Dictionnaire des proverbes (Quitard)/haro

La bibliothèque libre.

haro. — Crier haro sur quelqu’un.

C’est se récrier avec indignation sur ce qu’il fait ou dit mal à propos. — L’opinion la plus accréditée sur le mot haro est celle qui le fait dériver de Rol ou Rollon, chef des Normands, qui, en vertu du traité de Saint-Clair sur Epte, en 912, se fit baptiser pour épouser Giselle, fille de Charles-le-Simple, et devint le premier duc de Normandie sous le nom de Robert, parce que Robert, duc de France et de Paris, lui avait servi de parrain. Rollon fut, dit-on, après sa conversion, un souverain si zélé pour le maintien de l’ordre et de la justice, et si redouté des méchants, que son nom seul prononcé réprimait leurs entreprises. Les lois qu’il fit contre le vol furent si exactement observées, qu’on n’osait même ramasser ce qu’on trouvait, dans la crainte d’être accusé de l’avoir dérobé. Un jour, qu’il chassait dans la forêt de Roumare, un seigneur franc, qui était parmi les officiers de sa suite, lui ayant dit qu’il se croirait perdu s’il avait le malheur de passer tout seul, de nuit, dans cette forêt : vous avez tort, répondit le duc, car vous y seriez en sureté comme chez vous. En même temps il détacha un collier d’or qu’il portait à son cou, et le suspendit à un arbre, en jurant qu’aucun homme n’aurait la hardiesse d’y toucher. En effet, trois ans après, lorsqu’il mourut, le collier était encore suspendu à l’arbre d’où on le retira pour le mettre dans son cercueil. On a conclu de ces divers traits et de la ressemblance qu’il y a entre l’exclamation ha ! Rol et haro que ce dernier mot, ainsi que l’usage de faire arrêt sur quelqu’un ou sur quelque chose était un reste d’invocation à Rol ou Rollon. Cependant l’usage et le mot existaient avant le prince normand ; ce qui a fait croire à quelques auteurs qu’il fallait les rapporter à Harold, prince danois, qui était grand conservateur de la justice à Mayence, en 815 ; mais c’est encore une erreur. Haro est un dérivé du verbe celtique haren (crier, appeler en aide), et il est le même que son homonyme harau qui signifie secours. On trouve dans le Vieux Testament en vers : harau, harau, je me repens.

Quant à l’usage de faire arrêt pour procéder ensuite en justice, il était connu des Romains qui le nommaient quiritatio quiritum. Lorsqu’ils étaient injustement opprimés, du temps de la république, ils invoquaient par une plainte publique l’assistance des citoyens ; et du temps de l’empire, ils s’écriaient : O César ! ce dernier cri était si respecté qu’après qu’il avait été proféré, on cessait toute poursuite pour recourir à la décision de l’empereur, même quand il s’agissait d’un criminel que l’on conduisait au supplice. Nous voyons, dans le iiie livre du roman d’Apulée, que l’âne d’or, en traversant un village, s’efforça de faire entendre ce cri pour être délivré des voleurs qui l’emmenaient. Il prononça assez distinctement ô à plusieurs reprises, mais il ne put venir à bout de dire César.

La clameur de haro fut si révérée en Normandie, que lorsqu’on allait enterrer Guillaume-le-Conquérant dans l’église de Saint-Étienne de Caen, qu’il avait fait bâtir, un bourgeois de la ville nommé Ascelin, fit suspendre les funérailles par cette clameur. Il disait que l’emplacement de cette église avait été usurpé sur le champ de son père Arthur par le prince, et il s’opposait à ce que l’usurpateur y fût inhumé. On vérifia le fait à l’instant, et on donna soixante sols à Ascelin pour la place de la sépulture, avec promesse de lui payer dans quelque temps le reste de sa terre.