Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anicius

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ANICIUS, famille romaine. Elle a été plus illustre sous les empereurs chrétiens, qu’au temps de la république, quoiqu’elle ait produit des consuls, avant que Jules-César fût au monde. On voit dans Plineun Q. Anicius Prænestinus, qui fut créé édile curule dans le Ve. siècle de Rome [a]. L. Anicius Gallus fut préteur au siècle suivant, savoir l’an 585, et commanda dans l’Illyrie avec tant de bonheur, qu’il ne mit qu’un mois à la conquérir (A), et à faire prisonnier le roi Gentius. L’honneur du triomphe lui fut accordé l’année suivante [b]. L’un des consuls de l’an 593 avait nom L. Anicius Gallus. Je ne trouve sous les premiers empereurs, qu’Anicius Cerealis, qui était consul désigné l’an de Rome 818 [c]. Il se trouva enveloppé dans un complot contre Néron, et il se tua lui-même l’an de Rome 819. Il fut d’autant moins regretté, qu’on se souvenait qu’il avait révélé à Caligula une conspiration qui se tramait contre sa vie [d]. Les consulats furent fréquens dans cette famille, depuis le règne de Dioclétien, et l’on n’avait jamais vu deux frères exercer le consulat ensemble, avant l’année de Jésus-Christ 395, que Probinus et Olybrius furent consuls. Ils étaient fils de Probus, dont nous parlerons en son lieu ; et ils descendaient d’Anicius, le premier grand seigneur de Rome qui embrassa le christianisme (B). Les biens immenses de cette maison l’exposaient à la médisance, comme je le ferai voir en parlant de Probus. Les bénédictins prétendent que le fondateur de leur ordre était de la famille des Anicius ; et l’on a vu des livres où ils ont tâché de montrer que l’auguste maison d’Autriche en est aussi descendue. Richard Streinnius a écrit contre cette fable. Son livre est intitulé Anti-Anicien. Il n’a jamais été imprimé : il est seulement en manuscrit dans la bibliothéque de l’empereur [e]. Nous toucherons quelque chose d’assez curieux concernant le sujet de cet ouvrage (C).

  1. Plinius, lib. XXXIII, cap. I.
  2. Voyez Sigonius de Fastis Roman.
  3. Tacitus, Annalium lib. XV, cap. LXXIV.
  4. Tacit. Ann., lib. XVI, cap. XVII.
  5. Lambecius. Commentar. Biblioth. Vindobon., tome I, num. 50.

(A) Il ne mit qu’un mois à conquérir l’Illyrie. ] Il n’était encore jamais arrivé à Rome que l’on eût plus tôt appris la fin que le commencement d’une guerre. Cependant il fallut dans celle-ci prendre la très-forte place de Scodra. Le bon succès fut si entier, que le prince qu’on avait à combattre tomba avec sa mère, sa femme, ses enfans, son frère et tous les principaux de son état entre les mains d’Anicius, et qu’on fit un butin très-considérable. Voici comment Tite-Live en parle : Anicius bello Illyrico intra triginta dies perfecto nuncium victoriæ Perpennam Romam misit et post dies paucos Gentium regem ipsum cum parente, conjuge ac liberis ac fratre aliisque principibus Illyricorum. Hoc unum bellum priùs perpetratum quàm cœptum Romæ auditum est [1]. Hoc bellum, dit Florus [2], antè fénitum est, quàm geri Romæ nunciaretur. Ces prisonniers de qualité ne furent qu’une partie des ornemens du triomphe : les richesses et les dépouilles transportées d’Illyrie, et les libéralités qu’on fit aux soldats, le rendirent très-considérable. Le général reçut plus de louanges de son armée, que Paul-Émile, qui avait triomphé peu auparavant, n’en avait reçu de la sienne : Lætior hunc triumphum est secutus miles, multisque dux ipse carminibus celebratus [3]. M. Lloyd observe que le consul de l’an 593 est le fils du vainqueur de Gentius ; mais il ne cite personne.

(D) Un Anicius fut le premier grand seigneur romain qui embrasse le christianisme. ] Je n’en ai point d’autre preuve que ces paroles de Prudence :

Fertur enim ante alios generosus Anicius urbis
Inlustrâsse caput [4].


Baronius conjecture que ce poëte a voulu parler d’Anicius Julianus, qui fut consul l’an 322. Lloyd, beaucoup plus décisif, assure, sans rien citer, qu’Anicius Julianus fut le premier sénateur romain qui embrassa l’Évangile, comme Flavius Constantin fut le premier empereur romain qui l’embrassa ; et que de là vint qu’ensuite presque tous les empereurs prirent le surnom de Flavius et presque tous les sénateurs le surnom d’Anicius. Je demanderais volontiers des preuves de tout ceci. Si la conjecture de Baronius était véritable, il faudrait comparer Anicius Julianus avec ce seigneur français, qui se fit baptiser le premier de tous, à l’exemple de Clovis, et qui prit pour son cri de guerre, Dieu aide au premier chrétien. On dit que les seigneurs de Montmorenci descendent de celui-là, et qu’ils se sont dits, par cette raison, premiers barons chrétiens.

(C) Voici quelque chose d’assez curieux touchant l’Anti-Anicien. ] Selon M. Baillet, le manuscrit de Streinnius demeurera toujours supprimé, pour deux raisons : l’une est celle que Lambecius a déclarée ; c’est que cet ouvrage est imparfait : l’autre, plus importante et sur laquelle il n’avait garde de rien dire, est que l’Anti-Anicien n’est point composé sur les préjugés du vulgaire des pays héréditaires, ni sur les idées de ceux qui, pour faire leur cour à leur empereur, ont fait remonter la maison d’Autriche jusqu’aux Aniciens de l’ancienne Rome... L’auteur l’avait entrepris pour fronder les moines de saint Benoît en Allemagne, sur ce qu’ils paraissent infatués de leur parenté avec la maison d’Autriche, et pour réfuter en particulier le livre d’un bénédictin flamand, nommé Arnold Wion, qui, par un enchaînement de rêveries, avait fait voir les deux branches de la famille romaine Anicia, l’une pour les princes de la maison d’Autriche, l’autre pour son patriarche saint Benoît [5]. M. Baillet ajoute que si Richard Strein n’a point parlé des Aniciens dans son livre des familles romaines, c’est parce que ce n’était pas une des familles de la vieille roche. Il nous apprend que Lambecius avait conçu le dessein de répondre à l’Anti-Anicien de Streinnius dans les Prolégomènes des Annales d’Autriche qu’il promettait...... et qu’il semble qu’il avait choisi pour servir de fondement et de modèle à sa réponse [* 1] le livre qu’un abbé bénédictin, mais de l’ordre de Cîteaux, nommé Jean Seyfrid, publia douze ans après la mort de Streinnius, sous le titre d’Arbor Aniciana ; mais que, quand ce Seyfrid aurait eu intention d’attaquer l’Anti-Anicien, on peut dire que Streinnius aurait été vengé suffisamment par Scioppius, qui publia l’an 1651, une petite dissertation, pour tourner en ridicule ce Seyfrid et ses semblables, justement dans le temps qu’un autre moine benédictin, nommé Bucelin, pour augmenter le nombre des ridicules, mit au jour son Aquila imperii Benedictina. Ce n’était plus en cette occasion, continue M. Baillet, ce médisant et satirique Scioppius ; c’était un fidèle et zélé serviteur de la maison d’Autriche, un conseiller de l’empereur et du roi d’Espagne, attaché aux intérêts des princes de leur nom par plus d’un enchaînement, infiniment plus savant que ces rêveurs oisifs ; qui s’était rendu terrible en matière de fausses généalogies plus de quarante ans auparavant, par son Scaliger Hypobolimée. Si donc Scioppius, tout dévoué qu’il était d’ailleurs à la maison d’Autriche, a cru devoir s’opposer aux vanités et aux chimères de la généalogie anicienne de ces moines, c’est un préjugé que leurs inventions ne font point honneur aux princes de la maison d’Autriche, ni aux disciples de saint Benoît, et que l’Anti-Anicien de Streinnius doit être quelque ouvrage d’importance... Encore que Seyfrid ait avancé que saint Thomas était de l’illustre famille des Aniciens, il n’est pas à espérer qu’un jacobin français s’avise jamais de faire un Aquila imperii Thomistica. Cet avantage est peut-être réservé à quelque dominicain allemand ou espagnol, serviteur zélé de la maison d’Autriche. Je demande à mon lecteur de ne me considérer en tout ceci que sur le pied de simple copiste.

  1. (*) Tome II, Comment Biblioth. Vindobon., pag. 418 et seqq.
  1. Livius, lib. XLIV, cap. XXXII.
  2. Florus, lib. II, cap. XII.
  3. Livius, lib. XLV, cap. XLIII.
  4. Prudent., in Symm., lib. I, vs. 553.
  5. Baillet, tom. II, des Anti, num. CLIV, pag. 228 et suivantes.

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