convergent nos conceptions pour y trouver une unité apparente et commode. L’artifice de la raison correspond à un besoin architeclonique.

La Morale.

Le problème. — Tout comme il avait admis, sans discussion, l’existence de la science, Kant accepte maintenant, comme une donnée, celle du devoir. Dès lors le problème, analogue à celui de l’Analytique, consiste à chercher comment cette existence de fait est fondée en droit. De la solution de ce i)roblème dépend, devant la réflexion, l’objectivité du devoir et la valeur d’une morale en général (Fond., i" section, p. 87 à 102).

Le procédé. — Si on essaie, dit Kant, de déterminer ce qu’est le commandement du devoir tel que la raison commune se le représente (= ordre universel et nécessaire), on remarque tout de suite qu’il ne saurait consister en un impératif hypothétique (Fais ceci, si tu veux cela). Un tel impératif en effet ne me commande que danslamesure oùjeveuxla condition : ainsi le devoir serait en définitive subordonné à mon bon plaisir (/’o « (V., p. 135 ; Crit.^, v. g. p. 56). Ferat-on appel à un nouvel impératif qui ordonne de vouloir la condition ? nous voici au rouet (Fond., p. 176). Il n’y aurait qu’une solution : ce serait que tout être raisonnable voulût necessrt/remc « < un certain objet (celui qui constitue la condition même), et ainsi

« ce serait la nature qui donnerait la loi » ; mais

alors cette loi « devant être connue et démontrée uniquement jiar l’expérience, serait contingente en soi et impropre par là à établir une règle pratique apodictique, telle que doit être la règle morale » (Fond., p. 177 ; Crit.’^, p. 31 sqq. sm-tout p. 40, 41. 5 ; , 101). — Il reste donc que le devoir, si vraiment il est, est un impératif catégorique (Fais ceci).

Cet impératif a pour corrélatif le jugement par lequel s’exprime l’obligation : « je dois vouloir ceci » ;

1. Ne pas oublier que hi concession de Kant est ici purement ad hominem. Il avertit déjà que la jïreuve leJéolojjique

« ne supporterait peut-être pas une rigoureuse

critique transcendanlale » (C/jV.’, p. 512), et dans la Critique du jugeruent, déniera toute objectivité au prmcipe de finalité (Kritik dcr Urtheilskraft, 2’TLeil, 2’Abtheilung, g 75). 743

CRITICISME KANTIEN

74^

jugement par lequel un vouloir particulier, déterminé, se présente objectivement à nous comme devant être rattaché à notre volonté. — Dans le cas des jugements conditionnels (je dois vouloir ceci, si je veux obtenir cela), le vouloir, qui s’impose à moi, est rattaché à ma volonté par l’intermédiaire d’un autre vouloir. Au contraire, dans le cas des jugements absolus (je dois A’ouloir ceci), le vouloir est immédiatement rattaché à la volonté. Dans le premier cas, la liaison est analytique (Fond., p. 130 sq.), car le vouloir de la fin contient celui du moyen ; mais dans le second cas, il n’en est pas de même : la liaison est synthétique, carie concept de volonté ne contient pas nécessairement celui de tel vouloir particulier. Nous avons donc affaire, quand nous considérons l’impératif catégorique, à un jugement synthétique a priori* pratique. Dès lors la question se pose, symétrique de celle que Kant soulevait dans la critique de la raison spéculative : comment un tel jugement est-il possible ? A quelles conditions peut-on le considérer comme légitime, comme objectif ? (Fond, , p. 135).

Un moyen de faciliter la réponse sera de déterminer le contenu même de cet impératif. Il en faut trouver la formule. Les conditions de sa possibilité, de son objectivité, aj^paraitront alors d’elles-mêmes, et il sera facile de se rendre compte si elles sont vérifiées en fait.

Première formule de l’impératif moral.— Distinguons deux choses, la loi objective et la maxime subjective. La première est ce qui règle Vactivité de la créature raisonnable ; son existence se déduit de cette vérité générale que « toute chose dans la nature agit d’après des lois^ » (Fond., p. 122). La deuxième est « le principe suivant lequel le sujet agit » (ib. p. loi, 136 ; Crit.^, p. 2’^). Cela étant, on voit tout de suite que la maxime subjective doit être conforme à la loi ; cette conformité, c’est même tout ce que l’impératif catégorique a à me prescrire, tout ce qu’il peut me prescrire, tout son contenu possible.

Remarquons maintenant que la loi dont il s’agit ^ est nécessairement une loi toute formelle, elle ne saurait par elle-même avoir de matière, déterminer immédiatement une action précise, car elle perdrait du coup le caractère même qui en fait une loi, Vuniversalité : c’est dire qu’on ne doit considérer en elle que cette forme, l’universalité. Mais alors commander que la maxime de ma conduite soit conforme à la loi, c’est simplement commander qu’elle soit universali sable. On peut donc formuler ainsi le contenu de l’impératif catégorique : « N’agis que d’après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (Fond., p. l’dj ; Crit. 2, p. 50.)

Tous les dcA’oirs particuliers peuvent, au dire de Kant, et doivent être déduits de là. Il en donne plusieurs exemples. Ainsi il ne peut être permis de faire une fausse promesse qiiand on est dans l’embarras ; car si l’on généralisait ce principe, «. il n’y aurait plus, à proprement parler, de promesses » (Fond., p. io3 à io5 ; voir p. iSg sq.). L’universalisation de la maxime serait sa destruction. (Voir l’ex. du dépôt à garder, Crit.’^, p. 44-)

Cette formule est la plus importante. Elle suffira pour nous permettre de résoudre la question de l’objectivité du devoir. Mais lorsqu’il s’agira de découvrir les devoirs particuliers concrets qui s’imposent à l’homme, elle se montrera souvent incommode. C’est

1. A priori, parce que universel et nécessaire.

2. Proposition assumée, non démontrée.

3. Cette loi pratique n’est pas à confondre avec l’impératif catégorique, appelé lui aussi loi (improprement). Elle lui est antérieure.

pourquoi Kant a jugé bon de lui adjoindre deux autres formules. Malgré leur inutilité relativement à la solution du problème fondamental, nous en devons parler ici, parce qu’elles font entrer en jeu certaines notions capitales de la philosophie Kantienne.

Seconde formule de l’impératif moral. Les fins en soi. — Nous pouvons encore partir de ce fait que l’iiomnie agit toujours (subjectivement) pour une fin, et chercher, en fonction de ce fait, quelle doit être la maxime de sa conduite. Or il apparaît tout de suite, dit Kant, qu’il nous faut écarter toutes les fins matérielles : celles-ci ne sauraient fonder une maxime universelle, puisqu’elles ne déterminent qu’en vertu de leur rapport à une faculté appétitive du sujet ^ {Fond., p. 148). Il reste ce qui est fin non pour nous, mais en soi, c’est-à-dire ce dont la valeur n’est pas relative à l’utilité qu’on en pourrait tirer, mais absolue {Fond., p. 150 ; rapprocher Crit.^, p. 15^, 239). Avant même de savoir s’il existe de pareilles fins, nous pouvons dire que la maxime sera non de se procurer ces fins ou de s’en servir (ce qui serait contradictoire), mais de les respecter ; c’est-à-dire que la maxime sera négative, elle définira la légalité plus que la moralité. (Sur ces notions, voir Crit. ~, 126 sqq., 145.)

Mais y a-t-il des fins en soi ? oui, les êtres raisonnables et eux seuls"-. L’homme se reconnaît spontanément une dignité qui l’empêche de se considérer comme un moyen ; même par rapport à soi. C’est ce qui distingue les personnes des choses. Ainsi la maxime sera : « agis de telle sorte que tu ne fasses servir l’humanité, tant dans ta personne que dans celle d’autrui, qu’à titre de fin, jamais comme simple moyen » (Fond., p. 151). Cette maxime sert par exemple à proscrire l’esclavage, le suicide, le mensonge (ib.).

Troisième formule de limpératif moral. L’autonomie {Fond., p. 154 sqq.). — On a vu que, pour agir moralement, l’homme doit accomplir la loi pour elle-même : c’est dire, en d’autres termes, que le motif de son action ne doit pas être étranger à la loi. Or le motif sera nécessairement étranger à la loi, tant que la loi sera extérieure à la volonté (Fond., p. 167), car en ce cas je ne puis obéir que par intérêt. Il reste donc que, s’il y a un devoir, il dérive de la volonté même.

Ce paradoxe nous amène à reconnaître que l’obligation tient à la natm-e hybride de la volonté, qu’elle naît d’une sorte d’opposition entre la volonté en tant qu’intelligible et la volonté en tant que sensible. Intelligible, la volonté veut nécessairement la loi ; sensible, elle est attirée par des mobiles étrangers à la loi. Si elle n’était qu’intelligible, la volonté ne serait pas libre 3, mais aussi elle ne serait pas obligée ; ce serait, dit Kant, une « volonté sainte », telle celle de Dieu (Fond., p. 122 sqq. ; 169 ; 196 ; Crit.’-, p. 62 sq.) : la sensibilité introduit dans les décisions de la volonté un élément d’indétermination et de contingence : par ses attraits irrationnels, elle donne occasion à vin choix. C’est cette dualité qui engendre

1. Notons au passage, que le raisonnement de Kant tombe, si l’on comprend sous le nom de bonheur ce qui répond non à un appétit quelconque, mais à l’appétit profond qui sourd de la nature humaine en tant que telle (Zeller : Ueber das Kantische MoraJprincip… Vortrdge und Abhandlun°-en, III, p. 173).

2. Voir la démonstration donnée par Kant, Fond., p. 149 sqq.

3. Ne pas confondre la volonté intelligible et la volonté nouménale : celle-ci est. à la fois intelligible et sensible (= douée des formes de l’intuition). La dualité signalée est dans la volonté nouménale elle-même, radicalement. 745

CRITICISME KANTIEN

746

le sentiment sui geneiis de l’obligation : le vouloir profond (= intelligible) fait loi pour la volonté superlicielle (= sensible), et l’homme se sent forcé, par le respect de sa propre dignité, à s’unifier intérieurement, en contraignant la sensibilité à coïncider avec la raison. — En ce sens, on peut dire que la volonté est à elle-même la source de l’obligation : elle obéit à sa législation propre’ ; mais il faut ajouter tout de suite, pour rester d’accord avec les résultats précédemment obtenus (cf. la 2 « formule) : en tant que cette législation est universelle, c’est-à-dire portée également par toutes les volontés.

Nous obtenons ainsi la troisième formule de l’impératif moral, celle qui délinit précisément l’autonomie (Fond., p. 157) : « Agis avec l’idée de ta volonté comme législatrice universelle ». — Si tous les hommes étaient lidèles à cet impératif, s’ils veillaient à respecter leur propre autonomie, l’entente des volontés serait parfaite, et l’on verrait réalisé un système où les personnes seraient harmonieusement coordonnées, un « royaume des fins » (Fond., p. 16’j sq.).

L’objectivité du devoir. — Il est temps de revenir à la question fondamentale et de lui donner la réponse sans laquelle tout ce qui précède n’aurait qu’une valeur hypothétique ; car on a bien défini ce qu’est le devoir ; on n"a pas encore établi, critiquement, qu’il est.

Grâce aux analyses précédentes, cette question est devenue beaucoup plus précise. Elle se posait tout à l’heure ainsi : à quelle condition l’impératif moral n’est-il pas illusoire ? (Voir supra, col.’^'5.) On peut l’exprimer maintenant dans ces termes : à quelle condition l’homme peut-il, doit-il, considérer comme s’adressant à lui le commandement de n’agir jamais que par une maxime universalisable ?

Il est aisé de voir, dit Kant, qu une seule condition est requise : la liberté. Si l’homme n’est pas libre, il ne peut agir en vertu d’une loi toute formelle ; et réciproquement, si l’homme doit se déterminer par une forme intelligible, il faut qu’il échappe à ce qui règle les autres événements de la nature, — il faut qu’il soit en dehors de la causalité qui enchaîne les phénomènes, c’est-à-dire qu’il soit libre (Oi/.-, p. 46 sq.).

Mais cette condition est-elle vérifiée ? Oui, répond Kant, ou du moins tout se passe comme si elle l’était. Peu importe, en effet, que l’homme soit ou ne soit pas libre ; de fait, // ne peut s’empêcher de penser qu’il l’est- ; et cette persuasion n’a rien d’absurde, pourvu qu’on en transporte l’objet dans le monde transcendant (voir supra, col.’]fi). Dès lors, pratiquement, au point de vue de la loi, c’est tout comme si Ihomme était libre : il ne peut s’empêcher de penser que la loi s’adresse à lui. Cela suflil pour que désobéir soit se condamner (Fond., p. 182 sqq.).

Ainsi, la morale est fondée ; à l’apparence du devoir correspond bien une réalité du devoir, ou du moins, pour nous, c’est tout comme. L’idée, la conviction de ma lil)erté fait de moi, pratiquement, le citoyen d’un monde intelligible ; par ailleurs, je suis évidemment un être sensible : nous avons donc l’inadéquation requise (voir ci-dessus) poiu- expliquer

1. Ce n’est pas flnns le même sons que Kant emploie lo mot loi, quand il dit qu’elle est infailliblement voulue par la volonté sainte, et qu’elle est poiléo ])ar la volonté elle-même. Dans le second cas, il s’aj^il pio[)rcmont du caractère obligatoire de la loi (de l’obligation substituée îi la nécessité).

2. Car. ainsi que 1 explique Kant, par le fait que Ihomme se consiilèrc comme être raisonnable, il se regarde comme relevant d’un monde autre que celui des phénomènes sensibles, c’est-à-dire d’un monde où il n’y a aucune raison de supposer le règne de la nécessité (l.’c).

l’origine de ce sentiment particulier qu’on appelle l’obligation, — et en même temps un parallélisme merveilleux avec la raison pure ; car comme les concepts de l’entendement pur, s’ajoutant aux données de l’intuition sensible, rendent possibles les propositions synthétiques a priori spéculatives, de même c’est la liaison de la volonté pure pratique à la volonté sensible qui permet le jugement synthétique a priori pratique qu’est l’impératif catégorique (Fond., p. 193 sqq.).

Il ne reste plus qu’à déduire les devoirs particuliers, c’est-à-dire à traiter de la « matière » de la vie morale. Il nous est inutile de suivre Kant sur ce terrain. (Voir Les principes métaphysiques de la morale, trad. Tissot, 1854, p. 135 sqq.)

La Métaphysique morale.

Le primat de la volonté (Crit. -, p. 218 sqq.). — La i-aison spéculative n’avait de légitime que l’usage immanent ; on vient de voir qu’il n’en est pas de même, selon Kant, delà raison pratique. Pour celle-ci, non seulement l’usage logique, correspondant à ces jugements analytiques qui énoncent des obligations conditionnelles, est licite, mais il en faut dire autant de l’usage transcendant, par lequel la raison formule le jugement synthétique a priori pratique qu’est l’impératif du devoir ^ Il en résulte une conséqrience considérable : c’est qu’en vertu même de leur différence de portée, ces deux emplois de la raison ne sont pas coordonnés, mais subordonnés l’un à l’autre. Quand la raison spéculative a fait tout ce quelle peut par elle seule, et qu’impuissante à connaître des réalités métaphysiques, elle s’est satisfaite du moins à les concevoir, la raison pratique survient. Elle a besoin, elle, des réalités métaphysiques ; elle profite alors de ce que la raison spéculative les conçoit, et lui demande de faire, par amour pour elle, un pas de plus, en les affirmant.

La foi (Crit.’, p. 634 à 641)- — Affirmer sans savoir

— alFirmer, non parce qu’on connaît, mais parce qu on a besoin d affirmer, c est (avec quelques précisions qu’on Aa voir) ce que Kant appelle croire. Les propositions théoriques, qui sont 1 objet de ces affirmations, s’appellent des postulats. — La foi à ces postulats n’est pas proprement un devoir (car il ne saurait y avoir un devoir par rapport à une proposition théorique, Crit.-, p. 22g ; 261) mais un besoin, une nécessité pratique. Et comii.e ce besoin tient à la nature même de la raison pratique, il est universel ; on peut donc dire qu’il est fondé et que l’adhésion qu’il provoque est (subjectivement) légitime.

Les postulats de la raison. — Les postulats sont au nombre de trois : il 3’a la liberté, dont il a été déjà parlé, l’immortalité de lame et l’existence de Dieu.

Voici comment Kant établit, non pas (il importe de le remarquer) que l’àme est immortelle (^= connais 1. D’où vient cette différence et pourquoi privilégier la raison pratifiue, puisqu’au jugement même de Kant [fond., p. 83 ; CriL-, p. 2"21) elle n’est que la raison si>éculalive considiTée sous un autre aspect ? — Kant répond : c’est qu’ici l’on n’a plus affaire ; i un objet donné, pose une fois pour toutes {^egeben). qu’il s’agirait de connaître, mais à un acte proposé [au fgegeben), qu’il s’agit de réaliser. Dans le 1°’cas, l’usage transcendant de la raison re(iucrnit, pour être légitime, des conditions que l’objet ne vérifiait pas, ne pouvait pas vérifier ; dans le 2’cas, les conditions ne se tiennent pas du côté de l’objet, lequel n’est pas, mais doit être : elles sont toutes du côté du sujet et se ramènent à la liberté. Or on a vu que la liberté est une condition que l’homme ne peut s’inipécl.er de regarder comme Aérifiée 747

CRITICISME KANTIEN

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sance) mais qu’il est nécessaire et légitime d’affirmer qu’elle l’est (= foi). Réaliser le souverain bien est pour l’homme un devoir absolu ; il ne peut donc s’empêcher de le considérer comme possible. Mais il ari’ive cette chose étrange : si la volonté humaine réalisait un jour le souverain bien, c’est-à-dire était parfaitement conforme à la loi, toute obligation devrait cesser pour elle (v. supra, col.’]kh) or cela est impossible, puisque la volonté porte en elle-même, dans sa dualité essentielle, la source permanente de l’obligation. Il faut donc admettre que la conformité requise par le devoir n’est pas une conformité in esse, mais in péri, non pas un état, mais une tendance. Ainsi le souverain bien consiste dans un progrès indéfini ; partant, il implique l’immortalité ; l’homme ne peut donc s’empêcher de penser qu’il est immortel (Crit.^, p. 222 sqq.).

Un processus analogue nous conduit à postuler l’existence de Dieu. D’une part, l’homme ne peut s’empêcher de concevoir le souverain bien comme lié avec le bonheur ; d’autre part, l’ordre de la moralité est radicalement hétérogène à celui de la félicité. Il faut donc qu’on trouve le bonheur par la moralité sans le chercher par elle : cela ne peut se faire que s’il existe un être moral, doué d’intelligence et de volonté, qui unisse de fait entre eux la moralité de l’homme et son bonheur ; ce ne saurait être que le créateur de l’homme. Dieu. Il est donc nécessaire et légitime d’allirmer que Dieu existe (dit.-, 226 sqq. ; cf. 240 sqq., 267 sq.).

La toi et la science. — Ces croyances n’enrichissent aucunement la connaissance spéculative (Crif. 2, p. 4 ; 2^0 à 256). Dieu, la liberté, l’immortalité restent des « idées » de la raison. C’est un point délicat de la philosophie Kantienne, et qu il importe de bien comprendre.

Si l’on disait : aux conceptions de la raison correspond un objet, par le fait même on impliquerait que l’existence de celui-ci est connue ; de même, sa nature serait, au regard de la raison, déterminée par ces conceptions mêmes. Mais l’on dit, ce qui est bien différent : Je ne puis m’empêcher de penser qu’aux conceptions de la raison correspond un objet. Dès lors pour mol, tout se passe comme si aux conceptions de la raison, un objet correspondait ; mais c’est là, on le A-oit tout de suite, un point de vue totalement étranger à la connaissance : les objets n’ont, pour ainsi parler, qu’une existence pratique (Crit.^, 1. c). C’est dire qu’on n en pourrait faire la matière d’une théorie : je ne me trompe pas en agissant comme si les postulats étaient vrais en soi ; mais je dépasserais mes droits, en les posant, à la façon de vérités établies, comme point de départ de spéculations. Le dogmatisme moral laisse subsister l’agnosticisme théorique <.

La Religion.

Source : Die Religion innerhalh der Grenzen der blossen Vernunft. S.W, Ed. Rosenkranz, 1838.

La religion ne consiste en rien d’autre qu’à « considérer tous nos devoirs comme des commandements divins » (Die Bel., p. 99 ; v. Crit."^, p. 235). Elle dépend donc, suivant Kant, de la morale, puisque sans la morale nous ne serions jamais arrivés à lui donner un contenu ; et parce qu’elle dépend de la morale, la

1. Il est aisé de reconnaître ici le point d’attache de la théorie Ritschlienne des « jugements de valeur ». La terminologie n’est pas Kantienne, mais elle s’adapte parfaitement aux idées Kantiennes (A. Ritschl, Die Christ-Lehre von der Rechtfertigung, Z* vol., 1874. p. 187 sq. Voir Sæn-GER, Kants-Lehre vom Glauben, 1903, p. 68).

religion n’a pas de signification en dehors d’elle : toute théologie spéculative est superstitieuse.

C’est de ce point de vue que Kant juge le Christianisme {Die Bel., p. 168 sqq.). Le contenu du Christianisme, bien compris, dit-il, coïncide avec celui de la foi rationnelle (Vernunftglauben). Par exemple, le Christianisme enseigne un péché originel, mystérieux ; mais la philosophie, elle aussi, nous force à admettre pour expliquer l’existence du mal moral, un penchant mauvais enraciné dans la nature humaine, lequel ne peut procéder que d’une mystérieuse action de la volonté nouménale. Bien plus, la philosophie peut même accepter, dit Kant, qu’on rattache le salut des hommes à la personne et à l’histoire du Christ. En etfet l’idéal de la perfection morale, l’hu- J manité agréable à Dieu, peut être appelée le « Fils de 1 Dieu » par qui toutes choses ont été créées, dans la mesure même où elle est l’objet spécial des conseils divins et la fin de la création. Pour signifier que cet idéal nous est mystérieusement immanent, que nous le portons dans nos consciences, on peut dire que le Fils de Dieu, descendu du ciel, a revêtu l’humanité. Il est même utile, pour la masse, de concréter cet idéal dans un homme historique ; et c’est à bon droit, dans un but économique, que Jésus s’est présenté comme le Fils de Dieu : il reliait ainsi immédiatement l’une à l’autre la crojance rationnelle à l’idéal et la croyance historique à sa personne : c’était faire bénéficier l’une des avantages de l’autre.

D’une façon générale, il faut tendre, siÙA-ant Kant, à piu’ifier peu à peu la religion historique jusqu’à l’amener à n’être plus que la religion rationnelle. Tant qu’on la garde, il ne faut voir en elle qu’un véhicule, se servir des faits de la Bible, comme d’un symbole à interpréter, même en dépit du sens littéral {Die relig., p. 182), conformément à la religion rationnelle : la foi « ecclésiastique », tout comme l’Eglise visible elle-même, a pour but d’arriver avec le temps à se rendre superflue (Die Bel., p. 145 sqq.).

L’esprit du Kantisme. — Ce qui en a été vulgarisé et ce qui en reste.

1. Ce qu’on appelle la nature n’est pas une donnée brute. Il n’y a pas la nature et des esprits qui la connaissent, mais une matière informe (^sensations) et des esprits qui l’organisent. L’esprit constitue la nature, et la natm-e le reflète.

2. La vérité ne consiste pas dans une adéquation de la connaissance et de son objet. Elle est ontologiquement, dans la régularité de l’opération par laquelle, inconsciemment, l’esprit élabore son objet ; logiquement, dans la conformité de l’usage empirique des catégories à leur usage transcendantal. — Corrélativement, l’objectivité n’est pas dans le fait d’exister en soi, mais d’apparaître identiquement à tout esprit, c’est-à-dire d’être le résultat d’une élaboration régulière ; sa marque est la nécessité (v. Poincaré, La valeur de la science, 1905, p. 261 à 271 ; A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la Beligion, p. S^S).

3. La philosophie doit cesser de s’occuper d’objets, mais se restreindre à être la science du sujet.

4. La raison est bornée aux seuls phénomènes (^ usage immanent) ; elle peut concevoir, mais elle ne peut connaître, ce qui dépasse le champ de l’expérience. En dehors de l’intuition, nos concepts n’ont plus de sens (v. A. Sabatier, Esq., p. SSg sqq.).

5. L’agnosticisme métaphysique doit être supplémenté par le dogmatisme moral : le besoin fonde légitimement la persuasion (v.A.Sabatier, ^.Ç(7., p. 38^).

6. La foi est l’adhésion pour des motifs subjectifs à des réalités que la morale requiert. Croire en Dieu, c’est, par le fait qu’on agit moralement, se conduire pratiquement comme si Dieu existait ; ce n’est pas se 749

CRITICISME KANTIEN

750

prononcer théoriquement sur son existence. II n’y a pas ni ne peut y avoir de devoirs concernant les affirmations théoriques (--= connaissance), mais seulement concernant les actes (= : pratique).

7. La science et la foi sont hétérogènes : elles ne peuvent mutuellement ni se prêter secours ni se faire tort.

8. La A’olonté humaine est autonome, c’est-à-dire qu’elle ne reconnaît aucun maître ; pareillement, la raison humaine est autonome, c’est-à-dire que le sens propre juge de tout en dernier ressort’.

9. Cela seul appartient à l’ordre de la moralité, qui est accompli par l’unique respect du devoir. Agir en vue de la béatitude, ou pour éviter le châtiment, ou par amour de l’humanité, est amoral.

10. La religion est fonction de la morale ; elle n’a pas d’autre contenu qu’elle, et tout ce qui est en surplus n’a qu’une valeur économique (Kant, Die Relig., Ed. Rosenkranz, p. 196 ; rappr. A. Sahatier, 1. c, p. 119 ; 128 ; 204).

11. L’homme est une fin en soi ; en ce sens qu’il n’est ordonné à nul autre, pas même à Dieu.

Article ii. — Examen du criticisme

Il ne peut s’agir de faire en quelques pages une critique détaillée de la philosophie kantienne. On ne doit donc s’attendre à trouver ici que l’examen de ses principales erreurs, avec l’indication plutôt que le développement des solutions destinées à remplacer celles qu’on rejette.

Le Kantisme et l’Orthodoxie. — Il suffît, pensons-nous, d’avoir lu altentivcment l’exposé qui précède, pour s’être convaincu qu’il n’y a pas d’ingéniosité qui puisse concilier le Kantisme avec la vérité catholique. Ses thèses maîtresses sont la négation même du dogme ; les reprendre une à une pour les confronter avec lui serait un travail incontestablement utile, mais il est aisé à faire : nous devons nous contenter d’en avoir fourni les matériaux. — La philosophie Kantienne a été spécialement signalée, et répudiée

« omme subversive de la religion, dans la lettre de

LÉON XIII au clergé français, 8 sept. 1899 (cf. aussi Encj’cl. yEterni Patris, 4 août 18’j9) ; et récemment le Saint Père Pie X, dans l’Encyclique Pascendi, dénonçait à la base de l’hérésie moderniste un «  « /ios^ic/sme où l’on doit reconnaître l’essence même du Kantisme.

A. Le Criticisme théorique.

Question préliminaire : le problème et la doctrine {y. supra, col.ySS). — Le problème critique n’a plus de signification, et ia doctrine Kantienne est, de l’aveu même de son auteur, siuiplement « absurde)> (Crit. p. 149), si l’on admet la théorie de la perception immédiate. En ce cas, « tout subjectivisme, y compris celui de Kant, aurait vécu » (A. Farges, Bévue de Phil., juillet 07, p. 25).

La théorie de la perception médiate est néanmoins soutenue de nos jours par des auteurs qu’on ne saurait suspecter de partialité pour le Kantisme. Ou la trouve par exemple dans le manuel si estimé, de M. G. Sortais, s.j. : « La perception, dit M. Sortais, ne nous fait pas connaître les choses telles qu’elles sont en elles-mêuies, mais d’après les effets, les sensations, qu’elles produisent en nous » (Traité de Philos., I. Lethielleux, 4’éd., p. 205) ; c’est cette

1. Celte foi-inule, ainsi que la onzième, ne saurait être donnée, telle (nulle, comme l’exposé exact de la pensée Kantienne. El’e représente plulùl le parti qu’a tiré de la doctrine du philosophe le sens populaire.

théorie qui circule dans l’ouvrage de M. Ch. Sex-TROUL, L’objet de la Métaph. selon Kant et selon Aristote, thèse d’agrégation à l’Ecole Saint-Thomas. Louvain, Institut, sup. de Phil. igoS ; Aoir aussi Probes, s.j., Auf der schiefen Ebene zum Idealismus ? dans les Stimmen ans Maria-Laach, 1907, Bd ^3, Heft 7 et 8.

Entre ces deux théories, dont l’une devrait logiquement objectiver toutes les qualités sensibles, même la chaleur et le son, et dont l’autre, poux être pleinement fidèle à l’esprit qui l’inspire, devi-ait subjectiver toutes les qualités sensibles, même l’étendue, le débat est d’une nature strictement philosophique et scientifique. — L’avantage stratégique de la première position, la sécurité qu’elle garantit contre les entreprises d’une doctrine dont elle empêche de dire même qu’elle garde un sens, la rendent fort séduisante jiour l’apologiste ; mais est-elle confirmée par la psychologie expérimentale ? Est-elle même possible a priori ? Telle est la Araie question. Les nombreux ouvrages de M. A. Farges, s’attachent à montrer cpie oui, et cpi’il n’y a rien dans les découvertes de la science la plus récente qui rende impossible l’attitude d’Aristote et de S. Thomas’. Dans le même sens, il faut lire les articles de M. H. Dehove, Sur la perception extérieure, parus d’abord dans la Revue de Lille, 1906, puis dans la Revue de philosophie, oct. et nov. 1906 ; janv. et fév. 1907 ; le no de juin 1907 de la même Revue renferme une critique de ses articles, sous le titre : Le perceptionisme. Il faut poui-tant reconnaître que cette position n’a plus de partisans en dehors de l’Ecole. Sans entrer ici dans le débat, nous devons concéder aux philosophes non-scolastiques, que rejeter la thèse de la perception immédiate n’est pas se prononcer par là même en faveur du subjectivisme ; c’est simplement admettre que le problème critique se pose : il reste à voir s’il en existe une solution satisfaisante.

En tout cas, nous allons montrer que celle de Kant ne l’est pas : la doctrine critique est fausse et contradictoire ; elle doit être remplacée par une doctrine franchement dogmatique.

a) Erreurs fondamentales.

i. Les jugements synthétiques a priori. — La Critique de Kant repose tout entière, comme on a vu (v. supra, col. 786) sur les jugements synthétiques a priori. Kant lui-même nous concède que si l’on mine ce fondement, toute sa théorie s’écroule : « Ce qui pourrait, dit-il, arriver de plus fâcheux à ces recherches, c’est que quelqu’un fît cette découverte inattendue, qu’il n’y a nulle part de connaissance a priori et qu’il n’en peut y avoir. Mais il n’y a de ce côté nul danger… » (Crit.^, p. 16). Ailleurs, il reconnaît que si l’on démontrait la fausseté de sa conception relative aux jugements qu’il appelle sjnthétiques a priori, cela » mettrait fin à toute (sa) critique et (l’) oldigerait à retourner à l’ancienne méthode » (Crit.*, 2 éd., p. 33/)). Il importe donc d’examiner ce fondeiuent. Deux questions se posent à son sujet, l’une réelle, l’autre nominale.

a) Discussion de la question réelle. — Kant n’a pas résolu le problème de l’origine des idées. — Il importe en souime peu ((n’en définissant le mot synthétique comme il a fait (OvV. *, p. 46 scj. ; dans notre exposé, col. 736), Kant se donne la faculté d’appeler synthét’» ques des jugements que l’usage de la langue appelait avant lui analytirpies. La question foncière est de savoir en quel sens de pareils jugements, synlhéti ques par définition, universels et nécessaires par nature, sont, et peuvent être dits, a priori. Or le paralo 1. Voir Lillératurc, à la (in de l’article. CRITICISME KANTIEN

Tn-^

gisme capital de Kant consiste dans l’identification, injustifiée et même injustifiable, de deux significations de portées très diverses. On peut formuler ce paralogisme dans la thèse suivante, clairement impliquée par la « Critique » : « Ce qui n’est pas donné formellement dans l’expérience (= a priori, premier sens), a sa source unique dans l’esprit ( : = : a priori, second sens))’. En vertu de cette assomption, et profitant de ce que le principe de causalité, par exemple, est a priori dans le premier sens, Kant, sans disting-uer, le traite comme a priori dans le second sens. C’est transformer une définition nominale en une définition réelle, qui à son tour est grosse de la philosophie transcendantale : si en effet le concept de cause, par exemple, est de toutes pièces une création de l’esprit, il y a lieu de se demander : à quelle condition un tel concept peut- il cadrer avec l’expérience ? Mais Vassoniption de Kant est simplement fausse, et partant la recherche qu elle provoque est sans raison d’être.

Par cette assomption en effet, Kant affirme qu’il n’y a pas de milieu pour une connaissance entre une origine tout empirique et une origine tout intellectuelle, c’est-à-dire entre un matérialisme qui ne demande qu’à la sensibilité le contenu de la connaissance et un idéalisme qui ne le demande qu’à l’esprit. Or il y a un milieu. La doctrine péripatéticienne — que Kant ne connaissait pas’— l’assignait depuis longtemps. Celle-ci se gardait bien en effet d’opposer entre eux la sensibilité et l’entendement, comme si l’homme était vraiment double ; mais elle demandait au concours de ces facultés la solution du «. problème des universaux » ; car c’est de lui qu’il s’agit.

Suivant cette doctrine — qu’on ne peut ici que rappeler — le concept n’est pas produit d’une façon indépendante par l’activité de l’esprit ; et il n’est pas non plus fourni intégralement par les données sensibles ; il résulte d’une purification intellectuelle de ces données : d’elles, il retient l’objectivité ( i= id quod exprimitur), de l’esprit il acquiert l’universalité et la nécessité ( ; = modus quo exprimitur). Pour prouver cette thèse, la philosophie péripatéticienne fait surtout appel à l’expérience, qui montre les opérations de l’intelligence toujours dépendantes (extrinsèquenient ) de celles de la sensibilité. — Voir Aristote, Met. LY, 9 fin ; De anima /II ; S. Thomas, I, q. 84 sqq. ; O. WiLLMANX (Geschichte des Idealisjnus, I (iSg^), § 36, II (1896), 1^ 100, III (1897), § 71) et les ouvrages de Kleutgex, de Liberatore, du Cardinal Mercier, de C. PiAT (L’intellect actif, Leroux, 1890, p. io5 sq. ; 173 sq.), de l’abbé H. Dehove (I^^ssai critique sur le réalisme thomiste comparé à l’idéalisme Kantien, Lille, 1907. Cf. Littérature, 4) Tant qu’on n’a pas réfuté cette solution, le principe fondamental du Kantisme n’est pas établi. L’aurait-on réfutée, il faudrait encore ou prouver que toute autre hypothèse intermédiaire est pareillement impossible, ou démontrer directement que ce qui est universel et nécessaire vient intégralement de l’esprit. C’est ce que Kant n’a pas fait, n’a pas même essayé de faire.

b) La question nominale. — Il s’agit de savoir si Kant a bien défini les termes synthétique et a priori (premier sens). Suivant les définitions qu’on donne, le même jugement sera ou synthétique ou analytique ; il pourra même devenir rigoureusement impossible, c’est-à-dire absurde, qu’un jugement synthétique soit en même temps a priori.

Ordinairement, on n’accorde pas, comme nous

1. Kant n’envisage jamais comme liypotlièses adverses que celle des idées innées ou de l’harmonie préétablie ou de l’ontologisme (Platon, Crusils. Leibniz, Malebranche).

l’avons fait, que les jugements apportés par Kant en exemple (en particulier, le principe de causalité) soient synthétiques ; c’est qu’on s’appuie sur les définition s aristotéliciennes, alors que nous nous sommes mis, pour discuter Kant, à son point de vue.

Il suffisait de signaler ici cette question : nous y engager paraît superflu.

2. Les antinomies (voir supra, col. 740). — Si les an tinomies de Kant étaient insolul)les, il faudrait concéder que sa thèse est prouvée. Kant a bien compris qu’il jouait là une partie importante, il sent le besoin de s’encourager lui-même, appelle ses preuves « irrésistibles » (Prol., p. 176). s’engage expressément à défendre n’importe lequel de ses arguments (ib., 177), et avoue d’avance que si l’on en peut détruire un seul

« l’accusation qu’(il a) portée contre la métaphysique

commune était injuste » (Prol., p. 267). — En fait,

a) Dans la première antinomie : nous rejetons l’antithèse parce qu’elle constitue un paralogisme. On prend à la lettre l’expression « commencer dans le temps », et parce que cette expression, ainsi prise, n’a pas de sens quand il s’agit de l’univers ( : = : totalité de ce qui existe), on en conclut que l’univers n’a pas commencé du tout, c’est-à-dire a toujours existé. La seule conclusion légitime serait : l’univers n’a pas commencé dans le temps, — ce qui est très vrai, puisque c’est bien au contraire le temps qui a commencé avec l’univers. On n’a donc pas prouvé l’éternité du monde.

b) Dans la deuxième antinomie : nous rejetons la disjonction, en introduisant la conception péripatéticienne du continu. Nous ne voyons pas en effet comment, sans le concept de continu, on peut échapper logiquement à l’antinomie. Qui ne voudrait pas admettre cette notion aristotélicienne avec ce qu’elle implique, serait contraint, pour sauver la raison, d’admettre la thèse, c’est-à-dire de sacrifier l’objectivité formelle de l’étendue.

(Voir pour l’explication de la notion de continu l’ouvrage de A. Farges : L idée du continu, 1892.)

c) Dans la troisième antinomie : nous rejetons l’antithèse. Cette antinomie est la plus spécieuse. Elle porte en effet le problème en Dieu lui-même où l’on ne doit point être étonné de trouver quelque obscurité. — La preuve de l’antithèse Kantienne pèche doublement : i) elle suppose que Dieu commence d’agir (de créer) à un moment donné, ce qui est introduire le temps dans l’éternité ; — 2) elle suppose en Dieu un passage de la puissance à l’acte, ce qui est contraire à sa notion même.

d) Dans la quatrième antinomie : nous rejetons l’antithèse : nous admettons qu’il existe un être nécessaire, cause du monde, et qui n’est pas une partie du monde, ni l’ensemble du monde. Quant à la raison apportée par Kant, elle suppose la même erreur que l’antinomie précédente.

3. Les choses en soi. — Kant pose en principe, au début de la Critique (Crit.*, p. 39, 63) que nos sens sont affectés par des objets. Mais « étant donné les explications ultérieures, les objets affectants ne sauraient être les objets empiriques : car ceux-ci ne sont que nos représentations. Il ne peut s’agir non plus des choses en soi, transcendantes, car, suivant l’Analytique, toute conclusion relative à l’existence et à la causalité de pareilles choses en soi est absolument dénuée de valeur et de signification’  «  (Vaiiiinger, Commentar, IL p. 35 ; de même Ueber-WEG, Geschichte… 9* éd., p. 329. note, et surtout p. 334, note). Il reste donc que Kant s’est contredit.

Mais cette contradiction est si fondamentale et

1. Voir supra, col. 739 ; Prolog., p. 121, en termes exprès. 753

CRITICISME KANTIEN

essentielle, que le Kantisme, en tant que Kantisme, ne saurait dès lors exister, et qu’il est obligé poui- vivre de se transformer, malgré la volonté de son auteur, en pur idéalisme, comme la philosophie postérieure l’a historiquenænt démontré (v. infra, col. 707). Cette contradiction intime n’a par personne été mieux mise en relief que par le contemporain et rival de Kant, le philosophe Jacobi ; celui-ci fut le premier qui la dénonça : « D’une part, dit-il, il est contraire à l’esprit de la philosophie Kantienne de parler d’ol)jets dont l’action sur les sens évoquerait des représentations ; d’autre part, sans ce postulat, on n’arrive pas à comprendre qu’une voie reste ouverte à cette philosophie… Je dois avouer que cette difliculté ne m’a pas peu retenu dans l’antichambre… ; pendant des années, à plusieurs reprises, je dus recommencer la

« Critique de la raison pure » : Sans la supposition

des choses en soi, je ne pouvais entrer dans le système, — AVEC cette supposition, je ne pouvais y rester. » (Jacobi, ïf’erke, Leipzig, 1812, II, p. 303.)

Pour épargner à Kant cette contradiction, on a tenté diverses voies. (Voir Riehl, Kritik., i, p. 4^2 ; B. Erdmanx, Prolog., lui, lxiv ; Krit., p. 40 sqq. ; K. Fischer, Kr.d. Kant. Philosophie, ]). 24 sqq. ; BouTRoux, Revue des Cours, mars igo5, p. 205 ; Delbos, La phil. pratique de Kant, p. 197 à 203.) On a nié que Kant ait admis l’existence de choses en soi (FiciiTE ; et de nos jours, entre autres, Cohen : Kanls Théorie der Erfahrung, 2' éd., p. 168 à 170 ; Konimentar zal. Kants Kritik, Leipzig, Diirr’scheBuchh., 1907, p. 22 sqq. et passim). S’il y a, en particulier dans la Critique de la raison pure, des passages équivoques où l’on peut disputer sur la question de savoir de quels objets il s’agit (par ex. CritJ, 2>-- éd., p. 287 sqq.), d’autres endroits sont assez clairs pour écarter tout doute. Voici les principaux : Crit.^, pp. 89, 63, 80 ; Proleg., pp 71, 72. 80, 124, 125 ; Fond., pp. 188, 204 ; Crit.'-, p. 6. (En faveur de l’interprétation idéaliste, on peut citer, Crit. ', p. 286 sq.) — Aussi bien Kant a protesté expressément contre les déformations de sa pensée par des disciples qui prétendaient s’attacher à l’esprit plus qu'à la lettre ; il a maintenu, non sans irritation, que les expressions de la critique doivent être prises « à la lettre » (voir sa Déclaration relative à la Doctrine de la science de Fichte, 7 août 1799 ; cité par Vaihinger, Commentar, II, p. 15). L’objection de Jacobi porte donc à plein contre le Kantisme *. — Il ne nous appartient pas de suivre celui-ci dans son évolution idéaliste^.

//) Indications concernant quelques points secondaires de la Critique de la Raison pure.

I. Esthétique transcendantale. — La preuve transcendantale (voir supra, col. 787) de la subjectivité du temps et de l’espace (c’est-à-dire de leur non-réalité comme attributs des choses en soi), se fondant tout entière sur la théorie des jugements synthétiques a priori, est réfutée avec cette théorie même (voir supra, col. 7^0).

Quant aux arguments spéciaux ou métaphysiques qu’y ajoute Kant, on peut en voir la teneur et la critique dans n’importe quel manuel. H. Vaiiiinger résume les principales controverses auxquelles ils

1. On peut encore donner à 1 objec tien de Jacobi une autre forme : Kant se sert du principe : « Pour apparaître, il faut être » afin d éviter ce qu’il appelle, avec raison, une absurdité, et pouvoir affirmer lexistence des choses en soi (voir supra, col. 7 : }Hi. Or il n’a pas le dioil (l’employer ce principe, car on ne peut savoir qu’il existe des cbo-es en soi, si l’on ignore tout de leur nature. Ainsi raisonne E. Zi ; lm : r contre Kant ; <>iv Cesc/i. d. deuischen Phit., Miinchen, Oldenbourg-, 1873, p. 514.)

2. Voir article Idkai.isme.

ont donné lieu (Commentar, II, p. 290 sq.). Mais la doctrine même de la subjectivité du temps et de l’espace déborde les preuves qu’en a données Kant, et le kantisme lui-même. (Voir art. Idéalisme.)

2. Analytique transcendantale. — Cette section de la Critique est la plus difficile. On y peut distinguer deux parties : celle que nous avons résumée (voir supra, col. 788), où Kant cherche à fonder l’objectivité des catégories, en faisant dépendre de l’esprit la nature ; celle où Kant explique en détail le mécanisme de cette dépendance. Dans la première partie, Kant argumente en vertu des mêmes principes dont il a été montré ci-dessus le non-fondé (v. supra, col. 701) ; il suppose qu’on ne peut tirer de l’expérience rien d’universel et de nécessaire, et il équivoque sur les deux sens du mot a priori : son raisonnement n’a donc point de valeur. — Quant à la seconde partie, elle est trop complexe pour être examinée en quelques lignes. Nous nous contenterons de signaler l’objection principale, et, à notre avis, insoluble, qu’on doit faire au système : a) D’une part, pour expliquer l’action transcendantale des catégories, il est nécessaire de supposer une certaine prédisposition et comme une hétérogénéité qualitative dans la matière brute ; Kant n’en parle pas, mais // doit l’admettre. (Ainsi DuNAN, Essais de Philosophie, 1902, p. 215 ; voir Radier, Psychol., p. 890 ; Ueberweg, Geschichte… 9' éd., p. 826.) b) D’autre part, si le phénomène varie avec la nature de la chose en soi, celle-ci n’est pas inconnaissable : le phénomène peut servir en quelque façon à la déterminer ; et la thèse agnostique de Kant est réfutée par Kant lui-même. (Ainsi Zeller, Gesch. d. d. Phil., i^éd., p. 513 ; PAULSEN, Z)/e Kultur der Gegemvart, Systematische Philosophie, 1907, p. 896.)

8. Dialectique transcendantale.

a) Psychologie : La distinction du phénomène et du noumène « n’a pas de signification » quand il s’agit du sens interne. Si elle en présentait une, quand il était question des objets extérieurs, c’est parce qu’on supposait médiate la perception des sens. Mais la perception de la conscience (sens intérieur) est nécessairement immédiate. Un intermédiaire ici « est une fiction vide, inventée pour le parallélisme de l’espace et du temps » (Paulsen, I. c, p. 897 ; de même dans son Im. Kant. trad. anglaise. London, 1902, p. 200 ; UebeuAVEG fait la même difficulté, Geschichte… 9e éd., p. 821).

— Si la perception est immédiate, ce que je perçois n’est pas le phénomène d’autre chose, c’est la chose même perçue, c’est-à-dire le moi sentant, pensant, voulant ; et Ton peut donc arriver à déterminer sa nature.

b) Cosmologie : voir supra, les Antinomies, col. 762.

c) Théodicée : La réfutation de l’argument ontologique, renouvelée par Kant, avait déjà été faite par saint TiioMAs(.S'. Th., 1 », (f. 2. a. i, ad 2 ; s’y reporter).

— Quant à la réduction de l’argument cosmologique à l’ontologique, elle est nettement sophistique. En effet, dans l’argument ontologique la proposition :

« l'être parfait est nécessaire [A] » ne suppose prouvée aucune existence. C’estune proposition <jue nous

pouvons appeler logique ou essentielle : el l’argument ontologique consistera précisément à arriver, à l’aide de cette proposition, à l’affirmation dune existence. Par contre, dans l’argument cosnu)logique, la proposition : « l'être nécessaire est parfait » suppose l’existence de l'être nécessaire déjà prouvée a posteriori : c’est une proposition existentielle ; telle est donc bien aussi la proposition qui en résulte par conversion : « Quelque être parfait est nécessaire » ou cette autre qu’on considère comme matériellement équiva755

CRITICISME KANTIEN

756

lente : « l’être parfait est nécessaire [B] ». Ainsi, les deux propositions A et B, malgré l’identité apparente de leur énoncé, diffèrent foncièrement entre elles, comme une proposition purement logique diffère d’une proposition existentielle. User de leur ressemblance verbale pour ramener l’argument cosmologique à l’argument ontologique, c’est donc commettre un sophisme. C’est ce que fait Kant.

B. Le criticisme moral.

rt) Erreur fondamentale. — Il est absolument indispensable à la morale Kantienne d’établir sa propre nécessité. En raison même du caractère nouveau et paradoxal qu’enferme l’entreprise de fonder une Ethique purement formelle, c’est-à-dire où la considération du bien ou du bonheur n’ait qu’un rôle secondaire et dérivé, Kant doit — et il l’a bien compris — promer qu’aucune considération de ce genre ne saurait servir de base à une morale. La solution kantienne ne peut se proposer : elle n’a que la ressource de s’imposer ; elle est intelligible si elle est inévitable. — Or loin de nous avoir contraint à admettre sa solution malgré son étrangeté, Kant a échoué dans l’entreprise de lui frayer un accès : un principe de morale matérielle reste debout : Veiidémonisme péripatéticien n’a pas été réfuté. (Ainsi, Ueberweg, Geschichte, g" éd., p. 8^9 ; Zeller, Vortrâge u. Abhandlungen, III, p. i-jS ; A-oir Trexdelex-BURG, Der Widerstreit zw. K. u. Arist. in der Ethik, Hist. Beitrâge, III ; Cathrein, Moral philosophie, -2’éd. I, p. 204 sqq.)

Kant concède qu’  « il y aune fin que l’on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables…, un but que tous se proposent effectivement en vertu d’une nécessité naturelle, et (que) ce but est le bonheur » (Fond., p. 127). Il concède également que, en ce cas, tout impératif qui commande de vouloir le moyen est analytique (ibid., p. 131 sq.) et que « sur la possibilité d’un impératif de ce genre, il n’y a pas l’ombre d un doute » (iOid., p. 1 33). Seulement, pour Kant cette possibilité est théorique ; en fait, ces impératifs « ne peuvent commander en rien y>{iO., p. 182), ils conseillent ; ce sont des impératifs de prudence. Et la raison en est qu’on ne peut, dit Kant, déterminer avec certitude et précision ni ce qu’est le bonheiu" ni ce qui conduit au bonheur (ib., p. 133). Le bonheur est en effet, suivant lui, « un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques » (/. c.) et A’ariable avec les sensibilités. Quant à déterminer ce qui l’engendre, « il faudi-ait pour cela l’oniniscience » (/. c), capable de calculer toutes les suites de chacun de nos actes.

Or, i) il est faux qu’on ne puisse déterminer avec précision la nature du bonheur auquel aspire toute créature raisonnable. En effet, qui ne s’est pas fermé, par une critique destructive, le champ des considérations métaphysiques, n’a pas de peine, en s’élevant au-dessus du sensible et de l’empirique, à découvrir que le bonheur parfait consiste nécessairement dans la possession de Dieu (voir S. Thomas, 1.2 » ^, q. 2 et 3 ; Sum, c. gentes, 1. 3, c. 26 à 3^ et 63) ; — 2) il est faux qu’on ne puisse rattacher a^ec certitude au bonheur aucun acte humain. Cela sans doute est impossible tant qu’avec Kant on conçoit le bonheur comme une satisfaction de la sensibilité (Crit.^, p. 31 sq., surtout 40, 40 Pt qu’on cherche à déterminer quelle espèce d’actes est de nature à le produire, pour ainsi dire, automatiquement. Mais si le bonheur est dans la possession de Dieu, le problème revient simplement à se demander à quelle sorte d’actes Dieu a attaché le don ineffable de lui-même et il est possible de

montrer que c’est aux actes moralement bons (voir S. Thomas, i. 2="^, q. 5, a. ;).

L’exposé des considérations qui fondent cette doctrine ne nous incombe point ici’ ; il nous sutlit pour l’instant de pouvoir dire, en nous référant à elle, que la philosophie chrétienne renferme une solution du problème déclaré par Kant insoluble. Et comme cette solution est certaine, le principe de la morale kantienne n’est pas seulement une hypothèse sans raison d’être, c’est encore nécessairement une hypothèse fausse.

//) Indications concernant quelques points secondaires.

1. L’impératif catégorique ne s’adresse à personne.

— Il semble évident que Kant n’est pas arrivé à dominer l’idée qu’il se faisait des rapports de l’obligation avec la volonté et la liberté. Telle qu’elle se présente à nous, sa doctrine est grosse de contradictions : la clarifier, c’est la détruire.

C’est le noumène qui est libre, et c’est lui sans doute qui est l’obligé. Les actes qui se succèdent dans le temps sont la monnaie de l’acte nouménal ; la série est libre, les éléments ne le sont pas. Cela revient à dire que l’obligation n’a rien à voir avec notre monde, qu’il n’y a pas de morale pour nous qui en parlons.

— Ou bien l’on pose, ce qui semble moins conforme à la pensée kantienne, que c’est le phénomène qui est obligé. On aboutit alors à ces contradictions : c’est le noumène qui est libre et le phénomène qui est obligé, lequel d’ailleurs ne saurait l’être, n’étant pas libre. — Que si enfin, quelqu’un s’avisait de soutenir que c’est l’homme à la fois nouménal et phénoménal qui est le sujet indivisible de l’obligation, il est clair que celui-là ne dirait rien 2.

2. La moralité est déterminée d’une façon incohérente. — Kant détermine en principe la moralité des actes par l’aptitude de leur maxime à être érigée en loi universelle ; en fait, il ne peut se tenir à ce point de vue, et il juge de la moralité par les conséquences. (Ce point est bien mis en relief, avec plus de développements que nous ne pouvons en donner, par Wix-DELBAND, Gesc/i. d. ueueren Philosophie, ’2^éà., i^ol, , p. 115 sqq. ; Zeller, Vortrâge, pp. 16") sqq. 179 ; Cathrein, Moralphilosophie, 1^ éd., i, p. 207 sq.)

— Comment reconnait-on en effet qu’une action est susceptible d’être érigée en loi universelle ? « A cette question, le principe de Kant ne donne aucune réponse, et même il ne peut en donner, car il est un principe purement formel, étranger à toute considération d’un but ou d’un résultat » (Zeller, /. c). Il faut donc recourir à l’expérience, et Kant ne fait pas autre chose quand il s’agit de déduire des devoirs nouveaux déterminés. Le critérium, essayé d’abord, et placé dans la contradiction logique qu’impliquerait l’universalisation d’une maxime, est souvent trompeur : l’égoïsme, par exemple, transformé en loi, n’a rien d’absurde ; il est pourtant — et de l’aveu même de Kant, — immoral.

3. L’autonomie kantienne ne peut rendre compte de l’obligation. — Selon Kant, le fondement ou la source de l’obligation est dans la nature humaine elle-même, dans la nécessité morale où se trouve l’homme

1. Voir article Obligation.

2. Que Kant n’ait pas eu des idées nettes sur sa propre conception de la liberté, cela ressort des contradictions expresses où il tombe quand il en parle, regardant la liberté tantôt comme un fait, tantôt comme un postulat. Voir sur ce point Sænger, hauts Lehre i-om Glauben, Leij)zig, 1903, p. 112. (D’autres contradictions sont notées, pp. 40, 68, 81, 116 sq.) CRITICISME KANTIEN’bS

de s’unifier intérieurement, de ratifier par sa volonté sensible l’attrait de sa volonté intelligible, et Ton pourrait dire, de vouloir ce qu’il veut.

Or, cette vue renferme un élément de vérité, et c’est sans doute ce qui, en elle, a séduit tant d’esprits. Trop souvent, des exposés indiscrets de la doctrine traditionnelle ont représenté l’obligation comme fondée simplement sur un commandement tout extérieur ; comme si l’obligation ne devait pas avoir, sous peine d’èlre sans prise alors même qu’elle ne serait pas sans sanction, un point d’attache et d’appui dans la nature elle-même. C’était prêter à l’objection si souvent reproduite, et que nous retrouvons encore chez Zeller : si l’obligation vient de ce que Dieu commande, il faut démontrer l’obligation d obéir au commandement de Dieu (T 07’^/Y/ « ^e…, III, p. 182). Et en effet l’obligation (ou nécessité morale absolue de vouloir quelque chose) est inintelligible, si elle ne se fonde pas sur un vouloir primitif et nécessaire, inséparable de la nature humaine. Alors seulement peut s’expliquer la nécessité disjonctive (qui est l’essence de l’obligation) : ou faire ce qui m’est commandé, — ou renier, par un acte libre de ma volonté, ce vers quoi ma nature tend nécessairement comme vers sa fin, c’est-à-dire, ce que je ne peux pas ne pas vouloir. — Ainsi, l’obligation n’est pas, suivant la doctrine traditionnelle, le résultat d’un commandement sans plus. Pour qu’à un commandement réponde l’obligation, non seulement en droit, mais en fait, il faut encore que l’ordre extérieurement intimé rencontre une connivence intime et comme une complicité dans la nature. En ce sens, l’homme ne subit pas de contrainte tout extérieure : il est autonome. Mais cette autonomie est bien différente de l’autonomie kantienne ; loin de se suffire, elle nous force à aller plus loin ; car il faut encore assigner la cause de cette connivence intérieure, en répondant à la double question :

d) D’où A-ient cette tendance nécessaire, ce vouloir foncier et inéluctable imprimé dans la nature humaine et qui servira de point d’appui à une obligation ?

h) D’où vient que telle et telle action sont liées efficacement à l’assouvissement de cette tendance, et sont par là même obligatoires ?

Or on doit répondre :

a) Que c’est Dieu qui, en créant notre nature, a imprimé en elle l’inéluctable désir de la béatitude.

b) Que c’est encore lui — et ce ne peut être que lui — qui a relié efficacement la réalisation de ce désir, c’est-à-dire la donation de lui-même, à l’accomplissement par nous de certains actes.

Ainsi, Dieu est la source dernière de l’obligation. La volonté de l’homme obéit à la volonté de Dieu, elle est hétéronome. S’en tenir à l’autonomie, c’est rendre l’obligation inintelligible.

Le kantisme jugé par ses conséquences. — Comme système, le kantisme devait donner naissance à l’idéalisme absolu. Il suffisait pour cela de supprimer la « chose en soi », quitte à déduire de l’esprit lui-même cette donnée première, que Kant demandait à l’action mystérieuse et contradictoire d’un noumène. Sous les yeux du maître vieilli, qui protestait, Fichte opéra cette transformalion. — De rares pliih)soplies, avec Herbaht. restent fidèles au réalisme inconséquent de Kant (de nos jours, par exemple, A. Rieiil, Lugik u. Erkcnntnistheorie, dans Systemulische Philosophie, BtrVm, igo’j ; PoiNCARÉ, La valeur de la science, p. 262) ; mais la grande majorité suit Fichte dans son virement idéaliste (Sciielling, Hegel, SciiorENHAUER ; plus près de nous, Renouvieu, I.e Personalisme, V ; voir Essais de Phil. générale, 185(j. 2’essai, p. 7 ; La-CHELiER, De Vinduction, Alcan, 1896, p. 118etpassim ; A. Sabatier, Esquisse d’une Phil. de la Religion,

p. 3y6 ; Le Roy, Dogme et critique, p. aSG, note ; 161 sqq., etc. ; Bergson, E évolution créatrice, p. 228).

Par ailleurs, en retirant à la conscience l’intuition du moi pur ou nouménal, Kant rendait la nature de celui-ci mystérieuse ; et il avait beau, par la suite, arriver à lui attribuer une liberté et l’immortalité même, on ne voyait pas clairement de quel droit ; Kant lui-même s’y embrouillait (voir S.4.exger, 1. c, p. 112) ; surtout on ne comprenait pas la nécessité d’admettre autant de moi purs qu’il y a de moi empiriques, et même on voyait plutôt la nécessité contraire. C’est dire que le Kantisme, en laissant obscure et délibérément pendante la question de la nature du moi, ouvrait la voie au panthéisme : il n’y a, dira celui-ci, qu’un moi pur, lequel s’apparaît à lui-même, grâce aux formes de l’intuition, sous l’aspect de la multiplicité ; on peut l’appeler Dieu (Fichte l’appela le moi ; Hegel, l’esprit ou /’/(/e’e ; Schopexhauer, la Volonté : Hartmaxx, l’Inconscient). Le Panthéisme complétait ainsi l’Idéalisme absolu, qu’il suppose.

Cette conclusion fut encore tirée d’un autre point de vue. En effet la théorie subjectiviste de l’espace et du temps parut conduire au monisme. On raisonna ainsi : La multiplicité suppose l’espace ou le temps ; supprimez l’un et l’autre, tout se confond, rien n’est distingué ; l’espace et le temps sont, dira Schopenhauer, le vrai « principium individuationis ». Mais alors, en dehors du temps et de l’espace, lesquels ne concernent que les phénomènes, au point de vue métaphysique, ontologique, il n’y a qu’un être. Ainsi l’idéalité transcendantale de l’espace et du temps parut entraîner la vérité du monisme. (Voir sur ce point, K. Fischer, GescA. d. n. Philosophie, 2"^ édit., Kant. III, p. 302 ; Rev. G. Gallaavay : (vhat do religions Thinkers oire to liant, dans le Hibhert Journal, avril 1907, p. 658 ; — on peut indiquer comme point d’attache à la déduction du monisme : Critique^, p. 268, où l’objet transcendant est dit être d’une seule espèce leinerleil pour tous les phénomènes.)

Enfin, on doit voir ici le point de départ de Vlmmanentisme décrit dans l’Encjclique Pascendi. Schleiermacher, qui en est le vrai père, avait remarqué le paralogisme, par lequel Kant attril)uait à l’Etre en soi la pluralité numérique qui est le fait de la conscience sensible. Pour être conséquent, le Kantisme devait se borner, selon lui, à affirmer l’immanence de l’être infini dans les individualités apparentes. Quant au rapport qui existe entre ces individualités et l’être infini, c’est dans un sentiment sui gêner is que nous en prendrions conscience, el ce sentiment est, pour Schleicrmaclier, l’essence même de la religion. (Cf. V. Delbos, Schleiermacher, p. 335 de l’ouvrage intitulé : Le problème moral dans la phil. de Spinoza, Paris, Alcan, 1893.)

Conclusion.

Le Kantisme est mort, du moins comme système ; l’esprit du Kantisme vit toujours. Non seulement il anime les philosophies qui professent de ne plus s’en tenir au criticisme, mais il pénètre la pensée de savants, de littérateurs et même de théologiens, qui n’ont pas eu le goiit d’étudier le système ou qui auraient manqué de préparation pour le comprendre. C’est cet esprit, diffus et insaisissable, que nous avons essayé de ramener à quehiues formules (voir supra, col. 748) dont le sens plénier doit être demandé à tout ce qui les précède. Ces formules ne se réfutent pas ; elles sont elles-mêmes des conclusions, dont nous avons examiné les prémisses. — On aurait pu en ajouter d’autres, et signaler aussi les vérités que le kantisme apportait avec lui et qu’il a contribué à répandre : on a jugé préférable de marquer seulement ici, et le plus nettement possible, ce par quoi il se 739

CRITIQUE BIBLIQUE

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j)Ose, en face de la philosophie chrétienne, comme une doctrine condamnée.

Littérature

1. Sources. — Pour avoir une connaissance sommaire, mais relativement satisfaisante, du Criticisme, il suffît de lire : pour la critériologie, les « Prolégomènes à toute métaphysique future » dans la traduction Hachette, 1891 ; pour la morale, les « Fondements de ht métaphysique des mœurs » dans la traduction Delbos, Delagrave, 1907. — En tous cas, c’est par ces deux ouvrages qu’il faut commencer. Le premier a été fait par Kant pour préparer à la lecture de la Critique de la Raison imre, et en donner une vue d’ensemble, facile à saisir ; le second joue le même rôle relativement à la Critique de la Raison pratique : en peu de pages, on y trouve, dit Schopenhauer,

« l’essentiel de l’Ethique Kantienne, exposé

avec une rigueur systématique, une concision et une netteté qu’on ne rencontre à ce point nulle part ailleurs ». (S. W. éd. Griesbach, Leipzig, 1831, vol. 3,

p. 4 98.)

La Critique de la Raison pure est à lire dans la Traduction Tremesaygues et Pacaud, Alcan, 1906 ; la Critique de la Raison pratique, dans celle de Picavet, Alcan, 1888. La Religion dans les limites de la Raison pure n’a pas de traduction française convenable : on peut la lire, ainsi que les autres ouvrages de Kant, dans le latin de Born (I. Kantii opéra, Lipsiae, 1797, vol. 2).

2. Ouvrages d’exposition’.

a) Sur l’ensemble de la doctrine : Kuno Fischer : Gesch. d. neuer. Philosophie, Kant, 2 vol. (Très clair et initiateur ; peut être d’un grand secours ; en général soutient Kant) ; E. Caird : The criticism of Kant, 2 vol., Glasgow, 1889 (d’une lecture moins facile que K. Fischer ; plus complet ; critique Kant d’un point de ue hégélien) ; C. Cantoni, Em. Kant, la filosofia teoretica, etc. 3 vol. 1879 ; 2* éd., 1907 (modèle de vulgarisation sérieuse) ; dans le même genre, mais beaucoup moins complet, Kronenberg, Kant. Sein Leben u. seine Lehre, 1897 ; 2’éd., 1904. — En français : Ruyssen, Kant, Alcan, 1900 (bon pour donner une A’ue d’ensemble, exacte et nette ; mais insuffisant pour faire connaître le détail ; évite les difficultés) ; Boutroux, Revue des Cours, années 9495, 96, sq. (excellent exposé, à préférer — pour le but qu’on a ici en vue — à l’article du même auteur dans la Grande Encyckpédie. Aborde les points difficiles et les éclaire. Demande un lecteur déjà préparé ) ; Delbos, La philosophie pratique de Kant, Alcan, 1905 (donne beaucoup plus que ne promet le titre. Contient en réalité un exposé génétique de toute la philosophie Kantienne, admirable d’objectivité et de pénétration. Ne peut servir à initier, mais est un instrument incomparable pour approfondir).

b) Sur les points spéciaux : Pour tout ce qui concerne l’Esthétique transcendantale, l’ouvrage exhaustif est le commentaire de Vaihinger, 2 vol. (Commentar zu Kants Kritik der reinen Vernunft, ! <’partie 1881 ; 2* partie 1892. Le premier volume de 506 pages ne contient que le commentaire de l’Introduction ; le second (563 pages) commente l’Esthét. transcend. ; les autres volumes sont attendus.) — Pour l’Analyt.

1. La liste qui suit est critiqno, c’est-à-dire que nous choisissons, parmi les ouvrages d’exj)osé, ceux que nous jugeons plus particulièrement utiles pour un lecteur qui voudrait se faire de Kant une idée exacte, sans cependant aborder les études trop spéciales comme celles de Cohen, d’AoïCKES, etc… Les ouvrages cités sont recommandés comme exposé du Kantisme, mais ne le sont point, par le fait même, sous tous les rapports.

transcend. voir F. Tocco (Kantiste), L’Analytica transcendentale, dans La filosofia délie scuole italiane, 1880. On peut, si l’on ne vise à saisir que l’esprit de la philosophie Kantienne, remplacer cette lecture par celle de la thèse de M. Lachelier sur l’Lnduction, Alcan, 1896. — La Dialectique transcend. n’offre pas de difficulté spéciale et est en général assez bien exposée dans les manuels. Sur la théodicée rationnelle, lire les articles de M. Dehove : La critique Kantienne des preuves de l’existence de Dieu (Extrait de la Revue des Sciences ecclésiastiques : Lille, Morel, 1 905 ; cet opuscule est recommandé aussi pour la partie critique).

3. Dictionnaires. — Très précieux est le petit lexique kantien de Schmid : Worterbuch zum leichtern Gebrauch der Kantischen Schriften, 1798 ; utile aussi le lexique de R. Eisler : Worterbuch der philosophischen Begriffe, 2’éd., 2 vol., 1904. Par contre, le Kantlexicon de G. AVegner (1893) est un instrument de travail plus qu’insuffisant. — En français, le Vocabulaire philosophique que publie la Société française de philosophie est le seul travail correspondant que nous ayons et qui soit digne d’être cité. Il peut rendre des services même pour l’étude de Kant.

4. Ouvrages de réfutation. — Cathrein, s. j., Moralphilosophie, 2 vol. ; H. Dehove : Essai critique sur le réalisme thomiste comparé à l’idéalisme Kantien, Lille 1907 ; Th. Desdouits : La Philosophie de Kant d’après les trois Critiques ; A. Farges, nombreux ouvrages réunis sous le titre : Etudes philosophiques ; il faut citer en particulier : L’objectivité de la perception des sens externes et les théories modernes ; l’idée de continu dans V espace et dans le temps ; l’idée de Dieu d’après la raison et la science ; la liberté et le devoir ; enfin la crise de la certitude, étude des bases de la connaissance et de la croyance, avec la critique du Néo-Kantisme, du Pragmatisme, du Newmanisme, etc. Paris, Berche et Tralin ; G.Fonsegrive, Essais sur la connaissance, LecofTre, 1909 ; Fouillée, Le Moralisme de Kant et l’amoralisme contemporain, Alcan, 1905 ; Critique des systèmes de morale contemporains, Germer-BmllièTe, 1883 ; Kleutgen, s. j., Philosophie scolastique ; Lepidi, L.a Critique de la raison pure d’après Kant et la vraie philosophie, dans Opuscules philosophiques, i série, Lethielleux, 1899 ; Cardinal Mercier, Critériologie. ontologie, psychologie, morale ; T. Pesch, Kant et la science moderne, le Kantisme et ses erreurs, Lethielleux, 1897 ; Peillaube, L.a théorie des concepts, Lethielleux, Paris, 1896 ; C. Piat, nombreux ouvrages qui tous, plus ou moins expressément, sont une critique du Kantisme : L’intellect actif Leroux, Paris, 1890 ; L’idée, ou critique du Kantisme, Poussielgue, 2’éd., 1901 ; La croyance en Dieu, Alcan, 2 éd., 1909 [Cf. surtout le 1" chapitre] ; L’insuffisance des philosophies de l’intuition, Pion, 1908 [chapitre sur les inférences rationnelles ] ; Sertillanges, Les sources de la croyance en Dieu, Paris, 1906 ; C. Sentroul, L’objet de la métaphysique selon Kant et selon Aristote, Louvain, 1905 ; G. Sortais, Etudes philosophiques et sociales [iv, exposé et réfutation du Kantisme] ; Trendelenburg, LListorische Beitrdge, III ; Vallet, Le Kantisme et le Positivisme, Roger et Chernoviz, 1887 ; AVillmann, Geschichte des Idealismus, 1897, 3° vol., p. 873 à 629 (critique Kant d’un point de vue thomiste).

Auguste Valensin, S. J.