Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anaxandride 2

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ANAXANDRIDE, poëte comique, natif de Camire (A), dans l’île de Rhodes, florissait environ la 101e. olympiade (B). Il fut le premier, selon Suidas, qui amena sur la scène les aventures d’amour, et les disgrâces qui arrivent aux filles quand elles se laissent ôter leur virginité [a]. Je croirais sans peine qu’on attendit jusqu’à la 100e. olympiade à introduire des rôles aussi difficiles à soutenir et à ménager, que le sont ceux de semblables filles sur le théâtre ; mais je ne saurais croire qu’on ait différé jusqu’à ce temps-là à mêler l’amour dans les comédies. Anaxandride était un homme de belle taille, et de bonne mine : il avait grand soin de ses cheveux, et il s’habillait magnifiquement ; il portait une robe de pourpre à franges d’or [b]. Cet équipage ne sentait nullement son poëte. Il affectait tellement la pompe, qu’un jour qu’il devait lire un poëme dans Athènes, il se rendit à cheval au lieu de l’assignation, et récita une partie de sa pièce à cheval. Ces manières rendent vraisemblable ce qu’on ajoute de lui : c’est qu’il se dépitait extrêmement lorsque ses pièces ne remportaient pas la victoire [c]. Il ne faisait pas comme les autres personnes de son métier : il ne retouchait point, il ne corrigeait point ses comédies, afin de les faire entrer en lice une autre fois sous une meilleure forme ; il les envoyait habiller, chez les Francœurs de ce temps-là, le poivre et la cannelle [d]. Cette humeur bourrue et mutine contre les spectateurs fit périr plusieurs belles comédies qu’il avait faites. Il faut pourtant que son dépit ait assez souvent cédé à la tendresse paternelle puisqu’il ne vainquit que dix fois [e], et que l’on trouve citées plus de vingt de ses comédies (voyez dans les remarques la réflexion d’Athénée (C) : il en avait composé soixante-cinq [f]. Les Athéniens le condamnèrent à mourir de faim, parce qu’il avait censuré leur gouvernement (D). Le poëte comique Alexandride n’est peut-être qu’une faute de copiste (E) : on pourrait donc peut-être substituer notre Anaxandride partout où l’on rencontre celui-là.

  1. Πρῶτος ἔρωτας καὶ παρθένων ϕθοράς εἰσήγαγεν. Primus amores, et stupra virginum, introduxit in scenam. Suidas.
  2. Chamæleon Heracleotes, lib. VI, de Comœdiâ, apud Athen. libr. IX, pag. 374.
  3. Ὅτε γὰρ μὴ νικῴη λαμϐάνων ἔδωκεν εἰν τὸν λιϐανωτὸν κατατεμεῖν. Victus conscindendas dabat, ut ex iis thuris involuera fierent. Cham. Heracleotes, libr. VI, de Comœdiâ, apud Athen., lib. IX, pag. 374.
  4. Voyez la Ire. Épître de Boileau
  5. Suidas.
  6. Idem.

(A) Natif de Camire [1].] Suidas le dit comme Chamæléon ; mais il fait entendre que ce n’était point le sentiment de tous les auteurs. Il y avait partage : les uns voulaient qu’Anaxandride fût Colophonien, et les autres qu’il fût Rhodien.

(B) Il florissait environ la 101e. olympiade. ] L’auteur anonyme des olympiades s’accorde en cela avec Suidas ; et comme ce dernier remarque qu’Anaxandride assista aux jeux de Philippe roi de Macédoine, il nous donne un fait qui établit cet âge d’Anaxandride. On sait d’ailleurs que ce poëte maltraita Platon [2], et que quelques-unes de ses comédies ont été citées par Aristote [3]. Il faut donc qu’il ait vécu au temps que Suidas a marqué.

(C) Voyez dans les remarques la réflexion d’Athénée sur le nombre de ses comédies. ] Ayant cité un vers du Térée d’Anaxandride [4], pièce qu’on n’estimait pas beaucoup, il prend occasion de rapporter ce que j’ai cité de Chamæléon, après quoi il demande, avec quelque sorte d’étonnement, d’où est venu que le Térée et d’autres semblables pièces du même auteur, qui n’avaient pas remporté l’honneur du triomphe, se sont conservées. Il aurait pu trouver la solution de cette difficulté dans les paroles mêmes de Chamæléon. Elles insinuent clairement qu’Anaxandride ne fit éclater contre ses pièces le dépit qu’il concevait du jugement des spectateurs, que lorsqu’il fut vieux. Il avait donc laissé vivre plusieurs de ses comédies vaincues, pendant que les cheveux gris ne l’avaient pas encore jeté dans l’humeur chagrine. Πολλὰ ἔχοντα κομψῶς τῶν δραμάτων ἠϕάνιζε, δυσκολαίνων τοῖς θεαταῖς διὰ τὸ γῆρας [5]. Spectatoribus iratus ob senilem morositatem elegantes multas fabulas è medio sustulit.

(D) Les Athéniens le condamnèrent à la mort, parce qu’il avait censuré leur gouvernement. ] Il s’était servi de ce vers dans l’une de ses comédies :

Ἡ πόλις ἐϐοῦλεθ᾽ ᾗ νόμων οὐδὲν μέλει :


c’est-à-dire :

La ville le voulait ainsi ; elle qui ne tient nul compte des lois.

Il n’avait fait que changer un mot à ces paroles d’Euripide :

Ἡ ϕύσις ἐϐοῦλεθ᾽ ᾗ νόμων οὐδὲν μέλει : [6].
La nature, qui n’écoute point les lois, le voulait ainsi.

Voyez Eustratius sur le chapitre Xe. du VIe. et du VIIe. livre de la Morale d’Aristote. On prétend qu’Ovide à parlé de ce supplice d’Anaxandride, quand il a dit dans son poëme contre Ibis, v. 523,

Utque parùm stabili qui carmine læsit Athenas,
Invisus pereas deficiente cibo.

(E) Le poëte comique Alexandride n’est peut-être qu’une faute de copiste, etc. ] C’est le sentiment de Casaubon [7]. Il se fonde sur ce que Suidas ne fait aucune mention d’Alexandride, et sur ce que la même pièce [8] qui est attribuée à Alexandride dans le XIe. livre d’Athénée [9], est citée sous le nom d’Anaxandride dans le XIVe. livre [10]. Casaubon ajoute une troisième raison. Pollux, au chapitre VI du livre IX, cite l’Anchise d’Alexandride : or, il est certain qu’Anaxandride avait fait une pièce de ce nom : Athénée la cite au chapitre XVIII du Ve. livre . Meursius est entièrement de l’avis de Casaubon. Il veut que les deux ou trois pièces de théâtre, qui sont données à Alexandride dans les éditions d’Athénée, soient d’Anaxandride. Il veut que l’on donne à ce dernier l’Helène [11] et le Pisandre [12], qui paraissent dans Suidas, sous le nom d’Alexandride. Voyez la page 87 de son traité de l’île de Rhodes. Vossius embrasse le même sentiment [13]. Sur ce pied-là, qui est assez vraisemblable, on aurait les citations d’une trentaine de pièces d’Anaxandride. Son Thésée, cité par Diogène Laërce [14], a été inconnu à Meursius. On est dans une semblable confusion à l’égard d’un Anaxandride de Delphes. Le scoliaste d’Euripide l’a cité [15], Ἀναξανδρίδης ὁ Δελϕὸς, touchant la peine qui fut imposée à Apollon de servir à gages Admétus, pour avoir tué le serpent Python. Plutarque le cite [16], Ἀλεξανδρίδης ὁ Δελϕὸς, touchant les sommes d’argent que Lysandre mit en dépôt au temple de Delphes. Il cite ailleurs [17] un Anaxandride touchant les temps où la prêtresse de Delphes rendait les oracles. Au commencement, elle ne les rendait qu’une fois l’an : long-temps après, elle les rendit une fois le mois. Il est très-problable, qu’en ces deux endroits, Plutarque a cité le même auteur, et que cet auteur n’est point différent de celui du scoliaste d’Euripide. La question est de savoir si son nom est Alexandride, ou Anaxandride. Vossius ne sait qu’en penser [18]. Il faut, sans doute, attribuer à ce même Anaxandride l’ouvrage dont il est parlé dans le recueil de proverbes publié par André Schot sur le manuscrit du Vatican. L’ouvrage, dont ce recueil fait mention, a pour sujet les sacriléges commis au temple de Delphes : Περὶ τῶν ϐυληθέντων ἐν Δελϕοῖς ἀναθημάτων, de Anathematis quæ sacrilegio Delphis fuêre subdata, et avait été composé par un homme qui s’appelait Anaxandride. Il avait conté une histoire qui a donné lieu au proverbe grec, Ἀκρὸν λάϐε, καὶ μέσον ἕξεις, prenez le haut, et vous aurez le milieu. Consultez Vossius, à la page 320 de ses historiens grecs.

  1. Cham. Heracleot., lib. VI, de Comœdiâ, apud Athen., liv. IX, pag. 374.
  2. Diog. Laërt. in Platone, liv. III, num. 26, edit. 1692.
  3. Aristot. Rhetor., lib. III, cap. XII.
  4. Athen., liv. IX, pag. 373.
  5. Id., ibid. pag. 374.
  6. Euripid., vs. 295, inter incerta, in edit. Barnesii.
  7. Casaub. in Athen., lib. VI, cap. XVIII, pag. 455.
  8. Intitulée Μελίλωτος.
  9. Cap. II, pag. 460.
  10. Cap. XX, pag. 654.
  11. Suidas, in Ἀϐέλτερος.
  12. Idem, in Ἀρεοπαγίτης.
  13. Vossius, de Poët. græcis, pag. 49.
  14. Diog. Laërt., lib. III, num. 26.
  15. In Alcestid. initio.
  16. Plutarchus, in Lysandro, pag. 443.
  17. Plut., in Quæst. Romanis, pag. 292.
  18. Vossius, de Histor. græcis, pag. 502.

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