Dictionnaire des proverbes (Quitard)/vie

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vie. — Cache ta vie.

Ce précepte proverbial, que Suidas attribue à Néoclès, frère d’Épicure, était fort estimé des épicuriens, qui enseignaient par là de ne point se mêler des affaires publiques avec lesquelles le bonheur leur semblait incompatible. Plutarque, indigné d’une telle doctrine, en a fait une critique rigoureuse dans un traité particulier où il la signale comme destructive de tous les intérêts sociaux. Mais, quoi qu’il en dise, le mot cache ta vie est assez bien trouvé pour nous apprendre que notre prospérité nous expose aux traits de l’envie, et qu’il est prudent de cacher nos avantages pour être heureux. C’est ainsi qu’il faut l’entendre, et c’est ainsi que Voltaire l’a entendu dans ces vers qu’il adresse au bonheur personnifié, sous le nom grec de Macare.

Macare, c’est toi qu’on désire :
On t’aime, on te perd, et je croi
Que je t’ai rencontré chez moi,
Mais je me garde de le dire.
Quand on se vante de t’avoir,
On en est privé par l’envie ;
Pour te garder il faut savoir
Te cacher et cacher sa vie.

Vie courte et bonne.

On dit presque toujours courte et bonne, en sous-entendant vie. — C’est le mot des amis de la joie, pour signifier qu’ils ne tiennent pas à se ménager une longue existence en renonçant à l’abus des plaisirs. Ce mot obtint une célébrité historique à l’époque de la Régence, par la répétition fréquente qu’en fesait la duchesse de Berry, fille du Régent, princesse aimable et spirituelle, qui fut servie à souhait et moissonnée à la fleur de l’âge.

Les voluptueux de Rome avaient adopté pour devise le vers suivant d’une traduction qu’avait faite Cécilius de la comédie de Ménandre, intitulée Hymnis.

Mihi sex menses satis sunt vitæ : septimum orco spondeo.

Ce que Regnier-Desmarais a rendu ainsi :

Donnez-moi six mois de plaisir :
Je donne à Pluton le septième.

Saint Chrysostome rapporte, dans sa lxxive homélie, un proverbe grec très analogue, que Novarinus a traduit ainsi en latin dans son recueil : Adsit suave quiddam et jucundum, et suffocet me ! Vienne quelque chose de doux et de délicieux, et que j’en sois suffoqué !

Les Allemands disent dans le même sens : Ein gutes Mahl und dann der Galgen ! Un bon dîner, et la potence !

Que Bacchus, la table ont d’appas !
A Paphos, Vénus, tu m’entraînes !
Oh ! ne m’attachez point aux mâts,
Si j’entends chanter les Sirènes !

(Ducis.)

Au dicton, courte et bonne, les gens sensés répondent par cette remarque qui en est le corollaire : C’est la vie du cochon.

Ce sacrifice de l’avenir au présent, est un calcul faux et funeste. Écoutons Bossuet : « Quelle honte, s’écrie-t-il, quelle infamie, quelle ruine dans les fortunes, quels déréglements dans les esprits, quelles infirmités dans les corps n’ont pas été introduites par l’amour désordonné des plaisirs !… Les tyrans ont-ils jamais inventé des tortures plus insupportables que celles que les plaisirs font souffrir à ceux qui s’y abandonnent ? Ils ont amené dans le monde des maux inconnus au genre humain ; et les médecins nous enseignent d’un commun accord que ces funestes complications de symptômes et de maladies qui déconcertent leur art, confondent leurs expériences et démentent si souvent leurs anciens aphorismes, ont leurs sources dans les plaisirs. »

Saint Augustin, peignant les suites fâcheuses de la volupté, compare les plaisirs aux racines des ronces. Ces racines, dit-il, sont douces et on les manie sans être piqué, mais c’est de là que vient ce qui pique. Lenes sunt et radices spinarum. Si quis eas contrectet non pungitur ; sed quo pungeris inde nascitur.

La volupté, disent quelques sages, doit être dans la vie, à l’égard de nos actions, comme un grain de sel qui les assaisonne et qui n’y peut entrer avec excès sans tout gâter.

Sénèque fait cette excellente recommandation : Sic præsentibus utaris voluptatibus ut futuris non noceas. Usez des voluptés présentes de manière à ne pas nuire aux voluptés futures.

La sagesse nous a été donnée principalement pour ménager nos plaisirs. (Saint Evremond.)