Dictionnaire de théologie catholique/MESSE II. La messe d'après les Pères, jusqu'à saint Cyprien

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 10.1 : MARONITE - MESSEp. 439-489).

Irénée élargit ainsi la conception primitive du sacrifice purement spirituel. Introduisant l’idée de l’oblation d’un don visible et matériel, il fit présenter à Dieu le pain et le vin comme les prémices de la création rachetée. Cette conception était une nouveauté et Irénée s’en serait rendu compte. D’ailleurs, en même temps qu’il l’adopta, il garda la notion plus ancienne selon laquelle les paroles de la cène font du pain et du vin le corps du Seigneur et sont ainsi le véritable sacrifice chrétien. La conception nouvelle imaginée par l’évêque de Lyon ne fut pas. d’abord acceptée partout. Tertullien resta fidèle à l’idée antique de la simple offrande d’action de grâces et de prières. Mais, en Orient, Origène lui aussi parla du sacrifice de prémices. En Occident, saint Cyprien adopta la pensée qui désormais fut incorporée à la foi chrétienne. Tantôt il montra dans le pain et le vin la matière d’une offrande, dans le corps et le sang celle d’un sacrifice, tantôt il tint les deux termes pour synonymes. Cependant, même chez lui, il serait encore possible de relever des expressions qui rappelleraient l’ancien concept de l’offrande purement spirituelle d’action de grâces et de prières.

On peut ramener à trois les arguments de Wieland à l’appui de sa thèse. Avant saint Irénée, les Pères ne parlent pas d’une oblation rituelle. Plusieurs écrivains chrétiens déclarent que seul plaît à Dieu le sacrifice des lèvres et du cœur. Il n’y a pas d’autel dans l’assemblée chrétienne.

Les affirmations de Wieland ont été fortement combattues, notamment par E. Dorsch, A. Schmid, A. Huppertz, G. Rauschen, A. d’Alès, J. Lebreton, H. Lamiroy, J. Brinktrine, M. de la Taille (voir une bibliographie de cette controverse dans Lamiroy, op. cit., p. 31). De deux côtés opposés, un même jugement a été porté sur elles. D’une part, les livres de Wieland ont été mis à l’Index ; d’autre part Harnack a écrit d’eux qu’ils sont « au fond, une attaque victorieuse des opinions catholiques traditionnelles. Nulle part on ne s’aperçoit que l’auteur est catholique. » Theol. Lilcralurzeitung, 1906, p. G27.

Wieland n’a fait que pousser à l’extrême la conclusion de F. S. Renz, Die Geschichte des Messopfcrbegriffs oder der aile Glaube und die neuen Theorien iiber das Wesen des unbluligen Opfers, 2 vol., Frisinguc, 1901-1902. D’après ce dernier, le sacrifice chrétien est un repas sacré, avec préparation, et communion, par lequel on imite l’acte dont Jésus a donné l’exemple. Sans doute, la consécration est nécessaire pour que soient présents le corps et le sang qui doivent être consommés. Toutefois le rite eucharistique n’est pas un sacrifice non sanglant qui se termine par un repas, « il est essentiellement un repas qui revêt un caractère de sacrifice ». La consécration elle-même n’est qu’une partie du festin, sa préparation. Rcnz croit découvrir cette conception chez les premiers écrivains chrétiens. Il ne pense pas d’ailleurs qu’ils introduisent dans la foi primitive une conception nouvelle, et il estime que l’Écriture n’a pas parlé du sacrifice de la messe, cette vérité nous serait connue uniquement par la Tradition chrétienne. — Nous allons confronter ces allégations avec les témoignages des plus anciens écrits chrétiens.

II. Jusqu’au milieu du iie siècle. — 1° La Doctrine des douze apôtres (Didachè) (Entre 90 et 120.

— Orient : Palestine ? Egypte ?).

1. Deux textes sont à relever ; l’un sur les prières de l’action de grâces (ix, x) ; l’autre sur l’assemblée dominicale (xiv et xv, 1).

a) Les prières de l’action de grâces (ix et x). — ix, 1. « Quant à l’action de grâces, cù/ap’.aTÎoc, rendez grâces, s’j/y.z’.Gzfc-jL-z, ainsi : 2. D’abord pour la coupe : « Nous te rendons grâces, eùyap>.a70’j(.ts/ ooi,

DICT. DE THÉOL. CA.TH.

ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. A toi la gloire dans les siècles ! » 3. Puis pour le pain rompu, xXâa(i.aToç : « Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la vie et la science que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. A toi la gloire dans les siècles I 4. Comme ce pain rompu, xXâ(7U.a, autrefois disséminé sur les collines, a été rassemblé pour devenir un seul tout, qu’ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la lerre dans ton royaume. Car à toi la gloire et la puissance par Jésus-Christ dans les siècles ! » 5. Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur, car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. »

x, 1. « Après vous être rassasiés, rendez grâces ». ainsi : 2. « Nous le rendons grâces, Père saint, pour ton saint nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, pour la connaissance, la foi et l’immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. A toi la gloire dans les siècles. 3. C’est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l’univers en l’honneur de ton nom, qui as donné aux hommes la nourriture et la boisson en jouissance pour qu’ils te rendent grâces, £ÙXa.piaT7]G(x)Gw. Mais à nous tu as octroyé un aliment et un breuvage spirituels ainsi que la vie éternelle par ton serviteur. 4. Avant tout, nous te rendons grâces parce que tu es puissant. A toi la gloire dans les siècles. 5. Souviens-toi, (j.vr ; aOY)"u, Seigneur, de ton Église pour la délivrer de tout mal et la rendre parfaite en ton amour. Rassemble-la des quatre vents, cette Église sanctifiée, dans ton royaume que tu lui as préparé. Car à toi la puissance et la gloire dans les siècles. 6. Vienne la grâce et et que passe ce monde ! Hosanna au Dieu de David ! Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ! Si quelqu’un ne l’est pas, qu’il fasse pénitence ! Maran atha (Le Seigneur vient ou que le Seigneur vienne) Amen. 7. Laissez les prophètes rendre grâce, sù/apioTsiv, autant qu’ils voudront ! »

b) L’assemblée dominicale (xiv-xv, 1-2). xiv. 1. « RéunissezVous, auva/ÔévTsç, le jour dominical du Seigneur, rompez le pain, xXâaxTE, et rendez grâces après avoir au préalable confessé vos péchés, afin que votre sacrifice, Ouata, soit pur. 2. Quiconque a un différend avec son compagnon, ne doit pas se joindre à vous avant de s’être réconcilié, de peur de profaner votre sacrifice, Guaîa. C’est le sacrifice dont le Seigneur a dit : « Qu’en tout lieu et en tout temps on m’offre un sacrifice, Outnav, pur, car je suis un grand roi et mon nom est admirable parmi les nations. »

xv, 1. « Donc, pour vous, élisez-vous des évêques et des diacres dignes du Seigneur, hommes doux, désintéressés, véridiques et éprouvés ; car eux aussi pour

vous ils font le service liturgique, XîiToupy^ûaiv

ty)v XsiToupytocv, des prophètes et des docteurs, SiSxaxâXov. 2. Donc ne les méprisez pas, car ils sont des hommes honorés d’entre vous, avec les prophètes et les docteurs. »

2. Discussion.

On le sait, petit catéchisme à

l’usage des fidèles, la Doctrine des douze apôtres, après avoir brièvement exposé les règles qui conduisent à la vie et font éviter la mort (i-vi), donne aux disciples du Christ une comte instruction liturgique : vn-x. C’est là qu’il est parlé du baptême, du jeûne et de la prière, puis de l’action de grâces ou eucharistie, ix-x. Ce qui est dit des assemblées dominicales se trouve dans une troisième partie disciplinaire sur la vie de communauté, xi-xvi.

a) (Caractère eucharistique de ces textes. — Comment comprendre les c. ix et x ? A cette question bien des

X. — 28

réponses ont été faites. Plus communément on estime que toutes les prières se rappoitent à l’eucharistie. Celles du c. ix la précéderaient, celles du c. x la suivraient. Voir dans Struekmann, Die Gegenwart Christi in der II. Eucharistie, Vienne, 1900, p. 3, et dans BatiiTol, L’eucharistie, 8e édit., Paris, 1920, p. 01, une liste très longue des partisans de cette opinion. Nommons seulement les noms de Funk, Jacquier, Hemmer, Harnarck, Spilta, Rauschen, Drevvs, Goguel, Wieland, Baumstark, Struekmann, Balilïol. De plus en plus elle est admise.

D’après une autre opinion, les prières du c. ix précèdent l’agape, la première partie du c. x la suit et en est l’action de grâces. La fin du même chapitre, est une invitation à la communion eucharistique. Le nombre des tenants de cette opinion est peu considérable. Struekmann. cite Zahn, Weizsàcker, Wohîenberg, Haupt, Renesse, Berning.

Enfin, d’après une troisième opinion, il ne serait question dans les c. ix et x que de l’agape. Et c’est seulement au c. xiv que la Didachè parlerait de l’eucharistie. Ladeuze, L’eucharistie et le repas commun des fidèles dans la Didachè, dans Revue de l’Orient chrétien, Paris, 1902, p. 339-359 ; A. Sabatier, La Didachè ou l’enseignement des douze apôtres, Paris, 1885, p. 99, 110 ; Leclercq, art. Didachè, dans Diction, d’archéologie, t. iv, col. 782-791.

L'étude des prières des c. ix et x montrera qu’il est impossible de ne pas les entendre de l’eucharistie. L’interprétation contraire « se heurte à des difficultés insurmontables ». Lebreton, La prière dans l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 1924, p. 111, « Pas d’hésitation possible, écrit Batiffol, ce n’est pas un repas quelconque qui est décrit ni une agape, mais l’eucharistie, rien qu’elle. » Op. cit., p. 60.

Observons d’abord que l’action de grâces ou eucharistie avec fraction du pain, dont parie xiv, 1, correspond à l’action de grâces ou eucharistie des c. ix et x (ix, 1, 2, 3 ; x, 1, 3, 4) accompagnée elle aussi de la fraction du pain (ix, 3, 4). L’auteur a très bien pu, en deux passages distincts, parler du même objet. Il avait une raison de le faire. Les c. ix et x se trouvent dans la partie liturgique où sont exposées les règles relatives au baptême, au jeûne, au Pater ; il est tout naturel que les prières de l’eucharistie y soient elles aussi insérées : on la célébrait après le baptême. Quant au c. xiv, il se place au milieu d’ordonnances disciplinaires relatives à la vie de la communauté chrétienne, et où souvent il est question des assemblées. C’est donc bien là que l’auteur devait, semble-t-il, sans reproduire à nouveau cette fois les prières à réciter, faire connaître l’obligation de tenir chaque dimanche une réunion eucharistique. Ainsi le rite « décrit au c. xiv n’est pas autre que celui des c. ix et x ». Lietzmann, op. cit., p. 232. C’est d’rvlleurs ce que fera ressortir l’exégèse même des textes.

b) Exégèse des textes. — a. Le rite dont il s’agit est un sacrifice : Ouata. La Didachè ne se contente pas de l’affirmer en passant. Elle le dit trois fois en quelques lignes, xiv, 1, 2, 3. Bien plus, elle montre qu’elle entend ce mot au sens propre.

Pour prouver que l’assemblée doit être pure, elle invoque la parole de Jésus que nous lisons Matth., v, 23-24 : « Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton oblation devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter tes offrandes. » Dans ce passage, il est parlé du culte du temple, donc de sacrifices proprement dits. — Le second argument mis en avant pour exiger la pureté de l’assemblée chrétienne n’est pas moins probant. C’est la prophétie de Malachie.i, 1 1, rapportée

ici en ces termes : « Qu’en tout lieu et en tout temps on m’otîre un sacrifice pur : car je suis un grand roi, dit le Seigneur, et mon nom est admirable parmi les nations. « Soutenir que ce qui est comparé ici c’est uniquement la pureté du sacrifice prédit par Malachie et celle du rite décrit par la Didachè, Wieland, Der vorirenaische Opferbegrifj, p. 30 sq., c’est supprimer la moitié du texte. Voir Lamiroy, op. cit., p. 240. La Didachè ne dit pas que Malachie annonce un rite religieux pur, mais un sacrifice pur. Ainsi l’auteur affirme, il prouve qu'à l’assemblée du dimanche la fraction du pain et l’action de grâces sont une Ouata, un sacrifice. Cf. Brinktrine, Der Messopferbegriff in den ersten zwei Jahrhunderten, Fribourg 1918, p. 01-65. Un tel texte est à coup sûr bien gênant pour qui îefuse à la cène chrétienne piimitive ce caractère. Aussi J. Réville se demande-t-il un instant si l’appel à Malachie ne serait pas une interpolation. Les origines de l’eucharistie, Paris, 1908, p. 54. L’hypothèse est si audacieuse, si gratuite, que l’auteur n’essaye pas de s’y arrêter. Il préfère ajouter que le rapprochement du sacrifice de Malachie avec le rite chrétien est « purement superficiel et extéiieur ». Rien ne l’indique, rien ne contraignait la Didachè à employer trois fois en quelques lignes le même mot 6uaîa et lui seul, sans donner aucune explication qui lui enlève sa signification naturelle, le sens qu’il avait pour des Orientaux à l'époque où fut composé cet éciit. L'étude d’ailleurs de toutes les données de la Didachè sur l’eucharistie nous permettra de voir si le sacrifice est ici une simple prière.

b. « Le jour dominical du Seigneur », le dimanche, se tient une assemblée des membres de la communauté, une synaxe, cwayGivzeç. xiv, 1. Elle n’est pas facultative. Il est impéré aux fidèles de s’y rendre, pour rompre le pain, ouva/OévrEç x>.àaaT£. Thibaut, La liturgie romaine, Paris, 1924, p. 33, a essayé de démontrer que la locution grecque traduite par les mots « le jour dominical du Seigneur » doit se comprendre ainsi : « selon le précepte dominical du Seigneur ». Cette interprétation ne paraît pas s’imposer. Au reste, comme l’observe Thibaut, du moment que l’assemblée est prescrite, elle devait avoir lieu le dimanche

c. En vue de cette assemblée, la communauté doit se choisir des évêques et des diacres, afin qu’ils y fassent pour les fidèles « le service liturgique des prophètes et des docteurs ». xv, 1. Cette expression ne satisfait qu’imparfaitement notre curiosité. Cependant deux points sont hors de doute. D’abord il faut distinguer dans l’assemblée chrétienne d’une part des assistants, d’autre part des personnes qui font le service liturgique, xv, 1. Dans les Septante ce mot désigne le culte public, le service des prêtres et des lévites. Si n’impoite quel fidèle pouvait accomplir tout ce qui doit avoir lieu au cours de la synaxe chrétienne, l’ordre de choisir des évêques et des diacres, la recommandation de réserver pour cet office des hommes de grande vertu, xv, 1, n’auraient eu aucune raison d'être. Prophètes et docteurs, évêques et diacres sont investis à la réunion dominicale de fonctions liturgiques proprement dites, qui les distinguent du peuple et leur donnent le droit d'être honorés de lui. xv, 2. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 03.

Que font à la réunion du dimanche ces élus de la communauté? L’office du docteur, la Didachè ne le détermine pas, mais c'était à coup sûr, une fonction d’enseignement. Quant au prophète, il est ordonné qu’on le « laisse rendre grâces autant qu’il le voudra ». Il a donc qualité pour prendre seul la parole, diriger la pensée de l’auditoire, en d’autres termes, pour présider la cérémonie. Aussi la Didachè présente-t-elle

les prophètes comme les grands prêtres des chrétiens. xiii, 3. Mais, elle le fait observer elle-même, il peut n’y avoir pas de prophète, xii, 4, et si ce personnage et le docteur ont le droit de vouloir s'établir à demeure dans une communauté, ils sont toutefois avec l’apôtre plutôt présentés comme des ministres itinérants de la parole de Dieu, xi, 1, 4-5. Voilà pourquoi les fidèles d’une Église locale doivent choisir des hommes d’entre eux, xv, 2, non pas des passants, mais des personnes dont on a eu le temps d’apprécier sur place les qualités, xv, 1, afin que ces élus, évoques ou diacres, fassent le service liturgique des prophètes et des docteurs, qu’ils en tiennent lieu (Ersalzleute, dit Lietzmann. op. cit., p. 232). En d’autres termes, ils président l’assemblée, y enseignant et y exerçant les fonctions liturgiques. Si le prophète est le grand prêtre de la communauté chrétienne, xiii, 3, l'évèquc lui est assimilé. Batiffol, op. cit., p. 64, n.2.

d. Le mot eucharistie semble déjà être comme « le terme technique » par lequel on désigne la cène chrétienne. Non seulement la locution action de grâces, z-'r/ y.z<.azir, ou le verbe rendre grâces, eùyapiaTeTv, sont employés dix fois dans les c. ix, x, et xiv, mais l’usage paraît déjà s'être établi de désigner par cette expression, non plus seulement l’acte de remercier Dieu pour ses bienfaits, mais le rite liturgique et les éléments consacrés : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie. » ix, 5. « Laissez les prophètes eucharistier autant qu’ils le voudront. » x. 7. Fortescue, op. cit., p. 12, 15.

e. Y avait-il une prédication ? La Didachè ne le dit pas. Mais elle ordonne qu’en raison de l’assemblée du dimanche on choisisse des évêques et des diacres chargés de l’office liturgique des prophètes et des docteurs, xv, 1. Il est donc permis de penser que ces élus de la communauté devaient remplir à la réunion dominicale quelque fonction d’enseignement.

I. Avant la fraction, les assistants étaient tenus de confesser leurs péchés, afin que leur acte fût pur. xiv, 1. Bien plus, si un fidèle avait un différend avec un compagnon, il ne pouvait se joindre à l’assemblée avant de s'être réconcilié, « pour que le sacrifice des chrétiens ne fût pas profané ». xiv, 2. Déjà on lisait dans la partie morale de la Didachè : « Dans l’assemblée, bi èxxXyjaîq :, tu confesseras, è^ctxoXoyY)aY), tes péchés et tu n’iras pas à la piière avec une conscience mauvaise. » iv, 14. On ne précise pas de quelle manière devait s’accomplir cette confession ; mais il est visible qu’il n'était pas seulement recommandé de faire un acte intérieur.

g. Une fraction du pain avait lieu. Elle est mentionnée trois fois, ix, 3 : ix, 4 ; xiv, 1. C'était une action liturgique des officiants. Car la Didachè ne dit rien de la manière dont elle s’opérait, des paroles qui l’accompagnaient. Rien de plus naturel que ce silence si cet acte était réservé aux célébrants chargés du service liturgique, puisque la Didachè est un vade mecum des fidèles et non un missel, un rituel, un traité pastoral à l’usage des évêques et des diacres, des prophètes et des docteurs. Au contraire, si cette fraction devait être accomplie par les fidèles, on ne comprendrait pas qu’elle ne fût pas décrite.

D’autre part, on sait que ces mots désignent à l'âge apostolique non seulement le partage du pain en plusieurs morceaux, mais l’accomplissement de la cène. Act., ii, 42 et probablement ii, 46 ; cf. Act., xx, 7. La formule rompre le pain est parallèle, dans saint Paul, à celle de bénir la coupe, I Cor, x, 16, autant dire qu’elle équivaut à faire des aliments le repas du Seigneur. Quand donc la Didachè écrit : TCpi. toû y.'Li’j[i’x-o^, elle suppose que le pain est déjà rompu, que le président de l’assemblée chrétienne a

déjà prononcé sa propre prière eucharistique ». Hemmer, Doctrine des Apôtres, dans les Pères apostoliques, t. i, p. xux, Paiis, 1909.

Si cet écrit n’a pas à nous faire savoir ce que les officiants étaient tenus de dire, s’il reproduit seulement des prières prononcées par les assistants, on s’explique pourquoi ne sont pas plus expressément signalées : l’institution de l’eucharistie par Jésus, les paroles employées par lui au cénacle, les rappoits qui existent entre le pain et son corps, le vin et son sang, l’alliance nouvelle scellée dans le bieuvage de la coupe de la cène, la mort expiatoire du Sauveur. Sais doute la fraction et la bénédiction du calice, les paroles dites par celui qui accomplissait cette liturgie exprimaient ces pensées.

h. La fraction opérée, les fidèles rendent grâces. Et leur prière est reproduite. Avant de l'étudier et de considérer les autres paroles mises sur les lèvres des assistants deux remarques générales s’imposent.

Que représentent les formules ici transcrites ? Elles sont extrêmement courtes, on peut les réciter toutes à haute voix en une minute.

N’est-il donc pas permis de supposer qu’elles sont les phrases par lesquelles le peuple répond au discours des officiants, prophète ou docteur, évêque ou diacre ? Ceux-ci, en raison de leur charisme ou de leur science, de leur élection et de leurs qualités, ont le droit d’improviser leurs prières eucharistiques sur un thème uniforme. Il en est encore ainsi beaucoup plus tard. Duchesne, Bulletin critique, Paris, 1887, p. 363. Les prophètes, dit la Didachè, peuvent faire « l’action de grâces aussi longuement qu’ils le veulent ». x, 7.

Mais des abus eussent été inévitables, si le même droit eût été reconnu à chacun des assistants. D’ailleurs quand on veut que tous les fidèles prient ensemble à haute voix, il faut bien leur proposer un même texte. Ce sont ces formules que donnerait la Didachè. On est encore davantage porté à l’admettre si on obseive que tous les lecteurs de l’ouvrage sont invités à se servir des paroles proposées : « Quant à l’action de grâces, rendez grâces ainsi. » ix, 1. L’auteur suppose d’ailleurs que son appel est suivi : toutes les prières sont à la première personne du pluriel : « Nous vous rendons grâces… » ix, 2. Voir aussi ix, 3 ; x, 1, 3, 4. Ainsi s’expliquet-on encore, avec leur brièveté, tout ce qui en elles paraît étrange. Entre les prières dites avant et après qu’on s’est rassasié, on observe « un parallélisme rigoureux, souligné par les doxologies ; deux chants de trois strophes ; chacune des deux premières strophes est terminée par une doxologie plus brève : Gloire à toi ! … le chant tout entier par une doxologie plus pleine : « Car à toi est la gloire… ! » Lebreton, La prière de l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 1924, p. 25. « Sur quatre-vingt-dix mots que comprennent les prières du c. ix, quarante-sept se retrouvent identiquement dans le c. x. » Goguel, L’eucharistie des origines à Justin Martyr, Paris, 1910, p. 236-237. Ces répétitions se comprennent fort bien dans les oraisons collectives d’une assemblée religieuse. D’autre part, ces prières sont très substantielles, comme si une foule répétait en les résumant les longs discours de son porte-parole. Plus d’une locution aurait besoin d'être expliquée pour être bien comprise : elle pouvait trouver dans le langage de l’officiant tous les compléments nécessaires. Enfin il est à noter qu’après chaque prière — et plus d’une ne se compose que d’une phrase — vient une doxologie ; il pourrait en être ainsi même si la formule étant purement privée, devait être dite à voix basse. Mais la présence d’une telle conclusion est encore bien plus naturelle si la prière est publique.

Une autre hypothèse est encore vraisemblable. A

côté des prières qu’improvisaient le prophète ou l'évêque et qui étaient autant de variations sur un thème consacré, il pouvait y avoir des prières qui étaient dites au nom du peuple par l’officiant, et auquel le peuple s’associait de cœur, même s’il ne les récitait pas publiquement. Il convenait donc de les insérer dans un recueil composé pour les simples fidèles.

i. La première formule dite par les assistants parle « de la vigne de David ». Il est donc d’abord rendu grâces pour la coupe, ix, 1. Pourquoi cet ordre est-il suivi ? On a proposé diverses réponses : Le récit de saint Luc qui signale deux coupes commence par la bénédiction de l’une d’elles. Saint Paul, I Cor., x, 16, parle du calice avant de nommer ! e pain. La cérémonie du sabbat, le vendredi soir, commençait par la bénédiction d’une coupe de vin. C’est le rite du kiddùs. Puis venait le repas du soir lequel, après J 'ablution des mains, débutait par une bénédiction du pain. L’eucharistie se plaçait à la fin d’une agape, etc.

Le fait est moins important qu’on ne serait d’abord tenté de le croire. En effet, dans le même chapitre, quelques lignes plus loin, la Didachè suit l’ordre ordinaire : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie ! » ix, 5. — « Maître tout-puissant, … tu as donné aux hommes la nourriture et la boisson… A nous tu as fait largesse d’un aliment et d’un breuvage. » x, 3. De même saint Paul qui, dans le récit de l’institution, place le pain avant le viii, I Cor., xi, 23-29, suit l’ordre inverse, dans une argumentation que donne la même lettre. I Cor., x, 16-21. Il ne s’agit pas d’ailleurs ici du rite qu’accomplissent les ministres liturgiques, mais des paroles que prononcent les assistants.

Voici ces mots : « Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. » Suit immédiatement la doxologie : « A toi la gloire dans les siècles ! » ix, 2. On a rapproché cette formule de celle de la bénédiction du vin au kiddùs : « Sois loué, Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, créateur du fruit de la vigne », qu’on trouve dans la Mischna, Berachoth, vi, 1. Voir Klein, Die Gebete in der Didachè, dans Zeitschrijt fur die N. T. Wissenschaft, 1908, t. ix, p. 131. En réalité, il n’y a rien de commun entre les deux prières, si ce n’est le mot vigne.

Le texte de la Did ichè est tout à fait chrétien. Dieu y est appelé « notre Père », comme dans l’Oraison dominicale. Quant aux mots « vigne de David », ils rappellent le ps. lxxx, 9-20. On peut donc admettre que Dieu est remercié d’avoir révélé à la communauté chrétienne le sens messianique de ce texte de l’Ancien Testament. Lietzmann, op. cit., p. 233.

Mais c’est surtout le Nouveau qui permet de comprendre la prière de la Didachè : D’après l'évangile de saint Jean, Jésus est la vigne, xv, 1, 4, 5, vigne sainte, car, si on lui est uni, on porte du fruit, xv, 5. Les premiers chrétiens estimaient « qu’une onction l’avait consacré. ». Act., iv, 27. Il était pour eux « le saint serviteur de Dieu ». Act., iv, 30 ; iii, 13, 26. Enfin l’Apocalypse le nomme le rejeton et le fils de David, xxii, 16. Qu’on unisse ces trois termes et on obtient la phrase de la Didachè : « La sainte vigne de David. » Il s’agit donc de Jésus.

Mais la phrase ne peut se ramener à la suivante : « Nous te rendons grâces pour Jésus ton serviteur que tu nous a fait conna tre par Jésus ton serviteur. » Il faut aller plus loin si on veut donner à cette prière un sens. Le vin est appelé par l'Écriture le sang de la grappe. Gen., xlix, 11. Il est donc naturel de croire que cette sainte vigne de David pour laquelle les fidèles font action de grâces, c’est le sang du Christ.

D’après le quatrième évangile, Jésus ne révèle-t-il pas qu’il est le cep, au cours ou à la suite du repas d’adieu dans lequel il tint la promesse de donner sa chair à manger et son sang à boire ? vi, 53, 54, 55, 56. — Déjà dans la plus haute antiquité ce rapprochement était connu. Clément d’Alexandrie compare le vin que produit le raisin avec le sang de Jésus, Psedag., v, 15, P. G., t. viii, col. 267 ; et il désigne comme le vin que le Christ versa pour nos âmes blessées, le sang de la vigne de David. Quis dives, xxix, t. ix, col. 633. Voir encore Origène, Homil. in Jud., vi, 2 : « Avant que nous soyons enivrés du sang de la vraie vigne qui vient de la racine de David. » P. G., t. xii, col. 957. Il faut donc comprendre ainsi la prière de la Didachè : « Nous te rendons grâces pour le sang sacré de Jésus ton serviteur que tu nous a fait connaître par Jésus ton serviteur. » Struckmann, Die Gegenwart Christi, p. 11.

Cette phrase s’explique fort bien à ce moment. L’officiant vient de bénir la coupe, il a rappelé la parole de Jésus : « Ceci est mon sang. » Donc, il est tout naturel que les assistants répondent : « Nous te remercions, ô notre Dieu, pour le sang de Jésus que tu nous as fait connaître par les propres paroles de Jésus. » Il n’est pas jusqu'à la doxologie : « A toi la gloire dans les siècles », qui ne se retrouve dans les écrits du Nouveau Testament : Rom., xi, 36 ; Gal., i, 5 ; Phil., iv, 20, II Tim., iv, 18 ; Hebr., xiii, 21.

I. Suit une formule d’eucharistie pour le pain rompu, ix, 3 : « Nous te rendons grâces, ô notre Dieu, disent les assistants, pour la vie et la science que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur ». Suit immédiatement la même doxologie : « A toi la gloire dans les siècles. »

Cette fois encore on ne peut que constater combien ce texte est différent de celui des bénédictions juives prononcées sur le pain à l’ouverture du sabbat. Klein, op. cit., p. 135-136. « Sois loué, Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, qui fais produire le pain à la terre. » Mischna, Berachoth. vi, 1. Comme le dit Lietzmann, de tels rapprochements il n’y a pour ainsi dire rien à tirer. Op. cit., p. 231, n. 1.

De nouveau, demandons aux écrits du Nouveau Testament le sens de la prière de la Didachè. Ici encore, Dieu est appelé comme dans l'Évangile notre Père. Une seconde fois, il est dit que Jésus son serviteur nous a fait connaître un don. Puisque précédemment il a été parlé de la révélation par le Christ de son propre sang par ses paroles, la symétrie des phrases semble exiger que cette fois il soit fait allusion aux mots du Christ par lesquels il montre dans le pain son corps. C’est ce que confirme l’examen des paroles prononcées par les fidèles : « Nous te rendons grâces pour la vie et la science. » La chair du Christ est appelée dans le IVe évangile le pain de vie, vi, 49, la pain vivant, vi, 51, le pain qui donne la vie, vi, 51, 53, 51, 57, 58. Et cette vie, dit Jésus d’après saint Jean, consiste à connaître le Père et celui qui l’a envoyé, xvii, 3, la vie c’est la gnose.

Si donc, au cours de la fraction, les mots « Ceci est mon corps » ont été prononcés par l’officiant, on comprend que les fidèles fassent maintenant action de grâces à Dieu le Père pour la vie et la science qu’il leur a révélées par Jésus son serviteur, lorsque celui-ci offrit aux hommes sa chair à manger. Une doxologie pareille à celle qui a déjà été étudiée sépare cette prière de la suivante.

À Les fidèles adressent alors pour l'Ég’ise une supplication que suggère la pensée de la fraction des morceaux de pain dissociés puisréunis. Il est intéressant de relever ici la plus ancienne forme d’une prière liturgique pour l'Église. Il semble donc bien qu’un des effets attendus de la synaxe eucha873

MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : LA DIDACHK 874

ristique soit l’union future de toutes les communautés, de tous les fidèles dans le royaume de Dieu. Les grains de blé dont se compose ce pain rompu étaient autrefois disséminés sur les collines, ils ont été rassemblés pour devenir un seul tout : « Qu’ainsi ton Église puisse être rassemblée des extrémités de la terre dans ton royaume. »

Peut-être cette fois le rapprochement qu’on a établi entre cette prière et des formules juives est-il un peu moins gratuit. Lietzmann, op. cit., p. 235, cite ces textes anciens : « Élève une bannière pour rassembler des quatre coins de la terre tous nos exilés en noire pays. — Béni soit Jahvé qui réunira les dispersés de son peuple Israël. » Il est permis d’admettre que les convertis venus du judaïsme et habitués à réciter des prières semblables pour le retour des Juifs de la dispersion en Palestine, aient éprouvé le besoin de les conserver plus ou moins modifiées, mais dites désormais au profit du nouveau peuple de Dieu. Que tous ses membres et toutes ses Églises dispersées se réunissent dans le royaume messianique à la manière dont les grains de blé sont associés en un seul tout, l’aliment eucharistique.

Tout naturellement, on se rappelle la parole de saint Paul : « Puisqu’il y a un seul pain, nous formons un seul corps, tout en étant plusieuis. » I Cor., x, 17. Cependant il faut avouer que le terme de comparaison n’est pas le même, et que si l’apôtre pense ici à l’unité mystique du corps du Christ qu’est l'Église, la Didachè évoque plutôt la pensée de la fusion future de tous les chrétiens, de toutes les communautés dans le royaume eschatologique. Néanmoins, il y a une idée semblable à relever dans l’un et l’autre cas. Le rite eucharistique, d’après la Didachè comme d’après saint Paul, est un symbole d’unité catholique et un moyen de l’obtenir. — La doxologie un peu plus longue « A lui la gloire et la puissance », ix, 4, se retrouve dans I Petr., v, 11, et Apoc, r, 6.

I. A cet endroit se place une remarque importante, ix, 5 : Pour manger, pour boire l’eucharistie, il faut être baptisé. C’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens ». Ce dernier mot est dans Matth., vii, 6.

Cette observation était-elle faite à haute voix comme plus tard le Scinda sanctis prononcé avant la communion ? Ou bien "les prières sont-elles ici coupées par une rubrique, par l'énoncé d’une règle morale ? Il est difficile de répondre à la question. Publiée ou non, cette défense montre que Veucharistie dont il est parlé n’est pas un repas religieux quelconque. Si elle était une agape, on pourrait moins facilement lui appliquer le mot de Matth., vit, 6 : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens. » Le sens est des plus clairs. De même qu’en Israël la viande des sacrifices n'était pas jetée aux animaux, de même, puisque l’eucharistie est un sacrifice pur, xiv, 1, 3, l’infidèle ne doit pas y participer.

Avait-il le droit d’assister au rite chrétien sans communier ? Le texte ne résoud ni ne pose la question. Si on songe à ce qu’enseigne la Didachè de la sainteté du rite, xiv. si on se rappelle que la participation d’un disciple du Christ en lutte contre un de ses frères risque de souiller le sacrifice de tous, xiv, 2, il est difficile d’admettre que la présence d’un infidèle ait pu être tolérée pendant que s’accomplissait l’eucharistie.

m. C’est à ce moment que pour employer l’expression de la Didachè, les fidèles se rassasiaient. Qu’entendre par ce mot ?

On a dit qu’un pareil tcime ne pouvait désigner l’eucharistie, la communion, mais devait s’appliquer à une agape, à un repas proprement dit, à une opération qui apaise la faim (Zahn, Weizsacker, Haupt, Beming, Béville). Il a été répondu que ce même

veibe a pu être employé par saint Paul, Rom., xv, 24, au sens figuré : « .l’aurai rassasié mon désir ». Pourquoi ne devrait-on pas dire de la communion qu’elle rassasie les fidèles ? « Le réalisme de l’expression pourrait très bien s’appliquer à la réception de l’eucharistie nourriture spiiituelle. » Hemmer, op. cit., p. i.i. Remaniant ce passage, l’auteur des Constitutions apostoliques, vii, 26, n’a pas hésité à cioire qu’il s’agissait ici, non d’un repas, mais de la communion. Or il « était mieux placé que nous pour comprendre le sens de la Didachè. » Goguel, op. cit., p. 233. Tout ce qui précède, tout ce qui suit montre d’ailleurs que la Didachè ne mentionne ni un festin purement profane, ni un banquet religieux quelconque, mais un repas où est mangée une eucharistie, ix, 5, où sont reçus un aliment et un breuvage spilituels. x, 3. Voir Volker, Mysterium und Agape, Gotha, 1927, p. 106-107,

Néanmoins le mot s’explique encore bien mieux si on admet que dans le milieu auquel était destinée la Didachè, l’eucharistie se célébrait au cours d’un repas commun et fraternel. Il en avait été ainsi à Jérusalem à l’origine. Cette habitude existait aussi à Corinthe. Qu’on la tienne pour légitime ou abusive, qu’on attribue son origine à une initiative des fidèles de cette Église ou à un ordre primitif de son fondateur, le fait est indiscutable. Ce qui s’est passé en Grèce ne s’est-il vu nulle part ailleurs ? Dans les communautés où parut la Didachè n’a-t-on pas pu vouloir reproduire plus complètement la première cène, ou profiter de l’usage juif du repas plus ou moins religieux pris en commun pour y célébrer l’eucharistie ? Ainsi s’expliquerait le mot rassasier. Il faut bien en convenir : « l’expression [istol tô è[X7rXr ; CT0f, vat, x, 1, se prête admirablement soit à la théorie de l’agape jointe à l’eucharistie, soit à la théorie d’un repas semi-liturgique sans attache à l’eucharistie. » Hemmer, op. cit., p. li, Or, cette dernière hypothèse ne peut être admise : Tout montre qu’en cet endroit la Didachè parle de l’eucharistie, de sa célébration et de son contenu, de la communion et des dispositions qu’elle requiert. Ne voir ici qu’une agape, un repas plus ou moins religieux, à plus forte raison un banquet profane, c’est ne tenir aucun compte de données très claires et irrécusables. Mais, au contraire, admettre que la communion était liée à une cène chrétienne, c’est mieux expliquer le mot rassasier et peut-être se préparer à comprendre plus facilement les prières qui vont suivie.

n. Après que les fidèles se sont rassasiés, ils prononcent deux actions de grâces et une supplication pour l'Église.

La première formule est ainsi conçue : « Nous te rendons grâces, ô Dieu saint, pour ton saint nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, pour la connaissance, la foi et l’immortalité que tu nous a révélées par Jésus ton serviteur. Gloire à toi dans les siècles 1° Noter qu’aptes la communion le mot saint est immédiatement prononcé, qu’il l’est deux fois : « Père saint », « pour ton saint nom ». Rien ici du trisanion, mais la répétition du mot pourrait rappeller la liturgie eucharistique. D’autre part, comme au c. xiv, l’attention de l’auteur et par lui celle du lecteur sont attirées sur l’attribut de pureté. Tout de suite réapparaît le vocabulaire du IVe évangile : « Père saint. « Joa., xvii, 11. Il faut même observer que Jésus employa ces mots dans la prière sacei dotale prononcée par lui à la dernière cène, et où cei tains critiques ont voulu voir une eucharistie ou un type d’eucharistie.

Si on n’avait célébré qu’une agape, un banquet religieux, il eût été normal de remercier d’abord de la nourriture et du breuvage. Au contraire, s’il y a eu communion, on comprend mieux que pour elle avant

tout les participants expriment leur gratitude. « Nous te rendons grâces, ô Père saint pour ton saint nom que tu as fait habiter dans nos cœurs. » Le nom de Dieu, c’est sa force, son esprit, sa vérité, quelque chose de sa personne. Lietzmann, op. cit., p. 235. Le Père les a fait habiter en nos cœurs. Cette locution est aussi juste que claire pour désigner la participation au.corps et au sang du Fils de Dieu. Plusieurs textes de l’Ancien Testament l'établissent : Dieu fait habiter son nom là où il a son séjour, sa demeure, son trône, son temple. Ainsi on lit dans Jérémie.vn, 12 : « Allez à ma demeure qui était à Silo, où j’avais autrefois fait habiter mon nom. » Semblablement il est dit dans Ézéchiel, xliii, 7 : « Fils de l’homme, c’est le lieu de mon trône où j’habiterai au milieu des enfants d’Israël. » De même, dans I Esdr., vi, 12, il est dit du temple que Dieu « y fait résider son nom ». Et dans Néhémie, i, 9, la Palestine est appelée le lieu que Dieu « a choisi pour y faire habiter son nom ». Quand on a rappelé ces textes, il est impossible de ne pas comprendre ainsi la Didachè : « Nous te rendons grâces, ô Père saint, pour avoir fait de nos cœurs ton séjour, ta demeure, ton trône, ton temple. » On ne saurait exprimer plus clairement le concept de communion.

C’est encore ce qu’on est obligé de conclure, si on rapproche ces mêmes paroles de la Didachè de la prière eucharistique ou sacerdotale que, d’après saint Jean, Jésus prononça lors de la dernière cène. Les similitudes sont frappantes. Jésus le déclare : Il a manifesté le nom du Père à ses disciples. Joa., xvii, 6. Il le leur a fait connaître, afin qu’il soit lui aussi en eux. xvii, 26. En ce nom, il les a conservés pendant qu’fV était avec eux, xvii, 12, « et maintenant, Père saint, gardez-les en ce nom, afin qu’ils ne fassent qu’un comme nous. » xvii, 11. — Ainsi dans le nom du Père s’accomplit la communion des disciples entre eux et avec le Verbe fait chair qui habite parmi nous, i, 14.

C’est encore dans le même langage du IVe évangile que sont décrits par la Didachè les fruits de cette présence de Jésus : « Nous te remercions, pour la connaissance, fidiaztà-, °t, a IQ » Tc'.aTeco ;, et l’immortalité, àjavxcnaç, que tu nous a révélées, Y^copiÇsu, par Jésus ton serviteur. » Voilà bien ce qu’apporte le Christ, d’après la prière johannique de la dernière cène : « J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés, xvii, 6. Je le leur ai fait connaître, y^cop^e.v. 26. Ils savent à présent, Yv » ôjct : ç, que tout ce que vous m’avez donné vient de vous, 7, que je viens de vous, 8 et que vous m’avez envoyé. 8. Aussi ont-ils cru, Trî.art.^, 8, et d’autres croiront en moi. 20. C’est dire qu’ils obtiendront la vie éternelle, Çw/] ccîomoç = à'îavacna, car la vie éternelle, dit Jésus, c’est qu’ils vous connaissent, yjù>(yi'., le Père, le seul vrai Dieu et celui qu’il a envoyé, xvii, 3. Et le c. vi de saint Jean, où est promis le pain de vie, l’eucharistie, affirme aussi que, si l’on mange de cette nourriture, on ne meurt pas, vi, 50 ; on vit éternellement, vi, 51. Ainsi dans la seu’e prière dite à la dernière cène par le Christ et conservée par saint Jean apparaissent tous les mats de la Didachè, toutes les idées qu’elle exprime. Cet écrit nous fait donc bien connaître ici l’acte qui commémore le dernier repas du Seigneur et qui mît les disciples en communion avec lui comme les douze l’ont été au cénacle.

On se convaincra davantage encore qu’il n’y a pas seulement ici un repas fraternel et religieux, une agipe, si l’on observe que, dès la plus haute antiquité, d’autres documents signalent comme un effet de l’eucharistie la vie éternelle. Ainsi fait presque au même moment saint Ignace d’Antioche : Il parle d’elle comme d’un remède d’immortalité, qupu, axov àîx « j'.a ;, d’un antidote qui préserve de la mort

et assure pour toujours la vie en Jésus-Christ. Eph., xx, 2. Voir encore un papyrus inédit de Berlin cité par Lietzmann, op. cit., p. 257, et qui parle d’un remède d’immortalité, <pàpu.<xxov àÔavaotaç, d’un antidote de vie, àvTÎSoTOv ÇoTJç.

La doxologie déjà relevée : (Uoire à toi dans les siècles, sépare cette prière de la suivante. Celle-ci exalte la création par le Tout-Puissant de l’univers en l’honneur de son nom ; le don qu’il a fait aux hommes de la nouniture et de la boisson : enfin le bienfait dont il les gratifie en leur accordant par son serviteur un aliment et un breuvage spirituels ainsi que la vie éternelle. Aussi la Didachè conclut-elle en invitant les chrétiens à rendre grâces pour de telles largesses qui mettent si fortement en relief la puissance de Dieu.

La présence de cette pi ière est une nouvelle preuve que la Didachè ne décritjpas un repas chrétien distinct de l’eucharistie. Dans toutes les liturgies, on trouve une formule plus spécialement consacrée à l’action de grâces. C’est la prière eucharistique par excellence. On y remercie le Très-Haut de la création et de tous ses bienfaits. Ne possédons-nous pas ici le type le plus ancien de cette solennelle supplication ?

Parmi les dons de Dieu est spécialement signalé l’octroi de la nourriture et de la boisson qui sustentent notre corps. Ensuite seulement sont exaltés l’aliment et le breuvage spirituels. Cette distinction, cette mention expresse des deux dons ne sont-elles pas motivées par le fait que, dans les milieux où parut la Didachè, le iite de la communion eucharistique est encore uni à un repas, à une cène proprement dite. Si les fidèles viennent de rassasier et leur corps et leur âme, le langage de la Didachè s’explique' encore mieux, les chrétiens sont alors tenus de remercier expressément et pour la nourriture matérielle et pour la nourriture spirituelle.

Cette dernière est un bien propre aux chrétiens. « Aux hommes Dieu a donné la nourriture… ; à nous », baptisés, à nous seuls « il a octroyé un aliment et un breuvage spirituels, ainsi qu’une vie éternelle par son serviteur ». Ces mots s’entendent-ils seulement de la foi et de la gnose ? Non, semble-t-il, car déjà il en a été expressément parlé. L’antithèse entre le don spirituel et la nourriture matérielle se comprend mieux s’il est question ici de l’aiment et du breuvage eucharistiques. Ils sont vraiment les mets que Dieu le Père nous a donnés par Jésus, son serviteur. C’est lui qui à la dernière cène nous en a dotés. Hemmer, op. cit., p. xlviii. Cette fois encore, les mots employés rappellent le vocabulaire de saint Jean : « Travaillez non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure en vue de la vie éternelle. » vi, 27.

Une nouvelle doxologie nous avertit que la prière finit et qu’une troisième commence. Cette dernière est une supplication pour l'Église. Elle débute par les mots : Mvtqo-Stjti, Souviens-toi. C’est donc le premier type des prières liturgiques dites Mémento. Et dans toutes les liturgies postérieures se trouve » une ou plusieurs supplications pour la communauté, pour l'Église. La présence de cette prière n’atteste-t-elle pas aussi que la Didachè ne décrit pas une simple agape, un repas religieux quelconque ? Nous sommes en face d’un service eucharistique, avec ou sans repas.

Dans cette prière, de nouveau il faut relever la parenté des formules avec les expressions johanniques. « Souviens-toi, Seigneur, de délivrer ton Église de tout mal ». x, 5. Ainsi — et c’est toujours dans la prière eucharistique de la dernière cène rapportée par le quatrième évangile — on lit : « Je ne vous demande pas de les ôter du monde, mai ; de les garder du mal. » xvii, 15. — « Souviens-toi, Seigneur, continue la Didachè, de rendre ton Église p : irjaile

dans ton amour. » x, 5. Et Jésus, cette fois encore dans la même prière eucharistique de saint Jean, dit : « Que mes disciples soient parfaitement uns, et que le monde connaisse que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé, » xvii, 23.

La même prière de la Didachè s’achève par cette dernière supplication : < Et rassemble-la des quatre vents, cette (Église) sanctifiée dans ton royaume que tu lui as préparé. » Cette conclusion est toute naturelle. Après avoir demandé pour l’Eglise les grâces dont elle a besoin sur terre, les fidèles sollicitent l’union finale de ses membres dans le royaume. On sait que dans toutes les liturgies postérieures se trouve une anamnèse. Pour faire l’acte eucharistique, l’action de grâces en mémoire du Seigneur, on récapitule ses principaux mystères. Un grand nombre de liturgies, toutes celles d’Orient, mentionnent avec la passion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, l’attente du dernier avènement. D’autres rappellent l’ascension par laquelle le Christ est monté à la droite du Père pour préparer en son royaume une place à ses disciples. On peut donc être tenté de voir dans la Didæhè une ébauche de cette partie de l' anamnèse. Cette circonstance nous confirme dans la conviction que le rite ici décrit est bien une eucharistie et non un simp’e repas fraternel plus ou moins religieux.

Il est naturel que le vœu eschatologique de la Didachè ressemble aux déclarations du Christ sur le dernier avènement. On lit, Matth., xxiv, 31 : « Le Fils de l’homme enverra ses anges… et ils rassembleront ses élus des quatre vents. » Et le même évangéliste appelle l’endroit réservé aux justes à la fin des temps : « le royaume qui leur a été préparé dès l’origine du monde. » Matth., xxv, 34. Mais, même en cette partie des prières de la Didachè, on relève un nouveau trait de ressemblance avec la supplication eucharistique prononcée par Jésus à la dernière cène et conservée dans le IVe évangile. Il y est demandé que le Père « sanctifie » les disciples. xvti, 17. « Pour eux, dit encore Jésus, je me sanctifie, afin qu’eux aussi soient sanctifiés en vérité. » xvii, 19. Or, cette Église que les chrétiens de la Didachè demandent au Père de rassembler des quatre vents, ils l’appellent précisément la sanctifiée. Le mot fait sans doute allusion à sa pureté morale ; mais, si on le rapproche, et on a le droit de le faire, de la déclaration de Jésus, la phrase devient : « Rassemble dans ton royaume cette Église sanctifiée, parce que le Christ s’est offert pour elle en sacrifice. » On voit comme cette affirmation est à sa place au cours d’une cérémonie qui elle-même, d’après la Didachè, est « un sacrifice ».

A la fin du Pater, dans la Didachè, se trouve la doxologie qui suit la prière : « Rassemble-la des quatre vents du ciel… » Dans les deux endroits, on lit les mêmes mots : « Car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles. » Faut-il conclure que l’oraison dominicale avait sa place dans le rite relaté par la Didachè? C’est, sinon démontré, du moins vraisemblable. Lebreton, La prière dans l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 192-1, p. 14.

L’originalité des trois oraisons que fait dire la Didachè par les fidèles après qu’ils se sont rassasiés, apparaît dans un éclat saisissant, si on les compare, comme la fait Klein, aux bénédictions quotidiennes de la table jadis en usage chez les Juifs, telle qu’on les trouve dans le Talmud et qui remontent à une très haute antiquité.

L’action de grâces d’Israël pour remercier Dieu des aliments est la suivante : « Sois loué, ô Éternel, roi de l’univers qui nourris le monde par ta bonté, en toute grâce et miséricorde. Il donne le pain à toute

chair. Car sa miséricorde est éternelle. » La formule correspondante de la Didachè remercie le Maître Tout-Puissant d’avoir créé l’univers en l’honneur de son nom, de donner aux hommes nourriture et boisson, afin qu’ils rendent grâces, et enfin d’accorder aux fidèles un aliment et un breuvage spirituels, ainsi que la vie éternelle par son serviteur Jésus. » On le voit, les ressemblances verbales sont insignifiantes. Et entre les idées, quelles différences I La grandeur du bienfait matériel est mieux exprimée : pour les chrétiens, l’univers n’est pas seulement nourri, mais créé. Ils énoncent le motif dernier des largesses divines. Ils exaltent l’aliment spirituel du chrétien et rappellent qu’il leur a été donné par Jésus.

En second lieu, les Juifs remerciaient Dieu « pour le don d’un pays spacieux, exquis et magnifique, pour la sortie de l’Egypte et la délivrance de l’esclavage, pour l’alliance marquée dans leur chair, pour sa loi et ses commandements, pour la vie donnée par grâce et miséricorde. » On a essayé de rapprocher cette formule de la première partie de la prière d’action de grâces de la Didachè. Ou bien on ne découvre rien de semblable, ou bien on est obligé de conclure que les chrétiens venus du judaïsme ne se sont souvenus de leurs antiques prières que pour les transformer totalement. Israël remercie Dieu d’avoir invité ses aïeux à résider en Palestine, les fidèles rendent grâces au Père de ce qu’il fait habiter son nom dans leurs cœurs. Et ce don s’oppose encore à une autre faveur que célèbrent les juifs, celle de l’alliance divine marquée dans leur chair. A la Loi, aux commandements, sont substituées la gnose, la foi et l’immortalité.

Quant à la dernière prière, il est naturel d’admettre que les fidèles de la Didachè, juifs de la veille, ont eu la pensée de transformer une demande pour Jérusalem er une supplication pour l'Église. Mais les deux forr ules sont tout à fait différentes. « Prends pitié d’Israë. >, dit le juif. Le chrétien sait que Dieu l’a fait : aussi lui demande-t-il seulement de se souvenir de l'Église. Et il ne peut rien emprunter à son ancien langage : « Prends pitié, Éternel, notre Dieu, d’Israël ton peuple, de Jérusalem ta ville, de Sion séjour de ta souveraineté, de David ton oint et de sa maison et de son royaume, de ton grand et saint temple d’où ton nom est connu. Notre Dieu, notre père, notre pasteur, nourris-nous, soigne-nous, gardenous, libère-nous 1° C’est à peine si quelques mots peuvent être passés d’une prière dans l’autre, encore ont-ils pris un sens nouveau : Libère-nous, non plus du joug étranger, mais de tout mal. Ce qui est saint, ce n’est pas le temple, mais VÉglise. Le royaume auquel pense le chrétien n’est pas celui de David, mais celui que Dieu lui a préparé.

Si on souligne ces contrastes, si on se rappelle, au contraire, que la plupart des phrases, des mots de la Didachè font écho à des paroles évangéliques et en particulier au discours prononcé par Jésus à la dernière cène, d’après saint Jean, on est obligé de conclure que la nouveauté toute chrétienne des piières est indéniable : les conveitis se sont souvenus des formules anciennes pour les vider ou les dépasser ; à l’antique repas juif succède l’eucharistie chrétienne la plus authentique. Volker, op. cit., p. 106.

o. Les prières précédentes closes par une doxologie un peu plus longue, la Didachè porte ces mots : « Vienne la grâce et que ce monde passe 1 Hosanna au Dieu de David ! Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ! Si quelqu’un ne l’est pas, qu’il fasse pénitence. Maran atha. Amen. » x, 6.

La grâce dont on souhaite la venue pourrait consister dans les dons, la faveur de Dieu. Lietzmann, op. cit., p. 237, propose de voir dans ce mot X<xp'-Ç lln

synonyme de X6yoç. C’est donc le Seigneur qui serait ainsi appelé. La phrase se présenterait fort bien : « Vienne le Seigneur et que ce monde passe. »

On s’est demandé s’il ne fallait pas rectifier la proposition suivante et lire : « Hosanna au fils de David I » Certains éditeurs l’ont cru, et ont ainsi reproduit ici l’acclamation des Rameaux, telle que la. rapporte Matth., xxi, 9, 10, avec qui s’accorde si souvent la Didachè. Peut-être cependant est-ce pour tenir compte de la remarque du même évangile, xxii, 42-46 : « Le Christ n’est pas seulement le fils, il est le Seigneur de David », que la Didachè a préféré au mot 6ew le mot utco. Ce qui est hors de doute, c’est que nous rencontrons ici pour la première fois un morceau du Sanctus liturgique. L’expression araméenne Maranatha peut se comprendre de deux manières : « Le Seigneur est venu », Maran atha ou bien : « Venez, Seigneur, Jésus », Zîarana tha.

Zahn, Forschungen zut Geschichle des N. T. Kanons, t. iii, Erlangen, 1884, p. 294, et Berning, op. cit., p. 169, se servent de ces acclamations pour soutenir que la Didachè a précédemment parlé de l’agape, et qu’ici seulement elle invite les chrétiens à recevoir l’eucharistie. Ainsi devrait-on comprendre les souhaits : Vienne la grâce et Maranatha ! Ainsi se justifierait l’appel : « Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ! » Ainsi s’expliquerait la place faite au Sanctus qui dans les autres liturgies n’est pas après la communion.

Mais, nous l’avons établi, ce sentiment se heurte au texte même de la Didachè, ix, 5 et x, 1. Nous croyons aussi l’avoir montré : toutes les piières dites par les fidèles avant et après qu’ils se rassasient, ne s’expliquent vraiment que si elles sont prononcées au cours d’un service eucharistique, joint ou non à une agape. Les mots : Vienne la grâce et Maranatha, peuvent d’ailleurs avoir un sens eschatologique et ne pas se rapporter à la communion. Quant au Sanctus, sa place a varié. En fait, dans le VIIIe livre des Constitutions apostoliques, l’Hosanna suit la communion.

Seuls en réalité les mots : « Si quelqu’un est saint, qu’il vienne I S’il ne l’est pas, qu’il fasse pénitence 1° paraissent ne pas être à leur place. Quand on les examine de près, on est moins porté à croire qu’ils devaient précéder la communion. Il est dit que le saint doit venir. Mais à cette époque, on ne se présentait pas à une table de communion comme aujourd’hui : les convives étaient assis à un repas et on faisait circuler le pain et la coupe. Les mots : Si quelqu’un est saint, qu’il vienne, s’il ne l’est pas, qu’il fasse pénitewi, nous semblent donc être non pas un appel à la communion, mais le vœu que s’accroisse le nombre de ceux qui participent aux mystères chrétiens. L’appel à la communion a pris place avant que les fidèles se rassasient. C’est alors que la Didachè met les mots : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur, car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. » ix, 5.

Lietzmann, op. cit., p. 236-237, croit que ces exclamations finales ne sont pas eschatologiques, mais devaient précéder l’eucharistie. Il propose de les placer avant le c. x, à côté de l’invitation : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie s’il n’est pas baptisé. » Les prières auraient été rejetées à la fin, parce qu’elles sont en forme de dialogue entre l’officiant et le peuple. — Cette hypothèse est purement gratuite et le texte ne l’autorise pas. Le motif invoqué pour justifier ce remaniement ne paraît pas suffisant. Cette opinion a d’ailleurs un très grave tort, celui de ne tenir compte ni de l’indication de la Didachè. ni des enseignements de la plus antique tradition sur les perspectives eschatologiques de l’eucharistie. J |

Dans les textes les plus anciens, nous lisons cette parole de Christ : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu qusqu'à ce que je le boive à nouveau dans le royaume de mon Père) », Matth., xxvi, 29 ; Marc, xiv, 25 ; Luc, xxii, 18. Et saint Paul écrit : « Toutes les fois que vous mangez ce pain…, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu’il vienne. » I Cor., xi, 26. D’autre part, dans les liturgies postéiieures, on trouve exprimée la pensée de l’avènement du Seigneur, du royaume à venir ou de l’ascension. Il est donc naturel que la Didachè ne fasse pas exception. Or, précisément dans la prière qui vient de se terminer avant ces acclamations, il a été souhaité que « des quatre vents du ciel le Seigneur rassemble son Église dans le royaume qu’il lui a préparé ». Il n’y a donc ici aucun hiatus. De la manière la plus harmonieuse l’esprit développe la pensée déjà émise. Comme le fait observer fort justement Goguel, op. cit., p. 234, à la suite de Harnack, ces aspirations eschatologiques sont ici tout à fait à leurplace. « La conclusion clôt l’acte, mais en le dépassant : la communauté qui vient de se nouirir à la table du Seigneur, soupire après sa venue. »

Ces sentiments se traduisent sous la forme d’acclamations liturgiques, pense Battiiïol, op. cit., p. 64, n. 1. Fort ingénieusement, il rapproche des mots de la Didachè : « Si quelqu’un est saint, qu’il vienne ; si quelqu’un ne l’est pas, qu’il fasse pénitence, Maranatha », d’autres paroles d’une forme tout à fait identique : la conclusion de I Cor., xvi, 22 : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème, Maranatha ». Cette similitude ne donnerait-elle pas à croire que dans les assemblées chrétiennes on employait ce type d’acclamations ? Lietzmann, lui aussi, op. cit., p. 237, a, non sans vraisemblance, proposé de composer avec ces phrases le dialogue suivant : L’officiant : Vienne la grâce et que le monde passe. — Le peuple : Hosanna au Dieu ( au Fils) de David. — L’officiant : Si quelqu’un est saint, qu’il vienne : s’il ne l’est pas, qu’il fasse pénitence. Maranatha. — Le peuple : Amen.

L’hypothèse n’a rien d’invraisemblable. Une autre moins probable a été émise. On s’est demandé s’il ne fallait pas voir dans ces courtes phrases, soit des amorces de cantiques chantés par la communauté, soit un résidu d’hymnes ayant été autrefois en usage. Cf. Von der Golz, Das Gebet in der àltesten Christenheit, Leipzig, 1911, p. 2Il sq. ; Goguel, op. cit., p. 233, 234. « La première phrase, dit-on, a un caractère rythmique très net. » D’autre part, l’Hosanna a toujours fait partie d’un cantique. Les mots : « Si quelqu’un est saint », « Le Seigneur vient », sont de ceux qui seraient tout à fait à leur place dans un chant de communion. A l’appui de ce sentiment, on pourrait observer que des psaumes étaient placés à la fin du repas de Pâques, et qu’après la première cène, l’hymne avait été récité. Matth., xxvi, 30.

Par contre, on a fait remarquer non sans raison que chacune de ces acclamations a un sens total et se suffit à elle-même, que toutes se retrouvent ailleurs, soit dans le Nouveau Testament, soit dans la Didachè. Il est donc peu vraisemblable qu’elles soient des incipit de cantiques. Lebreton, op. cit., p. 109-110. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a aucune raison de les considérer comme des gloses tardives. On ne peut s’empêcher de penser que cet Amen et les acclamations qui le précèdent, terminent fort bien la cérémonie.

Au terme de cette étude, force est de le constater : Pas un mot ne confirme l’hypothèse de Wetter sur l’offrande liturgique d’aliments destinés au repas collectif des fidèles. Les noms de l’assemblée : fraction 881 MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT CLEMENT 882

du pain, eucharistie, sacrifice, désignent de tout autres actes. Les prières de la Didachè ne font aucune allusion à une pareille offrande. Les recommandations de xiii, 1-7, se rapportent à un service de charité pour des prophètes ou des pauvres, mais non à l’oblation que décrit Wetter.

Conclusion. — Si le c. xiv affirme, répète et démontre que la fraction du pain et l’action de grâces constituent le sacrifice, 6uma, de la communauté chrétienne, sacrifice proprement dit, sacrifice analogue à ceux du temple, sacrifice annoncé par Malachie, rien dans les c. ix à x n’infirme cette proposition. La Didachè appelle la célébration de ce rite une liturgie, un service religieux public pour lesquels il faut choisir des officiants doués de qualités morales et, en raison même de leurs fonctions, honorés comme les prophètes et les docteurs. Dire qu’il y a deux eucharisties, l’une privée, celle de ix et x, l’autre publique, celle de xiv, laquelle seule serait un sacrifice, Goguel, op. cit., p. 243, c’est introduire dans la Didachè ce qui ne s’y trouve nulle part, c’est oublier que dans les deux cas se célèbrent les deux mêmes actes, fraction du pain et action de grâces ; c’est méconnaître le caractère social et universaliste des prières de ix et x, c’est enfin ne pas apercevoir combien les paroles et le rite qu’on affirme être purement domestiques ressemblent à ceux des liturgies chrétiennes, donc du culte public. D’ailleurs, comme le fait observer Fortescue, op. cit., p. 14, « l’existence d’une eucharistie privée dans l'Église reste encore à démontrer ».

Y aurait-il ici un sacrifice purement mystique et spirituel, l’hostie de l’action des grâces et de la prière des fidèles ? Von der Golz, op. cit., p. 223 ; Harnack, Dogmengeschichte, t. i, p. 225 ; Wieland, Op/erbegrifJ, p. 36 sq. On n’a pas le droit de le dire, car la Didachè oblige à voir un sacrifice, non dans la prière d’action de grâces toute seule, mais aussi dans la fraction du pain. Le texte est formel : « Réunissezvous le jour du Seigneur, rompe : le pain et rendez grâces après avoir d’abord confessé vos péchés, afin que votre sacrifice soit pur. » xv, 1. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 61. Objecter qu’il n’y a pas d’offrande, c’est affirmer ce qu’on ne sait pas, la Didachè n’ayant pas jugé bon de nous renseigner sur la manière dont s’opérait la fraction, ni sur les paroles qui l’accompagnaient. Pourquoi d’ailleurs craindre de voir en la cène chrétienne un sacrifice réel ? Des écrits presque contemporains du Nouveau Testament lui reconnaissent ce caractère. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 239-210.

Qu’est-ce qui fait du rite et des paroles un sacrifice ? L’auteur ne nous l’apprend pas. Nous constatons seulement qu’il répète à tout instant le mot action de grâces. C’est même par lui qu’il désigne la cène chrétienne : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie. » ix, 5. Or un des sacrifices qu’offraient les Juifs, c'était celui d’action de grâces. Une victime y était en partie offerte à Dieu, en partie mangée par Israël. C’est peut-être ainsi que l’auteur de la Didachè se représentait le rite chrétien. Ce qui était rompu était présenté à Dieu et offert en nourriture spirituelle aux fidèles. Rentz, Geschichte des Messopferlegriffs, t. i, p. 144 sq., veut que cette manducation seule accompagnée d’une prière de remerciement constitue le sacrifice d’action de grâces. Mais dans le c. xv, où, à trois reprises, la Didachè présente la cène chrétienne comme un sacrifice, une 6'jcîa, elle ne parle pas un instant de la participation des fidèles au pain et à la coupe. Au contraire, c’est un acte qui se place avant la communion et que le c. ix en distingue, c’est la fraction du pain qui seule avec l’eucharistie est considérée comme un sacrifice.

Sur ses fruits nous sommes quelque peu renseignés. Avant tout, il honore Dieu par 'action de grâces. ix, 2, 3 ; x, 1, 2, 4, 7. Les fidèles après s'être rassasiés remercient pour la connaissance et la foi, l’immortalité et la vie éternelle. Ces dons sont-ils un effet de la communion individuelle, ou de l’assistance au sacrifice collectif ? ou de l’une et de l’autre ? A cette question, il est impossible de répondre. Mais il paraît certain qu’on attribuait une efficacité spéciale à la prière dite pour l'Église, pendant que s’opérait le sacrifice de la communauté chrétienne. Il n’est pas affirmé que le rite a une vertu expiatoire. Mais on déclare qu’il est l’offrande pure, et à l’occasion de son accomplissement les fidèles confessent leurs péchés, évidemment pour s’en délivrer.

L’assemblée a lieu au moins le dimanche. A côté des assistants, on distingue des prophètes et des docteurs, lorsqu’il y en a, et toujours des évêques et des diacres, membres de la communauté, mais élus par elle. C’est la hiérarchie qui préside, rend grâces et fait la fraction du pain. Le peuple prend parfois la parole et récite des formules déterminées. Peutêtre un dialogue s’engage-t-il entre lui et les officiants. La présence des prophètes, des docteurs et des personnes qui « font leur service » permet de supposer qu’un enseignement est donné. Avant l’eucharistie a lieu une confession des péchés. Suit la fraction du pain. Sur la manière dont elle s’opère nous ne savons rien. Quand elle est terminée, les fidèles font une action de grâces, d’abord pour la coupe, puis pour le pain. Vient la communion. Seuls les baptisés mangent et boivent de l’eucharistie.

Ce rite est-il encadré dans un repas fraternel qui rappelle la cène primitive ? Peut-être, mais on ne saurait l’affirmer avec certitude. Après qu’ils se sont rassasiés, les fidèles rendent grâces. Trois prières sont récitées par eux ou en leur nom : la première est une post-communion. La seconde ressemble à ce qui, dans les liturgies postérieures, constitue la prière eucharistique proprement dite : action de grâces pour les bienfaits de Dieu, création et nourriture ordinaire, aliment spirituel et vie éternelle. La troisième est le premier type d’un Mémento et recommande à Dieu l'Église. On y trouve comme dans les ananmèses futures la pensée de l’avènement du Clirist. Le tout est terminé par des acclamations eschatologiques récitées peutêtre par l’officiant. Plus probablement elles font partie d’un dialogue entre lui et le peuple ou du chant des fidèles. Enfin on relève un morceau du Sanctus et un Amen final de la foule.

2° Saint Clément de Rome (entre 95 et 98). — Dans l'Église de Corinthe, un schisme s'était produit. Quelques meneurs (xi.vu, 5-6) avaient soulevé la masse des fidèles. Plusieurs presbytres irréprochables avaient été destitués. L'évêque de Rome. Clément, intervient pour rétablir la paix et défendre les droits des pasteurs légitimes.

Il le rappelle donc, xl-xliv : « Nous devons faire avec ordre tout ce que le Maître nous a prescrit d’accomplir en des temps déterminés. Or, il nous a ordonné de nous acquitter des offrandes et du service divin, 7rpoacpopàç xal XsiTOUpytaç, non pas au hasard et sans ordre, mais en des temps et des heures déterminés. Il a fixé lui-même par sa volonté souveraine à quels endroits et par quels ministres ils doivent s’accomplir, afin que toute chose se fasse saintement selon son bon plaisir et soit agréable à sa volonté. Donc, ceux qui présentent leurs offrandes aux temps marqués sont favorablement accueillis et bienheureux : car, à suivre les ordonnances du Maître, ils ne font pas fausse route. Au grand prêtre dans l’Ancienne Loi des fonctions (liturgiques) particulières ont été conférées ; aux prêtres on a marqué des places spé 883 MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT CLEMENT 884

ciales ; aux lévites incombent des services (diaconies) propres : le laïque est lié parles préceptes faits pour les laïques. « Frères, que chacun de nous, à sa place propre, plaise à Dieu, eùapeaTEÎTw (leçon du ms. C adoptée par Harnack, Knopf, Funk, Heinmer ; le ms. A porte eù/api.oTetT(o, fasse l’eucharistie, c’est le texte des éditions Lightfoot, Gebhardt-Harnack) par une bonne conscience et sans transgresser les règles imposées à son office (à sa liturgie), agissant avec gravité. Car on n’offre pas partout, frères, les sacrifices perpétuels ou votifs, ni les sacrifices pour le péché ou pour le délit, mais seulement à Jérusalem. Et là encore, on n’offre pas le sacrifice en tout lieu, mais dans le parvis du temple, à l’autel… Les Apôtres nous ont été envoyés par le Seigneur Jésus-Christ, et Jésus-Christ a été.envoyé par Dieu… Ayant reçu les instructions de Notre-Scigneur Jésus-Christ, ils allèrent annoncer l'évangile… Prêchant à travers les villes et les campagnes, ils éprouvèrent leurs premiers convertis et les instituèrent comme évêqæs et comme diacres des futurs croyants… Ensuite, ils posèrent cette règle qu’après leur mort d’autres hommes éprouvés succéderaient à leur ministère… Ceux qui ont été ainsi mis en charge par les apôtres et plus tard par d’autres personnes investies d’autorité… qui ont servi d’une façon irréprochable…, à qui tous ont rendu bon témoignage depuis longtemps, nous ne croyons pas juste de les rejeter du ministère. Et ce ne serait pas une faute légère pour nous de déposer de l'épiscopat des hommes qui ont présenté les oblations d’une façon pieuse et irréprochable. » (Traduction Hemmer, Les Pères apostoliques, t. n.)

Nul ne le nie : saint Clément parle du culte chrétien. Il affirme que des « règles », des « prescriptions » déterminent la manière dont il doit se célébrer, et empêchent que le service « s’accomplisse au hasard et sans ordre ». Ce sont des « ordonnances du Maître », l’expression de son « bon plaisir » et « de sa volonté souveraine ». Si on les suit, « on ne fait pas fausse route », et « tout se passe saintement ».

Ces règles visent le temps où on doit faire les offrandes : Clément ne précise pas. Son langage fait penser aux attestations d’autres écrivains chrétiens sur la célébration de l’eucharistie le jour du Seigneur. Il y a aussi des prescriptions sur l’endroit où doit se célébrer le service divin. L'évêque, de Rome ne juge pas à propos de les citer. Mais le contexte montre que d’après lui, comme selon saint Justin, il y a obligation de présenter les offrandes dans les assemblées où la hiérarchie tient sa place.

Sur le rang et les droits des ministres sacrés — le but de la lettre l’exigeait — Clément s’exprime avec autant de précision que d'énergie. Le Maître a fixé lui-même « par quels ministres » les offrandes et liturgies doivent se faire. Il a envoyé les apôtres, qui à leur tour choisirent évc’ques et diacres, puis déterminèrent quels seraient leurs successeurs : des hommes « mis en charge par les supérieurs légitimes, avec l’approbation de l'Église, pour faire le service et présenter les oblations. » Les ministres du temps nouveau correspondent à ceux de l’Ancienne Loi dont l’institution remontait elle aussi à Dieu : grand pontife, prêtres et lévites. On ne peut donc sans faute grave les déposer, si leur conduite est sans reproche.

De quel service, de quelles offrandes parle Clément ? Wieland, Der vorirenâische Opferbegriff, Munich, 1909, p. 49, a d’abord proposé de ne voir ici que les fonctions ecclésiastiques en général. Mais comme le fait observer Batifïol, op. cit., p. 53, le mot liturgie « est pris aux Septante où. il désigne le service des prêtres et des lévites », le service du temple et de l’autel, celui des sacrifices. Voir aussi Goguel,

op. cit., p. 226. Au reste, ce terme est complété ici par celui d’offrande qu’il est impossible d’entendre en un sens purement spirituel. Des oblations symboliques, des sentiments intérieurs, des prières privées, des vertus individuelles ne pourraient être l’objet d’un règlement officiel et public. Il n’y aurait pas à définir par qui, où et quand ces offrandes doivent être faites. L’intervention de la hiérarchie ne se comprendrait pas, et il serait impossible de déterminer, dans l’exercice de ce culte individuel et intime, les rôles divers de l'évêque, de ses assistants et des laïques. Rauschen, L’eucharistie et la pénitence, trad. Decker et Richard, Paris, 1910, p. 81 : De la Taille, op. cit., p. 223. « Les Ttpoaçopaî désignant quelques chose d’autre que les XsiToupytat ne peuvent se rapporter aux prières. Il doit donc être question ici de sacrifices. » Goguel, op. cit., p. 226 ; Vôlker, op. cit., p. 132 ; Brinktrine, op. cit., p. 74-76.

Wieland lui-même, op. cit., p. 50, est obligé de reconnaître que les mots offrandes peuvent s’entendre au sens littéral. Mais il ajoute que, si l’on admet cette interprétation, il faut voir en ces oblations les dons que les fidèles apportent à l’office divin pour la sustentation des prêtres et des pauvres. A l’appui de ce sentiment, l’auteur invoque le témoignage de saint Justin et de la Didachè. Mais, même si dans les divers textes allégués il est vraiment question d’aumônes — et ce n’est pas démontré, cf. De la Taille, op. cit., p. 224 et Lamiroy, op. cit., p. 248 — il ne s’en suit pas que tel est le sens ici. Que cette pensée ne soit pas exclue, on peut l’admettre. Mais Clément de Rome parle aussi de l’eucharistie considérée comme un sacrifice rituel. Il compare les liturgies de l'évêque à « celles du grand prêtre », les rites chrétiens aux sacrifices juifs, offerts dans le parvis du temple à l’autel, sacrifices pour le péché ou pour le délit, sacrifices votifs et perpétuels. L’expression employée par l'évêque de Rome : présenter des offrandes ou des dons, vient de l’Ancien Testament et là elle veut dire sacrifier et non pas faire l’aumône. Plusieurs fois, l'Épître aux Hébreux elle-même donne à cette locution le sens de présenter une victime proprement dite : « Tout prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices pour le péché. » v, 1, cf. viii, 3. Qu'à la rigueur il ne soit pas interdit de faire désigner ici par les mots dons tout ce qui est présenté à l'Église, prière et aumône comprises (Funk), du moins ne faut-il pas exclure ce que ces mots signifient avant tout chez les écrivains bibliques, l’oblalion rituelle, le sacrifice proprement dit. Brinktrine, op. cit., p. 76, n. 1.

Qu’on relise d’ailleurs tout le texte : il parle du rôle liturgique des ministres, de fonctions qui leur appartiennent, et à eux seuls, de par la volonté de Dieu et de l'Église, d’une charge qu’on n’a pas le droit de leur enlever si leur conduite a été sans reproche, de préceptes différents de ceux qui s’imposent aux laïques, d’une discipline qui doit être observée saintement. Rien ne désigne mieux le sacrifice et ceux qui l’opèrent. Au contraire, ces expressions paraîtraient beaucoup trop fortes, si elles signifiaient seulement que les membres de la hiérarchie chrétienne reçoivent des aumônes pour les distribuer.

Ailleurs, c. lii, saint Clément affirme de Dieu qu’il n’a nul besoin de nos dons et que le seul sacrifice à lui offrir, c’est la louange et la contrition. Ces paroles ne peuvent nous induire en erreur. Clément rapporte des paroles de psaumes connues, admises par tous ceux qui ont cru et qui croient au sacrifice de la messe, paroles qui démontrent seulement la -nécessité de dispositions saintes dans les donateurs de sacrifices, paroles par lesquelles il n’a pas voulu contredire ce qu’il écrit lui-même sur les offrandes rituelles des temps nouveaux. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 244 B85 MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT CLÉMENT 886

Sans doute. Clément ne dit pas si la célébration de l’eucharistie se rattache au repas d’adieu et à la mort

du Christ. Il n’affirme pas en termes exprès que ce sacrifice est expiatoire. L’auteur n’avait pas à étudier ces questions, et son silence ne prouve pas qu’il ignore ou nie ce qu’il n’a pas à enseigner. Il apporte des arguments à l’appui d’une thèse, et il laisse de côté ce qui est sans aucun rapport avec son sujet.

Quanl à prétendre, comme l’a fait Réville, op. cit., p. 13. que Clément innove en voulant substituer à l’antique conception de l’eucharistie, célébrée par n’importe qui. n’importe où et n’importe quand, celle d’un sacrifice liturgique réglementé, c’est trouver dans la lettre ce qui n’y est nullement. Clément au contraire en appelle, pour justifier sa thèse, à la discipline des Apôtres et à la volonté du Christ. Il n’a pas conscience d’inventer, il attaque des novateurs. Comme le fait observer P. Batiffol, op. cit., p. 55, « nous ignorons tout des circonstances « t des motifs de la cabale », du parti de jeunes qui a déposé les presbytres. Parler d’une « nouvelle réglementation épiscopale » sur les services eucharistiques, affirmer qu’antérieurement à cet acte la cène n’est pas encore un rite « incorporé au culte de la communauté », ce sont autant de « suppositions gratuites ».

Ce qui, par contre, est expressément souligné dans la lettre, ce sont les dispositions demandées aux ministres de l’autel ; en faisant l'éloge des presbytres dont il défend les droits, Clément nous apprend quelles sont les qualités requises en celui qui accomplit la liturgie, le service divin : « une bonne conscience », « une vie irréprochable », « la sainteté », « l’observation des règles imposées à leur office » et « la gravité ».

Vn mot nous renseigne en passant sur les heureux effets de ces offrandes : par elles « on plaît à Dieu ». Si l’on observe tout ce qui est prescrit, on est « bien accueilli » et on est « heureux », on est agréable à Dieu et béni par lui. Ces expressions sont vagues, mais leur généralité même laisse entendre que les fruits à espérer sont de toute nature et des plus précieux.

Enfin, certains historiens croient découvrir dans la lettre des formules liturgiques, par exemple : « Puisque nous tenons tout de lui, nous avons le devoir de lui rendre grâces pour tout. A lui la gloire dans les siècles des siècles. Amen. » xxxviii, 4. Voir encore xun, 6 ; l, 7 ; lvhi, 2. Cf. Fortescue, op. cit., p. 18.

Il est un autre développement dont on peut conclure, sinon avec certitude, du moins avec vraisemblance qu'à cette époque déjà le Sanctus était pendant l’assemblée chrétienne chanté par la foule des fidèles : « Dix mille myriades d’anges se tenaient devant lui et des milliers de milliers le servaient, et ils criaient : « Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth : « toute la création est remplie de sa gloire. » Et nous aussi, réunis par la communauté de sentiments dans la concorde en un seul corps, crions vers lui avec instance comme d’une seule bouche, afin d’avoir part à ses grandes et magnifiques promesses. » xxxvi, 6-7. Cf. Batiffol, op. cit., p. 51.

Plus discutable est le caractère de prière eucharistique attribué par Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1908, p. 50, à la longue supplication que contiennent les chapitres lix-lxi. On la trouvera traduite soit dans Duchesne, op. cit., soit dans l'édition citée de Hemmer.

Tandis que les uns découvrent dans cette oraison un « spécimen de la prière liturgique » (Duchesne, fixeront, Fortescue, Thibaut), d’autres (Batiffol, par exemple) lui dénient ce caractère. Peut-être le désaccord n’est-il pas irréductible entre les tenants

des deux opinions. Tout le monde reconnaît que ce morceau n’est pas « la reproduction d’une formule consacrée ». En effet, il n’y a pas alors de missel imposé : une grande liberté appartient encore à celui qui préside. Il est à noter que, si Clément de Home parle des règles du Seigneur sur la date, le lieu et les ministres des offrandes, il ne laisse pas entendre que des formules fixes soient obligatoires pour tous. Enfin, on ne relève dans cette prière « aucun trait qui se rapporte au sacrement du corps et du sang du Sauveur ». Batiffol, op. cit., p. 51, n. 1.

D’autre part, il est impossible de le nier : on retrouve ici deux thèmes que développent toutes les liturgies antiques : l’action de grâces pour la création, pour les bienfaits divins d’ordre naturel et pour les services rendus par Jésus-Christ ; la prière pour le pardon, pour les besoins les plus divers et pour toutes les infirmités de l’esprit et du corps, prière pour tous les hommes : justes et pécheurs, chrétiens et infidèles, ennemis de l'Église et supérieurs temporels. Ainsi la longue oraison de la lettre de saint Clément de Rome permettrait de croire que, déjà au temps où elle était rédigée, on avait l’habitude au cours des offrandes liturgiques, de placer de telles actions de. grâces et de semblables supplications. En même temps nous avons quelque idée de la manière dont on les rédigeait : les réminiscences scripturaires y étaient très nombreuses.

P. Drews, Unlersuchungen ùber die sogenannte clemenlinische Liturgie, Tubingue, 1920, a cru retrouver dans les prières des fidèles et dans l’anaphore du 1. VIII des Constitutions apostoliques des expressions que déjà on relève dans la longue prière de VÉpître aux Corinthiens, lix-lxi. Il lui semble aussi que dans les deux documents apparaît une même liste des saints de l’Ancienne Loi, et que le Sanctus est exprimé dans l’un et dans l’autre de la même manière. Drews conclut qu’il existait une liturgie primitive antérieure, une source commune à la lettre de Clément de Rome et au texte des Constitutions apostoliques.

Les arguments invoqués à l’appui de cette thèse ne portent pas la conviction dans tous les esprits. La tentative de découvrir une liturgie primitive n’estelle pas d’avance vouée à l’insuccès, puisque à cette époque reculée un texte uniforme, officiel, canonique, ne semble pas avoir existé? Au reste, bien que proposées de nouveau par Thibaut, op. cit., p. 24, les similitudes entre la longue prière et la liturgie du 1. VIII des Constitutions apostoliques ne sont pas très apparentes. S’il y a quelques ressemblances, n’est-il pas très facile de les expliquer ? La longue oraison de saint Clément de Rome s’inspire beaucoup de l'Écriture, le fait est indéniable ; or, toutes les liturgies font de même ; pour ce motif, elles ont entre elles des airs de famille. Telle est bien, semble-t-il, la source commune à tous les documents, ce qu’on pourrait appeler la pré-liturgie. Les présidents des antiques cérémonies chrétiennes qui improvisaient la prière publique se servaient tout naturellement et sans effort de mots tirés des Livres saints, de paroles du Christ, des apôtres ou des auteurs inspirés dont ils avaient gardé pieusement le souvenir et dont ils sentaient tout le prix.

Conclusion — D’après saint Clément de Rome, il y a un culte chrétien officiel, une liturgie publique. Les chrétiens présentent à Dieu des dons et des olïrandes qui sont vraiment rituelles, qui succèdent aux sacrifices de l’Ancienne Loi et les remplacent. Aussi le Seigneur lui-même a-t-il prescrit quand, où, par qui ces oblations doivent être faites, et les fidèles n’ont pas le droit de modifier ses ordonnances. C’est avec gravité, avec sainteté que les membres 887 MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT IGNACE

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de la hiérarchie doivent remplir leur office : leur ministère, par là, est agréable à Dieu et attire ses bénédictions.

3° La Lettre dite de Barnabe (entre 96 et 131). — L’auteur observe que les chrétiens « célèbrent dans la joie le jour du Seigneur ». xv, 9. Il ne dit pas de quelle manière. Goguel, après avoir fait cette juste remarque : la Lettre « est une courte exhortation qui ne traite pas et ne pouvait pas traiter de tous les points importants de la vie chrétienne », ajoute cependant : « Le silence de l'épîlre qui s’occupe des sacrifices de l’Ancien Testament, permet seulement de conclure que, pour son auteur, l’eucharistie n’est pas un sacrifice. » Op. cit., p. 257. Cette seconde remarque est « ans portée. Quiconque parle des rites de l’Ancienne Loi n’est pas obligé pour cette seule raison de mentionner les offrandes des temps nouveaux.

On s’explique même très bien pourquoi le pseudoBarnabe a passé sous silence le rite chrétien. Dans sa polémique contre le judaïsme, il s’efforce de prouver que les prescriptions sur le jeûne, la circoncision, le sabbat, le temple, devaient s’entendre en un sens spirituel de la lutte contre les passions et de la sanctification de l'âme. Les lecteurs 'auraient donc pu être tentés de mettre cet écrivain en opposition avec lui-même, s’il leur avait recommandé l’offrande du pain et du vin eucharistiques. Au contraire, fidèle à sa méthode, il oppose aux sacrifices antiques la mort du Christ : viii, 5. « … vous m’abreuverez de fiel et de vinaigre, moi gui vais offrir en sacrifice ma chair pour les péchés de mon nouveau peuple. »

Non content de taire, le pseudo-Barnabe ne nie-t-il pas l’existence de toute oblation autre que celle de la croix ? Il déclare que, dans la Loi nouvelle, il n’y a pas « d’offrande faite par les hommes, àv0p(o7TO7To[r)Tov », ii, 6 et que, « pour le Seigneur, le sacrifice, c’est un cœur brisé. Le parfum de suave odeur, c’est un cœur qui glorifie celui qui l’a formé ». ii, 10. « Donc, conclut W’ieland, pour le pseudo-Barnabe la cène chrétienne n’a pas le caractère d’une immolation proprement dite. » Op. cit., p. 42.

Cette objection est dépourvue de valeur si le sacrifice de l’autel se confond avec celui de la croix, le continue et ne fait qu’un avec lui. Telle était la pensée de l'Épître aux Hébreux avec laquelle la Lettre du pseudo-Barnabe a tant de traits de ressemblance. Cette oblation n’est pas une œuvre humaine, comme l'était chez les juifs l’oflrande de l’encens ou de la fleur de farine, du sang ou de la graisse, ii, 5. L’eucharistie est instituée par le Christ et c’est encore par lui qu’elle s’accomplit. Ceux dont elle est l’unique oblation n’ont donc pas « d’offrande faite par les hommes », ainsi que l’observe le pseudo-Barnabe. Brinktrine, op. cit., p. 66-67. Quant aux affirmations sur le sacrifice spirituel du cœur brisé, on les retrouve depuis les origines jusqu'à nos jours chez d’innombrables écrivains qui voient dans la messe une oblation proprement dite. L’auteur cite ici le verset bien connu du ps. l. Il se propose d’insister sur la nécessité des dispositions intérieures. Il peut d’ailleurs dire qu’elles sont l’unique sacrifice distinct de celui de la croix, si à ses yeux l’oblation de l’assemblée chrétienne se confond avec ce dernier.

Le paragraphe qui suit justifie cette interprétation. Il déclare, iii, 3, que le jeûne, c’est la justice et la charité. Or, cette mortification corporelle était cependant recommandée à cette époque : la Didachè le dit expressément, viii, 1 : « Que vos jeûnes n’aient pas lieu en même temps que ceux des hypocrites : ils jeûnent en effet le lundi et le jeudi. Pour vous, jeûnez le mercredi et le vendredi. » De même la déclaration sur le devoir d’immoler à Dieu un cœur contrit

n’oblige nullement à supprimer le sacrifice du Christ et son prolongement, sa rénovation.

4° Saint Ignace d’Anlioche, t en 107. — Les textes, étant parfois d’une interprétation difficile, il semble nécessaire de les mettre sous les yeux du lecteur. Traduction Lelong, dans Les -Pères apostoliques, t. iii, p. 2-107.

1. Les textes.

Ephes., v, 2. — « Que personne ne s’y trompe, s'éloigner de l’autel, c’est se priver du pain de Dieu. Si les prières de deux personnes réunies possèdent une telle efficacité, que ne pourra pas la prière de l'évêque unie à celle de l'Église entière ! Ne pas venir à l’assemblée, c’est faire acte d’orgueil et s’excommunier soi-même. »

Ephes., xiii, 1. — « Ayez donc soin de tenir des réunions plus fréquentes pour offrir à Dieu votre eucharistie et vos louanges. Car, en vous assemblant ainsi, vous anéantissez les forces de Satan, et sa pernicieuse puissance se dissipe devant l’unanimité de votre foi. »

Ephes., xx, 2. — « … surtout si le Seigneur me fait savoir que chacun en particulier et tous ensemble sont unis par la grâce, animés par une même foi et ne faisant qu’un en Jésus-Christ… vous êtes unis de cœur dans une inébranlable soumission à l'évêque et au presbytérium, rompant tous un même pain, ce pain qui est un remède d’immortalité, un antidote destiné à nous préserver de la mort et à nous assurer pour toujours la vie en Jésus-Christ. »

Magn., vii, 1-2. — « De même que le Seigneur, , soit par lui-même, soit par ses apôtres, n’a rien fait sans le Père, avec lequel il n’est qu’un, ne faites rien, vous non plus, en dehors de l'évêque et des presbytres. C’est en vain que vous essayeriez de faire passer pour louable une action accomplie en votre particulier ; il n’y a de bon que ce que vous faites en commun ; une même prière, une même supplication, un seul et même esprit, une même espérance animée par la charité dans une joie innocente : tout cela c’est Jésus-Christ au-dessus duquel il n’y a rien. 2. Accourez tous vous réunir dans l’unique temple de Dieu, au pied.du même autel, c’est-à-dire en Jésus-Christ, un, qui est sorti du Père un, tout en lui restant uni et qui est retourné à lui. »

Magn., ix, 1. — « Ceux qui vivaient sous l’ancien ordre de choses ont embrassé la nouvelle espérance et n’observent plus le sabbat, mais le dimanche. »

Rom., vii, 3. — « Je ne prends plus de plaisir à la nourriture corruptible ni aux joies de cette vie : ce que je veux, c’est le pain de Dieu, ce pain qui est la chair de Jésus-Christ, Fils de David, et pour breuvage je veux son sang qui est l’amour incorruptible. »

Philad., iv. — « Ayez donc soin de ne participer qu'à une seule eucharistie ; il n’y a en effet qu’une seule chair de Notre-Seigneur, une seule coupe pour nous unir dans son sang, un seul autel, comme, il n’y a qu’un seul évêque, entouré du presbytérium et des diacres, les associés de mon ministère : de cette façon vous ferez en toutes choses la volonté de Dieu. »

Smyrn., vii, 1. — « Ils (les docètes) s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière parce qu’ils ne veulent pas reconnaître, dans l’eucharistie, la chair de JésusChrist notre Sauveur, cette chair qui a souffert pour nos péchés et que le Père dans sa bonté a ressuscitée. C’est ainsi que, niant le don de Dieu, ils trouvent la mort dans leurs contestations. Ils agiraient bien mieux en faisant l’agape, pour avoir part à la résurrection. »

Smyrn., viii, 1-2. — « Suivez tous l'évêque, comme Jésus-Christ suivait son Père et le presbytérium comme les Apôtres. Quant aux diacres, vénérez-les comme la Loi de Dieu. Ne faites jamais rien sans l'évêque de ce qui concerne l'Église. Ne regardez SS ! t

MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT IGNACE

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comme valide que l’eucharistie célébrée sous la présidence de l'évoque ou de son délégué. 2. Il n’est permis ni de baptiser, ni de célébrer l’agape en dehors de l'évêque, mais tout ce qu’il approuve est également agréé de Dieu : de cette façon, tout ce qui se fera dans l'Église sera sur et valide. »

2. Exégèse de ces textes.

Il y a donc des assemblées chrétiennes, Eph., v, 2, xiii, 1, xx, 2 ; Magn., va, 1, 2. Les fidèles se réunissent ensemble pour une prière commune plus efficace que tout autre. Eph., v, 2 ; Philad., iv. L’endroit normal, c’est celui où ils sont soit avec l'évêque, soit avec son délégué. Smyrn., vin, 1-2. La réunion se tient sans doute le dimanche. Magn., ix, 1. Ignace conseille aux Éphésiens de s’assembler fréquemment, xiii, 1, donc, semble-t-il, plus souvent qu’une fois par semaine. Vôlker, op. cit., p. 114.

A cette réunion se célèbre l’eucharistie, Smyrn., vin, 1 : Eph.. xiii, 1 ; Philad., iv, qui s’accompagne de la prière. Smyrn., vii, 1. Les bons y participent, Philad., iv, tandis que certains hérétiques, les docètes, s’en abstiennent. Smyrn., vii, 1. Célébrer l’eucharistie, c’est aussi faire l’agape. Ces deux expressions semblent synonymes. Smyrn., vii, 1 ; xiii, 1-2. Le mot agape ici n’a nullement le sens de repas donné aux pauvres ou de banquet fraternel uni à l’eucharistie. Les lettres de saint Ignace ne parlent ni de l’une ni de l’autre institution. Cf. Batiffol, op. cit., p. 42 ; Vôlker, op. cit., p. 102. A. Réville lui-même, qui a cru pouvoir traduire ici « agape » par « repas fraternel », est obligé d’ajouter aussitôt que « l’eucharistie est si bien l'élément essentiel de l’agape qu’en elle se concentre le repas tout entier ». Op. cit., p. 34. Si la réunion chrétienne est appelée « charité », ce qu’en dit saint Ignace nous donne à penser que c’est parce qu’elle unit entre eux et avec leurs chefs les fidèles, parce que le sang du Christ est « l’amour incorruptible ». Rom., vii, 3.

Un des éléments de cette eucharistie est le pain. Eph., v, 2 ; xx, 2 ; Rom., vii, 3. Mais il y a aussi une coupe, Philad., iv, un breuvage, Rom., vii, 3. On opère la fraction du pain, Eph., xx, 2, on invoque Dieu par une prière commune, publique, officielle, liturgique, « oraison de l'évêque unie à celle de l'Église ». Eph., x, 2 ; Magn., vii, 1. Elle est louange, Eph., xiii, 1 et supplication. Magn., vii, 1.

Cette eucharistie est la chair de Jésus-Christ notre Sauveur, Smyrn., vii, 1 ; Philad., iv, c’est le pain de Dieu. Rom., vii, 3 ; Eph., x, 2. Aussi produit-elle d’heureux fruits. Il est difficile, impossible même, de distinguer avec précision l’effet propre de l’assistance à l’assemblée et celui de la communion. Il semble bien que c’est le pain de Dieu qui, en étant reçu par chacun des fidèles, devient pour lui un remède d’immortalité, un antidote destiné à le préserver de la mort, et à lui assurer pour toujours la vie en Jésus-Christ. Eph., xx', 2. De même, le sang de Jésus-Christ est présenté comme un principe d’amour incorruptible. Rom., vii, 3. Cependant Ignace observe que les docètes « agiraient bien mieux en faisant l’agape, afin d’avoir part à la résurrection ». C’est encore au fait de se rendre aux réunions qu’il paraît attribuer d’autres effets : « … en vous assemblant, vous anéantissez les forces de Satan, et sa pernicieuse puissance se dissipe devant l’unanimité de votre foi. » Eph., xiii, 1. C’est sans doute encore cette union qui donne aux fidèles même esprit, même espérance animée par la charité dans une joie innocente. Magn., vii, 1.

Cette eucharistie n’est valide, c’est-à-dire sûre et agréée de Dieu, que si elle a lieu sous la présidence de l'évêque ou de son délégué. Smyrn., xiii, 1-2. Car il n’y a qu’une seule eucharistie, une seule chair de Notre-Seigneur, une seule coupe dans son sang, un seul autel, un seul évêque, entouré des presbytres et

des diacres. Philad., iv. Ne faites donc rien sans l'évêque et ses presbytres. Smyrn., viii, 1-2 ; Magn., vn, 1. Ainsi celui qui préside et dirige l’eucharistie, celui dont la prière unie à celle de l'Église est efficace, Eph., x, 2, c’est l'évêque. Rien de plus naturel : il représente Jésus-Christ, Trall., ii, 1, doit être regardé, comme le Seigneur lui-même, Eph., vi, 1, et n’est qu’un avec son esprit, Eph., iii, 2 ; aussi faut-il révérer en lui la puissance du Père. Magn., iii, 1.

L’eucharistie peut pourtant avoir lieu en son absence ; mais alors ce doit être avec son autorisation, Smyrn., viii, 1-2 ; Polyc, iv, 1, sous la présidence de son délégué. Smyrn., viii, 1. Ignace ne dit pas quel personnage peut être choisi par l'évêque pour le représenter ; évidemment ce peut être un des membres du presbytérium, puisqu’ils sont toujours nommés immédiatement après l'évêque.

Ce qu’il affirme des diacres donne au contraire à entendre qu’ils sont plutôt des collaborateurs de l'évêque : Ils sont les serviteurs de l'Église, ministres des mystères de Jésus-Christ. Aussi saint Ignace recommande aux fidèles de les vénérer religieusement, Smyrn., xiii, 1 ; Trall., iii, 1, et de ne pas voir en eux de profanes distributeurs d’aliments et de boissons. Trall., ii, 3. Il nous apprend par là que ces mets, sans doute le pain et le breuvage eucharistiques, étaient présentés par les diacres. Ces personnages nous apparaissent donc non comme aptes à tenir la place de l'évêque, mais plutôt comme des collaborateurs qui le secondent. Ils sont ses aides, ses associés, ctovSoùXoi |j.o’J, Philad., iv, et c’est sans doute pour ce motif qu’Ignace les déclare l’objet de sa très grande affection. Magn., vi. 1.

On a dit que l’insistance avec laquelle, dans ses lettres, est condamnée toute eucharistie faite sans l'évêque prouve que certains chrétiens voulaient alors la célébrer en dehors de lui et qu’ils croyaient « pouvoir manger le pain de Dieu en dehors du sanctuaire ». Goguel, op. cit., p. 252. Cela n’a rien, en somme, que de vraisemblable. Aux origines, quand il y avait de nombreux prophètes, on leur avait accordé un rôle spécial dans les assemblées et, en certaines Églises du moins, un droit de rendre grâces autant qu’ils voulaient, comme nous l’apprend la Didachè, x, 7. Des fidèles ont pu s’autoriser de ce précédent pour célébrer l’eucharistie sans recourir au ministère de la hiérarchie. Ils faisaient ainsi « acte d’orgueil et s’excommuniaient ». Eph., x, 2. Ce n’est d’ailleurs nullement ce que permettait la Didachè. Et puis il est à noter qu’Ignace pose ici un principe général : il affirme que non seulement l’eucharistie, mais tout dans l'église doit être fait en communion avec l'évêque. Le cas de la cène n’est qu’une application, la plus importante il est vrai, de cette règle universelle. Ce qu’Ignace combat, c’est l'égarement des fidèles qui croient pouvoir mener une vie chrétienne sans être en communion avec la hiérarchie, sans se soumettre à elle et sans faire appel à son ministère.

Vouloir faire de lui un des principaux novateurs qui à l’ancienne conception d’une cène toute fraternelle substituaient un rite liturgique présidé par le clergé, c’est dépasser l’affirmation des textes : aucune parole d’Ignace ne permet de dire qu’il croit ou veut innover. En fait, il rattache au contraire le présent au passé. Ce qu’il réclame, c’est, pour les évêques, la place de Jésus-Christ, et pour les presbytres, celle des Apôtres : Ignace veut que le christianisme se continue sous sa forme la plus authentiquement primitive. Aucun document chrétien ne montre une cène où tous sont égaux, où il n’y a pas de président. L’innovation, c’est l’eucharistie privée qui ne ressemble plus au repas d’adieu présidé par le Christ.

Les dispositions requises pour être admis dans

l’assemblée, pour participer au pain de Dieu, s’harmonisent avec cet enseignement sur le caractère olliciel du rile : Non seulement, pour prendre part à une eucharistie valide et agréée de Dieu, les chrétiens doivent être unis, Eph., xx, 2 et même soumis, Simjrn., viii, 1-2, à l'évêque et au presbytérium, Ignace veut encore que « chacun en particulier et tous ensemble soient soutenus par la grâce, animés par une même foi et ne fassent qu’un en Jésus-Christ ». Eph'., xx, 2.

Reste une dernière question : cette eucharistie est-elle un sacrifice ? Saint Ignace ne l’affirme nulle part en termes formels. Son silence, fût-il absolu, ne serait pas une négation ; rien ne prouve que, si cette conception était la sienne, il aurait été obligé de le faire savoir.

Ne pjut-on pas d’ailleurs soutenir que son langage laisse voir sa foi au ca"actère sacrificiel de l’eucharistie ? Puisqu’elle est appelée par Ignace le pain de Dieu, Eph., v, 2 ; Rom., vii, 3, on a rappelé que ces mots désignent dans l’Ancien Testament une oblation rituelle proprement dite. « Les prêtres offrent à Jahvé des sacrifices consumés par le feu, le pain de leur Dieu. » Lev., xxr, 6, etc. Goetz, Die heutige Abendmahlsfrage in ihrer geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1907, p. 299. Mais force est de reconnaître que l’expression doit plutôt s’expliquer par les affirmations de Jésus sur le pain de vie dans le IVe évangile, écrit bien plus voisin des lettres de saint Ignace, et qui présente avec elles tant de traits communs.

Avec plus d'à propos, on voit « un indice du caractère sacrificiel de l’eucharistie » dans le fait qu’elle est réservée à l'évêque et au presbytérium. Qu’on se rappelle en effet la comparaison faite par Clément de Rome entre les ministres de la nouvelle liturgie et le grand pontife, les prêtres, les lévites de l’ancienne, I. Cor., xl, chargés d’offrir les antiques sacrifices. Pour l'évêque de Rome, nul doute, le culte nouveau est réservé aux membres de la hiérarchie, parce qu’il remplace les oblations juives. Si donc à la même époque Ignace attribue à l'évêque ou à son délégué le droit exclusif de présider l’eucharistie, n’est-ce pas parce que lui aussi voit en elle un sacrifice ?

Une expression qu’il emploie à plusieurs reprises tend à le faire croire. Il parle non seulement du temple, Magn., vii, 2, mais aussi du 6uCTi.aaTrjpt.ov, c’est-à-dire soit de l’autel, soit du sanctuaire où s’offrent les sacrifices. C’est ainsi qu’il écrit : « Ayez donc soin de ne participer qu'à une seule eucharistie, il n’y a en effet qu’une seule chair de NotreSeigneur, une seule coupe pour nous dans son sang, un seul autel, comme il n’y a qu’un seul évêque. » Philad., iv. Ici, nul doute, il s’agit de l’eucharistie proprement dite, ce mot n’est pas pris au sens figuré. De même, la chair, la coupe, l'évêque, rien de ce qui est mis en corrélation avec le GuCTiaCTTrjpiov, avec l’autel ou le sanctuaire, ne s’entend d’une manière purement spirituelle. Donc, cet autel, ce sanctuaire, c’est bien aussi ce que les contemporains entendent par ces mots, c’est l’endroit où est offert à Dieu une victime, fgnace s’exprime en homme qui croit à l’existence d’un sacrifice chrétien.

A cet argument on a opposé les textes où le même mot est employé par fgnace au sens figuré : « Quiconque est à l’intérieur du sanctuaire, est pur, et quiconque est en dehors, est impur », ce qui veut dire : « quiconque agit en dehors de l'évêque, des presbytres et des diacres n’a pas une conscience pure. » Trall., vu, 2. Cette objection est dépourvue de valeur. Car dans ce dernier passage saint Ignace dit lui-même qu’il emploie le mot Ôuctioccttyjpiov au sens spirituel, il explique la figure. Tout autre est le sens dans le mor ceau précédemment cité. Là il est écrit expressément // n’y a qu’un évêque. Donc, là, au même endroit, . les mots : il n’y a qu’un Ojaiaa-r/jpiov ne veulent pas dire de nouveau : il n’y a qu’un évêque.

On allègue un autre texte où le même mot serait pris au sens figuré : « S'éloigner de l’autel, c’est se priver du pain de Dieu. » Eph., v, 2. On veut qu'à cet endroit la locution discutée signifie : « abandonner la vraie doctrine ». Ce n’est nullement certain. Au contraire, le mot peut s’entendre fort bien au senspropre. Car dans le même développement, il est parlé des orgueilleux qui ne viennent pas à l’assemblée, Eph., v, 2, en d’autres termes de ceux qui s'éloignent de l’autel.

Enfin, on invoque un troisième passage : « Accourez tous vous réunir dans le même temple de Dieu, au pied du même autel, c’est-à-dire en Jésus-Christ un. » Magn., vii, 2. Mais, ici encore, aucune méprise n’est possible. L’auteur dit lui-même qu’il parle au sens ligure ; il invite à aller « comme vers l’autel unique^ vers l’unique Jésus-Christ », wç èrcl êv 0'jcr'.aaTr)piov, èm sva Tt ; ctoûv Xpicrôv.

Au contraire, dans le premier passage que nous avons cité, tout dans la phrase entière oblige à penser que le mot autel n’est pas à interpréter d’une manièrespirituelle. Comme on l’a fort bien dit : De ce qu’un auteur emploie une ou plusieurs fois une expression au sens métaphorique, rien n’oblige à penser, sans examiner le contexte, qu’il donne toujours à ce mot une signification spirituelle. Quiconque a lu les lettres de saint Ignace sait que précisément il déconcerte le lecteur en attribuant ainsi à un même mot, tantôt un sens profane, tantôt des acceptions figurées, qui parfois sont tout à fait inattendues.

Admettons même que l’emploi par saint Ignace du terme 0uai.aaT7)pt.ov ne prouve pas d’une manière rigoureuse que l’auteur voit dans l’eucharistie un sacrifice, du moins ce rapprochement qui est fait par lui entre l’autel et l’eucharistie montre que pour lui les deux concepts ne sont pas sans connexion. Si l'Église unie à l'évêque peut être appe'ée un auteL Eph., v, 2 ; Philad., iv, n’est-ce pas parce qu’on y offre "un sacrifice ? Brinktrine, op. cit., p. 82-84. Wieland, op. cit., p. 51, a voulu établir le contraire, fl estime, que d’après Ignace, le chrétien à la réunion eucharistique n’offre à Dieu que des prières. L T ne preuve, c’est le texte d’après lequel l’oraison de l'évêque et de toute l'Église consacre le pain de Dieu, et permet de penser que l’assemblée devient un sanctuaire. Eph., v, 2-3. Admettons que tel est le sens de ce passage. Encore faudrait-il démontrer que pour fgnace la prière liturgique en changeant le pain au corps du Christ n’opère pas un sacrifice, et c’est ce que le texte ne permet pas d'établir.

Un second argument du même auteur n’est pas plus probant. Il est dit que dans les assemblées « on rend grâces et on loue Dieu, et qu’ainsi on anéantit les forces de Satan ». Eph., xiii, 1. Si, comme nous le pensons, il est ici parlé de l’eucharistie — ce n’est pas admis par tous les interprètes — de ce que l’auteur montre en elle un acte d’adoration ou de reconnaissance et ne signale pas ses autres caractères, il est impossible de conclure qu’elle n’en a pas. D’ailleurs il y a des sacrifices d’actions de grâces et de louanges.

Sans doute, après avoir dit : « Ne faites rien à l'église sans l'évêque », Ignace ajoute « qu’il y ait une seule prière, une seule supplication ». Magn., vii, 1. Et Wieland de raisonner ainsi : L’auteur assimile l’action liturgique à une prière : donc l’action liturgique, c’est pour lui la prière. Mais ne pourrait-on pas dire tout aussi bien : pour Ignace, l’action se confond avec la prière, donc pour lui, la prière est une action litur893 MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : SAINT POLYCARPE 894

gique ?.Môme si l’on concède qu*ici le rite est une simple prière, doit-on admettre qu’il n’y a pas de sacrifice chrétien ? Cette oraison elle-même peut être et elle est aux yeux d’innombrables chrétiens ce qui constitue le corps et le sang de Jésus-Christ sur l’autel à l'état de victime et opère ainsi le sacrifice. Rien ne prouve que telle n’est pas la pensée d’Ignace. Cf. De la Taille, op. cit., p. 217. L’action liturgique n’est qu’une prière, soit, mais c’est une prière d’offrande, c’est un sacrifice.

Wieland le démontre fort bien : l'évêque d’Antioche n’enseigne pas qu’il se fait à l’assemblée chrétienne une destruction de la victime ou une immolation distincte de la mort de la croix. Mais cet historien n’a pas établi que saint Ignace refuse à l’eucharistie le caractère d’une oblation, rituelle et d’une commémoraison de la mort du Christ. Lamiroy, op. cit., p. 258.

Gogucl, lui aussi, abuse de l’argument du silence. De ce que dans ses lettres Ignace n’a pas parlé de l’institution de l’eucharistie par le Christ, il conclut que l'évêque d’Antioche « n’attribue pas une importance considérable » à cette idée. Op. cit., p. 253. Comment admettre pareille conclusion ? Ou bien Ignace croit à l’institution de l’eucharistie par Jésus et c’est ce que n’ose pas nier Goguel — alors il est impossible que ce fait soit à ses yeux un acte peu important, c’est en réalité celui qui explique tout ce qu’il a dit du pain de Dieu et du sang du Christ ; ou bien l'évêque d’Antioche n’admet pas cette institution et alors on ne comprend rien à son enseignement : certains hommes n’ont pas qualité pour transformer une nourriture ordinaire en la chair du Seigneur et lui faire produire les effets les plus merveilleux. Il faut se résigner à rejeter les explications les plus naturelles pour leur préférer des hypothèses invraisemblables. Saint Ignace ne parle pas de l’institution de l’eucharistie par le Christ parce qu’il ne peut pas ou ne veut pas tout dire, parce qu’il n’a pas jugé bon d’employer cette vérité pour expliquer et démontrer ce qu’il avait à expliquer et à démontrer.

C’est pour le même motif et c’est peut-être aussi parce qu’elle : étaient alors en partie au moins improviéses, que l'évêque d’Antioche ne nous renseigne pas sur le texte des prières eucharistiques. Lietzmann, op.cit., p. 257, n. 2, a pourtant relevé les mots fameux sur le pain de la fraction qui est remède d’immortalité, antidote destiné à nous préserver de la mort et à nous assurer pour toujours la vie en Jésus-Christ. Il observe qu’on retrouve des expressions semblables dans VEuchologe de Sérapion, dans une messe gallicane de Mone, et dans un papyrus encore inédit de Berlin où il est souhaité que l’eucharistie devienne un remède d’immortalité, un antidote de vie pour ne plus mourir ù jamais, mais pour vivre en toi (le Père) par ton Fils bien-aimé. L’auteur croit que cette similitude si remarquable des deux formules suppose une tradition liturgique commune, les liturgies ne citant pas d’ordinaire les Pères de L'Église. — Mais faut-il admettre que cette dernière règle est sans exception ?

Conclusion. — Pour Ignace, l’eucharistie appelée agape se compose du pain qui est la chair du Christ, du breuvage qui est son sang. Il y a fraction du pain, prière et supplication, action de grâces et louange, distribution des aliments sacrés. Le rite s’accomplit au moins le dimanche. Il est à souhaiter que les assemblées soient plus fréquentes. Elles ont lieu en un endroit où les fidèles s’unissent à l'évêque entouré du presbytérium, assisté par les diacres. Sans la hiérarchie, l’eucharistie ne doit pas être célébrée. C’est l'évêque ou son délégué qui la préside. Il le faut pour qu’elle soit valide. Aussi, pour y prendre part, le fidèle doit-il être en grâce avec lui, avec l'Église

et avec Jésus-Christ. Quand il en est ainsi, en même temps que la communion assure l’amour, la vie et l’immortalité, l’assistance aux assemblées donne la victoire sur le démon, confirme la foi, l’espérance, la charité, la joie. Cette eucharistie est-elle un sacrifice ? Ignace ne l’affirme pas en termes exprès, mais son langage donne à entendre que, s’il n’a pas eu l’occasion ou éprouvé le besoin d’exprimer cette croyance, du moins elle est sienne.

5° Lettre de saint Pohjcarpe (un peu après 107). — On a voulu y voir un spécimen de prière d’allure liturgique : xii, 2-3. Il est permis de le croire, mais il est impossible de le prouver : « Que Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que le Pontife éternel lui-même Jésus-Christ, Fils de Dieu, vous fasse croître dans la foi et la vérité, dans une douceur parfaite, exempte de tout emportement, dans la patience et la longanimité, dans la résignation et la chasteté. Que Dieu vous donne part à l’héritage de ses saints, qu’il nous y fasse participer avec vous et tous ceux qui sont sous le ciel, qui croient en Notre-Seigneur Jésus-Christ et en son Père qui l’a ressuscité d’entre les morts. Pliez pour tous les saints. Priez aussi pour les rois, les magistrats et les princes, pour ceux qui vous persécutent et vous haïssent et poulies ennemis de la croix… »

La lettre de Pline le Jeune à Trajan.

On sait

que l’authenticité de cette lettre, Epist., x, 96, ou du moins de certaines parties de la lettre est discutée. Si l’on admet qu’elle est vraiment de l’auteur, on peut relever les faits suivants.

D’après les apostats de Bithynie interrogés par Pline, les fidèles se réunissaient à une date fixe, sans doute le dimanche, stato die. Ce jour-là, il y avait deux assemblées, l’une avant l’aurore, on y chantait une hymne au Christ comme à un Dieu ; l’autre le soir où on prenait un repas commun à tous (promiscuuni, peut-être ordinaire) mais innocent. Était-ce l’eucharistie ? Depuis qu’une loi a interdit les hétairies, cette seconde assemblée a été supprimée. Si cette deuxième réunion était la cène, elle a été transférée à l’office du matin. Évidemment, Piine ne peut nous donner aucun renseignement sur sa signification intime, sur son caractère îeligieux.

7° Hermas (140-155). — Hermas ne dit rien de l’eucharistie. Il appelle l’aumône un sacrifice. Simil., V, iii, 8. De ce mot, du silence de l’auteur sur l’oblation des chrétiens, on ne peut rien conclure contre l’existence d’une offrande lituelle des temps nouveaux. La question n’est pas posée, donc elle ne peut pas être résolue. Certains histoiicns de la liturgie croient avoir découvert dans le Pasteur des formules liturgiques. Fortescue, op. cit., p. 22.

8° lettre des Smijrniotes sur le martyre de saint Polycarpe (156-157). — Il y est affirmé que les ossements de Polycarpe ont été déposés dans un lieu convenable : « Là, dans la mesure où ce sera possible, nous nous réunirons avec joie et allégresse, pour célébrer avec l’aide du Seigneur l’anniversahe du jour où Polycarpe est né à Dieu par le martyre. Ce sera un hommage à la mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, en même temps qu’un entraînement et une préparation aux luttes de l’avenir. » xviii. Il n’est pas dit qu'à cette occasion sera célébré le sacrifice eucharistique, mais on peut le présumer. Nous avons ici la plus ancienne attestation de l’usage de commémorer par une synaxe l’anniversaire des martyrs. Wilpert, Fractio punis, Paris, 1896, p. 41.

La lettre des Smyrniotes raconte aussi qu’après son arrestation, Polycarpe demanda aux policiers une heure pour prier, vii, 2. Dans sa longue oraison « il se souvint de tous ceux qui avaient été en relations avec lui, petits et grands, illustres et obscurs, et de

toute' l'Église ». viii, 1. Des historiens ont conclu que l'évoque de Smyrne avait fait alors le mémento qui avait sa place dans la célébration eucharistique. Wilpert, op. cit., p. 52.

La lettre reproduit aussi la prière de Polycarpe avant sa mort. Évidemment, le texte est adapté à la circonstance. Néanmoins il peut donner une idée de ce qu'était la prière faite tant de fois pendant l’offrande eucharistique par le vieil évêque de Smyrne. Ce qui permet de le croire, c’est qu’on relève un assez grand nombre de mots appartenant au vocabulaire liturgique du sacrifice : « calice », « victime », « grand prêtre », joints à une doxologie et à un Amen final. « Seigneur, Dieu Tout-Puissant, Père de JésusChrist, ton fils bien aimé et béni, qui nous apprit à te connaître, Dieu des Anges, des Puissances et de toute la création, Dieu de toutes les familles de justes qui vivent en ta présence, je te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d'être compté au nombre de tes martyrs et d’avoir part avec eux au calice de Jésus-Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l'âme et du corps dans l’incorruptibilité de l’Esprit-Saint. Puissé-je aujourd’hui être admis avec eux en ta présence, comme une victime grasse et agréable, de même que le sort que tu m’avais préparé, que tu m’avais fait voir d’avance, tu le réalises maintenant, Dieu de vérité, Dieu exempt de mensonge. Pour cette grâce et pour toutes choses, je te loue, je te bénis, je te glorifie par l'éternel grand prêtre du ciel Jésus-Christ, ton fils bien-aimé. Par lui, gloire soit à toi, avec lui et le Saint-Esprit, maintenant et dans les siècles à venir. Amen. » xiv.

Des historiens d'écoles très différentes ont remarqué les réminiscences liturgiques de cette suprême oraison. Lebreton, La prière dans l'Église primitive, dans Recherches de science religieuse, 1924, p. 17, 27-28. Lietzmann, op. cit., p. 257, croit voir en ce morceau une légère transformation de la prière eucharistique de Smyrne. Peut-être le mot le plus juste a-t-il élé écrit par le R. P. Delehaye : « Dans cette prière, on entend un écho de textes liturgiques connus. Que le martyr ait mêlé à son langage des formules consacrées, rien de plus naturel. Que le narrateur essayant de rappoiter ces paroles y ait joint des expressions qu’il retrouvait dans sa mémoire ou ait subi consciemment l’influence d’une rédaction reçue, c’est une hypothèse trop vraisemblable pour qu’il soit permis de n’en point tenir compte. » Les passions de martyrs, Bruxelles, 1921, p. 10.

III. Seconde moitié du deuxième siècle. — A dessein est étudié d’abord le témoignage de saint Justin, bien qu’il ne soit pas le p ! us ancien apologiste. Mais, comme on le verra, son texte permet de comprendre certaines affirmations d’autres avocats de la cause chrétienne, sur le sacrifice en usage dans la nouvelle religion.

1° Saint Justin (/ re Apologie entre 150 et 155 ; Dialogue avec Tryphon, 155-161). — On l’a fait justement observer : la déposition de Justin est du plus haut prix. Il veut tout dire au public, afin de montrer que tout dans le culte chrétien est innocent. Ce qu’il fait connaître, ce n’est donc pas une conception personnelle ou un usage privé. L’apologiste expose au grand jour les rites acceptés par tous et les doctrines admises par tous. Le public est mis en face des préceptes enseignés à Justin et à ses frères, de la tradition qu’ils tiennent de leurs ancêtres dans la foi. Ces usages et ces doctrines sont reçus partout. Saint Justin est originaire de Palestine, il s’est converti à Éphèse, il vit à Rome : son langage ne laisse pas entendre qu’il y ait des différences entre les coutumes des divers pays où il a vécu. Les historiens des rites

chrétiens estiment donc qu’il fait connaître ce qui dans cette liturgie était de son temps commun aux diverses Églises locales de la chrétienté (Batiffol, Baumstark, Watterich, Drews, Bardy.)

1. Les textes.

On les trouvera réunis et traduits dans P. Batiffol, L’eucharistie, p. 7 sq. - — Us se rencontrent dans la 1° Apologie, c. lxv (description de la cérémonie eucharistique qui suit le baptême) ; c. lxvi (définition de l’eucharistie) ; c. lxvii (la cérémonie eucharistique de chaque dimanche) ; et aussi dans le Dialogue, c. xli (figures anciennes du sacrifice eucharistique ; le sacrifice eucharistique prédit par Malachie) ; c. lxx (le sacrifice prédit par Isaïe, xxxiii, 13-19) ; c. cxvii (le seul sacrifice agréable à Dieu).

2. Le rite.

Saint Justin parle deux fois de la célébration de l’eucharistie. Il relate d’abord comment elle se fait après le baptême, lxv-lxvi. Puis il décrit la manière dont elle s’opère chaque dimanche à l’assemblée des chrétiens, lxvii, 3-7. Les deux descriptions concordent pour ce qui est des rites proprement eucharistiques. Mais les cérémonies qui ont lieu au début de la réunion dominicale ne se font pas après la collation du baptême ; elles ont été remplacées par tout ce qui s’est passé pendant l’administration de ce sacrement.

a) Le jour dit du soleil, tous ceux (des chrétiens) qui habitent les villes ou la campagne… se réunissent en un même lieu. Apol., lxvii, 3. — L’assemblée a lieu régulièrement chaque dimanche. Écrivant à des païens, l’apologiste désigne ce jour sous son nom païen. On l’a choisi, affirme-t-il, parce que c’est le premier de la création et aussi celui où le Christ ressuscita. L’heure n’est pas déterminée. — L’eucharistie pouvait être célébrée en dehors de ce jour, elle l'était par exemple après la collation du baptême. Apol., lxv. Ce qui caractérise la réunion du dimanche, c’est que tous les chrétiens y assistent. Saint Justin en fait deux fois la remarque, lxvii, 3, 7.

On notera le vague de la formule employée pour dire aux païens le lieu de la réunion : « Les fidèles se réunissent en un même lieu ». « On conduit le baptisé là où les frères sont assemblés. » Rien de plus naturel.

b) On lit les Mémoires des apôtres et les écrits des prophètes autant qu’il y a lieu. — Justin nous apprend que le lecteur est. différent de la personne qui fait l’homélie. Est-ce un membre du clergé qui est spécialement chargé de cet office ? Le texte est trop vague pour qu’on puisse lépondre avec certitude. Les Mémoires des apôtres sont l'Évangile : Justin lui-même le dit, lxvi, 3. Ainsi sont lus à l’assemblée des morceaux de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ancien et le Nouveau Testament. Les mots autant qu’il y a lieu peuvent signifier : on lit aussi longtemps que c’est possible — ou bien : dans la mesure où il le faut pour que le prédicateur ait un texte à commenter — ou enfin : d’après des règles alors reçues et que saint Justin ne juge pas utile de faire connaître. Cet usage semble bien venir de la Synagogue. Là on lisait à l’office du sabbat la Loi et les Prophètes. Baumstark, Ecclesia or-ans, Von dem geschichtlichen Werden der Liturgie, Fribourgen-B., 1923, p. 15 ; Lietzmann, op. cit., p. 258.

c) Le lecteur s'étant arrêté, celui qui préside… — Saint Justin distingue donc l’assemblée des frères et leur chef. C’est pour lui confier ici le soin de faire l’homélie ; plus tard de nouveau il sera nommé comme recevant le pain et la coupe, lxv, 3 ; faisant la prière et l’action de grâces auxquelles tous répondent par un Amen, lxv, 3, 5 ; lxvii, 5. C’est encore lui qui reçoit les collectes pour les pauvres et les distribue, lxvii, 6. Il serait difficile d’insister davantage sur la distinction entre le peuple et la hiérarchie. Il est clair que ce « président » est l'évêque ou, comme disait

saint Ignace, son délégué. Peut-être Justin a-t-il employé à dessein ce mot, parce qu’il est apte soit à désigner le chef de l'Église locale, soit son représentant le prêtre.

d) Celui qui préside prend la parole pour l’instruction morale et pour exhorter à imiter ces beaux enseignements. Apol., lxvii, 4. — Nouvelle imitation de l’usage juif : à l’office du samedi matin, après la lecture des saints Livres, le commentaire en était fait. Jésus a rempli parfois cet office : Matth., iv, 23 ; Marc., i, 21 ; vi. 2 : Luc, iv, 15 sq. : xiii, 10 ; Joa., vi, 59 ; xviii, 20. L’union de l’eucharistie et de la prédication prouve qu’on tenait ces deux actes pour les plus importants du culte : on voulut donc qu'à l’assemblée dominicale où tous les frères se réunissaient, ils eussent leur place assignée. Lietzmann, op. cit., p. 258. C’est un fait accompli à Rome en 150. Et peut-être pour ce motif, l’eucharistie d’abord célébrée le soir le fut à l’office du matin où, selon l’usage hérité de la Synagogue, avaient lieu la lecture et l’homélie morale.

e) Ensuite, nous nous levons tous ensemble et nous adressons des prières. Apol., lxvii, 5. — De même dans la description de la cérémonie qui suit le baptême on lit : Nous faisons avec ferveur les prières communes. lxv, l. — Désormais les deux descriptions de saint Justin concordent et se complètent. Dans leucharistie célébrée après le baptême la lecture et la prédication ne sont pas mentionnées. Elles ont été remplacées par les cérémonies antérieures.

Cette fois encore, l'Église chrétienne conserve l’usage des synagogues : le samedi matin, après la lecture et l’homé.ie, venait la prière. Nous voudiions être renseignés sur cette supplication. On comprend que l’apologiste n’ait pas pu satisfaire davantage notre curiosité, si la pritre est en partie ou totalement improvisée, le peuple ne répondant que par - des Amen ou des acclamations. Une des deux descriptions indique le thème général de l’oraison (collecte serait-on tenté de dire, puisque tous se lèvent ensemble) : « Nous la faisons pour nous, pour le baptisé, pour tous les autres qui sont partout, afin d'être trouvés, nous qui avons connu la vérité, gens de bonne vie et fidèies aux préceptes reçus pour opérer notre salut éternel. » i.xv, 1. Ainsi nous voyons que cette piière est vraiment catho.ique. Les assistants ne s’oub ient pas. mais ils pensent aussi à tous leurs frères. Ce qui est demandé ce sont les biens spirituels, une bonne vie et le salut.

On lit encoie dans le Dialogue : « Nous prions pour nous et pour tous les autres hommes afin que changeant d’opinion, d’accord avec nous, vous ne blasphémiez pas… ie Christ Jésus, mais qu’au contraire croyant en lui, vous soyez sauvés… » xxxv, 3. « Nous prions pour vous (les juifs), afin que vous soyez pris en pitié par le Christ », xcvi, 3 ; « pour que vous trouviez tous miséricorde auprès du Père compatissant et très miséiicoi dieux ». cviii, 3. « Nous tous prions pour vous et pour tous les hommes. » cxxxiii, 6. Saint Justin ne dit pas que la prière dont il parle soit la supplication de la messe, mais on peut le penser. Thibaut, op. cit., p. 48, fait remarquer que deux fois en ces passages il est parlé de la pitié du Christ et de celle du Pèie, et que ces mots pourraient être une allusion au Kyrie eleison dont l’usage est foit ancien. Duchesne, op. cit., p. 58, le fait lemonter à la Bible. Cf. Fortescue, op. cit., p. 306.

/) Puis nous nous embrassons les uns les autres, suspendant tes prières. Apol., lxv, 2. — Cet usage n’est mentionné que dans la desciiption de l’assemblée euchaiistique i.ui suit le baptême. Il est a.ors tout à fait de circonstance : il convient qu’un signe de fraternité soit donné par les frères à ceux qui viennent d'être introduits dans leur famille. Bien que Justin ne signa.e pas ce rite comme une des cérémonies

DICT. DE THÉOL. CATH.

de la réunion dominicale, on peut croire qu’il s’y accomplissait, puisqu’il se rencontre dans toutes les liturgies dès la plus haute antiquité et qu’il est recommandé par le Nouveau Testament.

L’apologiste fait observer qu’on cesse de prier. lxvii, 5, cf., lxv, 2. Ces mots soulignent assez bien le passage du service imité de la synagogue et appelé parfois « messe des catéchumènes » au service essentiellement chrétien, et nommé pour ce motif « messe des fidèles ». Justin ne dit pas s’il y a un renvoi d’une partie de l’assistance à ce moment.

g) Du pain est apporté, du vin et de l’eau, lit-on dans la description de l’assemblée dominicale. Apol., lxvii, 5. Même affirmation dans le texte parallèle : Alors est présenté à celui qui préside les frères du pain et une coupé d’eau et de vin trempé, lxv, 3. De même, il est affirmé que les diacres distribuent aux assistants le pain, le vin et l’eau, lxv, 5.

Notons d’abord que les deux éléments, l’un sec et l’autre humide, comme dit Justin, sont tous deux, à n’en pas douter, également partie essentielle et nécessaire de l’eucharistie. Aux textes déjà cités, on peut, pour le prouver, adjoindre des attestations tirées du Dialogue où il est parlé du pain et de la coupe. ex vii, cxli, cxlii.

Il faut rappeler, ne serait-ce que pour mémoire, la thèse soutenue par A. Harnack, Brot und Wasser, die eucharistischen Elemente bei Justin, Leipzig, 1891 : « Justin n’a jamais parlé de vin à propos de l’eucharistie. » Sans doute, ce paradoxe n’avait guère été accepté d’abord que par Brandt et avec des réserves parO. Holtzmann. Déjà en 1907, dans l’art. Aquariens, du Diction, d’archéol. chrét., 1. 1, col. 2853, P. Batiffol, pouvait dire avec raison que cette opinion singulière avait rallié contre elle tous ceux qui ont étudié la question. Aux noms qu’il citait alors, de Duchesne, Weymann, Zahn, Funk, Jiilicher, Grafe, Bardenhewer, Ehrhard, on pourrait ajouter encore ceux de Struckmann, Goguel. Dans la 4e édit. de la Dogiiengeschichle, t. i, 1909, p. 233, n. 2, Harnack lui-même reconnaît que ses contradicteurs ont peut-être raison. Néanmoins, tout récemment, Lietzmann, op. cit., p. 240, pour démontrer qu'à l’origine on employait indifféremment de l’eau et du viii, fait encore appel à l’argumentation de Harnack. D’autre part, Vôlker, op. cit., p. 125, 126, estime qu’elle oblige au moins à reconnaître que Justin n’a pas exclu l’eau comme élément de l’eucharistie. Force est donc de tuer de nouveau ce qui paraissait bien mort.

Harnack fait observer que Justin cite sept fois la bénédiction de Juda, Gen., xlix, 8-12, où il est écrit : « Il lavera sa robe dans le viii, dans le sang de la vigne », sans faire allusion à la cène. En deux passages, il songe à ce rapprochement, mais il semble que là on a fait une correction malheureuse oivoç, viii, pour Ôvoç, âne. Cette dernière affirmation est contestable. Fût-elle admise, il resterait à démontrer qu’on ne peut exp.iquer cette prophétie sans parler de la cène. Le contraire est établi. Comme l’a prouvé T. Zahn, Brot und Wein im Abendmahl der allen Kirche, Leinzig, 1892, p. 7, Irénée, Clément d’Alexandrie, Hippolyte, Origène ont mentionné la bénédiction de Juda sans la mettre en rapport avec la cène.

Si un second argument est un peu plus spécieux, il n’est pas convaincant. A trois endroits, voir plus haut, le texte de saint Justin que nous lisons aujourd’hui parle du vin. Dans l’un d’eux on lit qu’est présenté TroTvjpiov ûSaxoç xocl y.pâ|i.aToç. Or, xpdqj.a indique déjà un mélange d’eau et de vin. La traduction littérale de cette phrase devrait donc être la suivante : « On présente une coupe d’eau et de vin mêlé d’eau. » Cette conclusion est irrecevable. Donc : xpdqjux est une glose. D’autre part, d’après V Apologie, il y a simi X. —. 29

litude entre l’eucharistie et les mystères de Mithra, où, écrit saint Justin, « on présente du pain et une coupe d’eau ». lxvi, 4. Pour qu’existe entre les deux lites la ressemblance dont il est parlé, il faut donc admettre que l’eucharistie elle aussi se compose de pain et d’eau. Plus tard des mains chrétiennes auraient ajouté le mot viii, pour harmoniser les affirmations de V Apologie avec l’usage général des chrétiens. Il faut donc lire : On apporte à celui qui préside du pain et une coupe d’eau ; il y a lieu de supposer que, dans les deux autres endroits de l’Apologie où le vin est nommé, il y a eu interpolation.

A cet argument ont été opposées de solides réponses. Kpâfxa pouvait désigner non un mélange d’eau et de viii, mais seulement ce dernier élément, du moins dans la langue du peuple : tel est le sens en grec moderne vulgaire -du mot xpocaL Saint Justin dirait donc qu’on apporte du « pain, de l’eau et du vin ». Batifîol, op. cit., p. 7, n. 2. Quant à la comparaison faite par l’apologiste entre l’eucharistie chrétienne et l’initiation mithriaque, une similitude générale permet de lajustifier.il n’est pas nécessaire que tous les détails soient identiques. Même si le calice de l’eucharistie contient du vin et celui de la cérémonie mithriaque de l’eau, saint Justin peut écrire que les démons contrefont le rite chrétien, puisqu’il y a dans les deux cas une coupe avec une boisson et des formules prononcées sur les éléments.

Harnack tire un dernier argument du fait que Justin voit une prophétie de l’eucharistie dans un texte d’Isaïe, xxxiii, 16 : « Du pain leur sera donné et son eau sera fidèle » (d’après les Septante). Mais la similitude absolue de matière n’est pas indispensable pour que l’apologiste puisse rapprocher la promesse d’Isaïe et la réalité eucharistique. Il suffit qu’il y ait dans le rite chrétien deux éléments, l’un sec et l’autre humide. Il n’est pas nécessaire que ce dernier soit de l’eau. Justin ne tient pas compte de la matière. D’ailleurs à cet endroit même ce qu’il oppose à l’eau d’Isaïe, c’est la coupe, sans se préoccuper de son contenu. Ehrhard, Die allchristliche Literatur und ihre Erforschung, Fribourg-en-B., 1902, t. i, p. 238. — Il n’y a donc aucune raison de supprimer le mot vin dans les endroits où il se trouve. A la thèse de Harnack on a d’ailleurs opposé cet argument : Justin écrit à Rome, au iie siècle ; or, nous savons par les fresques des catacombes que le vin était alors en cette ville un élément de l’eucharistie. Wilpert, Fractio panis, Paris, 1896, p. 76.

S’il n’y a pas lieu d’exclure cet élément, il convient de noter la présence de l’eau. Il est à supposer que l’usage du mélange remonte à l’origine du christianisme. Fortescue, op. cit., p. 404. Rien de plus naturel : la coutume était répandue dans le monde antique ; les Juifs la suivaient. Le mélange devait se faire pendant la manducation de l’agneau pascal. La coupe eucharistique présentée par Jésus à la cène avait donc contenu du vin et de l’eau. Les chrétiens imitèrent le Maître.

h) Celui gui préside adresse des prières semblable-, ment et des actions de grâces autant qu’il a de force et le peuple repond. Amen. Apol., lxvii, 5. Celui qui préside prend le pain et la coupe, exprime louange et gloire au Père de l’uniuers par le nom du Fils et de l’Esprit-Saint, et il fait une action de grâces abondamment parce que Dieu a daigné nous accorder ces dons. Apol., lxv, 3.

Le rôle du président est souligné avec précision. C’est lui seul qui dit les prières et l’action de grâces, qui parle au nom de tous. L’oraison n’est plus collective comme celle qui a précédé. Cette fois le peuple, le Xaoç se tait, il n’a la parole que pour dire à la fin Amen, en d’autres termes pour ratifier ce qui a été fait au nom des frères. On est en face de l’action

sainte entre toutes, de la prière qui est au centre de la liturgie, réservée au président de l’assemblée et qu’on appellera bientôt l’anaphore.

Elle comprend deux opérations distinctes : il y a des prières et des actions de grâces ou eucharisties. Justin l’allirme en termes exprès dans la description du rite dominical. Il distingue les deux opérations dans le récit parallèle de la liturgie qui suit le baptême. Deux fois encore, dans le Dialogue, il mentionne les prières et les eucharisties, cxvii, 2, 3.

Ces actes ne se font pas comme en d’autres circonstances où l’on peut prier ou remercier. Il y a ici une corrélation entre la présence des éléments et les paroles prononcées par le président : « Il prend le pain et la coupe, exprime louange et gloire au Père… fait action de grâces pour ces dons. » Apol., lxv, 3. C’est surtout ce dernier acte, l’eucharistie, qui est mis en rapport avec les éléments matériels. De nombreux passages le montrent. Il est parlé des « objets eucharisties', Apol., lxv, 5 ; lxvii, 5 ; « du pain de l’eucharistie » ; « de l’eucharistie du pain et de la coupe », DiaL, xli, 1, 3 ; du « calice de l’eucharistie », DiaL, xli, 3 ; de « l’eucharistie du pain et de la coupe », DiaL, cxvii 1 ; de « l’aliment qui s’appelle eucharistie ». Apol. lxvi, 1.

Cet acte, le président l’accomplit « autant qu’il a de force ». Apol., lxvii, 5. Ces mots semblent prouver que l’officiant a le devoir de « faire de son mieux » et partant le droit de choisir les paroles qui lui semblent les plus expressives, les plus puissantes, pour exprimer les sentiments de l’assemblée chrétienne et les siens. Une faculté d’improviser les formules lui est donc reconnue. Évidemment, il ne peut choisir que des mots qui répondent au but poursuivi. Il y a un thème traditionnel, les mots seuls varient. Si les présidents adressaient des centaines de fois cette prière, ils étaient inévitablement amenés à répéter les mêmes formules, dont un grand nombre devait leur être suggéré par l'Écriture.

Le thème de la prière ne nous est signalé qu’en deux mots : Le président « adresse louange et gloire au Père de l’univers ». Apol., lxv, 3. Le renseignement est maigre, mais il est très clair. Il établit une différence radicale entre cette prière et la supplication collective de l’assemblée où tous ont prié pour tous. Cette fois on s’adresse à Dieu uniquement pour le louer, pour le glorifier. — A cet hommage d’adoration, se joint l’action de grâces. Elle est abondante, c’est-à-dire assez longue. Justin nous apprend que le président rendait grâces à Dieu pour le don du pain et de la coupe, Apol., lxv, et aussi « de ce qu’il a créé le monde, avec tout ce qu’il contient en vue de l’homme, et de ce qu’il nous a délivrés du péché dans lequel nous étions nés, et de ce qu’il a détruit par un anéantissement absolu les principes et les puissances (malfaisantes) par celui qui a été fait passible selon sa volonté ». DiaL, xli, 2. Si on admet que DiaL xiii doit lui aussi s’entendre de l’eucharistie, à l'énumération des dons pour lesquels on rend grâces doivent s’ajouter la vie et la santé, les vicissitudes des saisons. Mais, comme on le constatera, il est au moins fort douteux que ce morceau s’applique à l’eucharistie.

Cette action de grâces du président et de l’assemblée est une anamnèse. L’eucharistie s’opère « en souvenir du Christ et de la cène », A ; ol., lxvi, 3, « en mémoire de la passion qu’il a endurée afin de nous délivrer du péché ». DiaL, xli, 1 ; cxvii, 3. On « fait en rendant grâces » « le pain en souvenir de son incarnation pour ceux qui croient en lui et pour qui il a souffert, la coupe en souvenir de son sang. » DiaL, lxx, 4. Dorsch, Der Opfercharakter der Eucharistie einst und jetzl, et quelques autres ont essayé de soutenir que le mot faire sigiii fiait ici sacrifier. Il

est difficile de le prouver. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 91-92.

Et il en est ainsi de par l’institution du Christ. Six fois, il est parlé de l’ordre donné par Jésus d’accomplir cette eucharistie. Justin ne se contente pas de le dire, il le prouve par « les Mémoires des apôtres qu’on appelle Évangiles ». En ces écrits ils nous ont rapporté qu’il leur avait été ainsi prescrit : Jésus ayant pris du pain avait rendu grâces en disant : Faites ceci en mémoire de moi. ceci est mon corps. » Et ayant pris la coupe semblablement, il avait rendu grâcesen disant : « Ceci est mon sang. » lxvi, 3. Comme on le voit, Justin ne reproduit ici mot à mot la narration d’aucun des témoins de la cène. Mais on sait qu’il a connu nos évangiles canoniques. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, t. i, 1911, p. 106. Comme d’autres écrivains chrétiens, Clément d’Alexandrie par exemple, l’apologiste ne se croit pas obligé de citer textuellement leurs paroles. Il est moins préoccupé des mots que de la pensée. Il estime qu’elle est conforme à celle des apôtres.

Un rappel quelconque de la mort du Seigneur suffirait à la commémorer. A la cène chrétienne, il y a plus. Ce souvenir est évoqué non par une simple lecture ou uniquement par une prière, il l’est à l’occasion de l’action de grâces sur le pain et la coupe : les textes cités plus haut l’affirment expressément. Comment les comprendre ? Nul doute, il y a mémoire de Jésus, de son incarnation et de sa mort, parce que le Jésus jadis incarné et immolé pour notre salut redevient présent grâce à l’eucharistie du pain et du vin. Là même où t apologiste décrit le rite, il propose la vérité dans les termes les plus clairs, les plus réalistes. Ce pain et ce vin ne sont pas « du pain vulgaire », t un breuvage vulgaire », mais la chair et le sang de Jésus fait chair », pareils à « la chair et au sang » que prit le Verbe dans l’incarnation. Et Justin prouve cette vérJté par les paroles du Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » lxvi, 3. Voir Eucharistie, t. v, col. 1128 ; Struckmann, Die Gegenwart Christi in der heiligen Eucharistie, Vienne, 1905, p. 49-63.

Comment le pain et le corps cessent-ils d'être une nourriture vulgaire pour devenir le corps et le sang du Christ ? Justin répond : « Cet aliment est eucharistie par une parole de prière qui vient de lui », c’est-à-dire de Jésus. Apol., lxvi, 2. Aucun doute n’est possible, ces paroles qui remontent au Christ, ce sont celles qu’il a prononcées lui-même à la cène et que Justin reproduit : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Apol., i xvi, 3. L’apologiste l’affirme en termes formels, lxvi : Il compare le Verbe qui a fait l’incarnation, âià Xôyou 6soù aa.py.07z oiYjflslç Tr)CToîjç Xptatôç, au verbe qui opère l’eucharistie, ttjç Si’euxîjç X6you toû roxp’ocÛTOû e ! r/y.pi.aŒïijav rpoçTQV. Ou bien, on croit que le Logos, le Verbe désigne dans les deux cas le Fils de Dieu et on traduit : « De même que, fait chair par le Verbe de Dieu, Jésus-Christ eut une chair pour notre salut, de même l’aliment eucharistie par la prière du Verbe qui vient de Dieu est la chair et le sang de Jésus », et l’unique formule connue de nous à laquelle ce titre peut être donnée, ce sont les mots du Christ cités par Justin : Ceci est mon corps. Ou bien on estime que, dans le premier terme de comparaison, le Logos, le Verbe désigne une personne divine, et que dans l’autre il s’applique à des paroles, à des mots. Mais, puisqu’ils viennent de Jésus, ils sont ceux qu’il a prononcés lui-même et que rapporte en cet endroit l’apologiste : Ceci est mon corps. Ou enfin on pense que dans les deux endroits le Logos, le Verbe, désigne une parole de commandement qui produit des effets merveilleux. Justin dirait donc : « De même que Jésus-Christ, fait chair pi r une parole de Dieu, a pris une chair pour notre salut, de même l’aliment

eucharistie par une parole de prière qui vient de Jésus est la chair et le sang de Jésus. » Quelle que soit l’hypothèse admise, la conclusion est le même : la parole, la prière qui rend la chair de Jésus-Christ présente sur l’autel, ce sont les formules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Fortescue, op. cit., p. 31 sq. ; P. Batilïol, op. cit., p. 29, fait remarquer que des non-catholiques, par exemple, Drews, Swete, adoptent ce sentiment.

Cette présence de la chair et du sang du Clu-ist font de la commémoraison du Sauveur un sacrifice. Le pain et la coupe de l’eucharistie sont devenus le corps de l’incarnation et le sang de la passion, et nous pouvons ainsi les offrir en action de grâces au Père. Telle est l’oblation chrétienne. « L’offrande de farine prescrite pour ceux qui sont purifiés de la lèpre était une figure du pain de l’eucharistie qu’en souvenir de la passion… Jésus-Christ nous a prescrit de faire afin que nous rendions grâces. » Dial., xli, 1. Nos « sacrifices, c’est le pain de l’eucharistie et semblablement le calice de l’eucharistie ». Dial., xli, 3. Saint Justin répète avec insistance cette affirmation. Pour lui « les sacrifices que Jésus a prescrit d’offrir, ce sont ceux qui par l’eucharistie du pain et de la coupe sont présentés par tous les chrétiens ». Dial., cxvii, 1. « Ce sont, dit encore l’apologiste, les seuls qu’il ait ordonné aux chrétiens de faire, dans la commémoraison de leur aliment sec et humide où est rappelé le souvenir de la passion. » Dial., cxvii, 3. Citons une dernière formule encore plus claire : « Les prières et les eucharisties faites par des personnes dignes sont les seuls sacrifices parfaits et agréables. » Dial., cxvii, 2. Cf. Brinktrine, op. cit., p. 91 sq.

Ils sont offerts par le nom de Jésus. Dial., cxvii, 1. Justin exprime encore deux autres fois cette pensée : il déclare qu’il n’est pas une seule race d’hommes où « au nom du crucifié des prières et des eucharisties ne soient faites au Dieu maître de l’univers ». Dial., cxvii, 5. Même remarque dans la description de l’assemblée chrétienne. Le président prend le pain et le viii, « exprime louange et gloire au Père par le nom du Fils ». Apol., lxv, 3. Rien de plus vrai, puisque Jésus est présent. C’est sans doute ce qui fait l’excellence des sacrifices chrétiens. Ils sont ceux qu’avait prédits Malachie, Dial., xli, 2 et 3, donc ceux qui glorifient le nom de Dieu, Dial., xli, 3, ceux qu’il accepte, Dial., cxvii, 1, les seuls qui, parfaits, lui sont agréables, Dial., cxvii, 2, ceux qui se font en toute nation. Dial., cxvii, 5.

Il ne faudrait pas laisser sans le souligner un mot, glissé en passant par l’apologiste dans sa description de l’assemblée chrétienne, mais qui n’a pas dû être écrit sans raison. Il observe que le président « exprime louange et gloire au Père de l’univers par le nom du Fils et de V Esprit-Saint s. Apol., lxv, 3. Cette courte mention de la troisième personne divine donne à croire que déjà elle était nommée par l’officiant au cours de sa prière. Les paroles de Jésus eucharistiaient le pain et la coupe ; mais c’est par le Fils et l’Esprit que le sacrifice était présenté au Père. Ne faut-il pas voir là une vague allusion, sinon à une épiclèse, du moins à un usage, à une prière ou forme d’oraison qui lui donna naissance ?

Il n’est pas nécessaire de discuter l’hypothèse d’après laquelle l’action de grâces serait à rapprocher des simples prières de la table. Le président ne remercie pas Dieu uniquement pour la nourriture quotidienne, mais pour tous les bienfaits de la création, pour toutes les grâces dues au Rédempteur. Son acte est une offrande, un sacrifice. Batiffol, op. cit., p. 22-23. Pour un autre motif encore il est impossible de confondre les prières et actions de grâces dont parle Justin avec des prières de table, un Benedicite. En réalité il n’y

a pas de banquet, pas d’agape, rien qui les rappelle de près ou de loin. Batitïol, op. cit., p. 18 ; Bardy, art. Justin (Saint), ici, t. viii, col. 2271-2272. Le mot nourriture, Tpotpyj, employé pour désigner l’eucharistie, Apol., lxvi, 1, l’afïïrmation que les corps sont nourris par le pain et le viii, Apol., lxvi, 2, ne doivent pas nous donner le change. « Du pain et une coupe d’eau mêlée de vin ne pouvaient pas constituer un repas pour un groupe aussi nombreux que devait l'être la communauté de Rome au temps de Justin Martyr. » Goguel, op. cit., p. 272, 317. On ne trouve dans VApologie aucune trace d’agape. Vcelker, op. cit., p. 103.

Plus spécieuse est l’hypothèse de Wieland d’après laquelle l’eucharistie de saint Justin n’aurait- été qu’un sacrifice de prières. Mensa et con/essio, p. 51 sq. ; Der vorirenaische CXp/erbegriff, p. 76 sq. Il est vraiment impossible de comprendre ainsi les textes cités plus haut. Justin assimile l’eucharistie à l’offrande de farine ; elle est le sacrifice prédit par Malachie et qui remplace les antiques oblations. Dial., xli, 1, 2, 3. Ces divers rites ne sont pas de simples prières. L’apologiste déclare que les chrétiens offrent quelque chose. Dial., cxvii, 1. Ils ne se contentent donc pas de réciter ou d’improviser les formules d’oraison. Justin précise : « Les sacrifices qui par l’eucharistie du pain et de la coupe sont offerts. » Dial., cxvii, 1. Rien de plus clair ni de plus décisif : il n’y a pas ici que des prières, elles sont inséparables d’un aliment, d’une créature matérielle et c’est par elle que se fait l’oblation. Il faut aussi sou.igner l’emploi répété des locutions : « Le pain de l’eucharistie que Jésus-Christ Notre-Seigneur nous a prescrit de faire, tcoisïv. » Dial., xli, 1. Mêmes expressions dans Dial., lxx, 4 ; cxvii, 2, 6. Comme le fait observer Batiffol, op. cit., p. 23, n. 2, ces expressions « donnent à comprendre que la prière prononcée n’est pas tout, et si elle n’est pas tout, la théorie de Harnack et de Wieland est inadéquate ; quoi qu’il en soit d’ailleurs du sens de Gùeiv donné à 7rot, eïv. » Voir aussi De la Taille, op. cit., p. 218-219 ; Brinktrine, or. cit., p. 91-105, et surtout Lamiroy, op. cit., p. 278-284.

De même dans la description qu’il donne du rite, l’apologiste ne dit pas que le président prie, mais « qu’il prend le pain et le vin et qu’il loue Dieu, puis lui rend grâces ». Apol., lxv, 3. Il y a des prières, mais elles eucharistient l’aiment et l’offrent à Dieu. Apol., lxvi, 2 ; lxv, 5 ; lxvii, 5.

Wieland croit pouvoir s’appuyer sur Apol., xiii. On ne peut discuter ce texte sans le citer. « Quel homme sensé ne le reconnaîtrait : ils ne sont pas des athées ceux qui adorent le Créateur de l’univers. Sans doute, nous déclarons comme on nous l’a enseigné qu’il n’a besoin ni de sang, ni de ibations, ni d’encens. Mais, en tout ce que nous mangeons, nous le louons, autant qu’il est en notre pouvoir, par des paroles de prière et d’action de grâces, pour le bienfait de la création pour tout ce qui aide à garder une bonne santé, pour les propriétés des êtres divers et les vicissitudes des saisons, et en raison de la foi que nous avons en lui, nous le prions afin de devenir immortels. On nous a en effet appris que cette seule manière de l’honorer est digne de lui, à savoir de ne pas détruire par le feu ce qui a été créé par lui pour notre nourriture, mais de nous l’offrir pour nos besoins et ceux des pauvres et, l'âme reconnaissante, de le célébrer par des cérémonies spirituelles et des hymnes. »

Wieland fait observer qu’ici Dieu est représenté comme n’ayant besoin d’aucun sacrifice proprement dit : les chrétiens ne lui offrent donc que des « prières », des « actions de grâces », « des louanges », « leur foi et leurs supp ications ». Pas d’immolation rituelle destructive de ses dons. Pour l’honorer, on les distribue aux pauvres et on en fait bon usage avec recon naissance. Donc, il n’y a pour les chrétiens que des sacrifices de prières.

Peut-être y a-t-il lieu de faire à cette argumentation une réponse péremptoire. Le texte en question parle, non de l’eucharistie, mais des repas ordinaires et des prières que les chrétiens font â leur occasion. Lamiroy, op. cit., p. 27 sq. En fait la plupart des historiens renoncent à se servir de ce chapitre pour découvrir la doctrine de Justin sur l’eucharistie. D’abord il n’est parlé ici ni du pain ni de la coupe. Or, dès que Justin fait mention de l’eucharistie, ces deux mots apparaisI sent. D’autre part, les dons pour lesquels le chrétien ' remercie sont d’ordre purement naturel, ce sont des I faveurs qui toutes intéressent le corps et l’existence présente : « création, santé, propriétés des êtres, vicissi| tudes des saisons. » Tout autre, on s’en souvient, est l'énumération des bienfaits pour lesque s le président rend grâces en faisant l’eucharistie. Sans doute la création n’est pas exclue, mais il est parlé de la délivrance du péché, de la victoire sur les mauvais esprits. Dial., xli, 1. Tous les anciens témoins de la liturgie sont d’accord avec Justin pour l’affirmer. Enfin, il est à observer qu’avant de faire connaître l’assemblée dominicale, l’apologiste écrit, Apol., lxvii, 2 : « 'Ettî uàaî te oïç TrpciCT9£p6 ; i.s8a, dans tout ce que nous offrons ou dans tout ce que nous mangeons, nous bénissons le Créateur par son Fils, Jésus-Christ, et par l’Esprit-Saint. » Ces mots ne peuvent viser l’eucharistie, puisqu’ils précèdent immédiatement la description de l’assemblée chrétienne. C’est donc aux repas ordinaires qu’ici fait allusion saint Justin. Or, il se sert des mêmes expressions au c. xiii : « 'Ecp’ol ;  ; 7rpoaçep6ji.s6a, dans ce que nous prenons, nous bénissons le Créateur par son Fils Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. » Puisqu’il y a identité de formules, on peut conclure que la circonstance signalée est la même. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un repas ordinaire. Toute l’argumentation de Wieland s'évanouit.

Au contraire, certains critiques ou historiens ont pensé que le c. xiii s’applique non à des repas ordinaires, mais à l’eucharistie. Récemment Thibaut, op. cit., p. 40 sq., a soutenu cette opinion. Elle paraît peu probable. Même si on l’admet, il n’est pas nécessaire de conclure que saint Justin n’admet que des sacrifices de prières. Qu’est-il affirmé en effet ? Que Dieu n’a besoin ni de sang, ni de libations, ni d’encens, en d’autres termes qu’il ne veut ni des sacrifices des païens, ni de ceux des Juifs. Que si ensuite Justin n’indique comme moyen d’honorer le Très-Haut que des prières et des vertus, son silence sur le pain et la coupe ne pourrait pas être tenu pour une négation. Sans doute, il affirme que, pour honorer Dieu, il suffit de s v offiir à soi-même ou de présenter aux pauvres les créatures de Dieu. Cette remarque n’oblige nullement à croire que seuls existent des sacrifices de prièi es. Conclusion : ou bien il n’est pas parlé ici du pain et de la coupe eucharistiques, mais de repas ordinaires ; 'il en est ainsi, on ne saurait dégager de ce texte aucune preuve contre le caractère sacrificiel des éléments eucharistiques. Ou bien on croit que saint Justin désigne ici le pain et la coupe de l’assemblée chrétienne ; mais il estime quee chrétien se Voffre pour la mettre à profit et qu’ainsi en utilisant le don de Dieu il l’en remercie. Il y aurait donc à côté de la p : ièie une action de grâces. Si on ne peut conclure de cette seule affirmation que l’eucharistie est un sacrifice, on ne saurait s’en servir pour démontrer le contraire.

(') Quand le président a terminé l’eucharistie, tout le peuple présent pousse l’exclamation : Amen. Apol., lxv, 3 ; cf. lxviii, 5. — Il n’est nu’lement dit que cet Amen soit nécessaire pour la validité des actes accom

plis par le président. Cet ainsi soit-il atteste seulement la solidarité des fidèles et de l’officiant. L’acclamation prouve qu’il parlait bien en leur nom et que son eucharistie est aussi leur eucharistie. Mais Justin le déclare : Les prières et l’action de grâces sont achevées par celui qui préside, au moment où ie peuple répond : Amen. ApoL, lxv. 3.

/) Quand celui qui préside a fait l’eucharistie et que tout le peuple a répondu, les minisires que nous appelons diacres distribuent à tous les assistants le pain de l’eucharistie, le vin et l’eau. Apol., lxv, 5 ; cf. lxvii, 5. — Ici intervient un nouveau ministre. A côté du peuple, du lecteur, du président qui est l'évêque ou un prêtre, son délégué, nous voyons le diacre. Comme on l’a observé, la réunion a un caractère rituel bien marqué. Chacun a son rôle déterminé. Aux diacres il appartenait de distribuer les éléments eucharistiques. Les frères recevaient les deux espèces.

Saint Justin fait savoir à quelles conditions cette faveur est accordée. « A personne il n’est permis de prendre part à cette nourriture, s’il ne croit vrai ce que nous enseignons, s’il n’a été baptisé du baptême de la rémission des péchés ou de la nouvelle naissance, et s’il ne vit comme le Christ l’a prescrit. » Apol., lvi, 1. Cf. Didachè, ix, 5 ; xiv, 1.

De cette participation au pain et à la coupe, quels sont les effets ? Saint Justin les décrit d’un mot : « Par cet aliment eucharistie notre chair et notre sang sont nourris xaxà fi.£-a60X7)v, en vue d’une transformation. » Bon nombre d’interprètes (Weizsàcker, Engelhardt, Loofs, Gœtz, Struckmann, Ratifîol, Rardy) estiment que le changement obtenu pour notre chair et notre sang, c’est l’acquisition de l’immortalité. Prétendre qu’il est parlé ici de la simple digestion naturelle (Réville), c’est vouloir que Justin ait exprimé sous une forme presque incompréhensible une pensée très simple et sans intérêt. Au contraire, l’autre interprétation se justifie pleinement. Il est naturel que la chair du Logos incarné dont parle l’apologiste confère à celui qui la reçoit ses propriétés. Goguel, op. cit., p. 275. Ce don est d’ailleurs celui sur lequel l’attention se porte alors avec complaisance : Justin est l'écho d’Ignace, Eph., xx, 2 : çâpji.axov àôocvocaîaç ; de la Didaché, x, 2 : ÙTCp tyjç yvcôaecoç xai ttîcttewç y.ai. à6avaaîaç. Cf. Joa., vi, 51-59.

A côté de cette immortalité du corps, se placent les effets proprement dits du sacrifice. Il loue Dieu et glorifie son nom. Apol., lxv, 3 ; DiaL, xli, 1. Il lui rend grâces pour le bienfait de la création et la grâce de la rédemption. Apol., lxv, 3, 4, 5 ; lxvii, 5 ; xli, 1 ; i.xx. 4. Puisqu’il est agréable à Dieu et accepté par lui, DiaL, cxvii, 1, il est apte à obtenir à tous et à chacun ce qu’ils ont demandé pour eux et pour autrui : bonne vie et salut, Apol., lxv, 1, et la continuation des dons pour lesquels le président a remercié. DiaL, xli, 1.

k) Par les diacres on envoie aux absents leur part du pain et du vin de l’eucharistie. Apol., lxvii, 5, cf. ApoL, lxv, 4. — Cette coutume atteste combien la célébration de l’eucharistie est un rite de toute l'Église, accompli par le président au nom de chacun et auquel chacun doit participer.

La collecte. — C’est sans doute d’elle qu’il est parlé en la phrase finale de la description de l’eucharistie qui suit le baptême : « Ceux qui possèdent secourent tous ceux qui sont indigents. Nous nous assistons toujours les uns les autres. » lxvii, 1. La seconde relation est très claire, très précise : « Ceux qui sont dans l’abondance et qui veulent (bien le faire) donnent chacun ce qu’il veut selon son gré ; ce qu’on recueille ainsi est porté à celui qui préside et il secourt les orphelins et les veuves, et ceux qui sont dans l’indigence par suite de la maladie ou de toute autre cause,

. et ceux qui sont dans les chaînes et les étrangers qui sont de passage. Bref, il a cure de quiconque est dans le besoin. » lxvii, 6.

Le texte se suffit. Il y a des aumônes et non une agape. Elles ne sont pas obligatoires et chacun donne ce qu’il veut. Ce qui est recueilli par les collecteurs est porté par eux à celui qui préside, à l'évêque, et c’est lui qui secourt les malheureux de toute catégorie. L’acte est lié au sacrifice du pain et de la coupe. Il le complète et l’achève. Justin a mis en relief le côté social de l’eucharistie. L’assemblée est une cérémonie qui relie les fidèles entre eux. Cette union est favorisée par la rencontre en un même lieu de tous les chrétiens. Ils sont réunis en qualité de frères. Us se donnent le baiser de paix et ainsi se réconcilient ou se rapprochent davantage s’il est besoin. Il y a communauté de foi. Tous plient ensemble pour tous, d’abord pour chacun des assistants, mais aussi pour les membres de l'Église qui sont absents. Le peuple entier s’unit au président qui fait les prières et l’action de grâces (l’eucharistie) au nom de chacun et de la collectivité ; chacun et la collectivité répond : Amen. Tous les assistants participent à un même banquet spirituel, tous reçoivent le même aliment, le Logos, fait chair pour passer en notre chair. < et aliment est envoyé aux absents afin qu’eux aussi soient unis à l'Église.

L’exercice de la charité se trouve donc tout à fait à sa place. Puisque les chrétiens sont frères, ils le deviennent davantage, ils fraternisent en mettant leur bien en commun. Ainsi encore ils observent le précepte du Maître : « Faites ceci en mémoire de moi. » A ses disciples Jésus a donné la nourriture de la cène, sa chair et sa personne. Les chrétiens offrent du pain et ils s’offrent eux-mêmes aux indigents.

Wetter, on le sait, veut aller beaucoup plus loin et faire de cette offrande le sacrifice chrétien primitif. Chacun, à l’origine, apportait pour la cène chrétienne les mets à consommer. Afin de prévenir ou de corriger les abus, dont parle I Cor., xi, 20 sq., on transforma ces libres apports individuels en une offrande collective et rituelle qui, devenant avec le temps toujours plus solennelle, et se surchargeant d’actions de grâces, de mémento des donateurs, de supplications pour eux et pour autrui, prit la forme d’un sacrifice. En ce passage on saisirait une trace du rite primitif, du sacrifice alimentaire.

En vérité, il est difficile de trouver une affirmation qui démente davantage les textes. Quiconque lit le Dialogue constate aussitôt que, pour Justin, le sacrifice, c’est l’action de grâces sur le pain et la coupe, que ce sacrifice est le seul prescrit, le seul agréable à Dieu. Ces affirmations sont répétées avec une insistance singulière et qui ne laisse place à aucun doute. D’autre part, si on étudie les deux récits de V Apologie, on voit aussitôt que ce sacrifice de l’action de grâces du pain et de la coupe est terminé avant qu’ait lieu la collecte finale. Enfin, l’examen de cette dernière prouve qu’elle n’est pas un sacrifice. A cet acte de charité Justin ne donne même pas ce titre en un sens métaphorique, comme le font parfois l'Écriture et les écrivains catholiques anciens et modernes. Il ne parle que de secours, d’assistance, de dons, de collectes. Sont évités même les mots qui pourraient être équivoques, désigner soit un acte rituel, soit une œuvre charitable, par exemple le mot offrir. La collecte est d’ailleurs libre : donne qui veut. Il n’y a donc pas ici un sacrifice de l’assemblée chrétienne, une oblation de tous les fidèles.

Il est vrai qu’en un autre endroit de la mê^e Apologie, au c. xiii, Justin opposant les coutum es chrétiennes aux usages juifs ou païens écri t : « On nous a en effet appris que cette seule manière de l’honorer est digne de lui : à savoir de ne pas détruire

par le feu ce qui a été créé par lui pour notre nourriture, mais de nous l’offrir pour nos besoins et ceux des pauvres et, l'âme reconnaissante, de le célébrer par des cérémonies spirituelles et des hymnes. » Mais, comme nous l’avons montré, il n’est pas certain que ce chapitre parle de l’eucharistie : l’opinion contraire semble bien établie. Peu importe d’ailleurs : On le voit par tout le contexte, les dons de Dieu que s’offre le chrétien à lui et à ses frères, au lieu de les offrir à Dieu, ce sont les animaux qu’il mange ou dont il donne une part au prochain, au lieu de les sacrifier, de les détruire par le feu. Rien ici ne permet de découvrir de prétendus sacrifices d’offrandes alimentaires qui auraient lieu à l’assemblée chrétienne. En ce texte, Justin « raille les sacrifices païens, les effusionsde sang, les libations et les offrandes d’encens ; il leur oppose l’usage droit des créatures sanctifié par la distribution des aumônes et les prières d’action de grâces au Créateur. Les offrandes alimentaires ne sont pas mentionnées. » Coppens, L’offrande des fidèles dans la liturgie eucharistique ancienne, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, t. v, Louvain, 1927, p. 112. De ce que dit Justin des collectes qui suivent l’assemblée eucharistique, lxvii, 6, écrit Vcelker, op. cit., p. 132, on ne peut rien tirer en faveur de la théorie de Wetter.

Conclusion. — A l’assemblée chrétienne, les paroles prononcées par Jésus à la cène sont redites par le président sur le pain et sur une coupe de vin mélangé d’eau. Elles en font la chair du Logos incarné, le sang de Jésus crucifié. Ainsi est commémorée la mort du Sauveur pour les hommes. Cet acte est un sacrifice, celui qui a été prédit par Malachie et institué par Jésus, celui qui est en usage chez les chrétiens dans tout l’univers, le seul qui soit agréable à Dieu. C’est en effet celui qui loue et glorifie son nom, celui qui constitue l’action de grâces, l’eucharistie, pour tous les bienfaits, bienfaits de la création comme de la rédemption. C’est donc celui auquel les chrétiens assistent chaque dimanche, celui auquel on ne peut participer si on ne professe pas la vraie foi, si on n’a pas été baptisé, si on ne mène pas une vie conforme à la loi chrétienne. C’est celui auquel on rattache tous les grands actes de la nouvelle religion : lecture des saints Livres, homélie, prière collective de tous pour tous, réconciliation fraternelle, aumône en faveur des indigents. C’est celui auquel chacun communie, d’abord en s’unissant au président qui prie pour tous, et en répondant Amen à son action de grâces, mais plus encore en recevant de la main des diacres le corps et le sang du Christ, transmis aux absents eux-mêmes pour les unir à l’assemblée : ce pain et ce viii, chair incorruptible du Logos, font passer dans la chair des fidèles l’immortalité.

2° Affirmations de plusieurs apologistes de l'époque sur le caractère purement spirituel du sacrifice chrétien. — Certains défenseurs de la cause chrétienne ont, comme saint Justin, déclaré que tout le culte, toutes les oblations des fidèles consistaient dans la prière ou la vertu. On a parfois voulu conclure de ce langage que, pour eux et leurs coreligionnaires, la cène n'était pas un sacrifice. Récemment encore, Wieland prétendait qu’Aristide et Athénagore n’avaient connu que l’olïrande de la prière. Der vorireniiische Opferbegriff, p. 65. Il suffit de lire les textes pour découvrir la véritable pensée de ces apologistes.

Aristide (vers 140) déclare que Dieu « n’a nul besoin d’hosties, de libations ou d’autres objets visibles ». Apol., i, cf. xiii, dans Texte und Untcrsuch., 1893, t. iv, fasc. 3, p. 6, 32.

Athénagore (vers 176-178) écrit : « Si nous n’offrons pas à Dieu les mêmes sacrifices que vous, c’est que le Père et créateur de toutes choses n’a nul besoin du

sang, de l’odeur ou de la fumée des victimes. Il est pour lui-même le parfum le plus suave, car on ne saurait ajouter à sa plénitude. Voulez-vous lui faire l’offrande la plus agréable de toutes ? Essayez de connaître celui qui a étendu les cieux et les a déroulés comme une sphère immense, qui a établi la terre comme un centre et réuni les eaux dans la mer, qui a séparé la lumière des ténèbres et orné d’astres le firmament, qui a fait produire toute semence à la terre, qui a créé les animaux et formé l’homme. Qu’est-il besoin d’hécatombes pour le Tout-Puissant ? Elevez vers lui des mains pures : c’est une victime non sanglante, un culte spirituel qu’il vous ûemande. » Legct., xiii, P. G., t. vi, col. 916.

Apollonius (martyr sous Commode 180-192), dans l’apologie qu’il prononça devant le tribunal et qu’on croit avoir retrouvée, tient le même langage : « Je présente un sacrifice non sanglant et pur, moi et tous les chrétiens, au Dieu qui est le maître du ciel, de la terre et de tout ce qui a souffle de vie, sacrifice qui se fait surtout par des prières. » Texte und Unlersuch., t. xv, fasc. 2, c. viii, p. 98. Il souhaite aussi que son juge offre à Dieu un sacrifice de prière et d’aumône, c. xliv, p. 126.

Dans l'Épître à Diognète (ne siècle ?) on lit, c. m : »… Les Juifs en croyant que Dieu a besoin de leurs sacrifices font un acte d’extravagance plutôt que de religion. Car celui qui a créé le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment… n’a nul besoin de ce qu’il donne lui-même à ses créatures : celles-ci ne peuvent s’imaginer sans folie qu’elles lui rendent un service quelconque. Si donc les Juifs croient faire grand honneur à Dieu par le sang de leurs victimes, il ne me paraissent différer en rien de ceux qui accordent le même hommage à des divinités insensibles ; non moins que ces derniers, ils s’imaginent donner quelque chose à Dieu qui n’a besoin de rien. » Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 394.

Minucius Félix (entre 175 et 197, si on estime l’Octavius antérieur à V Apologétique de Tertullien ; — après cette date, si on admet l’hypothèse contraire) fait -une observation semblable. « Offrirai-je au Seigneur comme hosties et victimes ce qu’il a produit à mon usage de telle sorte que je lui renvoie son bienfait ? C’est de l’ingratitude. Puisque l’hostie à offrir c’est une âme bonne, une intelligence pure et un langage sincère, celui donc qui observe l’innocence, supplie Dieu. Qui respecte la justice, présente à Dieu une libation ; qui s’abstient de la fraude, se rend Dieu propice et qui arrache un homme au péril, immole la meilleure victime. Voilà nos sacrifices, voilà ce qui est voué à Dieu. » Oct., xxxii, P. L., t. iii, col. 354.

On le voit à la seule lecture, ces textes n'établissent nullement que la cène chrétienne n’est pas un sacrifice. Ils affirment que Dieu n’a besoin ni de sang, ni de libations, ni d’aucun être matériel ; que nous n’avons pas à lui rendre ce qu’il a tiré du néant pour notre usage ; que nul objet sensible n’est digne de sa majesté ; qu’en un mot rien de créé ne saurait lui être offert (Aristide, Athénagore, Épître à Diognète, JNIinucius Fé ; ix). Mais à la cène, les chrétiens ne présentent pas à Dieu du pain vulgaire et une coupe banale de. vin. C’est la chair, c’est le sang du Fils de Dieu et non ceux d’une créature qui sont l’objet de l’oblation. On n’attribue donc pas au Très-Haut le désir ou le besoin de se nourrir à la manière des mortels. On n’a pas la prétention de l’enrichir d’un objet qui lui manque, de lui rendre le plus léger service ou d’augmenter sa perfection, son bonheur. On ne rejette aucun de ses bienfaits : le chrétien communie à la chair et au sang du Christ en les offrant à Dieu. Les apologistes ne condamnent donc nullement le sacrifice de l’autel.

De même, s’ils s’accordent à désapprouver toute oblation sanglante, toute offrande faite par la main des hommes (Athénagore, Apollonius, Êpttre à Diognète). ils ne disent rien qui désapprouve le rite en sage dans l’assemblée chrétienne, rite qui ne comporte la mise à mort d’aucun cire vivant, rite qui requiert sans doute l’action d’un officiant créé, mais qui pourtant s’opère en réalité, comme le dit saint Justin, par Jésus-Christ et en son nom.

Enfin, l'éloge par les apologistes de sacrifices non sanglants et d’oblations mentales, l’affirmation que pour les chrétiens l’unique offrande c’est la prière, la foi ou d’autres vertus (Athénagore, Apollonius, Minucius Félix) ne contredisent nullement la thèse de l’existence du sacrifice de la messe. Des hommes Dieu n’attend et il ne peut obtenir que des supplications, des louanges et des actes de vertus. Déjà sous l’Ancienne Loi, on les appelait des sacrifices et les apologistes en leur donnant ce nom ne faisaient que commenter nos saints Livres. Dans l’eucharistie il y a aussi une opération morale, l’acte par lequel on offre la chair et le sang de Jésus ; on peut donc l’appeler une prière, car c’est par une prière qu’elle s’accomplit. Ce qui est agréable à Dieu, ce n’est pas le corps en tant que corps, le sang comme sang, mais ce corps et ce sang unis à l'âme de Jésus, à ses dispositions intérieures, à sa sainteté. Enfin les fidèles et l’officiant lorsqu’ils assistent à cet acte ou en sont les ministres ne peuvent plaire à Dieu que s’ils se présentent avec leur foi, leur piété, leur vertu. Cf. Lebreton, Diction, apotog., art. Eucharistie, t. i, col. 1576-1577. De la Taille, op. cit.. p. 228-229 ; Lamiroy, op. cit., p. 269 sq. ; Brinktrine, op. cit., p. 1Il sq. » On est bien obligé d’admettre la justesse de ces remarques si on se souvient du langage de saint Justin. Lui aussi, il s’exprime comme les autres apologistes et cependant pour lui l’eucharistie est un sacrifice, celui qui remplace les oblations rituelles de l’Ancienne Loi et qui a été institué par Jésus-Christ. Bien plus, comme on l’a fait justement remarquer, on trouverait chez des écrivains chrétiens postérieurs d’un ou de plusieurs siècles et qui, de l’aveu de tous, voient dans la messe un sacrifice proprement dit et non pas seulement une prière, des déclarations tout à fait semblables à celle des apologistes sur îe culte purement spirituel des chrétiens. De la Taille, op. cit., p. 228, nomme par exemple saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Ëphrem, Théodoiet et, parmi les Latins, saint Hilaire et Zenon de Vérone.

Pourtant une question se pose. A ceux qui les accusent de n’avoir pas de sacrifice, pourquoi les apologistes ne répondent-ils pas : Nous en avons un, l’eucharistie ?

Recourir à la loi de l’arcane parut longtemps commode. Mais son existence à cette époque n’est pas démontrée. Voir Batiffol, art. arcane, t. i, col. 1738 et sq. D’ailleurs, Justin ne cachait rien à personne. < ni peut toutefois admettre que, par prudence ou religion, d’autres apologistes se tenaient sur la réserve et craignaient de livrer les choses saintes aux chiens. Il faut avouer d’ailleurs qu’il n'était pas facile d’expliquer à des païens comment l’eucharistie était un sacrifice. Aux fidèles des idoles qui leur offraient des mets ou des parfums pour les satisfaire ou capter leur bienveillance, comment faire comprendre l’oblation a un Dieu invisible d’un corps invisible et mis à mort depuis des années ? La réplique eût aussitôt surgi : Ce sacrifice n’en est pas un.

Il est une dernière explication. L’histoire est d’accord avec la théologie catholique pour affirmer que les chrétiens ont peu à peu acquis des connaissances progressivement plus claires et moins imprécises, plus explicites et moins discutées de vérités révélées dès

l’origine, mais qui n'étaient pas textuellement affirmées dans l'Écriture ou enseignées en ternies exprès par les Apôtres. A l'époquc’des premiers apologistes, les fidèles possédaient les écrits de Malachie, les évangiles et les lettres de saint Paul. Dès l’origine, les chrétiens rompaient le pain et participaient à la coupe eucharistique, ils le faisaient en mémoire de Jésus pourrendre grâces, commémorer la passion et participer au corps et au sang immolés sur la croix. De ces textes, de cet usage, Justin et Irénée concluaient sans hésiter que le repas religieux chrétien est un sacrifice proprement dit. Leur langage prouve que beaucoup de leurs contemporains tiraient la même conclusion. Mais ce corollaire se dégageait-il avec la même évidence dans l’esprit de tous les fidèles ? Puisque ni l'Écriture, ni le symbole de foi ne disaient en termes formels : L’offrande du pain et du vin par l'évëque ou le prêtre est un sacrifice, il est tout naturel d’admettre que cette vérité n'était pas alors aussi clairement perçue, aussi explicitement admise, aussi universellement professée qu’elle le deviendra un peu plus tard, par exemple à l'époque de saint Cyprien. Si donc certains apologistes ne l’opposaient pas aux païens, c'était peutêtre parce qu’eux-mêmes ne la connaissaient pas avec certitude, ou parce que cette notion n'étant pas explicitement professée par tous, ils ne pouvaient la présenter comme la pensée commune à tous ceux qu’ils défendaient. Brinktrine, op. cit., p. 126.

Au contraire, ils devaient tout naturellement être portés à réfuter leurs adversaires en leur montrant que la Divinité ne réclame ni nourriture ni parfum. Cette idée leur était très familière. On la trouve en des textes scripturaires d’une ironie et d’une force inoubliables pour qui les a lus. Ps. xi.ix (Vulg.) 8-14 ; l, 17-18 ; Is., i, 12-13 ; Jerem., vi, 20 ; Amos, v, 22.

Venus du judaïsme ou du monde païen, les premiers chrétiens devaient se répéter souvent à eux-mêmes ces pensées pour se démontrer qu’en réalité ils n'étaient pas athées. De semblables notions se trouvaient d’ailleurs chez les philosophes grecs, surtout chez les stoïciens. Cf. Rohr, Gricchentum und Christentum, dans Bibl. Zeilfragen, ve Folge, fasc. 8, p. 16 sq., Munster, 1912 ; Kroll, Die Lehren des Hermès Trismegistos, dans Beitrùge zur Geschichle des Mittelalters de Bàumker, t. xiii, fasc. 2-4, p. 238 sq., Munster, 1914. Or, les apologistes de cette époque étaient moins des avocats que des philosophes. Donc ils philosophaient, aux païens ils opposaient les penseurs païens : c'était de bonne guerre. Aucun moyen ne leur paraissait meilleur pour fermer la bouche aux ennemis du nom chrétien. Brinktrine, op. cit., p. 125.

3° Saint Irénée (f vers 202-203 ; le Contra hæreses a été composé entre 180 et 198).

1. Les textes.

L'évëque de Lyon est amené à parler à plusieurs reprises du sacrifice chrétien, mais il est quelques passages où il en traite ex professo.

a) Cent, hæres., t. IV, c. xvii. n. 1-6, P. G., t. vu. col. 1023-1024. — Le texte est tout à fait classique et de capitale importance : Les Juifs n’ont pas compris quels sacrifices Dieu réclamait, mais Jésus par l’institution de l’eucharistie a enseigné la nouvelle oblation. En recommençant le geste du Maître, l'Église réalise la prophétie de Malachie.

b) Cont. lucres., I. IV, c. xviii, n. 1-6, col. 10 24-1029. — Le texte est plus important encore, car il esquisse toute une théorie du sacrifice, soit en général, soit chez les.Juifs, soit chez les chrétiens. L’offrande faite à Dieu ne vaut que pour autant qu’elle est le signe des dispositions intérieures. En particulier elle doit manifester une foi parfaite et sans contamination d’hérésie. Les diverses aberrations doctrinales des sectes contemporaines sont en contradiction avec les pratiques mêmes du sacrifice eucharistique.

c) Cont. lucres., t. IV, c. xxxiii, 2, col. 1073. — Incompatibilité entre le marcionisme et la doctrine sur l’eucharistie.

d) Cont. hures., t. V, c. ii, 2-3, col. 1124-1127. — Incompabibilité entre les hérésies qui nient la résurrection de la chair et la doctrine sur l’eucharistie.

A ces textes il convient d’ajouter la Lettre au pape Victor, relative à l’affaire quartodécimane, conservée par Eusèbe, H. E., t. V, c. xxiv, n. 12 sq., P. G :, t. xx, col. 500 sq. Elle rapporte la visite faite par Polycarpe au pape Anicet et comment, malgré la persistance du dissentiment sur la question pascale, èxoivoWr ; aav êauToTç, >tat èv -rf) èxxXr.ata 7tapsy_a>p-y ; a£v ô 'Avixyjtoç tJ)v eù/apiaxtav tù Uo"/x>x.âç>Tt<x>, ce que l’on traduit d’ordinaire : « Anicet céda (la célébration de) l’euçhalistie à Polycarpe. » — La même lettre rapporte que les anciens papes restaient en bons rapports avec les tenants de l’usage asiatique et leur envoyaient l’eucharistie. Ibid., col. 505.

2. Doctrine de saint Irénée.

a) Analyse : les diverses affirmations doctrinales. — Relevons d’abord les affirmations de saint Irénée sur le sens desquelles aucune discussion ne semble possible. Dans le rite chrétien de l’eucharistie figurent du pain et une coupe. Cont. iueres., IV, xvii, 5 ; xviii, 4 ; xxxiii, 2- ; V, ii, 2. Celle-ci contient du vin. Irénée parle du cep de la vigne qui produit la matière de l’eucharistie. V, ii, 3. A ce vin est ajouté un autre élément qu’Irénée ne nomme pas, mais qui évidemment est de l’eau : il parle plusieurs fois du mélange de deux liquides dans la coupe. IV, xxxin, 2 ; V, ii, 3. Déjà il voit dans le vin une figure de la divinité ; l’eau représente sans doute à ses yeux le siècle, la nature humaine. V, i, 3.

L'évêque de Lyon le répète au moins trois fois : « Le pain provenant de la terre et recevant l’invocation de Dieu, n’est plus du pain ordinaire, mais l’eucharistie, composée de deux éléments, l’un terrestre et l’autre céleste. » IV, xviii, 5. « Le calice avec son mélange et ce dont on a fait du pain reçoivent la parole de Dieu et deviennent l’eucharistie, corps du Christ. » V, ii, 3. « Le cep de vigne et le grain de blé donnent des mets qui recevant la parole de Dieu deviennent l’eucharistie, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ. » V, ii, 3. Sur le sens des mots « parole ou invocation de Dieu », voir art. Épiclèse eucharistique, t. v, col. 233. Ce qui est sûr, c’est que l’effet produit ne saurait être attribué à la récitation de n’importe quelles paroles. Il y a « une prière arrêtée et traditionnelle ». Batiffol, op.. cit., p. 182. Il semble nécessaire d’admettre qu’elle est la même partout, puisque Polycarpe, évcque de Smyrne, venant à Rome peut y être invité par l'évêque de cette ville Anicet à y célébrer l’eucharistie à sa place. Lettre d’Irénée à Victor.

Les mots déjà cités nous apprennent ce qu’est l’eucharistie : Le corps et le sang du Christ. V, ii, 3. Cette affirmation se retrouve encore ailleurs. Le Seigneur a déclaré, écrit saint Irénée, que le pain est son corps, le calice son sang. » IV, xxxiii, 2. L'évêque de Lyon reproduit les mots de I Cor., x, 16 : « La coupe est communion à son sang, le pain communion à son corps. » V, ii, 2. Deux lignes plus loin, on trouve une affirmation semblable, en termes plus expressifs encore, si c’est possible : « Jésus l’a déclaré : le calice… est son propre sang, le pain… son propre corps qui nourrit notre corps. » V, ii, 2. Dans le paragraphe qui suit, l’affirmation revient quatre fois : l’eucharistie est appelée « corps du Christ », il est affirmé que notre chair est « nourrie du corps et du sang du Seigneur », que notre nature s’alimente à « la coupe qui est son sang » et croît par le pain « qui est son corps » ; enfin de nouveau l’eucharistie est appelée corps et sang du Christ. V, ii, 3. Sur le sens précis de ces mots, voir ici art. Eucharistie, col. 1129-1130, de plus Struck mann, op. cit., p. 60-88 ; Batiffol, op. cit., p. 173-183. La présence réelle du corps et du sang du Christ n’est pas douteuse.

Un tel rite n’a pu être institué que par le Christ. Irénée l’affirme ; « Jésus prit du pain… rendit grâces en disant : Ceci est mon corps ; il saisit ensuite la coupe… et déclara qu’elle était son sang. » IV, xvii, 5. La même affirmation se retrouve en deux autres passages, IV, xxxiii, 2, et V, ii, 2. C’est ainsi que le Christ enseigna aux apôtres Voblalion du Nouveau Testament, leur donna le moyen d’offrir à Dieu les prémices de ses créatures. IV, xviii, 1. Dieu veut que nous lui fassions cette offrande, IV, xviii, 6 ; il faut donc que nous la lui présentions. IV, xviii, 1.

L'Église obéit à cette prescription. Ayant reçu des apôtres cette oblation, elle la présente dans tout l’univers. IV, xvii, 5. Seule elle peut l’offrir. Ni les Juifs, ni les hérétiques ne sont aptes à faire cette oblation, IV, xvrn, 3, qui est vraiment « l’offrande de l'Ég.ise ». IV, xviii, 2, 5, 6. Par cette manière de parler, Irénée n’entend pas signifier que chaque chrétien peut consacrer l’eucharistie, puisqu'à Rome, c’est l'évêque Anicet ou son délégué, un autre chef d'Église, Polycarpe de Smyrne, qui fait l’opération. L’eucharistie est envoyée non par des particuliers à des particu.iers, mais par des presbytres, ceux de Rome, aux fidèles des Églises quartodécimanes, qui étaient de passage dans la ville. Et Irénée nomme « ceux qui dirigent l'Église » : Anicet, puis Hygin, Télesphore, Xystus. Lettre à Victor, fr. m. Le rôle de la hiérarchie et ses droits sont ainsi expressément signalés. Mais, parce que l’offrande est faite au nom de tous, elle apparaît comme celle de l'Église, et Irénée peut dire d’elle : « Nous la présentons, elle est notre oblation à chacun. »

C’est un sacrifice. Les termes déjà cités ! e prouvent. Les mots offrir et oblation si fréquemment employés par saint Irénée désignent vraiment chez lui un acte rituel et ils doivent s’entendre au sens ittéral et technique, en usage chez les Juifs et dans le monde contemporain d’Irénée. Ces offrandes succèdent aux sacrifices d’Israël, IV, xvii, 5, et peuvent leur être assimilés : « Il y avait chez les Juifs oblation et il en est de mê 'e chez les chrétiens ; il y avait des sacrifices dans le peuple de Dieu et il y en a dans l'Église. La qualité seule est changée… Ce qui a été réprouvé, ce n’est pas l’acte d’offrir. » IV, xviii, 2. L’oblation chrétienne est celle qu’avait prédite Malachie, IV, xvii, 5, le « sacrifice pur » et qui doit être offert dans l’univers entier pour glorifier Dieu dans toutes les nations. IV, xvii, 6 ; xviii, 1, 3. C’est aussi « l’oblation du Nouveau Testament », IV, xvii, 5, donc celle qui primitivement a fondé et qui maintenant commémore l’alliance conclue dans le sang de Jésus entre Dieu et son peuple nouveau.

Aussi ce sacrifice glorifie-t-il le Père par Jésus-Christ.' IV, xvii, 6. Notre offrande rend honneur à Dieu et lu prouve notre affection. IV, xviii, 2. Par elle, nous lui faisons action de grâces pour ses bienfaits, IV, xvii, 1, xviii, 1, 3, 4, 6, en lui présentant les prémices des créatures, IV, xviii, et même en lui donnant tous nos biens. IV, xviii, 2.

Mais offrir ainsi au Très-Haut un tribut qui lui est agréable, c’est pour nous-même un honneur et un profit, IV, xviii, 1, 3 ; en retour, Dieu nous accorde ses bienfaits. IV, xviii, 6. Ainsi le sacrifice sanctifie la création, IV, xviii, 6 ; en y participant par la communion, notre chair reçoit la vie et l’immorta’ité. V, ii, 3. Cette dernière vérité est une de celles, sur lesquelles l'évêque de Lyon insiste davantage. Enfin le sacrifice symbolise et entretient l’unité de l'Église. Lettre au pape Victor.

Pour queses heureux effets soient obtenus, des

dispositions morales sont nécessaires. Comme don de l'Église, le sacrilicc nouveau est agréable à Dieu, car elle l’offre « avec simplicité », IV. xviii, 4. Il n’y a pas opposition entre sa croyance et son sacrifice, contrairement à ce qui se passe chez les sectes hérétiques. IV, xviii. 5. A leur tour, les fidèles doivent offrir les prémices des créatures avec une doctrine pure et une foi sans hypocrisie, une ferme espérance et une ardente charité. IV, xviii, 4. Il faut qu’ils craignent Dieu et qu’ils aient à l'égard du prochain les sentiments requis. Enfin, ils sont tenus de présenter leurs oblations non à la manière des esclaves, mais comme des enfants, avec joie, et générosité, librement. IV, xviii, 2. Dieu veut qu’ils offrent ainsi fréquemment et sans cesse leurs dons à l’autel et dans le temple du ciel. IV, xviii, 6.

Sur les rites de l’assemblée chrétienne, Irénée ne donne pas beaucoup d’indications. Voir Fortescue, op. cit., p. 36, 37. Il met en relief les trois principaux actes : l’offrande, la récitation de la parole de Dieu qui fait du pain le corps du Christ, et enfin la communion qui donne l’immortalité à notre chair.

b) La conception du sacrifice chrétien dans Irénée : erreurs de Renz, Wetter et Wieland. — Il serait difficile de contester ce que nous venons de relever. Tout est parole formelle de saint Irénée lui-même. Mais un problème difficile se pose : Qu’est-ce qui constitue pour lui le sacrifice pur de la Nouvelle Loi ?

Parce que l'évêque de Lyon répète avec insistance que l’eucharistie donne à notre chair l’immortalité, Renz, op. cit., t. i, p. 191 sq., conclut que pour lui le sacrifice est dans le repas, ou du moins dans sa préparation. Nulle part on ne trouve dans Irénée pareille proposition. A coup sûr, il se plaît à montrer dans le corps du Christ un principe de résurrection et de vie éternelle pour notre chair. V, ii, 2-3. Mais il signale en cette efficacité un fruit de la communion et non un sacrifice. Au contraire, tout lecteur des c. xvii et xviii du 1. IV ne peut s’empêcher d’observer qu’Irénée parle sans cesse d’oblation, et que ce mot est pour lui synonyme de sacrifice. If le dit d’ailleurs en termes formels : « Jésus prit du pain, rendit grâces et dit : ceci est mon corps. De même il saisit la coupe et déclara qu’elle était son sang. C’est ainsi qu’il enseigna la nouvelle oblation du Nouveau Testament et qu’il donna le moyen d’offrir à Dieu les prémices de ses créatures. C’est de cet acte que parle le prophète Malachie lorsqu’il prédit le sacrifice pur et universel. » Cf. Rauschen, op. cit., p. 68. Il serait facile d’apporter d’autres preuves à l’appui de cette proposition.

Un second problème se pose aussitôt : Quel est l’objet ainsi offert à Dieu ? Afin d'établir que le sacrifice chrétien primitif était une simple oblation alimentaire, l’offrande des mets nécessaires au repas sacré des fidèles ou utiles aux indigents, Wetter. Dus christliche Opfer, Gœttingue. 1922, p. 92 sq., croit pouvoir s’appuyer sur le témoignage de saint Irénée, IV, xvii, 5-6 ; xviii, 4, 5, 6.

Mais il est évident pour tout lecteur des textes allégués que l'évêque de Lyon ne fait pas offrir à Dieu le simple sacrifice des aliments qui sont présentés au Très-Haut. Le pain devenu le corps, la coupe devenue le sang du Seigneur, telle est, d’après Irénée, la nouvelle oblation du Nouveau Testament. IV, xvii, 5. Il ajoute que le sacrifice pur prédit par Malachie fait glorifier Dieu par Notre-Seigneur dans tout l’univers, IV, xvii, 5-6 : de telle, expressions ne s’expliquent pas si l’offrande des chrétiens consiste uniquement dans la présentation de mets utiles au repas collectif desiidèles. Les chrétiens, dit encore Irénée, offrent au Seigneur « tout ce qui est à eux », IV, xviii, 2 : ces mots ne sont pas d’une interprétation facile, mais il est sûr qu’ils désignent tout autre chose que le sacrifice d’un peu de

et de pain vin. Autre opposition entre ce texte et l’interprétation de Wetter : les buts assignés à l’offrande chrétienne, honorer Dieu.l ui rendre grâces et lui témoigner de l’affection, IV, xviii, 1-4, diffèrent de la fin proposée par le critique moderne : apporter les mets de la cène. Et puis, comment expliquer l’invitation faite aux chrétiens de faire parvenir leurs dons « sur l’autel céleste », IV, xviii, 6, s’ils n’offrent que du pain et du vin ! Sans doute, Irénée parle sans cesse de l’oblation des prémices ; mais il ajoute aussitôt que ces créatures deviennent le corps et le sang du Seigneur, et c’est ainsi en qualité de prémices du monde régénéré qu’elles sont présentées à Dieu. Ce mot convient à merveille pour désigner le Christ, « premierné d’un grand nombre de frères », Rom., viii, 29, « premier-né de toute créature », Col., i, 15, « premierné d’entre les morts », Col., i, 18, « premier-né du Père introduit par lui dans le monde ». Hebr., i, 6. Ce n’est pas au pain et au vin en tant que créatures que convient ce terme de prémices auquel Irénée semble attacher tant d’importance. De la Taille, op. cit., p. 209-212.

Pourtant, au c. xviii du t. IV, s’il faut en croire Wetter, Irénée semble ne plus penser au corps et a sang du Christ. IV, xviii, 3 sq. Il ne le mentionne plus. Les fidèles deviennent les sacrificateurs. Si guis… offerre tenlaverit. Mais il n’est pas possible d’isoler deux ou trois phrases de tout ce qui les précède et des autres affirmations très claires d’Irénée sur l’offrande de l’eucharistie, corps et sang du Seigneur. Au reste, l'évêque de Lyon n’affirme nullement ici que tout chrétien est prêtre. En ce morceau il traite des dispositions intimes nécessaires au fidèle pour que son oblation soit agréée de Dieu : donc, il est naturel qu'à cet endroit Irénée ne parle pas du corps et du sang du Christ. Si, en quelques phrases, il ne parle plus de la chair du Sauveur, ce n’est nullement pour lui substituer le pain et le viii, mais bien pour exposer soit les enseignements de l'Écriture, soit des principes moraux sur ce qui donne sa valeur au sacrifice. Wetter luimême d’ailleurs semble s’en apercevoir, et il avoue que dans Irénée on trouve en germe toute la doctrine sur le sacrifice. Voir Coppens, op. cit., p. 109-110, 119.

Wieland a bien compris que, pour Irénée, les prémices à offrir, c’est le pain et le vin devenus le corps et le sang du Christ. Mais il accuse l'évêque de Lyon d’avoir été un novateur. Avant lui, on ne connaissait qu’un sacrifice véritable et proprement dit, celui de la croix, une seule victime et un seul prêtre, le Christ. Les fidèles n’offraient que des oblations spirituelles : actions de grâces, prières, vie sainte. Le corps et le sang du Christ n'étaient pas présentés à Dieu par l’homme, mais donnés par Dieu à l’homme. Avec saint Irénée tout change : il fait abstraction de la mort du Christ sur la croix. Désormais le chrétien devra présenter à Dieu un objet visible ; ce s^ra le pain et la coupe, corps et sang du Christ, prémices de la nature régénérée.

Soutenir que saint Irénée oublie le mystère de la croix ou ne fait pas à la rédemption la place qui lui revient, c’est nier l'évidence. Nous n’avons pas à exposer ici la sotériologie de l'évêque de Lyon : elle n’est pas laissée dans l’ombre, forme un tout important et se rattache à l’enseignement soit des Livres saints, soit des premiers écrivains chrétiens.

Même quand sainr Irénée parle de l’eucharistie et de l’offrande des prémices, il se garde bien d’oublier la croix. Deux fois il le déclare : le pain et le viii, corps et sang du Christ sont l’oblation du Nouveau Testament. IV, xvii, 5. Ces mots rappellent évidemment les paroles de Jésus au repas d’adieu : « Ceci est la coupe de l’alliance. » Irénée fait allusion au sang du Calvaire dans lequel fut scellé le pacte conclu entre

Dieu et son nouveau peuple. (Test encore à ce mystère que pense l'évêqûe de Lyon quand il compare les sacrifices des Juifs à ceux des chrétiens : les premiers étaient des oblations d’esclaves, les seconds sont des offrandes de créatures libres. Or, on sait que d’après saint Irénée la rédemption a payé la rançon de notre liberté. Il faut donc admettre que, dans sa pensée, le sacrifice chrétien de prémices est celui qu’offre un monde racheté par le Christ. Il n’aurait pas été possible sans l’incarnation et la mort du Seigneur. Irénée lui-même d’ailleurs affirme la connexion des mystères du salut et de l’eucharistie : « Si la chair n’est pas sauvée, le Seigneur ne nous a pas rachetés avec son sang, et ainsi la coupe de l’eucharistie n’est pas communion à son sang. » Irénée insiste sur cette pensée. Il la répète deux fois encore au même endroit : « Le Verbe de Dieu vraiment incarné nous a rachetés en son sang… Nous avons en Jésus par son sang la rédemption avec la rémission des péchés. » V, ii, 2. On voit par ce développement que l’offrande de l’eucharistie fait passer dans la chair et le sang de l’homme, avec la chair et le sang du Rédempteur les fruits de sa mort : la vie éternelle.

Il reste vrai qu' Irénée parle sans cesse de la création. Il ne peut pas dire que nous offrons à Dieu quelque chose, et il est incapable de mentionner l’eucharistie sans faire observer que cette oblation, ce corps et ce sang du Christ, viennent du pain et du viii, de fruits de notre sol, d'êtres de notre monde, tirés du néant par Dieu et qui lui appartiennent. — Cette insistance, qui est une véritable nouveauté, s’explique fort bien. Irénée éciit contre des hérétiques. Certains, les marcionites, prétendaient que le Père n'était pas l’auteur de ce monde. Irénée leur pose cette question : « Pourquoi faites-vous l’eucharistie ? Pourquoi offrezvous au Père ce qui n’est pas à lui, des êtres de notre monde créé, et dont vous semblez croire qu’il est cupide ? » D’autres hérétiques, les valentiniens, vilipendaient notre univers qui serait œuvre de faiblesse, d’ignorance et de passion : mais alors, leur fait observer l'évêqûe de Lyon, puisque l’eucharistie est une de ces créatures que vous méprisez, pourquoi l' offrezvous à Dieu ? Le grand adversaire des gnostiques est hanté par le souvenir de ces erreurs, voilà pourquoi il fait ce à quoi n’avaient pas besoin de penser les écrivains antérieurs : il ne nomme ni les dons ni l’eucharistie sans ajouter : « ils sont partie de la création, et partant ils condamnent votre erreur. »

Aux hérésies nouvelles, Irénée oppose donc une manière toute nouvelle de présenter une doctrine des plus anciennes et que le christianisme avait héritée des Juifs, celle de la création. Les écrivains antérieurs ne l’oublient pas. La Didachè, x, 3, invite le communiant à remercier « le Maître tout-puissant qui a créé l’univers » ; saint Justin nous apprend aussi que le président adressait louange et gloire au « Père de l’univers », I Apol., lxv, 3 et « rendait grâces à Dieu de ce qu’il a créé le monde ». Dial., xii, 2.

Tout ce qu’on découvre en Irénée d’ailleurs, on le trouve chez res devanciers. L’eucharistie se compose de pain et d’une coupe de vin (Didachè, Ignace, Justin), mélangé d’eau (Justin) ; qui au cours d’un acte liturgique accompli par la hiérarchie légitime (Didachè, Clément, Ignace, Justin) reçoivent la parole de Dieu (Justin) et deviennent ainsi corps et sang du Christ (Didachè, Ignace, Justin) pour être de par sa volonté (Clément, Justin) le sacrifice (Didachè, Justin) prédit par Malachie, sacrifice pur et universel (Didachè, Justin), sacrifice qui succède aux oblations d’Israël (Clément, Justin), sacrifice qui honore Dieu et lui rend grâces (Didachè, Clément), sacrifice qui assure ses bienfaits (Didachè, Clément, Ignace, Justin) et en particulier l’immortalité du corps (Didachè, Ignace,

Justin) aux fidèles bien disposés (Didachè, Ignace, Justin). Irénée n’est donc pas le novateur, le révolutionnaire imaginé par Wieland. Il apparaît ce qu’il se montre toujours : le fidèle disciple du passé, de Poiycarpe et des presbytres asiates, « l’homme par excellence de la tradition ». Tixeront, op. cit., p. 261. c) La conception du sacrifice chrétien dans Irénée : première synthèse doctrinale. - — Mais, on ne peut hésiter à le reconnaître. II y a de l’inédit en saint Irénée : la première synthèse dogmatique et morale de toutes les données éparses qu’on recueille chez ses devanciers. Vacant, Histoire de la conception du sacrifice de la messe dans l'Église latine, Paris et Lyon, 1894, p. 8. Il pose des principes sur le sacrifice, en montre l’application dans l’Ancien Testament, puis chez les chrétiens.

a. Principes généraux sur les sacrifices. — A un roi, on offre des dons pour lui faire honneur et lui témoigner de l’affection. Dieu est l’auteur, le maître du monde. Certes, il n’a nul besoin de nos présents, Irénée ne cesse de le redire, mais nous avons besoin de lui offrir quelque chose, afin de n'être ni ingrats ni stériles. IV, xviii, 1-6. Ainsi nous sommes tenus de l’honorer, de rendre grâces à sa souveraineté, de lui prouver notre amour. IV, xviii, 1, 2, 6. Il faut donc que l’homme ne se présente pas devant le Très-Haut les mains vides : nous devons lui offrir les prémices de la création. IV, xviii, 1. Puisqu’il n’a que faire de nos présents, ce qui leur assure de la valeur, ce sont nos sentiments. Les sacrifices sont purs auprès de Dieu et ils le glorifient, s’ils sont offerts avec innocence et simplicité, sans hypocrisie, IV, xviii, 1, 3 ; car ils sont alors à ses yeux les présents d’un ami. IV, xviii, 3. Fussent-ils accomplis extérieurement de la manière la plus parfaite, si l'âme qui les offre est coupable, ces oblations ne peuvent qu'être réprouvées ; c’est comme si, au lieu d’immoler un veau, elle sacrifiait un chien. IV, xviii, 3. — Quand, au contraire, les dispositions intérieures sont ce qu’elles doivent être, l’homme retire pour lui-même du profit de son sacrifice. IV, xviii, 6. Pour ce second motif encore nous, devons faire des offrandes : il importe que nous ne nous privions pas des fruits à recueillir de nos dons. D’abord il est glorieux pour nous de voir nos présents agréés de Dieu. Quelque chose de l’honneur qui est rendu au Créateur, revient à la créature. Puis, par le fait qu’il rend grâces, l’homme trouve grâce. IV, xviii, 1. Accueillies auprès de Dieu, nos bonnes œuvres nous obtiennent en récompense ses bienfaits. Ainsi on voit comment ! e sacrifice non seulement remercie le Très-Haut, mais sanctifie la créature. IV, xviii, 6. Il y a là un nouveau motif pour lequel il doit être accompagné des dispositions intéiieures convenables. En vain l’acte rituel est accompli selon toutes les prescriptions du cérémonial, si nous sommes coupables, il ne trompe pas Dieu qui connaît les sentiments des cœurs. Si donc le péché habite en une âme, si l’homme ne craint pas le Seigneur et n’aime pas ses semblables, comme il le doit, loin de lui être utile, l’oblation en apparence la plus parfaite ne peut que lui devenir nuisible, le rendre plus coupable et faire de lui son propre meurtrier. IV, xviii, 3. Car ce n’est pas le sacrifice qui sanctifie l’homme, c’est la conscience pure de l’homme qui sanctifie le sacrifice. IV, xviii. 3.

b. Le sacrifice de l’Ancien Testament. — Saint Irénée montre comment se vérifiaient sous l’Ancienne Loi ces prescriptions. Dieu agréa le sacrifice d’Abel offert avec simplicité et justice ; au contraire, il se détourna des oblations de Caïn, à cause de la jalousie et de la malice de son cœur. IV, xviii. 3. Chez les Juifs il voulut qu’il y eût des sacrifices, afin de leur apprendre comment ils devaient le servir. IV, xviii, 6. Mais ce 91'

MESSE CHEZ LES ALEXANDRINS : CLÉMENT

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qu’il désirait obtenir d’eux, ce n'était pas tant les holocaustes et les oblations que la foi et l’obéissance, la justice et la miséricorde. Il le leur rappela par les prophètes. IV. xvii, 4, et leur annonça par Malachie le sacrifice pur de l’avenir. IV. xvii. 5. Lui-même leur reprocha l’hypocrisie dont ils faisaient preuve en lui offrant des dons extérieurement convenables, alors que leur conscience était souillée. IV, xviii, 3. Ils le mirent à mort, aussi demeurent-ils incapables d’offrir désormais des sacrifices, puisque leurs mains sont pleines de sang, et puisqu’ils n’ont pas reçu le Verbe qui s’offre à Dieu. IV, xviii, 4. Le sacrifice juif a donc cessé. IV. xvii, 4.

c. Le sacrifice des chrétiens. — Mais Dieu n’a pas repoussé les offrandes et les sacrifices. Comme il y en avait chez les Juifs, il doit y en avoir chez les chrétiens. IV, xvii, 2. Jésus a institué l’oblation du Nouveau Testament, xvii, 5, lorsqu’il a dit sur du pain : « Ceci est mon corps », sur une coupe de vin trempé : » Ceci est mon sang. » IV, xviii, 5. C’est ainsi qu’il apprit à ses discip'.es le moyen de lui offrir « les prémices de ses créatures ». IV, xvii, 5. Saint Irénée ne se lasse pas de répéter cette affirmation. Il la prouve : le pain et le vin sont pris dans le monde créé, où ils sont à notre usage. La parole de Dieu est prononcée sur eux et ils deviennent l’eucharistie, corps et sang du Seigneur. IV. xviii, 5. Puisque c’est elle qu’on offre à Dieu, nous lui présentons vraiment un de ses bienfaits, IV, xviii, 5 ; les prémices des créatures, IV. xviii, 4, etc., ce qui est le plus apte à représenter le monde nouveau. D’une part, le pain et le vin sont les aliments substantiels de la vie ; d’autre part, Jésus est le premier-né des créatures par sa place dans l’univers, le premier-né des morts par l’antériorité de sa résurrection. Enfin, le pain et le vin changés au corps et au sang du Christ sont les prémices de cette terre où s'établira le royaume futur, et où croîtront d’innombrables grappes de raisin qui réclameront à l’envi le privilège d'être consacrées à Dieu dans l’eucharistie. V, xxxiii, 3. Vacant, op. cit., p. 13.

Par là se manifeste la supériorité du sacrifice nouveau sur celui des Juifs : leurs oblations étaient celles des esclaves, ils donnaient par - force, ils offraient peu afin d’obtenir beaucoup, ils accordaient la dîme. IV, xviii, 2. Notre offrande est celle de créatures libres qui ont été rachetées par le sang du Christ. Donc, puisque nous lui appartenons tout entiers, nous lui donnons tout ce que nous avons avec joie et librement. IV, xviii, 2. Nous présentons en effet au TrèsHaut le monde de la matière et le monde des hommes, la i chair et l’esprit ». l'élément terrestre et l'élément céleste, la créature et le Verbe qui s’offre à Dieu. IV. xviii, 5 ; xviii, 4.

Quelque sublime que soit en lui-même ce sacrifice, il exige de ceux qui l’offrent de saintes dispositions. L'Église qui a reçu le rite de la main des apôtres présente cette offrande avec simplicité. IV, xvii, 5 ; xviii, 4. Il n’y r a en elle aucune hypocrisie, pas d’opposition entre l’oblation extérieure et ses sentiments, sa doctrine. Le sacrifice confirme son enseignement et l’enseignement s’accorde avec son sacrifice. IV, xviii, 5. -Mais il ne suffit pas que la société comme telle soit pure pour que l’oblation le soit : tout fidèle qui veut offrir ce sacrifice doit en faire une action de grâces que rien ne dément : il est tenu d’avoir une doctrine pure, une foi sans hypocrisie, une ferme espérance et une ardente charité. IV, xviii, 4.

Qu’il en soit ainsi, et alors vraiment l’offrande sera le sacrifice pur annoncé par Malachie et qui doit louer Dieu dans tout l’univers. Le nom de Notre-Seigneur est, en effet, par l’eucharistie glorifié dans tous les peuples et par lui est glorifié le nom du Père. En tout

lieu avec ce sacrifice pur est offert au Très-Haut l’encens, c’est-à-dire les prières des saints, IV, xvii, 6, il apparaît comme l’eucharistie, l’action de grâces par excellence. Partout notre don doit être « fréquemment et sans cesse » présenté dans le temple, sous le tabernacle et à l’autel du ciel. IV, xviii, 6. Ainsi réapparaît une pensée qui depuis l'Épître aux Hébreux et l’Apocalypse semblait avoir été oubliée. Alors il est impossible que notre bonne œuvre ne porte pas en elle-même sa récompense. IV, xvii, 4 ; xviii, 6. De ce que nous offrons, nous retirons du fruit.

IV, xviii, 6. Nous présentons à Dieu le corps et le sang du Seigneur : Dieu nous les rend. Cette chair du Christ qui fut rédemptrice est une source de vie éternelle. Elle ne s’introduit donc en notre chair, et la coupe ne se glisse en notre sang, que pour sanctifier la créature, IV, xviii, 6, et nous donner l’immortalité.

V, ii, 2-3. C’est ainsi que le sacrifice trouve sa place dans le plan universel de Dieu. V, ii, 2. On sait ce qu’il est d’après Irénée : « Le Verbe s’est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu’il est. » V, pra ?f., col. 1014. L’opération s’est développée en cinq actes : 1) en l’homme, Dieu a par la main du Verbe créé une vie faite à l’image de la sienne ; 2) par le péché nous avons perdu cette vie semblable à celle de Dieu ; 3) le Verbe s’est fait chair pour racheter l’homme et réintroduire en notre chair la vie divine ; 4) par l’eucharistie, il fait passer en notre chair sa propre chair douée d’une vie divine et partant d’immortalité ; 5) ayant reçu le corps et le sang du Christ, nous ressusciterons pour une vie éternelle. On voit la place que tient dans cette économie du salut le sacrifice qui se termine par « la communion au corps et au sang du Christ Rédempteur ». II, v, 2. Quand nous faisons notre offrande, notre chair « nourrie du corps et du sang du Christ devient un de ses membres », elle obtient la vie éternelle. Sans doute, elle sera d’abord soumise à la mort, « tombera en terre et deviendra corruption, mais ce sera pour ressusciter en son temps, par le don du Verbe, pour la gloire du Père ». V, ii, 3.

Après avoir reconstitué la pensée de saint Irénée, il est permis de se demander, si jamais la notion du sacrifice est entrée dans une synthèse plus complète, plus grandiose, plus féconde en conséquences pratiques. Plus d’une expression est gauche, et il est des affirmations qui ne sont pas sans danger (l’eucharistie avec double élément, céleste et terrestre ; notre corps nourri du corps du Christ) Mais l’idée maîtresse est des plus heureuses, les princioes métaphysiques et les règles morales sont du meilleur aloi, et la synthèse lie étroitement toutes les données de la raison et de l’Ancienne Loi à tous les enseignements du Nouveau Testament et de l’antique tradition. Qu’on précise le langage, comme on peut le faire aujourd’hui, qu’on laisse tomber ce qui, écrit contre les gnostiques, a perdu toute actualité, et on garde une théorie du sacrifice qui peut soutenir la comparaison avec toutes celles qu’on a imaginées depuis. Cf. Vacant, op. cit. ; A. d’Alès, La doctrine eucharistique de saint Irénée, dans Recherches de science religieuse, 1923, t. xiii, p. 24-46.

IV. En Orient, jusqu’au milieu du iiie siècle. — 1° Clément d’Alexandrie (i entre 2Il et 216). — Nous ne signalons pas les textes dont il est impossible ou difficile d’affirmer qu’ils parlent du sacrifice chrétien au sens propre. Sans doute, quand Clément allégorise, la figure fait connaître quelque peu la réalité ; mais les conclusions à dégager restent incertaines.

Clément rappelle que le Christ a institué le rite chrétien. « Le Sauveur, ayant pris du pain, d’abord parla et rendit grâces ; puis, ayant rompu le pain, il le servit afin que nous mangions spirituellement.

Strom., i, x, P. G., t. viii, col. 744. Quand on renouvelle la cène, on doit employer du pain et du vin ; la règle de l 'Église, xocvwv tyjç iy.xXr l citx< ;, le veut. Les hérétiques qui font usage d’eau sont en désaccord avec l'Écriture. Strom., i, xix, col. 813. Déjà intéressant par ce menu détail, ce court passage l’est plus encore parce qu’il appelle l’eucharistie chrétienne une 7rpoCT<popâ, une offrande.

Si le sens de ce mot n’est pas déterminé en cet endroit, une autre phrase de Clément nous renseigne davantage sur sa pensée : « Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu Très Haut, offrit Je pain et le vin comme une nourriture sanctifiée en figure de l’eucharistie. » Strom., IV, xxy, col. 1369. Aucun doute ne subsiste. Cette oblation du pontife-roi de l’Ancien Testament est pour l’auteur un véritable sacrifice. Le mot « sanctifié »., Y)yiaCTjjisv7)v, ici employé, achève de le démontrer. Déjà nous avons cru, en étudiant le IVe évangile, pouvoir lui attribuer ce sens. Joa., xviii, 19. Clément écrit ailleurs que le Christ immolé comme notre agneau pascal a pour nous été sanctifié, ÛTrèp rjpuov ayi.aCoti.evoc, en d’autres termes que sa mort sur la croix fut un sacrifice. Strom., V, x, t. ix, col. 101. On le constatera : les Africains de la même époque entendent ainsi le mot latin' sanctificare. Il est naturel de conclure que l’eucharistie, comme l’oblation de Melchisédech et la passion du Sauveur, est aux yeux de Clément un véritable sacrifice ; quant aux déclarations de Clément relatives aux oblations spirituelles prières et vertus, seules agréables au TrèsHaut, elles s’expliquent comme celles des apologistes, déjà rencontrées. Voir Strom., VII, iii, vi, t. ix, col. 417 sq., 439 sq.

A relever encore quelques indications liturgiques : « Ceux qui distribuent l’eucharistie, selon l’usage, invitent chacun du peuple à prendre sa part/ » Strom., I, i, t. viii, col. 692 B. Sur cette communion un autre renseignement nous est donné. Le Christ parle ainsi au fidèle : « Je suis celui qui te nourrit. Comme pain, je me donne moi-même : qui me goûte ne fait plus l’expérience de la mort et chaque jour je me donne en breuvage d’immortalité. » Quis dives salv., xxiii, t. ix, col. 628. Il y a donc dans l’assemblée où se célèbre l’eucharistie le peuple et les officiants. Parmi ces derniers, il en est qui sont chargés de distribuer la communion. Chacun des assistants est invité à la recevoir, non seulement par le Christ, mais encore par la hiérarchie : peut-être le distributeur usait-il déjà d’une formule consacrée, pareille au Sancta sanctis. Le fruit de l’eucharistie que signale Clément est celui qu’ont fait connaître tous les écrivains antérieurs : l’immortalité. Enfin, nous apprenons que ce don peut être reçu chaque jour.

Sur l’effet de cette nourriture, et sur une autre particularité du rite, on recueille des données en un développement un peu moins clair, mais précis sur ces deux points : « Double est le sang du Seigneur. Car l’un est charnel, c’est par ce sang que nous sommes rachetés de la corruption ; et l’autre est spirituel, c’est par ce sang que nous sommes oints. Boire le sang de Jésus, c’est participer à l’incorruptibilité du Seigneur. L’esprit est la force du Verbe comme le sang l’est de la chair. Analogiquement donc, le vin se mêle à l’eau et l’esprit à l’homme. Si le vin trempé rassasie la foi, l’esprit introduit en l’homme l’incorruptibilité. Et l’union des deux, à savoir du vin et du Verbe, est appelée eucharistie, grâce vénérable et belle. Ceux qui selon la foi y participent sont sanctifiés corps et âme, la volonté du Père formant mystérieusement le divin mélange de l’homme avec l’esprit et le Verbe. » Peedag., II, ii, t. viii, col. 409 sq. A coup sûr, plus d’une proposition de ce morceau n’est pas facile à interpréter. Il est certain du moins qu’ici Clément atteste

l’usage de mêler de l’eau au vin dans l’eucharistie. Il déclare aussi que le sang du Christ nous fait participer à l’incorruptibilité du Seigneur, nous sanctifie corps et âme.

Pour Clément donc, l’eucharistie est une offrande rituelle, un sacrifice institué par le Christ. On y renouvelle la cène, l’offrande par Jésus du pain et du vin trempé d’eau. Le rite s’opère selon un règlement fixé par l'Église et par les soins d’une hiérarchie distincte du peuple. Le fidèle qui participe à cette nourriture et à ce breuvage, mange et boit Jésus luimême. Il est sanctifié, corps et âme. Le sang du Christ lui assure l’immortalité.

On a essayé d’enlever au mot offrande, Trpoacpopâ, le sens de sacrifice. Il désignerait la présentation par les fidèles à l'évêque des dons destinés à l’eucharistie ou au soulagement des pauvres. Wieland, Opferbegriff, p. 119 ; Wetter, Altchrist. Liturgien, t.n, p. 95-96. Sans doute Clément parle en maints endroits soit de l’agape, voir Volker, op. cit., p. 153160, soit des banquets spirituels du clirétien, du gnostique. Mais il ne lie pas les repas amicaux et charitables des fidèles à l’eucharistie. Volker, loc. cit., p. 160-161. Pour les agapes dont parle Clément les fidèles apportent des offrandes, mais l’auteur ne dit pas qu’elles constituent le sacrifice chrétien, elles sont un acte de charité. Cet usage n’explique en rien pourquoi Clément appelle le rite qui s’opère sur le pain et le viii, une TCpoacpopâ, une oblation rituelle, ni pourquoi il l’assimile au sacrifice de Melchisédech. Wetter ne peut recourir au témoignage de Clément qu’en forçant les textes. Voir Coppens, op. cit., p. 112.

Reste un autre morceau attribué au même écrivain et dont le contenu mérite l’attention. Toutefois l’authenticité n’en est pas certaine. C’est un commentaire de Luc, xv, P. G., t. ix, col. 760-761. Il y est parlé « d’un veau gras qui est immolé, OûsTat, veau qui est encore appelé un agneau et pas un petit, mais un très grand, l’agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Comme une brebis, il est conduit à l’immolation.. C’est une victime, 0ùu.a, pleine de moelle, dont toute la graisse, selon la loi sacrée, est devenue la part de Dieu : tout entier il a été consacré, voué au Seigneur. Il est si élevé, si grand… qu’il rassasie ceux qui se nourrissent et jouissent de lui : car cette chair est du pain, et puisqu’elle est l’un et l’autre, elle s’offre à nous pour être mangée. Lors donc que les fils se présentent, le Père leur donne le veau qui est immolé, Oùetoc, puis mangé. » L’exégèse de chacun des mots de ce morceau n’est pas sans difficulté, mais le sens général ne semble pas discutable. Le Christ est présenté comme la victime qui fut immolée sur la croix, pour être à la fois offerte à Dieu et consommée par les fidèles sous la forme du pain eucharistique. C’est donc sa chair immolée en sacrifice que le Christ donnerait aux communiants. Si cette affirmation émane de Clément d’Alexandrie, elle complète fort bien ce qu’il dit de la Tcpoaçopâ, de l’oblation rituelle et du sacrifice des chrétiens. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 296 sq. ; De la Taille, op. cit., p. 226-227.

Sur d’autres détails purement liturgiques à glaner dans Clément d’Alexandrie (lecture des prophètes et de l'Évangile, chants et hymnes, prières de supplication, baiser de paix, usage de flambeaux, Sanctus), on consultera Fortescue, op. cit., p. 39-40 ; plus d’un texte allégué d’ailleurs appelle des discussions.

2° Origène. († 254 ou 255). — On sait que le grand docteur alexandrin cède sans cesse à.la tentation d’allégoriser : il lui arrive donc de parler en un sens spirituel de l’offrande et du sacrifice, du pain et du vin, même du corps et du sang de Jésus-Christ. Ne seront pas cités ici les textes où il n’est pas certain

qu’Origène ait en vue l’eucharistie proprement dite des chrétiens.

II affirme qu’elle est un bienfait du Christ et remonte à lui, comme à son auteur. <> Si tu montes avec lui (le Sauveur) au cénacle pour fêter la Pàquc, il te donne le calice de la Nouvelle Alliance, il te donne aussi le pain de la bénédiction ( de l’eulogie), il te donne son corps et son sang. » In Jerem., hom. xviii, f3, P. G., t. xiii, col. 489 (traduction Batiffol ; texte corrigé ici par celui de l'édit. Klostermann, du Corpus de Berlin, Origenes Werke, t. iii, p. 169). On relève donc, à côté de l’affirmation de la présence réelle, l’emploi de la locution biblique d’après laquelle le sang du Christ a scellé le pacte d’alliance entre Dieu et le nouvel Israël. Voir encore une allusion à l’institution, In Matth. comment., 85, P. G., t. xiii, col. 1734.

Le docteur alexandrin a eu l’occasion dans son traité Contre Celse de compléter la précédente déclaration : « Rendant grâces au Créateur de l’univers, écrit-il, nous mangeons le pain que nous (lui) offrons avec actions de grâces et prières pour ces dons ; ils sont alors devenus un corps par la prière, quelque chose de saint qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention saine. Cont. Cels., viii, 33, P. G., t. xi, col. 1565. « Celse, écrit encore Origène, veut que nous offrions des prémices aux démons. Pour nous, c’est à celui qui a dit : « Que la terre fasse germer la verdure », que nous offrons des prémices et que nous portons nos prières, ayant un grand pontife qui a pénétré dans le ciel, Jésus, Fils de Dieu. » Ibid., viii, 34, col. 1565.

Non, nous le déclarons, ajoute-t-il, nous ne sommes pas des hommes au cœur ingrat. Sans doute, nous ne sacrifions pas, nous n’accordons pas de culte à des êtres qui sont nos ennemis, bien loin de nous octroyer leurs bienfaits..Mais à l'égard du Dieu qui nous a comblés de faveurs… nous craignons d'être des ingrats. Le signe de cette reconnaissance envers Dieu, c’est ce pain qu’on appelle l’eucharistie. » Ibid., vi i, 57, col. 1604.

La suite de ce développement prouve mieux encore peut-être que l’oblation de cet aliment n’est pas une simple prière de louange, mais l’acte rituel par excellence, le sacrifice réservé à la divinité. « Bien plus, écrit Origène, si nous savons que les anges et non lesdémons sont préposés à la production des fruits de la terre et à celle des animaux, nous les louons et les déclarons bienheureux… mais nous ne leur rendons pas l’hommage qui est dû à Dieu. Car, ni Dieu, ni eux… ne le voudraient. Au contraire, ils nous approuvent beaucoup plus de ce que nous évitons de leur offrir des sacrifices que si nous leur en présentions. »

Ainsi les chrétiens présentent quelque chose à Dieu, et lui réservent un culte qui est pour lui seul. Il s’agit ici d’une véritable oblalion rituelle, puisqu’elle s’oppose à celle que les païens font aux démons et aux louanges que nous rendons aux bons esprits. C’est une offrande de prémices : on retrouve ici le mot de saint Irénée. Elle est un sacrifice. Ce qui est offert, c’est le pain de l’eucharistie. Il est le signe de notre gratitude envers Dieu. Car la prière fait de lui un corps saint et sanctifiant : c’est à coup sûr la chair du Seigneur qui est ainsi désignée. Pendant que nous l’offrons, nous rendons grâces au Créateur de l’univers : de nouveau la pensée d’Origène rejoint celle d’Irénéc. Puisque Jésus est le grand pontife du ciel, c’est par lui, en raison de sa présence à nos côtés et près de Dieu, que nous remercions le Très-Haut de ses faveurs..Mais ce pain, après avoir été offert à Dieu, est mangé par nous avec remerciements et prières. Bien de plus naturel, car ce pain nous sanctifie, à condition toutefois que notre intention soit saine. La similitude entre cette courte synthèse eucharistique et celle d’Irénée apparaît indéniable. Les idées se rejoignent et certains mots essentiels sont identiques.

Sur la manière dont l’eucharistie est efficace, Origène exprime clairement sa pensée. Ce qui sanctifie l’homme, ce n’est pas la manducation en tant que telle, c’est la conscience qu’on a en se livrant à cette opération. « Puisqu’il s’agit du pain du Seigneur, l’efficacité en est perçue par qui en use, à condition qu’il participe à ce pain avec un esprit pur, avec une conscience pure. Donc le fait même de ne pas manger de ce pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation ne nous prive d’aucun bien, et manger ne nous fait abonder d’aucun bien ; car la cause de la privation est notre malice, nos péchés, et la cause de l’abondance est notre justice, nos bonnes actions. » In Matth., tom. xi, 11, t. xiii, col. 948 sq. De nouveau nous sommes en face de la pensée qu’exprimait Irénée : « ce n’est pas le sacrifice qni sanctifie l’homme, c’est la conscience pure de l’homme qui sanctifie le sacrifice. » La pensée d’Origène est semblable : il n’y a qu’une légère différence commandée par le sujet : le docteur alexandrin écrit manger là où l'évêque de Lyon avait mis offrir. Les deux idées sont connexes : saneta sanctis. Dans le même morceau, trois fois à quelques lignes de distance, Origène parle du pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation. Cette locution exprime donc avec exactitude sa pensée. Déjà le témoignage de Clément d’Alexandrie invite à voir dans ce mot sanctifié comme un terme technique synonyme de sacrifié. Nous saisissons de plus ici une nouvelle similitude entre la formule d’Origène employée trois fois et celle d’Irénée, redite elle aussi à trois reprises. Les mêmes paroles doivent exprimer une pensée semblable. Cette parole de Dieu qui est une prière prononcée sur le pain, (cf. Selecta in Ezechiel, vii, , 22, t. xiii, col. 793 : Itzs)yeaQai tû tyjç eù/apicmaç apTw) désigne sans doute les mots du Christ à la cène, encadrés dans une prière et considérés eux-mêmes comme une prière, puisqu’ils appellent le changement du pain au corps du Christ. Tel était déjà le langage de saint Justin. Batiffol, op. cit., p. 278.

Autre trait de ressemblance entre Origène et Irénée. On n’a pas oublié la pensée sur laquelle insiste tant l'évêque de Lyon : le sacrifice nous revient, il est accueilli par Dieu qui en retour accorde ses bienfaits. Voici maintenant ce que dit Origène : « Ce que nous avons donné à Dieu, il nous le rend, avec ce que nous n’avions pas auparavant. Dieu exige et demande de nous qu’il ait l’occasion de donner… Debout donc prions Dieu, afin que nous soyons dignes de lui offrir les dons qu’il nous rendra, de telle soi te qu'à la place des biens terrestres, il offrira les biens célestes dans le Christ Jésus. » In Luc, hom. xxxix, t. xiii, col. 1900. Les deux écrivains chrétiens ont été amenés par l'étude de la Bible à la même conclusion. Leur langage désigne à merveille l’eucharistie sacrifice, pain qu’on offre à Dieu et qu’il nous rend ; nous apportons une créature terrestre, et elle devient le Christ, nous l’offrons et recevons en retour les biens célestes, le Christ lui-même que nous mangeons.

Nous voudrions être renseignés davantage sur les effets du sacrifice. Comment le pain sanctifié et devenu un corps saint, nous sanctifie-t-il ? Oiigene ne fournit pas une longue réponse, mais elle dit tout. Parlant des pains de propositions de l’Ancienne Loi, il fait cette remarque : « Si tu reviens à ce pain qui est descendu du ciel et qui donne au monde la vie, ce pain de proposition que Dieu a proposé comme une propitiation par la foi en son sang, et si tu regardes cette commémoraison dont parle le Seigneur quand il dit : « Faites ceci en mémoire de moi », tu découvriras que c’est cette commémoraison seule qui rend Dieu propice à l’homme. » In LeviL, hom., xiii, 3, t.xii, col. 517. La formule est des plus heureuses. Irénée avait enseigné que le sacrifice nous attire les bienfaits

de Dieu ; Origène expose la même idée, mais rattache en termes exprès l’eflef à la cause, les fruits du sacrifice chrétien à ceux de la passion, fi trouve les mots de l’avenir : le rite est propitiatoire parce qu’il commémore le sang du Christ.

Ailleurs encore il a souligné l’union qui existe entre la passion et l’eucharistie. « Lorsque tu verras les peuples venir à la foi, les églises s'élever, les autels recevoir non plus le sang des animaux, mais le sang précieux du Christ… « In Jesu Nave, hom. ii, 1, t.xii, col. 835. Il n’y a pas à se servir de ce passage pour établir l’existence chez les chrétiens d’autels proprement dits semblables à ceux qu’ont les païens : il n’y en a pas, dit Origène à Celse, ils seraient pour nous des abominations. Contr. Cels., viii, 20, t. xi, col. 1518. Mais le contexte montre qu’ici le docteur alexandrin met en parallèle les victimes juives et la victime chrétienne, Jésus, l’oblation de l’une et l’oblation de l’autre. Il ne pense pas Leulement à l’immolation sanglante de la croix, mais au rite qui la commémore, à ce qui se passera, quand les païens auront la joi.

Une troisième fois d’ailleurs cette valeur que le rite eucharistique tient de son rapport avec la passion est affirmée par Origène : il a parlé du rite propitiatoire par le sang des animaux qui existait chez les Juifs, et il ajoute : « Mais toi qui es venu au Christ, pontife vrai, lequel par son sang t’a rendu Dieu propice et t’a réconcilié avec le Père, ne t’arrête pas au sang de la chair, mais rends-toi compte plutôt de ce qu’est le sang du Verbe et entends-le lui-même te dire : « Ce « sang est le mien qui sera répandu pour vous en vue « de la rémission des péchés. » Celui qui a été initié aux mystères connaît la chair et le sang du Seigneur. » In Levit., hom. ix, 10, t.xii, col. 523. Il serait difficile de dire plus clairement que le rite chrétien remplace les sacrifices propitiatoires d’fsraël, en commémorant et en faisant passer en nous le sang du Verbe, du Pontife éternel, jadis versé sur la croix et aujourd’hui offert à Dieu, comme l'était autrefois celui des victimes Iévitiques.

Ainsi l’originalité de la conception d’Origène vient précisément, on le voit, de cette pensée que la cène rappelle la croix. C’est donc bien à tort que Wetter, op. cit., t. ii, p. 96, a cru pouvoir découvrir en Origène le prétendu sacrifice alimentaire des premiers chrétiens. Le docteur alexandrin ne connaît qu’une seule oblation : celle du pain sanctifié par la prière et l’action de grâces, devenu ainsi un corps saint et sanctifiant. On ne saurait faire d’Origène le partisan d’une conception qui n’a jamais été celle des chrétiens-, et qui aurait été pour eux un scandale, celle de l’existence d’un sacrifice du pain et du vin. Comme Irénée, Origène parle d’une olïrande de prémices, mais celles-ci ne sont présentées qu’après avoir été sanctifiées, qu’après être devenues le corps et le sang du Christ. Plus qu' Irénée même, il établit que le rite eucharistique est en rapport intime avec celui de la croix, avec l’immolation physique du Sauveur.

Cette constatation vaut la peine d'être soulignée. On sait que, d’après Lielzmann, il y aurait eu deux types primitifs d’eucharistie : l’un d’eux, représenté par Yanaphore de Sérapion, serait propre à l’Egypte, où Paul n’a pas créé d'Églises, s’opposerait à celui des chrétientés visitées par l’Apôtre, que Vanaphore d’Hippolyte nous conserverait. Or, affirme Lietzmann, dans le rite égyptien primitif, il n’y avait pas de mention de la mort du Seigneur et l’auteur n’hésite pas, pour prouver sa thèse, à voir dans la commémoraison de la passion que contient aujourd’hui l’anaphore de Sérapion une interpolation. Op. cit., p. 178-180 ; 190-196 ; 238 ; 249 sq. On peut constater que cette audacieuse chirurgie n’est nulle ment justifiée par la tradition égyptienne. Ce qui caractérise au contraire la conception eucharistique d’Origène, ce qu’on ne trouve chez aucun autre écrivain ancien aussi fortement affirmé, c’est la relation entre la passion et le rite chrétien.

Il est un second trait qui donne au témoignage d’Origène son originalité. Plus que personne il insiste sur la sainteté du l’eucharistie. Voir Struckmann, op. cit., p. 146-151. Batifîol, op. cit., p. 263-269, a souligné cinq passages très importants où, dans les termes les plus clairs, le docteur alexandrin rappelle les dispositions exigées du communiant, les motive par l'Écriture et des arguments de raison, menace des pires châtiments les fidèles qui ne discerneraient pas le corps du Seigneur. Ces textes sont surtout précieux pour démontrer la présence réelle : il n’y a donc pas à les examiner ici. Mais ils confirment ce que nous savons déjà : l’eucharistie, la communion et le rite sont pour Origène la chose sainte par excellence, rà ôtyia. Pour dire que le pain est offert en sacrifice, Origène dit qu’il est sanctifié. Pour faire savoir ce qu’il devient grâce à cette opération, il affirme que c’est un corps saint. Enfin pour montrer quels sont ses fruits, il le présente comme sanctifiant. Les anciens Pères, même Irénée, avaient insisté surtout sur la vie éternelle. Par là même ils disent tout, car, si le corps du Christ fait de nous des immortels, il divinise notre chair, notre nature. Origène met l’accent sur la sainteté.

Il exige donc une grande pureté morale de quiconque approche de l’eucharistie. Le fidèle reçoit dans ses mains le corps du Seigneur, il le porte avec vénération, avec toute sorte de précaution, pour ne pas en laisser tomber la plus petite parcelle, pour que rien de consacré ne se perde. Si pareil malheur arrivait par négligence, « on se tiendrait à bon droit pour coupable ». In Exod., hom. xiii, 3, t.xii, col. 391. Ce n’est pas seulement la communion faite par un pécheur qui est une faute, c’est aussi l’offrande par lui du sacrifice : « Celui-là est inconsidérément à l’intérieur du sanctuaire de l'église qui, après une union illicite, sans se soucier de l’impureté de sa personne, consent à prier sur le pain de l’eucharistie : un tel acte profane le sanctuaire et produit une souillure. » Selecta in Ezech., vu, 22, t. xiii, col. 793. Qu’il s’agisse ici de la faute du ministre ou de celle du fidèle qui unit sa prière à celle du célébrant, ce qui est affirmé, c’est la sainteté requise non seulement pour communier, mais déjà pour prendre part aux mystères.

Les liturgistes ont cru pouvoir relever dans Origène un assez grand nombre d’allusions à la liturgie eucharistique : lectures de la Bible, homélie, hymnes, prières, baiser de paix, Sanctus, emploi d’une anaphore ayant des ressemblances avec celle de la liturgie de saint Marc et qui, comme cette dernière, comprendrait : une doxologie, des prières de louange à Dieu remercié pour la création et la rédemption, des intercessions pour toutes sortes de personnes, la demande de pardon des péchés, une doxologie finale. La communion est faite sous les deux espèces et on reçoit debout le pain consacré dans sa main, on l’emporte parfois hors de l’assemblée pour se communier. La formule : Sancta sanctis serait employée. On a même cru pouvoir découvrir dans certaines paroles d’Origène des formules pareilles à des textes de l’anaphore que contient la liturgie de saint Marc. Voir Fortescue, op. cit., p. 40-45, qui fait observer avec raison qu’Origène ayant été aussi en Palestine, certains traits cités par lui peuvent être des allusions à la liturgie de ce pays.

Conclusion. — D’après Origène, les chrétiens offrent à Dieu et à lui seul une oblation de prémices, un sacrifice, celui du pain et du vin sanctifiés par la prière et l’invocation, devenus ainsi un corps saint et sancti(5

fiant, celui dont le sang a été versé sur la croix pour rendre Dieu favorable aux hommes. Le rite chrétien commémore cet acte, et ainsi il acquiert une valeur propitiatoire au profit de ceux qui s’en approchent avec une conscience pure, (".'est la conception d’Irénée ; mais l’alexandrin souligne davantage le rapport de la cène et de la passion, et il insiste plus que personne sur la pureté requise de qui s’approche du Saint des Saints.

3° Denys d’Alexandrie (r 265). — Dans une lettre au Pape Xyste II, Denys d’Alexandrie lui expose les scrupules d’un chrétien qui a été baptisé par les hérétiques, et qui maintenant se demande ce que vaut son baptême. « Il a entendu l’eucharistie, il y a répondu Amen avec les autres, il s’est présenté à la table, il a étendu les mains pour recevoir le saint aliment, il l’a reçu, il a participé longtemps au corps et au sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ… et maintenant il n’ose plus approcher de la table et ce n’est qu’avec peine qu’il assiste aux prières… » Dans Eusèbe, H. E., VII. ix, P. G., t. xx, col. 653. Denys attribue une telle puissance de sanctification à l’eucharistie qu’il croit qu’elle a en fin de compte suppléé le baptême. La description liturgique vaut la peine d'être remarquée. Il y a d’abord une prière d’action de grâces du président. Suit l’Amen du peuple. On se présente à la table et on étend les mains pour recevoir l’eucharistie.

Dans une autre lettre (à Basilide, cf. Eusèbe, H. E., VII, xxvi, 3) qui a été conservée par les canonistes grecs, Denys étudie la délicate question de la pureté corporelle requise du communiant. Dans l’exposé des solutions, il parle de la « maison du Seigneur », de la « table sainte > et de la manière dont était distribuée la communion : le fidèle la recevait dans sa main, puisqu’il « touchait le corps et le sang du Seigneur ». P. G., t. x, col. 1281, 1284, 1288, et mieux dans C. L. Feltoe, The letters and olher remains of Dionysius of Alexandria, Cambridge, 1904, p. 102. — Enfin dans une lettre à Fabius d’Antioche, Denys est amené à dire qu’en punition de fautes très graves, par exemple de l’apostasie, les fidèles étaient excommuniés. Il raconte comment un de ceux qui avaient été soumis à cette peine, étant sur le point de mourir, obtint son pardon. Il envoya pendant la nuit son petit-fils appeler un prêtre. Celui-ci, malade, ne put venir. On remit à l’enfant une parcelle de l’eucharistie, en lui ordonnant de la mouiller et de la faire passer dans la bouche du vieillard. Dans Eusèbe, H. E., VI, xliv, /'. G., t. xx, col. (120. Ainsi les aliments de la cène sont chose sacrée dont on prive les grands pécheurs. L’eucharistie est le lien qui met le fidèle en rapport avec la communauté. Enfin elle est le viatique porté aux malades et sans lequel ils ne veulent à aucun prix mourir. Sans doute il faut admettre qu’on a déjà la coutume de garder en réserve l’eucharistie.

Il est intéressant de noter combien Denys insiste sur la sainteté déjà si fortement exaltée par Origène. On refuse, très longtemps et jusqu'à la mort, l’eucharistie à un apostat ; enfin on se préoccupe même de la pureté corporelle qui convient au communiant. — Un dernier détail liturgique : il semble bien que Denys fasse allusion aux prières dites pour les empereurs : « Nous vénérons le Dieu unique et créateur de toutes choses, qui a donné l’empire aux très pieux augustes Valérien et Gallien, nous lui offrons de continuelles prières pour leur empire, afin qu’il demeure ferme et inébranlable. » Dans Eusèbe, H. JE., VII, xi, 8 ; cf. Fortescue, op. cit., p. 46.

4° Firmilien de Césarée († 268). — Dans sa lettre à saint Cyprien, P. L., t. iii, col. 1101 sq., Firmilien dénie aux hérétiques le pouvoir d’imposer les mains, de baptiser et de [aire quoi que ce soit saintement et spirituellement, ibid., 7, donc sans doute d’accomplir l’eu charistie : Tel avait été aussi le sentiment des Pères de Galatie, de Cilicie et de Cappadoce réunis au concile d’Iconium. C’est la fameuse doctrine que soutenait Cyprien et que condamna le pape Etienne.

Firmilien raconte aussi le scandale causé par une femme qui se disait prophétesse : « Fréquemment, écrit l'évêque de Césarée, elle a osé ce qui suit : faire croire que par l’invocation non méprisable elle sanctifiait le pain et faisait l’eucharistie, qu’elle offrait le sacrifice au Seigneur sans prononcer la formule sacrée de la prédication habituelle » : Etiumhoc fréquenter aiisu est, et invocatione non contemptibili sanctifîcarc panem et eucharistiam facere simularet, et sacrifteium Dom : n<> sine sacramento solilæ prædicationis. Ibid., 10. Bâti tînt, op. cit., p. 300, propose dé corriger ainsi : Sacrifteium Domino non sine sacramento solilæ prxdicationis offerret, et il donne à prsedicatio le sens de prex, prière eucharistique. Firmilien dirait alors que cette femme prétendait offrir le sacrifice eucharistique en usa’it des paroles sacramentelles consacrées par l’usage. La proposition est ingénieuse, mais il faudrait admettre que l'évêque de Césarée redit ici ce qu’affirme déjà la phrase précédente, invocatione non contemptibili sanctifuure se panem et cucharisliam facere simularet. Quoi qu’il en soit, l’eucharistie est pour Firmilien un sacrifice que nous offrons au Seigneur ; elle s’accomplit quand le ministre sacré par une formule traditionnelle consacre le pain.

Firmilien s’indigne encore contre ceux qui, après avoir reçu des hérétiques un baptême invalide, ont la témérité, par une communion illégitime, de toucher le corps et le sang du Seigneur. Quelle n’est pas leur faute et celle de ceux qui les admettent ! » Ibid., 21. Ce texte s’accorde avec celui de Denys d’Alexandrie pour nous apprendre comment était reçue la communion : on déposait le corps et le sang du Seigneur entre les mains du fidèle.

Ces quelques fragments ne permettent pas à coup sûr de retrouver ce que pouvait avoir d’original la conception de Firmilien. On peut noter toutefois qu’ici encore le concept mis en relief, c’est celui de la sainteté. On sanctifie le pain, il faut être sans hérésie pour qu’on puisse le faire saintement, et les ministres du sacrement doivent être assez saints pour ne pas permettre à ceux qui n’ont pas été sanctifiés par un baptême valide, de toucher le corps et le sang du Seigneur.

5 Q Didascalie des Apôtres (entre 250 et 300, Palestine ou Syrie). — On y relève de précieuses données sur le rite eucharistique.

Par le ministère des évêques, le fidèle « participe à la seule eucharistie de Dieu ». ii, 33, édit. Funk, Paderborn, 1906, 1. 1, p. 1 16. Les chrétiens sont donc invités à se rendre aux réunions liturgiques ; ils sont sans excuse si le dimanche ils ne viennent pas « entendre la parole de salut et se nourrir de l’aliment divin qui demeure éternellement ». ii, 59, p. 172. Ils doivent apporter à l'évêque les offrandes sur lesquelles celui-ci prélève la matière du sacrifice, le reste étant destiné aux pauvres, n, 26, p. 102. Aussi l’auteur adresse-t-il à tous l’appel suivant qu’il est nécessaire de reproduire dans le texte, vi, 22, p. 376 : Vos vero secundum evangelium et secunilum Sancti Spirilus virtutem et in memoriis congregantes (le syriaque met ce verbe à l’impératif) vos et sacrarum Scripturarum facile lectionem et ad Deum preces indesinent".r offerte, et cam quæ secundum simililuilinein regalis corporis Christi est acceptam eucharistiam offerte, tum in colleclis vestris quam etiam et in cœmeteriis et in dormienlium exitibus, panem mundum pnvponcnles qui per ignem faclus est, et per invocationem sanciificatur, sine discrelione (sans hésitation, syr.) orantes offerte pro dormientibus.

A cet important passage, il faut ajouter un dernier texte où il est dit que l’Esprit qui reçoit l’oraison de

celui qui prie, est la voix qui se fait entendre dans les Écritures et sanctifie l’eucharistie. L’auteur conclut que la femme, même au moment critique du mois, ne doit pas se priver de la communion. Elle possède l’Esprit, donc elle peut recevoir le ^fruit de l’Esprit, le pain sanctifié par l’Esprit, vi, 21, p. 370.

De cet ensemble de textes se dégage tout un petit traité sur l’eucharistie. Elle est une offrande rituelle. L’auteur ne la confond nullement avec l’oblation des fidèles et l’en distingue. Il parle de l’ofirande de l’eucharistie du corps du Christ et de la présentation d’un pain pur, panem mundum preeponentes. Le sens de ce verbe n’est pas douteux, il est l'équivalent de 7vpoacpîpeTS, Batiffol, op. cit., -p. 291 ; Lamiroy, op. cit., p. 321, n. 2.- A noter encore qu’offrir est employé en un endroit sans complément direct, encadré dans un contexte qui oblige, à lui donner le sens de « sacrifice » oranles offerte pro dormientibus.

L’eucharistie se célèbre le dimanche, peut-être même plus souvent, puisque, dans un pas sage où il est parlé d’elle, on mentionne une prière qui se fait sans cesse. Du moins les fidèles sont sans excuse s’ils ne viennent pas à la réunion du dimanche. Le rite se célèbre dans les assemblées ordinaires à l'église, mais aussi dans les cimetières, peut-être aux funérailles, in exitibus (le mot est obscur, Nau, La Didascalie, Paris, 1902, p. 157) et aux anniversaires : est-ce le sens de in memoriis ?

Les fidèles apportent des dons sur lesquels une part est réservée pour les pauvres. Une autre devient la part du sacrifice. C’est le pain cuit au feu. Il y a une lecture privée de la parole du salut, le dimanche du moins. Puis ont lieu des prières. C’est l'évêque qui fait l’eucharistie, mais il agit au nom de tous : aussi tous sont-ils invités à offrir avec lui : offerte. Il prie. L’Esprit qui déjà s’est fait entendre par les Écritures reçoit cette prière, « il sanctifie le pain » et avec lui « l’action de grâces ». On peut donc dire qu’elle est « son fruit ». Ainsi offre-t-on « une eucharistie agréable et qui est à l’image du corps royal du Christ. » L’action de l’Esprit est soulignée plus qu’elle ne l’a été par les écrivains antérieurs. L'équivalent du mot anlitype est aussi appliqué pour la première fois à l’eucharistie. Batifîol, op. cit., p. 292.

Autre renseignement non moins intéressant et qui n’a pas encore été relevé en Orient : on offre pour les morts, offerte pro dormientibus. Cette recommandation s’ajoute à ce qui est dit de l’eucharistie agréable à Dieu, pour démontrer qu’on attribue à l’offrande chrétienne une heureuse efficacité. L’assemblée ménage d’ailleurs aux fidèles une faveur non moins précieuse : ils y communient. Le dimanche, ils doivent se nourrir de l’aliment divin qui demeure éternellement.

En vérité, il serait difficile de trouver plus de choses en moins de mots : la Didascalie rappelle et complète toutes les dépositions des écrivains orientaux antérieurs sur le sens du rite eucharistique.

V. En Occident, jusqu'à saint Cyprien (milieu du iiie siècle). — 1° Saint Hippolyte (f peu après 235). — Dans ce qui nous reste de ses traités, on trouve de rares mais d’utiles renseignements sur le rite eucharistique.

Le Commentaire sur le Cantique en parle comme du sacrifice nouveau, donc de celui qui s’oppose aux oblations juives, et qui est comme elles une oblation proprement dite, celle qu’avait prédite Malachie. In Cant., iii, 4, dans Texte und Unters., t. xxiii, fasc. 2, p. 66. Une autre affirmation confirme la précédente : « Quand l’Antéchrist viendra, alors disparaîtra le sacrifice, Ouaîa, et la libation, cttiovSt), qui sont maintenant offerts, 7rpocrcpEpo[zé/Y], à Dieu dans toutes les nations. » Comment, in Daniel, iv, 35, édit. du Corpus de Berlin, t. i a, p. 280. Cf. De Antichristo, 43, t. i b,

p. 27. Ainsi dans la même phrase se trouvent trois mots techniques employés chez les Juifs ou les païens pour désigner le sacrifice proprement dit. C’est bien de lui qu’il s’agit, puisqu’il est parlé d’oblation prédite par Malachie comme devant être offerte pour tous les peuples, et du rite qui cessera au temps de l’Antéchrist, alors que la prière, la mortification, l’aumône ne semblent pas appelées à disparaître. D’ailleurs la parole d’Hippolyte fait allusion au texte de Daniel, ix, 27 : « Il (le Christ) confirmera son alliance avec un grand nombre dans une semaine et au milieu de la semaine cesseront l’oblation et le sacrifice, et l’abomination de la désolation continuera jusqu'à la consommation et la fin. » Or, le prophète juif parlait du sacrifice proprement dit en cet endroit.

Sur cette oblation chrétienne, les phrases citées ne nous donnent à peu près aucune indication. Hippolyte atteste qu’il y a sacrifice et libation. Les chrétiens offrent donc un aliment solide et un breuvage : « le pain et le vin que nous a préparés le Christ. » In Prov., ix, 1-5, édit. de Lagarde, p. 199. Ce pain, c’est le corps du Christ, In Gen., xxxviii, 19, édit. de Berlin, t. i b, p. 36, sa chair divine qu’il donne à manger, In Prov., ix, 1-5, édit. de Lagarde, p. 199, « chair céleste à laquelle l’humanité souhaite d’unir sa propre chair ». In Cant., iii, 4, Texte und Unters., t. xxiii, fasc. 2, p. 66. Ce viii, délicieux entre tous, In Cant., i, 5, p. 34, c’est le sang précieux que le Sauveur nous donne à boire pour la rémission de nos péchés, In Prov., ix, 1-5, éd. de Lagarde, p. 199, « sang qui est le gage de la vie éternelle pour quiconque s’en approche avec humilité ». In Gen., xxxiii, 19, édit. de Berlin, t. i b, p. 36.

On voit que la matière du sacrifice chrétien n’est pas pour Hippolyte le pain et le vin en tant que créatures. Le mot chair céleste vaut la peine d'être noté : il fait penser aux prières qui demandent que l’oblation eucharistique soit transportée sur l’autel du ciel, afin qu’ensuite nous y participions pour trouver en elle les dons divins. C’est la rémission des péchés et la vie éternelle qu’obtient le fidèle par l’eucharistie, ces grâces sont présentées ici, non comme les fruits du sacrifice, mais comme les effets de l’union de notre chair à la chair du Sauveur, si nous la recevons avec humilité. Telles sont les données que nous recueillons dans les ouvrages de saint Hippolyte parvenus jusqu'à nous.

Mais on sait que dans ces dernières années, les travaux de Schwarz et de Connolly ont permis de restituer à Hippolyte l’anaphore qui se trouve dans l’Ordonnance ecclésiastique égyptienne (œgyptische Kirchenordnung). Cette attribution semble aujourd’hui communément admise.

Il est à noter que cette anaphore suit le rite de l’ordination de l'évêque et qu’elle sert pour une concélébrât ion faite par le nouvel élu et les prêtres. Les diacres apportent l’oblation. Suit le dialogue entre le célébrant et le peuple.

L'évêque : Dominus cum omnibus vobis. — Le peuple : Cum spiritu tuo. — E. Sursum corda vestra. — P. Habemus ad Dominum. — E. Gratias agamus Domino. — P. Dignum et justum.

L'évêque dit alors suivi par ceux qui l’assistent, ' episcopum prieeuntem sequentes :

Nous te rendons grâces, Seigneur, pour ton cher Fils Jésus-Christ, que dans les derniers jours tu nous as envoyé pour Sauveur et Rédempteur, messager de ta volonté. Il est le Verbe ton inséparable, par lequel tu as tout fait et cela te fut pleinement agréable. Du ciel tu l’as envoyé dans le sein d’une vierge. Il a été fait chair, porté dans ses entrailles, il s’y est incarné. Il a été manifesté ton fils né de l’Esprit-Saint et de la Vierge. Pour accomplir ta volonté et t’acquérir un peuple saint, il a étendu ses

mains pendant sa passion afin de délivrer de la souffrance ceux qui croient en toi. Il s’est livré volontairement a la douleur pour abolir la mort, briser les liens du diable, fouler au pied l’enfer, illuminer '.es justes, établir le statut [nouveau] et manifester la résurrection.

Prenant le pain, te rendant grâces, il a dit : « Prenez mangeI. Ceci est mon corps qui sera brisé pour vous. » « Pareillement aussi (prenant) la coupe, il a dit : « Ceci est mon sang qui est versé pour vous. » « Quand vous faites cela, vous faites ma commémoration. » « Nous rappelant donc, Memores igitur, sa mort et sa résurrection, nous t’offrons le pain et le calice, te rendant grâces parce que tu nous as jugés dignes de nous tenir devant tcii et de te servir. « Et nous demandons que tu envoies ton Saint-Esprit sur l’oblation de la sainte Église, et que, la ressemblant en un seul tout, tu donnes à tous les saints qui communient d'être remplis du Saint-Esprit pour être confirmés dans la foi de la vérité, afin que nous te louions et te glorifiions par ton Fils Jésus-Christ, par lequel à toi soit gloire et honneur, Père et Fils avec le Saint-Esprit dans ta sainte Église et maintenant et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. » Traduction de dom Cabrol, art. Hippoli/le, dans Diction, d’archéol., t. vi, col. 1416.

Suit une oraison pour la bénédiction de l’huile avec réponse du peuple.

Nous n'étudions ces textes que pour en dégager la théologie d’Hippolyte. L’eucharistie chrétienne est pour lui un sacrifice qui commémore la première cène et la passion du Christ. Il y a offrande du pain et du calice, mais du pain et du calice après que l’officiant a rappelé les actes et les paroles du Christ à la première cène. Après quoi vient une invocation à l’EspritSaint, une épiclèse, mais elle ne demande pas que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ. Elle supplie Dieu d’envoyer son Esprit-Saint sur l’oblation de la sainte Église afin que les communiants soient remplis de lui. Ainsi les trois personnes interviennent et chacune a son rôle. Le Père a envoyé le Fils et par lui il nous a créés, il a opéré notre salut ; Jésus a lui-même accompli cette œuvre et la continue par l’eucharistie ; le Saint-Esprit doit l’achever dans l'Église et en chaque fidèle.

C’est la hiérarchie qui célèbre. L'évêque préside, mais il y a concélébration : les prêtres le suivent. Tous parlent au nom du peuple entier : l’oblation est celle de l'Église, oblationem Ecclesise sanctse. Ce sacrifice est institué pour rendre grâces au Père par le" Fils. Le rite est une eucharistie au sens étymologique : le bienfait de la création n’est pas totalement oublié, mais il n’est rappelé que d’un mot et rattaché à la personne du Christ : « Nous te rendons grâces pour ton cher Fils Jésus, le Verbe inséparable de toi par lequel tu as tout fait. » Les dons de Dieu sur lesquels on insiste sont l’incarnation et la mort du Christ, la rédemption de l’humanité, l’appel des fidèles à la foi, à l'Église et à la résurrection. Le sacrifice est aussi impétratoire : on demande spécialement pour l'Église l’union de ses fils, sans doute et sur terre et dans le royaume à venir, puis pour chacun des participants l’Esprit-Saint, et par lui la confirmation dans la foi, la grâce de louer et de glorifier Dieu.

Dom Connolly estime que les prières qui suivent ne sont pas d’Hippolyte, mais remontent en partie au moins à une époque voisine de la sienne. Nous ne les étudierons pas d’ailleurs en liturgiste, mais en théologien. L'évêque et les assistants demandent que les mystères sanctifient les fidèles, les fortifient, les délivrent de tout mal et augmentent leur foi. Autant d’effets attribués au saint sacrifice. Il semble bien qu’on attendait de lui tous les dons, comme le prouve la post-communion : « Que la réception des saints mystères ne soit pas pour notre condamnation, mais pour le salut de l'âme et du corps. » Cette anaphore d’Hippolyte à laquelle les liturgisles

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

accordent tant de valeur n’est pas moins importante pour le théologien ; elle lui révèle une doctrine sur le sacrifice chrétien reçue à Rome dans la première moitié du m 8 siècle.

2° Le pape Corneille dans sa lettre à Fabien, évêque d’Antioche, raconte le fait suivant : Quand Novatien célèbre l’eucharistie, il exige des assistants qu’ils jurent de lui rester fidèles. Ils doivent pour obtenir la communion prononcer ce serment avant de recevoir le pain consacré. Dans Eusèbe, H. E., VI, xliii, 18. A noter l’expression employée par Corneille pour dire célébrer l’eucharistie, noieiv tixç 7rpoercpopdcç, faire les offrandes rituelles, le sacrifice.

Novatien.

On ne découvre à peu près rien chez

lui. Peut-on relever une allusion au Sancius ? De Trinitate, viii, P. L., t. iii, col. 899. Il est permis d’en douter. Fortescue, op. cit., p. 50. Faut-il rapprocher de formules liturgiques bien connues un ou deux textes de Novatien (énumération des bienfaits de Dieu)? Drews et C. Weymann l’ont pensé. Voir Fortescue, op. cit., p. 50, 86.

Dans le De speclaculis de pseudo-Cyprien, attribué par plusieurs érudits à Novatien, on relève un passage qui offre un certain intérêt. L’office eucharistique est appelé le dominicum. On y reçoit la chair du Christ, et il est à noter qu’en trois lignes, l’auteur l’appelle une fois le sanctum corpus, une autre fois le sanctum. Même insistance donc sur la sainteté que chez les Orientaux et les Africains de l'époque. Et les fidèles ont l’habitude, ut assolet, d’emporter ce corps avec eux : l’un d’eux ne s’oublie-t-il pas jusqu'à ne pas s’en dessaisir quand il se rend au spectacle et à un établissement de péché. De speclaculis, dans Cypriani opéra, édit. Hartel, t. iii, p. 313.

4° Tertullicn ( vers 240-245. Son dernier ouvrage connu, le De pudicitia, est de 215-222). — 1. Le rite chrétien est un sacrifice. — Tertullien appelle les exercices de l’assemblée eucharistique : sacrificiorum oraliones, les oraisons des sacrifices. De oralione, 19, P. L., t. i (édit., de 1844), col. 1181, et la communion, une participation au sacrifice. Ibid., col. 1183. De même il se sert du mot « offrir » pour désigner le rite chrétien et on voit qu’il pense alors à une oblation proprement dite ; il observe que les époux veufs offrent le sacrifice pour leur conjoint défunt. De monogamia, 10, t. ii, col. 942 ; De exhortatione castitalis, 10 ; t. ii, col. 926. Il rappelle que dans l’assemblée chrétienne les femmes n’ont pas le droit de faire l’oblation, ofjerre. De velandis virginibus, 9, t. ii, col. 902. Il note que, comme dans le christianisme, on célèbre dans les mystères de Mithra l’oblation du pain. De præscript., 40, t. ii, col. 55. On relève même en Tertullien une phrase où les deux mots sont unis : le dimanche on offre le sacrifice. De cullu /œminarum, ii, 11, 1. 1, col. 1329.

C’est le rite préfiguré par l’oblation de l’ancienne Loi, pour la guérison de la lèpre. Adv. Marcionem, IV, ix, t. ii, col. 375. Plusieurs fois Tertullien reproduit la prophétie de Malachie, mais c’est surtout pour montrer dans le sacrifice pur qui est prédit, la prière d’un cœur innocent ou les louanges accordées à Dieu. Adv. Marc, III, xxii ; IV, i, t. ii, col. 353, 362.

2. Ce rite a été institué par le Christ. — Jésus a nommé le pain son corps, Adv. Marc, IV, XL, t. ii, col. 460, et il a transformé le vin en une chose sacrée. De anima, 17, t. ii, col. 676. Ayant pris du pain et l’ayant distribué aux disciples, le Christ en a fait sa chair par ces mots : Ceci est mon corps. Adv Mure, IV, xl, t. ii, col. 460. Ainsi le « corps du Christ est une espèce de pain », in pane censetur (sur le sens de ce mot : A. d’Alôs, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 366 ; Batiffol, op. cit., p. 216). Voir encore De oral., 6, t. i, col. 1160.

X. — 30

3. Quelle espèce de sacrifice ? — Tertullien ne se pose pas la question. Les noms qu’il donne à l’eucharistie nous l’ont connaître quelque peu sa pensée. Pour lui, elle est le « corps du Seigneur », De idol., 7, t. i, col. 609 ; De orat., 6, t. i, col. 1160, « son corps et son sang », De resur., 9, t. ii, col. 806, « le repas du Seigneur ou de Dieu », Ad uxorem, ii, 4, t. i, col. 1294 ; De pud., 9, t. ii, col. 998. Tertullien l’appelle encore « le dévot service de Dieu », De orut., 19, t. i, col. 1192, la « chose sainte », De specl., 25, t. i, col. 657, « l'œuvre divine ». De pud., 9, t. ii, col. 998. Il déclare que le Christ « est immolé, maclabitur », De pud., 9, t. ii, col. 998, et que le vin est « consacré en mémoire de son sang ». De anima, 17, t. ii, col. 676.

4. Matière du sacrifice.

Nul doute, c’est le « pain et la coupe ». Adv. Marc, IV, xl, t. ii, col. 460-461. Dans celle-ci il y a du vin. De anima, 17, t. ii, col. G7<>.

5. Forme consécratoire.

Tertullien reproduit l’antique formule. Il y a, dit-il, « oraison et action de grâces ». Adv. Marc, IV, ix, t. ii, col. 376. On reconnaît les sûycd x.oà eùxocpiaTioa des premiers chrétiens. L’action de grâces est dite sur les aliments à consacrer. Adv. Marc, I, xxiii, t. ii, col. 274. Cette prière ne peut être que celle qu’a prononcée le Christ pour faire du pain son corps : Ceci est ' mon corps. Adv. Marc, IV, xl, t. ii, col. 460.

Ces paroles produisent un effet qui se prolonge au de la de l’assemblée chrétienne. Le pain et le vin qui sont devenus le corps et le sang du Christ le demeurent. On les réserve, on les emporte à domicile, De orat., 19, 1. 1, col. 1183 ; Ad uxorem, ii, 5, t. ii, col. 1296, pour se communier soi-même.

6. Ministre de l’eucharistie.

Ici se fait sentir l’iniluence du montanisme. Le Seigneur, dit Tertullien, avait imposé à tous le précepte de célébrer l’eucharistie, pourtant nous ne la recevons que de la main des présidents, des membres de la hiérarchie. De corona, 3, t. ii, col. 79. Voilà pourquoi encore il dit que la veuve, que le veuf « offrent » pour leur conjoint défunt ; c’est par le prêtre qu’ils le font, car c’est par lui, qu’ils « recommandent ces âmes ». De monog., 10, t. ii, col. 942 ; De exhorl. cast., 7, t. n. col. 926.

S’il revendique pour les laïques le droit d’offrir, c’est parce qu’il les tient pour des prêtres. De exhorl. cast., 7, t. ii, col. 922-923. Il croit si bien à leur sacerdoce qu’il leur impose la monogamie. Loc. cil. Voici d’ailleurs la théorie que, devenu montaniste, Tertullien croit pouvoir proposer. Les laïques eux aussi sont prêtres. Mais l’autorité de l'Église et l’honneur concédé par sa sainte investiture établissent une différence entre la hiérarchie et le peuple. Là où cette investiture n’a pas lieu, et où il y a cependant trois personnes, il y a l'Église. Donc là le laïque peut offrir le sacrifice, mais il doit alors vivre à la manière des prêtres, par exemple pratiquer la monogamie. Toutefois cette affirmation même laisse entendre que là où il y a l’investiture de l'Église, c’est le prêtre qui doit offrir s’il se trouve présent. De exhorl. cast., 7, t. ii, col. 922-923. Tertullien reconnaît, du moins en 211-212, que déjà pour distribuer l’eucharistie, il fallait entrer dans la hiérarchie ecclésiastique. De idol., 7, 1. 1, col. 669.

A priori, on peut être sûr qu’il exige des ministres du sacrifice chrétien une grande pureté. Parlant des clercs qui donnent la communion, après avoir été jadis fabricants d’idoles, il s'écrie : « O crime ! Les Juifs n’ont qu’une fois porté la main sur le Christ. Ceux-ci le font tous les jours. O mains qu’on devrait couper ! » Ibid.

7. De ceux qui participent à l’eucharistie.

- Les communiants doivent être à jeun. Ad uxorem, ii, 5, t. i, I col. 1296. Ils sont tenus d’avoir une grande pureté.

Tertullien s’indigne non seulement contre les sculpteurs d’idoles qui distribuent, mais aussi contre ceux qui reçoivent, pour s’en communier, le corps du Seigneur en des mains qui donnent un corps aux dénions. De idol., 7, t. i, col. 669. De même, reprenant la parole de saint Paul, il n’admet pas que le fidèle mange le repas de Dieu et le repas des démons. De specl., 13, t. i, col. 646. Il ne veut pas que le communiant passe de l'Église de Dieu à l'Église du diable, du ciel à la fange. Le fidèle n’a pas le droit de fatiguer par des applaudissements donnés à un histrion des mains qu’il a élevées auparavant vers le Seigneur. La bouche qui a répondu Amen en recevant la sainte communion ne peut pas donner son suffrage à un gladiateur. Elle ne saurait pousser des vivats « pour les siècles des siècles » en l’honneur d’un autre que Dieu et le Christ. De spect., 25, 1. 1, col. 657. Tertullien ne veut même pas qu’on pardonne à l’impudique repentant ou au chrétien tombé, de telle sorte que le Christ soit encore immolé par lui, en d’autres termes ce malheureux n’est plus admis à participer au sacrifice du corps et du sang du Seigneur. De pud., 9, t. ii, col. 998. C’est encore le respect dû au sacrement qui oblige à être soucieux jusqu'à l’inquiétude, anxie pulimur, de ne rien laisser tomber du pain et de la coupe eucharistique. De corona, 4, t. ii, col. 80.

8. Pour qui célèbre-t-on l’eucharistie ? — « Nous faisons pour les défunts des oblations au jour anniversaire de leur naissance. » De corona, 3, t. ii, col. 79. Ce dernier mot montre qu’il s’agit des confesseurs de la foi dont la mort est considérée comme l’entrée dans la vraie vie ; on fête donc l’anniversaire de leur passion par l’offrande du saint sacrifice.

Mais on recommande aussi à Dieu l'âme des simples fidèles. C’est une coutume ancienne, De corona, ibid. ; on est tenu de l’observer. Tertullien parle de la veuve qui prie et « fait l’oblation » pour son mari défunt « au jour anniversaire de sa mort ». De monog., 10, t. ii, col. 942. De même dans son mépris de montaniste pour les secondes noces, il brosse le tableau grotesque du veuf remarié. « Tu ne peux pas, lui dit-il, haïr ta première épouse à laquelle tu réserves une affection d’autant plus religieuse qu’elle a été recueillie auprès du Seigneur ; pour son âme, donc, tu pries, tu présentes tes oblations annuelles. Ainsi tu te tiendras devant le Seigneur avec autant d'épouses que tu en commémores dans ton oraison ? Tu offriras pour deux ? Tu recommanderas les deux par un prêtre… et tu auras le front assuré quand montera ton sacrifice ! » De exhort. cast., 11, t. ii, col. 926-927. Ce texte peut paraître ridicule. Il est pour le théologien des plus précieux. L’affirmation de Tertullien prouve qu’on offrait l’eucharistie pour les vivants et pour les morts : le malheureux qu’il plaisante le fait pour ses deux femmes. On rendait aux défunts ce devoir surtout à l’occasion de l’anniversaire de leur décès. Le rite était accompli par un prêtre, mais le fidèle qui sollicitait son intervention lui était si bien uni qu’on pouvait dire de lui qu’il offrait le sacrifice. L’erreur montaniste est celle d’une petite chapelle, mais la croyance à la valeur du sacrifice de la messe pour les vivants et les défunts doit être celle de la grande Église, car le chrétien que Tertullien essaye de tourner en ridicule est un catholique et non un adversaire des secondes noces.

9. Effets du sacrifice.

Sur ce sujet, Tertullien est très sobre. Il indique un fruit de la communion : « la chair se nourrit du corps et du sang du Christ pour que l'âme s’engraisse de Dieu. » De resur., 8, t. ii, col. 806. Le rite est une « eucharistie » au sens étymologique du mot, en d’autres termes il y a sacrifice d’actions de grâces. Adv. Marc, IV, ix, t. ii, col. 376. On rend à Dieu un « dévot hommage ». De orat., 19, 1. 1, col. 1182.

L’homme n’est pas sans retirer du profit de l’immolation, puisqu’on offre pour les vivants et pour les morts. L’oblation pour ces derniers prouve que le rite obtient le pardon des péchés ou des peines par lesquelles on les expie. Il y a lieu de supposer que l’eucharistie offerte pour les vivants jouit de pareille efficacité. Tertullien d’ailleurs laisse entendre d’un mot que le Christ est « immolé » de nouveau par celui qui participe aux saints mystères : les fruits de la passion sont donc appliqués aux assistants. De pud., 9, t. ii, col. 998 A. Peut-être tait-il allusion à une prière de la messe dans le texte bien connu de l’Apologeticus, 30, t. i, col. 443 : « Les mains élevées… nous prions pour tous les empereurs afin qu’ils aient une longue vie, un empire solide, une maison sûre, des amis forts, un sénat fidèle, un peuple loyal, un territoire paisible, et tout ce que peuvent souhaiter les hommes de César. » Si ce passage fait allusion à une prière de la messe, ici est démontré en termes formels ce que l’ensemble des données recueillies par ailleurs prouve suffisamment : les fidèles se servent du sacrifice pour recommander à Dieu tous les besoins, ceux des vivants et ceux des morts. Tertullien dit ailleurs que « notre prière portée à l’autel nous obtient tout de Dieu ». De orat., 28, t. i, col. 1195.

10. Célébration du sacrifice. — Le dimanche est le jour saint qui est sanctifié par la célébration de l’eucharistie, dominica solemnia. De fuga, 14, t. ii, col. 119 ; De anima, 9, t. ii, col. 659. Cet office peut avoir lieu aussi les jours de station, donc les mercredis et vendredis : Tertullien n’approuve pas qu'à ces dates on se prive de la communion pour ne pas rompre le jeûne. Au contraire, qu’on sanctifie la station par la participation aux saints mystères. Il est d’ailleurs fpcile d’associer la piété avec le jeûne. Pendant le sacrifice de la station, on recevra le corps du Christ, puis pour ne pas rompre le jeûne, on emporte chez soi l’eucharistie. Et on communie plus tard, à l’heure où il est permis de prendre de la nourriture. De orat., 19, 1. 1, col. 1183. On célèbre encore l’eucharistie à l’anniversaire de la mort des martyrs, De cor., 3, t. ii, col. 79, et du décès des chrétiens. De monog., 10, t. ii, col. 942 ; De exhort. cast., 2, t. ii, col. 926. Un texte de Tertullien autoriserait peut-être à penser qu’on disait la messe chaque jour, quotidie, De idol., 7, t. i, col. 669 ; Adv. Marc., IV, xxvi, t. ii, col. 425 ; en tout cas, c'était de bon matin, De corona, 3, t. ii, col. 79, antelucanis cœlibus, au point du jour. Batilïol, op. cit., p. 211.

Le lieu où se célèbre l’eucharistie est appelé par Tertullien < l'église » de Dieu. De spect., 25, t. i, col. 57. Il y a un autel, « l’autel de Dieu », près duquel on se tient. De orat., 19, t. i, col. 1182. On ne doit pas y monter avant d’avoir fait la paix avec ses frères. Ibid., 11, col. 1166. On y porte l’hostie spirituelle de la prière. Ibid., 28, col. 1194 ; De exhort. cast., 10, t. ii, col. 926 ; De jejunio, 16, t. ii, col. 976. Un texte parle aussi « des âmes des martyrs qui sous l’autel reposent dans la paix », attendant avec confiance la justice de Dieu, revêtues de robes blanches, jusqu'à ce que d’autres complètent leur glorieuse société. Scorpiace, 12, t. ii, col. 147. On a conclu que les corps des martyrs étaient placés sous l’autel. Il semble, plutôt que ce texte reproduise simplement la parole de l’Apocalypse : vi, 9-11.

Avec plus d'à propos, les historiens de la liturgie ont relevé chez Tertullien de nombreux renseignements de détail sur le rite eucharistique. F. Cabrol, art. Afrique du Diction, d’arch., t. i, col. 593 ; Fortescue, op. cit., p. 52 sq. A la messe des catéchumènes on trouve les leçons d’entrée, le chant des psaumes, l’homélie, les prières, De anima, 9, 1'. L., t. i, col. 660, « avec les frères y, De orat., 18, t. i, col. 1176-1178 ; elles se font debout, les mains élevées. Apol., 16, t. i,

col. 370-371 ; Ad nat., i, 13, 1. 1, col. 579 ; De spect., 25, t.i, col. 657 ; De orat., 11, 1. 1, col. 1169. Il y a un baiser de paix. Ibid., 18, col. 1176, 1177. On récite l’oraison dominicale. Ibid., 3-4, col. 1156-1157. Et il est difficile de ne pas voir dans le passage suivant un morceau plus ou moins littéralement reproduit de la prière eucharistique ou anaphore : « Il est vraiment juste que Dieu soit béni par tous les hommes en tout lieu et en tout temps, pour le souvenir qu’on doit toujours garder de ses bienfaits… A celui que la cour angélique ne cesse de proclamer : Saint, Saint, Saint ! C’est pourquoi, si nous méritons de nous associer aux anges, nous apprenons dès ici-bas cette divine parole [de louange] envers Dieu et l’office de la gloire à venir. » Ibid., 3, col. 1156-1157. Les fidèles reçoivent les deux espèces, le célébrant remet le corps du Christ dans la main des fidèles, le diacre présente la coupe. De cor., t. ii, col. 79-80.

11. Lex textes sur le sacrifice spirituel. — Il y a des passages où Tertullien affirme que les chrétiens n’ont ni victime ni sacrifice, et qu’ils n’offrent à Dieu que la prière.

Ces paroles ne contredisent en rien tous les témoignages cités plus haut. Par ces affirmations, l’apologiste fait savoir, que les chrétiens n’ont pas de rites pareils à ceux des païens et de l’Ancien Israël, pas d’objets matériels, de victimes animales, de sacrifices sanglants. Il suffit de lire les textes : « J’offre à Dieu une hostie opime et plus précieuse, celle qu’il m’a demandée ; c’est la prière venue d’un cœur pudique, d’une âme innocente et de l’Esprit-Saint, ce ne sont pas des grains d’encens.., les larmes d’un arbre d’Arabie.., ni deux gouttes de viii, ni le sang d’un bœuf… Vous offrez vos dons par des prêtres remplis de vices et vous regardez les entrailles des victimesau lieu de l'âme du sacrificateur. » Apol., 30, t. i, col. 444-445. — « Telle est l’hostie spirituelle qui a aboli les anciens sacrifices… Nous sommes les vrais adorateurs, les vrais prêtres, qui, priant en esprit, offrons en esprit la supplication propre à Dieu et qui lui est agréable, celle qu’il a cherchée, qu’il s’est choisie, une nouvelle forme de l’oraison du Nouveau Testament. » De oral., 28, t. i, col. 1194. Voir encore Ad Scapulam, 2, 1. 1, col. 700 : « Nous sacrifions comme Dieu l’a ordonné, par une prière pure. » De même, on lit, dans le De spect., xiii, t. i, col. 616 : « Parce que les démons et les morts sont une seule et même chose, nous nous abstenons de l’une et l’autre idolâtrie, et nous ne méprisons pas moins les temples que les monuments, nous ne connaissons pas d’autel, nous n’adorons pas de statue, nous ne sacrifions pas, nous ne faisons pas de festins funèbres et nous ne mangeons ni les mets des sacrifices, ni ceux des banquets en l’honneur des morts. »

Ces affirmations sont formelles. D’après Tertullien, Dieu a rejeté les sacrifices par lesquels on lui offre des créatures, par exemple ceux d’Israël ou ceux des païens. Pour le chrétien, il n’y a pas d’idoles ni d’autels, pas de culte des morts, pas de banquets sacrés. Les fidèles remplacent toutes ces formes impures et inefficaces de dévotion par la prière. Ce mot n’exclut nullement le sacrifice. Aujourd’hui encore, nous appelons la messe une prière, la principale de toutesDu prêtre qui la célèbre on dit qu’il est l’homme de la prière, et si on attribue à ce rite une efficacité, c’est parce qu’il est une prière. Tertullien avait le droit de tenir le même langage. D’ailleurs, dans les expressions citées plus haut, il en est qui semblent faire allusion à l’eucharistie. Il est affirmé par exemple) que les anciens sacrifices sont remplacés par une prière qui est le propre de Dieu, qui lui est agréable, qu’il a réclamée lui-même, qu’il a prévue pour lui et qu’elle est la nouvelle forme du Nouveau Testament,

prière qu’on porte à l’autel et qui nous obtient tout de lui. Si on ne peut pas dire avec certitude que cette description désigne l’eucharistie, on est obligé de reconnaître que cette interprétation demeure très probable. De même les mots de la lettre au païen Scapula que Tertullien n’avait pas besoin d’initier aux mystères chrétiens, et qui aurait mal compris une description plus précise du rite, semblent bien eux aussi désigner en termes voilés l’eucharistie. Sacrificamus… quomodo præcipit Deus, pura prece.

Est-ce à dire que le rite chrétien est une simple oraison sans offrande ? Nullement. On a pu le voir, Tertullien emploie très fréquemment le terme offrir. E y a prière dite sur le pain et le viii, et elle opère ce qu’a fait jadis celle du Christ : le corps et le sang du Seigneur, Adv. Marc., IV, xl, t. ii, col. 460-461. Voilà ce qui constitue le sanctum, la chose sainte, l’eucharistie, voilà donc ce qui est offert à Dieu. Cette oblation elle-même est une prière et Tertullien peut lui donner ce nom. Mais ce n’est pas une prière quelconque, c’est une prière d’offrande.

A plus forte raison est-il impossible d’admettre que pour lui le sacrifice chrétien soit une oblation de pain et de vin. Cette pensée est en contradiction formelle avec la conception de Tertullien. Il affirme avec la plus grande énergie que les fidèles n’offrent pas en sacrifice des créatures, animaux ou végétaux. Sans doute, comme l’a fait saint Justin, il parle des aumônes qui accompagnaient l’eucharistie. Les chrétiens ont une caisse, il le reconnaît. Chacun verse une modique offrande, une fois le mois ou lorsqu’il le veut, mais uniquement s’il le peut et si cela lui plaît. Les sommes recueillies servent à l’entretien et à la sépulture des indigents, à l’assistance des orphelins, des vieillards et des naufragés ; de même les détenus condamnés pour la foi sont soutenus par les secours des fidèles. Apol., 39, t. i, col. 470. Rien dans les affirmations de Tertullien sur ces offrandes des fidèles ne fait penser à un sacrifice d’aliments, tel que l’a imaginé Wetter.

Ce n’est pas davantage ce que nous apprend Tertullien des agapes qui permet de découvrir une telle oblation. Les chrétiens ont des repas communs, dit-il. Les pauvres en profitent. Rien de grossier, ni d’immodeste. Avant le repas, on prie Dieu, chacun mange selon sa faim, on boit comme il convient à la vertu, sans dépasser la juste mesure. Car on désire être en état d’adorer Dieu pendant la nuit. On s’entretient donc comme si on était en sa présence. Après qu’on s’est lavé les mains, les flambeaux sont allumés. Chacun est prié de chanter quelque cantique. Suit une prière et on se retire. Rien ici d’un sacrifice. C’est bien plutôt, comme le dit Tertullien, « une école de vertu », de pieuse fraternité. Pour le chrétien, l’oblation est un acte tout différent, c’est « l'œuvre sainte » par excellence. Ce n’est plus un simple banquet fraternel, mais le « repas du Seigneur ». Il y a, non un simple service matériel d'édification et de charité, mais un hommage rendu à Dieu. A une institution humaine même très louable, se substitue « l'œuvre divine ». Les offrandes des fidèles sont assurément un exercice de vertu très recommandable, mais on constate que bien au-dessus d’elles se place l’oblation du Seigneur Jésus.

Enfin, quiconque lit Tertullien avec attention constate que nulle part il ne présence la communion comme le sacrifice proprement dit. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 313-314.

5° Saint Cypricn (t en 258). — L'évêque de Carthage a composé la plus ancienne étude que nous possédions sur le rite eucharistique : c’est la lettre à Cécilius, son collègue de Bithra. Episi., lxiii. Souvent il en parle dans ses autres écrits. Avec toutes les données qu’il nous a laissées, on peut plus facile ment encore qu’avec les textes de Tertullien composer un petit traité du sacrifice chrétien.

Il n’y a pas lieu de montrer ici qu’aux yeux de saint Cyprien l’eucharistie contient le corps et le sang du Seigneur. Voir Struckmann, op. cit., p. 279 sq. ; Batiffol, op. cit.,-p. 227 sq. ; A. d’Alès, La théologie de saint Cyprien, Paris, 1922, p. 262 sq. ; art. Eucharistie, t. v, col. 1132. Nous n'étudierons ici que le rite eucharistique.

1. Éléments et forme consécraloire.

Il y a du pain et une coupe, Cyprien ne cesse de le dire. Dans le calice, on verse du vin mêlé d’eau : toute la longue épître lxiii est écrite pour le démontrer. P. L., t. iv, col. 373 sq., et mieux dans l'édit. Hartel, du Corpus de Vienne, t. m b, p. 701-717. (Nous citerons uniquement cette édition, où la numérotation des lettres n’est pas toujours conforme à celle de P. L.)

Un abus s'était introduit en certaines églises d’Afrique : on célébrait l’eucharistie, non avec du viii, mais avec de l’eau. L'évêque de Carthage oppose à cette coutume la tradition de l'Évangile et des Apôtres. Il faut renouveler ce que Jésus-Christ a fait. 1 et 2. Déjà l’Ancien Testament, par ses figures (Noé, Melchisédech) et par les enseignements des prophètes, 3-8, annonçait que Jésus se servirait de vin et non d’eau. Le récit de la cène montre comment ces oracles se sont réalisés. 9-10. Cyprien fait valoir ensuite les graves raisons qui motivent l’emploi de deux éléments. 11-15. Il conclut qu’on doit s’inspirer uniquement des leçons et de l’exemple du Christ, et il réfute les objections des aquariens. 16-19.

Comment ce pain et cette eau cessent-ils d'être des éléments profanes, revêtent-ils un caractère religieux, deviennent-ils le corps et le sang du Christ ? Par la prière du célébrant : Cyprien parle de cette oraison que lui-même prononce, précis noslræ ; il montre en elle la partie solennelle du rite, solemnibus adimplelis. De lapsis, 25, Hartel, t. m a, p. 255. Ailleurs encore, il se sert de termes semblables pour désigner ce qui donne à l’acte sa valeur, orationes et preces. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, Hartel, t. m b, p. 725. Voir encore De unitate Ecclesise, 17, H., t. m a, p. 225.

D’autre part Cyprien cite les paroles par lesquelles le Christ a déclaré que le pain était son corps et le vin son sang. Epist., lxiii, 9, 10, H., t. m b, p. 708709. Et dans cette même lettre où il reproduit les mots employés par le Christ à la cène, il insiste avec une extrême énergie sur la nécessité pour le prêtre de faire ce que Jésus-Christ a fait. On peut donc penser que, comme l’attestent d’ailleurs les deux plus anciennes anaphores connues, celle d’Hippolyte et celle de Sérapion, la prière eucharistique de Cyprien redisait sur le pain et le vin les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

L'évêque de Carthage croit-il que l’Esprit-Saint donne à ces mots leur efficacité? On peut se le demander. Au cours d’une phrase dans laquelle il dénie à ceux qui ont perdu la foi le pouvoir de sanctifier l’oblation, il justifie son sentiment par cette pensée : Commenta urait-on cette puissance, là où n’est pas l’Esprit-Saint ? Mais, en cet endroit même, l’action de la troisième personne de la sainte Trinité n’est pas séparée de celle de la seconde : la stérilité de la prière des officiants qui ont abandonné la foi s’explique aussi parce que le Seigneur ne leur est pas favorable : Quando nec oblatio sanctificari illic possit ubi Spiritus Sanclus non sit, nec cuiquam Dominus per ejus orationes et preces prosil qui Dominum ipse violavit. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, H., t. m b, p. 725.

2. Le rite eucharistique est un sacrifice proprement dit. — Cyprien ne cesse de l’affirmer en des termes qui ne laissent aucun doute sur sa pensée.

Pour lui, l’eucharistie est, au sens littéral et tech

nique, un sacrifice proprement dit. Dr lapsis, 16, 25,. 28. II.. t. m a, p. 248, 255, 257 ; Epist., lxiii, 1, 4, 5, 9. 11. 17. H., t. m b, p. 701, 704, 708, 712, 714 ; Epist., lxxii, 2, ibid., p. 776 ; Epist., lxxiii, 2, ibid., p. 780. Sont sacrifices et le rite accompli' par le Christ à la cène et tous ceux par lesquels les chrétiens le reproduisent. Sans doute, il arrive à saint Cyprien d’employer ce mot en un sens figuré, comme on l’a fait avant lui et comme on le fera toujours. Il écrit que la paix entre les chrétiens est le meilleur des sacrifices. De dominica oratione, 23, H., t. m a, p. 285. Mais il suffit de comparer ce texte aux autres et on voit aussitôt en quel cas le mot a un sens rituel.

L'évêque de Carthage emploie presque aussi souvent les termes offrir ou oblation. Le Christ a offert, Epist., lxiii, 4, H., t. m b, p. 703, et nous aussi nous offrons. Epist., xxxvii (ol. xv), 1, ibid., p. 576. L’objet de Voblalion, ce qui est offert, c’est aussi bien le pain ou la coupe, Epist., lxiii, 4, 9, 13, ibid., . p. 703, 707, 711, que le corps ou le sang du Seigneur, id., 9, p. 708 ; Epist., lxv (ol. lxiv), 4, p. 725 ; c’est une passion du Seigneur, passio est enim Domini sacrificium quod ofjerimus, Epist., lxiii, 17, p. 714, c’est un sacrifice, id., 9, 14 ; les deux expressions techniques, sacrificium et efferre, sont rapprochées dans la même phrase, par exemple : si in sacrificio Dei l’atris et Cliristi vinum non ofjerimus, Epist., lxiii, 9, p. 708 ; in sacrificio quod Christus obtulil. Id., 16, 1>. 712.

Il est un troisième mot qui exprime la même pensée, le verbe sanctificare rendre saint ce qui était profane, faire du pain le sanctum, la chose sainte par excellence : In calice dominico sanctifteando, Epist., lxiii, 1, p. 701 ; sacrificium Domini cum leqilima sanctificatione celebrari, id., 9, p. 708 : nec oblatio sanctificari illic possit. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, p. 725. Les recommandations de la liturgie sur la nécessité de réserver les choses saintes aux saints peuvent expliquer l’emploi de ce mot. D’ailleurs, les plus anciens documents chrétiens, la Didachè par exemple, insistent sur la pureté morale nécessaire au communiant. A l'époque de saint Cyprien, il semble, on l’a constaté, qu’en Orient et en Occident, l’attention se fixe avec complaisance sur cette pensée : ce n’est pas seulement l'évêque de Carthage, mais Tertullien et les Alexandrins qui font du mot sanctifier un synonyme de sacrifier. Toutefois, si on observe le souci de Cyprien d'écarter de la communion les indignes, on est tenté de croire que personne plus que lui n’a vu en elle le Saint des saints.

Mieux encore que ces noms, les affirmations de saint Cyprien sur l’eucharistie démontrent qu'à ses yeux, elle est un sacrifice proprement dit.

Il oppose le sanctum Domini, l’opération sainte, la coupe et la table du Seigneur, aux victimes et aux autels du démon, les sacrifices païens aux sacrifices chrétiens. De lapsis, 2, 15, 25, H., t. m a, p. 238, 248, 255. De même l'évêque de Carthage déclare qu’aux animaux immolés sous l’ancienne Loi se substitue le sacrifice de louange et de justice des temps nouveaux prédit par les prophètes, notamment par Malachie. Teslimoniorum, i, 16, H., t. m « .p. 49-50. Il applique à l’eucharistie les paroles du Lévitique, vil, 20, sur les oblations rituelles juives : « L'âme qui en état d’impureté aura mangé de la chair du sacrifice pacifique appartenant à Jahvé sera retranchée du peuple. » De lapsis, 15, H., t. m a, p. 248 ; Teslim., iii, 94, H., t. ma, p. 176.

Plus significatif encore est un autre rapprochement : Le sacrifice du pain et du vin de Melchisédech est aux yeux de Cyprien une figure de celui que le Christ devait offrir avec les mêmes éléments, faisant ainsi surcéder à l’image la pleine et parfaite réalité. Epist., lxiii, 4, H., t. m b, p. 703. De même, écrit encore

l'évêque de Carthage, le livre des Proverbes, ix, 1-2, annonce le sacrifice du Seigneur, ses hosties, sou autel et ses apôtres, lorsqu’il parle de la Sagesse qui édifie une maison, taille ses colonnes, immole ses victimes, mêle son vin et dresse sa table. Id., 5, p. 704.

Aussi le Christ est-il présenté comme 1' « auteur et le docteur de ce sacrifice », en qualilé de maître * il a commandé et agi », « il a fait et il a enseigné ». Id.,

1, p. 701. « Jésus-Christ, Notre-Seigneur et notre Dieu, est lui-même le nouveau prêtre de Dieu le Père et il s’est le premier offert en sacrifice à Dieu le Père. » Id., 14, p. 713. C’est ainsi qu’il « a fait l’oblation du pain et du viii, de son corps et de son sang ». Id., 4, p. 703.

Pour le démontrer, Cyprien fait appel aux témoignages de l'Évangile et de l’Apôtre. Il reproduit les paroles de l’institution, Id., 9, 10, p. 708, telles qu’on les lit dans Matth., xxvi, 28 sq., et dans 1 Cor., xi, 23-26. Dans ce dernier morceau, on trouve l’ordre donné par Jésus de renouveler la cène. Cyprien rappelle avec insistance cette règle : « Il faut obéir au Christ, faire ce qu’il a fait, ce qu’il a ordonné défaire », « ce qu’il a prescrit d’accomplir en mémoire de lui ». Il est nécessaire de « le suivre », « d’imiter son acte », « d’offrir ce qu’il a offert », « de poser le rite tel qu’il l’a posé ». Id., 1, 2, 10, 14, p. 701, 702, 709, 712. Alors le prêtre remplit vraiment le rôle du Christ quand il reproduit l’action du Christ. « S’il offre de la manière dont il voit que le Christ a lui-même offert, il offre alors dans l'Église à Dieu le Père un sacrifice vrai et auquel rien ne manque, sacrificium verum et plénum. » Id., 14, p. 713.

3. Qui offre le sacrifice ? — >- Saint Cyprien parle de sa propre oblation : Sacrificantibus nobis, précis nostræ. De lapsis, 25, H., t. m a, p. 255. Pourquoi se sert-il ici du pluriel, alors que, dans le même récit, deux lignes plus haut, parlant de lui, il emploie le singulier prœsente ac teste me ipso, loc. cit. Sans doute parce qu’il y avait concélébration, tous ceux qui étaient revêtus du sacerdoce s’unissaient à Cyprien lorsqu’il offrait l’eucharistie.

A maintes reprises, il parle du « sacrifice célébré par le prêtre », sacerdos. De lapsis, 26, p. 256. Lorsqu’il l’offre comme il doit le faire, il est vraiment le représentant officiel du Christ. Epist., Lxiii, 14, H., t. in b, p. 713. Le prêtre a aussi le pouvoir de désigner nommément à l’autel des personnes pour lesquelles il prie et auxquelles s’appliquent les fruits du sacrifice. Epist., lxii (ol. lx), 5, p. 701 ; i (ol. lxvi), 2, p. 466467. Quiconque est revêtu du sacerdoce a encore le pouvoir d’accomplir seul le sacrifice, en l’absence de l'évêque et sans concélébrer avec ui. C’est si vrai qu’il peut bien arriver à des prêtres, presbyteri, d’abuser de ce droit. Saint Cyprien blâme sévèrement ceux qui accomplissent cet acte dans des conditions illicites. Ils ont offert pour des chrétiens apostats non réconciliés, Epist., xv (ol. x), 1„H., t. m b, p. 514 ; ils ont fait le sacrifice en leur nom, les ont admis à la communion, leur ont donné l’eucharistie. Ibid. ; cf. xvi (ol. ix),

2, 3, p. 519.

Cyprien parle de cette faute avec « très grande douleur » ; il y a eu manque de respect à l'égard de Dieu et violation de l'évangile, oubli de l’honneur dû à l'évêque et à son siège, mépris de la volonté des confesseurs de la foi et profanation de l’eucharistie Loc. cil. L'évêque de Carthage ne considère pas toutefois ces sacrifices comme nuls. Mais il dénie toute validité à des oblations offertes par certains prêtres. Il écrit de Novaticn : « Ce frère ennemi, méprisant les évêques et abandonnant les prêtres de Dieu, ose ériger un autre autel… profaner par de faux sacrifices la vérité de l’hostie du Seigneur. » De unitate Ecclesiæ, 17, H., t. m a, p. 226. « Il offre contre le droit » et » hors de l'Église s’arroge

une apparence de vérité ». Epist., lxxiii, 2, H., t. m b, p. 779. « Comment (les Novatiens) peuvent-ils mener à bien ce qu’ils font ou obtenir de Dieu quelque chose par leurs tentatives illégitimes, eux qui trament contre Dieu ce qui ne leur est pas permis. » Coré, Dathan et Abiron rebelles ont subi la peine de leurs crimes. Et les sacrifices irréligieusement et illicitement offerts contre le droit établi par l’ordre de Dieu n’ont pu être ratifiés ni devenir efficaces. Epist., i.xix (ol. lxxvi), 8, p. 750. Donc les oblations des schismatiques sont « fausses et sacrilèges ». Epist., lxxii, 2, p. 770. Cyprien n’accorde pas plus de valeur aux sacrifices offerts par les apostats, Basilide, .Martial et Fortunatien. Epist., lxvii, 2, 3, p. 730, 737. Pour détourner le peuple de ce dernier, il fait observer ' « que l’oblation ne peut pas être sanctifiée là où n’est pas le Saint-Esprit, et que le Seigneur ne secourt pas quelqu’un en raison des oraisons et des prières de celui qui a lui-même outragé le Seigneur. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, p. 725. « L’eucharistie, c’est l’huile sanctifiée à l’autel et dont sont oints les baptisés. Or celui qui n’a ni autel, ni Église ne peut sanctifier cette créature qui est l’huile. Cette onction spirituelle ne peut avoir lieu chez les hérétiques, puisqu’il est établi que chez eux l’huile ne peut être sanctifiée, et que l’eucharistie ne peut être faite. » Epist., lxx, 2, p. 768. La même doctrine se trouve dans une lettre de Cyprien au pape Corneille qui exprime non seulement la pensée de l'évêque de Carthage, mais celle de soixante et onze de ses collègues réunis en concile dans la métropole de l’Afrique en 256. Voici ce que « d’un consentement et de par une autorité commune » ils avaient décidé : « Les prêtres ou les diacres qui, ordonnés d’abord dans l'Église catholique étaient ensuite devenus perfides et révoltés, comme aussi ceux qui, contrairement à l’ordre du Christ, avaient été par une ordination profane introduits dans la hiérarchie chez les hérétiques par des pseudo-évêques et des antéchrists, ces hommes qui en face de l’autel unique et divin ont osé offrir des sacrifices faux et sacrilèges, s’ils font pénitence, ne pourront être reçus qu'à la condition de communier à la manière des laïques… ils ne doivent pas, étant de retour parmi nous, garder les armes d’ordination et d’honneur avec lesquelles ils se sont révoltés contre nous ». Epist., lxxii, 2, p. 776.

Nul doute, d’après les textes cités, le sacrifice offert par les personnes dont parle Cyprien est sans fruit, sacrilège, il ne saurait être « profitable », profîcere, il « n’obtient rien », impetrare, le Seigneur ne secourt pas, nec prosit, ceux pour lesquels il est offert. Mais les affirmations de Cyprien vont plus loin : cette oblation est nulle, n’existe pas, nec potuerunt rata esse, elle est fausse, falsa sacrificia. Chez les hérétiques il ne peut pas y avoir d’eucharistie.

Les textes reproduits plus haut visent le cas de Novatien et de ses disciples, en d’autres termes des schismatiques ou encore celui des prêtres qui ont apostasie, tombant ainsi dans l’hérésie la plus complète et se séparant de l'Église qui, à son tour, se sépare d’eux. Afin de ne pas dépasser l’affirmation contenue dans ces témoignages, nous n’oserions pas généraliser. Nous ne voudrions donc pas écrire, avec P. Batiffol, que, d’après saint Cyprien, « le pouvoir de sanctifier l’oblation est un pouvoir que le ministre indigne a perdu par son indignité ». Op. cit., p. 246 ; L'Église naissante et le catholicisme, Paris, 1909, p. 453-454. L'évêque de Carthage applique à la consécration de l’euchatistie ce qu’il enseigne de l’administration du baptême : le ministre séparé de l'Église par l’hérésie ou le schisme a perdu son pouvoir d’offrir validement le sacrifice. Cyprien ne dit pas si à ses yeux tout prêtre coupable de faute grave est atteint de la même impuissance.

L’erreur de saint Cyprien signalée ici découle comme

une conséquence naturelle de sa théorie sur l'Église. Elle est pout lui « la dépositaire des pouvoirs de JésusChrist et la dispensatrice de ses grâces. » Tixeront, Histoire des dogmes, t. i, Paris, 1909, p. 388. Seule donc, par les ministres qui sont en communion avec elle, par ceux qui ne sont ni schismatiques, ni hérétiques, ni apostats, ni excommuniés, elle peut validement soit administrer les sacrements, soit offrir le sacrifice. Mais il ne découle pas du même principe que toute faute grave entraîne pareille conséquence. Lu texte de Cyprien expose à merveille sa pensée : Commentant les paroles de l'Écriture d’après lesquelles on doit manger un agneau pascal, par maison et ne pas en jeter la chair dehors, Ex., xii, 3-4, 46, il dit : « L’agneau était le signe du Christ. Il n’y a qu’une maison dans laquelle on puisse le manger. La chair est le sunctum, les mets sacrés du Seigneur ne peuvent pas être jetés dehors, et pour les croyants il n’y a pas d’autre maison où on mange l’eucharistie que l’unique Église. » De unitale Ecclesise, 8, H., t. m a, p. 217. II est sûr que saint Cyprien exige une vie et des dispositions saintes de celui qui fait l'œuvre sainte du Seigneur, le sanctum Domini. Epist., lxv (ol. lxtv) 2, 4, H., t. m b, p. 723. 725. Vue brève formule dit tout : Oportel enim sacerdotes et minislros qui allari et sacrificiis observiunt, integros atque immaculatos esse. Les mots se lisent dans la lettre, par laquelle Cyprien communique au pape Etienne les dispositions prises par le concile tenu à Carthage en 256. Epist., lxxii, 2, p. 776.

Le diacre présente la coupe aux fidèles qui assistent au sacrifice. De lapsis, 25, H., t. ni a, p. 255. Les chrétiens offrent eux aussi l’oblation en un certain sens : Pendant que s’accomplit l’eucharistie et que l’officiant récite « la prière solennelle pour sanctifier le pain et le vin », ils gardent le silence. De oratione dominica, 4, H., t. m a, p. 269. Mais c’est pour eux, en leur nom, que l’officiant offre le sacrifice. Bien plus, par leurs offrandes, les fidèles rendent possible l’accomplissement de l’acte sacré, et ainsi ils participent à l’oblation, ils l’offrent. « Tu es riche et dans l’opulence, dit-il à une femme avare, et tu crois que tu célèbres le rite du Seigneur, dominicain celebrare, toi qui ne regardes pas la caisse commune, toi qui viens au rite du Seigneur, sans sacrifice, toi qui prends ta part du sacrifice qu’a offert le pauvre. » De opère et eleemosynis, 15, H., t. m a, p. 384.

4. Qui peut participer au sacrifice ? — Saint Cyprien n’a pas étudié la question sous cette forme générale comme pourrait le faire un théologien ou un canoniste. Évêque, il a résolu des cas de conscience.

Il en est un qui ne cesse de s’imposer à son attention, celui des chrétiens qui ont failli dans la persécution, celui des lapsi. Avant qu’ils aient accompli les exercices réguliers de la pénitence et qu’ils aient été officiellement réconciliés, trois actes sont interdits : on ne doit pas les admettre à la communion, en d’autres termes célébrer devant eux les saints mystères, il est défendu « d’offrir », en leur nom, enfui on ne peut pas leur accorder l’eucharistie. Telle est la triple peine appliquée à ces coupables et que rappelle à plusieurs reprises saint Cyprien. Les trois actes sont expressément indiqués : communicent cum lapsis, et offeranl, eucharistiam tradant, Epist., xvi (ol. ix), 3, H., t. in b, p. 519 ; cum lapsis communicare cœpisse et offerre pro illis, et eucharistiam dare, Epist., xvii (ol. xi), 2, p. 522 ; offere pro illis et eucharistiam dari. Epist., xv (ol. x), 1, p. 514. Ces interdictions sont très graves. Cyprien les motive par les considérations les plus capables de faire réfléchir ceux qui transgressent ces règles canoniques, catholiques apostats ou prêtres trop complaisants pour eux, loc. cit. : on commet un « crime ». « on envahit le corps du Seigneur, on lui fait violence ».

De lapsis, 15. 16, 25, H., t. m « , p. 2-17-255. La faute de l’apostat qui communie paraît à saint Cyprien

plus grave que son reniement. ld.. 16, p. 248.

Ce n’est pas seulement avec Dieu, mais avec ses frères, qu’il faut être en paix pour pouvoir offrir le sacrifice. De dominica ofatione, 23, II., t. m a, p. 281. D’ordinaire, cependant, Cyprien ne se demande pas quelles dispositions il faut avoir pour assister à la célébrai ion de l’eucharistie : ce sont les mêmes qui sont requises pour communier, car alors tous les assistants recevaient l’eucharistie. Une histoire bien connue le démontre. En temps de persécution, les païens avaient obligé une toute petite tille chrétienne, incapable de savoir ce qu’elle faisait, à manger un morceau de pain trempé dans du vin olïert en libation aux idoles. Plus tard, et toujours avant d’avoir l'âge de raison, cette petite tille fut amenée à l'église et assista au sacrifice. Quand le diacre qui présentait la coupe aux assistants vint à elle, il voulut lui donner la communion : l’enfant sous V instinct de la divine Majesté se détourna du calice consacré. Le diacre persista à vouloir la communier et lui donna de force l’eucharistie. De lapsis, 25, IL, t. m a, p. 255. Tel est donc l’usage : tous les assistants communient. Aussi, puisque assister à l’eucharistie, c’est recevoir l’eucharistie, on comprend pourquoi saint Cyprien exige pour une action si sainte la plus haute sainteté.

Il démontre par des faits qu’elle est indispensable. Ainsi l’enfant dont il est parlé plus haut, et qui, sans avoir commis aucune faute personnelle, avait participé au culte des idoles, ne peut consommer le vin consacré qui se refuse à rester en son corps souillé. La femme qui, chez elle, veut se communier avec des mains impures est détournée de cet acte par l’apparition d’un feu miraculeux. De lapsis, 26, p. 256. Un fidèle indigne de participer à l’eucharistie et qui vient de recevoir en ses mains le pain consacré constate qu’il se change en cendres. De lapsis, ibid.

Quand il le faut, la discipline ordinaire sait fléchir. Survient la menace d’une persécution. Saint Cyprien et avec lui quarante et un évêques réunis en synode à Carthage en 255 prennent les dispositions que commandent les circonstances et qu’ils font connaître au pape Corneille. Toutefois, même alors, ils commencent par le déclarer : « Aussi longtemps que l'Église est en paix, on observera les règles existantes sur la réconciliation des lapsi : tout ce qui est imposé pour leur rentrée en grâce doit être accompli à moins que malades ils ne soient exposés à mourir. » Epist., lvii (ol. liv), 1, H., t. m b, p. 650. Mais, en temps de persécution, ce ne sont pas seulement les malades, mais aussi les bien portants qui ont besoin de la paix, et il s’agit alors d’assurer, non aux mourants, mais aux vivants ce qui leur est utile pour qu’ils puissent résister à la persécution. On admettra donc les apostats repentants aux saints mystères et à la communion, sans exiger tout ce que requiert en temps ordinaire la discipline en vigueur : communicatio a nobis danda est, et on leur permettra de boire dans l'église la coupe du Seigneur : ad bibendum in ecclesia poculum Domini jure communicationis admittimus. ld., 2, p. 652.

Cyprien nous apprend aussi que le sacrifice est offert pour la réconciliation des apostats repentants. Il range même cet acte au nombre de ceux qui doivent être accomplis avant que le coupable soit rendu à la communion. Non seulement, il doit faire pénitence pour expier ses fautes, accomplir l’exomologèse, recevoir l’imposition des mains de l'évêque et du clergé, Epist., xv (ol. x), 1, p. 514 ; xvi (ol. ix), 2, p. 510, mais il faut aussi que le sacrifice soit offert : unie expiala delicta, ante exomologesim factam criminis, ante purgalam conscienliam sacrificio et manu sacerdotis, ante offensam placatam indignantis Domini

et minantis, vis infertur corpori ejus et sanguini. De lapsis. If). IL. t. in a, p. 218.

Le sacrifice eucharistique peut servir aussi à d’autres qu’aux assistants. Les fruits sont appliqués à des absents, Epist., lxh (ol. lx), 5, II., t. m b, p. 701, et aux défunts. Epist.. i (ol. lxvi), 2, p. 466. C’est le prêtre qui désigne lui-même nommément les personnes pour lesquelles il prie ainsi à l’autel, Epist., lxii (ol. lx), 5 ; i (ol. lxvi), 2. p. 701, 466, et auxquelles profitent d’une manière spéciale les fruits du sacrifice. Évidemment, il faut être mort dans la paix de l'Église pour pouvoir obtenir pareille faveur. Il y a même des lois qui défendent d’offrir ainsi le sacrifice pour les fidèles qui, de leur vivant, avaient commis certains délits, par exemple, pour ceux qui, par testament, avaient obligé un prêtre à se charger d’une tutelle ou de certains offices séculiers : le chrétien qui a voulu arracher un prêtre à l’autel ne mérite pas qu’on le nomme à l’autel. Episcopi antecessorcs nostri… censuerunt ne quis frater excedens ad lutelam vel curam clericum nominaret, ac si quis hoc fecisset, non offeretur, pro eo, nec sacrificium pro dormilione ejus celebraretur. Neque enim apud altarc Dei meretur nominari in sacerdolum prece qui ab altari sacerdotes et ministros voluerit uvocari. Epist., i (ol. lxvi), 2, p. 466. On le voit, saint Cyprien donne comme antérieur à lui l’acte du prêtre recommandant à l’autel une personne déterminée. On se rappelle que Tertullien lui aussi en signalant le même usage le présentait comme ancien dans l'Église.

5. Que produit le sacrifice eucharistique ? — Comme on l’a observé, saint Cyprien ne se livre pas à des études spéculatives, mais donne des ordres et des recommandations pratiques ; puisque de son temps les fidèles n’assistent pas à l’oblation sans y participer, il n’a pas distingué les effets propres à la communion et les fruits spéciaux du sacrifice. Il parle en général des avantages que retire le fidèle de la participation aux saints mystères.

Pourtant, il y a des textes qui montrent jusqu'à l'évidence que l’oblation elle-même, indépendamment de la réception de l’eucharistie, a son efficacité. On offre le sacrifice pour les morts : on estime donc pouvoir ainsi leur obtenir la rémission de leurs fautes et une fin plus rapide de leur expiation d’outre-tombe. Les théologiens modernes diraient que le sacrifice a une efficacité propitiatoire et satisfacloire. On fait aussi à l’autel la mémoire des absents, pour leur obtenir évidemment des grâces de Dieu. De même le sacrifice a lieu pour la réconciliation des apostats repentants et qui ne sont pas encore admis à communier : de nouveau apparaît sa vertu propitiatoire et satisfactoire ; le texte où cet usage est attesté signale expressément ce fruit du sacrifice eucharistique ; à côté de la mention du sacrifice sont indiqués la purification de la conscience et l’apaisement de l’indignation d’un Dieu offensé : ante purgalam conscienliam sacrificio et manu sacerdotis, ante offensam placatam indignantis domini et minantis.

Les affirmations de l'évêque de Carthage sur la stérilité du sacrifice offert par les hérétiques et les schismatiques attestent aussi que l’oblation a une valeur distincte de la communion. « Les novatiens. écrit-il, ne peuvent rien obtenir de Dieu par leurs tentatives illégitimes, leurs sacrifices soûl inefficaces. Epist., lxix (ol. lxxvi). 8, II., t. m b, p. 757. De même c’est en vain que l’apostat Fortunalien essaie de faire l’oblation : le Seigneur ne oient » as au secours, prosil, de ceux pour lesquels il prie. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, p. 725. Celle vertu impétratoire est aussi affirmée d’une autre manière. Cyprien mentionne diverses personnes ou causes, pour lesquelles on fait la prière eucharistique, pour lesquelles on offre. Ministres et

fidèles estiment donc que cette supplication peut être exaucée.

Certains textes déterminent quels fruils le chrétien retire de la participation aux saints mystères : ce pain donne « la vie éternelle ». De dom. oral., 18, H., t. m a, p. 280. Cette participation protège en temps de persécution, met à l’abri de l’ennemi, défend le fidèle contre ses adversaires et le rend apte à confesser sa foi. Epist., lvii (ol. liv), 2, 4, H., t. m b, p. 652, 654 (souscrite par les quarante-deux évoques africains). On boit le sang du Christ afin de pouvoir pour lui verser son sang. Epist., lviii (ol. lvi), 1, p. 657. Enfin cette sainte liqueur est un vin qui donne une sainte joie. Rappelant les textes de l'Écriture sur le précieux calice qui enivre, Çyprien écrit : « Il nous rend sobres, il ramène les enfants à la sagesse spirituelle, il les fait passer du goût du siècle à l’intelligence de Dieu. Ce vin fait perdre la mémoire du vieil homme, il produit l’oubli de l’ancienne manière de vivre dans le siècle, le cœur cesse d'être triste ou affligé qui auparavant se sentait oppressé par l’angoisse que cause le péché. On se livre alors à la joie que ménage l’indulgence divine. Epist., lxiii, 11, p. 710.

Il semble bien que ces effets se rapportent plus naturellement à la communion qu’au sacrifice. Toutefois il ne faut pas vouloir ici trop distinguer. Chez Cyprien les deux actes religieux ne se séparent pas et les deux rites se compénètrent. « Quand le vin est mêlé à l’eau par le sacrifice, écrit-il, le peuple et le Christ sont unis et ne peuvent se dissocier ». Jbid. La fusion de l’homme et de Dieu, donc aussi tous ses effets, commencent au cours du mystère et s’achèvent par la réception de l’eucharistie. Telle semble bien être la pensée de saint Cyprien.

6. Comment l’eucharistie est-elle un sacrifice ? — Après avoir recueilli tous les textes précédemment cités, on peut essayer de découvrir pourquoi saint Cyprien voyait dans l’oblation chrétienne un sacrifice.

Pas un mot ne favorise les théories de Wetter. Il est dit sans doute que le peuple offrait le pain et le vin pour le sacrifice. De opère et eleemosyna, 15, H., t. m a, p. 384. Mais jamais Cyprien n’appelle ce don un sacrifice. Il le distingue fort bien de l’oblation proprement dite, de l’eucharistie. Cette offrande est ce par quoi les fidèles prennent part au sacrifice de l'Église et du Christ, mais elle n’est nullement ce sacrifice. Parce qu’il a, en apportant le pain et le vin, rendu possible ce sacrifice, parce qu’il demande au prêtre de prier pour lui pendant le sacrifice et verse son aumône pour la subsistance des ministres du sacrifice, parce qu’il assiste au sacrifice, s’unit au célébrant qui prie en son nom et parce que dans la communion il participe aux saints mystères, au sacrifice, le chrétien offre à sa manière le sacrifice. Loc. cit. Mais ce sacrifice qu’il offre ainsi, ce n’est nullement l’aumône du pain et du vin apportés au clergé, c’est ce pain et ce vin devenus le corps et le sang du Christ par la prière de l’officiant. Car il n’y a, pour saint Cyprien, qu’un sacrifice, celui qu’a offert Jésus-Christ, qu’il a ordonné de réitérer, celui qu’accomplit le prêtre en faisant ce que Notre-Seigneur a fait, en offrant ce qu’il a offert. Toutes les affirmations de l'évêque de Carthage l’attestent. Il aurait rejeté avec indignation la pensée qu’il pouvait y avoir dans l'Église un autre sacrifice que celui du Christ. Coppens, op. cit., p. 120.

Les efforts de Wieland pour découvrir en saint Cyprien des preuves de sa conception ne sont pas moins voués à l’insuccès. Sans doute, comme les écrivains plus anciens, l'évêque de Carthage affirme lui aussi que l’eucharistie s’opère par la prière du prêtre ou de l'évêque. Voir par exemple De lapsis, 25,

IL, t. m a, p. 255. Faut-il conclure avec Wieland que Cyprien se contredit, qu'à côté de textes où il affirme une croyance nouvelle dans l'Église, celle de l’existence d’une oblation proprement dite, on en surprend où se trahit l’antique conception d’après laquelle la messe est une simple prière de louange ou de reconnaissance ? Nullement, l’explication est beaucoup plus naturelle, elle est des plus simples. Cyprien ne cesse de dire qu’on offre, qu’il y a oblation, sacrifice du pain et du vin devenus le corps et le sang du Christ. Mais il y a une prière par laquelle se fait cette oblation. C’est tout ce qu’affirme Cyprien. L’acte est celui qu’a fait le Christ. Il n’a pas seulement pris du pain et du vin. Il a parlé, il a prié pour faire de ces éléments son corps et son sang et pour les offrir à son Père. De même, dans le rite chrétien, le prêtre prie pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Seigneur, et il les offre par cette prière. L’existence d’une prière n’entraîne pas la non-existence d’une oblation. Car la prière fait l’oblation. Qu’on dise que le rite chrétien est un sacrifice de prière. Seulement il faut ajouter que cette prière non seulement loue, rend grâces ou supplie, mais aussi qu’elle offre au Père le corps et le sang de Jésus.

En vain, pour confirmer son interprétation, Wieland essaye de distinguer dans saint Cyprien deux actes : l’oblation du pain et du viii, le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. L’ne ou deux fois, chez l'évêque de Carthage, le mot offrir est employé au sens ordinaire et profane de présenter : il est dit, par exemple, que le diacre après la communion ofjre le calice aux assistants. De lapsis, 25. Comme on le constate ici, le contexte prévient toute équivoque. Mais dans beaucoup de passages, dans la plupart, le mot oblatio est synonyme de sacrifice. Cyprien ne donne pas exclusivement à ce terme pour compléments les mots pain et vin. Il écrit plus d’une fois que nous « offrons le corps et le sang », que nous « offrons le pain et le vin devenus corps et sang du Christ », que nous offrons en sacrifice la passion du Seigneur. Ou bien encore il emploie le verbe sans complément, il écrit que l’officiant « offre », et alors le mot ne peut avoir que le sens technique. Ce qui empêche toute équivoque, ce sont les affirmations expresses de Cyprien : l’eucharistie est l’offrande qui s’oppose au sacrifice païen ou juif, celle qui a été figurée par le sacrifice de Melchisédech, celle enfin qui renouvelle le sacrifice de Jésus-Christ et commémore sa passion. Cette dernière affirmation nous fait pénétrer au cœur même de la pensée de saint Cyprien. Certes, il ne s’est pas demandé, comme on l’a fait beaucoup plus tard, quelle est l’essence du sacrifice de la messe. L'évêque de Carthage « n’est pas un spéculatif ni proprement un théologien ». Tixeront, op. cit., p. 381. Mais un homme de gouvernement ne se refuse pas tout droit de réfléchir sur les problèmes théoriques soulevés par l’examen des cas de conscience qu’il doit résoudre. Dans la lettre de Cyprien sur l’erreur des aquariens, on surprend sa pensée sur ce qui fait de l’oblation eucharistique un sacrifice. Quatre affirmations qui se complètent nous renseignent pleinement.

a) Ce qui donne à l’eucharistie un caractère sacrificiel, c’est que nous offrons ce que Jésus-Christ a offert, nous faisons ce qu’il a fait. Il est le docteur, le maître, l’auteur du rite. C’est lui seul que nous devons suivre. Nous n’avons qu'à l’imiter. Epist., lxjii, 1, 2, p. 701-702. Cette déclaration revient sans cesse. Il faut que « nous gardions ce que Jésus-Christ a institué, que nous observions ce qu’il a commandé. » Id., 10, p. 709.

b) Le Seigneur a offert le pain et le vin devenus son corps et son sang qu’il devait immoler sur la croix.

| Donc nous reproduisons dans l’eucharistie l’acte du

Seigneur, » nous commémorons la passion », Id.. 2, 17, p. 702, 714 ; « notre sacrifiée répond à la passion », 9, p. 708 ; nous « faisons mémoire de la passion en chacun de nos sacrifices », 17, « l’eucharistie est le mystère de la passion du Seigneur, et de notre rédemption », 14, p. 713 « la passion est le sacrifice que nous offrons », 17, p. 714.

ri Quand le Seigneur souffrit pour nous et offrit ainsi son sacrifice, nous étions avec lui. Il portait nos péchés. Il y avait ainsi en son corps et en son sang offrande du Seigneur, et avec lui, par lui, oblation de son peuple à Dieu le Père. Id., 13, p. 711-712. De même dans l’eucharistie il y a pareille union du Christ et des fidèles. Ce rite est l’oblation de l'Église tout entière, de son chef suprême et de tous les chrétiens qui lui sont unis. C’est la raison qu’invoque Cyprien pour exiger que l’eau soit mélangée au vin : elle représente le peuple et l’autre élément est le sang de Jésus-Christ. « Si quelqu’un offre seulement du viii, alors le sang du Christ est sans nous. Si par contre il n’y a que de l’eau, alors le peuple est sans le Christ. Quand l’un et l’autre élément sont mélangés, et s’unissent en une fusion qui les confond, alors le sacrement spirituel et céleste est consommé. » Ibid. Le principe poussé à son extrémité ferait croire que l’eucharistie faite avec du vin non mélangé d’eau est invalide. Cyprien ne le dit pas, mais il faut reconnaître que son langage permettrait de lui attribuer cette pensée. Le concept de la fusion des fidèles avec le Christ sacrificateur est si cher à Cyprien, qu’il présente aussi comme unies au Sauveur immolé en sacrifice les personnes recommandées par le prêtre à l’autel. Telle est la raison profonde qui explique le fruit retiré par elles du sacrifice. Vacant, op. cit., p. 17.

d) Entre le sacrifice de la cène et celui de l’eucharistie, déclare Cyprien, il y a pourtant une différence. Jésus-Christ n’a offert que sa passion. Nous aussi nous la présentons à Dieu, mais nous joignons à elle la résurrection. Id., 16, p. 714. Voilà pourquoi le chrétien célèbre la messe le matin, alors que la cène eut lieu le soir. Les fidèles ont donc innové, mais ils ont eu raison de le faire : l’eucharistie rappelle avec la passion la résurrection du Sauveur. L'évêque de Carthage n’a pas été amené à dire expressément que, si, à la messe, le peuple est uni au Christ souffrant pour nos péchés, les fidèles y ressuscitent avec lui. Mais il est évident que telle est sa pensée. L'économie générale de la doctrine de saint Cyprien appelle cette conclusion.

A la vérité, cette synthèse n’est qu'ébauchée. Elle est pourtant du plus haut prix ; plaçant le rite eucharistique au cœur même du culte chrétien, elle le relie intimement à tous les mystères de la foi. On peut dire qu’en lui se rejoignent les grandes pensées de la passion et de ses fruits, du Christ et de l'Église. Rien n’est plus éloigné des mystères païens, rien n’est plus chrétien. Cette synthèse complète à merveille celle de saint Irénée pour qui l’eucharistie est surtout l’offrande des prémices d’un monde nouveau, celui d’aujourd’hui et celui de demain. Toutes deux d’ailleurs se rapprochent. Car la création nouvelle dont parle l'évêque de Lyon, c’est la création rachetée à laquelle pense saint Cyprien.

7. De quelles cérémonies s’accompagne l’eucharistie ? — Le sacrifice chrétien a lieu de bonne heure, le matin, en souvenir de la résurrection. Il semble qu’on le célèbre chaque jour. Epist., lxiii, 16, p. 714 ; De dom. orat., 18, H., t. m a, p. 280 ; Epist., lvii (ol. liv), 3, t. m b, p. 652 ; lviii (ol. lvi), 1, p. 657. On solennise par l’oblation de l’eucharistie l’anniversaire des martyrs. Epist., xxxix (ol. xxxiv), 3, p. 583. Un certain Tertullus faisait connaître à Cyprien la date de la glorieuse mort des confesseurs, afin que le

sacrifice fut célébré pour eux. Epist., xii (ol. xxxvii), 2, p. 503. L’endroit où s’offre le corps du Christ est appelé un autel, allare ; Cyprien emploie le mot très souvent, sans aucune répugnance, et même, semblet-il, avec une réelle satisfaction. Cf. Epist., xliii (ol. xl), 5, p. 594 ; lxiii, 5, p. 704 ; lxv (ol. lxiv), 1, p. 722 ; i (ol. lxvi), 1, 2, p. 465, 466, etc., etc.

Saint Cyprien parle des leçons, des lettres pastorales de l'évêque, de l'évangile, qui étaient lus publiquement par le lecteur, du haut d’un ambon : Epist.', xxxviii (ol. xxxiii), 2, p. 581 ; xxxix (ol. xxxiv), 4, 5, p. 583 sq. Il fait observer qu’on prêche sur ce qui vient d'être lu. De mortalilale, H., t. in a, p. 267. Les catéchumènes ne peuvent recevoir la communion, ils sont donc „ renvoyés avant l’eucharistie. Epist., lxiii, 8, H., t. m b, p. 706. Cyprien ne nous a pas donné le texte d’oraisons liturgiques, mais il nous apprend qu’on prie publiquement pour l'Église et son unité. De dom. orat., 8, 17, H., t. m a, p. 271, 279 ; pour le pape, Epist., lxi, H., t. m b, p. 697, et à diverses intentions, par exemple pour les bienfaiteurs, Epist, lxii (ol. lx), 5, p. 701, les ennemis, les pécheurs, la paix, la préservation du mal, le salut de tous les hommes. Epist., xxx (ol. xxxi), 6, p. 554 ; De dom. orat., 3, 8, 17, H., t. m a, p. 268, 271, 279 ; Ad Demetrianum, 25, H., t. m a, p. 365. Voir Fortescue, op. cit., p. 56.

Le peuple présentait du pain et du vin. De opère et eleemosyna, 15, H., t. m a, p. 384. Au vin le célébrant mêlait de l’eau. Epist., lxiii tout entière. Le prêtre faisait ce qu’avait fait le Christ, il offrait ce qu’avait offert le Seigneur. Epist., lxiii, 2, t. m b, p. 707. Donc il récitait sur le pain et le vin les paroles de l’institution. Saint Cyprien les cite : Id., 9, 10, p. 708. On a observé qu’il emploie pour le vin le verbe au futur, donc sous la forme qu’il a dans le canon romain efjundetur. Saint Cyprien mentionne le Sursum corda et sa réponse : Habemus ad Dominum. De dom. orat., 31, H., t. ni a, p. 289. Il dit qu’on fait mémoire en chaque sacrifice de la passion, et qu’on y commémore la résurrection. Epist., lxiii, 16, 17, t. m b, p. 714.

Ces particularités, qui font peut-être allusion à une prière d’anamnèse, et la comparaison de l’eucharistie avec le sacrifice de Melchisédech, id., 4, p. 703, ont permis des rapprochements avec le canon romain : Unde et memores… tam beatse passionis nec non et ab inferis resurrectionis… munera quæ libi obtulit summus sacerdos luus Melchisédech. Voir F. Cabrol, art. Afrique, dans Diction, d’arch., t. i, col. 603. On a aussi suggéré d’autres points de rencontre : Cyprien écrit : Preces in conspeclu ejus, la liturgie romaine porte : In conspeclu divinx majestatis ejus ; Cyprien : Precum pro omnium salute, la liturgie romaine : Pro nostra omniumque salute ; Cyprien : Qui inter cetera salutaria sua monila et prsecepta divina quibus populo suo consulil, ad salulem etiam orandi ipse formam dédit, ipse quid precaremur, monuit et instruxit, De dom. orat., 2. H., t. m a, p. 268, la liturgie romaine : Præceptis salutaribus monili et divina institutione formali.

Tous les assistants communient. De lapsis, 25, H., t. m a, p. 255. Saint Cyprien parle de la réception quotidienne de l’eucharistie. De dom. orat., 18, p. 280, et les autres textes ci-dessus. On reçoit l’eucharistie sous les deux espèces. Le pain consacré est mis dans la main des fidèles. Saint Cyprien fait très souvent allusion à ce contact sacré dont il montre toute la sainteté. De lapsis, 2, 15, 16, 22, p. 238, 248, 253 ; De dom. oral., 18, p. 280, etc. Le diacre présente la coupe consacrée : De lapsis, 25, p. 255. On emporte l’eucharist ie à domicile et on la garde dans un coffret à la maison pour pouvoir se communier. De lapsis, 26, p. 256.

6° La Passion des saintes Perpétue et Félicité (| en 203). — Dans cette pièce, dont on tient communément lacomposition pour contemporaine de la mort des mar

tyres, il semble bien que soient attestés certains rites de la liturgie eucharistique de l'époque. Les saintes ont une vision. Elles arrivent près d’un lieu lumineux devant lequel se tiennent des anges les invitant à entrer pour saluer le Seigneur, et ils les revêlent d’habits blancs. Elles entendent des voix qui s’unissent pour chanter sans cesse : Agios, Agios, Agios. Elles se donnent ensuite le baiser de paix. A une parole d’un de ses compagnons, Saturus, lui disant qu’elle a maintenant ce qu’elle désire, Perpétue répond : Deo gratias. Un pasteur lui présente une nourriture qu’elle reçoit les mains jointes et tous répondent Amen. Entre ces traits divers et certains actes de la messe antique, le rapprochement se fait de lui-même. Passio SS. Felicitalis et Perpétuai, dans Knopf, Ausgewuhlle Màrlyrerakten, Tubingue, 1913, p. 49, 45. Cf. F. Cabrol, art. Afrique (liturgie anténicc’enne), dans Diction, d’arch., 1. 1, col. G04 ; Fortescue, op. cit., p. 59.

VI. Les sectes et communautés suspectes. — Saint Épiphane signale l’existence d’une secte palestinienne à laquelle il donne le nom d'ébionites ; ses membres, pour imiter les mystères chrétiens, célébraient une fois par an leur rite avec du pain azyme et de l’eau. Hær., xxx, 16, P. G., t. xli, col. 432. Ces mots semblent désigner des judéo-chrétiens dont la liturgie s’inspirait à la fois des souvenirs de la Pâque et de ceux de la cène. C’est peut-être à ce groupe ou à une petite Église semblable que fait allusion saint Irénée, lorsqu’il écrit, parlant de certains hérétiques appelés par lui ébionites : Reprobant commislionem vini cœleslis et solam aquam sœcularem volunt esse, non recipienles Deum et commislionem suam. « Ils réprouvent le mélange du vin céleste et ne veulent admettre que l’eau du siècle, ne recevant pas Dieu dans leur mélange. » Cont. hæres., II, i, 3, P. G., t. vii, col. 1123. Probablement, comme le fait observer P. Batilîol, art. Aquariens, dans Diction, d’arch., t. i, col. 2649, l'évêque de Lyon reproche ici à ces hérétiques de ne pas voir dans le Christ l’union de Dieu et de l’homme, unilionem Dei et hominis non recipientes. Toutefois la manière dont cette erreur est décrite laisse entendre aussi que, dans leur eucharistie, les tenants de cette secte n’usaient pas du viii, image de la divinité, mais seulement de l’eau, symbole de la nature humaine, du siècle. F. Dolger, Die Eucharistie nach Inschri/ten fruhchristlicher Zeit, Munster, 1922, p. 110, n. 2.

Saint Ignace nous apprend que les docètes « s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière parce qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ. » Smyrn., vii, 1, éd. Funk, p. 280.

C’est encore à une époque très voisine des origines qu’il semble nécessaire de placer la conception signalée par VÉ pitre des Apôtres, et qui présente l’eucharistie comme une Pâque (d’après Baumstark, YEpislula upostolorum serait de 180 ; d’après C. Schmidt, de 160-170 ; d’après Cladder, de 147-148 ; d’après Ehrhard, de 130-140). On y lit (texte éthiopien) « … Mais célébrez le jour commémoratif de ma mort, c’est-àdire la Pâque. Alors on jettera l’un de vous en prison… Pendant que vous célébrerez la Pâque, il sera en prison… La porte de la prison s’ouvrira et il viendra à vous pour veiller avec vous… Et quand le coq chantera, et que vous aurez terminé mon agape et ma commémoraison… »

Le texte copte porte : « …Après mon retour à mon Père, commémorez ainsi ma mort. Quand la Pâque devra avoir lieu, l’un de vous sera jeté en prison à cause de mon nom… et il s’affligera parce qu’il ne célèbre pas la Pâque avec vous… Les portes de la prison s’ouvriront, il sortira et il viendra à vous et il passera avec vous une nuit de vigile.et demeurera avec vous jusqu'à

ce que le coq chante. Lorsque vous aurez terminé la commémoraison qui se fait par rapport à moi et l’agape… » Édit. Schmidt, n° 52 sq. Cf. Schmidt, Gesprâche Jesu mil seinen Jùngern nach der Auferstehung, Ein katholisch-apostolisches Sendschreiben des 2. Jahrhunderts, dans Texte and Unlersuch., III* série, l. xiii, Leipzig, 1919. Voir Dolger, op. cit., p. 108-11 9.

L’eucharistie est donc une Pâque, mais en même temps la fêle commémorative de la mort du Christ ; elle se célèbre la nuit. Et elle comporte une commémoraison de la mort du Christ et une agape (texte copte), une agape et une commémoraison de la mort du Christ (texte éthiopien).

Les marcionites, nous le savons par Irénée, Cont. hseres., IV, xviii, 4-5, P. G., t. vii, col. 1027 sq., et par Tertullien, Adv. Marcionem, I, xiv, P. L., t.n, col. 262, célébraient l’eucharistie. Mais Épiphane nous apprend que Marcion « employait seulement de l’eau dans les mystères ». User, xlii, 3, P. G., t. xi.i. col. 700. Cette coutume s’alliait fort bien à l’encratisme absolu de la secte, voir art. Marcion, t. ix, col. 2024. Le vin était pour elle quelque chose de diabolique. Batiffol, op. cit., p. 190 ; Harnack, Marcion, Leipzig, 1921, p. 182, 286, 302.

C’est encore pour des motifs de rigorisme ascétique en harmonie avec sa doctrine morale que Tatien adoptait le même usage : Il accomplissait les mystères « à l’imitation de la sainte Église, écrit Épiphane, mais il n’y employait que de l’eau ». User., xlvi, 2, P. G., t. xli, col. 840.

Lesvalentiniens gardaient l’eucharistie et y faisaient usage du vin. Irénée nous a conservé en effet l’histoire des supercheries de l’un d’eux, Marc, venu d’Asie. Il prenait une coupe remplie de vin additionné d’eau, paraissait rendre grâces et prolongeant longtemps la prière d’invocation, il donnait au liquide une couleur pourpre et rouge pour faire croire que la Grâce, un des éons qui sont au-dessus de tout, distillait son sang dans le calice en raison de l’invocation qu’il avait prononcée. Avec avidité les assistants buvaient ce liquide. Par un autre tour de passe-passe. Marc. faisait croire que grâce à une formule mystérieuse il augmentait le volume du liquide eucharistique. Irénée, Cont. hæres., i, xiii, 2, P. G., t. vii, col. 579. Les faits sont affirmés aussi par Hippolyte, Philosophoumena, t. VI, c. xxxix, P. G., t. xvic, col. 3258 sq., et par Épiphane, Hær. xxxiv, 2, t. xli, col. 584, qui, tous deux, se réfèrent à Irénée. Clément d’Alexandrie atteste lui aussi que les valentiniens gardaient le rite eucharistique. L’un d’eux, Théodote, enseignait « que le pain et l’huile élaient sanctifiés par la puissance du nom de Dieu (du Christ, sans doute) » ; « en apparence ils demeuraient tels qu’on les avait pris, mais par la puissance ils étaient changés en puissance spirituelle. » Excerpta Theodoli, lxxxii, P. G., t. ix, col. 696. Ce pain est sans doute celui dont parle un autre passage. Là il est présenté comme céleste, spirituel, nourriture de vie en tant qu’aliment et connaissance, lumière des hommes et de l'Église, chair du Christ qui nourrit notre chair et qui est en même temps l'Église, elle aussi pain du ciel et assemblée bénie. Ibid.. xiii, col. 664.

Plus énigmatique est une autre secte dont Clément d’Alexandrie ne nous a conservé que le nom, les hématites et dont il est seul à parler. Strom., VII, cviii, P. G., t. ix, col. 553. Hort, Clément of Alexandria miseellanies, book Vil, Londres, 1902, p. 354, suppose que ces hérétiques employaient du sang pour l’eucharistie. Le Nourry, diss. XI, c. xirr, n. 3, P. G., t. ix, col. 1246, conjecturait que les hématites étaient ces gnostiques sectaires dont Clément dit que, par haine du démiurge et pour avoir le titre de martyrs, ils affrontaient la mort. Strom., VI, iv, P. G., t. vin

col. 1129. Voir article Hématites, t. vi, col. 2146.

Clément d’Alexandrie signale aussi l’existence ri’aquariens. « Il y a des chrétiens, écrit-il, qui font la consécration eucharistique (EÙxapiCTToùaLv) sur de l’eau pure », ils offrent donc « un sacrifice de pain et d’eau », ce qui est contraire « au canon de l'Église », ce qui est « une hérésie ». Stroni., t. xix. P. G., t. viii, col. 811. On a justement souligné la valeur de ce jugement sur le caractère illicite de cet usage : Clément est un grand voyageur qui connaît l’Italie, la Grèce, la Syrie, la Palestine et l’Egypte. Il sait donc ce qu’est « le canon de l'Église ». P. Batiffol, art. Aquariens, dans Diction, d’arch., t. i, col. 2649.

Les Actes de Jean (deuxième moitié du second siècle, Asie'?) mentionnent plusieurs fois l’eucharistie : elle est nommée dans une énumération après l’homélie et la prière, avant l’imposition des mains, 46, édit. LipsiusBonnet, Acta aposl. apocr., t. n a, p. 113. « Tous les frères y participent », est-il dit ailleurs. 86, p. 193. Au contraire, Fortunatus, à cause de son impénitence, « est écarté du bain sacré, de l’eucharistie, de la nourriiure de la chair et du breuvage » ; ces mots désignent sans doute le baptême, l’assistance aux saints mystères et la communion sous les deux espèces. 24, p. 192. L’apôtre rompt le pain de bon matin au tombeau de Drusiana, le troisième jour, et c’est une eucharistie à laquelle il fait participer tous les frères. 72 et 86, p. 186, 193.

Dans le même écrit, nous relevons encore une description assez complète de l’eucharistie. 106-110, p. 203 sq. C’est un dimanche et tous les frères sont réunis. Il y a d’abord une exhortation de l’apôtre : l’homélie. Suit la prière faite par lui au nom de tous. Elle énumère des titres et des bienfaits du Christ Jésus, puis elle implore son secours : « O toi qui as tressé cette couronne à ta chevelure, Jésus, ô toi qui as paré de toutes ces fleurs la fleur impassible de ton visage, ô toi qui as répandu ces discours, ô toi qui seul es le médecin donnant la guérison, ô toi seul bienfaisant, seul humble, seul compatissant, seul ami des hommes, seul sauveur et juste, toi qui toujours vois tout, toi qui es en tout, présent partout, contenant, remplissant tout. Christ Jésus, Dieu, Seigneur, ô toi qui connais exactement les industries de notre perpétuel ennemi et tous les assauts qu’il complote contre nous, toi Seigneur unique, secours tes serviteurs dans ta providence, qu’il en soit ainsi, Seigneur. » Trad. Batiffol, dans op. cit., p. 194 sq.,

Suit l’eucharistie proprement dite. L’apôtre demande du pain et il rend grâces ainsi : « Quelle louange, quelle offrande, — powpopà, quelle action de grâces invoquerons-nous, en rompant ce pain, sinon toi seul, Seigneur Jésus ? Nous glorifions ton nom dit par le Père. Nous glorifions ton nom dit par le Fils. Nous glorifions ton entrée de la porte. Nous glorifions ta résurection que tu nous a manifestée. Nous glorifions de toi la voie. Nous glorifions de toi la semence, le verbe, la grâce, la foi, le sel, la pierre précieuse, le trésor, la charrue, le filet, la grandeur, le diadème, le fils de l’homme qui a été manifesté pour nous, celui qui nous a donné la vérité, la paix, la gnose, la force, la règle, la confiance, l’espoir, l’amour, la liberté, le refuge en toi. Car toi seul es, Seigneur, la racine de l’immortalité et la source de l’incorruptibilité et le siège des éons. Et tu as été dit tout cela pour nous, maintenant, afin que nous, t’appelant de ces noms, nous connaissions ta grandeur ignorée de nous jusqu'à présent, mais connue des purs et représentée dans l’homme unique qui est le tien. » Il n’y a dans cette formule aucune allusion aux paroles de la cène. L’insistance sur les différentes appellations de Jésus est significative : c’est le « nom » du Christ qui surtout est invoqué, glorifié pour qu’on le connaisse, et sans doute pour qu’il

passe ainsi dans les communiants avec toute sa puissance. La formule rappelle quelque peu Vanamnèse : on commémore, on se souvient que le Christ est entré par la porte, qu’il est ressuscité, qu’il est la voie et la racine de l’immortalité. Le rite est appelé une ofjrande rituelle, donc un sacrifice. « Ayant rompu le pain (Jean) le distribua à chacun de nous tous, à chacun des frères, leur adressant la prière d'être dignes de la grâce du Seigneur et de la très sainte eucharistie. Il y goûta lui-même aussi en disant : « Que cette part me soit avec vous et la paix soit avec vous, bien-aimés. »

La coupe n’est pas mentionnée en cet endroit, observe Batiffol, op. cit., p. 196. C’est exact. Mais en un autre passage cité plus haut, 84, p. 192, il est question de la nourriture et du breuvage. Ailleurs encore, il semble bien qu’il soit fait allusion au calice consacré. Jean comparaît devant Domitien. Pour montrer la puissance du nom de Jésus, il se fait apporter du poison qu’il verse dans une coupe pleine d’eau. Sur ce breuvage il prononce une invocation qui le rend inofîensif : « En ton nom, Jésus-Christ, fils de Dieu, je boirai ce calice que tu rendras suave : mêle ton Esprit-Saint au poison qui est dans cette coupe, et fais de ce liquide un breuvage de vie et de salut pour la santé de l'âme et du corps, comme un calice d’eucharistie, Troxripiov eù^oepicma :  ;. » 9, p. 156. A coup sûr, ce qui est décrit ici, n’est nullement la cène, le rite religieux de l’offrande ou de la communion des fidèles. Mais Jean exprime le vœu que la coupe empoisonnée soit pour lui ce qu’est « le calice d’eucharistie », une source de vie et de salut pour la santé de l'âme et du corps. Ce passage serait donc une allusion à l’usage d’un calice à la cène. Struckmann, op. cit., p. 104, note 31.

Les Actes de Pierre (première moitié du nie siècle ou même plus haut, voir É. Amann, art. Apocryphes du Nouveau Testament, dans Suppl. au diction, de la Bible, 1. 1, col. 498) font deux ou trois allusions au rite eucharistique. Au c. iii, il est simplement dit que des chrétiens « s’affermirent dans la foi, pendant trois jours et jusqu'à la cinquième heure du quatrième, priant les uns et les autres avec Paul, offrant l’oblation, oranles invicem cum Paulo, oblationem efferentes. Il semble bien que le rite désigné ici est l’eucharistie, offrande rituelle et collective. Lipsius-Bonnet, t. i, p. 48 ; voir aussi L. Vouaux, Les Actes de Pierre, p. 244-245.

Il est décrit ailleurs d’une manière un peu plus précise, c. 2 : « Les frères, est-il dit, offrirent alors à Paul du pain et de l’eau, pour le sacrifice, afin que, la prière ayant été faite, il le distribuât à chacun. Parmi eux se trouvait une certaine Rufine qui voulait donc elle aussi recevoir l’eucharistie des mains de Paul. Rempli de l’esprit de Dieu, Paul lui dit, comme elle s’approchait : « Rufine, tu ne t’approches pas de l’autel en personne digne de le faire ; tu te lèves non d’auprès de ton mari, mais d’un amant et tu essayes de recevoir l’eucharistie de Dieu. Aussi, voici que Satan, après avoir bouleversé ton cœur, te jettera par terre sous les yeux de ceux qui croient dans le Seigneur… Mais, si tu te repens, celui qui peut effacer les péchés ne manquera pas de te libérer de celui-ci… » Lipsius-Bonnet, p. 46 ; Vouaux, p. 231. Aussitôt Rufine tomba paralysée de la moitié gauche de son corps. — Ainsi les fidèles apportent en offrande ce qui servira pour le sacrifice, pour l’autel. C’est du pain et de l’eau. L’apôtre prononce sur ces éléments la prière. Les mets ainsi consacrés sont ensuite distribués aux assistants. La dignité de vie est requise chez le communiant ; l’impureté, mais non la vie conjugale, ôte aux fidèles le droit de s’approcher de l’autel. Les coupables d’ailleurs peuvent faire pénitence.

Cette eucharistie se célèbre aussi après le baptême. C. 5, Lipsius, p. 50 ; Vouaux, p. 260. Pierre vient de conférer ce sacrement à Théon. Un jeune homme leur est apparu qui leur a dit : « Paix à vous. » Alors Pierre prit du pain et rendit grâces au Seigneur de l’avoir jugé digne de son saint ministère et de l’apparition de ce jeune homme : « Très bon et seul saint, c’est toi (dit-il) qui nous apparus, ô Dieu Jésus-Christ, c’est en ton nom que (Théon) vient d'être lavé, marqué de ton signe saint, aussi, toujours en ton nom, je lui fais part de ton eucharistie, afin qu’il soit ton parfait serviteur, sans reproche pour l'éternité. Et comme ils mangeaient, ils se réjouissaient dans le Seigneur… » Il n’est question en ce passage que du pain. Mais le fait ne prouve pas que l’eau soit exclue. Car ce récit est très court, il ne reproduit nullement, on peut le constater, des formules liturgiques et ne donne pas une description détaillée du rite. L’auteur ( au moins celui de l’arrangement final) qui, un peu plus haut, c. 2, a nommé le pain et l’eau, ne semble nullement vouloir se contredire.

Une dernière mention très courte se trouve dans le fragment copte des Actes de Pierre, édit. Vouaux, p. 227. Un dimanche, à Jérusalem, Pierre parle à une foule. Puis « louant le nom du Seigneur Christ, il leur partagea à tous le pain ». Ici non plus, la coupe n’est pas mentionnée. Est-ce parce qu’elle n'était pas en usage ou seulement parce que l’auteur rappelant l’eucharistie par une seule phrase, croit avoir assez désigné le rite tout entier en parlant de la fraction du pain ? Il est difficile et même impossible de déterminer laquelle de ces deux réponses est la yraie.

Les Actes de Thomas (on est porté à en placer la composition au iiie siècle, en Syrie ; voir É. Amann, Suppl. au diction, de la Bible, t. i, col. 503) parlent en un grand nombre de passages de l’eucharistie. Cf. Struckmann, op. cit., p. 105-110. L’apôtre Thomas dit au roi Gundaphorus et à son frère Gad : « Je me réjouis… de m’unir à. vous pour cette eucharistie et eulogie du Seigneur. 26, édit. Lipsius-Bonnet, Acla, t. n b, p. 141 : « Ayant rompu le pain, il les fit communier tous deux à l’eucharistie du Christ. » 27, p. 143. Une autre fois encore, Thomas leur « rompt le pain de l’eucharistie et le leur donne en disant : Cette eucharistie vous sera, eaxoa ûjjùv ocÛty) r) eùxapicma, en miséricorde et pitié, non en jugement et punition. » 29, p. 146. De même après avoir délivré du démon une possédée, l’Apôtre la reçoit ainsi que d’autres dans la religion chrétienne. Puis il fait apporter par son diacre une table, qu’il recouvre d’un linge blanc, il y dépose le « pain de l’eulogie » et fait cette prière : « Jésus, qui nous as rendu dignes de participer à l’eucharistie de ton saint corps et de ton sang, voici que nous venons approcher de ton eucharistie et invoquer ton saint nom. Viens maintenant et unis-toi à nous. » Il y a donc ici une épiclèse adressée au Christ. Dôlger, op. cit., p. 56. Suit une prière gnostique. Puis l’apôtre trace la croix sur le pain et commence à le distribuer. Il le donne d’abord à la femme, disant : « Ceci sera pour toi en vue de la rémission des péchés et des transgressions éternelles. » 49-50. p. 165 sq.

Un jeune homme coupable d’un crime a reçu l’eucharistie. En punition ses mains se dessèchent. 61, p. 167. Le texte semble bien attester ici que le pain consacré était déposé entre les mains du communiant. Mygdonia se convertit et demande le baptême. Elle ordonne qu’on lui apporte de l’eau, un pain et de l’huile. L’apôtre lui fait une onction et la baptise. Puis il « romptle pain et, prenant une coupe d’eau, il lui donne la communion au corps du Christ et à la coupe du Fils de Dieu, et il lui dit : Tu reçois ton sceau qui t’obtiendra la vie éternelle. » 121, p. 231. Siphor, sa femme et sa fille sont baptisés par l’Apôtre. Il place

ensuite un pain sur la table, le bénit en disant : « Pain de vie, que ceux qui en mangent demeurent incorruptibles, SçGaprot. Pain qui rassasies les âmes affamées de bonheur, c’est toi qui as daigné recevoir le don, afin que nous arrive la rémission des péchés, et que ceux qui te mangent deviennent immortels. Nous t’invoquons, toi, le nom de la mère, mystère ineffable des principes et des puissances cachées : nous t’invoquons au nom de Jésus. « Et il dit : « Vienne la force et la bénédiction, et que le pain soit pénétré, afin que toutes les âmes qui y auront part, soient délivrées de leurs fautes. » Et ayant rompu (le pain), il le donna à Siphor, à sa femme et à sa fille. 133, p. 240. Uazanes est baptisé. L’apôtre prend du pain et une coupe, les bénit et il dit : « Nous mangeons ton saint corps qui a été crucifié pour nous, et nous buvons ton sang qui a été versé pour nous en vue du salut. Que ton sang devienne pour nous le salut, et que ton sang soit pour la rémission des péchés. » Puis il rompt l’eucharistie, la donne et il dit : « Que cette eucharistie devienne pour vous le salut, la joie et la santé de vos âmes, et ils répondirent : Amen. » 158, p. 268. — Le rite eucharistique est donc d’usage courant. Il se célèbre toujours après le baptême. En certaines descriptions il n’est parlé que du pain, mais dans deux autres est mentionnée la coupe.

Le second livre de Jeu (m siècle, Egypte) fait apporter au Christ deux cruches de vin et des branches de vigne. Alors Jésus dispose une offrande, 6ug[<x ; il place « une cruche de vin à gauche de l’offrande et l’autre à droite… » Les disciples se tiennent devant l’offrande. Jésus est debout et en face d’elle. II étend un linge de liii, y dépose une coupe de viii, puis des pains en nombre égal à celui des disciples. Il prononce ensuite une formule d’invocation avec mots magiques, et demande que par un prodige l’eau du baptême de vie soit versée dans l’un des vases de vin. L’opération s’accomplit. Les disciples s’approchent. Jésus les baptise, leur donne l’offrande, npoatpopdc. et les marque du sceau. Aussi sont-ils dans une grande joie pour avoir reçu le pardon de leurs péchés et être devenus héritiers du royaume de lumière. Éd. C. Schmidt, Koptisch-gnostische Schriflen, t. i, Leipzig, 1905, p. 308 sq.

Dans le quatrième livre de la Pislis Sophia, ouvrage apparenté au précédent et de peu postérieur, on retrouve une description du même rite. Jésus déclare à ses disciples qu’il a apporté dans le monde le feu, l’eau, le vin et le sang. « Le feu, l’eau et le vin sont pour la purification des péchés, le sang est un signe à cause du corps humain que j’ai pris là où est Barbelos la grande puissance du Dieu invisible… C’est pourquoi j’ai pris une coupe de viii, je l’ai bénie et je vous l’ai donnée en disant : « Ceci est le sang de l’alliance qui sera versé pour la rémission de vos péchés. » Jésus fait alors apporter du feu et des rameaux de vigne. Il place sur eux l’offrande, 7Tpoaçopâ, dispose à droite et à gauche deux cruches de vin et autant de pains qu’il y a de disciples. Jésus se tient ensuite devant l’offrande, 7rpoaçopdc, et fait une invocation pour obtenir aux disciples la rémission des péchés dont un signe nouveau dans l’offrande sera le signe. Ibid., p. 242-244.

Faut-il voir dans les Homélies clémentines un remaniement romain ou syrien fait au ive siècle d’un ouvrage composé au troisième, et qui synthétiserait deux écrits plus anciens et pouvant remonter vers 200 (YVaitz et Hamack)? Si oui, il y a lieu de relever ici les traits suivants : Pierre après avoir, conféré le baptême, rompt le pain pour l’eucharistie ; l’ayant saupoudré de sel, il le donne d’abord à la mère, puis à ses fils qui mangèrent en commun avec elle et louèrent Dieu. Hom., xiv, 1, éd. Lagarde, p. 141. La

présence du sel sur le pain est encore signalée à plusieurs endroits (Attestation de Jacques qui précède les homélies, § 4, p. 8). Le communiant prend sa part du sel, Hom., iv, (5, p. 58, il y a la communion au set, àXcôv xoivcovîa, Hom., xiv, 8, p. 111. Batifîol, op. cit., p. 192, n. 2, croit que le sel est ici un symbole d’incorruptibilité.

Un autre écrit bien postérieur, le Martyrium Mattluci, a été présenté par Lipsius comme le reste d’un travail auquel au troisième siècle on aurait soumis une légende d’origine g.iostique. Après la mort de l’apôtre, le ciel invite l'évoque Platon et le peuple à chanter V Alléluia, à lire les évangiles, à offrir en sacrifice, Trpoaçopxv, le pain sacré et trois raisins qu’on pressurera sur la coupe « Unissez-vous à moi, comme le Seigneur Jésus a enseigné l’offrande, 7upoacpopâv, venue d’en haut. » L'évêque et le peuple défèrent à cette invivation du ciel. Platon « offre les oblations, TCpootpopâç, pour Matthieu, on y prend part et on loue Dieu. » Lipsius-Bonnet, Acta, t. n a, p. 252, 254. Ailleurs il est dit qu’après le baptême du roi, l'évêque « fait la bénédiction et l’eucharistie sur le pain sacré et la coupe avec son mélange de liquide. » Puis après avoir goûté lui-même les espèces consacrées, il les présente au roi en disant : « Que ce corps du Christ et cette coupe, son sang versé pour nous, devienne pour toi rémission des péchés en vue de la vie. ><

Ici se retrouvent toutes les notions signalées par les écrivains de la grande Église : il y a un rite chrétien traditionnel enseigné par Jésus-Christ et qui est une offrande rituelle, un sacrifice. Après certains actes, par exemple Valleluia et l'évangile, l'évêque accomplit l’eulogie et l’eucharistie sur le pain et sur le calice rempli de vin et d’eau : cette prière fait du pain le corps du Christ et de la coupe son sang. Ce sacrifice s’offre pour les morts. Les fidèles vivants y participent et y louent Dieu : l'évêque les communie en leur souhaitant que ce corps et ce sang leur apportent la rémission des péchés et la vie. Tout cela est très orthodoxe, mais ces divers traits ont toutes chances d’avoir été ajoutés dans les remaniements postérieurs. C’est encore à l'époque antérieure à saint Cyprien qu’on peut rapporter la passion de saint Pionius, prêtre martyr de Smyrne. On y lit que ce confesseur et ses compagnons, après avoir fait une prière solennelle, prirent le samedi du pain sacré et de l’eau, facla ergo oratione solemni, cum die sabbalo sanctum pancm et aquam deguslavissent. 3, dans Ruinart, Acta murtyrum sincera, Ratisbonne, 1859, p. 188. Ces mets semblent bien être l’eucharistie (Tillemont, Jùlicher, Batiffol, Lietzmann).

Enfin, nous savons par saint Cyprien que de son temps encore il y avait des aquariens en Afrique. Xous connaissons par l'évêque de Carthage les raisons qu’ils mettaient en avant pour justifier leur conduite. En temps de persécution, l’odeur du vin peut trahir les communiants ; il n’est pas conforme à l’usage de boire du vin le matin : on le prend le soir, au souper : le Christ usa de vin parce qu’il fit la cène le soir ; leurs prédécesseurs ont agi ainsi ; certains textes de l'Écriture recommandent l’usage de l’eau et lui attribuent des effets salutaires, EpisL, lxiii, 8, 9, 15, 16, 17, Hartel, t. m b, p. 708 sq. Ainsi l’usage aquarien n’est pas motivé par des considérations d’ascétisme prohibitif. L’encratisme a pu être en Afrique aussi la cause qui lui a donné naissance, mais si L’usage s’est maintenu, on a, au temps de saint Cyprien, oublié le motif qui l’a fait introduire à l’origine.

Harnack a souligné tous les textes où il est dit que l’eucharistie est célébrée avec du pain et de l’eau. Il a même cru (voir col. 898), mais à tort, pouvoir porter sur sa liste le témoignage de saint Justin. Il conclut ainsi : les deux usages celui des aquariens et l’autre

coexistent dès l’origine et au cours des premiers siècles. Donc pour les premiers chrétiens les éléments importaient peu : a leurs yeux l’eucharistie était un repas avec mets solide et liquide. On est donc amené à croire que le Christ à la cène primitive n’avait pas donné en nourriture et en breuvage son corps et son sang, mais sanctifié l’action de manger et de boire. Harnack, Brot und Wasser, die eucharistischen Elemente bei Justin, Leipzig, 1891, dans Texte und Untersuch., t. vii, fasc. 2 ; voir en sens contraire Zahn, Theolog. Litteraturzeitung, 1892, t. xvii, p. 373-378. Il a été démontré que Justin ne devait pas être mis au nombre des aquariens (voir plus haut). Si on accorde à leur usage l’ampleur qu’il a eue, sans le restreindre ni l’augmenter, on est obligé de leconstater.ee sont des sectes, des groupes hérétiques ou suspects qui l’ont adopté. La grande Église l’a toujours rejeté, c’est pour elle une hérésie. L’emploi du vin mélangé d’eau est attesté pour Rome par Justin, pour la Gaule et l’Asie par Irénée, pour l’Egypte, l’Italie, la Grèce, la Syrie, la Palestine par Clément d’Alexandrie, pour l’Afrique enfin par Tertullien et Cyprien. Cf. Dôlger, op. cit., p. 51 sq. Une deuxième constatation s’impose : plusieurs de ces groupes étaient à tendance encratique ; c’est donc leur rigorisme et non le souvenir de l’institution primitive qui les portait à prohiber le vin : leur rigorisme moral ne leur permettait pas de l’employer. Voir Batiffol. art. Aquariens, dans Diction, d’archéol., t. i, col. 2648-2650.

Dépassant encore d’une certaine manière Harnack, Lietzmann vient de soutenir, op. cit., p. 238-249, que l’eucharistie primitive ne se composait que de pain. Pour le démontrer, il invoque tous les textes anciens où il est dit qu’elle était consacrée avec de l’eau. Il en rapproche même ceux où il est parlé du miel et du lait donnés aux néophytes, loc. cit., p. 248, note 7, et le passage des Actes des saintes Perpétue et Félicité, où en vision le Pasteur remet à Perpétue du fromage. Il conclut que, primitivement, on professait à l'égard de l'élément eucharistique ajouté au pain une grande indifférence. « C’est donc, écrit-il, parce qu'à l’origine cette seconde espèce n’existait pas. » La réfutation qui a été faite de l’opinion de Harnack peut être reproduite ici. L’usage aquarien, pour avoir été plus répandu que l’on ne pensait jadis, est loin d’avoir l’importance que lui donne l’auteur ; il est impossible de préférer une coutume qui n’apparaît guère que dans des groupes suspects ou hérétiques, à l’usage attesté par tous les écrivains de la grande Église. Cette coutume d’employer de l’eau ne trouve d’ailleurs pas son origine dans l’indifférence du public et de ses chefs à l'égard du second élément. S’il est une vérité qui est hors de doute, c’est que ni les catholiques, ni les aquariens ne tenaient le choix du liquide pour peu important : les premiers condamnaient sévèrement l’emploi de l’eau, et les seconds se refusaient énergiquement à user du vin. Quant à la vision de Perpétue, il est impossible d’y trouver une preuve que l’antiquité chrétienne était indifférente au choix du second élément : il n’est pas parlé en cet endroit de pain et de fromage, mais seulement de ce dernier mets : et de caseo quod mulgebat dédit mihi quasi buccellam. Passio Pcrpeluæ, 4. A plus forte raison ne peut-on pas invoquer ici l’usage de présenter aux nouveaux baptisés du lait et du miel. C’est seulement aux néophytes qu'étaient donnés ces deux breuvages le jour de leur baptême : il y a donc là un rite d’initiation, et non une forme d’eucharistie. Cl. Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1908, p. 186, 322, 338. 341, 344.

Pour prouver que l’eucharistie primitive ne se composait que du pain, Lietzmann invoque surtout les textes où seul est mentionné cet élément. Aux passages que nous avons cités au cours de cette étude de l’eucharistie des sectes, il ajoute les Actes des Apôtres dans lesquels il est parlé de la fraction du pain, ii, 42, 16, xx, 11, et le récit de la cène d’Emmaüs. Luc, xxiv, 30, 35. Un premier fait est à noter : On ne relève aucun texte qui proscrive positivement l’usage de l’élément liquide. Aucun témoignage des hérésiologues anciens ne nous révèle l’existence d’une secte ne consacrant l’eucharistie que sous l’espèce du pain. Sans doute, un certain nombre de passages empruntés à des écrits venus de groupes hérétiques ou suspects ne mentionnent dans la célébration de l’eucharistie que le pain. Est-ce pour abréger le récit ou parce que dans les communautés auxquelles appartient l’auteur on n’emploie pas une seconde espèce ? La question est insoluble.

En certains de ces écrits, tantôt la description du rite ne signale qu’un élément et tantôt elle parle de deux. Le fait s’explique à merveille. Si dans une Église on consacre l’eucharistie avec du pain et avec un second élément, vin ou eau, l’écrivain qui s’adresse à des membres de son groupe a suffisamment désigné le rite lorsqu’il a parlé simplement du premier de ces deux éléments. Tout le monde entendra que le second a été lui aussi employé. C’est seulement si un auteur veut faire une description complète de tous les rites qu’il est obligé de ne rien passer sous silence : on peut alors à bon droit conjecturer que ce qu’il tait n’a pas lieu. Or, qu’on examine les passages cités par Lietzmann, la plupart de ces textes sont des phrases qui, en dix ou vingt mots, décrivent le rite eucharistique. Leur silence ne prouve donc rien contre l’emploi d’un élément liquide dans l’eucharistie. D’ailleurs, même si on admet que certaines sectes usaient seulement de pain, on ne peut, sans aller contre les règles de la saine méthode historique, opposer cet usage restreint, douteux, peu connu, attesté par des groupes suspects, étranges, excentriques, à une pratique attestée par les témoignages les plus nombreux et les plus clairs de tous les écrivains du Nouveau Testament, et de tous les auteurs catholiques des trois premiers siècles qui ont parlé de l’eucharistie.

Les textes des Actes des Apôtres ne font pas exception : l’eucharistie n’y est nommée que d’un mot et en passant. Il est d’ailleurs des exégètes qui hésitent à voir dans les trois textes cités par Lietzmann des allusions à l’eucharistie. Quant à la cène d’Emmaus, elle est si spéciale qu’il est impossible de l’invoquer contre les récits de la cène que donnent saint Luc, les deux autres synoptiques et saint Paul, récits dans lesquels sont mentionnés le pain et la coupe. Toute la science et l’autorité de Lietzmann ne peuvent faire accepter ce qui est, de toute évidence, contraire à l’ensemble des témoignages de l’antiquité chrétienne.

Les dépositions des sectes et des hérétiques rendent par contre un très réel service. Elles établissent que le rite eucharistique était tenu pour une partie essentielle du christianisme. Il en était si bien ainsi que les sectes les plus hardies et les plus détachées de la grande Église croyaient devoir la garder. Seuls, les docètes sont signalés comme s’abstenant de l’eucharistie, mais ils ne le font pas parce qu’elle leur semble une innovation, un rite étranger au christianisme primitif : c’est leur conception de la chair du Christ qui leur impose leur attitude.

Il faut aussi souligner les très nombreux passages où ces écrits hétérodoxes ou suspects nomment l’eucharistie une offrande rituelle. S’ajoutant aux témoignages des écrivains de la grande Église et du Nouveau Testament, ces affirmations achèvent de prouver que la croyance au caractère sacrificiel de l’eucharistie était générale dès les premiers siècles.

VII Conclusions. — Des témoignages étudiésdécoule ce qui suit :

1o Dès l’origine, l’eucharistie ou action de grâces est célébrée dans toutes les communautés qui honorent Jésus. Nous ne connaissons qu’une exception : les docètes ne peuvent que s’abstenir de participer à la chair du Verbe, puisqu’ils ne croient pas à sa réalité. Leur cas ne démontre donc nullement que la cène soit une institution surajoutée à l’évangile primitif.

2o Que cette eucharistie ait été instituée par Jésus, c’est ce qu’affirment en termes exprès Clément de Rome, Justin, Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Hippolyte, Tertullien et Cyprien. Ces huit derniers écrivains rattachent la cène chrétienne au dernier repas pris par le Christ dans le cénacle avec ses disciples. D’antiques monuments paraissent bien attester, eux aussi, que l’eucharistie remonte au Seigneur. Cf. ici Bour, Eucharistie d’après les monuments de l’antiquité chrétienne, t. v, col. 1196. On peut même soutenir que ce fait est admis de tous les chrétiens. Chacun des témoins de l’eucharistie, alors même qu’il n’est pas amené à parler de son origine, la présente comme une institution essentielle du christianisme. L’Église et les fidèles ne pourraient pas la supprimer : elle émane d’une autorité supérieure à la leur.

3o Aussi l’eucharistie des catholiques ressemble-t-elle toujours et partout à la cène chrétienne que décrivent saint Paul et les Synoptiques : On y trouve non seulement du pain, mais une coupe. Il est même impossible de démontrer qu’en dehors de la grande Église en un groupe quelconque le pain était seul en usage. D’antiques monuments confirment cette proposition et prouvent l’usage du pain et de la coupe. Bour, art. cit., col. 1196-1197, 1205.

4o Chez les catholiques, dès l’origine, le liquide employé dans l’eucharistie a été du vin auquel on mélangeait de l’eau. Telle est encore la matière dont usaient certaines sectes, par exemple, les valentiniens, les gnostiques du second des Livres de Jéû et de la Pistis Sophia. Mais l’usage aquarien a été assez répandu et fort tenace. Il est signalé chez les ébionites, chez Marcion et ses disciples, chez Tatien, chez les dissidents attaqués par Clément d’Alexandrie, dans les milieux d’où viennent les Actes de Pierre et ceux de Thomas, ainsi que le Martyre de Pionius, enfin, chez des Africains de l’époque de Cyprien. Les écrivains catholiques réprouvent très énergiquement cette coutume et la déclarent hérétique. Les tenants de cet usage n’essayent pas de le justifier en le déclarant primitif. Les aquariens que combat l’évêque de Carthage mettent en avant divers prétextes. Il semble bien que l’usage aquarien ait été d’abord commandé par un rigorisme excessif : il n’est donc pas primitif. Certains monuments de la plus haute antiquité, par exemple l’inscription d’Abercius, attestent l’emploi du vin dans l’eucharistie. Bour, art. cit., col. 1196-1197 cf. art. Abercius, t. i, col. 57 et 65.

5o Au cours de l’eucharistie interviennent des officiants qui accomplissent un service liturgique réservé à eux seuls. C’est ce que montrent tous les textes, ceux des catholiques et ceux des sectes. Clément de Rome et Ignace insistent sur cette pensée.

Il y a un président qui fait l’eucharistie (Justin). C’est l’évêque (Didachè, Clément de Rome, Ignace, Irénée, Didascalie, Hippolyte, Tertullien, Cyprien) avec lequel peuvent concélébrer les prêtres (Hippolyte, Cyprien). Il arrive aussi à ces derniers d’operer seuls (Ignace, Denys d’Alexandrie, Tertullien, Cyprien) ; mais il faut que ce soit sur délégation de l’évêque (Ignace) ou conformément à ses prescriptions (Cyprien). Les diacres sont les collaborateurs de l’évêque, du président. Un de leurs offices est de distribuer aux fidèles l’eucharistie (Didachè, Clément de Rome, nace, Justin, Clément d’Alexandrie, Cyprien).

Sans doute, la Didachè reproduit des prières et des actions de grâces de tous les assistants, mais elle ne fait pas célébrer la fraction du pain et la bénédiction de la coupe par les simples fidèles. Pour le sacrifice, pour la fraction, elle ordonne qu’on choisisse avec soin des évêques et des diacres qui rempliront l’office des ministres itinérants des premiers jours, docteurs et prophètes. Tertullien lui-même, bien que, devenu montaniste, il tienne tous les laïques pour prêtres, ne leur reconnaît le droit d’user de leur sacerdoce que s’ils se trouvent au nombre de trois, dans un groupe où il n’y a aucun fidèle gratifié par l’Église d’une investiture spéciale, pour accomplir les fonctions liturgiques.

Tous les témoignages s’accordent à exiger des ministres de l’eucharistie une grande sainteté : ils doivent être irréprochables. Avec la bonne conscience Clément de Rome reclame d’eux la gravité, l’observation des règles imposées à leur office.

Mais les mêmes auteurs qui attestent le rôle liturgique propre à la hiérarchie affirment que l’action de grâces est un acte de toute l’Église. Il en est ainsi parce que le président accomplit ses fonctions dans l’assemblée des fidèles, parce qu’il s’exprime en leur nom et prie non seulement pour eux, mais pour les absents et tous les frères ; parce que les assistants lui répondent : Amen ; enfin parce qu’ils apportent la matière employée pour l’eucharistie. Ainsi, sans se contredire, les écrivains chrétiens affirment à la fois que l’eucharistie est faite par la hiérarchie et qu’elle est offerte par les laïques.

Il est encore attesté que l’action de grâces a lieu au nom de Jésus (Justin). On rend grâces au Père par le Fils (Hippolyte), par lui et par le Saint-Esprit (Justin). Quand le prêtre offre, il y a oblation de toute l’Église unie à Jésus-Christ, comme l’eau l’est au vin (Cyprien). Nous présentons nos prémices et nous adressons nos prières, ayant un grand pontife qui a pénétré dans le ciel (Origène).

6o Tous les textes sont d’accord pour nous apprendre que le président fait l’action de grâces sur ce qui est offert. Il eucharistie le pain et le vin.

Rappelons les formules les plus fameuses : L’aliment est eucharistie par une parole de prière qui vient de Jésus, écrit Justin. Trois fois Iréivée affirme que le pain et le vin recevant l’invocation, la parole de Dieu, deviennent l’eucharistie, corps et sang du Christ. D’après Origène, les dons de la cène sont transformés par la prière en un corps, en quelque chose de saint qui sanctifie.

Si on laisse aux mots leur sens obvie, si on observe que les écrivains chrétiens rattachent l’institution de la cène au dernier repas du Seigneur, si on se souvient que Justin, Clément d’Alexandrie, Origène, Hippolyte, Tertullien et Cyprien, pour expliquer le rite chrétien, rappellent les paroles de Jésus : Ceci est mon corps, on est obligé de conclure que ce n’est pas par une invocation à l’Esprit-Saint, mais par les paroles même du Sauveur que s’opère l’eucharistie. Voir art. Épiclèse, t. v, col. 232-233.

Au reste, l’unique anaphore de cette époque parvenue jusqu’à nous, celle d’Hippolyte, fait prononcer par l’évêque sur le pain et le vin les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Aussitôt après, l’officiant dit : Sous t’offrons le pain et le calice, te rendant grâces. C’est ensuite seulement qu’est récitée une invocation à l’Esprit-Saint. Encore ne demande-t-elle pas à celui-ci qu’il eucharistie les éléments, mais qu’il descende sur eux pour qu’en y participant les fidèles reçoivent aussi l’Esprit-Saint. La Didascalie lui attribue une action sur le rite lui-même. L’Esprit-Saint reçoit l’oraison de celui qui prie et il sanctifie l’eucharistie. Aucun autre texte de l’époque n’exprime pareille pensée. D’ailleurs la prière ainsi dotée de vertu par l’Esprit peut être l’oraison : Ceci est mon corps.

Dans plusieurs écrits émanant de milieux suspects ou hérétiques (Actes de Jean, de Pierre, de Thomas, livre de Jeu) l’eucharistie s’opère non seulement par les mots du Christ, mais par des invocations. Mais elles sont si variées, si étranges, si teintées de gnostitisme ou de magie, qu’il est impossible de recourir à elles pour découvrir le rite primitif. Il est à noter d’ailleurs que ces invocations ne s’adressent pas à l’Esprit-Saint.

7o Qui peut prendre part à l’eucharistie, c’est-à-dire y assister, y communier et l’offrir avec le président, car les trois rites sont alors régulièrement unis ?

Tous les écrivains catholiques sont d’accord pour exiger une grande pureté, tous insistent sur la sainteté du rite. D’abord il est nécessaire qu’on soit baptisé, donc qu’on ait la foi. Sous-entendue par tout le monde, cette condition est plus d’une fois affirmée (Didachè, Justin, etc.).

De plus, une vie irréprochable est requise. Chaque auteur exprime cette pensée à sa manière, insiste sur telle ou telle disposition ; mais partout le même souci de pureté morale se retrouve. La Didachè convie les saints. Qui ne l’est pas, doit faire pénitence. Tous les assistants sont invités à confesser leurs péchés. Il faut encore qu’on se réconcilie avec son ennemi. Ignace demande que les fidèles soient soumis à l’évêque, ainsi qu’au collège presbytéral, soutenus par la grâce, animés par la foi, pleinement unis à Jésus-Christ. Justin rappelle que, pour participer à l’assemblée chrétienne, on doit vivre comme le Christ l’enseigne. Irénée réclame une doctrine pure et une foi sans hypocrisie, une ferme espérance et une ardente charité : il faut craindre Dieu et avoir à l’égard de ses frères les sentiments prescrits. Enfin il importe que l’offrande soit faite avec joie et liberté. Origène requiert une intention saine, un esprit pur, une conscience sans tache. Hippolyte demande l’humilité. Tertullien et Cyprien ne sont pas moins sévères : ils insistent plus que personne sur la sainteté de l’eucharistie. L’évêque de Carthage redit maintes fois que, pour prendre part aux saints mystères, ii faut être en règle avec l’Église et se réconcilier avec elle par les exercices réguliers de la pénitence publique, si on a été séparé d’elle comme l’ont été par exemple les apostats. En temps de persécution seulement cette discipline peut s’adoucir. De même Firmilien ne veut pas qu’on laisse s’approcher de l’eucharistie ceux qui ont reçu le baptême des hérétiques. Nous savons même par Denys d’Alexandrie que l’interdiction de communier en raison d’un crime, par exemple de l’apostasie, peut durer jusqu’à la mort.

Ce respect de l’eucharistie fait exiger du corps lui-même une certaine dignité. Tertullien condamne ceux qui fréquentent les fêles païennes et les assemblées chrétiennes. II veut qu’à domicile on prenne l’eucharistie avant toute autre nourriture. Nous savons aussi qu’en Orient on se demande si la femme au moment critique du mois peut communier : Denys d’Alexandrie répond par la négative et la Didascalie est d’avis contraire. On se souvient enfin qu’Origène et Tertullien recommandent instamment de ne rien laisser tomber de l’eucharistie.

Les antiques monuments chrétiens confirment les témoignages des Pères : sur les fresques, le baptême précède l’eucharistie ; Pectorius d’Autun n’invite à la recevoir que la race divine du Poisson céleste. Ce mets sacré n’est servi qu’aux « amis », dit Abercius. Pour, art. cit., col. 1199. Même dans les écrits d’originc suspecte ou hérétique, on trouve des affirmations sur

la nécessité du baptême et des dispositions morales avant la communion (Actes de Jean, de Pierre, de Thomas).

L’eucharistie peut encore être utile aux absents. N’est-elle pas l’offrande de l'Église : aussi y prie-t-on pour elle (Didachè, Justin, Hippolyte, Cyprien). On y recommande aussi à Dieu spécialement certaines personnes autres que les assistants, par exemple, des membres de la hiérarchie, des confesseurs en prison, des bienfaiteurs, des ennemis, des pénitents. On sollicite des faveurs dont bénéficient même des personnes qui n’appartiennent pas à l'Église : la paix et la tranquillité publique, la conversion des pécheurs et des infidèles.

C’est par application de cette coutume qu’on imagine de désigfier spécialement un ou quelques fidèles pour lesquels l’eucharistie est spécialement offerte. Cyprien reconnaît au prêtre le droit de faire cette application : ce ne doit être évidemment qu’au profit de fidèles en règle avec l'Église. Tertullien atteste le même usage.

De la même manière le célébrant peut offrir l’eucharistie pour certains morts désignés par lui ; Tertullien et Cyprien qui signalent cet usage, ajoutent qu’il est ancien. Cette fois encore, l'évêque de Carthage rappelle que des règles de l'Église ne permettent pas de faire cette application au profit de tous les défunts : il en est qui sont exclus. Il faut donc être mort dans la paix de l'Église. La Didascnlie nous apprend qu’en Orient aussi on offre pour les défunts. Les Actes de Jean, nous signalent la fraction du pain par l’apôtre et les frères, sur le tombeau de Drusiana, le troisième jour après sa mort. Nous savons aussi par le Marlyrium Polycarpi, qu’on célébrait l’eucharistie à l’anniversaire du décès des confesseurs. L’usage est encore attesté par la Didascalie, Tertullien et Cyprien. En faveur de l’existence de l’antique coutume d’offrir le sacrifice pour les morts, il semble qu’on peut aussi invoquer le témoignage d’antiques monuments chrétiens. Cf. Bour, art. cit., col. 1202-1203.

8° Sur les effets du rite eucharistique, dès l’origine jusqu'à saint Cyprien, les écrivains chrétiens tiennent le m}me langage. Cette cérémonie est action de grâces et prière, elle honore Dieu et sanctifie l’homme, elle plaît au ciel et profite à la terre.

Tous les anciens témoins montrent dans cet acte un hommage de reconnaissance offert à Dieu. Les fidèles lui expriment leur gratitude et pour les divers bienfaits de la création énumérés en détail ou rappelés d’un mot, et pour les dons apportés par Jésus-Christ au cours de sa vie et dans sa passion. Rendre grâces ainsi, c’est sans doute remercier ; mais par là même c’est adorer Dieu, le louer, le glorifier, lui offrir le culte qui n’est dû qu'à lui. On attribue à l’eucharistie ces effets.

Par elle aussi, et sans doute parce qu’elle plaît à Dieu, le fidèle croit pouvoir obtenir de nouveaux bienfaits pour lui et pour autrui. Qu’il en soit ainsi, c’est ce que démontrent pleinement les affirmations de tous les écrivains de l'époque ; l’usage de recommander à Dieu pendant la cérémonie les assistants, d’autres personnes et toute l'Église ; enfin l’habitude d’offrir l’eucharistie pour des vivants et des morts déterminés.

Qu’espère-t-on obtenir ? Si on examine les affirmations très générales des textes, il faut répondre que de l’eucharistie les fidèles attendent tout ce qu’ils peuvent légitimement désirer pour eux et l'Église. Notons parmi les faveurs escomptées la rémission des péchés, le salut, l’entrée dans le royaume : non seulement des témoignages précis l’attestent, mais la pratique des sacrifices pour les morts suffirait à l'établir. Souvent aussi on signale comme un fruit de l’euchaistie la sainteté, la victoire sur le démon, une vie

pure et l’union à Jésus-Christ. L’eucharistie a aussi pour effet l’accroissement de la charité fraternelle ; elle unit les chrétiens sur terre et demande qu’ils soient rassemblées dans le royaume céleste. Il est d’autres faveurs qui semblent plutôt devoir être attribuées à la communion proprement dite : la vie éternelle, l’immortalité du corps, la joie d’une sainte ivresse que signale Cyprien, le bonheur de goûter le vin délicieux et l’aliment doux comme le miel dont parlent Hippolyte, Pectorius d’Autun et Abercius.

Au reste, puisqu’aux origines quiconque assistait aux saints mystères, y participait, on ne distinguait pas, avec la précision des théologiens modernes, les effets du sacrifice et ceux de la communion.

9° Que cette eucharistie ne soit pas une simple prière, c’est ce que prouvent déjà avec l’emploi du pain et du viii, l’intervention d’une hiérarchie dotée de pouvoirs réservés à elle exclusivement.

Ce rite est un sacrifice proprement dit. Ainsi est-il nommé par la Didachè, Justin, Origène, Firmilien, Hippolyte, Tertullien et Cyprien. D’autres auteurs, Clément de Rome, Clément d’Alexandrie, Corneille et la Didascalie montrent dans l’eucharistie une offrande rituelle et liturgique ; Ignace ne peut la nommer sans parler de l’autel chrétien.

Ce sacrifice est analogue à ceux de l’Ancienne Loi et leur succède (Didachè, Clément de Rome, Justin, Origène, Hippolyte, Tertullien et Cyprien). Il a été figuré par celui de Melchisédech (Clément d’Alexandrie et Cyprien) ; c’est le sacrifice pur annoncé par Malachie (Didachè, Justin, Irénée, Hippolyte, Cyprien). Il semble bien aussi que chez plusieurs écrivains anciens la locution sanctifier le pain, le rendre saint, ait le sens de le vouer à Dieu, de le sacrifier (Didachè, Clément d’Alexandrie, Origène, Denys d’Alexandrie, Firmilien, Didascalie, Tertullien et Cyprien).

Dans des écrits apocryphes eux-mêmes se trouvent des expressions semblables : l’eucharistie est une offrande rituelle (Actes de Jean, Pistis Sophia), un sacrifice (Actes de Pierre et IIe livre de Jéû). A noter encore un monument de la plus haute antiquité (première moitié du iie siècle). Dans une des chapelles des Sacrements, à la catacombe de Calliste, à côté de la scène dite de la consécration et de celle du repas eucharistique, est représenté le sacrifice d’Abraham. Des juges très sùrs(Rossi, Wilpert, Marucchi, Leclercq, Bour) n’hésitent pas à conclure que l’artiste fait allusion au caractère sacrificiel de l’eucharistie. Cf. Bour, art. cit., p. 1201.

Sans doute, Clément de Rome, Justin, Aristide, Athéiagore, Apollonius, l'Épître à Diognète, Minucius Félix, Clément d’Alexandrie et Tertullien déclarent que les chrétiens n’offrent pas de sacrifices à la Divinité pour satisfaire à ses besoins. Mais ce qu’ils repoussent ainsi, c’est l’oblation conçue à la manière païenne et déjà réprouvée par l’Ancien Testament. Pour établir que ces écrivains ne nient pas l’existence d’un sacrifice chrétien, il suffit d’observer que trois d’entre eux l’affirment très clairement : Justin, Clément d’Alexandrie et Tertullien.

10° Pourquoi l’eucharistie était-elle tenue, des origines à saint Cyprien, pour un sacrifice ?

Assurément, ce n’est pas parce qu’elle est une offrande de pain et de vin. Aucun texte ne permet de voir un sacrifice dans l’acte des fidèles donnant à la hiérarchie, apportant à l’assemblée ce qui était nécessaire pour l’eucharistie ou l’agape, la subsistance du clergé ou l’entretien des pauvres. Tout ce que nous savons du rite chrétien primitif condamne cette hypothèse.

Les antiques témoins de l’eucharistie ne paraissent pas soupçonner davantage qu’il y a en elle destruction 9(>1

MESSE DANS L’ANTIQUITÉ : CONCLUSIONS

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d’une victime, Wieland a pu aisément le démontrer. Il a eu tort de conclure que l’eucharistie était une simple oblation de prières. Des textes nombreux et formels montrent qu’elle esi un sacrifice proprement dit.

Comment ? — Certes les premiers chrétiens n’ont pas disserté sur l’essence du sacrifice de la messe, comme l’ont fait les théologiens postérieurs au concile de Trente. Pourtant] il est difficile d’admettre qu’ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient dire, quand ils attribuaient à l’eucharistie le caractère d’une oblation rituelle.

Un fait est certain et domine tout. Dès la plus haute antiquité, il a été admis et affirmé que la cène chrétienne se rattache au dernier repas pris par Jésus avec les Douze, la veille de sa mort. D’autre part, quatre des principaux témoins de l’eucharistie à cette époque, les seuls qui offrent des éléments de réponse à la question ici posée, 'Irénée, Origène, Hippolyte et Cyprien, s’accordent à présenter d’une manière complète ou imparfaite une même synthèse.

D’après l'évêque de Lyon, pour rendre grâces à Dieu, l'Église lui présente dans l’eucharistie ce que Jésus lui a ofîert au cénacle, son corps et son sang, prémices du monde racheté par leur immolation sur la croix. Un tel don, si ceux qui le font au Très-Haut ont les sentiments requis, ne peut que lui être agréable. Aussi Dieu daigne-t-il nous le rendre, et nous mangeons la chair du Christ qui nous donne l’immortalité, la vie divine.

Origène exprime de semblables pensées, parfois en des termes identiques. Les chrétiens rendent grâces à Dieu en lui offrant les prémices de ses dons, le pain qui dans l’eucharistie devient le corps saint offert jadis par Jésus lui-même au cénacle, corps, dont le sang a coulé sur la croix pour le salut des hommes. Si nos dispositions sont ce qu’elles doivent être, pendant que nous prions ainsi, Jésus, notre grand pontife qui a pénétré dans le ciel se joint à nous ; nos dons alors ne peuvent qu'être agréés. Mais Dieu ne nous demande que pour avoir l’occasion de donner ; il nous rend ce que nous lui offrons, et il y ajoute ce que nous ne lui avons pas présenté. A la place des bien terrestres, il nous communique les biens célestes dans le Christ Jésus. Nous le recevons et le sang du Sauveur nous devient propitiatoire.

Hippolyte ne s’exprime guère différemment. Dans l’anaphore qu’il nous a conservée, l’officiant redit sur le pain et le vin les mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Il se souvient donc de la passion que Jésus a offerte par ces paroles à son Père. Mais il se rappelle aussi la résurrection, dit l’anaphore. L’officiant pense donc aussi à la chair de Jésus qui est au ciel. L’esprit fixé sur ces souvenirs, il rend grâces en offrant le pain et le vin sur lesquels a été prononcée la parole de Dieu. Ces dons se confondent avec cette chair céleste du Christ dont Hippolyte dit ailleurs qu'à elle l’humanité souhaite unir sa propre chair. Aussi l’officiant demandet-il alors dans son anaphore que Dieu envoie sur l’oblation son Esprit-Saint pour que les fidèles par la communion en soient remplis.

Ne sont-ce pas encore des pensées semblables qu’on découvre en Cyprien ? D’après lui, dans l’eucharistie l'Église fait ce qu’a fait le Christ. Or, il a offert sa passion en laquelle le peuple chrétien lui était intimement uni, comme l’eau l’est au vin. L’eucharistie est donc un sacrifice parce que la hiérarchie, et par elle l'Église tout entière, présente à Dieu le corps et le sang immolés jadis sur la croix ; corps et sang d’abord offerts à la cène où les Douze avaient communié pour y participer. Telle avait été l’oblation du Nouveau Testament, enseignée et ordonnée par Jésus : telle est donc aussi celle des chrétiens et de l'Église. Voilà

DICT. DE THÉOL. f.ATH.

pourquoi sans doute, Cyprien dit qu’ils offrent non seulement la passion, mais encore la résurrection, non seulement la chair morte du Calvaire, mais la chair vivante du ciel à laquelle s’unit notre c hair, comme se mêlent dans le calice les éléments de l’eucharistie.

Ainsi que trouve-t-on dans ces quatre témoins de la croyance antique, sinon la conception suivante : Le rite chrétien reproduit la cène primitive. Ici comme là, les disciples du Christ et Jésus offrent au Père son corps et son sang, la victime du Golgotha. Le don ne peut qu'être agréé de Dieu ; mais après avoir été reçu par lui, il nous revient, chargé de bénédictions célestes que nous recevons par la participation à ce qu’ont reçu les Douze, au pain* et au vin devenus corps et sang du Christ.

Ainsi pensent les quatre écrivains de l’antiquité qui seuls nous renseignent quelque peu sur la manière dont on concevait alors le sacrifice. D’autre part, Cyprien, c’est l’Afrique, Origène l’Egypte et la Palestine, Irénée la Gaule et l’Asie, Hippolyte enfin Rome. Ce dernier nous livre sa pensée en reproduisant une anaphore, la plus ancienne que nous possédions et où se trouvent exprimes non seulement son sentiment personnel, mais les croyances reçues dans son milieu. Il semble donc bien qu’on ne s’avance pas trop en présentant ces conceptions comme celles qui ont des chances de ressembler aux idées reçues à l’origine sur ce qui fait de l’eucharistie un sacrifice.

A l’appui de ce sentiment, plusieurs considérations peuvent être invoquées. Cette théorie admise, on comprend fort bien pourquoi, chez tous les auteurs anciens, le rite chrétien est tenu pour agréable à Dieu et utile à l’hemme ; pourquoi tous voient en lui action de grâces et prière. L’eucharistie est donnée au Père, puis nous fait retour. Elle est, comme on dit alors : sacrifice d’action de grâces et sacrifice d’alliance.

Cette conception est aussi la synthèse de toutes les données du Nouveau Testament. On y retrouve les affirmations de Faul et des Synoptiques sur ce que Jésus a fait à la cène et sur ce qu’il a ordonné de réitérer ; la doctrine de l'Épitre aux Hébreux sur la médiation du Christ au ciel ; l’enseignement de la Première aux Corinthiens sur la « communion » au corps du Christ, analogue à la participation d’Israël à l’autel juif et des païens aux viandes immolées aux idoles.

Les premiers chrétiens ne devaient-ils pas d’ailleurs tout naturellement concevoir ainsi l’oblation eucharistique '? Pour des païens ou des juifs de la veille, pour les hommes des premiers siècles, le mot sacrifice avait un sens précis ; on offrait alors à côté d’eux des oblations rituelles, auxquelles beaucoup avaient jadis participé. Or le païen voulait donner à la Divinité des aliments, des libations, des parfums. Elle les agréait, les récompensait par des faveurs, parfois même elle invitait à sa table son adorateur. Le juif présentait à Jahvé les victimes prescrites pour rendre grâces et obtenir des bienfaits. En certains sacrifices, le Seigneur ne se réservait qu’une part de l’offrande et rendait l’autre à son serviteur. De plus, l’alliance mosaïque avait été conclue par l’effusion sur le peuple du sang des victimes. Des hommes auxquels ces notions étaient familières et qui n’avaient jamais conçu autrement le sacrifice, ne pouvaient voir dans l’eucharistie que le don fait à Dieu pour lui plaire, et par Dieu à l'Église pour la sanctifier.

Dernier argument : A coup sûr, les premières liturgies, si on excepte l’anaphore d’Hippolyte, nous sont parvenues dans des écrits postérieurs à saint Cyprien. Mais ces documents (Euchologe de Se’rapion, II" et VIII » livre « 'es Constitutions apostoliques etc.) reproduisent des textes qui sont plus anciens. Ce qui se trouve dans tous peut vraisemblablement être

X. — 31 tenu pour remontant à une très haute antiquité. Or, partout, après avoir redit sur les aliments choisis par le Christ à la première cène les mots prononcés par lui en ce dernier repas, l’officiant offre à Dieu, en action de grâces, le pain et la coupe, corps et sang du Christ, afin que ces dons soient agréés du Très-Haut, et que remplis de ses bénédictions ils soient ensuite par la communion une source de bienfaits célestes pour les fidèles.

Nous croyons donc pouvoir l’affirmer : cette conception est celle qu’expriment les plus antiques liturgies, celle qui s’accorde avec le langage de tous les anciens écrivains chrétiens et que plusieurs d’entre eux énoncent en termes formels ; elle est enfin celle qu’on obtient si on fond en un seul tout les données, du Nouveau Testament : les Synoptiques, la Première aux Corinthiens, l’Épître aux Hébreux. A l’auteur de cet article et du précédent qui a eu le constant souci de ne jamais substituer sa pensée à celle d’autrui, peut-être sera-t-il permis, au terme de son travail, d’ajouter d’un mot qu’à son humble avis cette théorie sur l’essence de sacrifice de la messe, est, de toutes, la moins subtile et la plus facile à justifier, la moins surchargée de concepts étrangers au christianisme primitif, et la plus respectueuse des enseignements révélés sur l’unité du sacerdoce et du sacrifice de Jésus ; c’est celle qui lui semble avoir été celle des premier chrétiens, des apôtres et du Christ.

Nulle part peut-être cette conception n’est mieux exprimée que dans un document vénérable et dont certaines parties, nous l’avons observé, sont plus anciennes que Tertullien et Cyprien, les prières du Canon romain après la consécration :

Se souvenant de la passion, de la résurrection et de l’ascension de Jésus-Christ, le peuple chrétien, par le célébrant, offre au Père la seule victime digne de lui, le pain et le vin devenus le corps et le sang de son Fils. Il est demandé que cette offrande soit agréée, comme l’ont été les dons d’Abel, le sacrifice d’Abraham et l’oblation de Melchisédech. Qu’elle soit donc portée par l’Ange de Dieu sur son sublime autel, en présence de la divine majesté, afin que, participant à cet autel pour recevoir le corps et le sang du Christ, les fidèles soient remplis de toute grâce et de bénédiction céleste.

Ce morceau fait connaître en même temps des conceptions très anciennes et la foi d’aujourd’hui n’exprime-t-il pas les croyances de toujours ?

Ne sont pas mentionnées ici les monographies consacrées a l’étude d’un écrivain particulier : elles sont citées au cours du développement consacré à cet auteur. Impossible aussi et inutile de mentionner tous les ouvrages généraux de théologie, d’histoire et de liturgie.

I. Travaux catholiques.

P. Batiffol, Études d’histoire et de théologie positive, IIe série. L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 8e édit., Paris, 1920 ; du même, art..4 quariens, dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie t. i, 1007, col. 26-18 ; J. Brinktrine, Der Messopferbegriff in den ersten zwei Jahrhunderten, Fribourg-en-B., 1918 ; F. Cabrol, Les origines liturgiques, Paris, 1906 ; O. Case], Oblalio rationabilis, dans Tiibinger theol. (Juarlalschrijt, 1917-1918, p. 419 ; du même, Das Gedàchlnis des Ilerrn in der allchristlichen Liturgie, Fribourg-en-B. ; du même, Die Liturgie als Mi/sterienfeier, dans Ecclesia Orans, t. ix, Fribourg, 1923 ; I. Coppens, L’offrande des fidèles dans la liturgie eucharistique ancienne, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, Louvain, 1927, t. v, p. 93 sq. ; É. Dorsch, Allar nnd Opfer, dans Zeilschri/tfiir kathol. Théologie, 1908, t. xxxii, p. 307-352 ; du même, Der Upfercharakter der Eucharistie einst und jetzt, Inspruck, 1909 ; du même, Aphorismen und Erwàgungen zur Beleuchtung des vornicànischen Opferbegriffs, dans Zeitschrift fiir kathol. Théologie, 1910, t. xxxiv, p. 71117 ; F. Duchesne, Les origines du culte chrétien, 4e édit., Paris, 1908 ; A. Fortescue, La messe, étude sur la liturgie romaine, trad. par A. Boudinhon, 2e édit., Paris, 1921 ;

A. Iluppertz, Veber den Opferbegriff der drei ersten christlichen Jahrhunderle, dans Der Katholik, 1908, t. xxxvii, p. 431 sq., 1909, t. xxxix, p. 126 sq., 188 sq. ; II. Lamiroy, De essentia ss. missæ sacrificii, Louvain, 1919 ; J. Lebreton, art. Eucharistie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1910, l. i, col. 1548 sq. ; F. Probst, Liturgie der ersten drei christlirhen Jahrhunderle, Tubingue, 1870 ; G. Bauschen, L’eucharistie et la pénitence durant les six premiers siècles de l’Eglise, trad. Bicard, Paris, 1910 ; F. S. BonL, Die Geschichle des Messopferbegriff » oder der aile Glaube und die neuen Theorien iiber das Wesen des unbluligen Opfers, Frisingue, 1901 ; A. Sçheiwiller, Die Elernenle der Eucharistie in den ersten drei Jahrhunderten, dans Eorschungen zur chrisUichen Lileratur und Dogmengeschichte, t. iii, fasc. 4, Mayence, 1903 ; A. Schmid, Dr. Wieland Franz, Mensa und Confessio, dans Der Katholik, 1900, t. xxxiv, p. 23."> sq. et Mayence, 1906 ; A. Slruckmann, Die Gegenwart Christi in der heiligen Eucharistie nach den schriftlichen Quellen der vornicànischen Zeit, Vienne, 190.") ; M. de la Taille, Mysterium fidei, De augustissimo corporis et sanguinis Christi sacrificio et sacramento elucidaliones L in 1res libros distincUv, Paris, 1924 ; J.-B. Thibaut, La liturgie romaine, Paris, 1924 ; A. Vacant, Histoire de la conception du sacrifice de la messe dans l’Église latine, Lyon, 1894 ; F. Wieland, Mensa et confessio, Stndien iiber den Altur der altchristlichen Liturgie. I. Der Allar der vorkonstantinischen Kirche, Munich, 1906 ; du même Der vornicànische Opferbegriff, Munich, 1999 ; A. Schmid, Erwiderung, dans Der Katholik, 1906, t. xxxiv, p. 399 et D’Wieland, Eingesandt, dans Der Katholik, 1908, t. xxxviii, p. 463.

II. Travaux non catholiques.

On trouvera sur les ouvrages parus avant 1913, des indications dans la bibliographie de l’article Eucharistie d’après les pères, t. v, col. 1183, et aussi dans celle de l’article Eucharistie d’après la sainte Écriuire, t. v, col. 1120-1121, comme aussi au cours de ce dernier article, col. 1024-1030. Sur les ouvrages parus depuis 1913, voir la bibliographie de l’article Messe d’après la sainte Écriture, et ce qui a été dit de ces écrits au cours de ce dernier article.

f C. Ruch.


III. LE SACRIFICE DE LA MESSE DANS L’ÉGLISE LATINE DU IV » SIÈCLE JUSQU’A LA VEILLE DE LA RÉFORME.


I. Les Pères des IVe et Ve siècles.
II. De saint Augustin à saint Grégoire le Grand (col. 976).
III. De saint Grégoire à l’époque de Charlemagne (col. 981).
IV. Les débuts de la Renaissance carolingienne (col. 993).
V. La controverse eucharistique du IXe siècle (col. 1009).
VI. La controverse bérengarienne du IXe siècle (col. 1027).
VII. Les résultats acquis à la fin du XIe siècle (col. 1031).
VIII. Les débuts de la scolastique (col. 1037).
IX. Les grands théologiens du XIIIe siècle (col. 1052).
X. Les continuateurs aux XIVe et XVe siècles (col. 1068).

I. Les Pères du IVe et du Ve siècle, plus particulièrement saint Ambroise et saint Augustin.

Depuis la mort de saint Cyprien, jusqu’à l’époque de saint Ambroise et de saint Augustin, la question du sacrifice eucharistique tient relativement peu de place dans les écrits des Pères d’Occident.

A cela rien d’étonnant : l’Église vit en possession tranquille du mémorial institué par le Sauveur ; elle a conscience de posséder un autel, un sacerdoce, un sacrifice. Les Pères de l’époque précédente, saint Irénée, saint Cyprien surtout, l’ont dotée d’un langage précis pour enseigner aux fidèles le sens du mystère eucharistique. Il suffit à ses évêques, à ses. commentateurs d’utiliser ce langage pour expliquer aux chrétiens le sacrifice qu’ils ont sous les yeux.

Ce que fut ce témoignage pratique rendu par les Pères d’Occident au caractère sacrificiel de l’eucharistie, nous le percevons à travers les réflexions de saint Hilaire sur le réalisme de la chair eucharistique, les allusions de saint Optât de Milève", les commentaires de saint Jérôme, de l’Ambrosiaster, surtout à travers les homélies de saint Ambroise et de saint Augustin. Le témoignage de ces Pères mérite d’être