Dictionnaire de théologie catholique/ANGE. I. d’après la sainte Écriture.

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 613-614).

1. ANGE.


I. Les anges d’après la sainte Écriture.
II. Angélologie d’après les Pères.
III. Angélologie dans l’Église latine depuis le temps des Pères jusqu’à saint Thomas d’Aquin.
IV. Angélologie de saint Thomas d’Aquin et des scolastiques postérieurs.
V. Angélologie chez les Grecs.
VI. Angélologie chez les Syriens.
VII. Angélologie chez les Arméniens.
VIII. Angélologie parmi les averroistes latins.
IX. Angélologie dans les conciles. Doctrine de l’Église sur les anges.

I. ANGES (Les) d’après la sainte Écriture.
I. Existence.
II. Nature.
III. État.
IV. Fonctions.
V. Culte.

I. Existence.

L’existence des anges est affirmée dans toute la Bible. Ils sont désignés déjà dans la Genèse, XVI, 7, 9 ; XIX, 1, 15 ; XXI, 17 ; XXII, 11, 15 ; XXIV, 7, 40 ; XXVIII, 12 ; XXXI, 11 ; XXXII, 1 ; XLVIII, 16, par leur nom habituel de Mal'àk, messager, qui a été traduit par le terme grec ἅγγελος, d’où sont venus le mot latin angelus et le mot français ange. Ils reçoivent quelquefois aussi d’autres noms, comme fils de Dieu, Job, I, 6 ; II, 1 ; esprits, Ps. CI, 6 ; Hebr., I, 14 ; saints, Dan., VIII, 13 ; armée des cieux. II Esd., IX, 6. Les anges sont, en effet, représentés par l’Ancien et le Nouveau Testament comme formant une multitude innombrable. Gen., XXVIII, 12 ; XXXII, 2 ; Dan., VII, 10 ; Matth., XXVI, 53 ; Hebr., XII, 22 ; Apoc, V, 11. Les livres antérieurs à la captivité de Babylone ne désignent aucun ange par son nom propre. Les livres inspirés postérieurs nous en font connaître trois : Gabriel, Dan., VIII, 16 ; IX, 21 ; Luc, I, 19, 26 ; Michel, Dan., X, 13, 21 ; XII, 1 ; Jude, 9 ; Apoc, XII, 7 ; Raphaël, Tob., III, 25, etc. Le IVe livre d’Esdras, le livre d’Hénoch et le Talmud indiquent d’autres noms d’anges dont nous n’avons pas à nous occuper. La pensée que les anges sont partagés en diverses classes ou chœurs se manifeste déjà dans la Genèse, où il est question des chérubins. Gen., III, 24 ; cf. Exod., XXV, 22 ; Ezech., X, 1-20. Isaïe nous parle des séraphins. Is., VI, 2, 6. Saint Paul des principautés, des puissances, des dominations, Eph., I, 21 ; Col., I, 16 ; des vertus, Eph., I, 21 ; des trônes, Col., I, 6 ; des archanges. I Thess., IV, 15 ; cf. Jude, 9.

II. Nature. —

Les anges sont des êtres personnels différents de Dieu et des hommes. Cela résulte des fonctions qui leur sont attribuées et dont nous nous occuperons tout à l’heure.

Infériorité des anges vis-à-vis de Dieu.

On a prétendu que les anges sont des divinités d’un culte polythéiste antérieur au mosaïsme, et qui auraient été rabaissées au rang de demi-dieu par suite du triomphe de l’idée monothéiste chez les Hébreux. Haag, Théologie biblique, Paris, § 96, p. 339. Mais c’est là une hypothèse toute gratuite fondée sur des rapprochements plus ingénieux qu’exacts. On a dit encore que dans les plus anciennes apparitions la personnalité de l’ange qui apparaît ne se distingue pas de celle de Jéhovah, dont on lui donne le nom. Haag, ibid. Il y a là un problème exégétique qui sera étudié au mot Théophanie ; mais le nom d’ange et de Jéhovah, donné parfois au même personnage des théophanies, ne prouve pas qu’on attribuait aux anges la nature divine. Dans une foule de textes très clairs et aussi anciens, ils sont en effet considérés comme de simples serviteurs du Très-Haut. Voir plus loin leurs fonctions. Sans doute, la Genèse ne raconte pas expressément leur création comme celle de l’homme ; mais on peut croire que cette création est exprimée au premier verset de ce livre où il est dit que Dieu créa le ciel. Cette interprétation est admise par Exod., XX, 11 ; II Esd., IX, 6, et plus formellement encore par Ps. CXLVIII, 209 ; Dan., III, 57, 58 ; Col., I, 16. D’ailleurs, le caractère monothéiste de l’Ancien et du Nouveau Testament ne saurait se concilier avec une autre notion des anges.

Supériorité des anges vis-à-vis de l’homme. —

Les anges apparaissent ordinairement sous une forme humaine et avec le vêtement blanc des prêtres. Daniel, IX, 21, donne même à Gabriel le nom d’homme ; mais toutes les circonstances des récits bibliques témoignent qu’on leur attribue une nature autre que celle de l’homme ; car ils habitent le ciel, Gen., XXI, 17 ; XXII, 11 ; ils apparaissent et disparaissent subitement, Jud., VI, 12, 21 ; ils ont une puissance surhumaine, Gen., XXIV, 7, 40, etc. Quelques textes déclarent expressément qu’ils sont supérieurs à l’homme. Ps. VIII, 6 ; Hebr., II, 7 ; II Petr., II, 11.

Spiritualité des anges.

Si l’Ancien Testament et le Nouveau nous représentent les anges sous une forme humaine, ils montrent en même temps, par des indications de plus en plus précises, que ces êtres supérieurs n’ont pas de corps matériel comme l’homme. Pour n’être pas exprimées par des formules philosophiques et abstraites, ces indications n’en sont pas moins claires. L’ange qui se tient devant Balaam est invisible à ses yeux, tant qu’ils n’ont pas été ouverts par le Seigneur. Num., XXII, 31. L’ange qui était apparu à Gédéon disparait subitement, Jud., VI, 21, de même que celui qui annonce la naissance de Samson. Jud., XIII, 20. L’ange Raphaël s’évanouit aussi sous les regards des deux Tobie. Tob., XII, 19. Les anges qui apparurent à Abraham avaient accepté le repas qu’il leur avait préparé selon les mœurs de cet âge hospitalier, Gen., XVIII, 8 ; mais celui qui se montre plus tard à Manué déclare qu’il ne mange point, Jud., XIII, 16, et Raphaël dit aux deux Tobie qu’il n’a mangé et bu avec eux qu’en apparence. Ibid., 19. Dans les Évangiles, répondant aux Sadducéens, Jésus leur dit qu’après la résurrection, les saints seront sans époux et sans épouses et qu’ils ressembleront sous ce rapport aux anges de Dieu. Matth., XXII, 30 ; Marc, XII, 25 ; Luc, XX, 35, 36. Il est bon de remarquer que les Sadducéens, qui interrogeaient Jésus en cette circonstance, rejetaient et que les pharisiens admettaient, comme une seule et même doctrine, l’existence des anges et celle des esprits. Act., XXIII, 8. Jésus approuvait sur ce point les Pharisiens, Matth., XXII, 30 ; il enseignait donc la spiritualité des anges. Cet enseignement est aussi formulé dans plusieurs autres textes du Nouveau Testament qui appellent les anges des esprits. Luc, X, 20 ; Hebr., I, 14 ; Apoc, IV, 5 ; cf. Act., XXIII, 6, 8.

On a voulu, à la suite du livre d’Hénoch, voir des anges dans les fils de Dieu, qui, selon la Genèse, VI, 2, contractèrent avec les filles des hommes des unions d’où naquirent les géants. Cette interprétation est en désaccord avec la doctrine de Jésus-Christ dans l’Évangile. Elle ne saurait non plus s’autoriser de la conception des anges que nous présentent le Pentateuque et le livre des Juges. Les fils de Dieu, dont il est ici question, ne sont donc point des anges : ce sont des descendants du vertueux Seth.

III. État.

Les anges sont représentés dans les divers livres de la Bible comme habitant le ciel, Gen., XXI, 17 ; XXII, 11 ; Tob., XII, 20 ; Matth., XXII, 30 ; Marc, XII, 25 ; Hebr., XII, 22 ; comme se tenant auprès du trône de Dieu. Job, I, 6 ; II, 1 ; Tob., XIII, 15 ; Luc, I, 9. Le livre de Tobie dit qu’ils se nourrissent d’une nourriture invisible à l’homme. Tob., XII, 19. Jésus-Christ assure qu’ils voient constamment la face de son Père. Matth., XVIII, 10. Ils possèdent donc la vision béatifique ou la béatitude céleste. Cet état de bonheur a-t-il été précédé pour les bons anges d’un état d’épreuve ? L’Écriture l’enseigne équivalemment, en parlant des démons ; car elle nous apprend qu’ils seraient au nombre des bons anges, s’ils n’avaient offensé Dieu et mérité, par cette faute, d’être précipités en enfer. II Petr., II, 4 ; Jude, 6, 11.

IV. Fonctions. —

Les anges remplissent des fonctions auprès de Dieu et auprès des créatures.

Fonctions auprès de Dieu.

Nous venons de dire qu’ils sont dans le ciel. Ils forment la cour du Très-Haut. Job, I, 6 ; II, 1. On en distingue sept qui se tiennent devant son trône, Tob., XII, 15, parmi lesquels Raphaël, ibid., et Gabriel. Luc, I, 9. Mais il en est des millions d’autres qui l’entourent et le servent. Dan., VI, 10 ; Apoc, V, 11 ; VII, 11. Ils chantent ses louanges, Is., VI, 3 ; Apoc., IV, 8 ; V, 11,12 ; VII, 11 ; se prosternent la face contre terre pour l’adorer, Apoc, VII, 11 ; font brûler de l’encens sur l’autel qui est devant son trône. Apoc, VIII, 3. Images sensibles empruntées tantôt à la cour des rois d’Orient, tantôt au culte du temple, pour exprimer les hommages que les esprits bienheureux rendent au Très-Haut.

2o Fonctions auprès des créatures.

Les anges sont, vis-à-vis des créatures, les exécuteurs des décrets du Tout-Puissant. Gen., XVI, 7 ; XIX, 1 ; XXI, 17 ; XXII, 15 ; Num., XXII, 22 ; Jud., II, 1 ; VI, 11 ; XIII, 3 ; II Reg., XXIV, 6 ; I Par., XXI, 12 ; Tob., III, 25 ; Dan., XIV, 33 ; I Mach., VII, 41. Dieu se sert de leur ministère pour faire connaître ses volontés, Gen., XXII, 15 ; Num., XXII, 35 ; Jud., VI, 12 ; XIII, 13 ; III Reg., XIII, 18 ; IV Reg., I, 3 ; Zach., I, 9 ; et pour assurer les succès des missions qu’il confie aux hommes. Gen., XXIV, 7,40 ; Exod., XXIII, 20,23 ; XXXII, 35 ; XXXIII, 2. De leur côté, les hommes attribuent fréquemment au secours des anges les faveurs qu’ils ont reçues de Dieu. Gen., XLVIII, 16 ; Judith, XIII, 20 ; Dan., III, 95 ; IV, 22 ; II Mach., XV, 23. L’Ancien Testament parle d’anges qui sont chargés des intérêts des divers peuples, Dan., X, 13,20, en particulier de Michel, l’ange du peuple juif, Dan., X, 51 ; XII, 1 ; Jude, 9 ; le Nouveau semble dire que les anges, sous le commandement de Michel, protègent l’Église universelle, Apoc, XII, 7 ; et même, suivant une interprétation, qu’il y en a un qui est préposé à la garde des églises particulières. Apoc, I, 20 ; II, 1 sq. L’Ancien Testament racontait comment les anges venaient en aide aux hommes, même pris individuellement. Tob., III, 25 sq. Les fidèles du Nouveau Testament croient que chaque homme a un ange gardien, Act., XII, 15, et cette croyance est ratifiée par le Sauveur. Matth., XVIII, 10. Beaucoup d’écrivains rationalistes admettent que la doctrine des anges gardiens dérive du mazdéisme et qu’elle aurait été introduite chez les Juifs, à la suite de la captivité de Babylone. Mais on en trouve les premiers éléments dans les plus anciens livres de la Bible ; car, au point de vue doctrinal, il n’y a pas de différence entre l’histoire d’Agar et celle de Tobie. D’ailleurs la conception des anges ou fravashis est bien différente dans le mazdéisme de celle des anges dans la Bible. Les fravashis sont des âmes des morts qui restent avec les vivants. Les anges de la Bible n’ont jamais rien eu de la nature humaine, et leur habitation ordinaire est le ciel. Revue de l’histoire des religions, septembre-octobre, 1899, p. 271,272. La diversité de ces conceptions montre que l’angélologie biblique n’a pas été empruntée à l’angélologie du mazdéisme.

Saint Étienne, Act., VII, 53 ; VII, 53 ; et les Épitres de saint Paul, Gal., III, 19 ; Hebr., II, 2, attribuent la promulgation de la loi mosaïque aux anges. L’Épitre aux Hébreux part de ce fondement pour établir la supériorité de la loi nouvelle donnée au monde par Jésus-Christ. Hebr., I, 11. Elle démontre en même temps, Hebr., I, la supériorité du Christ, fils de Dieu, Hebr., I, 5, sur les anges, qui sont simplement des serviteurs, Hebr., I, 14 ; cf. Matth., IV, 6,11 ; XXVI, 53 ; XXVIII, 2 ; Luc, IV, 2 ; Eph., I, 20,21 ; Col., II, 10, comme si, dès ce moment, il avait été nécessaire de mettre les chrétiens en garde contre l’erreur des gnostiques futurs qui devaient faire du Christ un éon et attribuer ainsi notre rédemption aux anges. Les saints du Christ sont même présentés comme supérieurs aux anges ; car ceux-ci seront jugés par eux. I Cor., VI, 3. Suivant saint Paul et saint Pierre, non seulement la loi chrétienne ne vient pas des anges ; elle est encore ignorée d’eux, tant qu’elle ne leur a pas été manifestée par les révélations faites aux hommes. Eph., III, 10 ; 1 Tim., III, 16 ; I Petr., I, 12. Cependant, les anges restent dans le Nouveau Testament les messagers de Dieu. Matth., I, 20 ; II, 13 ; XXVIII, 2,5 ; Luc, I, 11,26 ; II, 9 ; XX, 43 ; Joa., XX, 12 ; Act., V, 19 ; VIII, 26 ; X, 3 ; XII, 7 ; XXVII, 23. Ils ont été réconciliés par le sang du Christ. Col., I, 20. Ils ont la mission d’assurer le salut des prédestinés, Hebr., I, 14 ; ils combattent le démon qui voudrait perdre l’Église du Christ, Apoc, XII, 7 ; ils se réjouissent de la persévérance des justes et de la conversion des pécheurs, Luc, XV, 7 ; ils accompagnent les âmes dans l’autre vie. Luc, XVI, 22. Au jugement dernier, ils seront les ministres du Christ pour séparer les bons des méchants. Matth., XIII, 49 ; XVI, 27 ; XXIV, 31 ; Marc, VIII, 38.

V. Culte des anges.

Saint Paul met les Colossiens en garde contre ce qu’il appelle la religion des anges. Col., II, 18. Cette religion dérivait peut-être de l’erreur qui semble avoir égalé les anges au Christ, Hebr., I ; elle consistait peut-être aussi à leur rendre le culte d’adoration qui doit être réservé à Dieu et que l’ange de l’Apocalypse refuse de recevoir de saint Jean, Apoc, XXII, 9, comme l’ange à qui Manué offrait jadis un chevreau, lui avait dit de l’offrir en holocauste au Seigneur. Jud., XIII, 15,16. Cependant l’Écriture ne condamne point les honneurs rendus aux anges, comme ministres de Dieu, et les prières qu’on leur adresse. Jacob prie l’ange qui l’a protégé. Gen., XLVIII, 16 ; cf. Ose., XII, 4. Moïse, Exod., III, 5, et Josué, V, 13,14, ôtent leur chaussure par respect pour l’ange du Seigneur et l’Apocalypse nous représente les anges qui offrent à Dieu les prières des saints. Apoc, v, 8.

Suarez, Opera omnia, De angelis, t. II, Paris, 1856 ; Petau, Dogmata theologica, De angelis, t. III, IV, Paris, 1865,1866 ; dom Calmet, Dissertation sur les bons et sur les mauvais anges, en tête de son Commentaire sur saint Luc, Paris, 1715, p. XXVII-XLVIII ; Schwane, Dogmengeschichte : Vornicänischte Zeit, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1892, § 7, p. 37 sq. ; Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, article Ange, t.I, col. 576 sq. Nous indiquerons parmi les auteurs protestants et rationalistes : Haag, Théologie biblique, in-4o, Paris, 1870, p. 338,411,459,497 ; Stapfer, Les idées religieuses en Palestine, in-12, Paris, 1878, p. 51-65.

A. Vacant.