Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aragon 4

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ARAGON (Marie d’), femme de l’empereur Othon II, et fille d’un roi d’Aragon, se diffama terriblement par ses impudicités, qui enfin la précipitèrent dans le supplice du feu. Elle avait eu l’adresse de se procurer pour femme de chambre un jeune homme qu’elle aimait, et qu’elle fit déguiser en fille [a]. Il ne faut pas demander si elle usa de modération : son tempérament, et la perpétuité des occasions, disent assez que sa prétendue femme de chambre ne manquait pas d’exercice, et qu’elle était de tous les voyages de la cour. L’empereur, s’étant aperçu de cette vilaine supercherie, en voulut faire la honte toute entière à l’impératrice ; et pour cet effet, en présence de plusieurs témoins, il fit dépouiller le jeune homme ; et, sur la découverte incontestable de son sexe, il le fit condamner au feu. Il fut assez débonnaire pour ne punir point sa femme : il espéra qu’elle se corrigerait à l’avenir ; mais il se trompa : elle devint éperdument amoureuse d’un jeune conte auprès de Modène, et lui fit promptement sa déclaration ; car elle était beaucoup plus en possession de solliciter, que d’être sollicitée sur cette sorte d’affaires. Le comte, aussi chaste que beau, résista à toutes les avances, ou pour mieux dire à toutes les violentes attaques qui lui furent faites ; mais, si en cela il ne fit qu’imiter Joseph, il n’eut pas le même bonheur que lui d’en être quitte pour la prison. L’impératrice se plaignit à son mari que ce comte lui avait parlé d’amour, et demanda que cette audace ne demeurât point impunie. Le crédule Othon ne manqua pas de faire trancher la tête à l’accusé. Voici comment l’accusatrice eut son tour. Le comte, se voyant condamné et n’espérant point de grâce, et ne voulant pas néanmoins révéler tout le mystère, avait fait promettre à sa femme, qu’elle le justifierait le mieux qu’il lui serait possible auprès d’Othon. Elle lui tint sa parole, garda sa tête, et prit son temps, lorsque l’empereur rendait justice dans une assemblée générale, qui se tenait au milieu d’une grande plaine, auprès de Plaisance ; elle prit, dis-je, ce temps, pour demander que le meurtrier de son mari fut châtié. L’empereur, qui ne la connaissait pas, lui promit justice, selon toute la rigueur des lois. Là-dessus, cette comtesse lui montra la tête de son mari, et s’offrit de justifier son innocence par l’épreuve du feu. Ses offres furent acceptées. On fit apporter un fer tout rouge : elle le prit, et le tint tant qu’on voulut sans se brûler, et puis demanda hardiment la tête d’Othon convaincu d’être le meurtrier de son mari : enfin elle se contenta de la punition de l’impératrice, qu’Othon condamna à être brûlée [b]. Ceci se passa vers la fin du Xe. siècle.

  1. Secum muliebri habitu circumduxit juvenem quocum congrediebatur quotidiè, quandoquidem eâ pro cubiculariâ utebatur ; c’est-à-dire, elle menait avec elle le jeune homme déguisé en femme, et lui ordonnait chaque jour le congrès ; car elle le faisait passer pour sa femme de chambre. Munsteri Cosmographia, lib. III.
  2. Gotfrid. Viterb. Chronic., parte XVII. Albert Krantz. Cuspinian. in Othone III. Sigonius, cité par Maimbourg, Décadence de l’Empire, pag. 118.

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