Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Annat

La bibliothèque libre.

◄  Anicius
Index alphabétique — A
Anne  ►
Index par tome


ANNAT [* 1] (François), confesseur de Louis XIV, était du Rouergue [a]. Il naquit le 5 février 1590. Il devint jésuite au mois de février 1607, et profès du quatrième vœu, en l’année 1624. Il enseigna à Toulouse la philosophie pendant six ans, et la théologie pendant sept ; et comme il s’en acquitta avec éclat, il fut appelé à Rome pour y exercer la fonction de censeur général des livres que la société publiait, et la fonction de théologien auprès du général de la compagnie. Étant retourné en sa province, il fut recteur du collége de Montpellier, et puis de celui de Toulouse. Il assista à la huitième congrégation générale des jésuites qui se tint à Rome l’an 1645 : il y assista, dis-je, comme député de sa province, et il y donna tant de preuves de mérite, que le père Vincent Carafa, général des jésuites, ne trouva personne plus propre que lui à remplir la charge d’assistant de France, qui vint à vaquer au bout de dix-huit mois. La neuvième congrégation générale lui redonna le même emploi auprès de François Picolomini, général de la compagnie, après la mort duquel on le fit provincial de la province de France. Pendant qu’il exerçait cette dignité, il fut choisi pour confesseur de Louis XIV ; et ayant occupé ce poste pendant seize ans, il fut contraint de demander sa démission, à cause que le grand âge lui avait extrêmement affaibli l’ouïe. Comme le roi était fort content de lui, il ne lui accorda son congé qu’avec beaucoup de regret. Le père Annat ne vécut que quatre mois depuis sa sortie de la cour. Il mourut dans la maison professe de Paris le 14 de juin 1670. Le père Sotuel, dont j’emprunte ce qu’on vient de lire, lui attribue de grandes vertus, un parfait désintéressement, beaucoup de modestie et d’humilité, un attachement exact aux observances et à la discipline de son ordre, un grand soin de ne point se servir de son crédit pour son utilité particulière, ni pour l’avancement de sa famille, et un grand zèle de religion [b]. Il fut le marteau des hérésies, dit-il [c] ; et il attaqua nommément avec une ardeur incroyable la nouvelle hérésie des jansénistes : il travailla puissamment à la faire condamner par le pape, et à la tenir en bride sous l’autorité du roi très-chrétien ; outre qu’il la réfuta par sa plume, avec tant de force, que ses adversaires n’ont pu lui répliquer rien de solide. Il y a un très-grand nombre de gens, à qui le père Sotuel ne persuadera jamais ce dernier point ; mais, pour ce qui regarde le désintéressement du père Annat, il n’aura pas beaucoup de peine à planter la foi ; car tous ceux qui ont voulu s’en informer ont pu apprendre que ce père confesseur n’avança point sa famille. On prétend avoir ouï dire au roi, qu’il ne savait point si le père Annat avait des parens [d]. Il en avait, qui ne s’oublièrent pas, et qui le furent trouver au Louvre ; mais ils ne remportèrent aucun bénéfice. Il y a des temps, où le grand et le petit népotisme sont à la mode ; quelquefois le petit népotisme règne, pendant que le grand est aboli. Au temps du père Annat, le grand népotisme [e] était à son comble ; mais le petit népotisme, quant à la branche des pères confesseurs, était à Paris au plus bas degré. Je me sers de restriction, parce qu’il y a beaucoup d’autres gens constitués dans les dignités ecclésiastiques, qui ne cessent d’accumuler sur la tête de leurs parens tout ce qu’ils peuvent obtenir. Plusieurs d’entre eux sans doute allaient leur train ordinaire, pendant que le père Annat ne souffrait point autour de lui les loups béans venus du Rouergue. On a pu lire dans les Amours du Palais-Royal, qu’il voulut se défaire de sa charge (A), lors de la grande faveur de mademoiselle de la Valière. Si cela était vrai, ce serait le plus bel endroit de sa vie, et le plus beau sujet d’éloge que l’on puisse trouver dans la vie d’un confesseur de monarque. L’auteur de cette satire, qui, selon l’esprit et la nature de ces sortes d’ouvrages, cherchait à donner un tour malin à toutes choses, a bien vu cela ; c’est pourquoi il a fait en sorte que son lecteur n’y trouvât rien de louable. Il a couru une satire beaucoup plus moderne, où l’on a joint à la demande vraie ou fausse de congé tant de faussetés de notoriété publique (B), qu’on ne peut comprendre qu’il y ait des gens au monde qui veuillent mentir publiquement avec si peu d’industrie. Le père Annat a fait un fort grand nombre de livres (C), les uns en latin, et les autres en français. Les latins sont beaucoup meilleurs que les autres, parce qu’il avait acquis plus d’habitude de traiter une matière de théologie selon la méthode dogmatique et polémique des écoles, que de la tourner selon le génie du siècle. Néanmoins on loue beaucoup, dans une réponse aux Provinciales, ce qu’il a écrit en notre langue [f].

Ce que j’ai dit en général des neveux de ce père confesseur ne doit point être un préjugé contre leur mérite ; car l’un d’eux, qui est général des pères de la doctrine chrétienne, passe pour un homme très-savant, et il a publié en latin un ouvrage qui est fort estimé. C’est un Apparat méthodique pour la théologie positive [g]. Vous en trouverez l’extrait dans le Journal des Savans du 13 de septembre 1700.

  1. * On lit dans le Ménagiana de 1715, iv, 117, que Le vrai nom de ce personnage était Canard, qu’il latinisa en se faisant appeler Annat.
  1. Ruthenensis.
  2. Sotuel, Biblioth. Scriptorum Societ. Jesu, pag. 211.
  3. Hæresium malleus, et nominatim novæ jansenistarum hæresis oppugnator acerrimus. Ibidem.
  4. Adeò ut dixisse aliquandò perhibeatur sua majestas nescire se an pater Annatus haberet aliquos sanguine sibi conjunctos. Ibidem.
  5. C’est celui de la cour de Rome.
  6. Voyez la remarque (C), à la fin.
  7. Nouvelles de la république des lettres. Avril 1700, pag. 477.

(A) On a dit dans les Amours du Palais-Royal [1] qu’il voulut se défaire de sa charge. ] Voici le passage : « Le pauvre père Annat, confesseur du roi, soufflé par les reines, l’alla aussi trouver, et feignit de vouloir quitter la cour, faisant entendre finement que c’était à cause de son commerce. Le roi, en riant, lui accorda tout franc son congé. Le père, se voyant pris, voulut raccommoder l’affaire ; mais le roi, en riant toujours, lui dit qu’il ne voulait désormais que de son curé. L’on ne peut dire le mal que tout son ordre lui voulut d’avoir été si peu habile. » On me pourrait demander sur cela trois choses : 1°. S’il est vrai que le père Annat ait demandé permission de se retirer ; 2°. si ce fut par feinte et par complaisance pour les reines ; 3°. s’il se retira en effet, ou si les jésuites eurent l’adresse de raccommoder les choses. Je ne puis répondre à la première question, si ce n’est que je n’en sais rien, et que l’autorité d’un homme qui écrit une satire ne me paraît d’aucun poids ; je n’ajoute foi à ce qu’il avance qu’à proportion qu’il le prouve. Ceux qui composent une histoire sont dispensés de prêter serment, et de fournir des témoins [2] : on les en croit sur leur parole, et sans qu’ils jurent ; mais pour ceux qui écrivent des libelles, c’est une faveur, c’est une civilité, que de les en croire sur leur serment, confirmé par des témoins. J’ai encore moins de lumières sur la deuxième question : je ne m’ingère pas à fouiller dans les abîmes du cœur. Sur la troisième je ne sais que la notoriété publique : c’est que le père Annat a été, sans interruption, confesseur du roi de France jusqu’au printemps de 1670.

(B) Une satire beaucoup plus moderne [3] débite beaucoup de faussetés sur son chapitre. ] L’auteur de cette satire suppose que le père la Chaise servit beaucoup à porter le pape à ce que le roi souhaitait de lui, après l’insulte de la garde corse, et que le cardinal Mazarin, en reconnaissance de ce service, lui fit mille caresses, le recommanda au roi, et le fit même admettre de son vivant dans le conseil de conscience ; ce qui était proprement le rendre coadjuteur du confesseur [4]. On met en marge l’année 1663, pour les premières caresses du cardinal ; et l’année 1665, pour l’admission dans le conseil de conscience. C’est bien savoir l’histoire moderne ! Où est l’homme qui ne sache que le cardinal Mazarin mourut en 1661 ? L’auteur ajoute que le père la Chaise supplanta le père Annat, en excusant les amours du roi pour la Valière sur l’infirmité de la nature, pendant que le confesseur chagrinait tous les jours le roi là-dessus, et ne lui donnait point de repos [5]. Il ajoute encore que la Valière, ayant su les maximes du père la Chaise, souhaita de l’avoir pour son confesseur, et lui fit proposer la chose par M. de Montausier [6] ; mais qu’en suite d’une conversation qu’elle eut avec ce jésuite, elle aima mieux lui procurer la place du père Annat ; et qu’en ayant parlé au roi, cette affaire fut conclue dans peu de jours, parce que le père Annat, qui ne tarda guère à venir annoncer les terribles jugemens de Dieu, et à demander son congé puisqu’on ne s’amendait pas, fut pris au mot [7]. On met en marge l’an 1667. J’avoue que je ne comprends rien à une telle hardiesse : car il est de notoriété publique que le père Aunat ne prit congé de la cour qu’en 1670 ; et qu’un jésuite du Rouergue, nommé le père Ferrier, prit sa place de confesseur de Louis XIV ; et que le père la Chaise n’y entra qu’après la mort du père Ferrier, arrivée le 29 d’octobre 1674 [8]. À quoi songent des gens qui publient des faussetés si grossières ? Comment ne voient-ils pas qu’ils ruinent leur principal but ? Car quel préjugé ne donnent-ils point contre tout leur livre, quand ils paraissent, ou si mal instruits des choses qui sont exposées aux yeux de toute la terre, ou assez dépourvus de honte pour oser publier des faussetés évidentes ? Ont-ils les maximes de certaines gens qui débitent une fraude pieuse à tout un peuple, en raisonnant de cette manière ? Pour un auditeur qui connaîtra que je me trompe, il y en aura mille qui ne le connaîtront point ; mille seront édifiés de ma fraude, un en sera scandalisé ; le mal sera donc petit en comparaison du bien ; il est donc de la charité et de la prudence d’assurer cette fausseté devant cette nombreuse assemblée. Je ne sais point si nos faiseurs de libelles raisonnent de la même manière ; mais je sais bien qu’ils parviendraient à leurs fins beaucoup plus heureusement, s’ils consultaient un peu mieux la chronologie et les règles de la fiction. Est ars etiam maledicendi, disait Scaliger [9] : il y a un art de médire ; ceux qui l’ignorent diffament moins leur ennemi, qu’ils ne témoignent l’envie qu’ils ont de diffamer. Au reste, c’est plus pour l’utilité publique que pour l’intérêt d’aucun particulier que j’ai fait cette remarque. Il est bon que, dans ce siècle, nous puissions juger des satires qui ont couru depuis mille ans, et que les siècles à venir puissent juger de celles que nous voyons. Pour en bien juger, il ne faut point avoir égard à ce principe : Il n’y a point d’apparence que si cela eût été visiblement faux, on eût osé le publier.

Ce sera, sans doute, l’utilité principale de cette remarque ; car, au reste, les réflexions ou les censures les mieux fondées seront toujours inutiles pour arrêter la plume de cette espèce d’écrivains. On a si peu profité de l’indignation des honnêtes gens contre l’historien fabuleux et satirique du père la Chaise, que cinq ans après on a mis au jour un autre ouvrage pire que celui-là. C’est depuis le commencement jusqu’à la fin un tissu de fables grossières, et d’aventures chimériques, racontées avec la dernière impudence, et avec un style tout farci de saletés. Voici le titre de ce bel ouvrage : Histoire des intrigues amoureuses du père Peters, jésuite, confesseur de Jacques II, ci-devant roi d’Angleterre, où l’on voit ses aventures les plus particulières, et son véritable caractère, comme aussi les conseils qu’il a donnés à ce prince touchant son gouvernement. À Cologne, chez Pierre Marteau le jeune, marchand libraire, 1698. Pendant qu’il se trouvera des gens qui achèteront avec plaisir ces sortes de livres, il y aura des libraires qui en paieront la composition et l’impression, et, par conséquent, il y aura des personnes assez malhonnêtes pour consacrer à cela leur plume vénale. Le mal est donc sans remède.

(C) Le père Annat a fait un fort grand nombre de livres. ] Ses traités latins, publiés en divers temps, furent recueillis en 3 volumes in-4o., et imprimés à Paris, chez Cramoisi, l’an 1666. Le Ier. contient l’ouvrage de Scientiâ mediâ contra novos ejus impugnatores, unâ cum Exercitatione scholasticâ sub nomine Eugenii Philadelphi, et Appendice ad Guilhelmum Camerarium. Le lIe. contient l’ouvrage qui a pour titre : Augustinus à Bajanis, hoc est Jansenianis vindicatus. On trouve dans le IIe. les traités suivans : Catholica Disputatio de Ecclesiâ præsentis temporis ; de incoactâ Libertate contra Novum Augustinum Yprensis Episcopi, Vincentium Lenem, Apologistam Jansenii, et Commentatorem quinque Propositionum ; Informatio de quinque Propositionibus ex Theologiâ Jansenii collectis, quas Episcopi Galliæ Romano Pontifici ad censuram obtulerunt ; Jansenius à Thomistis gratiæ per se ipsam efficacis defensoribus condemnatus ; Cavilli Jansenianorum contra latam in ipsos à Sede Apostolicâ sententiam, seu Confutatio libelli trium Columnarum [10]. Voilà cinq traités dans le IIIe. volume, qui sont précédés de quelques avertissemens au lecteur, et de quelques notes sur le journal de Saint-Amour. Voici quelques-uns des livres français : Réponse au livre qui a pour titre, Théologie morale des jésuites ; Réponse à quelques demandes touchant la première lettre de M. Arnaud ; la Bonne Foi des jansénistes dans la citation des auteurs ; Recueil de plusieurs faussetés et impostures contenues dans le Journal de tout ce qui s’est passé en France sur le sujet de la Morale et de l’Apologie des casuistes [11] ; Remèdes contre les scrupules qui empêchent la signature du Formulaire ; Remarques sur la conduite qu’ont tenue les Jansénistes dans l’impression et dans la publication du Nouveau Testament, imprimé à Mons ; la Doctrine de Jansénius contraire au saint siège apostolique et à saint Augustin. Je laisse le titre de quelques autres : on le trouvera dans le père Sotuel. Mais, pour le dire en passant, lui et son prédécesseur Alegambe ont oublié une chose qu’il ne fallait pas omettre. Ils devaient toujours rapporter le titre des livres dans la langue dont l’auteur s’était servi, et puis le traduire en latin. On éprouve tous les jours chez les libraires que si l’on demande certains livres, non par leur titre, mais par le sens de leur titre, on s’en retourne sans les trouver, quoiqu’ils soient dans les magasins ou dans la boutique des libraires. Au reste, quelque vieux que fût le jésuite Annat, pendant le grand feu de la guerre des Jansénistes, au sujet de la signature du formulaire, et touchant la version de Mons, il ne laissait pas de publier plusieurs petits livres in-4o. Il ne se contentait pas de servir la cause par l’oreille du prince, il la voulait soutenir aussi par sa plume, jusqu’à la dernière goutte de son encre.

N’oublions pas les éloges qu’on lui a donnés dans une Réponse aux Lettres Provinciales de M. Pascal, réimprimée en Hollande l’an 1696 [12] : « Mais, touchant les jésuites qui se hasardèrent à écrire contre Pascal, que vous semble du père Annat, qui est l’auteur du livre intitulé, la Bonne Foi des Jansénistes, et à qui la dix-septième et la dix-huitième Provinciale sont adressées ? Le père Annat, répondit Cléandre, était, à mon avis, un très-bon esprit : les jésuites ne firent rien de meilleur que ce qui parut de lui sur les matières dont on disputait en ce temps-là. Ce bon homme (car je l’ai toujours connu tel, et c’était la modestie même) avait du talent pour écrire, même en français, s’il s’était un peu plus appliqué à l’étude de notre langue. Il lui échappe de temps en temps des traits aussi fins, aussi vifs et aussi agréables que j’en aie vu nulle part. Je suis de votre sentiment, reprit Eudoxe ; et sans parler de sa vertu, que j’ai entendu louer, même à des gens du parti, je lui ai trouvé, comme vous, beaucoup de justesse d’esprit, et quelquefois une finesse d’expression et de raillerie extraordinaire dans un théologien scolastique. »

  1. Ce livre commença de paraître environ l’an 1665.
  2. Quis unquàm ab historico juratores exegit ? Seneca, de Morte Claudii, init.
  3. Intitulée : Histoire du Père la Chaise, jésuite et confesseur du roi Louis XIV. À Cologne, chez Pierre Marteau, en 1693, in-12. La IIe. partie fut imprimée deux ans après.
  4. Pag. 106.
  5. Pag. 107.
  6. Pag. 108.
  7. Pag. 115.
  8. Ex Nathanael. Sotuelli Biblioth. Societatis, pag. 449.
  9. Scaligerana II, pag. 10.
  10. Il y a dans le père Sotuel Calumniarum.
  11. Les curés de Paris firent l’Apologie de ce Journal, dans leurs VIII et IXe. Écrits.
  12. Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, pag. 79, 80, édition de Hollande.

◄  Anicius
Anne  ►