Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anaxandride 1

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ANAXANDRIDE, roi de Lacédémone, fils de Léon, est le seul homme de son pays qui ait eu deux femmes à la fois [a]. Ce ne fut pas tant sa faute, que celle des éphores, qui voulurent l’obliger à répudier sa femme, à cause qu’elle était stérile, et à se marier à une autre, qui lui donnât des enfans. Comme il aimait fort sa femme [b], il protesta qu’il ne la répudierait point. Les éphores, le voyant ferme là-dessus, lui proposèrent d’épouser une autre femme, sans répudier la première, et le firent entendre que, s’il ne prenait pas ce parti, il pourrait s’en trouver mal. Il accepta cette seconde proposition ; mais il ne voulut pas loger les deux femmes sous un même toit : il voulut avoir deux logis. La nouvelle épouse accoucha bientôt de Cléomenes : cette bonne fortune d’Anaxandride se répandit jusqu’à sa première femme ; elle devint grosse aussi. Les domestiques [* 1] de l’autre reine, fâchés de cela, répandirent cent médisances, et soutinrent que ce n’était qu’une femme, et qu’on ne cherchait qu’à tromper le monde par la supposition d’un enfant. Cette médisance fit tant d’impression sur les éphores, que, lorsque le terme d’accoucher approcha, ils donnèrent des gardes à la reine [c], pour être assurés du fait. Ce ne fut nullement une feinte : la dame accoucha d’un garçon, que l’on nomma Dorieus [* 2]. Quelque temps après, elle accoucha de deux jumeaux, dont l’un fut ce brave roi Léonidas, qui périt si glorieusement au passage des Thermopyles, et l’autre eut nom Cléombrotus [d]. Le fils de la seconde femme n’avait presque pas le sens commun : Dorieus, au contraire, surpassait en toutes choses les personnes de son âge ; néanmoins on rejeta ses prétentions, qui étaient que l’on eût moins d’égard au droit d’aînesse qu’au mérite. Cléomènes, nonobstant son indignité, succéda à la couronne [e] : les lois du pays le voulaient ainsi, et on les observa. Anaxandride fut plus favorisé de la fortune que les rois ses prédécesseurs à l’égard des Tégéates ; car les Lacédemoniens commencèrent à les vaincre sous son règne [f], c’est-à-dire, environ la 60e. olympiade (A). Plutarque nous a laissé un recueil des apophthègmes d’Anaxandride parmi ceux des Lacédémoniens. Le Supplément de Moréri est ici tout plein de bévues (B).

  1. * Joly, d’après les Jugemens sur quelques ouvrages nouveaux, dit que celle expression de domestiques est une traduction impropre du grec ou du latin, et qu’il fallait dire les parens.
  2. * Dorieüs, dit Joly d’après les Jugemens, etc., est une faute, Ce mot n’a que trois syllabes : Dorieus.
  1. Pausan., lib. III, pag. 84.
  2. Elle était fille de La sœur d’Anaxandride.
  3. On pourrait traduire le grec d’Hérodote en ce sens : qu’ils firent eux-mêmes les inspecteurs ou les gardes de la reine.
  4. Il y en a qui disent que Léonidas et Cléombrotus naquirent de deux grossesses.
  5. Ex Herodoti, lib. V, cap. XXXIX et sequent. Voyez aussi Pausanias, lib. III, pag. 84.
  6. Pausan., ibid. Herod., libr. I, cap. LXVII.

(A) Les Lacédémoniens commencèrent à vaincre les Tégéates sous son règne, c’est-à-dire, environ la 60e. olympiade. ] Les historiens observent que les Tégéates ne furent vaincus par les Lacédémoniens qu’après que ceux-ci eurent transporté dans leur ville les os d’Oreste qui étaient enterrés à Tégée. Cette translation se fit en la 58e. olympiade : Priscorum autem testantur molem etiam Orestis suprema, cujus ossa olympiade quinquagesimâ et octavâ Tegeæ inventa à Spartanis oraculo monitis discimus implêsse longitudinem cubitorum septem [1]. On sait d’ailleurs que Cléomènes, fils et successeur d’Anaxandride, fut exhorté à faire la guerre à Polycrate, tyran de Samos [2], qui mourut misérablement la seconde année de la 64e. olympiade [3]. Je ne remarque pas que Cléomènes régnait depuis assez long-temps, lorsque les descendans de Pisistrate furent obligés de sortir d’Athènes : ce qui arriva environ la 67e. olympiade [4]. M. Moréri ne devait pas dire : qu’on ne sait pas bien le temps auquel Anaxandride a vécu ; ni que les Éphores l’obligèrent de répudier sa première femme ; ni que le fils aîné de cette première femme s’appelait Dorcée. Il fallait le nommer Dorieüs, ou Doriée. Je ne dis rien de ses fautes d’omission, quoiqu’elles ne soient pas petites. Je ne dois point passer sous silence qu’il est malaisé d’accorder Solin avec Hérodote à l’égard de la chronologie. Solin met la translation des os d’Oreste à la 58e. olympiade. Mais, selon Hérodote [5], les Lacédémoniens avaient déjà remporté plusieurs avantages sur ceux de Tégée depuis cette translation, lorsque Crésus rechercha leur amitié. Or, il la rechercha avant que de faire la guerre à Cyrus ; et son expédition contre Cyrus tombe sur la fin de la 56e. olympiade [6] : comment donc accorderait-on la chronologie de Solin avec celle d’Hérodote ? Quoi qu’il en soit, M. Moréri ne devait pas dire qu’on ne sait pas le temps auquel Anaxandride a régné ; car ne lit-on pas dans Hérodote qu’il régna au temps de Crésus [7] ?

(B) Le Supplément de Moréri est ici tout plein de bévues. ] Ajoutons aux trois fautes de Moréri, que nous venons d’indiquer, celles de son continuateur. En premier lieu, il n’est pas vrai qu’Anaxandride fût fils d’Eurycrate II : il était son petit-fils [8], et fils de Léon. En deuxième lieu, il n’est pas vrai qu’Anaxandride prit la ville de Tégée, avant que les os d’Oreste en eussent été tirés. Ce ne fut qu’après cette translation, que la fortune cessa de favoriser les Tégéates : comment donc se pourrait-il faire que leur ville capitale eût été prise avant que les os d’Oreste en eussent été transportés ? La prise de la ville capitale n’est-elle pas la ruine entière de cette sorte de petites républiques ? En troisième lieu, il n’est pas vrai que Glycas [9] entra dans Tégée à la suite du victorieux Anaxandride ; il y alla comme l’on va en temps de paix aux villes de ses voisins. En quatrième lieu, ce ne fut point lui qui trouva le tombeau d’Oreste, et qui en retira les os : il rapporta seulement, lorsqu’il fut de retour à Lacédémone, qu’il croyait que le sépulcre d’Oreste était chez un forgeron de Tégée. Ce forgeron lui avait conté, qu’en faisant un puits à la cour de sa maison, il avait trouvé un tombeau de sept coudées, et reconnu, en l’ouvrant, que celui pour lequel on l’avait fait avait été de cette taille. Lychas conclut que c’était le tombeau d’Oreste, parce que l’oracle avait dit qu’on le trouverait à Tégée, dans un lieu où deux vents étaient chassés avec impétuosité, et où se voyait l’image d’un combat, et plaie sur plaie. Il appliqua ces choses aux soufflets, au marteau, et à l’enclume du forgeron. Il ne fit que tirer cette conjecture, et la communiquer à ses supérieurs, qui, sur cela, bannirent un criminel. Celui-ci se retira à Tégée, et prit à louage du forgeron l’endroit où le tombeau de sept coudées avait été découvert. Il en tira les os d’Oreste, et les transporta à Lacédémone. En cinquième lieu, il est faux que l’oracle eût dit que, pour faire translation, il fallait éloigner les vents, le frappeur, et le frappé avec la peste et la ruine des hommes. Hérodote, cité danse Supplément, ne dit point cela. En sixième lieu, il ne fallut pas éloigner toutes ces choses, afin de trouver le tombeau d’Oreste ; car il n’était pas sous la forge, mais dans une cour, où l’on avait voulu faire un puits. En septième lieu, la guerre ne cessa point dès que les os de ce prince eurent été inhumés à Lacédémone. Hérodote dit seulement que depuis cela les Lacédémoniens eurent l’avantage dans toutes les guerres qu’ils eurent avec les habitans de Tégée : Ἀπὸ τούτου τοῦ χρόνου ὅκως ἐπειρώατο ἀλλήλων, πολλῷ κατυπέρτεροι τῶ πολέμῳ ἐγίνοντο οἱ Λακεδαιμόνιοι. Quo ex tempore Lacedæmonii quoties cum Tegeatibus congressi sunt, superiores extitêre [10]. En huitième lieu, il n’est donc pas vrai que ceux-ci furent entièrement soumis aux Lacédémoniens, tout aussitôt que les os d’Oreste eurent été inhumés à Lacédémone. Et neuvièmement, enfin, Plutarque n’avait que faire d’être cité ; car il ne dit rien de ce que porte l’article.

  1. Solinus, cap. I, pag. 9.
  2. Plutarch. in Apophth., pag. 223, C.
  3. Calvisius, ad ann. mundi 3428.
  4. Idem, ad ann. mundi 3440.
  5. Lib. I, cap. LXVIII et LXIX.
  6. Vide Calvisium ad ann. mundi 3398.
  7. Herod., lib. I, cap LXVII.
  8. Pausan., lib. III, pag. 83.
  9. Il fallait dire Lychas, comme auparavant. [Les Jugemens sur quelques ouvrages nouveaux disent à leur tour qu’il fallait écrire Lichas.]
  10. Herod., lib. I, cap. LXVIII.

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