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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Critique biblique

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 388-418).

CRITIQUE BIBLIQUE. —

I. Histoire sommaire DE LA CRITIQUE BIBLIQUE. — i. Les Origines. 2. L’Ancien Testament. 3. L.e Nouveau Testament.

II. La CRITIQUE APPLIQUÉE a la Bible. — i. Objet 761

CRITIQUE BIBLIQUE

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et râle de la critique biblique. 2. Terminologie, définitions et di^’isions. 3. Procédés de la critique biblique. 4- Ses ressources.

III. Critique littéraire des Livres Saints. — I. Authenticité. 1. Genres littéraires. 3. Sources, citations et doublets.

IV. La critique biblique et l’apologétique.

— i. Tradition et critique. 2. Critiques et préjugés. 3. Le parti pris dogmatique. 4- L’Eglise et la critique biblique.

I. — Histoire sommaire de la critique biblique

I. Les origines. — Entendue au sens large du mot, celui que suggère l’étyinologie, la critique biblique est aussi ancienne que l’étude de la Bible ; son histoire se confond avec celle de l’exégèse et de l’apologétique. De tout temps, l’on a senti qu’avant d’acquiescer à l’autorité d’un texte, il faut savoir de qui il est et dans quel état il s’est conservé.

a) Au seuil du 11’= siècle, S. Ignace, Pliilad., 8, rencontre déjà des chrétiens qui n’entendent se rendre qu’au témoignage des plus anciens exemplaires de l’Evangile (J. B. Lightfoot, Apostolic Fathcrs, 1889-, II, p. 271, interprète auti-ement vj toX^ àpystotç) et qui soulevaient la question d’authenticité ou d’interprétation, quand on leur montrait le passage. Ce texte, rapproché d’une citation scripturaire de S. Polycarpe, Philip., 1 (cf. Act., II, 24) et d’une réflexion de S. Iré-NÉE, lll, II, I, fait assez voir que, dès cette époque, l’exégète et l’apologiste avaient à tenir compte des menues variantes présentées par les différentes copies du Nouveau Testament. Cf. R. Cornely, LList. et crit. Introd. in [’. T. Libros sacros, 1885, I, p. 292, not. 3. Dès lors aussi, on savait donner à la comparaison des textes l’attention convenable ; cf. S. Irénée, V, XXX, I. Vers le même temps, Jean l’Ancien, dont parle Papias, avait à faire l’apologie de l’exactitude de l’évangile de S. Marc ; cf. Eusèbe, HE, III, xxxix. Papias lui-même se documentait, de son mieux, auprès des presbytres qu’il rencontrait ; car il mettait, nous dit-il, plus de confiance dans la tradition vivante (jne dans les livres. Ibid.

Les apologistes, qui vinrent immédiatement après : S. Justin, S. Irénée et Tertullien, en appellent résolument au texte inaltéré de l’A. T., dont ils pensent avoir exactement la teneur dans la version grecque des Septante ; à l’enconlre des récentes traductions judaïsantes d’AnuiLA, de Tiiéodotion et de Symmaque. Ils protestent aussi contre les retranchements faits au N. T., et notamment aux Evangiles, par les Marcioniles. S. Irénée, I, xxvii, 2 ; III, xii, 12 ; Tertul., L>e carne Christi, 2 ; Ad Marc, iv, 2-4. D’autre part, le fragment dit de Muratori, lin. 64 et 82, leur reproche d’augmenter indûment le Canon des Ecritures d’une collection de psaumes et d’une lettre de S. Paul Ad Alexandrinos. S. Irénée, lil, xi, 9, sait que des adversaires excessifs du montanisme font opposition au quatrième évangile. Du milieu du 11’siècle au milieu du iri<’, les évècpics orthodoxes veillent à ce que la bonne foi de certaines Eglises ne soit pas surprise par des colporteurs d’apocryphes, mis à fort sous le nom de quelque apôtre. Voir Canon. Pour faire ce discernement, ils ne se réclament pas seulement de l’autorité dogmatique du sentiment commun dans l’Eglise, ils font encore appel à la valeur historique de sa tradition. Cf. S. Irénée, III, iii, i ; Tertul. , De præscript., 28 ; Eusèbe, HE, VI, xii. Du reste, il n’est pas prouvé, quoi qu’on ait dit, qu’au commencement du m’siècle, Tertullien, De præscript. , 36, n’en appelait pas encore aux autographes mêmes de S. Paul.

Le travail colossal d’ORiGÈNE, connu sous le nom d’ILexaples, représente le premier essai méthodique de critique textuelle ; il s’étendait aux originaux et aux versions grecques de l’A. T. Pour venger le récit biblique du reproche de puérilité et d’absurdité, le grand polémiste chrétien ressuscita l’apologétique de l’école judéo-alexandrine (Aristobule et Philon), en recourant à l’allégorisme littéraire. Cinquante ans plus tard, S. Pamphile et Eusèbe de Césarée réussiront à vulgariser quelques-uns des résultats obtenus par Origène, dont ils avaient atténué les excès. A ce même moment, Lucien d’Antioche et Hésychius d’Egypte reprenaient la critique des textes, inaugurée par Origène. Il est difficile de dire aujourd’hui d’après quelle méthode ils ont travaillé, et avec quel succès. Le décret dit de Gélase (495) les condamne sévèrement en ce qui concerne les Evangiles.

Vers la fin du iv siècle, S. Jérôme, après avoir revisé sur le grec le N. T. latin, eut l’ambition de donner aux Occidentaux une meilleure version latine de l’Ancien ; il traduisit tous les IIatcs dont l’original hébreu ou chaldéen existait encore, ou du moins lui était accessible. De son côté, S. Augustin, que l’ignorance des langues avait tenu à distance des textes, donnait corps aux procédés courants de l’exégèse traditionnelle, dans le traité intitulé De doctrina christiana, P. /.., XXXIV, 15. Ses deux beaux livres : De Genesi ad litteram et De consensu Evangelistaruni, P. L., XXXIV, 219, io41, ont été longtemps le répertoire des apologistes. Plusieurs des applications qui s’y rencontrent ont vieilli, mais la plupart des préceptes gardent encore leur valeur. Le moyen-àge ût effort pour rendre à la version de S. Jérôme sa physionomie primitive ; de là les « Correctoires » de la Bible latine. Voir Vulgate (Histoire de la). Il se trouva même alors un franciscain, Roger Bacon (y 1294), pour plaider la cause de l’hébreu. Cf. Dict. de la théol. cath. (Vacant), II, p. 23-31. Les grandes controverses dogmatiques entre catholiques et protestants, qui remplissent les xvi* et xvii « siècles, furent l’occasion d’une renaissance des études bibliques, qui rappela l’âge d’or des iv et v siècles.

b) L’aperçu qui précède, bien qu’on n’y ait retenu que les faits les plus saillants, donne suffisamment à comprendre qu’un examen rationnel des titres historiques de la Bible a toujours été dans les habitudes de l’apologétique chrétienne. Cependant, catholiques et protestants s’accordent assez pour reconnaître que la critique biblique est relativement moderne ; volontiers, ils lui assignent pour fondateur l’oratorien français, Richard Simon (-j- 17 12). Cf. R. Cornely, Hist. et crit. Introd. in U. T. Libros sacros, 1885, I, p. 692 ; A. JiiLicHER, Einleit. in das V. T., igoS^, p. 8. Ces deux assertions ne sont pas contradictoires. Tant que l’on discuta dans l’Eglise sur les livres deutéro-canoniques du N. T., les questions d’authenticité furent agitées ; l’origine apostolique de ces écrits étant alors considérée comme le critère, tout au moins le critère de fait, de. leur canonicilé. Voir Inspiratio.n (Critère de 1’). Admettre que le Ouatrième évangile et l’Apocalypse étaient de Cérinlhe, et non de l’Aitôtre Jean, c’était s’interdire, d’avance, de les tenir pour canoniques. Quand l’accord se fut fait dans l’ensemble des églises sur le Canon, les questions d’aulhenticifé perdirent Ijcaucoup de leur intérêt. Voir plus loin, III, i, a. Dans les controverses qui suivirent, catholiques et héréliques s’entendaient sur l’origine divine et humaine de ces livres, c’était uniquement sur leur interprétation qu’ils disputaient. Même avec les infidèles, ce n’est qu’exceptionnellement que les apologistes chrétiens eurent à élablir l’authenticifc de leurs textes. Il semble bien, en effet, que Celse, Porphyre et Julien l’Apostat n’aient pas porté l’attaque de ce ^63

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côté ; c’est à la vérité du contenu de ces livres qu’ils s’en prenaient. Quant au problème littéraire : comment les Livres Saints avaient été composés, c’est un point sur lequel l’attention des anciens ne paraît pas s’être arrêtée. S. Acgustix a consacré quelques lignes seulement à la question des évangiles synoptiques, que les modernes discutent depuis un siècle. Cf. De cons. Evangelist., i, ii, 4 ; P- L., XXXIV, io44- Un certain nombre de Pères ont, en passant et d’un mot, représenté Esdras comme le k restaurateur x des Ecritiu’cs ; mais ils étaient bien loin de poser la question des origines de l’A. T., comme on le fait aujourd’hui. Cf. Fr.DE HuMMELAUiîR, Comment, in Deuteron., igoi, p. g. OuiGÈNE, S. JÉRÔME et S. Augustin avaient, il est vrai, relevé dans la Bible des différences de style, que volontiers ils mettaient au compte du génie particulier et du milieu des hagiographes ; en exégètes délicats, ils tenaient compte de ces constatations pour mieux interpréter les textes, mais ils ne s’étaient pas avisés d’en faire un point de départ pour dater leur composition. S. Jérôme sait que plusieurs, avant lui, ont contesté Tautlienticité de l’épître aux Hébreux et de la II<’de Pierre, à cause de la dilliculté qu’ils trouvaient à les attribuer respectivement à S. Paul et à S. Pierre, « propter styli sermonisqiie dissonantiam >’. De ir. ill., i-v, P. L., XXIII, 609-617 ; toutefois, il ne semble pas que ces oppositions faites au nom du critère interne aient tenu beaucoup de place dans les controverses des anciens. Or, c’est précisément aux indices révélateurs, fournis par les textes eux-mêmes, que les critiques modernes se sont attachés. Ils ont prétendu trouver sur ce terrain un point d’appui suffisant pour contrôler et, au besoin, réformer le témoignage de la tradition au sujet des origines de la Bible.

c) C’est surtout par ce dernier aspect que la critique biljlique est moderne ; mais, même envisagée de la sorte, elle a été précédée d’une époque de préparation. Déjà, lors du concile de Vienne (1311), Clément y avait érigé des chaires de langues orientales dans les principales Universités : Rome, Paris, Oxford, Salamanque, Bologne. L’humanisme du xv* siècle provoqua, par contre-coup, un renouA-eau des études bibliques. Sur ce terrain, les premières recherches des savants chrétiens, qui s’étaient mis à l’école des rabbins, furent d’ordre philologique ; on fit des grammaires et des dictionnaires de la langue hébraïque. Qu’il suffise de rappeler les noms de J. Reuchltn (~ 1622), et du dominicain Xantes-Pagnixi (~ 1541). Avec la connaissance de la langue originale, l’ambition vint à plusieurs de traduire à nouveau l’A. T. ; du côté des protestants : Osiander, Munster, Casta-Lio, etc. ; du côté des catholiques : Xaxtes-Pagnixi, Cajetan, Arias Montanus, Malvenda, Isidore Cla-Rius. Puis, on imprima sur colonnes parallèles les textes el les versions ; en l’espace d’un siècle (15141 65-) parurent successivement les polyglottes d’Alcala (XiMÉNÈs), d’AuA’ers (Arias Montanus), de Paris (J. Mohin), de Londres (Walton).

Pendant la seconde moitié du xvi’siècle, on reprend, avec plus d’ardeur que jamais, le travail commencé par Erasme (-J- 1536) : la comparaison des manuscrits, l’amendement des versions d’après les textes originaux, à l’effet d’obtenir un texte grec du N. T. plus correct et une version latine plus fidèle. Les éditions du texte données successivement pai* Robert Estienxe et par Th. de Bèze devaient aboutir au Textits receptiis de 1633 ; tandis que les éditions de la vulgate latine du même Robert Estienne et de J. Henten allaient permettre aux rcviseurs romains de préparer la bible dite Sixto-Clémentine (1692). — La critique du texte de l’A. T. eut son tour, mais avec des résultats plus modestes. Les travaux de Louis

Cappelle, Critica sacra, 1650, des deux Buxtorf (le père ~ 1629 et le fils y 1664), de J. Morin et de Vossius se bornaient à des remarques philologiques ; on y disputait encore sur la question de savoir si dans le texte des Massorètes les points-voyelles étaient inspirés ou non. — La critique textuelle de la Bible était fondée, mais elle devait attendre presque deux siècles avant d’avoir une méthode et un champ d’observation suffisant. Voir Textes bibliques (Critique des). A cette même époque se rattache la publication des Critici srtc/v’(1660), dans laquelle les anglais Jean et Richard Pearsons ont réuni les principaux commentaires protestants. Il convient de mentionner encore les Horæ hebr. et talmudicæ de J. Lightfoot (t 16, 5).

Ces premières recherches sur l’A. T. avaient fait toucher du doigt la nécessité d’étudier les langues apparentées avec l’hébreu. Ce fut l’origine de l’orientalisme en Occident. On se mit à étudier, plus que par le passé, le syriaque et l’arabe. Les deux foyers les plus actifs de l’orientalisme furent Leyde et Paris ; en Hollande : Erpenius (y 1624), Louis de Dieu (y 1642), Leusden (y 1699 Amsterdam), et plus tard, Schultkns (-f- 1760) et Schroeder (y 1 798) ; en France : d’HERBELOT (y 1669) ; l’oratorien J. Morin (y 1609) et A. Galland

(t 17’5) d) C’est en 1678 que paraît à Paris la première

édition de V Histoire critique du Vieux Testament par Richard Simon. L’auteur s’y occupe des textes et des versions. Les huit premiers chapitres présentent, au point de vue qui nous occupe, un intérêt particulier. On y avance que le Pentateuque, les Livres historiques et même les Prophètes n’avaient pas dû avoir, à l’origine, l’unité littéraire que la tradition leur a reconnue depuis. Moïse n’a pas écrit tout le Pentateuque, et même dans les parties qu’il a écrites, il s’est servi de sources et de sources multiples. Il y avait, sans doute, chez les Juifs, des historiographes officiels, qui n’étaient autres que les Prophètes, et ceux-ci avaient le droit d’ajouter au texte sacré ou d’en enlever. On peut voir dans l’article Pentateuque comment R. Simon s’j' prenait pour établir sa thèse. Du reste, il essaj^ait de faire voir qu’elle n’était pas si nouvelle qu’elle paraissait de prime abord ; en glanant à travers la patrologie chrétienne et la tradition rabbinique du moyen âge (par ex. Ibn Esra y 11 67), il avait réussi à coUiger quelques témoignages en sa faveui". L’originalité de VHistoire critique consistait moins dans ses conclusions sur le Pentateuque et les Prophètes que dans sa méthode, c’était la première étude d’ensemble ayant la prétention de dater un livre biblique d’après l’analyse littéraire et historique de son contenu. De ce point de vue, Richard Simon n’est pas tributaire de Spinoza, bien que le traité Théologico-politique (1670) de celui-ci ait précédé de quelques années VHistoire critique. Ce n’est pas en littérateur, ni même en historien, que Spinoza révoquait en doute l’authenticité du Pentateuque et des Prophètes, mais bien plutôt en philosophe panthéiste, qui rejette comme inauthentique tout ce qu’il ne juge pas être conforme aux données de la raison. Cî.^ixwGixvi., Essai sur Richard Simon, 1900, p. I25 ; Mangenot, L’auth. mosaïque du Pentateuque, 1907, p. 21 ; et, d’autre part, Westphal, Les sources du Pentateuque, I, Le problème littéraire, 1888, p. 69. Il faut en dire autant de Hobbes, Le-iathan, 1651. En réalité, Hobbes et Spinoza ne furent que des précurseurs du rationalisme en matière de critique biblique, tandis que Richard Simon a été le fondateur de la critique historique des Livres Saints, au sens moderne du mot. On a prétendu aussi, mais bien à tort, que Richard Simon relevait des principes et des travaux protestants. Il est vrai que les Sociniens et les Armi165

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niens, s’étant relâchés de la conception rigide de la théopnevistie, telle que les premiers Réformateurs l’avaient enseignée, apportaient à Télude de la Bible des procédés philologiques et historiques dont leur exégèse n’avait pas tardé à se ressentir. R. Simon connaît les commentaires de l’arminien Grotius (de Groot, -^ 1645), et en fait assez de cas, toutefois sans lui épargner la critique, p. 443. Mais il est évident par tout le contenu de V Histoire critique (et l’auteur en fait plus d’une fois l’observation expresse, p. 13, 35^, 427, 478) » f^^e l’œuvre tend à ruiner la prétention des Protestants de faire de l’Ecriture la règle unique de la foi. Cf. A. Sabatikr, Les religions d’autorité et la religion de l’esprit, i(jo4, p. 320-321. C’est ce dont convenait Bossuet lui-même. Cf. Margival. lac cit. C’est un fait, que les Protestants furent les premiers à réfuter l’Histoire critique. Ils le firent d’abord par la piume de Jean Lk Clerc (Clericus), un arminien de Hollande, dans une série de publications qui s’ouvre en 1680, par les Sentiments de quelques théologiens de Hollande sur VHist. crit. du V. T. de Richard Simon. Vint bientôt après la Défense des Sentiments. .., 1686 ; et enfin Ars critica in qua ad studia ling. lat. grœc. et hebr. via munitur, 1697. Du reste, la critique de J. Le Clerc sur le Pentateuque était encore plus radicale que celle de R. Simon. Du côté des Catholiques, VHistoire critique ne reçut pas un meillem" accueil. On sait comment elle fut condamnée à Paris dabord, puis à Rome. C’est pour la réfuter que Bossuet a écrit sa Défense de la Tradition et des Saints /^ères (publiée seulement en 1743). Cependant, si, à plus de deux cents ans de distance, on compare la position prise par R. Simon dans la question du Pentateuque avec la récente réponse de la Commission biblique, on constate qu’elle se trouve satisfaire aux exigences du décret du 27 juin 1906.

e) Ce n’est qu’un siècle plus tard que le problème littéraù-e concernant le Pentateuque devait être repris. Il le fut par un autre catholique français, J. AsTRUc, Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Jloïse s’est servi pour composer le livre de la Genèse, Bruxelles, 1753. Voir l’article Astruc dans le Dict. de la Bible (Vigouroux). Le mémoire d’Astruc fut réfuté sur-le-champ par les protestants J. D. MicHAELis et J. F. W. Jérusalem, qui le prenaient de très haut avec le médecin de Montpellier. C’était pourtant l’époque où Lowth en Angleterre et Herder en Allemagne mettaient en honneur les études littéraires sur la Bible.

2. L’Ancien Testament et la critique depuis un siècle. — rt) La lin du xviii* siècle fut marquée en Allemagne par une activité philosophique et littéraire sans précédent dans l’histoire de ce pays. Les études bil)liqucs devaient s’en ressentir. On commença par l’Ancien Testament. Les idées de R. Simon et d’Astruc furent reprises par J. G. Eicuuoux, Einleitung in das A. T., 1780-1788, qui du reste ne nommait pas même Astruc ; et peut-être en clfet ne le connaissail-il (pie par la réfutation de Michælis. Les travaux d’Eiclihorn furent suivis de près par ceux d un prêtre catholique anglais, Alex. Geddes (1792), qui concluait dans le même sens. Désormais, la question du Pentateuque est à l’ordre du jour, et elle y restera pendant un siècle. C’est sur ce terrain, on peut le dire, que s’est édiiiée la critique bil)lique moderne. Les universités allemandes en ont eu pendant plus de cinquante ans le monopole. Toutefois, il ne faut pas oublier que E. Rkuss, dit le Nestor de la criticiue, qui enseignait à l’université de Strasbourg, restée française jusqu’en 1871, semble avoir ouvert la voie dans laquelle on marche encore. De l’Allemagne, la ques tion passa dans les écoles de la Hollande, de 1" Angleterre et de la France.

On peut voir dans l’article Pentateuque par quelles vicissitudes et au milieu de quelles polémiques l’hypothèse’( documentaire » d’AsTRUc-EicHuoRX s’est acheminée vers l’hypothèse dite du « développement » de Reuss-Graf-Wellhausex (on dit encore Gr.f-KuE ^"E^-^^’ELLHAUSE^"), couramment reçue aujourd’hui. Voici à quoi elle revient. Le Pentateuque (ovi plutôt l’Hexateuque, car Josué fait littérairement corps avec les livres précédents), date, dans sa forme actuelle, d’après l’exil ; — on ne s’accorde pas pour fornmler une date plus précise. Cette rédaction se fonde néanmoins sur des documents fragmentaires plus anciens, à savoir : P = le Code sacerdotal (appelé tout d’abord Eci-it fondamental, Livre des origines, ou Elohiste tout court) ; E ^ l’Elohiste (ou encore le second Elohiste, par opposition au précédent) ; J = le Jéhoviste (ou le Livre de l’alliance) ; D z= le Deutéronome. Or, P serait du i’^ ou même du v » siècle, E du vii<= ou du viii<=, D du VII, J entre le vin « et le x*". Selon qu’ils donnent ou non à ces portions intégrantes de l’Hexateuque des sources écrites plus anciennes, et surtout qu’ils reconnaissent à ces documents une valeur histoiùque plus ou moins grande, les critiques sont dits relativement conservateurs ou radicaux. Tandis que Dillmaxx et Noeldeke placent la composition de la plupart de ces sources au ix<= ou au x’siècle, et même certains fragments à l’époque mosaïque, Wellhausex ne veut pas remonter au delà du viii’siècle ; à l’entendre, le Décalogue daterait du temps du prophète Michée. Dans sa phase actuelle, la critique de l’Hexateuque ne donne plus qu’une importance secondaire au critère littéraire ; l’argument historique lui-même, celui qui résulte de l’analyse du contenu de ces écrits, se fonde avant tout sur le développement progressif des institutions et des doctrines bibliques. Pour préciser ce développement, on prend comme point de repère le Deutéronome, qui aiu-ait été composé au vu siècle, du temps du roi Josias. Cette date est tenue pour certaine.

Les représentants les plus connus de l’école critique, dont les conclusions vont s’écartant toujours davantage des données traditionnelles, sont : Allern., EicHHORX, Ilgex, de Wette, h. Ewald, Vater, Vatke, Knobel, Graf, Hupfeld, Schrader, Noeldeke, Welliiausex, Stade, Budde, Fried. Delitzsch, Holzixger ; HolL, Kuenex ; France. E. Reuss ; Angl., Geddes, Rob. Smith (Encycl. hritannica), et Encycl. biblica (Ciieyne). — L’école conservatrice protestante peut se réclamer, en Allemagne, de Hexgstex-BERG, LïicKE, Keil, Hæverxick, Ed. Koemg, Jul. BoHM. Sam. Œttli, Franz Delitzsch qui devait se rallier, peu avant sa mort, à des conclusions plus avancées : et. en Angleterre. de Bissel, Green, Baxter, Orr. — Entre ces deux extrêmes il existe une école intermédiaire : Allem., Bleek, Kamphausen, Dill-MANX. Kittel, Baudissix, Strack, Klostermann, Con-MLL. Kautzscii ; langue angl., Colexso, A. B. Davidson. Driver, Rylk, B. W. Bacon, Briggs, Dict. of tlie / ?(7y/e (Hastings) ; langue franc., IIalévv, Brustox, Westpiial, L. G.vutier. Il va sans dire que cette classitîoation n’a rien d’absolu, la complexité du problème et la Aariété des solutions qu’il a reçues, ne permettent pas de prétendre à plus de précision. Cf. Westpiial. Les sources du Pentateuque, l. Le problème lilléraire, 1888 ; II, Le problème historique, 1892 ; Cli. Briggs, Tlte higher criticism of the Hexateuch, édit. de 1897 : IL HoLzi.VGKK, Einleit. in den Hexateuch, 18., 3.

Du côté des catholiques, le problème littéraire du Pentateuque excita tout d’abord peu d’intérêt. Les quelques Allemands qui s’en sont occupés pendant 767

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la première moitié du xix « siècle se montrèrent plutôt favorables aux résultats de la critique moderne ; on peut citer Movers, Haneberg, Reixke, etc. Toutes les forces vives de l’apologétique catliolique étaient alors dépensées à faire face aux attaques dirigées contre la chronologie Jjiblique au nom de l’égyptologie, et contre les premiers récits de la Genèse au nom des sciences natvirelles : la géologie, l’astronomie et la paléontologie. Cependant, vers le milieu du siècle, les auteurs d’Introductions à l’Ecriture Sainte (Herbst etWELTE, 1840 ; Glaire, : 843 ; Sciiolz, 1845) commençaient à faire à la critique du Pentateuque un peu de place ; Kaulex, 1876, Ubaldi, 1877, Corxely, 1885, devaient lui donner plus de développements. M. Vi-GOUROUX, S. S., a été le premier à vulgariser en France la question sous sa foruîe actuelle, d’abord dans le Manuel biblique, I, 18 ; 8 ; puis dans les Lisi-es Saints et la critique rationaliste, III, 1886. Comme ses devanciers, il s’en tient au sentiment traditionnel. A vingt-cinq ans de distance, on peut observer un changement de position dans la dernière Introduction spéciale à l’A. T. sortie d’une plume catholique : Fr. Gigot, S. S., Spécial Introd. to the study of tlie Old Testament, 1901. Je le cite. « Un certain nomljre de saA’ants catholiques, qui apparemment ira en croissant, — tels que Bickell, Von Hummelauer, S. J., en Allemagne ; Vox HuEGEL, Rob. Clarke, en Angleterre ; Lagraxge, O.P., à Jérusalem ; Loisy, Robert et d’autres, en France, etc. — acceptent comme solidement établis la plupart des plus importants résultats de la recherche critique », p. 45 ; cfr. p. 110, 187, i^o. Depuis, il a paru deux ouvrages dans lesquels on soutient le sentiment traditionnel : James Orr (protestant écossais), The problem of the Old Testament, 1906 ; et E. Maxgexot, L’authenticité mosaïque du Pentateuque, ’.907. Il faut joindre à ces monographies J. Brucker, L’Eglise et la critique biblique, igo8, p. 103-189. D’après ce dernier, on peut ramener à trois points ce qu’il est permis de retenir de la théorie documentaire : 10 La constitution définitis’e du Pentateuque peut être postérieure à l’exil ; et donc les écrits dont il se compose auraient existé jusque là séparément. 2° Il est possible que Moïse ait fait rédiger ces textes par des écrivains sous ses ordres. 3" La rédaction des écrits d’origine mosaïque peut se fonder elle-même sur des documents plus anciens.

b) Tous les autres livres de l’A. T. ont été soumis successivement à l’épreuve de la critique histoi-ique. Du reste, il est facile de s’apercevoir que, par contrecoup, l’attitude prise vis-à-vis du Pentateuque change déjà, à elle seule, toute la perspective de l’A. T. : histoire, institutions et doctrines.

Il y a cinquante ans, on se demandait s’il fallait abaisser la date de la composition de quelques psaumes à l’époque des Macchabées ; aujourd’hui, écrit Wellhausex, on se demande s’il y a des psaumes datant d’avant l’exil. Voir l’article Psaumes. De Delitzscii (1860), qui maintenait encore au compte de David 44 psaumes (sm- ^3 qui lui sont attribués par les titres), à Bakthgex (1897), qui ne lui en conserve plus que 3, on peut mesurer le chemin parcouru. Pour Driver, res non liquet, tandis que Duhm et Cheyxe se rangeraient volontiers à la formule de Wellhausen. La plupart des catholiques : Patrizi, Vax Steexkiste, Lesètre, Crampox, Filliox, PanxiER maintiennent que le plus grand nombre des psaumes datent d’avant l’exil et que beaucoup sont de David ; mais ils accordent que les autres sont de l’époque du second Temple, et même que quelques-uns pourraient bien avoir été composés sous les Macchabées. Dans ces conditions, le psautier n’aurait été définitivement clos que peu de temps avant la composition du prologue de l’Ecclésiastique grec, vers 1 30.

D’autres cependant, par exemple le P. Zenner, Die Psalmen nach dem Urtext, 1906, I, p. 20, se rapprochent plutôt des conclusions de Bathgen. Il faut bien convenir que la date, même approximative, de la plupart des psaumes devient très difficile à déterminer, du moment que l’on n’accorde pas de valeur historique aux titres qui les attribuent respectivement à David, à Asaph, à Coré, etc.

c) Les livres historiques, n’étant datés d’aucune façon, laissent une porte largement ouverte aux conjectui’es. Assez généralement, on place la composition des deux premiers livres des Rois (autrement dit de Samuel) entre le viii" et ai’siècle. On se contente d’assigner aux deux autres l’époque qui a précédé l’exil, sans préciser davantage. M. M. Vernes, Précis d’histoire juive, 1889, p. 478-820, place au iv^ siècle la composition des quatre livres des Rois ; mais son opinion est restée sans écho. Esdras et Néhémie seraient du IV* siècle, les Paralipomènes (ou Chroniques ) auraient été rédigées après la construction du second Temple, entre 300 et 260. Les livres des Macchalîées sont du 11’siècle. Rien de précis sur l’âge de Ruth, de Job, de Tobie, de Judith, d’Esther et de Jouas. On discute même sur leur genre littéraire. — Le caractère de l’histoire biblique fait l’objet de vives controverses. Pour les tenants les plus avancés du

« criticisme)>, cette histoire est d’un bout à l’autre

foncièrement pragmatique, c’est-à-dire destinée à justifier les institutions et les doctrines du temps présent, en les reportant dans le passé par fiction littéraire. En somme, les auteurs de ces prétendus livres historiques auraient été avant tout des poètes. C’est la thèse plus que paradoxale de M. Vernes, loc. cit. Les autres, tout en admettant que l’histoire biblique est tendancieuse, estiment qu’elle met au service de la cause qu’elle entend défendre, non pas une pure fiction poétique, mais une tradition populaire, dont la valeur est de moins en moins historique à mesure que l’on remonte vers les origines. Le Pentateuque, à partir de l’Exode, serait l’épopée du peuple d’Israël, tandis que la Genèse représenterait sa mythologie. Avec les Rois seulement on prendrait pied sur le terrain ferme de l’histoire. Cf. Ryle, The early A’arratives of Genesis, 1892 ; IL Guxkel, Genesis, 1901, dans le Ilandkommentar zuni A. T. de W. Nowack, et plus brièvement dans Die Sagen der Genesis, 1901 (tiré à part de la première livraison du précédent commentaire) ; A. Loisy, Etudes bibliques, 1901, p. 61. Toutes les Histoires d’Israël publiées depuis cinquante ans relèvent plus ou moins de la critique littéraire et du mouvement d’idées dont nous venons de parler. Il faut citer celles de Eavald 1843, Grætz 1 853- 1875, HiTziG 1862, Reuss 1877, Le-DRAix 1879, Stade 1887, Kittel 1888, Vernes 1889, Renan i 887-1 891, Wellhacsen 1894, Kent 1896,

CORNILL 1898, PiEPENBRING l8y8, GUTHE 1899.

Pour les catholiques, le récit biblique reste VHistoire Sainte. Tout en convenant qu’il a été conçu et conduit en vue d’un enseignement religieux à donner, ils lui reconnaissent un caractère historique proprement dit. Quelques-uns pourtant ont fait exception pour les récits primitifs de la Genèse. Voir plus bas III, 2 b. M. ViGouRoux, a publié quatre volumes, plusieurs fois réédités, La Bible et les découvertes modernes, 1877, pour justifier l’exactitude du récit biblique. M. Lesï : tre, Histoire Sainte, 1908^ (qui est à compléter par Les récits de l’Histoire Sainte dans la Revue pratique d’Apologétique, avril 1906 et suiv.) ; et M. GiGOT, S. S., Outlines ofthe jewish historryiSgj, (commençant avec Abraham) ont tenté d’écrire un précis d’Histoire Sainte, en tenant compte des résultats certains ou du moins acceptables de la critique moderne. "69

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d) L’authenticité des Prophètes a résisté davantage à la critique, car on peut négliger le paradoxe de E. Havet et de M. Veuxes, qui voient dans leurs écrits des compositions pseudépigraphiques des quatre siècles qui ont précédé immédiatement notre ère. On s’accorde assez à dater du aiii’siècle : Amos, Osée, Isaïe (la première partie, sauf quelques chapitres), Michée ; — du vii= siècle : Nahum, Sophonie, Jérémie (l’intégrité est contestée), Baruch, Haljacuc ;

— du vi « siècle : Ezéchiel (Deutéro-Isaïe), Aggée, Zacharie (l’unité littéraire est contestée) ; — du V^ siècle : Malachie. On reste indécis au sujet de Joël et d’Abdias (du x^ au vi^ siècle, ou même à une époque plus basse en ce qui concerne Joël) ; ceux qui admettent le caractère historique du livre de Jonas en placent la composition au viii « siècle, et quelques-uns au v «. Il va sans dire que le très grand nombre des critiques dits indépendants n’admettent pas la possibilité de la prophétie, et que ce préjugé a exercé son influence aussi bien sur leur ci-itique littéraire que sur leiu" critique historique. Voir l’article Propiié TISME.

e) L’histoire littéraire de l’Ancien Testament a été écrite, du côté des rationalistes et des protestants, par Th. NôLDEKE, Hist. littér. de l’A. T. (trad. franc, de Derenbourg et Soury, 1878) ; J. Wellhausen, Prolegomena ziir Geschichte Israi’ls, 1878 ; R. Kittel, Die Anfange der hebr. Geschichtschreibung im A. T., 1896 ; B. DuHM, Die Entstehung des A. T., 1897 ; E. Kautzsch, An oiitline of the Literature ofthe O.T. (trad. angl., 1899) ; G. F. Moore, Ilistorical Littérature ofO. T., dansVEncrcI. biblica (Cheyne), col. 2076 ; BuDDE, Geschichte der althebr. Literatur, 1906. — Du côté des catholiques, on peut citer W. Bakry, The tradition of Scripture, 1908. La plupart des Introductions à l’Ecriture Sainte font une part i)lus ou moins large à l’histoire et à la critique littéi*aire.

Les plus connues de ces Introductions sont : 1° du côté des catholiques, celles de Jahx, 1793, Heubst-AVelte, 1840-1844) ScHOLz, 1843-1848, Haneberg, 1845, Reuscu, 1859, Kaulex, 1876, 1899 % avec Compend. 1897 (Allem.) ; Ubaldi, 1877 (lat.) ; Vigouroux, 18781880’, 1906’- (franc.) ; Cornely, 1885-1887, Conipend. 1889’(lat.), 1907 édit. franc. ; Trociiox, 1886, Conipend. 1889 (franc.) ; Ciiauvix, 1897 (franc.) ; Gigot, 1899-1906 (angl.) ; Cellixi, 1908-1909 (lat.) ; — 2" du côté des Protestants, celles de Hæverxick, 1836(8^9, rééditée par Keil, 1853 (allem.) ; Blekk cIKamphausex, 1860, rééditée jiar Wellhausex, 1878, 1886, 18g3 (allem.) ; Kuexex, 186 i-1865 (hoUand.) ; Driver, 1891, 1898’(angl.) ; Koexig, 1898, Strack, 1894 (allem.) ; Corxill, 1891, 1905 (allem.) ; Briggs, 1899 (angl.) ; Baudissix, 1901 (allem.).

Sous le titre d’Histoire de la révélation de VA. T., ou simplement Histoire de l’Ancien Testament, Haxeberg, 1850 (trad. franc, de Goschler 1856), Daxko, 1862, ZscHOKKE, 1872, 1894 s et le D’M. Scuôpfer, 1894, 1906’, ont écrit des ouvrages dans lesquels on traite tout à la fois de l’histoire d’Israël, de l’origine de ses Ecritures et même de ses croyances. L’œuvre du D"’Schôpfer a été traduite en français et assez profondément remaniée par M. J. B. Pelt, 1896, 1904  ; et celui-ci, à son tour, vient d’être traduit en italien et adapté par M. Rouselle, Storia deli Antico Testamento, 1906.

f) C’est surtout dans l’histoire des doctrines et des institutions religieuses de l’Ancien Testament que le préjugé rationaliste s’est fait sentir. Sur ce terrain, des travaux considérables ont été entrepris sous le titre général de Théologie de l’Ancien Testament par V.TKE, 1835, Kl’exex, 1869-1870, IL Scuultz, 1869, J. F. Œiiler, 1873-1874, A. Kayser, 1886, Piepex-BuixG, 1886, Alexaxder, 1 888, E. Riehm, 1889,

A. DuFF, 1891, Smexd, 1898, DiLLMANX, 1896 (édité par Kittel), W. H. Bexxett, 1896, A. B. Davidsox, 1904 (édité par Salmond), Stade, 1906. Ces théologies peuvent se distribuer en deux types : le type ancien, représenté par Yatke, dépend d’une conception hégélienne de la conscience religieuse ; le type nouveau, représenté par Stade, se fonde sur la théorie de l’évolutionisme religieux. Le texte biblique nous fait connaître les expériences religieuses du peuple d’Israël aux différentes époques de son histoire, notamment en ce qui concerne le monothéisme, qui est le fond même de sa religion et le messianisme, objet et terme de ses aspirations. Dans une théologie biblique, on entend pi-éciser ces manifestations de la conscience du plus religieux des ijeuples de l’antiquité, marquer les étapes qu’elles ont franchies, et même en déterminer les causes. Pour la plupart des auteurs cités ci-dessus, ces causes sont exclusivement d’ordre naturel, les protestants libéraux et les « modernistes » font en outre appel aux interventions vagues et mal définies d’une providence spéciale sur Israël. L’histoire religieuse de ce peuple, culte et doctrines, vient d’être écrite de ce point de vue par E. Kautzsch, Religion of Israël, 1904, dans TExtra-Vol. , p. 62, du Diction, of the Bille (Hastings). Dans une brochure intitulée Die bleibende Bedeulung des Alten Testaments, 1902, le même auteiu" ramène la valeur permanente de l’A. T. aux points suivants : la Bible reste un admirable monument d’esthétique, encore qu’il soit inégal, et un document dhistoire ancienne de premier ordre ; par-dessus tout, elle est le livre du salut, où l’on apprend comment Dieu est venu à l’homme et comment l’homme doit aller à Dieu. S. R. Driver, The higher criticism, igoô, p. 11, met la principale valeur du prophète dans ses aspirations morales et religieuses, plutôt que dans ses prédictions. Cf. W. G. JoRDAX, Biblical criticism and modem Thoiighf, 1909.

La théologie biblique est un genre moderne. CL Revue des Sciences philos, et théolog., jginy. 1907, p. 130. Des anciens, tels que Noël Alexaxdre, 1676, Bvs-XAGE, 1704, D. Calmet, 1718, avaient bien écrit des dissertations historiques et théologiques sur les principaux faits de l’A. T., mais sans faire l’histoire des doctrines. Les premières théologies proprement dites, écrites du point de vue catholique, sont celles de H. ZsciioKKE, Théologie der Propheten des A. T., 1877, et du P. M. Hetzexauer, O. P., Theologia biblica, t. I, Vêtus Test., 1908. L’une et l’autre sont trop schématiques, c’est-à-dire rédigées d’après les cadres d’une théologie systématique ; elles ne donnent pas sulTisamment à connaître les progrès de la révélation de l’A. T. Sur ce développement progressif, cf. J. Brucker, L’Eglise et la critique biblique, 1908, p. 289.

Les croyants, qu’ils soient catholiques ou jjrolestants conservateurs, comme il s’en trouve encore beaucoup en Angleterre (cf. Mgr Batifeol, dans Le Correspondant, t. CCXX, p. 21), estiment que l’histoire et la religion d’Israël ne s’expliquent pas suffisamment, tant que l’on ne fait pas appel à la révélation divine, spécialement en ce qui concerne le monothéisme et le messianisme. Les prophètes ne sont pas les créateurs du monothéisme, le messianisme est autre chose qu’un désir de revanche contre les Gentils ou encore un rêve de domination universelle. Le développement historique de la littérature, des institutions religieuses et des croyances chez les Juifs est très réel ; mais loin de s’opposer à une activité surnaturelle, il la suppose. Voilà pourquoi, les critiques croyants estiment que le préjugé rationaliste n’est logiquement lié ni à la méthode critique ni à plusieurs des résultats obtenus par son moyen, encore que ce préjugé ait, de 771

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fait, influé sur le mouvement d’études dont l’A. T. est l’objet depuis un siècle.

3. La critique du Nouveau Testament. — a)

Des Sociniensà Strauss.— L’humanisme du xv^ siècle avait été un mouvement antichrétien, le libre examen des protestants devait aboutir à la libre pensée, le développement scientifique des temps modernes (philosophie, histoire, sciences naturelles) soulevait contre la foi traditionnelle des difficultés nouvelles. C’est sous cette triple influence que la vérité du christianisme fut mise en question avi xviii’siècle, et, par contre-coup, l’autorité des livres qui en racontaient les origines. Déjà Wolf et son école, les Sociniens et les Arminiens aA’aient exalté l’humanité du Christ au détriment de sa divinité ; dans la tliéolog-ie de ces derniers, Jésus n’était plus, en définitive, qu’un homme, dans lequel Dieu s’était exceptionnellement révélé. Cependant, ils restaient respectueux de sa personne et de son œuvre. Les déistes anglais (To LAND, COLLINS, ^yOOLSTO^, TiNDAL, MoRGAX, CtC,

cf. Fr. ViGOUROux, Les Livres Saijits et la critique rationaliste, 1 884, 1, II), ainsi que les pseudophilosophes français devaient être moins modérés. Avec Voltaire et Bayle, l’attaque se fit haineuse, bien que sous le masque du sarcasme ; avec l’Allemand Reimarus (1694- 1768), elle fut violente. Des notes de ce dernier, publiées par Lessing, sous le titre de Wolfeiibiittel (1774-1778), représentaient les écrits du X. T. comme le résultat d’une fraude intéressée ; l’auteur s’en prenait surtout au récit que les évangélistes font de la résurrection. Jésus -Christ lui-même aurait été conduit par l’ambition de fonder un immense empire terrestre. Cet écrit fut le premier coup redoutable porté à la conception rigide que les protestants se faisaient de l’inspiration biblique ; Michælis (1750) l’avait déjà ébranlée, et Semler (1721-1791) devait achever de la discréditer. Celui-ci proposait, comme critère d’interprétation des Evangiles, l’hypothèse que le Christ et les Apôtres s’étaient accommodés aux idées de leur milieu. Est-ce pour cela que Semler est appelé par beaucoup le père de la critique du Nouveau Testament ? Pour faire écho à Semler, EicHiioRN n’avait qu’à appliquer ici les principes qu’il apportait à la critique de l’A. T.

Le catholique reçoit les Evangiles des mains de l’Eglise, d’après le mot de S. Augustin, Evangelio non crederem nisi me catholicæ Ecclesiæ commoveret auctoritas ; les protestants avaient remplacé ce magistère ecclésiastique par le témoignage immédiat et intérieur de l’Esprit-Saint ; aujourd’hui Semler et Eichhorn proposent de remplacer le témoignage de l’Esprit par la preuve historique. L’histoire décidera de l’autlienticité des textes, l’authenticité garantira la vérité du récit surnaturel qu’ils renferment, et cette vérité deviendra, à son tour, une garantie de l’origine divine des textes eux-mêmes.

C’est à cela qu’aboutissait, avec la fin du xviii siècle, le mouvement de critique historique et religieuse, auquel les rationalistes d’Allemagne ont donné le nom d’Aufklàrung ; ce qui veut dire affranchissement des ténèljres, progrès et culture intellectuelle.Ci.ScuLos-SER, Geschiclite des achtzehnten Jahrhundert, 1848, VII, 1 Abt., p. I. Ces attaques de la première heure ne restèi-ent pas sans riposte. On peut voir dans M. Vigouroux, op. cit., p. 657, une bibliographie assez complète des principales apologies publiées par les catholiques au cours du xviii « siècle. Les plus connues furent celles de Huet, évêque d’Avranches (1630-1721), et de l’abbé Guëxée (1717-1803), sm-tout les Lettres de quelques juifs de ce dernier. Du côté des anglicans vinrent des ouvrages de grande valeur, notamment : Lardxer, Credibility ofthe Gospel

history, 1727-1743, mais l’auteur a lui-même des tendances au Socinianisme ; W. Paley, Evidences of christiaiiity, 1794 ; et surtout Horæ paulinae, 1790 ; Th. Ciialmers, The évidence and authority of the Christian révélation, 1834. Les Démonstrations évangéliques de Migne, du t. IX au t. XII, reproduisent la plupart de ces apologies.

Encore ici, on doit convenir que, si le rationalisme biblique est bien d’origine protestante, les catholiques furent les premiers à faire à la critique, dans leurs études sur le N. T., la place qui lui convient. C’est que leur doctrine en matière d’inspiration et d’autorité scripturaire les mettait en meilleure posture que les protestants vis-à-vis de l’histoire. E. Reuss, History ofthe Sacred Scriptures (trad. angl. de Houghton, 1884), p. 6 18, fait observer qu’aux xvi*^ et xvii^ siècles

« les Jésuites, beaucoup plus que les Protestants, 

couraient le risque d’être brûlés comme hérétiques, à cause de la liberté qu’ils prenaient vis-à-vis de la Bible ». A. Sabatier, Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit, 1 904 -, p. 320, a écrit dans le même sens : « Richard Simon et certains docteurs jésuites frayaient ici la voie nouvelle dans laquelle on allait s’engager. »

L’époque dite de VAufklârung coïncidait avec la révolution philosophique désignée sous le nom d’idéalisme allemand (Kaxt, Fichte, Schellixg et Hegel). Cf. Diction, of Christ and the Gospels (Hastings), 1908, II, p. 869. La critique historique des origines du christianisme s’en ressentit profondément. Venturini d’abord, Natùrliche Geschichte des grossen Propheten von Nazareth, 1800-1802, puis, et surtout, Paulus, Das I^ehen Jesu als Grundlage einer reinen Geschichte des C/i ?7’s/ew<//ms, 1828, s’attachèrent à expliquer « naturellement » tout ce que les Evangiles racontent de Jésus, en distinguant entre le fait et son appréciation, c’est-à-dire l’explication qui en a été donnée, même par les témoins immédiats. Le fait peut être conservé ; quant à son explication, on doit la critiquer, car elle peut être erronée. C’est notamment le cas des récits qui représentent certains faits comme miraculeux. Paulus estimait que les évangélistes n’ont pas eu, le plus souvcnt, la prétention de rapporter des miracles. Du reste, Kant n’avait-il pas enseigné que la règle suprême de l’exégèse était de rechercher non pas tant ce qu’un autem*, fùt-il inspiré, avait dit, que ce qu’il aurait dû dire conformément aux données de la religion naturelle ? Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Ver71H « /V, 1793.EicnnoRN (-f-1827) devait ajouter que dans les Evangiles on peut traiter d’invention de la crédulité juive tout ce qui ne cadre pas avec la droite raison. Einleitung, I, p. 44 ; HI. P- 2. De la sorte, toute connaissance, même celle que l’on avait tenue jusque là pour révélée, se trouvait ramenée exclusivement aux ressources et aux lois de la psychologie humaine. D’après la Bible, Dieu avait fait l’homme à son image ; d’après les tenants du naturalisme, il fallait faire Dieu à l’image de l’homme.

L’exégèse « psychologique » prétendait garder les Evangiles sans les Evangélistes ; ce que ces textes contenaient d’historique n’était plus qu’un résidu. Mais vouloir ramener à des proportions naturelles un récit conçu perpétuellement d’un point de Aue surnaturel, c’était entreprendre de dessaler la mer. On ne tarda pas à s’en apercevoir. L’attaque avait été si extravagante qu’au lieu de ruiner l’autorité des Evangiles, elle l’avait plutôt afi"ermie.

b) De Strauss à Renan. — C’est alors que D. F. Strauss (1808-1874) proposa d’interpréter les Evangiles d’après la méthode mythologique, que l’on appliquait aux histoires profanes de l’antiquité. Semler. Eichhorn, Vater, de Wette avaient déjà étendu ce 773

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système d’interprétation à certains récits de l’Ancien Testament, par exemple à l’histoire de Samson. De Wette avait même envisagé de ce même point de vue les récits des Evangiles concernant l’enfance du Seigneur et sa résurrection. Strauss réfute impitoyablement Paulus, mais, au fond, il se propose le même but que lui : rendre compte de l’élément miraculeux de l’histoire évangélique, sans admettre qu’il ait quelque réalité historique. Dans cet ordre de choses, nous ne serions pas en présence de faits réels, mais seulement de croyances qui se sont traduites de manière à donner l’illusion des faits. C’est le mythe. Les généalogies des Evangiles ne seraient rien autre chose qu’une tentative, sans valem" historique, pour justifier la foi déjà traditionnelle de la descendance davidique de Jésus. Les idées génératrices du mythe évangéliqiie auraient été : le portrait prophétique du Messie dans l’Ancien Testament, les croyances populaires et aussi les développements progressifs d’une christologie savante. L’analjse à laquelle 1 interprétation mythique soumettait les Evangiles obtenait encore un résidu historique, mais moins considérable que dans l’interprétation naturaliste.

Comment le mythe évangélique avait-il eu le temps de se créer avant la composition des textes ? Strauss profitait ici d’un courant d’opinions se produisant, à ce moment même, à Tubingue, grâce à un jeune professevir, le D’Christian Baur, qui plaçait la rédaction définitive des Evangiles dans la seconde moitié du II’siècle. Les mythologistes feront-ils le sacrifice du christianisme ? Point du tout. La philosophie hégélienne leur donne le droit de rétablir ce qu’ils viennent de démolir au nom de l’histoire ; l’idée religieuse est indépendante du phénomène historique, dans lequel elle s’est traduite à un moment donné. Du reste, Strauss s’en tient à la critique littéraire des Evangiles courante, il regarde Marc comme l’epitomator de Matthieu.

L’apparition de la Vie de Jésus par Strauss (Das Leben Jesu kriiiscli hearheitet, 1835) eut un retentissement énorme ; elle marque une date décisive dans l’histoire du rationalisme moderne. Les réfutations ne se firent pas attendre, on en compta plus de soixante de 1835 à 1840. Les plus remarquables furent, du côté des protestants, la Me de Jésus par Karl Hask (dans les éditions qui suivirent 1835 ; cet ouvrage devait devenir en 18^6 la Geschichie Jesu du même auteur) ; puis l’œuvre similaire de Neander, Das Leheti J. C, 18’èj. Ces apologistes faisaient eux-mêmes des concessions considérables aux principes et à la méthode de Strauss. Du côté des catholiques, on peut citer Kuhn, Das Leben Jesu iK’issenschafllicli bearbeitet, 1838 ; Sepp, Das Leben Christi. 1843-1846. Cf. M. Yii.ivoy, Resdu Clergé franc., 15juin 1909, p. G79 et suiv.

Si Strauss eut de nombreux contradicteurs, il rencontra surtout des imitateurs, qui ne tardèrent pas à le dépasser dans ses négations. lîruno Bauek, Kritik der evangcl. Geschichte, 1840-1842, que M. Jiilicher. Einleit. in das X T., 1901’*, p. 19, regarde comme un précurseur de l’école hypercritique, reprit les traditions de l’attaque violente contre le christianisme. Les Evangiles sont du 11’siècle, leur récit est une pure fiction, sans aucun point de départ historique. C’est Marc qui a inventé l’histoire évangélique. Jésus et Paul sont des mythes, et le christianisme un produit de la philosophie populaire d’un milieu gréco-romain.

Cependant, en France, où l’ouvrage de Strauss avait été traduit par E. Littré, dès iS^o, E. Renan écrivait une Vie de Jésus (1863), qui aboutissait, somme toute, à la même conclusion : Le Christ n’est qu’un homme, mais un homme idéal. Du reste, l’écri vain français devait beaucoup à son devancier d’outre-Rhin, aussi bien pour la méthode que pour la documentation ; seulement, au jeu des idées il avait suJjstitué celui des passions : Strauss était un professeur, tandis que Renan écrivait en artiste. Ce fut la principale raison de son succès. Au lieu de mythe, il parle de « légende idéale ». Comme Strauss, il accepte les vues de Baur sur la composition tardive des Evangiles ; mais il profite d’une critique littéraire plus avancée, en faisant du texte de S. Marc le point de départ et la source des autres évangélistes.

c) De Schleiermacher à A. Sabatier. — La critique littéraire du. T. est inséparable de sa cintique religieuse, parce que celle-ci a été un important facteur de celle-là. Les philosophes hégéliens avaient substitué une sorte de Christ-Idée au Christ de la foi traditionnelle ; Paulus et Strauss, bien que par des voies différentes, prétendaient dégager dès textes le Christ de l’histoire. Ces polémiques philosophico-historiques troublaient profondément les âmes religieuses du monde protestant. Sentant le Christ leur échapper tous les jours davantage, à mesure que l’on mettait en pièces les Evangiles, elles demandèrent au piétisme des anciens Réformés de les sauver des entrepi’ises de la critique. On le pouvait d’autant mieux que la philosophie en vogue, celle de Kant, faisait de la religion une affaire da sentiment. Poiu"quoi ne suffirait-il pas à l’homme de descendre dans son àme pour y reti’ouver l’essentiel du christianisme, qui est une vie et non une science ? L’Ecriture elle-même est-elle autre chose que l’histoire des expériences religieuses déjà faites par les Prophètes, le Christ et ses Apôtres, par la Synagogue et par l’Eglise ? Si la conscience du Christ (qui s’est manifestée par une connaissance unique de Dieu et un sentiment sans pareil de sa filiation divine) nous intéresse encore, c’est qu’il est d’une certaine façon l’Humanité, qu’il a vécu notre vie et qu’il s’est survécu dans son Eglise. La valeur permanente du Christ ne se confond pas avec sa vie historique et terrestre, racontée dans les Evangiles ; elle dépend encoi’e, et bien davantage, de l’expérience personnelle que chacun en fait. Sans cette expérience, on ne perçoit que la lettre de l’Ecriture ; or. cette lettre n’a qu’une Aaleur relative et caduque, que la critique peut, avec le temps, réduire en poussière. Le miracle, par exemple, est le nom religieux d’un phénomène naturel ; or, la valeur religieuse d’un fait résulte de l’expérience, c’est-à-dire de l’impression qu’il fait sur l’àme croyante. Pourvu que cette impression se produise, peu importe la nature du phénomène auquel elle est liée. Le récit de la conception virginale du Christ, qu’il nous livre une réalité ou un pur symbole, donnera toujours à connaiti’e son origine céleste et son incomparable pureté.

La synthèse que nous venons d’esquisser est le point d’arrivée d’un mouA-ement dont Sculeier-MACHER (1768-183/1) fut l’initiateur, qui devait être soutenu et développé, en Allemagne, par Rich. Rothe (1’799-1 867) et surtout par Ritscul (1822-1889) ; en Angleterre, par Colerioge (1772-1834), F. D. Maurice (1805-1872) et Matthew Arnolo (1822-1 888) ; en Suisse et en France, par Alex. Vinet (1797-1847) et E. Sche-HER (1815-1889). lia atteint son apogée dans les écrits d’Aug. Sahatier, et particulièrement dans Lrs religions d’autorité et la religion de l’Esprit, 1908. D’après l’auteur, la conscience chrétienne est définitivement alfranchie, même vis-à-vis de l’Ecriture ; c’est le triomphe de l’Esprit sur la lettre. La critique peut faire de cette lettre ce que bon lui semblera. Jadis, on allait de l’Ecriture au Christ, aujourd’hui c’est du Christ qu’on va à l’Ecriture.

Tous les protestants libéraux, — et c’est le très 775

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grand nombre, qu’ils s’appellent Réville, Cheyxk ou Harnack, — relèAent plus ou moins de ce symbolisme critique. Ils récusent Tappellation de rationalistes, parce que la religion, d’après Kant, n’est pas d’ordre rationnel, et cju’ils prétendent bien garder intact le sentiment religieux, quelles que soient leurs conclusions historiques et littéraires sur l’Ecriture. C’est cette même conception, dont les écrits de M. LoiSY sont saturés, que les modernistes ont tenté d’acclimater i^armi les catholiques.

d) Baur et son école de Tuhingiie. — La critique historique des origines chrétiennes procédait, au xviiie siècle, d’un préjugé d’incrédulité ; elle devait devenir elle-même le point de départ d’une critique littéraire du Nouveau Testament. F. Christian Baur (1792- 1860), professeur à Tubingue, prétendit expliquer la composition du N. T. par l’histoire du christianisme primitif. (C’est plu tôt la marche contraire qu’il eût fallu suivre. Cf. Revue pratique d’Apologétique, ^’sept., 1908, p. 855-861.) Tout son système repose sur l’hypothèse d’un antagonisme profond, qui aurait divisé le christianisme encore au licrceau : d’un côté, les partisans de Pierre, des judaïsants pai’ticularistes ; de l’autre, les partisans de Paul, des antijudaïsants universalistes. De cette époque, où le conflit était aigu, dateraient, d’une part : les grandes épîtres de S. Paul (Gal., Cor., Rom.), les seules qui soient authentiques ; et d’autre part : l’Aiiocalypse, l’épître de Jacques et l’évangile araméen secundum Ilebræos. Tous les aiitres livres du N. T., et notamment les Evangiles dans leur forme actuelle, seraient d’une époque postérieure (entre 130 et 170). celle-là même où les divergences s’effaçaient graduellement pour faire place à la conciliation d’ouest néel’Eglise catholique. Le premier évangile porterait encore des traces de tendance judaïsante, tandis que le troisième serait plutôt paulinien. Comme S. Marc est le plus neutre des trois, on conclut qu’il a été composé après les deux autres. Le quatrième Evangile et les Actes sont venus en dernier lieu. Tous ces écrits seraient tendancieux, ayant essentiellement pour but de faire prévaloir des doctrines ou des institutions.

Bien que le point de départ de Baur ne fut pas une conception originale, puisque Semler l’avait déjà mise en avant, cf. Realencyhlopâdie fur die protest. Théologie, t. II (1897), p. ! ’ë>’d, sa théorie eut un retentissement considérable. Strauss l’adopta, surtout dans la Vie populaire de Jésus pour le peuple allemand, qu’il donna en 1 86/| ; sans s’apercevoir, du reste, qu’il tentait de réunir des choses inconciliables, à savoir le travail spontané et inconscient delà légende mythique avec la tendance consciente et le but dogmatique supposés par la théorie de Baur. Le système de Tubingue a régné souverainement dans la plupart des milieux savants, pendant un demi-siècle. Il eut, à l’origine, un organe de propagation très écouté, le périodique Theologische Jahrbiichev, dirigé par Baur lui-même et Zeller (1842-1857). Ses partisans les plus connus ont été Schwegler, Planck, Koestlin,

RlTSCHL, HiLGEXFELD, VoLKMAR, TOBLER, KeIM. Il eSt

vrai qu’ils ont incessamment modifié les idées du maître dans le sens d’une régression vers le sentiment traditionnel. Pour mesurer le chemin parcouru dans cette direction, il suflU de comparer les positions de Baiu" avec celles prises de nos jours par deux de ses derniers disciples, O. Pfleiderer, Das Urchristentum, 1887 ; et HoLSTEN, />aj//m. Théologie, 1898.

Les éludes sur le siècle apostolique entreprises depuis trente ans, même par des partisans de Baur, ont été fécondes. Des ouvrages comme celui de Karl ^yEIZ-SAECKEU, Das apostolische Zeitalter, 1886, 1902 3, n’ont pas peu contribué à venger la tradition de l’affront qui venait de lui être fait à Tubingue, Finalement, la

théorie tant prônée s’est trouvée en faute sur tous les points : les évangiles, tout au moins les trois premiers, sont antérieurs au second siècle ; loin d’être le dernier en date, Marc est tenu aujourd’hui pour la source des deux autres ; S. Paul a écrit plus de quatre épîtres ; les tendances judaïsantes et antijudaïsantes n’expliquent pas correctement la composition du N. T. En somme, l’école de Tubingue n’aurait plus qu’un intérêt historique, si son esprit et ses méthodes ne s’étaient conservés au milieu d’un petit nombre de pseudo-critiques hollandais, héritiers directs de Bruno Bauer et de Scholten, à savoir : Pierson, LoMAN, Van Manex, Naber et Voelter, auxquels il convient de joindre Stecke de Berne. Renchérissant sur la critique radicale de Baur, ils en sont venus à nier jusqu’à l’authenticité des grandes épîtres de S. Paul. Du reste, ils sont divisés entre eux sur tous les autres points. Cf. F. Prat, La théologie de S. Paul, 1908, p. 13 ; et A. Juelicher, Einleilung in das Neue Testament, 1901, lî. 19.

e) Le Nouveau Testament et la critique contemporaine. — Les critiques libéraux qui se sont le plus distingués, depuis cinquante ans, par le nombre et le retentissement de leurs travaux sur le N. T., avaient été élevés dans le respect de l’école de Tubingue. Citons seulement K. Weizsæcker, H. J. Holtzmanx, A..luKLicHER et A. Harxack. S’étant aperçus, au cours de leurs études personnelles, que le point de départ de Baur était contestable, et qu’il ne cadrait pas avec nombre de faits établis par une analyse correcte de textes, ils renoncèrent au procédé des tendances, pour s’attacher à l’étude des sources. Par la comparaison immédiate des textes, au triple point de vue de la langue, du mouvement des idées et du fond, ils prétendirent déterminer le mode de leur composition. On commença par les Evangiles (voir ce mot). Le problème dit des Synoptiques a passionné, pendant un demi-siècle, le public des universités en Allemagne et en Angleterre. La grande majorité des critiques indépendants regarde aujourd’hui comme définitivement acquise l’hypothèse documentaire dite des deux sources : Matthieu et Luc se sont servis de Marc et des Discours du Seigneur ; — ce deimier document est désigné par le sigle Q. Tous les autres points du problème : rapports de Q avec les Logia dont parle Papias, rapports de Luc avec Matthieu, ou inversement, par-dessus tout, l’existence d’un Proto-Marc et aussi les rapports du Marc canonique avec Q, sont encore chaudement discutés. Mais quelles que soient les réponses faites à ces questions secondaires, l’on s’accorde pour placer la composition des évangiles synoptiques avant la lin du I" siècle, entre 60 et 80. Le plus attardé de tous, P. W. SciiMiEDEL, fait écrire le troisième évangile entre 100 et 110, tandis que M. Harnack n’estime pas impossible d’en relever la date jusque vers l’an 60.

L’hypothèse documentaire, sous ses différentes formes, fut tout d’abord suspecte aux critiques conservateurs, catholiques et protestants ; elle leur apparaissait comme une attaque déguisée contre l’authenticité des Evangiles. Aussi bien, les uns s’en tinrent à l’hypothèse de la dépendance mutuelle, dont le principe avait été posé par S. Augustin, cf. Patrizi, De Evangeliis libri très, 1853, et, parmi les protestants, Keil, Comm. Hier die Evang. des Marcus und. L^ucas, 1879 ; tandis que d’autres pensaient tout expliquer par l’hjpothèse d’une tradition purement orale, cf. Mgr Meign.^n, Les Evangiles et la critique, 1870- ; Cornely, Introd. spec. in libros N. T., 1887, et parmi les protestants. Godet, Evangile selon S. Luc, 1888. Cependant, l’hypothèse des deux sources finit par gagner, de ce côté, des 77/

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partisans ou, du moins, des témoins sympatliiques : Mf-r Batiffol et le P. Lagrange, sans parler de MM. LoisY et MiNOCcni ; et parmi les protestants conservateurs : Zahx, Roehrich, etc. Plus près de nous encore, M. Lepix, Jésus Messie et Fils de Bien, iqo5- p. XXXVI ; M. Jacquier, Histoire des li-i’es du y. T., 19052, p. 355, et M. Brassac, Manuel biblique (Bacuez), 1908’-, III, p. 114> inclinent, mais en hésitant, vers une solution éclectique.

L’authenticité de nos évangiles canoniques n’exige pas qu’on date leur composition d’une façon plus précise que n’a fait la tradition ; or l’on sait que les critiques, même les plus conservateurs, ne s’accordent pas à ce sujet. Cf. Mangenot, Evangiles, dans le Dict. de la Bible (Yigouroux), II, col. 2061 ; Bacuez-Buassac, Manuel biblique, 1908’2, iii, p. 61-62. « La chose particulièrement importante, dit M. Lepin, op. cit., p. XXXIX, est que nos trois synoptiques, alors même qu’il faudrait les attri])uer à la seconde génération chrétienne et réduire la part prise par les auteurs traditionnels à leur rédaction, reposent sur des traditions orales et des documents écrits appartenant à la première génération, à l’époque même où vi"aient encore les témoins directs du Sauveur. Or, c’est là un des faits les plus sûrement constatés par la critique moderne.)- C’est exactement la conclusion formulée par M. Harxack, Bas JVesen des Chvistentums, 1900, p. 14 (trad. franc. 1907, p. 33) : « Les Evangiles ne sont pas des écrits tle parti… ; ils nous mettent incontestal )lement en présence d’une tradition primitive. » Cf., du même auteur, Spriiche und Reden Jesu, 1907. Il n’était pas possible de donner à Baur un démenti plus catégorique. A. Jueligiier, Einleit. in das N. T., 1901’, p. 298, et surtout B. Weiss, Die Quellen der synopt. Uebeiiieferung, 1908, p. 221, 235, 251, ne sont pas d’un autre avis.

Jusqu’à ces dernières années, on avait, dans la question des Evangiles, envisagé presque exclusivement l’aspect littéraire du problème, celui qui intéresse l’origine des textes ; aujourd’hui, on s’attache à préciser le caractère et le développement de la tradition contenue dans les Evangiles. C’est l’aspect historique du problème, qui a pour objet de déterminer la valeur de cette tradition comme source de la vie de Jésus. Cf. Wernle, Die Quellen des Lebens Jesu, 190/4 La solution donnée à la question littéraire aboutissait à l’hypothèse des deux sources (Q et Marc), que l’on tenait généralement pour originales et lioniogènes ; l’œuvre de Marc, en particulier, était un écho sincère de la prédication de Pierre. Or, c’est à cette confiance dans la valeur du second évangile ([ue des critiques (Wrede, J. Weiss, Welliiausex, SciiwRiTZEH, Loisy) s’cu prennent maintenant. Il serait une œuvre de seconde main et une composition tendancieuse. Son auteur aurait une théologie, — celle de S. Paul ; — et son souci souverain aurait été de la faire remonter au Christ en personne. Du côté des conservateurs, on a répondu ({ue le paulinisme de Marc, fùt-il réel, n’a rien d’in([uiétant, puisque l’analyse des Epîtres fait voir qu’en substance ce paulinisme est antérieur à Paul, et qu’il faut bien rattril)uer au Christ lui-même. R. J. Knowling, The tesliniony of S. Paul ta Christ, 1905.

Dans cette nouvelle phase, la critique s’attache aux idées qu’elle estime avoir été génératrices de la tradition évangélique, beaucoup plus qu’aux faits consignés dans cette tratlitiou ; parce que ces idées auraient modelé les faits eux-mêmes. Les évangiles, dans leur teneur définitive, seraient résultés de ten dances religieuses très actives. Nous voilà, par un n-cul inattendu, ranu-nés au procédé dislinclif de l’école de Tubingue. Cf. Loisy, Les éyangiles synoptiques, I (1907), p. 66, et Wellhausen, Einleit. in

die drei ersten Eyangelien, 1905. Il va sans dire, du reste, que ces idées génératrices, surtout l’idée maîtresse, varient avec les critiques de cette école. Pour les uns (J. Weiss, Sgiiweitzer, Loisy), tout l’Evangile gravite autour de la conception que Jésus se serait faite d’un Royaume de Dieu purement eschatologique ; pour Wrede, l’Evangile reste inexplicable, tant qu’on n’a pas deviné l’énigme du secret messianique. M. Harnack, Spriiche und Reden Jesu, 1907, p. 3, raille agréablement ces faiseurs de systèmes, qui font dépendre toute étude sur les Evangiles d’une « idée fixe » ; mais est-il bien sûr d’échapper à la critique, lui qui fait tenir obstinément toute la prédication de Jésus dans la notion du Dieu-Père ?

La question du Quatrième Evangile se pose à part, distincte de celle qui concerne les Synoptiques. Cette distinction a sa raison d’être, même si l’on admet l’authenticité et le caractère historique de cet écrit, à cause des pai-ticularités qu’il présente, tant pour le fond que pour la forme. Aussi bien, commence-t-on à en tenir compte jusque dans l’enseignement courant. Cf. B.vcuez-Brassac, Manuel biblique, III, 1908’-, p. 102, 135. En outre, le problème se complique ici de celle des rapports du quatrième évangile avec les lettres de S. Jean et de l’Apocalypse ; c’est la question dite johannique. L’unité littéraire de ces écrits a trouvé, ces derniers temps, plus d’un défenseur ; notamment M. Harxack, Geschichle der altchristlichen Literatar, 1, Die Chronologie, 1897, p. 80-110. Mais, par contre, l’authenticité et le caractère historique de l’Evangile selon S. Jean a perdu du terrain dans les milieux protestants et modernistes. Voir à ce sujet, d’une part : J. Réville, Le Quatrième Evangile, 1901 ; A. Loisy, Ze Quatrième Evangile, 1908 ; et d’autre part (conformément aux conclusions traditionnelles ) : M. Lepin, L’origine du Quatrième Evangile, 1907 ; E. Jacquier, LIistoire des livres du Nouveau Testament, 1, 1908. Le plus grand nombre des critiques placent aujourd’hui la composition du Quatrième Evangile entre 100 et I25, au lieu de 160 et 170, qui est la date mise en avant par Baur. Sur l’origine de I’Apocalypse, voir ci-dessus, col. 151-153.

La réhabilitation des Actes des Apôtres est en bonne voie, grâce aux travaux de Ramsay, Blass, C11.A.SE, CoppiETERS et IIauxack. Le nombre des critiques, admettant leur unité littéraire et leur authenticité, augmente cliaque jour. Entre la date proposée aujourd’hui par M. Ilarnack pour leur composition et celle couramment admise dans l’école de Tubingue, il y a un siècle de différence. Voir ci-dessus, col. 261, l’article Apôtres (Actes des).

Au lieu des quatre grandes épîtres seulement (Gal., l et II, Cor., Rom.), qnc Banr laissait à S. Paul, c’est l’ensemble des lettres à lui attribuées par la tradition, qu’on reconnaît maintenant pour l’œuvre authentique de l’Apôtre. A. Jueliguer ne fait d’opposition qu’aux seules épîtres pastorales (Tit. et Tim), il doute de celle aux Ephésiens ; de son côté, A. Harnack n’a d’objection à soulever que contre les épîtres pastorales ; encore y reconnaît-il des fragments authentiques. Cf. F. Prat, La théologie de S. Paul, 1908, p. 14. Quelle que soit la valeur des hypothèses qui ont été laites au sujet du rédacteur de VEpitre aux Jlébreux (et il y en a de bien singulières), on est près de s’entendre pour placer sa composition avant l’an 70. Quant à la part qu’il convient de faire à S. Paul dans la fondation du christianisme, c’est une queslion de criliciue religieuse revenue, plus que jamais, à l’ordre du jour ; mais elle se fonde précisément sur l’authenticité et l’intégrité des Epîtres ; d’autant plus qu’il y a, encore aujourd’hui, une tendance à exagérer le rôle joué par l’Apôtre.

Les études sur les Epîtres catholiques (Jacob., /9

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Petr., Jud.) sont moins avancées, mais la cause de leur authenticité n’est pas aussi compromise que beaucoup semblent le croire ; même en ce qui concerne l’authenticité de la 11^ Pétri. Cf. J. Dillenseger,.1/elaniies de la Faculté orientale (Université S. Joseph de Beyrouth), t. II, 1907, p. iqS.Poiu- constater combien est mouvant le terrain sur lequel se débattent ici les questions, il suffit de faire observer que les dates assignées à la composition de ces épîtres Avarient, pour chacune d’elles, entre l’an 50(ouméme 40)et l’an 170. Cf. E. Jacquier, Hist. des livres du 3’. T., 1908, t. III. f) Les résultats. — La simple constatation des résultats regardés généralement comme acquis autorise à conclure que Tensemble des positions traditionnelles au sujet du Nouveau Testament a résisté victorieusement à l’épreuve de la critique. Si cette conclusion se dégage avec moins de netteté et de force des Vies de Jésus-Christ et des Théologies bibliques, c’est que dans ces compositions il intervient d’autres facteurs que la critique littéraire et l’exégèse méthodique des textes. Cependant, il faut convenir que les rationalistes et les protestants libéraux qui ont entrepris, après Renan, d’écrire la vie du Sauveur, se sont montrés, j^lus que lui, respectueux de l’histoire ; ce qui doit s’entendre sxirtout de E. de Pressexsé. 1866, Keim, 186- ; -1882, Farrar, 18-4, B. Weiss, 1882, Edersheim, 1883, Beyschlag, 1885. En revanche, la réalité historicjue de l’œuvre personnelle de Jésus tient moins de place dans les ouvrages sur le même sujet parus ces dix dernières années, à savoir ceux de A. RÉVILLE, 1897, P. W. ScHMiDT (de Bàle), 1899,

O. HOLTZMANX, 1901, SCHWEITZER, I906, et SUrtOUt

Nath. SciiMiDT (de Xew-York), 1906. Pour réduire la vie du Christ à des proportions humaines, on ne parle plus de miracle naturel (Paulus), ni de mythe (Strauss) ; mais d’une idéalisation progressive de l’histoire sous l’influence de la foi religieuse, qui allait grandissant. C’est l’opinion courante dans les universités d’Allemagne ; elle est formulée par O. HoLTZMAXx, Leben Jesu, 1901 ; W. Bovsset, Jésus, 1904, et Was n’isseriH’ir-on Jésus ? 190^ ; A. Harxack, Las JVesen des Christentums, 1900. Les tendances et les conclusions de cette école sont représentées en Angleterre par T. K. Cheyxe, et en France par A. Réville et A. LoisY. Cf. XoLLOTH, The person of our Lord and récent thought, 1 908 (œuvre d un anglican croyant et conservateur). Quant à l’hj’percriticisme, il vient d’avoir son accès périodique, cl’une violence extrême, dans les publications du pasteur A. Kalthoff (-7 1906), Die Entstehung des Christenturns et Bas Christus-Problem ^ i(^ol, dont la conclusion est que nous ne savons rien de certain sur Jésus. Cf. M. Filliox, L’existence historique de Jésus et le rationalisme contemporain, 1909, dans la collection « Science et religion », w^b’2(^. Les catholiques ont maintenu les positions traditionnelles, sauf sur quelques points de détail. L’histoire des origines chrétiennes, allant de Jésus-Christ à S. Paul inclusivement, telle qu’elle a été écrite, en notre langue, par l’abbé Fouard (1880-1908) et par Mgr Le Camus (i 884-1905). n’est pas seulement une bonne réplique donnée aux Origines du christianisme de Rexax (1 863- 1881) ; ces publications resteront encore comme un témoignage de la manière moyenne dont les écriA’ains catholiques ont entendu, au xix" siècle, la critique du Nouveau Testament. Les principes et les conclusions de cette critique ont été formulés dans les Introductions générales, énumérées plus haut, I, 2, e ; et surtout dans les Introductions particulières au N’. T., publiées par Hug, 1847, de Valroger, 1861, Daxko, 186 ; , Aberle-Schaxz, 1877, Al. ScHAEFER, 1898, Belser, 1901, 19052, Baguez, 1878, Bacuez-Brassac, 1908 ; auxquels il convient de joindre E. Jacquier, Histoire des livres du y. T., 4 vol.,

1 908-1 908. Dans la réaction contre les entreprises injustitiées d’une critique incrovante, les catholiques ont eu pour alliés des protestants conservateurs ; en Allemagne : A. Seeberg, E. PiIogenbach, A. Resch, et surtout Th. Zaun, Einleitung in dus N. T., 1897 ; en Angleterre : W. Ramsay, W. Saxday’, G. Salmon, V. H. Stantox, a. Plummer, F. C. Burkitt, etc. ; en Suisse : J. Bovox et sm-tout Fr. Godet, Introduction au N. T., 1898.

La théologie générale du Nouveau Testament devait naturellement subir les mêmes influences d’école et d’époque, elle est allée en s’écartant toujours davantage des conclusions traditionnelles avec Baur, 1864, Reuss, 1864, H. J. HoLTZMANN, 1897, et Adeney’, 1894 ; alors quelle restait relativement conservatrice avec B. Weiss, 1868, Beyschlag, 1891, Stevexs, 1901, et surtout Bovox. 1898. On a publié encore des théologies particuUères de S. Jean (Koestlix, B. Weiss, Ste-A’EXs), de S. Paul (Pfleideuer, A. Sabatier, Stevens, Bruce, HoLSTEX, G. MiLLiGAX, etc.), et de l’Epître aux Hébreux (Méxégoz, G. Milligax). Sous le titre signiiicatif d’(( Enseignement de Jésus », plusieurs (Wexdt, ^ 1892, Stevexs, 1901) ont tenté de préciser le contenu de la prédication personnelle du Christ. Cette reconstitution vient d être facilitée par de récents travaux sur la teneur des Logia du Seigneur, soit canoniques, soit extracanoniques (.-i^z-ap/irt). A. Resch, igo4, 1906, A. Harxack, 1907, B. Weiss, 1908, se sont distingués dans ce genre de recherches. Quant aux monographies sur tel ou tel point de doctrine néotestamentaire, elles ne se comptent plus chez les protestants, dont toute la théologie, ou peu s’en faut, a reA’êtu cette forme historique. Sans faire à l’histoire des doctrines une jjlace qui ne lui revient pas légitimement dans le système de la théologie dogmatique, les catholiques commencent néanmoins à lui donner plus d’attention que par le passé. Cf. Simar, Die Théologie des heil. Paulus, 1864, 1888’^ ; P. Batiffol, L’enseignement de Jésus, 1900 ; F. Prat, La théologie de S. Paul, 1908.

L’histoire du mouvement d’études critiques dont le Nouveau Testament a été l’objet depuis un siècle vient d’être écrite par A. Schweitzer, Von Reimarus zu Wrede, 1906, et par H. yEiXEL, Jésus im neunzehnten Jahrhundert, 1908, 1907-. C’est pour répondre à ces publications, dont le moindre des torts est le ton tranchant et l’esprit partial, que M. Filliox a entrepris une série d’articles sur les Etapes du rationalisme contemporain contre les Evangiles et la Vie de Jésus-Christ, dans la Bévue du Clergé français. i" avril 1909.

II. — La critique appliquée a la Bible

1. Objet et rôle de la critique biblique. — La critique n’est pas une science particulière, encore moins s’applique-t-elle exclusivement à la Bible. Elle n’est rien autre chose qu’une méthode rationnelle d’études, un instrument de précision dans la recherche, un contrôle vigilant exercé tout à la fois sur l’usage de nos facultés et les résultats obtenus. La critique a pour but de nous défendre, dans la mesure du possible, contre l’erreur qui nous menace de tous les côtés : du dedans et du dehors.

Il est clair que la ci-itique ainsi entendue n’est pas née d’hier, elle est aussi ancienne que le savoir humain ; seulement, elle est allée en se perfectionnant, à mesure que l’esprit de l’homme étendait ses conquêtes, et prenait da^-antage conscience des meilleurs procédés à suivre pour distinguer le vrai du faux. C’est de la synthèse de ces procédés, éprouvés par l’expérience, que sont résultées les méthodes des sciences particulières et la Critique générale, que les 781

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philosophes envisagent sous le nom de Logique majeure ou de Critériologie.

La critique biblique n’est qu’une branche de la critique historique, et celle-ci, à son tour, fait partie de la critique générale. Appliquée à la Bible, la critique est l’étude méthodique des voies et des moyens dont Dieu s’est servi pour communiquer avec les hommes par écrit. Les textes bibliques, encore qu’ils soient inspirés de Dieu et, à ce titre, divins, n’en restent pas moins des documents historiques, écrits en des lieux et des temps déterminés, rédigés en une langue liumaine, s’adressant immédiatement à des hommes, ([ui, en beaucoup de choses, différaient de nous, composés d’après un plan et avec un but très définis, etc. En outre, ces textes ne datent pas d’hier ; avant que de nous arriver, ils ont franchi bien des siècles ; comme leur composition, leur conservation a pareillement son histoire. Or, la critique biblique est aujourd’hui « un examen de ces textes fait à la lumière des découvertes récentes avec toutes les ressources historiques, scientifiques, linguistiques et autres mises à notre disposition par les progrès constants de l’érudition contemporaine ». MgrMiGXOT, Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908. p. 243, 2/46. Une fois cpie le critique croyant a acquis la certitude quun texte fait réellement partie intégrante de la parole de Dieu écrite dans la Bible, et que ce texte est à comprendre dans tel sens, il ne se reconnaît pas le droit den contester la vérité, connue il pourrait le faire s’il s agissait d’une parole purement humaine. Tout le travail de la critique biblique est donc préliminaire à la foi. Ses résultats n’ajouteront rien à la certitude de nos croyances, mais ils nous mettront à même de mieux savoir les motifs que nous avons de croire. Du moins, c’est à cela que la critique doit normalement aboutir. Il y a longtemps que S. Jérôme en a fait l’observation pour se défendre contre des adversaires qui l’accusaient d’avoir porté une main téméraire sur la parole de Dieu, parce qu’il avait revisé la version latine des Evangiles d’après le texte grec authentique. « Voici ma réponse, écrit-il : Je ne suis pas assez sot pour prétendre corriger quelque chose des paroles du Seigneur, ou encore pour soustraire quoi que ce soit à la divine inspiralion ; j’ai voulu seulement ramener à l’exactitude de la source grecque, reconnue de tous, des manuscrits latins, qui diffèrent manifestement les uns des autres. » Ad Marcell. epist., xxvii, 1 ; P. L., XXII, 43 1.

On entend dire parfois que la critique a la prétention d’expliquer la Bible d’après les sciences, et, par conséquent, de contrôler la parole divine par la parole humaine. L’objection se fonde sur une équivoque, qu’il importe de dissiper. Un croyant ne doit jamais donner le démenti au texte inspiré, ni lui faire violence, aussi souvent que celui-ci présente un sens certain et parfaitement clair, surtout quand il se trouve garanti par une interprétation authentique. Si, d’aventiu’e, l’alfirmalion du texte sacré ne paraissait pas couipatible avec les données certaines de quelquc science humaine, il ne resterait plus au critique croyant fque d’avouer rinq)uissance où il est de faire voir qu’il y a accord positif entre sa foi et sa raison, et d’attendre des conditions meillevu-es pour surmonter la dilliculté. Mais, aussi souvent que l’interprétation du texte biblicpie ne se présente pas avec cette certitude indiscutable, il est permis de se demander s’il a été bien compris, si le conflit prétendu entre la Bible et la science ne viendrait pas précisément de ce que l’exégèse courante n’est pas correcte. Si, dans ce cas, nous devons aux progrès de l’histoire, de l’archéologie et de la linguistique une meilleure intelligence du texte, ce n’est pas la parole de Dieu qui cède devant la critique, mais un sens’que l’on avait, à tort, donné à la parole de Dieu. Du reste, que l’exégète puisse et doive profiter de toutes les ressources que la science de son temps lui fournit, c’est un précepte élémentaire de l’herméneutique sacrée, formulé et expliqué, tout au long, par S. Augustin, dans les livres II et III de son beau traité De Doctrina christiana, P. L., XXXIV, 16-121.

2. Terminologie, définitions et divisions. — La terminologie de la critique biblique est encore loin d’être uniforme. Les Allemands et, à leur suite, les Anglais parlent volontiers de haute critique (hôhere BibeUritik, higlier criticism). d. HildebrandlIoEPFL, O. S. B., Die Iioltere Bibelkritik, 1902. Ils entendent par là ce que les humanistes appellent critique littéraire et critique historique. Elle comprend toutes les questions concernant l’authenticité et le contenu du livre : l’auteur, l’époque, le milieu, le genre littéraire et surtout les sources auxquelles faits et doctrines ont été puisés. L’expression corrélative serait naturellement basse critique (et beaucoup disent en effet niedere Kritik, lo^fer criticism) pour désigner la critique textuelle, celle qui a pour objet de restaurer les textes dans leur teneur originale. Elle comprend l’histoire des manuscrits : leur âge, leur généalogie, leurs tendances ; elle relève les variantes, recherche comment elles se sont produites et sous quelles influences. Cf. C. R. Gregory, Canon et Text of the A’e »’Testament, 1907, p. i-3.

La division et surtout la dénomination de haute et de basse critique restent discutables. « Il peut sembler, au premier abord, qu’il n’y ait pas d’inconvénient à établir une distinction semblable, car il s’agit, en apparence tout au moins, de deux ordres de travaux que l’on peut aisément sépai-er. Mais, en réalité, à mesure que la science a progressé, ce partage est de-A’enu plus ou moins illusoire. En effet, les problèmes relatifs à la composition d’un livre ou de telle de ses parties, à l’auteur ou aux auteurs présumés, à l’époque ou aux circonstances de la rédaction, etc., sont constamment solidaires des questions que soulève l’examen du texte ; et, la plupart du temps, il est difficile de les traiter indépendamment les unes des autres. De plus, les termes de haute et de basse critique semblent attribuer une importance plus gi-ande et conférer une dignité supérieure à l’une des deux branches de la même science, et cela sans motif sufllsant. » L. Gautier, Introduction à l’A. T., 1906, t. II, j). 533.

— J. G. Eichiiorn, Einleit. in das Alte Test., l’jS’j ; préf. de la 2^ édition ; Jahx, Anintrod. to the Old Testament, 1804 (english transi.), p. 167, parlaient déjà de’( haute critique ». En 1807, Rexax, Etudes d’histoire religieuse, p. 77, définissait le rôle de la « grande critique ». CL WF.rzER-Kxvi.F.y, Kirchenlexicon, 1891, VII, 1998-1202. On donne encore à la critique textuelle le nom de « philologique », cf. Littré, Die t. de la langue franc., I. p. 903, col. 3. Dans la Grande Encyclopédie, M. Waltz parle de critique u ecdolique » (ÈxooTcxoi, éditorial). A. Sabatier, Encyclop. des sciejices religieuses, art. « Critique sacrée », ne connaît que la critique verbale et la critique historique. Du temps de Richard Simon, le mot de critique, au sens où nous l’employons couramment aujourd’hui,

« n’appartenait pas encore tout à fait au bel usage ».

Histoire critique du Vieux Testament, iG85, vers la fin de la Préface.

Chez les Protestants, en Angleterre surtout, les termes de higlier criticism et de higher critics ont donné lieu à une confusion. En dépit de la valeur étymologi<[ue des mots et de l’exigence des définitions, on s’en sert couraunnent pour qualifier une tendance, un courant théologique, une école moderniste, qui se serait donné la mission de détruire, au 783

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nom (le la critique, le dogme traditionnel, sous couleur de le renouveler. Cf. H. Hokpfl, op. cit. Comme en matière d’appellation l’usage est souverain, le terme de haute critique a passé, avec ce sens défavorable, dans des documents ecclésiastiques récents, notamment dans l’encyclique Providentissirnus Deus et dans le motu proprio de Pie X Præstantiu Scripturæ :

« Léo XIII… ah opinionibus vindicavit falsae

doctrinae, quæ critica sublimior audit » (18nov. 1907).

L’école historique française préfère pai-ler de critique de provenance ei de critique de restitution. Lan-GLoisetSEiGXOBOs, //j//-0(/. ttux études hist., 1898, p. 51, 66. La critique de provenance a pour objet de répondre aux questions : De qui est le texte ? Où et quand a-t-il été composé ? Avec qxielles sources ? Dans quelles circonstances ? A quelle lin ? La critique de restitution ou de reconstruction a pour objet de rétablir le texte dans sa teneur primitive. Les mêmes auteurs parlent encore ici de critique externe ou d’érudition. Ce n’est pas qu’ils estiment que pour restituer un texte ou en marquer la provenance, il faille recoiu’ir exclusivement au témoignage historique qui le conœrne ; ils veulent dire simplement que les travaux d’érudition sur l’histoire du texte restent en dehors de l’étude de son contenu. De là cette autre division bien connue en critique externe et en critique interne. La critique interne suppose déjà l’exégèse du texte ou, tout au moins, elles A’ont toutes deux de conserve. On les confond même assez souvent sous le nom de critique d’interprétation. Cf. Langlois etSEiGNOBOs, op. cit., p. 46, 117. La critique d’interprétation, appliquée à la Bible, ne se distingue pas réellement de l’herméneutique sacrée, qui n’est rien autre chose que l’art d’interpréter le texte inspiré. L’objet de cette critique varie, selon qu’il s’agit de donner un commentaire philologique, un commentaire historique ou in commentaire doctrinal.

Dans le présent article, il n’est question que de la haute critique biblique, puisque la critique textuelle et la critique d’interprétation sont traitées à part. "Voir Textes (Critique des) et Exégèse. La haute M’iticpie, à son tour, se subdivise en critique littéraire et en critique historique, encore que d’après S. R. Driver, The higher Criticism, 1906, p. vi, la criticfue littéraire seule mérite la dénomination de haute critique. Quoi qu’il en soit, c’est de celle-ci seulement que nous entendons traiter pour le moment ; quant à la critique historique, elle n’intéresse l’ajwlogétique que dans la mesure où elle est liée à la défense de rixERRAXCE biblique. Voir ce mot.

3. Procédés de la critique. — a) Qu’il s’agisse de la Bible ou d’un livre profane, la critique dispose d’un double instrument d’investigation : le critère externe, savoir le témoignage historique sur les origines d’un texte ou sur un événement ; et le critère interne, qui s’attache à l’analyse du texte lui-même : sa langue, sa tenue littéraire, ses indices paléographiques, et aussi son contenu. D’ordinaire, le critère externe l’emporte en précision sur le critère interne ; seulement, ce témoignage historique, dont la voix est si claire, a besoin, à son tour, d’être critiqué. Peut-être que les i^remiers qui ont témoigné en faveur de l’existence et de la teneur du texte n’avaient pas été exactement renseignés. Ce qui est d’autant plus à craindre que les témoins sont déjà éloignés des origines prétendues d’un texte ; ou que, contemporains, ils n en parlent que sur la foi d’autrui. Et puis, ceux qui sont venus après eux, nous ont-ils transmis fidèlement leur témoignage ?… Autant de questions, et bien d’autres encore, que soulève le seul mot de tradition. Au contraire, le critère

interne permet au texte de produire sur nous une impression directe, et c’est un avantage réel ; mais cette impression reste facilement indécise. L’analyse d’un livre aboutit le plus souvent à des conjectures plausibles, sans qu’aucune d’elles force l’assentiment. Reconnaître des sources dans le Penlateuque, les classer, les apprécier ; distinguer dans le texte actuel ce qui appartient à la rédaction primitive de ce qui est addition postérieure ; préciser le sens et la portée du contenu, qui a été compris par les premiers lecteurs grâce à une foule de circonstances impossibles à reconstituer aujourd’hui avec certitude : c’est là un travail complexe et délicat, dont les plus habiles ne sont pas encore Acnus à bout. On a, il est Arai, osé beaucoup dans ce sens ; mais il suffît de jeter les yeux sur l’édition polychrome de P. Haupt (18961901), ou encore de E. Carpenter, The Ilexateuch accord ing to the Revised Version, 1900, pour aA"oir le droit de soui-ire de la belle assurance a^ec laquelle des critiques croient pouvoir marquer la provenance diA’erse de minimes portions du texte, d’un verset, ou même d’un mot. Le critère interne laisse, plus que le critère externe, la porte ouverte aux préjugés et à la passion ; son verdict final résulte le plus souvent d’une impression d’ensemble ; et, même dans les détails, il dépend, dans une bonne mesure, du goût, d’une certaine manière personnelle de sentir et d’apprécier. L’expérience atteste tous les jours combien grande est la divergence des opinions, même entre gens compétents, quand il s’agit de déterminer les origines d’un texte par l’argument philologique. Cf. Mgr Migxot, Lettres sur les études bibliques, 1908, p. 267.

Est-ce à dire que le critère interne est impuissant et ne mérite que défiance ? Non. Et d’abord, il excelle à donner des résultats négatifs. Il suffît parfois d’un trait caractéristique pour a^oir le droit d’aflirmer qu’un texte ne saurait être de l’auteur auquel on l’attribue couramment. Un helléniste reconnaîtra sans peine dans le livre de la Sagesse une œmre judéoalexandrine ; et donc il aura, de ce seul chef, une raison sullisante de tenir pour erroné le sentiment de ceux d’entre les anciens qui l’ont attribué à Salomon. Cf. Dexz.^", 92, 96. Mais, s’agit-il de nommer positivement l’auteur du livre, ou même de marquer l’époque précise de sa composition, le critère interne n’a plus que des conjectures à présenter ; et encore restent-elles entre des limites assez imprécises.

Tous les critiques ne savent pas se contenter des résultats très réels, bien qu’incomplets, du critère interne ; beaucoup dépassent, dans leurs conclusions, la Aaleur des preuA-es qu’il a fournies. Soit besoin de certitude, soit précipitation d’esprit, soit désir de s’affranchir d’une tradition qui contrarie, ils affectent de croire, — et peut-être sont-ils arriA-és à croire en effet, — que la critique n’a besoin, pour refaire l’histoire, que de la réalité matérielle du document, tel cfu’il existe aujourd’hui, sans se préoccuper de ce qu’on en a pensé jusqu’ici. C’est à cette confiance excessivc dans le critère interne que tiennent principalement les écarts de l’école que l’on appelle critique, par une sorte d’opposition, — du reste très partielle,

— aACc l’école dite historique. Si M. Loisy aA-ait tenu compte de l’attitude prise par le 11’siècle à l’égard des textes et des doctrines du X. T., ses conclusions eussent paru moins paradoxales, même à ceux qui ne croient pas à l’origine diA-ine du chi-istianisme. En philosophie, le critère interne (l’argumentation ab intrinseco) donne la preuvc par excellence, mais il n’en A’a pas de même pour les études historiques.

Il est exact que, dans l’étude d’un document, la critique littéraire et la critique historique sont admises à se prêter un mutuel appui, en réagissant l’une sur 785

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l’autre ; pourvu cependant que cette réaction n’implic |ue pas une pétition de princijjc. Ici le péril est grand, et ils ne l’ont pas évité, ceux qui prétendent dégager des Evangiles une histoire de Jésus et du mouvement clirétien primitif, pour expliquer ensuite par cette histoire même la composition des Evangiles. Voir plus haut, I, 3, e, et Rc’ue pratique d’Apologétique, t. VI, p. 807.

b) C’est de l’abus du critère interne et d’une défiance instinctive à l’égard de la tradition que résulte « l’hypercriticisme ». MM. Laxglois et Skigxobos, Introd. aux études historiques, i. 107, fonljustcment observer que l’hj’percriticismeest à la critique ce que la finasserie estàla finesse ; maisils le caractérisent d’une façon très incomplète en disant que « c’est l’application de la critique à des cas qui n’en sont pas justiciables >-. Même en des matières qui comportent un examen méthodique, on tombe souvent dans l’hypercriticisme à cause du tour systématique, partial et exclusif que l’on a donné à son esprit. A force de se défier de la tradition courante et de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner ; sans se douter du reste qu’à cause de cette disposition morbide, native ou acquise, on est souvent soi-même victime de la mystification et de l’idée fixe. Il faut savoir s’arrêter à temps, sous peine de fausser compagnie au bon sens ; la correction de l’ensemble autorisant, au besoin, à fermer les yeux sur certaines diflicullés de détail. On reste déconcerté devant les phénomènes de grossissement prodigieux dont l’œil de l’hypercritique est capable. Cf. J. B. Ligutkoot, The Apostolic Fathers, S. Clément of Rome, I, i (1890), p. 35^. De vrais savants en Aiennent à soutenir avec une opiniâtreté sereine des conclusions dont le premier venu, même s’il n’a pas de connaissances spéciales, sent l’invraisemblance. Voilà bientôt dix ans que M. le professeur Cheynf. s’applique, en toute occasion, à faire du petit clan des Jérahméélites, passé jusqu’ici inaperçu, le pivot de l’histoire des Hébreux, et même des Sémites en général. The Jerahmeel theory, dans Ilihhert Journal, oct. igo8, p. 182. Dos Assyriologues de valeur, tels que Jenskn, ^Vl^cKIJ : u et Jeuemias, semblent être obsédés du cauchemar panbabylonien ; ils découvrent partout, jusque dans le N. ï., des infiltrations de la mythologie assyro -babylonienne. M. Loisv s’est tellement persuadé que le christianisme primitif, celui qui remonte à Jésus en personne, n’a pas pu être tel que les Evangélistes nous le représentent, qii’après aA’oir nié l’iiistoricité du Quatrième Evangile, il en est venu, assez logiquement du reste, à diminuer, tous les jours davantage, l’élément historique des Synoptiques eux-mêmes. Aujourd’hui, il conteste l’historicité des paroles : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». lievue critique, 13 mai 1909, p. 37g. Sur cette voie, il n’est encore qu’à mi-chemin ; d’autres l’ont devancé, en mettant en question l’existence même de Jésus. Cf. Fii.i.iox, L’existence historique de Jésus et le rationalisme contemporain, 1909. M. Salomon Reinach, lievue de l’Iiist. des religions^ 1905, t. LII, p. 264, avance sérieusement que la crucifixion de J.-C. n’est pas un fait historique, mais une légende suggérée par un verset du psaume xxi, 17. Cf. LoisY, Quelques lettres sur des questions actuelles, 1908, p. 2^1, 28^. Au récent congrès de l’histoire des religions, tenu à Oxford, en sci)tcml)re 1908, M. P. Hali’T, professeur à l’Université de Baltimore, a soutenu ([u’il n’est pas certain que J.-C. fût juif de race. Voir Transactions of the third internat. Congress for ttie hislory of religions, 1908, ]). 303. E. llenan attribuerait sans doute ces résultats et la mentalité dont elles témoignent à la subtilité ». Or, d’après lui, « on ne guérit pas de la subtilité. On peut reconnaître qu’on.s’est faussé l’esprit, mais non le redresser ». Et

puis, ajoxite-t-il, < la déviation a tant de charme et la droiture est si ennuyeuse qu’en vérité, si j’étais à reconunencer, jela préférerais peut-être encore… Cela prouve que je suis perverti. Mais qu’y faire ? » I^atrice, dans la Revue des Deux Mondes, 15 mai 1908, p. 284. c) C’est contre ces abus, auxquels peut mener l’emploi exclusif du critère interne que nous met en garde l’encyclique Prov. Deus. « Ceux qui sont appelés à enseigner les saintes Lettres devront être particulièrement habiles et exercés dans la vraie critique ; car il y a un art pervers et funeste à la religion qu’on a décoré du nom de haute critique, qui consiste à juger par les seuls arguments internes, comme on dit, de l’origine, de l’intégrité et de l’autorité de chaque livre. Il est évident, au contraire, que dans les questions historiques, telles que celles de l’origine et cle la consei’vation des livres, les témoignages de l’histoire l’emportent sur les autres, et doivent d’abord être recherchés et discutés ; quant à ces raisons internes, elles n’ont pas tant de valeur, en général, qu’on puisse les invoquer ici, si ce n’est par manière de confirmation. Que si l’on en agit autrement, il en résultera, sans contredit, de grands inconvénients. Car, les ennemis de la religion n’en auront que plus d’assurance pour attaquer et mettre en pièces l’authenticité des saints Livres ; et ce genre de critique ti-anscendante qu’ils exaltent aboutira finalement à ce que chacun suivra dans l’interprétation son goût et son opinion préconçue ; dès lors il n’en résultera ni cette lumière que l’on cherchait pour éclaircir les Ecritures, ni aucun profit pour la science, mais on verra se manifester ce caractère certain d’errem*, qui est la variété et la diversité des opinions, dont les chefs de cette nouvelle école sont eux-mêmes un exemple ; de là aussi, comme la plupart d’entre eux sont imbus des préjugés d’une fausse philosophie et du rationalisme, ils ne craindront pas d’éliminer des saints Livres les prophéties, les miracles et tout ce qui dépasse l’ordre naturel. » Cf. Denz. <", 1 9^6. Pour ne pas donner à ces paroles un sens excessif, qui n’était certainement pas dans la pensée de Léon XIII, il con-Aient de les faire suivre d’une observation de Mgr MicixoT :

« Il ne faudrait cependant pas juger du système

d’après les exagérations. Prendre toutes les imaginations, les billevesées des critiques, en dresser le tableau synoptique, le montrer à un public incompétent et lui dire : voilà la science, voilà à quelles inepties arrivent les grands noms de l’exégèse, serait ime sottise, une franche maladresse, un déloyal escamotage. Il serait aisé à nos adversaires de nous rendre la pareille, s’ils avaient la fâcheuse idée de faire un cornpendium de toutes les affirmations fantastiques de nos moralistes et de nos commentateurs. Beaucoup de savants abusent du texte sacré, le tordent en tous les sens, lui font dire ce qu’il n’a pas dit, laissent dans l’ombre ce qui les gêne, décident du sens d’après des idées préconçues, j’en conviens volontiers ; mais, malgré ces réserves, il faut bien reconnaître que l’œuvre élcveeparla criticpie est très puissante, qu’on n’en aura pas raison avec quelques plaisanteries ou des fins de non-recevoir sans portée. » Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908, p. 266.

f. Les ressources de la critique sacrée. — Pour résoudre les questions qui concernent l’origine des Livres Saints, on dispose du texte, des documents I)rofanes qui lui sont parallèles, et du témoignage traditionnel.

a) u texte on demande la preuve philologique, la preuve littéraire et la preuve historique que le critcr (> interne i)cut dégager de son contenu.

1" Nous venons de dire qu’en étudiant la langue et le style d’un docununt. on arrive parfois à le dater 787

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avec plus ou moins de précision. Les études entreprises, de ce point de vue, sur le Pentateuque n’ont pas été aussi infructueuses que beaucoup le pensent. Le P. Brlckf.r, L’Eglise et la crif. bibl., 1908, p. 152, convient « qu’il paraît difficile de ne pas admettre, avec des critiques aussi modérés que savants (tels que M. Ed. KoEMG, Einleit. in das A. T., 1898, p. 228). que certaines différences entre la langue de « l’histoire jéhoviste » et celle du « code sacerdotal v prouvent, non seulement une diversité de mains, mais encore une diversité d’époques ». C’est pourquoi, sans doute, la Commission pour les études biblicjues a autorisé l’hypothèse de la composition par secrétaires (Dexz. 10^ 1998) ; et l’auteur, qui vient d’être cité, suppose en outre « que les principaux documents dont se compose le Pentateuque ont assez longtemps existé chacun à part, et, durant cette existence indépendante, ont suivi (dans une mesure inégale) les variations de la langue du peuple qui lui demandait son instruction » (p. 153).

Cependant, sans méconnaître les progrès que Gesenius, Kautzsch, EAvald, Konig et tant d’autres ont fait faire à la connaissance de la langue hébraïque, on peut trouver que, sur ce ten-ain, les ressources de la critique sont plutôt restreintes. En dépit de l’appoint très réel apporté par les inscriptions découvertes en Palestine et en Phénicie, par le déchiffrement de la langue assyro-babjlonienne et, plus près de nous, par la publication des papyrus araméens trouA’és en Egypte, l’histoire de l’hébreu ne se laisse pas encore écrire avec la précision que comportent nos langues classiques. La littérature hébraïque tient tout entière dans la Bible, et l’induction sur laquelle on fonde l’âge des formes et le sens des mots, résulte souvent d’un petit nombre d’observations. On parle, il est vrai, d’hébreu classique et de néo-hébreu, en entendant par cette dernière dénomination la langue aramaïsante d’après l’exil, qui se rencontre dans Esdras, Esther, Daniel, les Paralipomènes, etc. ; et encore, au sentiment de plusieurs, dans l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Est-ce à dire qu’on soit autorisé à dater d’avant l’exil, tout livre rédigé dans l’hébreu classique ? La découverte du texte original de l’Ecclésiastique montre assez qu’il faut faire à cette question une réponse négative. Par contre, on n’est pas peu déconcerté en constatant que les plus anciens morceaux de la littérature hébraïque, le cantique de Débora par exemple, Judic. v, présentent des particularités, qui semblent bien caractéristiques du néohébreu. Ici, on se demande naturellement dans quelle mesure la recension actuelle, celle des Massorètes, représente la langue originale de ces livres auxquels tant de générations ont demandé d’édifler leur piété et d’exalter leur patriotisme. Il est souverainement vraisemblable que, pour maintenir la Bible en contact avec la masse de ses lecteurs, on en aura rajeuni continuellement la langue. Ces altérations, surtout si elles ont été faites inégalement et à plusieurs reprises, rendent laborieuse et assez précaire la preuve philologique .

En passant au Nouveau Testament, ou met le pied sur un terrain plus ferme et mieux exploré. La critique textuelle a réussi à en reconstituer le texte primitif avec assez de précision et de certitude pour airu-mer que le doute ne plane plus guère que sur la millième partie de son contenu. Westcott et Hort, The y. T. in the original greeh, 18go, Text, p. 56 1. En outre, le grec du Nouveau Testament est incomparablement mieux connu que 1 hébrevi. Il n’est, en définitive, que la langue vulgaire parlée couramment dans le monde gréco-romain, au i’^ siècle de notre ère. Nous avions déjà dans la version des Septante et dans plus d’un auteur profane des points de compa raison très précieux pour l’intelligence de ce dialecte ; mais la publication récente des papyrus et des ostraca trouvés en Egypte vient de jeter une lumière nouvelle sur le sujet. On peut penser que l’enthousiasme et la séduction de brillantes hypothèses ont amené A. Deissmaxx et J. H. Moultox à s’exagérer quelque peu la portée de ces découvertes ; mais il n’est pas permis d’en méconnaître l’importance ; elles réduisent considérablement le nombre des sémitisuies du Nouveau Testament. Cf. A. Deissmaxn, Bihelstiidien, 1890 ; Xenhibelstudien, 1897 ; ^Yeir Light on the N. T., 190 ;  ;  ; The Philology of the greek Bible, 1908 (ces deux derniers ouvrages ont été traduits en anglais par R. M. Strachan sur le manuscrit de l’auteur) ; Licht voni Osten, 1908. J. H. Moclton, A graniinar of the X. T. greek, igo6.

En comparant entre eux les différents livres du N. T., au point de vue de la langue et du style, on est arrivé, sans peine, à en faire plusieurs groupes : les évangiles synoptiques, les écrits johanniques, les épîtres de S. Paul, etc. Néanmoins, les caractéristiques sur lesquelles se fondent ces groupements ont paru à certains si peu frappantes qu’ils estiment impossible d’attribuer à un même auteur le quatrième Evangile et l’Apocalypse, le troisième Evangile et les Actes, l’épître aux Romains et celle aux Ephésiens. Ils perdent de vue, sans doute, que le vocabulaire et le style d’un auteur ne sont pas de tous points invariables, qu’ils se ressentent de l’âge, du sujet traité et de beaucoup d’autres circonstances, malaisées à définir. Ceux-là mêmes qui admettent l’unité littéraire de toutes les épîtres pauliniennes, conviennent qu’âne considérer que la forme on peut, avec quelque fondement, les distribuer en quatre groupes : Thessal. — Gal., Cor., Rom. — Philip., Colos.. Ephes., Philem. — Tit., Tint. Cf. W. Sanday, On the epist. to the Romans. 1897, p. liv. — Des travaux comme ceux de Dalmax, de Haavkixs, de Resch et de Har-XACK sur l’histoire d’un certain nombre de mots du Nouveau Testament, font assez voir à quel degré de précision une analjse minutieuse peut arriver.

A la preuve philologique, se rattache celle que l’on demande à la stylistique. Commencées avec les travaux de LoAVTH (17^3) sur le parallélisme poétiqtie chez les Hébreux, les études concernant la forme plasticpie de la poésie hébraïque se sont beaucoup étendues depuis quarante ans. On a progressiA’ement envisagé la métrique (Bickell, Briogs. Sievers, Ley), le rythme (H. Grimme, RoxnsTEix), et la strophique (Zexxer, D. h. MiELLER. Perles, Bcdde, Coxdamix, Hoxtheim). Plusieurs points de la stylistique, et non des moindres, font encore l’objet de chaudes controverses. C’est ce dont témoignent les ouvrages de Ed. KoEXiG, Stilistik, Rhelorik, Poetik, etc., 1900 ; Die Poésie des A. T.. 190’] !. Quand les spécialistes qui s’occupent de la question se seront mis d’accord, la critique biblique fera son profit des réstiltats acquis de leurs recherches. En attendant, pour se rendre compte des services que la strophique peut rendre à la critique du texte et à l’exégèse, il suffit de lire la section d’Isaïe xl-xlvi, qui concerne le « Serviteur de lalivé », dans le P. Coxdamix, Le livre d’Isaïe. igo5, et Rev. bibl., i"^ avril 1908.

2" Pour les littératures profanes, on dispose, du moins assez souvent, des textes ayant servi de sources et qui existent encore à part. Il est aisé de dire dans quelle mesure Zonaras dépend de Dion Cassius, il n’y a qu’à comparer le texte de 1 abréviateur avec celui de l’historien. De semblables constatations sont malheureusement impossibles quand il s’agit de la Bible. Le Pentateuque, les Rois, les Macchabées, etc. ont été composés avec des écrits préexistants ; mais toutes ces sources ont disparu. Le moyen de les 789

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reconnaître maintenant avec précision dans le texte biblique ?

3° Plus nombreux et plus significatifs, dans les questions d’authenticité, sont les indices fournis par l’analyse du contenu même des textes. Des traits historiques : événements, institutions, doctrines, mœurs, etc., des indications géographiques permettent parfois de situer un document ; tout ou moins, de marquer un terme au delà dmjuel on ne saurait le reculer. Une expression peut, à elle seule, révéler une époque ou un pays. Il est bien connu, l’argument de ceux qui voient dans la locution éber hayrarden (de l’autre côté du Jourdain), pour désigner la région à la rive gauche de ce fleuve, une preuve que les livres où elle se lit, le Deutéronome par exemple, ont été composés en Palestine, c’est-à-dire à la rive droite du Jourdain ; et donc longtemps après Moïse. L’argument capital de l’hypothèse de J. Wellhausex sur la composition de l’Hexateuque après l’exil est que ces textes supposent des institutions, notamment l’unité du culte et du sanctuaire, qui n’existaient pas encore chez les Juifs avant l’exil. Ce genre d’argumentation vient d’être transporté sur le terrain où l’on discute le problème des Evangiles. M. Loisy, et l’école dont il se réclame, prétendent que la tradition évangélique représente un état de choses postérieur à Jésus-Christ.

L’emploi du critère interne est une arme à deux tranchants, on s’en sert pour démolir et pour édifier. Il a permis à ^V. Palky, Iloi-æ paiilinae, i~go, d’établir victorieusement l’authenticité du livre des Actes et des Epitres de S. Paul. L’auteur fait voir, jusqu’à l’évidence, que ces textes se supposent les uns les autres, et cela dans de telles conditions concrètes qu’on ne saurait faire, pour en expliqiier la composition, l’hypothèse d’une « forgerie ». D’autre part, on sait que dans beaucoup d’autres questions la haute critique n’a pas donné des résultats aussi heureux. Qu’il s’agisse de la Bible ou d’un document profane, on peut dire, d’une façon générale, qu’il y a danger à vouloir dater un texte par la seule analyse de son contenu, surtout si l’on demandait au procédé une preuve exclusive. Le péril est de fermer les j^eux ou de les ouvrir, au cours de cette analyse, au gré d’une théorie faite d’avance. L’esprit de i)artialité est particulièrement à craindre en matière d’Ecriture Sainte, à cause des influences plus noml)reuses et plus subtiles qui s’exercent ici sur nos jugements ; surtout quand il s’agit de déterminer les points de repère, par rapport auxquels on prendra ses positions ultérieures. Une fois admis qu’avant le roi Josias l’unité de sanctuaire n’existe chez les Hébreux ni en fait, ni en droit, il va de soi que tout Uvre dans lequel cette unité est expressément atUrmée ou supposée, ne saurait être antérieur au vu’siècle. Mais le point de départ est contesté. Cf. A.V.vn Hooxacker, Le lieu du culte, iSg^J. Si Jésus-Christ n’a entendu prêcher qu’un royaume eschatologique, il va de soi que la conception de l’Eglise, telle que nous l’entendons, ne saurait remonter jusqu’à lui ; et donc les enseignements mis à ce sujet par les Evangélistes sur ses lèvres sont sans valeur historique. Mais, le point de départ est erroné. Cf. Mgr B.tiikol, Jésus et l’E<ilise, dans le Bulletin de /.Ht. ecclésiastique (Institut, cath. de Toulouse), kjo/J, p. 27.

h) Les résultats donnés directement par la critique interne du document biblif|ue sont d’autant plus sujets à caution que le contrôle à attendre ici des documents profanes se trouve extrêmement réduit. L’histoire du peuple juif se puise presque exclusivement dans nos textes canoniques. Flavics JosiiiMii- : lui-même n’a guère eu d’autres sources, excepté pour 1 époque de la conquête romaine, de Pompée à Titus. Il est

vrai que, depuis un siècle, des découvertes faites en Egypte et en Mésopotamie ont apporté à l’histoire de l’antique Orient des ressources inattendues ; mais les points de contact fermes entre l’Ancien Testament et cette littérature, qui présente encore tant de lacunes, sont très espacés, et parfois moins fermes qu’on ne l’avait pensé tout d’abord. Il s’en faut que tous les archéologues fassent ici preuve de la même contiance que M. le professeur S.^yce, Tlie liigher Criticism and tlie verdict of tlie Monuments, 1894. Cf. L. W. KiNG and H. R. Haal, Egypt und Western Asia in the lighi of récent discoi-eries, 1907 ; Driver, Modem Researcli as illustrating the Bible, igog ; et siu-tout l’article Babyloxe et la Bible dans ce Dictionnaire.

— Bien que le Nouveau Testament se soit produit dans un siècle littéraire entre tous, il faut bien convenir que ses points d’attaché avec la littérature profane sont moins nombreux qu’on n’aurait pu l’attendre ; ils se bornent à une phrase jetée en passant dans Tacite et Suétone, et à deux ou trois passages un peu plus développés dans Josèphe et Pline le Jeune. Au siècle qui précède notre ère, on rencontre bien quelques apocryphes juifs, le livre d’Hénoch par exemple ; mais si ces productions éclairent d’un certain jour le milieu doctrinal dans lequel l’Evangile a été prêché tout d’abord, elles restent sans attache littéraire avec sa composition. Avec le second siècle de notre ère commence une littérature chrétienne, mais elle dépend elle-même des Evangiles et des Epîtres.

c) A n’envisager les choses qu’en historien, que vaut le témoignage traditionnel sur l’authenticité des Livres Saints ? Dans son ensemble, le Nouveau Testament se présente incontestablement dans de bonnes conditions ; mais l’Ancien donne lieu à des controverses plus épineuses. En définitive, tout se ramène ici à une tradition juive dont l’âge et la Aaleur ne se laissent pas démêler facilement. Il est possible que le P. DE Hlm.melauer, Civiltà cattolica, 16 mai 1908, p. 4^3, et Exegetiches zur Inspirationsfrage, 1904. p. 87, ait déprécié outre mesure cette tradition, comme le croit en effet le P. Méchineau, L’idée du Livre inspiré, 1908, p. 67-64 ; mais il faut bien lui accorder qu’à moins de simplifier à l’excès le problème, une démonstration purement historique ne va jjas, sur ce terrain, sans de sérieuses dilïicultés.

Ces observations ne sont pas pour rendre sceptique à l’endroit des résultats obtenus ou espérés, mais elles donneront peut-être à comprendre que la critique biblique est tenue à plus de réserve que la critique profane. On peut penser qu’il y a dans cet état de choses une des raisons pour lesquelles Dieu n’a pas voulu qu’au sujet de la Bible nous fussions réduits aux seules ressources de la critique historique.

III. Chitioie littku.vire des Livres S.ints. — Elle envisage l’authenticité, les genres littéraires et les sources.

I. Authenticité. — o) On entend par là l’origine humaine du document biblique : l’auteur, le lieu et la date de sa composition ; quant à son origine divine, elle constitue l’inspiration, qui prend un caractère de canonicité avec la reconnaissance ollicielle de l’Eglise. Voir Canon L’histoire peut bien faire la preuve qu’à partir d’une épocjue donnée on a cru communément dans la Synagogue ou dans l’Eglise que tel livre était inspiré de Dieu ; mais la réalité même de cette inspiration ne peut être connue, du moins avec certitude, que par quehiue révélation divine. D’où il suit que les questions de canonicité sont avant tf)ut d’ordre dogmatique. Au contraire, la critique littéraire se trouve sur son terrain propre dans les questions d’authenticité. 791

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Ces définitions et ces distinctions, admises par tout le monde, autorisent déjà à conclure que les problèmes soulevés par l’authenticité et l’inspiration d"un seul et même livre ne sont pas nécessairement solidaires les uns des autres. On peut connaître avec certitude le caractère inspiré d’un texte et ignorer le nom de son auteur et l’époque de sa composition. En fait, c’est le cas d’un bon nombre de livres de l’Ancien Testament. Quel est l’auteur de Ruth, d’Estlier, des Juges, des Rois, des Paralipomènes, etc. ? Pour être distinctes, l’authenticité et la canonicité n’en restent pas moins connexes, étant donné quelles concernent un même texte ; bien plus, il peut se faire que l’autorité divine d’un livre soit gravement intéressée dans les questions qui se posent au sujet de son authenticité.

C’est parce que les anciens envisageaient le texte biblique surtout d’un point de vue théologique, se contentant de fonder le dogme et la morale sur la parole de Dieu, qu’ils se sont préoccupés des questions d’authenticité beaucoup moins que nous, qui abordons ce même texte en apologistes, ou encore en exégètes soucieux d’en dégager le sens historique. Les Pères n’ont guère recherché l’origine humaine d’un livre inspiré que dans la mesure où c’était nécessaire pour établir sa canonicité ; par exemple quand il s’agissait d’admettre ou de maintenir dans le Canon l’Apocalypse, l’épître aux Hébreux, la 11^ Pétri, l’épître de Jude ; ou bien d’en exclure l’Evangile et l’Apocalypse de Pierre, l’épître de Barnabe, les Actes de Paul, etc. Nous avons dit plus haut, I, i, ii, la raison de cette attitude. Une fois le Canon constitué dans son intégrité et possédant sans conteste, on en vint, avec le temps, à traiter de pure curiosité d’esprit la recherche du nom de l’hagiographe, comme s’il ne suffisait pas de savoir que le texte sacré était la parole de Dieu. A quoi bon connaître la qualité de la plume dont l’Esprit-Saint s’était servi ? On peut voir, à ce sujet, des textes intéressants coUigés par le P. CoNDAMix danslai ?e(’. OibL, 1900, p. 30-35. S. Augustin’a pensé résoudre suffisamment vine difficulté soulcAée par Matth. xxvii, 9, où un texte de Zacharie est attrilnié à Jérémie, en disant que cette substitution s’est faite par un secret dessein de la Providence, pour nous apprendre qu’il importe peu de prêter à un prophète plutôt qu’à un autre des paroles, qui ont été écrites sous l’inspiration d’un seul et même Esprit. De consensu E’angel., lH, ii, io ; P.Z., XXXIV, ii^S. Aussi bien, la canonicité seule est l’objet des définitions de l’Eglise, quand celle-ci dresse la liste des livres qu’on doit tenir pour inspirés de Dieu. Si, en énumérant les écrits canoniques, le concile de Trente, Sess. IV, décret. Saci-osancta, Denz. <", 78^, dit : Quinque Moysis (Pentateuque) et Quatuordecim epistolae Pauli, c’est pour se conformer à la terminologie reçue, fondée sur un sentiment commun, que du reste le concile estime légitime ; sans prétendre, pour autant, définir la valeur historique de ces diverses attributions, ni même leur reconnaître à toutes une égale autorité. Cf. E. Mangexot, L’authent. mosaïque du Pentateuque, 1907, p. 268-277. Bien certainement, dans l’esprit des Pères du concile, l’origine paulinienne de l’épître aux Romains se présentait avec de tout autres garanties que celle de l’épître aux Hébreux. Voilà pourquoi des catholiques, même après le concile de Trente, ont contesté l’authenticité de cette dernière, tout en maintenant sa canonicité. Cf. Prat, Théol. de S.Paul, i^ partie, 1908, p. 51 I.

/v) Est-ce à dire que l’Eglise et la théologie se désintéressent des questions d’autlienticité ? Non, certes ; car ces problèmes importent Ijeaucoup à l’apologétique, comme aussi à l’exégèse (tant dogmatique qu’his torique), qui est le préambule obligé de toute bonne théologie. Cf. Eucycl. Provid. Deus, n » 16.

A moins de tomber dans le fidéisme, la théologie fondamentale, qui est essentiellement apologétique, doit établir avec certitude, et par des motifs d’ordre rationnel, l’autorité historique des écrits qui lui servent de point de départ, spécialement des Evangiles. On y reclierche dans quelle mesure ces textes nous font prendre contact avec la vie et les enseignements de J.-C. Or cette autorité dépend précisément de levir authenticité, entendue tout au moins au sens large du mot : où, quand et comment les Evangiles ont été composés, avec quelles ressources, etc. — « En soi et indépendamment des autres considérations, un fait raconté par un témoin oculaire, et surtout par l’auteur même du fait, revêt un caractère de certitude plus indéniable que s’il est raconté par un historien de deuxième ou de troisième main… A ce titre, l’authenticité du Pentateuque a une importance toute particulière pour la critique historique, et si les faits racontés dans l’Exode et les Nombres sont d’un contemporain, leur valeur en est centuplée, ils forment une base inébranlable, et l’on peut sans crainte bâtir sur eux. On pourra les interpréter différemment, on ne pourra pas les nier ; on pourra se demander quelle est la nature des plaies d’Egj-pte, du passage de la mer Rouge, des théophanies du désert, ilne sera plus possible à un savant qui se respecte de ne pas en tenir compte. » Mgr Mig.not, Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908, p. 255 en note ; cf. L. MÉciii-XEAU, L’autorité humaine des Livres Saints, 1900, dans la collection « Science et Religion ». — On en dira autant des livres prophétiques de l’A. T. La valeur apologétique de l’argument qu’on en tire suppose que ces textes sont antérieurs aux événements qui s’y trouvent prédits. Il n’y a pas de vraie prophétie post eventum ; et même la force probante d’une prédiction est singulièrement diminuée, sinon tout à fait anéantie, par le seul fait que le prophète n’a précédé que de lieu de temps les événements prédits, à moins qu’on n’établisse que, même dans ces conditions, ses paroles n’ont pas été une conjecture purement humaine, ni un écho des aspirations de ses contemporains. Quant aux livres historiques de la Bible, il est clair que leur authenticité reste le point capital sur lequel repose l’autorité de l’histoire juive. L’apologétique se fonde essentiellement sur l’exégèse historique. Or, pour comprendre un texte, il faut tout d’abord le replacer dans son milieu, déterminer les mœurs littéraires de l’auteur, les infiuences qu’il a subies, etc. Autant de questions qui concernent, ou plutôt qui constituent proprement l’authenticité d’un texte. Ceux d’entre les anciens qui font si facilement bon marché de l’origine humaine du texte inspiré, n’ont guère parlé de la sorte que des Psaumes ou des livres Sapientiaux, par exemple, de Job, des Proverbes, du Cantique et de la Sagesse. Qu’un écrit didactique, dont l’objet est purement doctrinal, soit de tel auteur ou de tel autre, il importe peu, puisque la garantie de l’enseignement qui s’y trouve donné ne dépend pas, en définitive, de l’autorité humaine de son auteur, mais de son inspiration divine.

L’exégèse dogmatique, — qui est ainsi dite parce qu’elle envisage le texte biblique comme la parole de Dieu, — se trouve parfois amenée à se prononcer sur des questions d’authenticité. Ce qui a lieu aussi souvent qu’un livre est attribué par l’Ecriture elle-même àun auteur déterminé. Treize épîtres du N. T. portent en suscription le nom de S. Paul et se donnent de la sorte pour l’œuvre de l’Apôtre. C’est un faitque l’exégète croyant doit reconnaître, à moins de s’inscrire en faux contre le témoignage du texte inspiré. Pour que ces suscriptions deviennent des garanties dogma793

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tiques d’authenticité, elles doivent vérifier deux conditions : d"abord, qu’elles soient de l’auteur inspiré lui-même, et non d’un éditeur ; ensuite, qu’elles soient à comprendre en un sens rigoureusement historique, plutôt qu’en vertu d’une convention littéraire. A défaut de la première de ces conditions, les titres des psaumes n’autorisent pas à attribuer tout le Psautier à David ; et, de même, les titres qui assignent respectivement les trois premiers évangiles à Matthieu, à Marc et à Luc. ne donnent jias le droit, à eux seuls, d’affirmer que les évangélistes ont signé leur œuvre. Cf. Bacuez-Brassac, Manuel biblique, 1908 *-, t. ni, p. !. A plus forte raison, ne faudrait-il pas voir une preuve irréfragaljle d’authenticité dans le titre sous lequel un livre est connu et couramment cité, même par les auteurs inspirés. Il peut se faire que cette appellation n’ait qu’une valeur de convention. C’est ce qui est reconnu par le P. Brucker dans sa défense de l’authenticité mosaïque du Pentateuque, L’Eglise et la critique biblique, igo8, p. 118. — Que l’origine du cjuatrième évangile soit atlirmée par l’évangéliste lui-même, on peut, je crois, le montrer ; mais on n’y réussira qu’en établissant les deux propositions suivantes : L’évangéliste s’identifie personnellement avec le disciple que Jésus aimait ; le disciple bien-aimé est un disciple réel et un apôtre, Jean fils de Zébédée. Cf. Lepix, L’origine du Quatrième évangile, 1907, p. 285-899, ^^ dans la Revue bibl., 1908. p. 84 ; P. Ladeuze, dans Bévue bibl.. 1907, p. 559-585.

Certains livres se donnent pour l’œuvre d’un personnage connu de l’histoire biblique, mais ce n’est là qu’un artifice littéraire ; en réalité, ces écrits sont des pseudépigraphes. C’est vraisemblablement le cas du Cantique des cantiques ; voirP. Jouox, Le Cantique des cantiques, 1909, p. 82. Très probablement, il faut en dire autant de l’Ecclésiaste, d’après les études du P. CoxDAMix, dans la liev. bibl., 1900, t. IX, p. 30 et suiv. Sûrement, la Sagesse n’est pas de Salomon, en dépit de son ch. ix. Faute d’avoir donné une attention suflîsante au genre littéraire des livres Sapientiaux, plusieurs anciens les ont, à tort, attribués en bloc à Salomon. Cf. la lettre cIInnocent I"^ à Exupère, Dexz.’*, 96. — Y a-t-il des pseudépigraphes dans le Nouveau Testament ? La plupart des critiques indépendants répondent par l’allirmative, notamment en ce qui concerne la //> L^etri. C’est une question délicate et complexe, qui n’a peut-être pas encore reçu une réponse définitive ; en tout cas, elle ne saurait être résolue uniquement par des considérations a priori. Au théologien et au criti([ue d’étudier le problème chacun d’après sa méthode, et de le résoudre d’un commun accord. Cf. lievue biblique, 1909, p. 314 ; "Van Noort, De font, revel., 1907, p. 70 ; Ad. Cellixi, Propædeuticd biblica, 1908, 11, p. 222 et 188.

Ce que nous venons de dire de livres entiers, doit s’entendre encore de passages particuliers, quand une exégèse correcte arrive à dégager du texte lui-même son attribution humaine. N’est-ce pas, par excnq)le, le cas de la célèbre prophétie de l’Emmanuel, au chap. VII d’Isaïe ? « Elle y est présentée avec des circonstances et en des termes tels qu’on ferait mentir l’Ecriture inspirée, soit en la déniant à Isaïe, soit en l’assignant à un autre teiiii)s que celui d’une attaque des rois de Syrie et d’Israël contre Juda, sous le règne d’Achaz. Peu importe, au reste, que le prophète ne dise pas expressément qu’il a lui-même rédigé cet oracle, rattril)ution explicite qui lui en est faite par le texte sacré suffit à nous garantir qu’il en est Vauteur, suivant un des vrais sens expliqués plus haut. » J. Bulcker, LEglise et la critique biblif/ue. 1908, p. 80-81.

c) Pour ces raisons, on doit convenir que la théo logie a, elle aussi, son mot à dire dans les questions d’authenticité, cjuand il s’agit des livi-es bibliques ; et qu’au besoin l’Eglise pourrait jeter dans la balance des controverses le poids de son autorité. C’est ce qu’elle vient de faire en ce c}ui concerne le Pentatcuque et le Quatrième Evangile, non pas toutefois par une décision qui soit d’elle-même irréformable. Voir les décrets de la Commission pontificale poiu* les études bibliques, en date du 27 juin 1906, du 29 mai 1907, et encore la propos. 18 dvi décret du S. OlTice Lamentabili, 3 juil. 1907 ; cf. Denz. "’, 1997, 2018, et Bévue bibl., 1907, p. 32 1. Directement, l’Eglise n’a pas mission pour trancher un fait d’ordre historique, tel que l’origine humaine d’un livre, — à moins pourtant que le fait ne se trouve consigné expressément ou équivalemment dans le dépôt de la révélation ; — mais indirectement elle peut être amenée à le faire, ciuand sa fonction de gardienne des Ecritures et de maîtresse de la vérité révélée vient à l’exiger. L’authenticité devient alors un fait dogmatique, et le problème qu’elle soulève constitue une de ces questions mixtes, dans lesquelles le dernier mot doit rester à l’autorité religieuse. Tel est le sentiment commun des écrivains catholiciues, bien qu’ils ne s’expriment pas tous en des ternies identiques. J. Brucker, Z’.£’^//se et la crit. bibl., igo8, p. 81 ; L. Billot, Be inspir. Script. Sacrae, 1903, p. 61 ; et même, si je le comprends bien, Fr. aox Himmelaveh, Exegetiscfies zur Inspirations frage, 190^, p. 111. Jusqu’à ces derniers temps, l’Eglise avait évité d’intervenir dans ces problèmes, dont elle laissait la discussion aux savants catholiques ; elle s’était bornée à protéger par ses décisions le caractère canonique des livres bibliques. L’audace de la négation, qui en est venue à soutenir des erreurs monstrueuses {port enta erroruni dit l’Encycl. Prov. Deus), l’emmêlement des questions et aussi, on peut le croire, le désarroi jeté dans l’opinion catholique par des controverses auxquelles le public n’était pas préiiaré ; toutes ces causes réunies ont amené l’autorité ecclésiastique à s’avancer sur ce terrain.

Les règles à suivre pour déterminer critiquement à quel auteur il convient d’attribuer un livre de la Bible ne diffèrent pas de celles qu’on emploie quand il s’agit d’ouvrages profanes. Si l’autorité ecclésiastique intervient dans ces questions, elle le fait au nom de la mission religieuse qu’elle tient de Dieu ; les garanties scientificques dont elle s’entoure peuvent l)ien mettre de son côté la prudence et donner à sa décision une autorité d’ordre humain, mais elles n’en constituent jjas la valeur propre, ni le caractère distinctif. Il est vrai que parfois les décisions ecclésiasticiues concernent bien moins les conclusions elles-mêmes, pour les déclarer incompatibles avec le dogme ou la doctrine catholique, que la valeur des arguments d’ordre scientifi<pie que l’on a fait valoir pour ou contre ces mêmes conclusions. C’est ainsi cpie le décret de la Commission pour les études bibliques, en date du 29 juin 1908 (Dub. 4), déclare que l’argument iihilologique tiré de la langue et du style, pour contester l’attrilnition de tout le livre d’Isaïe à un seul et même auteur, ne doit pas être estimé tel ([u’il contraigne un homme grave, versé tians l’art de la critique et de la langue hébraïque, à reconnaître que ce livre est l’œuvre île plusieurs auteurs. Telle est encore la portée du décret au sujet de l’origine du Pentateuque, du moins en ce qui concerne le Dubiuni i. Pour se rendre compte de cette manière d’envisager la question, il ne faut l)as perdre de vue que le magistère ecclésiastique, tout comme la théologie, ne veille pas seulement sur l’objet de notre foi, mais aussi sur les motifs que nous avons de croire. L’appréciation de ces motifs, encore 795

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qu’elle ne prétende pas être infaillible, prend néanmoins aux yeux du croyant une autoiùté particulière, qui ne se fonde pas uniquement sur la science des consulteurs et des défîniteurs de la Congrégation romaine, mais sur la compétence religieuse du tribunal qui a rendu le décret. Voir, dans l’article Curie ROMAINE, Décisions des congrégations. Au surplus, on doit convenir que l’autorité purement humaine de la tradition ecclésiastique est ici considérable en ce qui concerne le Nouveau Testament. Il s’agit de livres composés dans l’Eglise et pour elle, de textes doctrinaux et litiu-giques dont elle ne s’est jamais dessaisie. Est-il croyable que l’autorité compétente les ait accueillis sans savoir de qui ils étaient ; et qu’une fois en possession d’une certitude à ce sujet, elle l’ait laissée se perdre ? Absolument pai’lant, la chose n’est pas impossible, mais pour en affirmer la réalité, il faut avoir des raisons positives et graves. Jusque-là, la tradition ecclésiastique courante a le droit de prévaloir. C’est un des aspects de l’argument dit de prescription, si fréquemment employé par Tertullien à l’adresse de ces hérétiques qui prétendaient attaquer l’Eglise catholique avec ses propres livres.

d) Aux questions d’authenticité se rattachent étroitement celles qui concernent Vintégrité d’un texte. Il est incontestable que tous les livres bibliques, aussi bien dans la langue originale que dans les versions, y compris la Vulgate latine, jjortent, en leur iorme actuelle, des altérations plus ou moins nombreuses, qui ont pénétré dans le texte primitif par voie d’addition, de retranchement et de substitution, de transposition et d’explication ou de glose. Du point de vue critique, la question d’intégrité se trouve traitée dans l’article consacré à l’histoire et à la critique des Textes ; du point de vue dogmatique, elle se rattache aux questions du Canox et de la Vulgate. Qu’il suffise de dire ici, d’une façon générale, que presque toutes ces altérations ont introduit dans le texte sacré des éléments d’origine et de valeur exclusivement humaines ; pour quelques passages seulement, on peut se demander s’il n’y a pas lieu de distinguer entre authenticité et canonicité. Par exemple, quand même il serait établi que la section concernant la femme adultère ne faisait pas, à l’origine, partie du quatrième évangile ; il ne s’ensuivrait pas qu’elle ne soit pas à retenir comme canonique.

2. Genres littéraires. — a) On admet assez couramment que l’inspiration n’exclut aucun genre littéraire. La raison en est qu’ils sont tous une expression légitime de la pensée humaine, et que, d’après un principe souvent formulé par S. Augustin : Dieu, faisant écrire des livres par des hommes et pour des hommes, n’a pas voulu qu’ils fussent rédigés dans des formes de composition autres que celles en usage parmi les hommes. De Trinit., 1, ; P. L., XLll, S3j. Des auteurs, par ex. le P. Brucker, IJEglise et la crit. InbL, 1908, p. 49. et le P. Billot, De inspir. Script, sacrae, igoS, p. 128, ajoutent ici, par manière de restriction : sauf les genres littéraires qui pourraient imprimer au livre sacré quelque tache d’erreur ou d’indécence. On pense naturellement au mythe et à la poésie erotique. Mais le mythe est-il donc essentiellement ordonné à tromper, en faisant prendre la fiction pour de l’histoire ? Qui a jamais entendu au pied de la lettre le mythe d’Echo ou celui d’Icare ? Le mythe, compris comme tel, est une forme instructive de la pensée humaine. Du reste, ce n’est pas à dire que, de fait, il y ait des mythes dans la Bible. Quant à la poésie erotique, si l’on entend par là des sentiments licencieux dont l’expression tend, dans la pen sée même de l’auteur, à exciter les mauvaises passions, il va de soi qu’une telle poésie est incompatible avec l’inspiration. Mais, s’il s’agit seulement de descriptions, même très poussées, de l’amour humain, pour donner à comprendre l’amour divin ou encore notre infidélité à l’égard de Dieu, le Cantique des cantiques et d’autres passages encore, comme le ch. xxiii d’Ezéchiel, forcent de convenir que ce genre littéraire n’est pas indigne de l’Esprit-Saint. Bien plus, pour justifier ces textes du reproche d’une liberté excessive dans le trait descriptif, il faut recourir aux mœurs littéraires de l’antique Orient. Cf. Cellixi, Propædeiitica hiblica, 1908, II, p. 185.

/ ;) En fait, tous les genres littéraires, ou peu s’en faut, sont représentés dans la littérature biblique. Descendons ici à quelques détails.

1° Histoire. — Pour être conçu d’un point de vue particulier, même si c’est avec le dessein de produire sur le lecteur une impression très définie, le récit ne cesse pas d’être proprement historique, tant que l’auteur n’altère pas la réalité des faits. Libre à lui d’en dégager la signification, et même de lui donner le relief convenable ; mais il ne doit pas le fausser, ne serait-ce qu’en exagérant, sous peine de n’être plus véridique.Cf. Prop. 17 du décret Zflmen/ « i///(DEXz. ^", loi’f). L’historien inspiré ne raconte pas bonnement pour satisfaire une vaine curiosité, ni en dilettante qui trouve son plaisir à ressusciter le passé ; il a encore un but plus élevé, plus utile surtout : celui de faire toucher du doigt les interventions divines. L’histoire biblique est avant tout religieuse. « L’Ecriture, -dit S. Grégoire de Nysse, ne se sert pas du récit historique à l’unique fin de nous faire connaître le passé : ce que les anciens ont fait et raconté ; mais encore à l’eftet de nous enseigner une règle de vie conforme aux prescriptions de la vertu ; et par conséquent la mention historique des faits est ordonnée à une considération plus relevée des choses. » In Psalm.. tract. II, cap. 2 ; P. G., XLIV, 489 et 54 1 ; cf. PEscii, Z>e Inspir. sacræ Script., 1906, n. 51^. Voilà pourquoi nous parlons d’Histoire sainte. Il est à remarquer que les Juifs rangent parmi les prophètes {nehiini) ceux qui ont écrit leurs livres historiques. De la Genèse aux livres des Rois inclusivement, en y ajoutant Esdras, Néhémie et les Macchabées, on sent que la préoccupation dominante des historiens sacrés est de montrer une protection spéciale de Dieu sur son peuple de prédilection. Les livres des Paraliponiènes ne diff’èrent guère des deux derniers livres des Rois que par le dessein particulier de l’auteur, qui est de faire voir combien Dieu et les rois de Juda ont honoré le Temple et le sacerdoce lévitique. — C’est un lieu commun aujourd’hui que d’insister sur le but particiilier de chaque évangéliste, et le mouvement distinctif qui en est résulté dans tout son récit. Pareillement, les Actes des Apôtres nous montrent à l’œvivre l Esprit de Jésus conduisant ses Apôtres à la conquête du monde entier. Cette façon de raconter ad docendum n’a absolument rien de commun avec le mythe, dont toute la vérité réside dans Vidée à laquelle il entend donner une expression concrète. (L’auteur du présent article tient ici à réclamer contre la représentation qui a été donnée de sa pensée à ce sujet dans le Dict. de la Bible (Vigouroux), 1906, t. IV, col. 1400 ; comme si sa manière d’entendre l’histoire biblique se ramenait de quelque façon à l’interprétation mythique.)

Faut-il admettre, dans la Bible, des récits historiques d’un caractère plus libre, dans lesquels un souci d’édification aurait amené l’auteur à embellir les faits d’un merveilleux qu’ils n’avaient pas eu en réalité, afin de les adapter à son but didactique et homilétique ? Ce genre littéraire existait chez les Juifs sous 797

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le nom de midrasch, c’était quelque chose d’analogue à notre roman historique. La question est aujourd’hui débattue entre exégètes, même du côté des catholiques, à propos de Tobie, de Judith, Aoire de Ruth, d’Esther et de Jouas. Les catholiques se iirononcent en général, pour la négative, à cause du sentiment traditionnel. Cf. Gigot, Spécial Introd. to the stiidy of the Iloly Scriptiire, 1901, I, p. S^a, 352, 360 ; II, 1906, p. 484 ; P- Brlcker, dans les Etudes, igoS, t. XCI’V', p. 231 ; Vax Hooxacker, Les douze petits Prophètes, 1908, p. 324- — Plus aiguë encore et plus grave a été la controverse sur le caractère des récils primitifs de la Genèse, spécialement dans les onze premiers chapitres. Le sentiment commun parmi les catholiques y voit de « Ihistoire proiiremenl dite », encore qu’elle soit racontée d’après une « tradition populaire, dramatique et Aivement imagée ». Les arguments en faveur de cette manière de voir viennent d’être rajeunis par le P. Brucker, L’Eglise et la crii. biblique, 1908, p. 188 ; cf. Questio72s actuelles d’Ecriture Sai/ite, 1890, p.)45. D’autres s’étaient demandé avec le P. Lagraxge, La Méthode historique, igoS, 6^ Gonfér., et Bes’ue biblique, 1896, p. 381405 ; 1897, p. 341-379 ; 190g, p. 294, si le sentiment traditionnel s’imposait à la foi chrétienne, non pas seulement en ce qui concerne la valeur dogmatique de ces récits primitifs, mais encore au sujet de leur genre littéraire. Ils ne le pensaient pas, tout au moins estimaient-ils que la chose n’était pas certaine. Depuis, une réponse de la Commission pour les études bibliques (30 juin 190g) est venue conlirmer le sentiment traditionnel, relativement aux trois premiers chapitres de la Genèse. Cf. Acta ApostoUcæ Sedis, 15 jul. igog, p. 567. — Pour le fond de la question, voir Genèse (Récits primitifs de la).

Jusque dans les livres d’un caractère historique proprement dit, il ne faut pas chercher un récit composé d’après la méthode critique des modernes ; pour le fond et pour la forme, les textes bibliques relèvent d’un genre historique plus rudimentaire, tel qu’il était couramment pratiqué, dans l’antiquité, par des historiens du mérite de Polybe et de Thucydide. On I)eut prétendre écrire de l’histoire véridique sans l’appareil scientiQque des modernes.

Des auteurs ont cru pouvoir ajouter qu’il fallait en outre tenir conipte des mœurs littéraires reçues en Orient, et qui existent encore chez les Arabes. D’autres se sont alarmés, comme si, à la faveur de cette observation, on tentait d’introduire l’erreur dans la Bil)le. Réduite à sa juste portée, cette licence de l’histoire orientale se borne à certains procédés liltéi-aires inconnus des écrivains occidentaux. La généalogie est, par excellence, un document historique. Et pourtant, sa rédaction a, chez les Orientaux, un caractère conventionnel incontestable. Dans ces extraits de naissance, ils confondent, à dessein, la liliation réelle et la libation purement légale ; on y omet, sans scrupule, des générations intermédiaires ; ne serait-ce que pour obtenir la symétrie. Cf. Bict. de la /Jible (Vigouroux), igoo, III, col. 163-166. A quel historien de la France serait jamais venue l’idée de dresser une liste de nos rois, dans laquelle les noms de pkisieurs souverains auraient été omis délibérément, ou encore de faire d’Henri IV un fils d’Henri 111 ? (, )ue dirions-nous d’une généahjgic ainsi conçue : Rol)ort le Diable engendra Guiihiume de Nornumdic, Guilhiunie engendra Angleterre, Angleterre engendra Royaume-Uni et Royaume-Uni engendra Washington ? Elle serait calquée sur celle qui se lit dans la Genèse, x, G-13.— Il n’est pas jusqu’à la plus humble des formes reçues pour la conq>()sili()n hisioricjue, (pii n’ait trouvé sa place dans la Bible, je veux dire le « résumé ». L’auleur du second livre des Maccha bées, II, 24, 27, 2g, nous avertit qu’il s’est proposé d’abréger les cinq livres de Jasox de Cyrène.

2" Poésie. — C’est surtout dans ses compositions poétiques qu’éclatent la richesse et la variété de la littérature bi])lique. Il faut se contenter ici d’une sèche nomenclature. La poésie lyrique sous toutes ses formes : ode (historique ou allégorique), élégie, épithalame, etc., a trouvé son expression dans les Psaumes ou encore dans les Prophètes ; par exemple, dans /s., xiv, 4 ; xxvx, I ; XXXVIII, 1 o ; Jéréni., Thren. ; jE’cecA., xix. La poésie gnomique a atteint dans les livres Sapientiaux une hauteur inconnue aux autres littératures. Le lyrisme de Job, sur un sujet philosophique et sous la forme d’un dialogue didactique, en fait un genre à part. Si le Cantique des cantiques n’est pas un drame, faute d’une intrigue suffisante, il peut du moins soutenir la comparaison avec les plus beaux morceaux de la chorique grecque. La fable et la parabole étaient déjà familières aux auteurs de l’A. T. : Jud., ix, 7 ; W Reg., XIV, 9 ; lllieg., xiv, 6, xii, i ; cf. P. Lagraxge, La parabole en dehors de l’Evangile, dans la Revue biblique, igog, p. 337. Mais c’est dans le N. T., sur les lèvres de J.-C, que la parabole devait arriver à sa perfection. Des allégories se lisent dans Ezéchiel, ch. XVII, XXIII, XXIV, et dans S. Jean, x, i-iG.

3’^ Genre épistolaire. — Il est représenté tout d’abord par la lettre proprement dite, comme celles écrites par S. Paul aux ïhessaloniciens. On réserve le nom d’épîtres aux traités doctrinaux envoyés aux Romains et aux Hébreux ; tandis que plusieurs parlent volontiers de simples billets, à propos des quelques lignes adressées à Philémon et à Gains.

4° La littérature hébraïque connaît deux genres littéraires qui lui sont propres, ou du moins plus familiers : la Prophétie, et l’Apocalypse.

Le prophète juif ne se contente pas, comme l’oracle de Delphes, de courtes sentences énigmatiques, concernant exclusivement les choses à venir ; il délivre le message divin dont il est chargé, d’une façon plus ample. Isaïe, Jérémie et Ezéchiel ne craignent pas de faire appel à toutes les ressources de la Rhétorique et de la Poésie pour plaire et émouvoir. C’est que la prophétie biblique n’est pas seulement une prédiction de l’avenir, elle est encore une interprétation de l’histoire et une appréciation du présent. Le prophète est tout à la fois un voyant et un prédicateur. Il iml )orte beaucoup d’en connaître la psychologie, si l’on veut interpréter correctement son texte. D’ordinaire, le prophète décrit l’avenir sous les couleurs du présent, ou encore du passé, tel qu’il est connu de ses contemporains par l’histoire nationale ; il voit, tout au moins il décrit, le royaume messianique comme l’aboutissement normal et glorieux des règnes de David et de Salomon. On dirait aussi que les événements prédits vont se réaliser coup sur coup, qu’il sera donné aux Juifs qui reviendront de la captivité de contempler la i)ersonne et l’œuvre du Messie ; ce n’est là qu’une illusion d’optique, due au manque de perspective dans la vision prophétique, pour laquelle le temps et l’espace semblent ne pas compter. C’est ce que les exégètes appellent le contexte « optique », quand des événements sont décrits per modum unius, bien qu’en réalité ils doivent être séparés. Cf. J. Tor-ZARD, Sur l’étude des Prophètes de l’Ancien Testament, dans la Revue prai. d’Apologétique, igo8, p. 1 86 ; et A. B. Davidson, Old Testam. Propheo, 1 904, p. 169.

L’Apocalypse juive, en tantdumoins qu’elle se distingue de la prophétie, est un genre littéraire dans le([uel, sous forme de visions prêtées par un auteur pseudonyme à quelque personnage illustre de l’histoire ancienne biblique, on traitait de choses concernant l’avenir, surtout l’avenir des derniers temps. A 799

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raison de cet artifice de pseudépigraphie, les événements représentés comme futnrs par l’aviteur présumé, iJouvaient être contemporains de railleur véritable. La littérature juive extracanonique, celle qui commence vers le milieu du siècle qui a immédiatement précédé notre ère, compte un grand nombre d’apocalypses, telles que le livre d’Hénoch, l’apocalypse de Baruch, le quatrième livre d’Esdi-as, etc. Cf. P. LAGRA>'Œ, Ze ^Jessiallislne chez les Juifs, 1909, p. 89. Il était facile d’abuser du procédé, en donnant une apocalypse pour une prophétie proprement dite ; mais, absolument parlant, rien ne s’opposait à ce que l’Esprit de Dieu utilisât cette forme d’enseignement devenue courante, pour relever le courage et fortifier l’espérance de son peuple, à une époque où il ne lui envoyait plus de prophète ; pourvu toutefois que le véritable cai-actère d’un semblable écrit fût reconnaissable. — De fait, y a-t-il des apocalypses parmi les livres canoniques ? En dépit de son nom, l’apocalypse de S. Jean se rattache plutôt à la prophétie qu’au genre apocalyptique, du moins tel que nous venons de le décrire. Ce n’est pas un éccit pseudonyme, sa composition n’est pas reportée à une époque antérieure à celle qui la vu paraître en effet, enfin on n’y traite pas et on n"est pas censé y traiter exclusivement de l’avenir. Il se rattache au genre aiiocalyptique par la vision symbolique, mais il ne faut pas oublier que des disions analogues se rencontrent déjà dans les Prophètes de l’Ancien Testament, par exemple dans Ezéchiel et Zacharie. Beaucoup plus délicate est la question qui concerne Daniel. Le plus grand nombre des critiques non catholiques y voient actuellement une apocalypse, écrite par un auteur inconnu de la seconde moitié du 11’siècle avant J.-C, pendant la persécution d’Antiochus Epiphane. Quelques catholiques se sont associés à cette manière de voir. Cf., d’une i^art, E. Philippe, Le li’re de Daniel, dans le Bict. de lu Bible (Vigouroux), II, col. 1254 ; et, d’autre part, F. E. Gigot, Spécial Introd. to the Study of the Old Test., 1906, p. 879 ; P. Lagraxge, Rev. hibl., 1904, p. 494- — L- Bigot, dans le Dict. de Théol. cath. (Yacant-Mangenot), 1908, III, p.’ji, se borne à exposer les deux opinions.

c) Qu’il s’agisse d’un livre sacré ou d’un livre profane, il importe souverainement de déterminer son genre littéraire avant d’en faire l’exégèse. Les mots ne gardent plus le même sens selon qu’ils figurent dans un morceau poétique ou dans un récit historique ; ici Salomon veut dire le fils de David, et là, de Sage par excellence. La langue du poète connaît les licences interdites à l’historien et au natiu-aliste. Pour peindre la désolation qui régnera un jour sur les cités dévastées de Moab, Isaie, xxxiv, 14, a beau dire que les démons s’y rencontreront avec les onocentaures, les satyres et Lilite (un monstre de la légende juive) ; personne ne songe à prendre cette description au pied de la lettre. Jusqu’où peuvent s’étendre les licences d’un genre littéraire autorisées par l’usage, c’est ce que l’histoire de la littérature peut seule donner à connaître avec précision.

Si, à prendre les choses en soi, les lois et les exigences d’un genre relèvent exclusivement du critère interne, il n’en va pas de même quand il s’agit de décider à quel genre appartient de fait un texte donné. L’analyse du contenu ne suffit pas toujours pour ce discernement. On sait qu’au xviii<= siècle les érudits se partagèrent en deux camps sur la question de savoir si l’ode d’Horace navis réfèrent in mare était une pure allégorie chantant les destinées de la République romaine, ou bien la description poétique d’un Aaisseau en bois du Pont, sur lecjuel le poète avait failli faire naufrage. Voir l’édition d’Horace par Lemaire, 1829, I, p. 90. Une controverse sem blable divise aujourd’hui les critiques au sujet du Cantique des cantiques ; on se demande si l’auteur inspiré y chante seulement Tamoiu" divin, ou bien s’il a entendu composer un épithalame pour les noces de Salomon, type du Messie. Cf. P. Joiiox, Le Cantique des cantiques, 1909, p. 21. Dans ces questions, le témoignage historique peut venir au secoiu-s du critère interne ; et même, en certains cas, il est, à lui seul, décisif. Quand même le texte dvi quatrième Evangile ne renfermerait par des indices suffisants de son caractère historique, il est un fait qui autoriserait déjà solidement cette conclusion, c’est le témoignage du 11^ siècle. Depuis que ce livre est connu, — et il l’a été immédiatement adirés sa composition, — on l’a toujours envisagé comme un livre d’histoire. Est-il admissible que l’on se soit si vite mépris sur son véritable caractère ?

L’Eglise ne saurait se désintéresser de ces questions, puisque le sens et, par conséquent, la portée doctrinale des Ecritures i^euvent en dépendre. Elle ne tolérera jamais que l’on traite les récits i^rimitifs de la Genèse comme des luythes proprement dits, parce que, du même coui), serait méconnue la réalité de certains faits, sur lesquels on a toujours fondé les dogmes de la justice et du péché originels. A bien plus forte raison, on conçoit qu’elle soit intervenue en faveur du caractère historique du quatrième Evangile. Décret Lanientabili, Prop. 16, l’j, 18, Denz.’*', 20 16-20 18. Mais ici, le théologien, aussi bien que le critique, se garderont de jugements sommaires, de théories globales, surtout de l’argumentation

« simili, source de nombreux sophismes ; chaque

problème doit être traité séparément. Il est clair, par exemple, que, de ce point de vue, on ne saïu’ait conclure uniment, d’après les mêmes procédés et pour des motifs identiques, c|u’il s’agisse de la Genèse ou du quatrième Evangile.

En cette matière, on se gardera de précipiter son jugement d’après les apparences ; il ne suffit pas qu’un récit ait une allure historique, pour déclarer qu’il est de l’histoire, surtout de l’histoire au sens strict du mot. On a p.osé récemment à la Commission pontificale pour les études bibliques la question suivante : ’< Est-il permis d’admettre comme un principe de saine exégèse, l’opinion d’après laquelle les livres de la Sainte Ecriture, regardés comme historiques, ne racontent pas toujours, soit dans leur totalité, soit dans certaines parties, de l’histoire proprement dite et objectivement Araie, mais n’ont que l’apparence de l’histoire et disent à faire entendre autre chose que ce qui résulte de la signification proprement littérale ou historique des termes ?)j — Or, voici la réponse de la Commission. « IVon, excepté le cas, qui n’est point à admettre facilement ni légèrement, où, le sentiment de l’Eglise n’étant point contraire et son jugement réservé, il est prouvé par de solides arguments que l’hagiographe n’a pas Aoulu donner une histoire véritable et proprement dite, mais proposer, sous l’apparence et la forme de l’histoire, une parabole, une allégorie ou quelque sens différent de la signification proprement littérale et historique des termes. » 23 juin 1905, Dexz. *", 1980. Même dans le cas exceptionnel d’un livre biblique qui n’aurait d’historic{ue « que la forme et l’apparence », le texte sacré garderait toute sa valeur religieuse et morale. Le P. Prat, La Bible et Vhistoire, p. 34-89, fait justement observer que l’enseignement donné dans le livre de Job, n’en ressortirait qu’avec plus de netteté et de certitude, s’il était prouvé que l’auteur n’a entendu écrire qu’une parabole ; précisément parce que le caractère didactique de sa composition serait dès lors mieux accusé. Les plus belles paraboles du Christ : le Prodigue et le Samaritain, ne

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perdent rien de leur vérité, bien que de graves commentateurs se soient demandé si elles sont des récits fictifs ou des Iiistoires réelles.

3. Sources, citations et doublets. — a) Sources.

— Il s’agit de sources écrites, c’est-à-dire de documents préexistants, utilisés par l’hagiographe pour la composition de son propre texte. Que cette manière de composer soit compatiljle avec l’inspiration, c’est ce que l’on accorde communément aujourd’hui. Voir Ixspi-RATio. v. La chose n’avait pas complètement échappé aux anciens, bien que leur attention n’ait été que médiocrement sollicitée par ce genre de problèmes. Thkodoret de Gyr, Quæst. in Jos., x, 13, interrog. 14 ; Quæst. in lib. Reg., Præf., P. G., LXXX, 473, 529 ; Progope de Gaza, In Gen., x, 31, P. G., LXXX Vil, 313, 315 ; et même S. Chuysostome et Eu-SKBE (cf. Brucker, L’Eglise et la crit. bibl., 1908, p. 283), avaient déjà conjecturé que l’hagiographe, surtout en matière d’histoire, s’était, sans doute, aidé de sources écrites. A la simple réflexion, on trouve la conjectiu’e tout à fait vraisemblable. Gomment écrire l’histoire ancienne sans document ? Et qu’on ne dise pas que Dieu a suppléé au document par une révélation proprement dite. Outre que Dieu n’a jjas coutume d’intervenir quand les ressources humaines suilisent, l’examen des textes ayant trait à un même événement, comme il s’en rencontre dans les Rois, les Paralipomènes, les Macchabées, les Evangiles et les Actes, fait assez voir que ce n’est pas de la sorte que les hagiographes ont été renseignés sur le fond de leur récit. De plus, les critiques discernent, ou croient discerner, notamment dans l Hexateuque et le livre des Juges, divers documents utilisés par le dernier rédacteur. Les auteurs bibliques eux-mêmes citent expressément le titre de plusieurs écrits auxquels ils renvoient pour le complément et aussi la justification de leur récit : Nuni., xxi, i/J ; Jos., yi, 13 ; cf. // Reg., i, 18 ; sans parler des Annales des Rois d’Israël, citées dix-sept fois dans les livres des Rois, et des Annales des rois de Juda, citées quinze fois. Ayant tous ces écrits à leur disposition, est-il croyable qu’ils ne s’en soient pas servis ? Il faut en dire autant de S. Luc, relativement aux écrivains qui avaient tenté, avant lui, de donner un récit ordonné de l’Evangile ; Luc, i, i-^.Pour ces raisons, la Gommission pontificale poiu- les études bibliques a consacré le principe de sources écrites ayant servi à la rédaction d’un texte inspiré. On lui avait demandé :

« Peut-on, sans préjudice de l’authenticité mosaïque

du Pentateuque, concéder que Moïse, pour la composition de son ouvrage, a employé des sources, c’est-à-dire des documents écrits ou des traditions orales, où il a puisé, suivant son but spécial et sous l’inspiration divine, différentes choses qu’il a insérées dans son œuvre, soit textuellement, soit seulement pour le fond, en abrégeant ou en amplifiant ? » La Gommission a répondu affirmativement (27 juin 1906). Denz. ^", 1999.

Bien que la question des sources écrites se pose directement à propos des livres historiques, on peut l’étendre aux autres compositions, quand il y aura lieu de It faire. Geux qui ont écrit les livres Sapienliaux, par exenqjle les Proverbes, ont bien pu s’aider de la littérature gnomique déjà existante, inspirée ou non ; et pareilleuicnl les Prophètes en ce ([ui concerne les éléments de leurs descriptions. Ici même, p. 156, 158, on n’a pas exclu absolument l’hypothèse de sources écrites du problème qui concerne la composition de rvpocaly[)se de S. Jean.

b) Citations. — A la différence du document utilisé par voie de compilation, d’élaboration, ou des deux manières à la fois, la citation proprement dite ne

forme pas partie intégrante du récit ; elle figure dans le texte à l’état de iiièce rapportée. Elle peut être expresse ou tacite.

La citation est expresse quand l’auteur l’introduit l^ar une formule à cet effet, ou par tout autre signe matériel, auquel se reconnaît de prime abord une référence. Les citations de cette nature ne sont pas rares dans la Bible ; le premier livre des Macchabées en contient, à lui seul, plus de douze. Gf. Kxabex-BAUER, Comment, in duos libr.Macch., 1907, p. 22. Signalons ici, à titre d’exemples, la lettre de Jonathas aux Spartiates et la réponse d’Arius, leur roi, au grand j)rêtre Onias, / Macch., xii ; plusieurs resci’its ou édits des rois de Perse, I Esdr., i et iv-viii ; et encore les vers d’Epiménide et d’Aratus cités par S. Paul, Tit., i, 12, Act., XVII, 28.

La citation tacite ou implicite est ainsi appelée parce qu’elle ne se présente pas dans le texte avec les signes ordinaii’cs, auxquels on reconnaît une référence. Les guillemets n’étaient pas d’usage dans l’écriture de la haute antiquité, et, faute de cet artifice typographique qui dénonce à l’œil une citation, nous n’avons plus à notre disposition, pour reconnaître la citation tacite, que la nature du texte cité, ou encore son identité verbale avec un autre texte. Des auteurs ajoutent ici un troisième indice, mais qui est contesté, du moins quand il s’agit de la Bible : à savoir la présence, dans un même ouvrage, de documents qui se conti-edisent.

De leur nature, les généalogies ou les recensements sont des pièces transcrites des registres publics, et que, d’ordinaire, on accepte telles quelles. En comparant le IIP livre des Rois avec le IP des Paralipomènes, on remarque sans peine que de longs passages se retrouvent identiques dans les deux textes, ou tout au plus avec de menues variantes. De ce même point de vue, le psaume civ est à rapprocher de la forme qu’il a dans I Paralip., xvi, 8, ou encore les ch. xxxvi-xxxixd’Isaïe duIV’^ livre des Rois, xviii, 13-XX, 20. Il suffit de comparer l’épître de S. Jude, 14et 15, avec le livre d’Hénoch, i, 9, pour constater qu’il y a entre ces deux textes identité presque verbale. Manifestement l’un de ces textes a été transcrit sur l’autre, ou bien ils dépendent tous les deux d’un seul et même apographe. Ce n’étaient pas là des plagiats, à cause de la notoriété des passages cités. S. Paul a pu rapporter de même un vers de Ménandre facilement reconnaissable pour ses premiers lecteurs ; / Cor., XV, 33. On peut croire qu’à ce même titre des refrains de chansons connues en Israël figurent dans Gen., iv, 23-24 ; Jos., x, 12 ; Jud., xv, 16 ; Isaïe, V, 1-3, etc.

Quant au troisième indice proposé pour reconnaître une citation tacite, celui des données contradictoires dans un même livre, comme il tient à la critique historique du contenu des textes, et que la question de sa légitimité se pose entre exégètes et apologistes catholiques à propos de I’Inerraxce biblique, il en sera parlé dans l’article consacré à ce sujet. Là même, on traitera de la controverse soulevée à propos de la théorie des citations tacites non garanties par l’auteur inspiré, et de la solution que la Gommission romaine pour les éludes bibliques lui a donnée. Gf. Denz. <<, 1979.

c) Doublets. — On pense avoir découvert dans les récits de l’Ancien Testament, et jusque dans les évangiles synoptiques, un procédé de rédaction qui consiste à répéter deux fois un seul et même événement, à rapporter deux fois une parole, qui n’a été dite en réalité qu’une fois, du moins dans les circonstances données. Ges faits ou ces paroles, l’hagiographe les aurait rencontrés deux fois dans ses sources, mais différemment encadrés. Au lieu de les identifier, comme ferait aujourd’hui un historien qui critique

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son document, il les rapporte sépai’ément ou encore les combine dans un seul et même récit. C’est la théorie dite des doublets. — Presque tous les critiques indépendants, auxquels se sont ralliés quelques catlioliques, estiment que ce i^rocédé rédactionnel court d’un bovit à l’autre du Pentateuque. C’est dans ce sens qu’un professeur catholique allemand, Alfons ScHULz, Doppelberichte im Pentateucli (dans la collect.

« Bihlische Studien », XIII^, 1908), a essayé

d’établir qu’une vingtaine de narrations j^lus ou moins longues ont été composées de la sorte. En ce qui concerne le N. T., un petit nombre de catholiques ont pareillement fait bon accueil à la théorie des doublets. Mgr Batiffol, Six leçons sur les Eyeaigiles, 1897, II. 67, s’en fait le rapporteur bienveillant ; tandis que M. Girodox, Comment, crit. et moral sur Vév. selon S. Luc, igo3, p. 66, en parle comme d’une chose qui va de soi. « A priori, écrit-il, on i^eut dire qu’ils étaient inévitables, étant donné le mode de composition des Evangiles. » Dans la Bev. hibl., 1898, p. 541, le P. PiiAT s’est élcA’é contre ce laissez-passer donné à la théorie des doublets à propos des Evangiles ; il ne le fait pas au nom de l’inspiration, mais de la critique. Cependant, il admettrait volontiers un IJrocédé littéraire, i^résentant quelque analogie avec les doublets ; qui en a les avantages, sans les inconvénients.

« Quelques doublets, écrit-il, surtout dans

S. Matthieu, autorisent une autre hj’pothèse. L’écri-A ^ain sacré aurait rapporté une parole de Jésus-Christ à sa place chronologique, ensuite il l’aurait répétée à un autre endroit, dans un cadre artiQciel, pour éclairer et compléter un corps de doctrines » (p. 553).

Il est incontestable que la théorie des doublets soulève une difficulté spéciale contre l’inerrance biblique. Si l’évangéliste croyait à la diversité des faits et des discours, que l’on dit ne faire qu’un, ne s’est-il pas trompé ? Si l’auteur du Pentateuque a additionné dans son récit toutes les circonstances de ses deux documents, même celles qui s’excluent mutuellement ; n’a-t-il pas fait erreur ? Voilà la question. D’autre part, nous sommes ici siu" un terrain encore mal exploré, surtout du point de vue doctrinal ; et il est regrettable que M. Mangenot n’ait pas, dans son livre sur V Authenticité du Pentateuque, 1907, donné une réponse à la difficulté formulée à la p. 42, sous le titre « Doubles récits ». Faut-il se hâter de barrer le chemin à la théorie littéraire des doublets, au nom de l’inerrance biblique ? C’est une méthode expéditive, mais qui n’est pas toujours à l’abri des dangers de la précipitation. Il y a quelques années à peine, des auteiu’s bien intentionnés, mus par des considérations analogues, se refusaient à admettre que Moïse eût eu recours à des documents écrits pour rédiger le Pentateuque, à l’exception peut-être de la Genèse et des premiers chapitres de l’Exode. Or, la Commission biblique vient d’autoriser l’hypothèse des sources, orales ou écrites, sans aucune réserve. Décret du 27 juin 1906, duh. 3 ; Denz. ^o, 1999.

Sauf meilleur avis, mieux vaut commencer par l’examen des faits qui nous sont signalés. Dans quelle mesure sont-il fondés en texte ? Il est clair, jiar exenqile, que les raisons de M. IIaunack, Die Apostelgeschichte, 1908, p. 142-146, ne suffisent pas, tant s’en faut, à établir cjue Act., iv, 31 n’est qu’un doublet du récit de la descente du Saint-Esi^rit, qui se lit déjà au ch. 11. Supposons que, par cette enquête consciencieuse (.srt/17"sse « sH ac judicio Ecclesiae), l’on vienne à fournir la preuve qu’il y a réellement dans la Bible des doublets, ne fût-ce qu’un seul ; alors, il ne restera plus à l’apologiste qu’à faire voir comment cet état des textes est compatible avec l’inspiration et l’inerrance. Le cas échéant, il n’est pas difficile de 1 l)révoir dans quelle direction on am-a à chercher.’Pour connaître l’attitude de l’hagiographe vis-à-vis de ses sources, et jusqu’où s’est étendue l’autorité de son témoignage certain, il conviendra de le demander aux habitudes littéraires de son milieu. Cf. Ign. GviDi, Prccédés de rédaction de Ihist. sémite, dans la Re’ue biblique, 1906, p. 509. Il est à remarquer que le P. CoRNELY, Introd. specialis in V. T.libros, 1887, II, I, p. 264, ne s’oppose pas, en principe, à l’hj^pothèse des doublets ; il demande seulement qu’on en prouve l’existence et qu’on mette ce fait littéraire d’accord avec la doctrine catholique de l’inspiration.

lY. — La critique biblique et l’apologétique

1. Tradition et critique. — a) L’apologétique biblique se i^ropose de justilîer les positions traditionnelles du croyant au regard des Livres Saints. De son côté, la critique entend soumettre ces mêmes textes au contrôle des méthodes rationnelles, d’après lesquelles on étudie les autres littératures. A n’envisager les choses que d’un point de vue spéculatif, ces deux prétentions, loin de se contrarier, doivent se prêter un mutuel appui : l’œuvre de l’apologétique n’étant possible que moyennant celle de la critique ; et celle-ci ne s’opposant pas à ce que l’on fasse tourner ses résultats à la défense du caractère surnaturel de l’Ecriture. Tradition et critique apparaissent dès lors comme deux voies différentes pour joindre un même but, se garantissant l’une l’autre par l’identité même de leurs conclusions.

Pour exprimer cet accord normal de la Révélation avec la Science, on pourrait se servir d’une formule de Tertullien. « L’Ecriture Aient de Dieu, la nature Aient de Dieu, les institutions humaines Aiennent de Dieu ; tout ce qui est contraire à ces trois choses ne Aient pas de Dieu. Quand l’Ecriture rend un son incertain, la nature parle clair, et, grâce à son témoignage, l’Ecriture cesse d’être équivoque ; si l’on vient à douter des Aœux de la nature, les institutions humaines font assez A’oir ce que Dieu agrée davantage. » De yirg. vel., 16 ; P. L., II, gio.

En réalité, il s’en faut que les choses aillent si aisément. Parce que ses préoccupations sont avant tout d’ordre pratique, l’apologiste a hâte d’aboutir pour tenir tête aux difficultés courantes. Or, il peut se faire qu’une solution reccvable aujourd’hui soit néanmoins sans Aaleur permanente ; surtout sur le terrain des controverses bibliques, qui touchent à tant de choses et dont le sort se trouA’e forcément lié aux décou-Aertes que l’onfaitchaque jourdans l’antique Orient. En outre, l’apologiste qvii prend la plume pour défendre les positions traditionnelles est exposé à faire de la Tradition un bloc indiA’isible, comme s’il n’y aA’ait pas lieu de distinguer ici entre les éléments de bon aloi et ceux qui le sont moins ou même point du tout. S’il n’y prend garde, la Aiolence et l’imprévu de l’attaque l’amènent à défendre, au même titre, le certain et l’incertain, l’incontestable et l’indéfendable. Dans ces conditions, il est jn-esque inevitable que l’apologétique d’aujourd’hui ne prépare pas des embarras jiour l’apologétique de demain ; et l’on sait s’il en coûte d’avoir à rectifier son tir, à changer ses positions. — D’autre part, la critique avcc laquelle l’apologiste doit compter n’est pas l’art abstrait et impersonnel de distinguer le vrai du faux, mais la critique se faisant concrète et tangible dans les écrits des saA-ants, qui ont la prétention de la représenter, pai’ce qu’ils se réclament de ses méthodes etformulent, en son nom, des conclusions. Cette critique ne relèAe pas seulement de la méthode, elle tient encore des préjugés, des ignorances et des passions de ceux qui la pratiquent ; avec eux, elle devient souvcnt incroyante, et parfois agressivc. ' 805

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b) Entre la critique et l’apologétique ainsi entendues, il se produira inévitablement des conflits, par la faute de l’une ou de l’autre, sinon des deux à la fois. On peut même prévoir que l’accord ne sera jamais complet. Aussi bien, de tout temps la Bible a soulevé des polémiques passionnées, mais rien n’avait encore été tenté de comparable à FelTort soutenu depuis un siècle contre son origine divine, au nom des résultats de la critique moderne. La phase actuelle de la polémique donne l’impression très nette que par de là toutes ces études philologiques, historiques et littéraires, il ne s’agit de rien moins que de l’avenir du christianisme lui-même ; j’entends le christianisme historique, qui se réclame avant tout de l’œuvre personnelle de Jésus-Christ, et non pas seulement d’une vague religiosité, prenant sa source dans l’àme humaine et évoluant au gré des contingences de l’histoire. Les critiques dits indépendants, qu’ils soient rationalistes purs ou teintés de piélisme, savcnt, et beaucoup veulent expressément, que leurs travaux aboutissent en définitive à faire de la Bilile un livre comme les autres ; ils se flattent d’expliquer natm-ellement tout son contenu : histoire et doctrine. Dans l’assaut donné au dogme chrétien et notamment à la divinité de J.-C., desécrivainsqui font métier d’écrire sur les choses de la Bible et les origines du christianisme, tels que Strauss, Rexan, Wellhausex, Saba-TiER et Harnack, pour ne citer que les plus lus, ont une large part de responsabilité. C’est là un fait incontestable, reconnu dans tous les milieux croyants, aussi bien du côté des protestants que du côté des catholiqvies. Voici comment s’exprime à ce sujet un protestant. « L’objet de l’attaque n’est un secret pour personne, il tend à ruiner tellement l’authenticité des Evangiles qu’ils ne fournissent plus un fondement historique solide à la foi de l’Eglise dans la divinité du Christ. L’Eglise combat donc pour la vie. Toute autre question théologique particulière passe à l’arrière-plan pour un moment, et vraisemblablement ce moment sera long. » G. S.Streatfeild, The Apologetlc value of Criticism, dans « The Expositor », Aug. 1907, p. 112 ; cf. J. Orr, The prohlem of the Old Testament, igo6, p. 1-24.

Pour fondée que soit l’impression défavorable produite par le mouvement d’idées auquel on a donné le nom de « question biblique », il ne faut pas lui laisser prendre parmi nous la consistance d’un préjugé, comme si l’unique attitude qui convienne à un croyant vis-à-vis de la criticque en ces matières était une opposition irréductible à tout et à tous. Poser le dilemme : Tradition ou Critique, serait faire le jeu de l’adversaire, qui s’en va répétant que ceci doit tuer cela. Ce serait surtout bien mal comprendre la question elle-même, et trahir les intérêts de la cause quel’on entend défendre. Si trop souvent on a abouti, au nom de la critique biblique, à des résultats inacceptables pour un croyant, ce n’est pas à l’outil qu’il faut s’en prendre, mais aux mains qui le manient. Le mal est que ces travaux sont restés trop exclusivement le lot des incroyants. L’apologiste, qui veut faire œuvre utile à ses contemporains, mettra au service de la tradition dogmatique l application loyale et rigoureuse des bonnes méthodes de travail ; à une critique destructrice il opposera une critique cons-Iructive. Et c’est bien de la sorte que l’Eglise entend son rôle. Léon XIII le rapi)elait naguère avec une souveraine autorité. « ^’ombreux sont les artifices et les ruses de l’ennemi sur cette portion du chanq) de bataille… Quels sont les moyens de défense ? Nous allons maintenant les indiquer. Le premier consiste dans l’étude des langues orientales et aussi dans ce qu’on ai)i)elle lacritiijue. Cette double connaissance, si fort estimée aujourd’hui, le clergé doit la posséder

à un degré plus ou moins élevé, selon les lieux et les personnes. De cette manière, il pourra mieux soutenir son honneur et remplir son ministère, car il doit’( se faire tout à tous » et être toujours « prêt à réi^ondre à ceux qui lui demandent compte des espérances qui sont en lui ». Encycl. Provid. Deus. Cf. Denz.’", 19^6 ; et encore les lettres apos^F/g-Z/anf ifle, oct. 1902 ; Denz, ’**, p. 51g, note 1. Bien que Pie X ait eu surtout à insister sur les abus de la critique, il n’a pas manqué l’occasion de signaler les avantages qu’il est permis d’en attendre. Voir notamment l’encyclique Jucunda sane, pour le ti-eizième centenaire de S. Grégoire le Grand, 12 mars 1904.

2. Critiques et préjugés.— a) Comment se fait-il que la critique, qui par elle-même n’est ni croyante ni incroyante, aboutisse sur nombre de points, et des plus graves, à des résultats différents, selon qu’elle est pratiquée par des croyants ou des incroyants ? Pourquoi avec les mêmes textes, que l’on prétend traiter d’après ime méthode identique, obtient-on parfois des conclusions diamétralement opposées ? L’obscurité et l’insuffisance des documents, la complexité des questions n’expliquent pas suffisamment cet état de choses. Les divergences entre critiques se présentent ici dans des conditions psychologiques si définies qu’il est aisé de Aoir qu’elles ont encore, en dehors des textes, un autre facteur, et pas le moins influent.

Il est très rare que l’on aborde l’étude critique de la Bible en indifférent, avec une âme neutre ; le plus souvent, avant que d’ouvrir ce livre, nous avons des idées toutes faites sur son origine, sur la vérité et l’autorité de son contenu. La première éducation noiis a appris à y voir la parole de Dieu, ou bien à tenir pour vaine cette prétention. Quelle est l’influence de ce jugement préalable sur les études ultérieures, ayant la Bible pour objet ? Commençons par le préjugé rationaliste.

Il fut un temps, — et il n’est pas loin de nous, — où les écrivains de l’école dite critique ou encore historique, ne redoutaient rien tant que de paraître prendre comme point de départ la négation a priori du surnaturel. Ils ne manquaient pas de protester de leur indépendance d’esprit absolue, prétendant ne connaître qu’une soumission, celle que l’on doit à l’objet lui-même. Rien ne revenait plus souvent sous leur plume que les mots d’objectif et cVobjectis’ité. Il faut croire qu’ils ont fini par s’apercevoir que le lecteur ne prenait plus au sérieux ces déclarations d’impartialité. En tout cas, c’est un fait que les plus réputés d’entre les critiques reconnaissent aujourd’hui, plus ou moins ouvertement, que leurs études sur le texte biblique relèvent de la négation du surnaturel ; et ils entendent par là toute intervention de Dieu dans le monde, en tant que connaissable par l’expérience ou l’observation directe, et pouvant devenir l’objet du témoignage historique. A les entendre, tout ce qui appartient réellement à l’histoire doit pouvoir s’expliquer naturellement. D’où ils concluent que les textes bibliques, qui relatent des miracles, ne sont pas authentiques, ou bien qu’ils font écho à la crédulité populaire et à l’exaltation du sentiiuent religieux. L’inexistence et même l’impossibilité du surnaturel prend réellement à leurs yeux la valeur d’un principe premier, qu’ils ne perdent pas de vue, quand il s’agit de déterminer l’authenticité, le genre littéraire et la valeur historique d’un texte. E. Renan, Etudes d’histoire relii^ieuse, 2" édit., 18d ; , p. 1^7, déclare « qu’il est de l’essence de la critique de mer le surnaturel » ; et dans sa Vie de Jésus, ->" c^>>t., Préf., p. v. il avoue de bonne grâce que tout 1 édifice élevé par lui s’écroule par la base s’il y a du surna807

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turel dans le monde. Cf. p. ix, xlviii, xcvi-xcviii. M. Harnack, qui passe, et peut-être à bon droit, pour le plus objectif des critiques indépendants, ne travaille pas, en définitive, d’après une autre méthode. Il reconnaît que les textes du Nouveau Testament nous mettent parfois en face du merveilleux et même de l’inexpliqué, sans que l’historien ait le droit, de ce seul chef, de les déclarer inauthentiques : mais, cela dit, il a bâte de professer qu’il a foi dans l’inviolabilité physique de l’ordre naturel et dans l’inexistence du miracle proprement dit, comme si sa dignité d’historien exigeait cette déclaration. L’essence du christianisme, trad. nouv., 1907, p. 3^-43 Plus récemment encore, M. Harnack a consacré une étude à la /a démentis, à l’effet d’établir que, si le miracle est devenu le critère catholique par excellence, il n’en allait pas de même pendant les deux premiers siècles. A cette époque, le christianisme aurait été exclusivement un monothéisme moral ; il trouvait sa force dans le mouvement religieux ascensionnel qu’il propageait dans le monde des âmes, sans avoir besoin de l’appui extérieur du miracle. De ?- erste Klemensbrief. Eine Studie zur Bestimmung des Charahters des àltesten Heidenchristentums. Sitzungsbericht der kôniglicli-preussischen Akademie der Wissenschaften, 1909, III, p. 38-63 ; cf. La Civilth cattolica, 1909, vol. II, p. 265, 527 ; III, p. 38. A qui lui représentait naguère que le Nouveau Testament ne peut plus s’expliquer naturellement si l’on en place la composition au ler siècle, d’après le mot de Strauss : « L’histoire évangélique serait inattaquable s’il était constant qu’elle a été écrite par des témoins oculaires ou du moins par des hommes voisins des événements », Vie de Jésus, Introd., § 13, M. Harnack répondait simplement qu’il n’est pas besoin de soixante-dix ans pour la formation d’une légende, que quarante y suffisent. Geschichte der altchrist. Litteratur, I, Die Chronologie (1897), p. x. Et c’est bien de la sorte qu’il pense pouvoir maintenir le caractère légendaire des premiers chapitres des Actes des Apôtres, bien qu’il admette l’authenticité et la date primitive du texte. Dis Apostelgeschichte, 1908, p. iii-130. — Pour M. LoiSY, Les Evang. synoptiques, 1907, I, p. 826 :

« Une tradition comme celle qui a pour objet les

miracles de Jésus est inévitablement légendaire. » Quant à la possibilité du siu-naturel, « il n’était pas très éloigné, en 1906, d’admettre cpie le miracle et la prophétie étaient d’anciennes formes de la pensée religieuse, appelées à disparaître ». Quelques lettres sur des questions actuelles, p. 61. En 1908, l’idée d’une intervention miraculeuse de Dieu, au sens traditionnel du miracle, lui paraît philosophiquement inconcevable. Simples réflexions sur le décret du S. Office, Lamentabili sane exitu, p. 150. M. Salomon Reinach, Res’ue de Vhist. des Religions, 1900, t. LII, p. 261, déclare que la critique a le devoir absolu de nier l’historicité des passages de l’Evangile qui nous représentent J.-C. comme ayant réalisé en sa personne quelque prophétie de l’Ancien Testament. Voir encore H. Holtzmann, Die Synoptiker, 1901, p. 28 ; Percy Gardner, a historié View of the N. T., 1901, p. 139-172.

b) Au reste, le procédé est conforme à la méthode historique, telle que l’enseignent des maîtres écoutés en Sorbonne. Je cite V Introd action aux études historiques par Langlois et Seignobos. « Que doit-on faire d’un fait invraisemblable ou miraculeux ?… La question n’a pas grand intérêt pratique ; presque tous les documents qui rapportent des faits miraculeux sont déjà suspects de par ailleurs, et seraient écartés par une critique correcte… La croyance générale au mer-A’eilleux a rempli de faits mii*aculeux les documents de pi’esque tous les peuples.’Historiquement, le diable

est beaucoup plus solidement prouvé cpie Pisistrate : nous n’avons pas un seul mot d’un contemporain qui dise avoir vu Pisistrate ; des milliers de « témoins oculaires » déclarent avoir vu le diable ; il y a peu de faits historiques établis sur un pareil nombre de témoignages indépendants. Pourtant nous n’hésitons pas à rejeter le diable et à admettre Pisistrate. C’est que l’existence du diable serait inconciliable avec les lois de toutes les sciences constituées. Pour l’historien, la solution du conflit est évidente. Les obserA’ations contenues dans les documents historiques ne valent jamais celles des savants contemporains (on a montré pourquoi). La méthode historique indirecte ne vaut jamais les méthodes directes des sciences d’observation. Si ses résultats sont en désaccord avec les leurs, c’est elle qui doit céder. » 2" édit., 1899, p. 176-179.

Voilà donc un fait correctement établi par les ressources propres de l’histoire, et qui se trouve écarté au nom d’une autre science ; non pas d’une science d’observation, comme on le prétend, mais d’une science de raisonnement. La physique détermine bien les lois ouïes conditions ordinaires de la vision, mais il ne lui appartient pas de décider si ces lois sont inviolables, si l’extraordinaire ne saurait exister. Les questions de possibilité ou d’impossibilité se débattent et se tranchent sur le terrain de la métaphysique. C’est donc au nom d’une idée préconçue et d’ordre abstrait que l’historien donne le démenti à des « milliers de témoins oculaires » qui disent avoir vu un objet identique, dans les conditions les plus diverses. Cette attitude a paru à plusieiu"S compromettante pour le bon renom de la méthode critique, qui se flatte d’être positive. Aussi bien, M. P. AV. ScHMiEDEL, Encyclop. biblica (Cheyne), col. 1876, fait observer que, pour tout exégète digne de ce nom, la négation du miracle ne doit pas être un point de départ, mais, au contraire, un j^oint d’arrivée. C’est par l’analyse du document qu’il faut faire voir que le récit n’est pas digne de foi : divergence des témoignages, procédés rédactionnels, retouches tendancieuses, etc.

Que certains récits miraculeux ne soutiennent pas un examen rationnel, rien de plus A’rai ; mais que les critiques aQ"ranchis de la croyance au surnaturel, — et eux seuls, — arrivent invariablement à trouver que c’est le cas de tous les documents dans lesqiiels on raconte des miracles, voilà un résultat pour le moins étrange. L’étonnement augmente quand on fait réflexion que, si ces critiques sont unanimes à exclure l’explication surnaturelle, il s’en faut qu’ils s’accordent sur les moyens de l’écarter. L’Evangile est plein de miracles attribués au Christ par des témoins oculaires. Comment se fait-il qu’aucun de ces faits ne trouve grâce devant les exégètes de cette école ? Jusqu’ici on avait interprété ces récits dans le sens de ceux qui les ont écrits, on y voyait des miracles parce que les évangélisteS entendaient bien raconter des faits miraculeux, vus par eux ou entendus delà bouche même de ceux qui y avaient assisté ; et A-oilà que, tout d’un coup, l’exégèse moderne parle de fictions, de légendes, de mythes, de symboles, de tout ce que l’on voudra, excepté du miracle proprement dit. Dans ces conditions, il est permis de penser que toutes ces explications ne sont pas obtenues uniquement par l’emploi de la méthode historique, mais qu’elles sont encore et surtout commandées par le préjugé naturaliste sur l’inexistence du surnaturel. A côté des mii-acles, il y a dans les Evangiles nombre d’autres faits dont on arriverait à contester la réalité historique par l’application des mêmes procédés. Le plus souvent, on ne songe pas même à le faire. Pourquoi ? Ne serait-ce pas parce que ces textes

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laissent au Christ une taille humaine ? C’est précisément le critère employé par P. W. Schmiedel, Encyclop. bibl. (Cheyne), col. 1881, quand il croit déterminer les neuf passages des Evangiles, appelés par lui les piliers fondamentaux de l’histoire vraie de Jésus, et qui doivent servir à juger du caractère historique de tout le reste. Sans doute, on a le droit d’exiger un surcroit de garanties pour le récit d’un miracle, précisément pai-ce qu’il relate un fait extraordinaire ; mais encore ne faut-il pas déclarer d’avance et en bloc que ces garanties n’existent pas et ne sauraient exister, j^arce que « les gens crédules seuls croient avoir vu des miracles », qu’en réalité « on n’en a jamais vu ». Rexan, Vie de Jésus, 1. c, p. vi. Et un peu plus loin, le même auteur écrit : « Jusqu’à nou-A’el ordre, nous maintiendrons donc ce principe de critique historique, qu’un récit surnaturel ne peut être admis comme tel, qu’il implique toujours crédulité ou impostiu’e, que le devoir de l’historien est de l’interpréter et de rechercher quelle part de vérité, quelle part d’erreur il peut receler » (p. xcviii).

S’il est deux miracles sur lesquels les critiques d’auiourd’hui reviennent à satiété, — M. Loisv plus que tout autre, — mais sans avoir encore réussi à s’en débarrasser correctement, c’est la conception virginale du Christ et sa résurrection. Or, quand on a lu les explications qu’ils proposent pour rendre compte des textes, sans admettre la réalité même des faits, on reste convaincu que la position prise de nos jours par la critique indépendante à ce sujet ne se fonde pas tant sur des motifs d’ordre historique que sur les prétendues exigences de la science moderne, à savoir de la philosophie et de la physiologie. C’est ce dont convient M. Guigxebert. « L’idée de la résurrection réelle d’un corps réellement mort n’a pu être adoptée que dans un temps et par des hommes à qui manquaient les notions physiologiques acquises depuis ; ce n’est pas douteux ; mais encore faut-il savoir comment ils ont justiiié leur conviction. » Manuel d’hist. anc. du christianisme, 1906, I, p. 187. Voir encore Lake, Résurrection of Christ, igc^, p. 2"5. En ce qui concerne la conception virginale, voici comment un vétéran de l’exégèse protestante apprécie les difficultés mises en avant par les théologiens modernistes.

« En réalité, ce n’est pas pour des raisons

demandées à la biologie qu’ils font objection à ce point de la foi chrétienne, mais parce qu’ils ne veulent pas admettre le surnaturel, ni une intervention divine quelconque dans le monde. » C. A. Bhiggs, TIte Virgin liirtli ofour Lord, 1909, p. 33.

r) Ce n’est pas à dire que tous les travaux des critiques incroyants dépendent, surtout en leur entier, du préjugé rationaliste ; il suffit de les avoir lus pour se convaincre du contraire. Même quand ils en relèvent, il ne s’ensuit pas que leurs conclusions soient invariablement fausses ; tout bon logicien sait que la vérité sort accidentellement de l’erreur. Il peut se faire, et il est arrivé en effet, que la prévention défavorable au miracle ait présidé à des études qui, en lin de compte, ont abouti à des conclusions acceptables. Mais il n’en reste yias moins certain que si, en matière de critique hislori(iue (et par contre-coiq), bien que dans une mesure plus restreinte, sur le terrain tle la critique littéraire et de la critique textuelle), les savants n’arrivent pas à s’entendre, c’est, plus souvent qu’on ne pense, à cause de l’altitude respective prise par eux dans la question spéculative du surnaturel. La distance qui les sépare date d’avant hiirs travaux spéciaux sur le texte biblique. C’est ce ([ue M. Loisy reconnaissait en 189/1, quand il écrivait :

« La science rationaliste traine partout avec

elle l’erreur de son parti pris, la négation étroite du surnaturel. Cependant si elle a un défaut radical, qui

la perdra, à moins qu’elle ne s’en corrige, elle a une cjualité indiscutable, c’est qu’elle travaille et qu’elle suit une méthode meilleure que ses principes philosophiques. » Les études bihiiques, p. ^9.

C’est là un fait dont l’apologiste doit tenir compte, s’il ne Aeut pas perdre contiance dans la méthode elle-même, comme si elle était responsable de ces conflits ; s’il ne veut pas aussi se faire illusion sur l’étendue des résultats que l’apologétique générale peut attendre de la science particulière qui s’appelle

« critique biblique ». Ce n’est pas sur ce terrain tout

positif que se résoudra, du moins pleinement, le problème fondamental débattu entre croyants et incroyants. Re.xax le déclare en des termes qui ont paru excessifs, mais dont la clarté a du moins le mérite de dissiper toute équivoque. Je le cite : « Quant aux réfutations de mon livre (il s’agit de la Vie de Jésus), qui ont été faites par des théologiens orthodoxes, soit catholiques, soit protestants, croyant au surnatm’el et au caractère sacré des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, elles impliquent toutes un malentendu fondamental… Et qu’on ne dise pas qu’une telle manière de poser la question implique une pétition de principe, que nous supposons a priori ce qui est à prouver en détail, savoir que les miracles racontés par l’Evangile n’ont pas eu de réalité, que les Evangiles ne sont pas des livres écrits avec la participation de la Divinité. Ces deux négations-là ne sont pas, chez nous, le résultat de l’exégèse ; elles sont antérieures à l’exégèse… Il est donc impossible que l’orthodoxe et le rationaliste qui nie le surnaturel puissent se prêter un grand secours en de pareilles questions… » Vie de Jésus, 1. c, p. v-vi. Voir aussi Xoeldeke. Hist. litt. de l’A. T., trad. franc., p.’^ et 20. — A. S.^batier a bien senti Timpuissance où se trouve l’exégète ou même l’historien, tant qu’ils se tiennent rigoureusement sur leur terrain, de porter la conviction dans certains esprits. Après avoir établi que Paul n’est ni un halluciné, ni un visionnaire, au sens défavorable du mot, mais qu’il a réellement yu le Christ ressuscité, il ajoute :

« Celui qui accei^te la résurrection du Sauveur serait

mal venu à mettre en doute son apparition à son apôtre ; mais celui qui, avant tout examen, est absolument sur que Dieu n’est pas, ou que, s’il est, il n’intervient jamais dans l’histoire, celui-là écartera sans doute les deux faits et se réfugiera dans l’hypothèse de la vision, fùt-elle encore plus invraisemblable. Le problème se trouve alors transporté de l’ordre historique dans l’ordre métaphysique. » L’Apôtre Paul, 3’édit., 1896, p. Di-52.

3. Le parti pris dogmatique. — a) A son totir, le critique incroyant dénonce l’ingérence du parti pris dogmatique dans les études bibliques entreprises par les catholiques et les protestants conservateurs. Nous venons d’entendre Renan et Xoeldeke mettre hors la science quiconque croit au surnaturel. C’est un fait que, sur le terrain des éludes qui par quelque côté touchent aux intérêts religieux, la foi de l’écrivain reste, aux yeux des critiques rationalistes, comme une tare congénitale, qui suffit à déprécier la valeur de son œuvre ; même si elle est de celles qui, par ailleurs, forcent l’attention et commandent l’estime.

Les écrivains qui rédigent la Revue critique ou encore la Theologtsche Literaturzeitungsacnireconnaître, à l’occasion, l’érudition, la méthode, la probité scientifique, voire même l’exactitude de certaines conclusions, qui se rencontrent dans des ouvrages sortis de plumes catholiques ; mais s’agil-il de conclure, avec les auteurs dont ils s’occupent, à quelque influence surnaturelle dans l’histoire, ils s’y refusent, sous prétexte que le croyant, le théologien, l’apolo811

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giste ont empêché l’historien de voir tout ce qu’il y a dans les textes, et de n’y Aoir que ce qu’il y a. Un exemple récent et topique de cet état d’esj^rit se peut constater dans la Theol. Literaturzeitung, 16 janv. 1909, p. 51, où M. Harxack rend compte de l’ouvrage de Mgr Batiffol, l’EgUæ naissante et le catholicisme, 190g. Voir dans la Revue du Clergé franc., 15 avril 1909, la réponse de celui-ci.

Il est exact que le croyant aborde l'étude critique de la Bible avec la conviction que ce livre n’est pas de tous points comme les autres ; il croit à son caractère divin et au droit de l’Eglise de l’interpréter authentiquement. Mais cette croyance ne s’oppose pas à ce qu’on en fasse une étude méthodique et réellement scientifiqrie. Pour être inspirée de Dieu, la Bible n’en reste pas moins un texte humain, un document historique, à interpréter d’après les règles de l’herméneutique rationnelle. Or, c’est précisément par ce côté que le texte sacré relève de la critique. Quand il les envisage en historien, le crojant ne nie pas l’autorité divine des Ecritures, mais il en fait abstraction ; et, pour autant, il soustrait sa ci-itique aux influences de sa foi. C’est de la sorte que procède l’apologiste chrétien dans le traité de la Religion révélée. Sans cercle vicieux ni pétition de principe, il prétend fonder une démonstration scientitîque du christianisme sur les Evangiles, bien qu’il croie déjà à l’autorité particulière que ces mêmes textes tiennent de la vérité du christianisme. Seulement, ce n’est pas à cette foi qu’il demande son point de départ, ni la force probante de ses raisons. Si, avant toute étude critique, le crojant reconnaît à la Bible une autorité irréfragable, c’est qu’il pense avoir, antérieurement à la démonstration scientifique pi-oprement dite, des motifs sutTisants de prendre cette attitude. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans plus d’explications.

Il faut répondre pour tant à ime difficulté que cette position même du critique croyant ne manque pas de souleA’er contre l’autorité de son exégèse et conséquemment contre la valeur de l’apologétique que l’on prétend y appuyer. Peut-il faire œuvre scientifique, celui qui, se sentant lié parle sentiment traditionnel, sait d’avance le résultat de ses recherches ? Bien plus, y a-t-il recherche sérieuse, au sens vrai du mot, quand on a touché au but avant que d'être parti ? — Tout d’abord, je suppose admis que, pour passer de la connaissance rudimentaire (celle qui résulte de l’observation directe et de l’expérience quotidienne) à la démonstration scientifique, il n’est pas nécessaire de nier, ni même de mettre réellement en doute les données certaines de cette connaissance préalable. Et pareillement, l’on peut se représenter et justifier le processus psychologique, d’après lequel la démonstration scientifique se surajoute normalement dans le croyant à la connaissance de foi. En outre, il est faux de prétendre que l’exégète crojant connaît d’avance les conclusions de l'étude qu’il entreprend. Quand le dogme reste muet, quand le sentiment traditionnel n’est ni unanime ni ferme, il garde toute sa liberté de recherche. Même dans les questions auiquelles l’enseignement dogmatique a déjà fait une réponse, l’apologiste n’a pas, comme on dit, touché le but avant que d'être parti ; puisque, à bien comprendre les choses, il ignore, en partant, jusqu’où le conduira la démonstration scientifique. Comme chrétien, et à cause du péché originel, il admet, antérieurement à la recherche scientifique, que tous les hommes, qui sont actuellement sur la terre, descendent d’un premier couple humain, selon ce qui est dit au commencement de la Genèse ; mais il s’en faut que, comme savant, il conclue au monogénisme avec la même certitude. Dans cette direction, il ira aussi loin que l’anthropologie et la paléontologie le lui permet tront, mais il s’interdira de pousser plus avant, sous prétexte de rejoindre les données de sa foi. L’apologiste chrétien sait convenir que si les sciences ne font pas au dogne une opposition insurmontable, elles ne lui donnent pas toujours un confirmatur positif et certain. Le concile du Vatican, Const. Dei Filius, cap. IV, et l’encyclique Prond. Deus, Dv.yzJ'^, i^gô1800 et 1942, ont expressément reconnu l’autonomie des sciences humaines au regard du dogme, la distinction entre la connaissance de foi et la connaissance scientifique, comme aussi la difi'érence des résultats (ce qui ne ei pas dire opposition), obtenus jiar l’une et 1 autre voie. Cf. Vacant, Etudes sur le concile de Vatican, 1895, II, p. 2^6, et Mgr BaudrilLART, Principe et esprit modernes, principe et esprit chrétiens, 1907, p. 2'6-2^.

Il est exact que le savant catholique reste constamment disposé à refuser son assentiment à toute con- clusion incompatible avec le dogme, alors niêrne qu’elle semblerait correctement obtenue d’après la méthode propre de quelque science. Mais cette disposition d’esprit ne diminue pas réellement son indépendance scientifique. Car enfin cette indépendance a des limites, celles-là mêmes que lui trace la vérité déjà connue, d’où que soit venue cette connaissance. Dans le domaine des hypothèses, il en est que l’on ne peut faire qu'à la condition de les tenir pour impossibles. Quel est l’historien qui ne se croirait plus la liberté sutfisante pour entreprendre une histoire critique des campagnes de Napoléon I", parce cju’il sait d’avance l’issue de la bataille de Waterloo ? Voii" les propos. 23, 24 et 58 du décret du S. Oflice Lamentabili sane exitu, 3 juil. 1907 ; Dexz.^^, 2023, 2024, 2058, avec le commentaire qu’en a donné le P. Lagrange, , Revue bibl., 1907, p. 543. Il n’est peut-être pas | inutile de faire observer qu’ici encore il y a une ! différence entre le croyant et l’incroyant. Celui-ci, ; aA’ant que de critiquer les documents, prend positi- > vement position contre le surnaturel ; celui-là, au) contraire, peut se contenter d’une attitude négative : il ne voit rien d’impossible à ce que Dieu intervienne directement dans les affaires de ce monde. Est-il intervenu en effet ? Aux documents de le dire.

L) Pour prétendre que c’est méconnaître la valeur de la raison et de la science que de les soumettre au contrôle de la foi, il faut confondre la raison et la science avec les savants, leurs conclusions et leurs systèmes. « Chez le Aulgaire, la superstition de la science est plus ou moins justifiée ; chez le savant, qui fait la science, elle suppose une grande faiblesse d’esprit doublée de pédantisme, l’ignorance Aoulue de la valeur des méthodes et de l’histoiredes variations scientifiques. » L. DE LA Vallée-Poussix, Le Bouddhisme et l’Apologétique dans la Revue prat. d’Apolog., 1908, t. Vil, p. 117. Ces lignes sont d’un savant. Les écrivains dits « modernistes » se distinguent entre tous par une confiance naïve et sans réserve dans les méthodes et les résultats de la science. En lisant les publications de M. Loisy, notamment ses Simples réflexions sur le décret du S. Office (1908), on reste déconcerté de l’assurance avec laquelle il cite au tribunal sans appel de la critique le dogme, la théologie, la tradition, tout le passé. C’est substituer l’infaillibilité des savants à celle de l’Eglise. Dans cette disposition d’esprit, on prend instinctivcment parti contre le document biblique quand il entre en conflit avec quelque document profane. On sait que S. Luc, Act., V, 36, et l’historien Flavius Josèphe, Ant. jud., XX, V, I, semblent se contredire au sujet deTheudas. Or, en lisant l'étude consacrée par M. le prof. SchmieDEL à ce sujet, Encyclop. biblica (Cheyne), 5049, on constate qu’il est acquis d’avance qiie Josèphe ne saurait avoir tort ; en réalité, la seule question cpie l’on 813

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prétcrul élucider c’est de savoir coiuMient S. Luc, qui connaissait le texte de Josèphe, apu faire erreur. L’hypothèse d’une confusion de la part de Josèphe, mise en avant par Michælis, Jean Lightfoot, Harnack et d’autres encore, est traitée simplement < d’audacieuse supposition » (buld assnmption). Cependant, l’exactitude de Josèphe n’est pas encore un dogme historique, il s’en faut. La récente découverte des papyrus araméens d’Eléphantinen’a pas été pour le plus grand bien de sa réputation d’historien. Ceux que le D"^ Sa-CHAU a publiés en 1907, donnent raison, semble-t-il, au texte de Xéliémie, contre Josèphe, à propos du grand prêtre Johannan, fils d’Elyashib, et de Sanaballat, satrape de Samarie.

L’apologiste avisé sait attendre. L’histoire lui a appris que la science de demain résoudra peut-être la difficulté soulevée par la science d’aujourd’hui : dies diem docet. Au lieu d’entasser hypothèse sur h jpothèse pour accorder les données de la chronologie biblique au sujet de l’antiquité de riiomme avec la découverte des silex taillés de Thenaj’, on eût mieux fait de commencer par établir deux points : d’abord, si la Bible nous renseignait vraiment sur l’âge de l’homme ; ensuite et surtout, si les silex de Thenay étaient réellement contemporains du terrain tertiaire. La géologie n’a pas encore fourni cette preuve, elle y a plutôt renoncé.

On oublie trop que, si la foi garde un droit de contrôle sur les conclusions de la critique biblique, celle-ci peut, à son tour, reviser les positions de l’exégèse coui-ante. Pour se rendre compte des progrès réalisés en exégèse pendant ces deux derniers siècles, il suffit de comparer les commentaires de Cornélius A Lapide, S. J. (-7 1687), avec le Cursus Script. Sacrae entrepris, il y a vingt ans, par le P. Cornely, S. J., et ses collaborateurs, ou encore avec la collection des Etudes />/7y//(7 « es publiées sous la direction du P. La-GRAXGE, O. P. Quant à l’histoire littéraire et critique des livres des deux Testaments, il serait intéressant de rapprocher brusquement la Bibliotheca sacra de Sixte de Sienne, O. P. (y 1069) de l’Histoire de l’A. T. par M. Pelt, igo^S et de V Histoire des lis’res du N. T. par M. Jacquier, igoS-igoS. Si le sens fondamental des interprétations dogmatiques garde une valeur permanente, c’est que, par définition, le dogme est une vérité certaine admise par le croyant sur l’autorité même de Dieu. Voir Dogme. Mais ici même il y a place pour le i^rogrès, quand il s’agit de préciser la formule du dogme et surtout de faire l’histoire des formules qu’un seul et même dogme a reçues dans le texte biblique, de la Genèse à l’Apocalypse. Voir Exégèse. Là même, on recherchera s’il est Arai que le dogme condamne le croyant à une exégèse tendancieuse.

/i. L’Eglise et la critique biblique. — On reproche à l’Eglise de ne pas encourager les études seripturaircs ; elle interdit aux fidèles la lecture de la Bible, elle s’oppose, de tout son pouvoir, à ce qu’on la traduise en langue vulgaire ; et ici, on rappelle les condauinations portées contre les travaux de Richard Simon, contre le Nouveau Testament de.1/t » /(set, plus près de nous, contre les Evangiles de M. Lasserue. Quant aux versions modernes, qui ont paru avec l’imprimatur ecclcsiastifjue, elles sont restées sous la tutelle obligée de la Vulgale officielle, en dépit de leur prétention à dépendre des textes originaux. On peut en dire autant des commentaires donnés par les catholiques depuis le xvi" siècle. Du reste, ajoute-t-on, ces abus sont conformes à la législation ecclésiastique. Cf. Coiic. Trid., Scss. iv ; Concil. F « //c., Sess. iii, cap. 2 ; Décret. Lamcnt., Prop. i-.’, , Denz.’", ; 8.’, , 1788, 2001200/i ; liegulæ Indicis, 3 et 4- En somiue, les études

bibliques n’auraient progressé qu’en dehors de l’initiative de l’Eglise, et bien malgré elle.

Réponse. — « ) De tout temps, l’Eglise a revendiqué le droit de surveiller la diffusion du texte biblique, d’en contrôler les versions, et de juger les interprétations privées. Elle estime que ce droit découle immédiatement de son magistère religieux suprême, et que le bien des âmes lui fait un devoir d’en user. Cf. Franzelin, De dii’. Trad. et Script., Sect. iii, th. 18-21 ; J. B. Malou, La lecture de la Sainte Bible en langue i’ulgaire, 1846, 2 vol. Ce faisant, l’Eglise a sauvé la moralité et le bon sens dans la chrétienté ; il n’est d’excentricité, et même de crime, que, dans les sectes dissidentes, l’on n’ait tenté de justifier au nom de l’Ecriture. C’est ce dont convient l’anglican Farrar, dans son livre History cf Interprétation, 1886. La législation ecclésiastique ne soustrait pas la pai-ole de Dieu aux fidèles. Quand donc a-t-elle défendu de lire la Bible dans son texte original, hébreu ou grec ; ou même dans les versions anciennes (Septante et Vulgate latine), dont la fidélité substentielle lui est connue ? Elle autorise la lecture des versions modernes, pourvu qu’elles aient été suLimises à son contrôle, et qu’on les accompagne de quelques courtes notes, destinées à prévenir les interprétations erronées. Dans toutes les langues du monde, il existe aujourd’hui des traductions qui vérifient cette double condition ; et dont quelques-unes ont conquis, tout au moins par l’usage, une sorte de position officielle : enanglaisla version dite (/eZ)oH « ?, en allemand Allioli, en français Glaire, en italien Martini, en polonais Wujek, en néerlandais Beelen, etc. Dans ces versions, l’Eglise admet qu’on difi"cre de la Vulgate aussi souvent que des raisons plausibles autorisent un écart. Il y a injustice ou ignorance à ijrétendre que tous les ouvrages de ce genre publiés par des catholiques, pendant le xix siècle, restent servilement tributaires de la Vulgate. A des degrés divers, ces travaux représentent, en général, un eff’ort sincère, et souvent heureux, pour arri-Aer à plus de conformité avec les textes primitifs. En condamnant certaines traductions modernes, l’Eglise a eu le plus souvent d’autres griefs à faire valoir que leur divergence d’avec la Version latine ollicielle. Ce fut précisément le cas du Nouveau Testament de Mans, dans lequel on avait relevé des erreurs doctrinales. Ces erreurs justifient sutlisamment les condamnations portées par Clément IX (1668) et Innocent XI (1679). Il faut d’ailleurs accorder que l’alTaire s’envenima de sa connexion avec la (pierelle janséniste. Quand, quelques années plus tard, Isaac Louis Le Maistre de Sacy reprit la traduction de toute la Bible, y compris le N. T.. mais avec les corrections essentielles qu’on lui avait demandées, son œuvre rencontra un tout autre accueil. Cf. J)ict de la Bible (Vigouroux), t. III, 2367-2868. — La mise à l’Index du livre de M. Lasserre, Les saints Iis’angiles, trad. nouvelle (19 déc. 1883), s’explique surtout par la liberté excessive prise par l’auteur vis-à-vis du texte et du sens traditionnel. On conviendra qu’il y a bien ([uelque audace de la part d’un laïque sans théologie à porter la main jusque sur le « Notre Père ». — Si l’Eglise a condauiné les Sociétés protestantes pour la dillusion de la Bible, c’est qu’elle jugeait certains passages des versions distribuées par ces agences, incouq)atiijles avec son dogme ; elle était si loin de réprouver le procédé lui-même, que plusieurs sociétés analogues se sont formées parmi les catholitiues avec sona|)probation.Onsait que, depuis quehiues années, il se tient périodi([Ucment des congrès, présidés par (les é^è(ples, pour la ditfusiou du livre des Evangiles. Cependant, l’Eglise catholicpie n’a jamais perdu de 815

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vue la règle tracée par les anciens Pères, même par ceux qui ont recommandé plus instamment la lecture de la Bible (voir S. Chrysostome dans Malou, La lecture de la Sainte Bible, 1846, I, p. 2/^6) ; à savoir que la prédication a précédé le texte et que, même dans les conditions actuelles, elle peut le remplacer ; qu’en général, elle doit l’accompagner et le préserver. Si l’Evangile est absolument nécessaire, il n’en va pas de même du livre des Evangiles. C’était déjà la remarque de S. Irénée, c. Hæres, III, iv. Au reste, des écrivains protestants ne font aujourd’hui aucune difTiculté de convenir que les livres de la Bible, surtout en ce qui concerne l’Ancien Testament, ne sont pas tous également appropriés à l’édification des âmes. Cf. Realencyclopadie fiir protestantische Théologie und Xirche, 3^ édit. (1897), t. II, p. 718. Un autre écriA’ait dernièrement qu’en dépit de l’illusion contraire, l’instruction religieuse, même chez les Protestants, se passe le pkis souvent du Livre. James Moffat, Bookless Religion, dans Hibbert Journal, oct. 1908, p. 163.

C’est une erreur historique courante que les Protestants ont été les premiers à traduire et à divulguer la Bible en langue vulgaire. Avant le xvi’= siècle, l’Ecriture avait été traduite, dans son entier, en français (xiii^ siècle), en espagnol (xiii* s.), en italien (xiii’^ ou XIV’s.), en anglais (xn-’s.), en allemand et en flamand (av. le milieu du xv*’s.) ; toutes ces versions furent imprimées plusieiu-s fois entre 1450et 1500. Quant aux traductions partielles, par exemple celles des Psaumes et des Evangiles, elles sont plus anciennes encore. Cf. Falk, Die Bibel amvusgange des Mittelalters, 1900 ; dans le Kirchenlexicon (Kaulen) l’art. Bibeliibersetzungen ; dans le Dict. de la Bible (Vigouroux), I, 370, 598 ; II, 1952, 2346 ; III, 1012, 1549. Il n’est pas même sûr que Wiclef ait été le premier à traduire la Bible en anglo-saxon. Cf. Stimmen ans Maria Laach, 1904, t. LXVI, p. 349.

b) En décrétant l’authenticité de la Vulgate latine, l’Eglise na fait qu’user de son droit. Du reste, elle a été imitée sur ce point par toutes les sectes prolestantes. Quelle est la confession qui n’ait pas eu, de bonne heure, sa version officielle ? Il faut bien reconnaître que dans le passé il s’est produit parmi les théologiens catholiques des opinions excessives svir l’autorité dogmatique de la Yulgate, qui n’ont pas été pour le plus grand bien de la critique biblique ; mais, théologiens et exégètes, du moins les plus autorisés, s’accordent assez aujourd’hui siu" les conclusions suivantes : i » En décrétant que la Yulgate devait être tenue pour authentique dans l’Eglise latine, les Pères du concile de Trente n’ont pas entendu la préférer aux textes originaux, mais seulement aux autres versions latines qui avaient cours au xvi’siècle. 2° Ils n’ont pas voulu davantage définir c[e la Vulgate est en tous points conforme aux originaux, mais seulement qu’il n’y est enseigné aucune ez-reur en matière de dogme et de morale, et qu’en substance elle est une version fidèle de la parole de Dieu. 3" Le concile n’interdit en aucune façon de comparer la Vulgate avec les originaux, hébreu ou grec, ni avec les autres versions, soit anciennes, soit modernes, et de se servir de cette comparaison pour rectifier ce que la Vulgate peut avoir d’obscur, d’inexact ou d’erroné, en tant que traduction. 4"^ L’encyclique Provid. Deus, Dexz. ^^’, 1941, donne clairement à connaître que ce n’est pas rejeter témérairement et avec mépris la Yulgate que de la soumettre à un examen critique. Cf. la revue Etudes, avril 1898, p. 216.

Aussi bien, nos grands interprètes, qui ont écrit depuis le Concile de Trente, ne se sont guère sentis gênés par les prétendues entraves qu’on aurait forgées avec le décret Insuper. On trouve chez eux la

même liberté d’allures vis-à-vis de la version olBcielle que chez leurs devanciers, qui avaient précédé le concile. Il suffit de lire les commentaires de Maldo-NAT, de Jaxsexius de Gand, de Bellarmin, de HocBiGAX, de Patrizi, de Beelex, de Salmerox, etc., povir constater avec quel soin minutieux ils discutent les divergences de la Yulgate d’avec les textes originaux et les autres versions, aliandonnant pai-fois, sans scrupule, la version officielle jDour une autre qui leur paraît mieux appuyée. Cette pratique est devenue courante, au cours du xix’^ siècle, alors qu’une interprétation plus équitable du décret Insuper commençait à prévaloir. L’Eglise n’a pas interdit à Martiaxay, au xvn’siècle, et à Vall.a-Rsi, au xvui’, de tenter une édition critique de la version de S. Jérôme. Martiaxay, Ilieron. opéra, Disina bibliotheca antehac inedita, Parisiis, 1698 ; avec préfaces et additions de Yallarsi, Yerona, 1784 et de Maflei, Venise, 1767. C’est l’édition reproduite dans Migne, P. L., t. XXVIII, XXIX. Sous les yeux de Pie IX, et avec ses encouragements, le P. Vercellone a repris le même travail, Variæ lectiones Vulgatæ lat. Bibl. editionis, Romae, 1860-1864. S. S. Pie X vient de confier à l’ordre bénédictin l’achèvement de cette œuvre que le savant barnabite avait conduite jusqu’aux liA’res des Rois inclusivement. Cf. Revue bibl., 1907, p. 476 ; 1908, p. 169. L’Eglise n’a pas découragé, bien au contraire, les études d’initiative privée destinées à rendre plus facile une nouvelle revision de la Yulgate sixtoclémenline, comme le prouve l’accueil fait aux correctoires publiés par Luc de Bruges, Romanae correctionis… loca insigniora observata, Antverpiae, 1601-1608, et par H. de Bukentop, Lux de luce, Bruxellis, 1710.

Il en est de l’Eglise comme de tout pouvoir public ; par situation elle s’attache, aA’ant tout, à régler les initiatives privées ; force pondératrice, son rôle consiste à contenir dans de justes limites un eff’ort qui, sans cela, serait plus destructeur que fécond. Cette attitude Ais-à-Ais des changements que tout progrès entraîne avec lui, s’impose spécialement à l’Eglise, au nom de la loi fondamentale de son être, qui est fait de tradition. Sa mission est de conserA-er les Ecritures, de les entendre comme on l’a fait dès le début. Dès lors, tout homme de sens comprendra, de prime abord, aA’ec quelles précautions elle doit s’avancer, sous peine de confondre réAolution légitime avcc la réA’olution destructrice du passé : trop facilement, on altère les textes, sous couleur de les rétablir dans leur teneur primitive. Voir, en ce qui concerne la correction à faire de la Vulgate latine, le P. La-GRAXGE, dans la Revue biblique, 1908, p. 102.

Quand il s’agit de sa A-ersion officielle, l’Eglise n’y fait que lentement les modifications souhaitables ; elle sait combien ces changements déroutent les fidèles et même le clergé d’instruction moyenne. Cette attitude AÎs-à-Ais du texte reçu est traditionnelle, S. Augustin en a représenté plus d’une fois les avantages à S. Jérôme. Cf. Migne, P. L., XXII, 566, 834 ; XXXIIl, 290, 291. Aux yeux de l’Eglise, le texte sacré est un instrument d’éducation religieuse, bien plus qu’un objet d’expériences scientifiques. Il est à remarquer qu’une pareille réserA^e dcvait présider à la récente rcvision de la Version autorisée de l’Eglise anglicane. La première règle que s’imposa le comité nommé à cet effet fut « d’y introduire le moins possible de modifications ». Ajoutons que la principale raison de l’opposition faite à cette revision dans des milieux aussi cultiAésque religieux, c’est précisément la liberté avec laquelle, en dépit de la règle susdite, on s’est écarté de la Version autorisée, en plus de 36. 000 endroits, rien que pour le Nouveau Testament. Cf. BuRGOX, Revision revised, 1888, et J. H. Lupto.n, 817

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EngUsh Versions, dans Dict. of ihe Bible (Hastings). Extra vol., 1904, >- 268. Le texte classique dans la grande Université d’Oxford est encore l'édilion de MiLL (1707), fondée elle-même sur l'édition de Robert EsTiENXK (1550). Ce n’est qu’en 1889 que le Rév. ^Y. Saxday l’a mise à jour par un triple appendice, que l’on imprime à part.

r) Il peut se faire, et il est arrivé en effet, que la police ecclésiastique ait parfois retardé le progrès de questions particulières, par exemple dans l’affaire de Galilée ; mais le bien général explique et juslitie, dans une bonne mesure, ces sévérités. Au xvi'" siècle, l’Inquisition a dû sévir, au risque de comprimer quelque peu, pour empêcher que la pratique du libre examen ne vint à s’introduire parmi les catholiques ; de nos jours, les erreiirs et les manœuvres déloj^ales des « modernistes » ont mis le S. Oflice et l’Index dans une nécessité semblable. Ces rigueurs sont la rançon nécessaire de la conservation du dogme ti-aditionnel. Si les Catholiques souffrent aujourd’hui, beaucoup moins que les Protestants, des excès du

« criticisme », ils le doivent aux mesures préservatrices de l’Eglise.

Du reste, l’opposition faite aux nouveautés et la répression légale de certaines tentatives novatrices ne sont pas le monopole de l’Eglise catholique. Il ne faut pas oublier que J. J. ^YETSTEI^, un des fondateurs delà critique textuelle du N. T., perdit sa place de diacre dans l'église de Bàle, i^our avoir donné un spécimen de l’ouvrage qu’il méditait sur les « Variantes » (1729). On lui reprochait des tendances au Socinianisme. De graves théologiens d’Oxford accusèrent Xewton d’athéisme, quand il prétendit avoir découvert les lois de la gravitation. ïo'.it le monde connaît le procès retentissant fait à l'évêque anglican CoLENso, vers le milieu du xix' siècle, et plus près de nous la disgrâce des deux professeurs Samuel Davidson et RoBERTsox Smith. Cf. T. K. Cheyxe, Foundeis of Old Testament C/iticisnt, 1893, p. 209, 215. Il y a encore le cas du D' Cli. A. Briggs, qui, dans la libre Amérique, s’est vu traduire devant un jury confessionnel, pour avoir à se justifier du délit de

« High criticism ». Cf. Ch. A. Briggs, The defence of

prof. Briggs before the presbyiery of ÎSen'-York, december 1892. L'émoi causé en Allemagne, dans les hautes sphères de l’Eglise évangélique, par la publication de la Vie de Jésus du D' Strauss, ne fut pas moindreque lacampagne de protestations menée par réjjiscopal français contre Renan ; l’auteur perdit la place de répétiteur qu’il occupait à l’Université deTubingue (1830). Quelques années plus tard (1842), Bruno Bauer avait, à Bonn, le même sort.

d) Xous n’avons pas à l’aire ici l’apologie de l’exégèse catholique après le concile de Trente. Voir Exégèse (Histoire de 1'). Ou’il suffise de rappeler que le Concile fut le point de départ d’un mouvement scicntilique dans les écoles catholiques, quia fait des xvret xvii"^ siècles une époque de renaissance pour les études scripturaiies. Il est à croire ([ue l’exégèse catholique n’a pasélé contrariée par le décret Insnper, au point de ne jjIus pouvoir être méthodique ni sincère, puisque, à en juger par la pratique quotidienne, les commentaires de Jansenius de Gand, de MaldoNAT, de Fi'. RiiiERA, de D. Calmet restent encore plus utiles aux exégètes protestants d’aujourd’hui que ceux de Calvin et de Grotius, pour ne citer que les meilleurs. Plus près de nous, on j)eut signaler les commentaires de BeEI.EN, PaTRIZI, CoRLUY, COBNELY, KNAnENBAUEH, DE IIlMMEEAUEU, MaIER, BiSIMNG, ScHEGG,

ScnoLz, SciiANz, SciiAEEEH, Grimm, Belser, Fo.nck, Lagrange, Condamin, Van IIoonagker, Trochon, Fii.MON, LEsf ; TRE, Cai.mes, Maas, IIlygiie, etc., qui ont, à des degrés divers, conquis l’estime de tous.

A qui s'étonnerait de la différence que nous mettons entre les ouvrages destinés aux illettrés et ceux à l’visage du public cultivé, il suffira peut-être de représenter que cette distinction est reçue dans toutes les confessions chrétiennes. Et qui donc ignore que les manuels d’Histoire sainte imposés par le gouvernement prussien aux écoles primaires et aux gymnases, sont loin de faire écho à toutes les vues systématiques des professeurs des Universités, même sur des points que ceux-ci regardent généralement comme acquis ? Il n’est pas malaisé de s’apercevoir que la Cambridge Bible for Scltools and Collèges n’est pas conçue d’après le même point de vue que le Critical Commentary. La note mise en tête de chacun des volumes de cette collection est suggestive : « L'éditeur généraldela « Cambridge Bible for Schools » croit bon de déclarer qu’il ne peut pas se porter garant de l’interprétation que les auteurs des différents livres ont adoptée dans certains passages, ni des opinions qu’ils peuvent avoir exiJrimées sur des points de doctrine. »

Reste la condamnation de Richard Simon (7 17 12). — L’illustre oratorien fut assurément un des plus savants hommes de son époque, et c’est avec raison qu’on le range parmi les fondateurs de la critique biblique ; mais son esprit de dénigrement, ses querelles personnelles lui firent beaucoup d’ennemis. Ce ne fut pas là son tort principal. La doctrine théologique et le sens catholique n'étaient pas en lui à la hauteur de la science. En dépit de ses déficits et de certains excès, la Défense de la Tradition et des Saints Pères restera, non pas seulement comme un réquisitoire de Bossuet contre Richard Simon, mais aussi et surtout comme la protestation du dogme contre les entreprises de la critique.

Au milieu des controverses bibliques, l’attitude de l’Eglise s’est toujours inspirée d’une sage modération ; son idéal est de joindre le progrès à la sécurité de la doctrine. C’est dans cet esprit que S. S. Pie X traçait naguère aux exégètes catholiques une sorte de cm média à suivre entre les audaces d’une liberté sans frein et les timidités d’un conservatisme outrancier. Bref à Mgr Le Camus, du Il janv. 1906 ; Dexz. ^", p. 619, en note.

Bibliographie. — Cette bibliographie ne comprend que les ouvrages d’intérêt général, cjui, du reste, ont déjà été cités, presque tous, au cours de l’article. C’est à dessein qu’on y a passé sous silence plusieurs des publications ajant trait à la polémique engagée, ces dernières années, entre catholiques sur l’insj)iration, l’inerrance biblique et l’exégèse historique ; elles auront leur place dans les articles consacrésàces sujets. Dans l'éiiumération, on a suivi l’ordre chronologique. L’astérisque devant les noms des auteurs ou des périodiques indique qu’ils ne sont pas catiioliques ; devant les titres des ouvrages, il signifie que ces écrits ont été condamnés par la Congrégation de l’Index.

Richard Simon, * Histoire critique du Vieux Testament, 1678 ; *ïh. Nôldeke, Untersuchungen zur Kritih des Alten Testaments, 1869 (trad. franc, par Derenbourg et Soury, 1878) ; F. Vigoureux, I.a Bible et les découvertes modernes, 1877, 1896 ; La Bible et la critique rationaliste, 1884-1886, 1901' ; Mélanges bibliques, 1882 ; Le Nouveau Testament et les découvertes archéologiques modernes, 1890 ;

  • T. K. Cheyne. Founders of Old Testament Criticism, 1894 ; * A. H. Sayce, Thehigher Criticism and

ihe verdict ofthe Monuments, 1894 ; A. Loisy, Etudes bibliques, 1894, 1901'- ; J. Brucker, Questions actuelles d’Ecriture Sainte, 1896 ; /.Eglise et la critique biblique, 1908 ; Schopfer-Pelt, Histoire de 819

CROISADES

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l Ancien Testament, 1896, 1904' ; *A. Harnack. Geschiclite der altchristliclien Litteraiiir^ I, Die Chronologie, 1897 ; Langlois et *Seignobos, Introduction aux études liistotiques, J892- ; A. Poels, Critiek en Tvaditie of de Bijhel voov de lioomschen, 1899 ; L. Mécbineau, L’autorité humaine des Livres Saints, 1900 ; *Nasli, The history of the higher Criticism of the N. T., 1900 ; E. Jacquier, Histoire des liires du Nouveau Testament, 1903-1908 ; H. Hôpfl, Die hôliere Bibel-Kritik, 1 902-1 906 - ; Das Buch der Bûcher, 190^ ; K. Holzhey, Schôpfung, Bibcl und Inspiration, 1902 ; J. M. Lagrange, la Méthode historique, surtout à propos de l’Ancien Testament. 1908 ; Abbé de Broglie, Questions bibliques, 1904- ; Mgr Mignot, Critique et Tradition (dans le Correspondant, 10 janv. 190/)) ; Lettres sur les études ecclésiastiques, 1908 ; Bonaccorsi, Questioni bibliche, 1904 ; Fr. A’on Yiiine ; ev, Exegetisches zur Inspirationsfrage, 1904 ; F. Prat, La Bible et l’Histoire, 1904 ; L. Fonck, Der Kampf uni die Wahrheit der heil. Schrift seit '25 Jahren, 1906 ; L. Miu-illo, Critica y exegesis, 1906 ; N. Peters, Die grand scitzliche Stellung der Katholischen Kirche zur Bibelforschung, oder die Grenzen der Bibelkritik nach katholischer Lehre, 1905 ; *S. R. Driver, Tlie higher Criticism, igo5 ; *J. Orr, The problem ofOld Testament, 1906 ; Cbr. Pesch, De inspiratione sacræ Scripturae, 1906 ;

  • G. S. Streatfeild, The apologetic value of Criticism

(dans The Expos itor, août 1907) ; G. J. Reid, Biblical Criticism, dans The catholic Encyclopedia (Xew-York), 1908, t. lY, p. 491.

En outre des Introductions générales à l’Ecriture Sainte citées plus haut, I, 2, e, on peut signaler les différents Dictionnaires de la Bible : *W. Sniitb, A Dictionary of the Bible, 1863, iSgS^ ; F. Yigouroux. Dictionnaire de la Bible, 18g5(en cours de publication) ; *J. Hastings, Dictionary of the Bible, 1898-1902, avec un Extra- Volume. 1904 ; Dictionary of Christ and the Gospels, 1906-1908 ; *T.K. Cbej’ne, Encyclopædia biblica, 1899-1903 ; P. Hagen, Lexicon biblicum, 1900 (en cours de publication).

Les Bévues spécialement consacrées aux choses de la Bible sont : Bévue biblique, 1892 (P. Lagrange). Biblische Zeitschrift, 1908 (DD. Gôtsberger und Sickenberger) ; Zeitschrift fiir die alttestamentliche Wissenschaft, 1881 (* Stade) ; Zeitschrift fiir die neutestamentliche Wissenschaft, 1900 (* E. Preusclien) ; The Expositor, 5"^ série, 1896 (*Xicoll) ; The expository Times, 1889 (*J. Hastings) ; * Journal of biblical Literature, 1890 (qui s’appelait tout d’abord Journal of the Society of biblical Literature and Exegesis, 1 882-1 888) ; * Jahrbilcher der biblischen Wissenschaft, 1849-1865 ; * Proceedings ofthe Society of biblical Archæology, 1878. — On trouA’ei-a encore des articles concernant la critique biblique chez les Protestants dans *Herzog-Hauck, BealEncyklopadie fiir protestantisehe Théologie und Kirche, 1896-19083.

Alfred Durand, S. J.