Dictionnaire de théologie catholique/ANGE. III. dans l’Église latine depuis le temps des Pères jusqu’à saint Thomas d’Aquin.

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 629-632).

III. ANGELOLOGIE dans l’Église latine depuis le temps des Pères jusqu’à saint Thomas d’Aquin.


I. Du viie au xiie siècle.
II. XIIe siècle.
III. XIIIe siècle jusqu’à saint Thomas d’Aquin.

Du viie au xiiie siècle, l’angélologie fut impuissante à se systématiser. Elle avait fait peu de progrès au temps des Pères, parce qu’elle ne se liait pas assez étroitement aux dogmes qui attirèrent surtout leur attention, ceux de la trinité et de l’incarnation. Elle n’en fit point davantage du viie au xiiie siècle ; car elle se rattachait moins encore aux matières qui s’élucidèrent pendant cette période, spécialement à celle des sacrements. Les opinions du Pseudo-Denys sur la hiérarchie angélique et ses rapports avec Dieu et le monde, adoptées déjà par saint Grégoire le Grand et par saint Jean Damascène, furent acceptées sans discussion. Sur les autres points, on oscilla entre les renseignements divers fournis par les Pères, surtout par saint Augustin.

I. Du viie au xiie siècle. —

Les auteurs parlent des anges très sommairement et en reproduisant des textes antérieurs. Au vile siècle, saint Isidore de Séville leur consacre deux pages où il se borne à peu près à l’explication des noms qui leur sont donnés par l’Écriture. Etymologiarum, l. VII, c. v, P. L., t. lxxxii, col. 272274. Au ixe, Raban Maur transcrit ces pages de saint Isidore, dans son traité De universo, l. I, c. v, P. L., t. exi, col. 28-32, en y ajoutant quelques gloses d’un caractère moral. Voilà ce que les cinq siècles qui suivirent la mort de saint Grégoire le Grand nous ont laissé de plus considérable sur les esprits célestes.

II. xiie siècle. —

1. Auteurs qui traitent des anges.— La curiosité théologique s’éveille au XIIe siècle. Honorius d’Autun consacre aux anges et aux démons quatre chapitres de son Elucidarium, l. I, c. vi-x, P.L., t. clxxii, col. 1413-1116. Sans entrer dans aucun développement, il expose dans un dialogue précis les opinions courantes à son époque sur les anges. Il insiste sur la manière dont le démon est tombé. Cette question et celle de l’état des anges avant la chute attirentaussi l’attention de Rupert, abbé de Deutz († 1135). Il établit ses sentiments sur cette matière par des considérations personnelles assez longues, d’abord dans son De Victoria Verbi Dei, 1. I, P. L., t. clxix, col. 1218-12H ; ensuite dans De operibus S. Trinitatis, Genesis, 1. I, c. x-xvii, P. L., t. clxvii, col. 206-214 ; enfin dans son De glorificatione Trinitatis, 1. III, c. ii-xxm, P. L., t. clxix, p. 51-71. Cf. aussi son Comment, in Mattli., 1. XIII, P. L., t. clxviii, col. 1627. Quelques années plus tard, saint Anselme étudie le même sujet avec la même préoccupation et d’une façon plus approfondie, dans un traité distinct, De casu diaboli, P. L., t. clviii, col. 325-360. Abailard s’est peu occupé des anges, bien qu’il ait réuni dans son Sic et non divers textes qui les concernent, xliii, xlvi-l, P. L., t. clxxviii, col. 1104, 1412 sq. Saint Bernard a parlé souvent de ces esprits bienheureux, mais en passant. A partir du milieu du {{rom-maj|XII)e siècle, les sommes de théologie qui sont publiées sous divers titres contiennent toutes un traité des anges assez développé. Ce traité est incomplet dans les Sententiæ du cardinal Robert Pullus, 1. II, c. ii-iv, P. L., t. clxxxvi, col. 719-726, très détaillé et sous une forme absolument scolastique dans le livre des Sentences, de Roland Bandinelli, le futur Alexandre III, Die Sentenzen Rolands, Fribourg-en-Brisgau, 1891, p. 85-103 ; aussi détaillé, mais beaucoup moins didactique, soit dans le De sacramentis, part. V, P. L., t. clxxvi, col. 245-264, et le commentaire du De hierareftia cœlesti, P. L., t. ci.xxv, col. 923 sq., de Hugues de SaintVictor, soit dans le Suninia sententiarum, tr. II, P. L., t. clxxvi, col. 7989, faussement attribué à cet auteur. (Voir l’art. Abélard, col. 53.) Dans le second livre des Sentences, dist. II-XI, P. L., t. cxxi, col. 655-655, Pierre Lombard résume assez bien les vues et les opinions émises par ses devanciers. 2. État des anges au moment de leur épreuve. Manière dont ils sont arrivés à la béatitude. — La question principale qui préoccupe les auteurs du {{rom|xii)e siècle, est celle que Rupert et saint Anselme avaient essayé de résoudre dans les ouvrages dont nous avons parlé. Ils se demandent tous dans quel état étaient les mauvais anges avant leur chute et les bons anges avant leur glorification, et aussi comment les premiers ont été endurcis dans le mal, et les second confirmés dans la béatitude. C’est, en d’autres termes, la question du rôle de la grâce dans l’épreuve, la persévérance et la béatitude des anges. Robert Pullus, op. cit., 1. II, c. v, recherche si les bons anges ont eu la béatitude dés leur création. Suivant Pierre Lombard, dist. IV, quelques auteurs l’affirmaient alors ; ils disaient en conséquence qu’il n’y avait pas eu d’intervalle entre la création des anges et leur mise en possession du ciel. Robert Pullus combat cette opinion ; il estime très justement que les anges ont eu d’abord la foi, et ensuite seulement la vision de Dieu. Mais il ne s’explique point sur la nature de cette foi. Les autres théologiens que nous avons cités se demandent non pas si les anges étaient bienheureux, mais s’ils étaient bons ou mauvais durant leur épreuve. La solution qui devait prévaloir au xine siècle, savoir qu’ils possédaient la grâce habituelle, n’est donnée par personne au XII". Pierre Lombard, // Soit., dist. III, nous parle d’une opinion suivant laquelle les démons auraient îlemauvais dès le temps de leur création. Rupert semble admettre cette opinion dans son commentaire sur saint Matthieu. Loc. cil. C’était faire de Dieu l’auteur du mal, puisque c’est lui qui a créé les démons. Rupert le remarque et change de sentiment dans le De Trinitatis operibus, I. I, c. xii-xvi ; cet auteur semble même croire, dans son De Victoria verbi, 1. 1, c. xxv, que les démons ont

reçu la béatitude céleste, non pas au moment de leur création, mais avant leur chute. Cf. De Trinit. op., 1. I, c. xi.

La question fut résolue d’une façon très nette et très ferme par saint Anselme, dans le traité De casu diaboli, qu’il écrivit à cette fin. Selon lui, le démon et les bons anges furent créés de Dieu avec une nature bonne. Ils reçurent également de Dieu de vouloir et pouvoir persévérer dans le bien, c. m. Les mauvais anges ne reçurent pas la persévérance, parce qu’ils tombèrent dans l’orgueil, et voulurent s’élever d’une façon contraire à la volonté de Dieu. Rupert, De Victoria Verbi. 1. I, c. viii-xii, avait attribué à Satan d’avoir cherché à se faire adorer comme Dieu par les autres anges ; mais saint Anselme croit qu’avec leur intelligence, les démons n’auraient pas eu la folie de vouloir être dieux. Ils méritèrent la damnation, sans avoir prévu cette conséquence de leur conduite, mais ils savaient qu’ils agissaient mal et qu’ils se rendaient dignes d’un châtiment (qui pourrait ou non leur être inlligé). Cf. Roland Bandinelli, p. 95, et Honorius d’Autun, c. vu. Les bons anges persévérèrent et obtinrent la béatitude par un don de Dieu ; car ils doivent à Dieu tout ce qu’il y a eu de bien en eux ; ils lui doivent d’avoir pu persévérer et d’avoir persévéré (saint Anselme distingue les deux grâces qu’on appellera plus tard suffisante et efficace, la première donnée aux démons, la seconde accordée aux bons anges) et de posséder la béatitude. Ces enseignements si précis se retrouvent au moins pour ce qui regarde la grâce actuelle accordée aux bons anges, dans les sommes qui furent écrites à partir de cette époque par Robert Pullus, c. rVjj Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, c. xxiv, xxvii ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. iii, et Pierre Lombard, II Sent., dist. V. Roland Bandinelli, p. 89-93, affirme que les démons furent créés bons ; mais il s’applique à démontrer qu’ils ne possédèrent jamais la charité qu’Abélard leur avait attribuée. Dialogus inter philos, judseum et christianum, P. L., t. clxxviii, col. 1659. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, c. xvi, dit qu’ils avaient la perfection qui convenait au temps de l’épreuve, mais non celle qui devait les rendre bienheureux. Il semble faire consister cette perfection du temps de leur épreuve dans la liberté et d’autres avantages purement naturels, c. xii, xix, xx. Sa manière de voir est néanmoins adoptée par Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. ii, iii, et par Pierre Lombard, // Sent., dist. IV.

Tous les théologiens du {{rom|xii)e siècle sont d’accord qu’en fait les démons seront, toujours endurcis dans le mal et que les bons anges sont à jamais confirmés dans le bien. Voir Honorius, c. viii, x ; S. Anselme, op. cit., c. vi ; Robert Pullus, c. vi ; Roland Bandinelli, p. 95 ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. iv ; Pierre Lombard, dist. VIL Cependant ils sont portés à croire que les uns et les autres ont conservé leur libre arbitre. Saint Anselme, c. xvii, xxv, pense que les démons ne peuvent plus vouloir le bien, faute de grâce, et que les bons anges ne peuvent plus pécher par crainte de la damnation qui a frappé les démons ; c’est aussi le sentiment de Robert Pullus, c. v. Pierre Lombard, dist. VII, estime même que le libre arbitre des bons anges est plus parfait depuis la fin de leur épreuve. Il croit aussi, dist. VII, que les bons anges ont gardé la liberté de faire le mal, et les mauvais celle de faire le bien, encore qu’ils n’en usent jamais. Cet auteur, dist. V, incline même à penser que les bons anges méritent aujourd’hui, par leur conduite vis à vis des hommes, la béatitude qu’ils ont.obtenue jadis. Cette opinion cadre assez bien avec un autre sentiment de Rupert d’après lequel Jésus-Christ a été la (in de la création des anges qui ont la mission d’aider les hommes rachetés par lui. De glorif. Trinit., 1. III, c. xxi. Pierre Lombard, dist. XI, dit encore que l’amour des anges pour Dieu et leur connaissance de la vérité augmenteront avec leurs mérites jusqu’au jour du jugement. Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. vi, admet aussi que la connaissance des anges augmentera jusqu’au jour du jugement ; mais il attribue cet accroissement au bon plaisir de Dieu et non à leurs mérites.

3. Spiritualité des anges. — Une autre question qui préoccupe moins les auteurs du {{rom|xii)e siècle, mais à laquelle la plupart s’arrêtent, c’est celle de la spiritualité des anges. Rupert admet qu’ils ont un corps aérien, qui a été changé en un corps céleste dans les bons anges, De Victoria Verbi, 1. I, c. xxviii, P. L., t. clxix, col. 1262, et en un corps d’air épais et humide dans les démons. De Trinitatis oper., 1. I, c. xi, P. L., t. clxvii, col. 209. Honorius d’Autun déclare les anges incorporels, Elucidarium, c. x, P. L., t. clxxii, col. 1116 ; mais il vient de dire un peu plus haut qu’ils sont un feu spirituel, suivant cette parole de l’Épitre aux Hébreux, t, 7, qui facit angelos suos ftammam ignis. Saint Bernard attribue aux bons anges un corps éthéré, De consideratione, 1. V, c. iv, P. L., t. clxxxii, col. 790, après avoir dit à la page précédente que ce sont des esprits, lbid., c. iii, col. 789. Il reconnaît, il est vrai, que l’existence de leur corps éthéré est contestée par divers docteurs, mais, pour ce qui le regarde, il s’applique à démontrer cette existence, In cantica, serm. v, n. 2, P. L., t. clxxxiii, col. 799, par les ministères que remplissent les esprits célestes. Robert Pullus, c. il, et Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, c. vii, affirment la spiritualité des anges, d’une manière qui paraît absolue. Roland Bandinelli semble leur attribuer l’incorporéité lorsqu’il leur refuse les trois dimensions, p. 89 ; mais il semble d’autre part leur accorder seulement la môme spiritualité qu’aux âmes ; car il dit que les anges sont la forme de toutes les âmes futures, comme les quatre éléments sont la matière de tous les corps, p. 87. Pierre Lombard, dist. VIII, attribue expressément un corps aérien aux bons et aux mauvais anges. Il pense que c’est ce corps qui permet aux démons d’être torturés par les flammes de l’enfer. Il se demande si, dans leurs apparitions aux hommes, les bons anges transforment leur corps pour le rendre visible, ou s’ils prennent un corps différent de ce corps éthéré pour se montrer à nos yeux, question que s’était déjà posée saint Bernard, In cantica, serm. v, n. 7, P. L., t. ccxxxiii, col. 801.

4. Autres questions. — Abélard a-t-il admis que les anges sont en dehors de tout lieu ? Epilome, c. xxvii, P. L., t. clxxviii, col. 1738. On l’a conclu de ses raisonnements ; mais il ne le dit en réalité que de Dieu. Ses disciples, comme Roland Bandinelli, p. 88 » et les autres théologiens de l’époque enseignent que les anges sont dans un lieu. Rupert, De Victoria Verbi, 1. I, c. xxv ; De Trinit. op., 1. 1, c.xi, dit qu’ils ont été créés en dehors du ciel des bienheureux où ils ont été ensuite placés. Ils ont été créés dans le ciel empyrée, suivant Honorius, c. vu : Robert Pullus, c. n ; Roland Bandinelli, p. 88 ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. i ; Pierre Lombard, dist. IL — Bupert, De glorif. Trinit., 1. II, c. n ; De Trinit. op., 1. I, c. x, et Honorius d’Autun, c. VI, disent que les anges ont été créés au premier jour quand Dieu dit : Fiat lux. Robert Pullus, c. ii, soutient au contraire qu’ils ont été créés, avec la matière, suivant ce texte : In prïncipio creavit Deus cselum et terrant, où cxluni désignerait les anges ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. iii, partage cet avis ; il ajoute que les bons anges ont été confirmés en grâce, au premier jour, quand Dieu dit : Fiat lux. Pierre Lombard, dist. II, rapporte cette opinion ; mais son sentiment, celui de Roland Bandinelli, op. cit., p. 86, 87 ; de Hugues de SaintVictor, De sacramentis, c. iv ; du Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. i, c’est que les anges ont été créés en même temps que les corps, d’après cette parole de l’Ecclésiastique, xviii, 1 : Creavit omnia simul.

Les sommes théologiques du {{rom|xii)e siècle affirment le caractère personnel des anges, leur science, leur liberté, mais sans développer ces affirmations. Elles insistent davantage sur l’inégalité qui règne dans le monde angélique. La doctrine du Pseudo-Denys sur les neuf chœurs des anges est acceptée par Robert Pullus, c. m ; Roland Randinelli, p. 97 ; Hugues, De sacramentis, c. ix ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. v ; Pierre Lombard, dist. IX. Cependant Roland Bandinelli, p. 98, et la Somme des sentences, c. v, attribuée à Hugues de Saint-Victor, énumèrent ces neuf chœurs dans un ordre un peu différent de celui de l’Aréopagite. Bupert, De glorif. Trinit., 1. III, c. xvii, Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, c. xxx ; Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. v, pensent que la division hiérarchique des anges a précédé la chute du démon et l’entrée des bons anges dans la béatitude. Boland Bandinelli, p. 101, et Pierre Lombard, dist. IX, estiment au contraire qu’elle l’a suivie.

Personne ne doute au {{rom-maj|XII)e siècle de l’assistance que nous recevons des anges gardiens. Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. vi, et Pierre Lombard, dist. XI, se demandent si chaque homme a un ange gardien particulier. Ils répondent qu’il est plus probable qu’un même ange s’occupe de plusieurs hommes. Ils pensent en effet qu’il y aura au ciel autant d’hommes sauvés que d’anges bienheureux. Ils en concluent que la milice céleste n’est point assez nombreuse pour fournir à chaque homme un ange particulier. Saint Bernard n’examine pas ce point, mais il expose dans des pages célèbres quel est le ministère des bons anges vis-à-vis des hommes et quels sont les devoirs des hommes vis-à-vis d’eux. In Psalm. Qui habitat, serm. xi-xiv, P. L., t. clxxxiii, col. 225-238. — Boland Bandinelli, p. 100 ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, c. xxxm ; Pierre Lombard, dist. X, connaissent la théorie dyonisienne qui réserve les missions, dans le monde matériel, aux seuls anges des chœurs inférieurs, et la théorie opposée qui les attribue aussi bien aux anges des hiérarchies supérieures. Hugues, De sacramentis, c. xxxiii, et Pseudo-Hugues, Sum. sent., c. vi ; Pierre Lombard, dist. X, exposent ces deux opinions sans se prononcer entre elles. Roland Bandinelli, p. 100, soutient que les missions sont données aux anges de tous les chœurs, quoique les anges supérieurs en reçoivent plus rarement.

III. {{rom-maj|XIII)e SIÈCLE JUSQU’A SAINT TlIOMAS D’AQUIN. —

L’influence d’Aristote et des philosophes arabes se fait sentir ; mais on combat leurs théories sur les esprits supérieurs au lieu d’y souscrire. Voir plus loin Angélolouie parmi les averroïstes latins, col. 1260. Guillaume d’Auvergne refuse d’admettre leur doctrine qui fait des anges les moteurs ou même les âmes du ciel et des astres. De universo, part. II, c. lxxxv, xcvi, xcvii, Opéra, Paris, 1674, p. 910, 950, 951. Albert le Grand, IV Sent., 1. II, dist. II, III, sou tient que les anges dilfèrent des intelligences séparées dont traitent les philosophes. Il rejette les conséquences fatalistes que les Arabes tiraient de leur système relativement à l’influence du ciel sur la terre. Il montre que les anges ne sauraient connaître les événements d’ici-bas par l’action qu’ils exercent sur les cieux. Le traité des anges de Guillaume d’Auvergne est considérable. Il forme la deuxième et la troisième partie de son ouvrage De universo ; mais l’exposition est plus oratoire que précise et il n’est pas toujours facile d’en saisir les conclusions. A partir d’Alexandre de Halès, le traité des anges prend au contraire une forme didactique que l’on retrouve dans les commentaires du second livre des Sentences, de saint Bonaventure et d’Albert le Grand. Ces ouvrages s’inspirent plus de la psychologie d’Aristote que des théories de ce philosophe et des philosophes arabes sur les esprits supérieurs. Les vues de ces théologiens n’ont pas encore tout le caractère systématique que nous allons rencontrer chez saint Thomas d’Aquin et chez Duns Scot ; mais la doctrine de saint Thomas se prépare déjà dans les opinions de son maître Albert le Grand, comme celles de Duns Scot s’élaborent dans les écrits des docteurs franciscains Alexandre de Halos et saint Bonaventure.

La question de la nature spirituelle des anges se pose toujours ; mais elle a fait des progrès. Les auteurs du XIIIe siècle délinissent les anges, des esprits qui ne sont pas destinés à être unis à des corps et qui n’ont pas besoin de corps. Cette notion se trouve déjà indiquée dans Guillaume d’Auvergne, mais cet auteur n’aftirme pas encore avec certitude que l’ange n’a point de corps éthéré. Loc. cit., c. i, il, xxvii, xxviii. Alexandre de Halès, saint Bonaventure et Albert le Grand ne doutent plus de ce point, seulement ils se demandent si les anges sont composés de matière et de forme, et si la matière dont ils seraient composés est une matière commune aux esprits et aux corps. Alexandre de Halos, Summa, part. II, q. xx, m. ii, le soutient contre les philosophes, et saint Bonaventure, IV Sent., l. II, dis t. III, part. I, a. 1, incline vers le même sentiment. Voir dans l’édition de saint Bonaventure, Quaracchi, 1885, t. il, p. 92 sq., une dissertationsurcettethéoriedudocteur séraphique. Voir aussi plus haut l’article Ame, col. 1028. —Albert le Grand, / V Sent., l. II, dist. 1 1, a. 2, dit au contraire qu’il n’y a pas de matière commune aux anges et aux corps, que l’ange n’est pas composé de matière, mais seulement de possible et de nécessaire, d’individualité (quod est), et de nature (quo est). Aucun de ces théologiens n’attribue aux anges la connaissance sensible ; mais les docteurs franciscains accordent à l’intelligence angélique le pouvoir de percevoir directement les événements particuliers, à mesure qu’ils arrivent. Alexandre de Halès, ibid., q.xxii ; S. Bonaventure, 1 V Sent., l. II, dist. III, part. II, a. 2, q. I. Le docteur dominicain soutient que l’ange connaît les événements d’ici-bas par des idées reçues dès sa création ; seulement, il ajoute que ces idées ne sent ni universelles ni particulières, qu’elles se prêtent à devenir l’un ou l’autre, suivant le besoin. IV Sent., l. II, dist. III, a. 15, 16. Ce n’est pas encore la ferme doctrine que nous verrons professer par le docteur angélique.

Les enseignements de saint Anselme que le démon n’a pu être créé mauvais, ont prévalu. Le sentiment contraire a même été condamné par Guillaume de Paris. D’Argentré, Collectio judiciorum, t. i, p. 186, Paris, 1728. Tout le monde admet donc qu’il s’est écoulé un intervalle entre la création des anges et l’acte de libre arbitre qui a fixé leur sort. Alexandre de Halès, ibid., q. xxtx ; Albert le Grand, ibid., dist. III, a. li ; S. Bonaventure, IV Sent., 1. IL dist. III, a. 7. Les anges qui allaient être soumis à l’épreuve ont-ils reçu l’état de grâce au moment même de leur création ? Albert le Grand le croit, ibid., dist. III, a. 12. Mais saint Bonaventure incline à penser que ni les bons, ni les mauvais anges n’ont reçu l’état de grâce avant leur épreuve. A son avis, les démons n’ont jamais été élevés à l’état surnaturel ; les bons anges y ont été élevés en même temps qu’ils furent gloriliés. IV Sent., l. II, dist. IV, a. 1, q. H. Telle avait étéaussi l’opinion d’Alexandre de Halès. Sum. theol., l. II, q. xix, m. il, a. 5. Il faut remarquer que ces auteurs ne refusent pas aux anges la grâce actuelle dans leur épreuve, mais seulement la grâce habituelle. Cf. S. Bonaventure, Opéra, Quaracchi, 1885, t. il, p. 134, Scholion.

Mignon, Les origines de la scolastique et Hugues de Saint-Victor, Paris, -1895, c. ix, Les anges (doctrine de saint Anselme, de Rupert, d’Honorius d’Autun et surtout de Hugues de Saint-Victor), 1. 1, p. 339-373 ; dom Cellier, Histoire des auteurs sacrés, ï édition, Paris, 1858 sq. (doctrine d’Ambroise Autpert, t. xii, p. 122 ; de Rathère de Vérone, t. xii, p. 827 ; d’Hildebert du Mans, t. xiv, p. 219 ; d’Honorius d’Autun, t. xiv, p. 300 ; de Robert Pullus, I. XIV, p. 393 sq. ; do saint Bernard, t. XIV, p. 405, 486 ; do Pierre Lombard, t. xiv, p. 355 sq.) ; Petau, De angelis, l. I, c. xiii, n. 816 (doctrine du misiècle sur la localisation des anges) et passim, dans Dogmata theologica, Paris, 1805, t. iii, p. 679 sq.