Dictionnaire des proverbes (Quitard)/gibet

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gibet. — Le gibet ne perd jamais ses droits.

C’est-à-dire que les criminels sont punis tôt ou tard. Ce proverbe n’est pas toujours vrai, et il est démenti par cet autre, Le gibet n’est que pour les malheureux, dont le sens est, que les richesses et le crédit sauvent ordinairement les grands criminels.

On rapporte que Charles-Quint, passant un jour devant un gibet, ôta son chapeau pour le saluer très respectueusement. Nous avons aujourd’hui bien des gens qui seraient tentés d’en faire autant devant l’échafaud. Ils le regardent comme une des bases de la civilisation ; ils pensent que, si la civilisation touche au ciel par des théorèmes, elle n’a pas sur la terre de plus solide appui que l’échafaud. C’est de la présence de cet instrument de justice que vient toute leur sécurité. Ils ressemblent trait pour trait à un homme dont voici l’histoire : — Cet homme, échappé d’un naufrage, aborde sur une côte escarpée. Le danger qu’il vient de courir remplit encore ses sens de terreur. Il se figure qu’il foule une terre inhospitalière ; son imagination troublée ne lui montre que des anthropophages prêts à le dévorer ; il se glisse entre les rochers et les arbres, précipitant ou suspendant ses pas tour à tour, et croyant entendre son arrêt de mort dans le moindre bruit ; il arrive enfin à un endroit marqué par des traces humaines. À cette vue, il recule épouvanté ; mais, ô bonheur inespéré ! en se détournant, il a découvert un gibet. À l’instant, son cœur ne bat plus que de joie ; il lève les yeux au ciel, et s’écrie : Dieu soit béni ! je suis dans un pays civilisé.

Malheureux comme un gibet.

Dans l’antiquité, le gibet était fait du bois de certains arbres appelés malheureux, maudits par la religion et réputés stériles, tels que le peuplier, l’aune et l’orme. Infelices arbores, damnatæque religionis, quæ nec seruntur nec ferunt fructum, quales populus, alnus, ulmus. (Pline, Hist. nat., lib. xxvi.) C’est probablement de là qu’est venue l’expression proverbiale. — On dit aussi : Plus malheureux que le bois dont on fait le gibet, ce que Pasquier a pris pour titre du chapitre 40 du livre viii de ses Recherches, où il prétend que cette expression fait allusion au gibet de Montfaucon qui porta malheur à tous ceux qui le firent construire ou réparer. En effet, remarque-t-il, Enguerrant de Marigny, premier auteur de ce gibet, y fut pendu ; un général des finances de Charles-le-Bel, Pierre Rémy, qui ordonna de le reconstruire, y fut attaché à son tour, sous le règne de Philippe de-Valois ; « et de notre temps, ajoute-t-il, Jean Moulnier, lieutenant civil de Paris, y ayant fait mettre la main pour le refaire, la fortune courût sur lui, sinon de la penderie, comme aux deux autres, pour le moins d’amende honorable, à laquelle il fut condamné. »

Cette tradition sur le gibet de Montfaucon rappelle celle des Romains sur le cheval Séien. C’était un superbe animal qu’une généalogie fabuleuse fesait descendre des chevaux de Diomède qui dévorèrent leur maître ; et l’on croyait que la destinée avait voulu qu’il eût une sorte de ressemblance avec ces chevaux, en attachant fatalement à sa possession la perte de son possesseur. Cnéius Séius, à qui il appartint d’abord, fut livré au bourreau par Marc-Antoine. Dolabella, qui en fit l’acquisition, périt bientôt après de mort violente. Deux autres acquéreurs, Cassius et Marc-Antoine, l’auteur du supplice du premier propriétaire, eurent une fin tragique. Enfin, un cinquième, Nigidius, se noya avec ce funeste cheval, en traversant la rivière de Marathon ; et le souvenir de tant de malheurs passa en proverbe. On disait à Rome d’un homme poursuivi par une fatalité constante qui ne lui permettait de réussir en rien : Equum habet seianum ; il a le cheval séien ou le cheval de Séius.

Si le gibet avait une bouche comme il a des oreilles, il appellerait à lui bien des gens.

Ce vieux proverbe, tombé en désuétude, est fondé sur un usage de la législation pénale d’autrefois : le bourreau coupait les oreilles des filous repris de justice, ce qui s’appelait essoriller, et il les clouait au gibet. Ce supplice fut infligé, sous Charles VIII, à Dojac, qui avait été l’un des ministres de Louis XI. — En Angleterre, les auteurs qui déplaisaient au gouvernement étaient attachés au pilori par les oreilles ; et une telle punition fut en vigueur jusque sous le protectorat de Cromwell.