Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ausone

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AUSONE, en latin Decius, ou plutôt Decimus Magnus Ausonius, l’un des plus excellens poëtes du IVe. siècle, était de Bordeaux [a], et fils d’un célèbre médecin (A). Il fut élevé avec des soins tout particuliers : toute la famille s’y intéressa [b], soit à cause que son esprit promettait beaucoup, soit à cause que son horoscope faisait croire qu’il parviendrait à de grands honneurs (B). Il fit des progrès admirables dans les belles-lettres ; et à l’âge de trente ans, il fut choisi pour enseigner la grammaire dans Bordeaux [c]. Il y fut promu quelque temps après à la charge de professeur en rhétorique [d]. Il s’acquit une si belle réputation dans cet emploi, qu’on l’attira à la cour impériale, pour le faire précepteur de Gratien, fils de l’empereur Valentinien. Il se rendit très-agréable, et à son disciple, et au père de son disciple, et il en reçut des récompenses et des dignités qui le rendirent un exemple confirmatif d’une maxime que Juvénal a proposée, que quand il plaît à la fortune, on passe de la fonction de rhétoricien à la charge de consul [e]. Il fut effectivement élevé au consulat par l’empereur Gratien, l’an 379 [f], après avoir exercé d’autres charges très-considérables ; car outre la dignité de questeur, dont il avait été honoré pendant la vie de l’empereur Valentinien, il avait été créé préfet du prétoire en Italie, et dans les Gaules, depuis la mort de ce prince [g]. Le remercîment qu’il fit à l’empereur Gratien, pour la promotion au consulat, est une excellente pièce. On ne sait pas bien le temps de sa mort ; mais on ne saurait douter qu’il ne fût encore en vie l’an 388, et même l’an 392, et qu’il n’ait vécu long-temps (C). Il avait épousé une femme qui mourut jeune, et qui était de bonne maison [h]. Il en eut quelques enfans, et ne se remaria point. Il fut fort considéré de l’empereur Théodose, et quelques-uns croient que ce monarque lui conféra la dignité de patrice [i]. Ils se fondent sur une lettre qu’on trouve au commencement des œuvres d’Ausone, dans la plupart des éditions. On ne peut rien voir de plus obligeant que cette lettre. Il y a des critiques qui la jugent supposée, mais ils ne sauraient nier que cet empereur n’ait fort estimé les poésies d’Ausone, et qu’il ne l’ait exhorté à les publier ; car cela paraît par une préface qui est incontestablement de ce poëte. Il y a une extrême inégalité entre ses ouvrages, soit que ses muses fussent un peu trop journalières, soit que l’on ait inséré dans ses poésies quelques pièces qu’il n’avait fait qu’ébaucher, soit que des raisons particulières l’aient obligé à laisser courir des vers qu’il n’avait pas eu le temps de polir. Généralement parlant, il y a des duretés dans ses manières, et dans son style ; mais c’était plutôt le défaut du siècle, que celui de son esprit. Les fins connaisseurs devinent sans peine, que s’il avait vécu au temps d’Auguste, ses vers eussent égalé les plus achevés de ce temps-là, tant il paraît de délicatesse et de génie dans plusieurs de ses écrits. Quoique l’opinion générale le fasse chrétien, il y a d’habiles gens qui croient qu’il ne l’était pas (D) : s’ils se fondent, ou sur quelques vers lascifs qu’il a composés (E), ou sur la manière dont il condamna la solitude de Paulin, ou sur l’amitié intime qui était entre le païen Symmaque et lui, ils s’abusent grossièrement. Ce sont néanmoins les raisons les plus spécieuses qu’on ait alléguées. Rittershusius a regardé comme un grand prodige cette amitié [j]. Les erreurs de Scaliger (F) et les principales éditions d’Ausone (G) seront ci-dessous le sujet de deux remarques, et je n’oublierai pas de remarquer la bévue de Trithème : il a prétendu qu’Ausone fut évêque de Bordeaux (H).

  1. Auson., in Præfat. ad Syagrium.
  2. Voyez les poëmes d’Ausone intitulés Parentalia.
  3. Ausonius, in Præfat. ad Syagrium.
  4. Auson., in Professorib., num. 24, pag. 187.
  5. Si fortuna volet, fies de rhetore consul.
    Juvénal., Sat. VII, vs. 197.

  6. Et non pas l’an 382, comme l’assure Vinet, dans ses Notes sur le Remercîment d’Ausone.
  7. Voyez la remarque (F).
  8. Auson., in Parental, cap. IX.
  9. Albertus Petrus Rubenius, Dissert., de Vitâ Fl. Mallii Theodori, pag. 81.
  10. Rittershusius, in Epist. ad Solom. Pantherum.

(A) Il était fils d’un célèbre médecin. ] Qui s’appelait Julius Ausonius. Il était natif de Bazas, et fut s’établir à Bordeaux[1]. Sa femme avait nom Æmilia Æonia, et était fille de Cæcilius Argicius Arborius, qui s’était réfugié en Aquitaine, après une proscription qui l’avait dépouillé de tous les biens qu’il avait dans son pays [2]. Cet Arborius, s’étant fixé dans la ville Æquæ Tarbellorum[3], y épousa une honnête femme, qui n’avait guère de bien, et qui s’appelait Æmilia Corinthia Maura. De ce mariage sortirent un fils et trois filles. Le fils est le même Æmilius Magnus Arborius qui enseigna la rhétorique à Toulouse, et qui eut un soin tout particulier de l’éducation de notre poëte[4]. L’une des filles fut mariée à Julius Ausonius, et lui donna quatre enfans, dont le poëte Ausone était le second. Vous trouverez dans ses Parentalia, ou dans son Epicedion in Patrem les preuves de tout ceci, et de ce qui suit. Ce Julius Ausonius avait un très-grand mérite ; et, s’il était semblable au portrait que son fils en a laissé, c’était un reste du siècle d’or. Il y eut dans sa conduite la plus grande uniformité du monde. Il offrait gratuitement les soins de son art à tous ceux qui les demandaient : il travailla à remplir la bonne opinion qu’on avait de lui ; mais il ne jugea jamais favorablement de ce qu’il faisait :

Judicium de me studui præstare bonorum ;
Ipse mihi nunquam, judice me, placui[5].


Il eut de l’aversion pour les procès ; il n’augmenta son bien ni ne le diminua ; il ne fut jamais, ni témoin, ni délateur, contre la vie de personne [6] ; il fut sans envie et sans ambition ; il mettait au même rang, de jurer, ou de mentir ; il ne trempa jamais dans nulle conjuration, dans nul complot, dans nulle cabale ; il observa religieusement les lois sacrées de l’amitié ; il faisait consister le bonheur, non à posséder ce qu’on voulait, mais à ne souhaiter pas ce que la fortune ne donnait point :

Felicem scivi, non qui, quod vellet, haberet :
Sed qui per fatum non data non cuperet[7].


Il ne cherchait point à pénétrer les secrets d’autrui : il n’inventait point de faux bruits contre la réputation de son prochain ; et il gardait le silence, quand il savait des vérités désavantageuses.

Non occursator, non garrulus, obvia cernens,
Valvis et velo condita non adii.
Famam, quæ posset vitam lacerare bonorum,
Non finxi : et veram si scierim, tacui[8].


Il ne crut jamais que n’avoir pas fait de fautes fût une chose qui méritât d’être louée ; c’est-à-dire, si je ne me trompe, qu’il faisait une bonne action parce qu’elle était bonne, et non pas afin de se conformer aux lois.

Deliquisse nihil nunquàm laudem esse putavi,
Atque bonos mores legibus antetuli[9].


Il garda exactement la foi conjugale, pendant les quarante-cinq ans qu’il fut marié[10] ; et s’il eut la joie de voir arriver ce qu’il souhaitait, ce ne fut point par une trop grande indulgence du destin, mais parce qu’il avait donné des bornes étroites à ses vœux :

Non quia fatorun nimia indulgentia, sed quòd
Tam moderata illi vota fuêre viro[11].


On le comparait aux anciens sages de la Grèce, et il s’était rendu leur imitateur par l’endroit le plus difficile, ce fut de pratiquer ce qu’ils avaient enseigné : il s’attacha beaucoup plus à mener la vie d’un sage, qu’à discourir comme un sage :

Quem sua contendit septem sapientibus ætas,
Quorum doctrinam moribus excolut :

Viveret ut potiùs, quàm diceret arte sophorum,
Quamquam et facundo, non rudis ingenio[12].


Il ne laissait pas d’être éloquent, non pas en latin, mais en grec :

Sermone impromptus latio, verùm attica lingua
Suffecit culti vocibus eloquii[13].


Ne nous étonnons point si après sa mort on l’honora de cet éloge : Il n’y a personne qui l’imite ; il n’y avait eu personne qu’il imitât.

Indè et perfunctæ manet hæc reverentia vitæ,
Ætas nostra illi quòd dedit hunc titulum :
Ut nullum Ausonius, quem sectaretur, habebat :
Sic nullum, qui se nunc imitetur, habet[14].


Notez qu’il fut honoré de quelques charges illustres, sans avoir la peine de les exercer, et qu’il mourut à l’âge de quatre-vingt-dix années, sans avoir senti la caducité. Il marchait encore sans bâton, il ne lui manquait aucune partie :

Curia me duplex, et uterque senatus habebat
Muneris exsortem, nomine participem[15].
.........................
.........................
Ipse nec affectans, nec detrectator honorum,
Præfectus magni nuncupor Illyrici[16].
.........................
.........................
Nonaginta annos baculo sine, corpore toto
Exegi, cunctis integer officiis[17].


Il composa en latin quelques ouvrages de médecine, dont Vindicianus[18] et Marcellus[19] ont fait mention honorablement. Scaliger affirme qu’il fut médecin de l’empereur Valentinien ; et cela avant même que son fils eût été choisi pour précepteur de Gratien[20] : je n’en ai trouvé aucune preuve dans Ausone.

(B) Son horoscope faisait croire qu’il parviendrait à de grands honneurs. ] Cæcilius Argicius Arborius, son aïeul maternel, entendait l’astrologie, et avait dressé cet horoscope. Il le tenait caché, mais sa fille le déterra. C’est Ausone lui-même qui nous apprend ces particularités.

Tu cæli numeros, et conscia sidera fati
Callebas, studium dissimulanter agens.
Non ignota tibi nostræ quoque formula vitæ :
Signatis quam tu condideras tabulis :
Prodita non unquàm. Sed matris cura retexit
Sedula, quam timidi cura tegebat avi[21].


Il ajoute qu’Arborius, exposé de temps en temps aux coups de la mauvaise fortune, et pleurant son fils qui était mort âgé de trente ans, se consolait dans ses disgrâces par l’espérance des dignités que l’étoile promettait à son petit-fils.

Dicebas sed te solatia longa fovere,
Quòd mea præcipuus fata maneret honos.
Et modò conciliis animarum mixte piorum
Fata tui certè nota nepotis habes.
Sentis quod quæstor, quod te præfectus, et idem
Consul, honorifico munere commemoro[22].


Remarquez bien qu’il suppose que l’âme de son aïeul n’ignorait point dans le séjour des bienheureux l’accomplissement de l’horoscope, et le détail des dignités que notre poëte avait obtenues à la cour impériale. Il est moins orthodoxe en un autre endroit, car il y doute s’il reste quelque chose de nous ou non, après notre mort :

Et nunc, sive aliquid post fata extrema supersit,
Vivus adhuc, ævi quod periit meminens ;
Sive niluil superest, nec habent longa otia sensus,
Tu tibi vixisti : nos tua fama juvat[23].


Je ne sais si ceux qui disent qu’il était païen ont jamais cité ce passage comme une preuve de leur sentiment.

(C) On ne saurait douter qu’il ne fût encore en vie l’an 388, et même l’an 392, et qu’il n’ait vécu longtemps. ) Il parle[24] de la punition du tyran Maxime, que Théodose fit périr l’an 388[25]. Baronius prouve que Paulin se consacra à la vie monastique dans sa retraite de Nole, l’an 394[26]. Ce ne fut que peu d’années après la vie dévote qu’il avait menée en Espagne, et qu’Ausone avait blâmée. Voilà ce qui fait juger que ce poëte vivait encore l’an 392, d’où il s’ensuit qu’il vécut long-temps ; car il était déjà vieux lorsqu’il fut fait consul, l’an 379[27]. Joignez à cela, que la différence d’âge entre lui et son père était fort petite[28] ; or il survécut à son père, qui mourut à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

(D) Il y a d’habiles gens qui croient qu’il n’était pas chrétien. ] Vossius est de ce nombre : Poëta fuit gentilis, dit-il[29], quemadmodùm ex Paullino liquet : ut quæ Christum celebrant perperam illi sint tributa. Le père Briet assure la même chose ; il ne fait que donner un autre tour aux phrases de Vossius : Ex Paullino certum est eum ethnicum fuisse, quare opera christiana huic adjudicari solita, sine dubio alterius sunt[30]. M. Borrichius passe plus avant, car il assure qu’Ausone encourut souvent les censures de Paulin, à cause de son paganisme : Religione ethnicus, eoque à Paullimo amico, sed christianis sacris dedito, identidem objurgatus.... [31]. Paullinus discipulus Ausonii quem colebat ut præceptorem, sed ut aversum à christianâ religione subindè increpabat, quemadmodùm ex opere ipsius liquidum est[32]. Tout ceci nous montre que même les grands auteurs s’épargnent la peine d’aller aux sources, et qu’ils s’arrêtent au témoignage du premier venu. Ceux qui consultent les ouvrages de saint Paulin n’y trouvent rien qui leur persuade qu’Ausone faisait profession du paganisme ; et dès là qu’ils n’y lisent point qu’on ait exhorté fortement ce poëte à se faire baptiser, ils concluent qu’il professait l’Évangile. Ils le concluent encore plus certainement de ces paroles expresses qu’ils y rencontrent :

Non reor hoc Sancto sic displicuisse Parenti[33],
Mentis ut errorem credat, sic vivere Christo[34].


Ainsi la lecture des ouvrages de saint Paulin fait tout le contraire de ce que Vossius et quelques autres ont assuré ; elle fait voir le christianisme d’Ausone, comme l’a très-bien reconnu Lilius Gyraldus. Christianus quidem Ausonius fuit, ut ex ejus versibus, et item Paulini ejus discipuli facilé colligimus [35]. C’est donc sans nul fondement qu’on veut ôter à ce poëte ce qui se trouve à la louange de Jésus-Christ dans le recueil de ses vers. Il est même vrai que, quand on lui ôterait le Carmen paschale, et l’excellente pièce qui commence par

Omnipotens, solo mentis mihi cognite cultu,


comme quelques critiques veulent qu’on lui ôte l’Oratio paschalis, versibus rophalicis, on ne laisserait pas de trouver dans ses ouvrages de quoi réfuter ceux qui disent qu’il était païen. Or, voyez combien il importe de s’adresser entre les modernes, plutôt à ceux-ci qu’à ceux-là, lorsqu’on ne veut pas prendre la peine de remonter jusqu’aux sources. Si Vossius se fût adressé à Baronius, il se fût épargné la faute qu’il a commise, et il l’eût épargnée à ceux qui l’ont copié. Il n’eût jamais pu comprendre, après avoir lu Baronius, que saint Paulin fournisse la moindre preuve du prétendu paganisme du poëte Ausone ; car ce savant cardinal rapporte la réponse respectueuse de saint Paulin, et fait voir que les pensées d’Ausone sur la retraite de cet ami ne diffèrent pas de celles que les chrétiens attachés au monde forment tous les jours, quand ils voient un jeune homme de qualité renoncer à tous les avantages de la terre, pour se consacrer à la vie monastique[36]. On prétend qu’Ausone jugea qu’une humeur de misanthrope, qu’une maladie de Bellérophon portaient Paulin à se retirer du monde et à renoncer aux muses[37].

Tristis, egens, deserta eolat, tacitusque pererret

Alpini convexa jugi ; ceu dicitur olim

Mentis inops, cœtus hominum, et vestigia vitans,
Avia perlustrâsse vagus loca Bellorophontes[38].


Mille et mille chrétiens auraient pu faire un semblable jugement : c’est donc une impertinente preuve de paganisme. Arnisæus, et l’auteur français qu’il cite, étaient sans doute chrétiens, et cependant ils jugeaient tout comme Ausone, de l’amour de la solitude : ils ont assez clairement donné à connaître qu’ils attribuaient à une humeur mélancolique la retraite des fondateurs des moines : Medici inter signa morbi melancholi referunt, si quis quærat solitudinem, aut si quem tristis agat mœror, torvâve severum fronte, vel à lætis sociorum cœtibus arceat ; et Gallicus quidam non inconcinnus scriptor, ejus ordinis fuisse censet Franciscum, Dominicum, aliosque eremitas, aut anachoretas, qui contra naturæ præscriptum politicis societatibus se subtraxerunt, in eremos, instar Endymionum, sese abdiderunt, et quo melancholica ingenia maximè afficiebantur, novum vitæ genus, affectatæ religionis pallio vestitum, condiderunt[39]. Baronius n’a pas oublié de remarquer qu’Ausone fut élevé par deux religieuses qui étaient ses tantes[40]. C’est une preuve qu’il était d’une famille chrétienne. Or, en ce temps-là le christianisme étant sur le trône, et le paganisme étant exposé aux disgrâces et à la persécution, il n’arrivait guère qu’un chrétien se fit païen. Puis donc qu’Ausone fut élevé dès l’enfance au christianisme, l’on doit être persuadé qu’il le professa tout le reste de ses jours ; car rien n’est plus absurde que la pensée de Giselin. Il a débité que Claudien et Ausone, entraînés par l’autorité et par l’éloquence de Symmaque, abjurèrent la foi chrétienne, et se replongèrent dans l’idolâtrie[41]. Il prétend prouver cela par le témoignage de saint Augustin, et par l’étroite amitié que Symmaque leur témoignait en leur écrivant. Le jésuite qui réfute cela montre que saint Augustin, sans parler d’Ausone, a dit seulement que Claudien avait été attaché au paganisme[42] : ce n’est point prétendre qu’il eût été autrefois chrétien. Et, pour ce qui est d’Ausone, on le justifie, tant par le silence de l’empereur Gratien et de saint Paulin, que par leurs honnêtetés. On aurait pu ajouter que la raison empruntée de l’amitié de Symmaque est la plus faible du monde : ce n’était point la conformité de religion qui les unissait, mais l’amour qu’ils avaient tous deux pour les belles-lettres.

On ne saurait disconvenir que M. Baillet n’embrasse le sentiment de ceux qui prétendent qu’Ausone a été païen ; on n’en saurait, dis-je, disconvenir, quand on pèse les paroles qu’il emploie : « Ce sont des défauts qu’il aurait dû récompenser par quelques bonnes qualités prises d’ailleurs, et qu’il devait réparer par des maximes et des sentimens tirés de la morale, comme les meilleurs poëtes de l’antiquité avaient eu soin de faire avant lui. Mais, comme il vivait parmi les chrétiens, il avait peut-être peur qu’on ne le confondit avec eux, si on lui eût trouvé des sentimens trop conformes aux leurs, touchant les mœurs[43]. » Il est certain que l’on trouve, dans les ouvrages d’Ausone, les plus belles maximes de la morale, et nommément les Apophthegmes des anciens sages de la Grèce. Que peut-on voir de plus moral que sa description du vir bonus[44] ?

(E) Il a composé quelques vers lascifs. ] Scaliger le père trouvait si sales quelques épigrammes d’Ausone, qu’il jugea qu’il n’y avait que le feu qui fût capable de les nettoyer. Nonnulla (epigrammata) adeò fœda atque detestanda, ut neque scriptore neque auditore digna, non in spongiam incumbere merita sint, sed solis flammis expiari posse videantur[45]. Je m’étonne qu’on ne dise rien contre les obscénités du Cento nuptialis, qui ont principalement excité la bile de plusieurs autres auteurs. Voici un beau passage de M. Baillet : « Il aurait été du moins à souhaiter qu’on eût exterminé le misérable Centon, c’est-à-dire, cette méchante pièce de rapport, qu’il a fait des moitiés de vers de Virgile, sur des matières purement érotiques. C’est avec beaucoup de justice que l’université de Paris se plaignait, il y a quarante ans, de la malice que ce poëte a eue de faire parler d’une façon très-déshonnête Virgile, c’est-à-dire, celui des poëtes de l’antiquité qu’on a toujours loué le plus pour sa chasteté [* 1]. Et le père Briet, jésuite, a porté son zèle encore plus loin [* 2], lorsqu’il nous a dépeint cette action d’Ausone comme un attentat punissable ; jugeant qu’il n’y avait pas moins d’impudence et d’effronterie que d’impureté et d’infamie dans un homme qui avait été capable de commettre une telle infidélité, et qu’il y avait quelque chose de plus diabolique qu’humain dans ce pernicieux art de pervertir les choses, c’est-à-dire, de les changer de bien en mal, pour dresser des piéges à l’innocence et à la pureté de la jeunesse[46]. » Comme bien des gens seront fort aises de lire les propres paroles du père Briet, je m’en vais les copier : Centones ejus Virgidiani non tantùm impurissimi sunt, sed et impudentissimi, quibus castissimos versus libidinosæ affixit materiæ, opere quod plus dæmonem quàm hominem saperet, adolescentium pudicitiæ insidiantem. Ausone fit cet ouvrage à la prière de l’empereur Valentinien, qui en avait fait un semblable. Il s’excuse sur cet ordre-là, et il observe qu’un prince ne saurait user d’une manière de commandement plus absolue que celle de la prière. Il se trouva bien embarrassé, car, en faisant un mauvais poëme, il s’exposait au blâme d’avoir sacrifié grossièrement sa réputation à la flatterie ; et, en faisant un meilleur poëme que celui de l’empereur, il s’exposait à passer pour un insolent qui avait l’audace de vouloir briller plus que son maître. Il assure, 1°, qu’il garda un tel milieu, que, sans prétendre de surpasser Valentinien, il fit en sorte que son poëme ne cédât point à l’ouvrage de ce prince ; 2°., qu’il eut l’avantage de lui plaire, et que, ne l’ayant point vaincu, il n’encourut point la disgrâce que la victoire aurait pu lui attirer. Voilà le langage d’un fin courtisan ; mais, afin de rendre à ce poëte toute la justice que la délicatesse de son esprit et de sa plume demande ici, il faut l’entendre lui-même : Piget Virgiliani carminis dignitatem tam joculari dehonestâsse materiâ ; sed quid facerem ? jussum erat. Quodque est potentissimum imperandi genus, rogabat qui jubere poterat, S. imperator Valentinianus, vir meo judicio eruditus, qui nuptias quondàm ejusmodi ludo descripserat, aptis equidem versibus et compositione festivâ. Experiri deindè volens, quantùm nostrâ contentione præcellerent simile nos de eoder concinnare præcepit. Quàm scrupulosum hoc mihi fuerit, intellige. Neque anteferri volebam, neque posthaberi : quùm aliorum quoque judicio detegenda esset adulatio inepta, si cederem, insolentia, si ut æmulus eminerem. Suscepi igitur similis recusanti, feliciterque et obnoxius gratiam tenui, nec victor offendi[47]. S’il était vrai que le Cento nuptialis de l’empereur Valentinien ne cédât pas à celui d’Ausone, il faudrait dire que ce monarque n’entendait pas mal la poésie ; et comme, d’ailleurs, il était grave, et d’une pudicité exemplaire, il peut servir de beaucoup à la justification d’Ausone. Omni pudicitiæ cultu domi castus, et foris, nullo contagio conscientiæ violatus obscenæ, nihil incestum ; hancque ob causum tanquam retinaculis petulantiam frenârat aulæ regalis[48]. Un si grand exemple peut prouver très-clairement que les personnes les plus sévères et les plus chastes se laissent aller quelquefois à des jeux d’esprit, où les descriptions de la principale cérémonie des noces sont remplies de trop de licence et de trop d’obscénités, car il ne faut point douter que cette pièce de poésie de l’empereur Valentinien ne fût bien gaillarde ; la matière le demandait. Il était question de mariage, et l’on avait pris la chose sur le ton de plaisanterie : Nuptias quondam ejusmodi ludo descripserat (Valentinianus) aptis equidem versibus, et compositone festivâ[49]. On peut être très-assuré que les vers de cet empereur ne furent pas moins érotiques que ceux de l’empereur Gallien[50]. Il faut donc reconnaître qu’Ausone trouvait quelque excuse, en ce qu’il ne faisait son Centon nuptial qu’à l’imitation et qu’à la prière de son maître, l’un des plus graves et des plus chastes empereurs qui aient jamais été, et, outre cela, grand sectateur de la plus pure doctrine chrétienne[51] ; de façon que, s’il n’eût pas pratiqué le dogme de la tolérance[52], on jugerait qu’il ne lui manquait aucun des talens qui conviennent aux monarques les plus orthodoxes. Je ne remarque ceci que pour en conclure que ceux qui mettent Ausone entre les poëtes païens, sous prétexte qu’il a fait une pièce aussi lascive que le Cento nuptialis, n’examinent pas les choses assez mûrement. Il est blâmable, sans doute. Je ne prétends point l’excuser ; je dis seulement que cette action n’est point une preuve de paganisme, et qu’elle ne suffit pas à donner de justes soupçons qu’il ne fut pas un chrétien très-orthodoxe, et je prouve cela par les circonstances, c’est-à-dire, par le caractère de l’empereur qui lui commanda de composer un tel écrit, et qui l’approuva. Combien y a-t-il de poëtes chrétiens dont les ouvrages sont plus lascifs que ne l’est le Cento nuptialis ! il en faudrait dégrader plusieurs de la qualité de chrétien, si l’on se réglait à la maxime du Gyraldi. Christianus quidem Ausonius fuit... sed petulantior tamen et lascivior quàm ut inter christianos numerari dignus sit[53]. Sans recourir à l’Italie, ne trouve-t-on point parmi les œuvres d’un poëte de la Haye, un épithalame qui, en matière d’obscénités, ne cède point au Centon d’Ausone[54] ? J’adresse ceci principalement au sieur Rittershusius, qui a regardé comme un monstre ce qu’il a vu dans la conduite d’Ausone ; je veux dire qu’un poëte chrétien de nom et de mœurs ait écrit lascivement : Illud imprimis apud me monstri instar habet, hominem christianum, et ut apparet, non nomine tantùm, sed et pectore et moribus, adeò sæpè lasciva atque improba scribere potuisse, ut nisi nomen Ausoni esset adscriptum, Bilbilitanum poëtam te legere putes[55]. Il ne se paie point de l’excuse que l’auteur a faite sur la pureté de sa vie, lasciva est nobis pagina, vita proba est. Je rapporte fort au long cette excuse-là dans un autre article[56]. Notons qu’Ausone était si persuadé qu’on le blâmerait, qu’il tâche de se justifier au commencement, au milieu et à la fin de ce petit poëme. Nous avons vu ce qu’il a dit au commencement ; nous verrons ailleurs[57] ce qu’il a dit à la fin. Il ne nous reste que de remarquer ce qu’il a dit au milieu. Sachez donc qu’après avoir décrit bien honnêtement le festin nuptial, la marche de l’épouse, la marche de l’époux, les présens de noces, les vœux de la compagnie, et avoir représenté assez honnêtement les premiers discours des mariés, il s’arrête là, et qu’il avertit ses lecteurs que ce qui lui reste à dire n’étant point couvert d’un voile, c’est à eux à ne point passer plus outre : Hactenùs castis auribus audiendum mysterium nuptiale, ambitu loquendi, et circumitione velavi. Verùm quoniam et fescenninos amat celebritas nuptialis, verborumque petulantiam notus vetere instituto ludus admittit, cætera quoque cubiculi et lectuli operta prodentur, ab eodem auctore collecta : ut bis erubescamus, qui et Virgilium faciamus impudentem. Vos, si placet, hic jam legendi modum ponite : cætera curiosis relinquite [58]. Il a raison de dire que ce qu’il nomme imminutio[59] sera décrit en termes fort sales. M. Moréri a été le plus indulgent de tous les hommes : Il y a quelques pièces, dit-il, qu’Ausone avait composées durant sa jeunesse, où il donne trop à la liberté de son siècle. Cette censure n’est point rigide, et suppose une fausseté, car assurément Ausone n’était point jeune lorsqu’il composa le Centon nuptial. Je ne parle point des vers qu’il fit sur une jolie esclave qui s’appelait Bissula, et qui lui avait été adjugée pour sa portion du butin, après une grande victoire remportée en Allemagne l’an 368, car nous ne savons point à quel degré de licence il les porta : ils sont perdus, et nous pouvons seulement conjecturer qu’ils étaient bien libres, puisqu’il demande des lecteurs qui aient fait la débauche.

........Admoneo, antè bibas.
Jejunis nil scribo : meum post pocula si quis
Legerit, hic sapiet[60] ..........


Cela ne convient nullement à ce qui nous reste de ce poëme ; on n’y voit rien d’impur, ni dans les mots ni dans les pensées : il faut donc dire que la plupart des pièces qui le composaient sont péries. Un commentateur a prouvé la même chose par une autre raison, sans songer à celle-là. Il remarque que cette poésie est trop courte présentement, pour avoir pu être précédée de ces préfaces qui s’y trouvent[61] ; et, par conséquent, elle était beaucoup plus longue quand l’auteur l’eut achevée, que nous ne l’avons aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, Ausone, qui, en ce temps-là, n’était plus dans le feu de la jeunesse, décrivit, selon toutes les apparences, un peu bien librement, les gentillesses de son esclave : elle lui parut si agréable dès le premier jour, qu’il ne tarda guère à la mettre en liberté [62].

(F) Voici quelques erreurs de Scaliger. ] 1°. Il a cru qu’Ausone fut élevé à la charge de préfet du prétoire, pendant la vie de l’empereur Valentinien[63]. Cela n’est pas vrai : Ausone déclare qu’il ne devait cette charge qu’à l’empereur Gratien. Tot gradus nomine comitis propter tua incrementa congesti ex tuo merito, te ac patre principibus, quæstura communis, et tui tantùm præfectura beneficii[64]. 2°. Scaliger a cru sans raison qu’il y avait une faute dans le code Théodosien, à l’endroit où il est parlé d’Auxonius, préfet du prétoire[65]. Il veut qu’on lise Ausonius, et non pas Auxonius. Il n’aurait point demandé une telle correction, s’il avait pris garde que la personne dont il s’agit dans cet endroit-là du code Théodosien, mourut environ l’an 371, et qu’Ausone exerça le consulat l’an 379, et vécut encore plusieurs années depuis. 3°. Il veut que toutes les lois adressées à Antonius, préfet du prétoire, soient corrigées, et qu’on y lise Ausonius, et non pas Antonius. C’est à tort, car il est certain qu’Ausone fut honoré de la charge de préfet du prétoire d’Italie l’an 376, cinq mois après la mort de l’empereur Valentinien, et que son fils Hespérius lui fut donné pour collègue[66]. Nous savons aussi qu’Antonius obtint la préfecture du prétoire des Gaules environ le même temps. Les choses demeurèrent au même état l’année suivante : Ausone et son fils exercèrent la préfecture d’Italie, et Antonius celle des Gaules ; mais, l’an 378, Antonius eut la préfecture du prétoire en Italie, Ausone et son fils l’eurent dans les Gaules, et ne la quittèrent qu’en 380. Vous trouverez les preuves de tout ceci dans l’auteur que je vous indique[67]. 4°. Scaliger a cru qu’Ausone parlait de soi-même dans ces deux vers :

Aut Italùm populos, Aquilonigenasque Britannos
Præfecturarum titulo, tenuêre secundo[68].

C’est s’abuser : le poëme où sont ces

deux vers fut composé pendant la vie de l’empereur Valentinien[69]. Or, Ausone ne fut préfet du prétoire qu’après la mort de ce prince[70]. 5°. Il ne faut point croire ce que Scaliger assure, qu’Ausone, après son consulat, exerça la charge de proconsul d’Asie, et celle de vicaire du diocèse d’Afrique[71]. On trouve bien un Auxonius qui était vicaire du diocèse d’Asie l’an 365, et un autre Auxonius qui était proconsul d’Asie l’an 381[72] ; mais, que fait cela pour le sentiment de Scaliger ? 6.° Il prend l’oncle pour l’aïeul dans ces paroles : Hoc tanto viro nascitur Burdegalæ Decius Magnus Ausonius nomine avi materni, cognomine patris[73]. L’aïeul maternel d’Ausone s’appelait Cæcilius Argicius Arborius : il laissa un fils qui avait nom Æmilius Magnus Arborius. La faute de Scaliger est donc visible. 7°. Il dit qu’Hilaria et Julia Cataphronia, qui avaient fait vœu de virginité, étaient tantes maternelles d’Ausone [74]. Cela n’est vrai qu’à l’égard d’Æmilia Hilaria, car la religieuse Julia Cataphronia était sa tante paternelle [75].

(G) ... et les principales éditions d’Ausone. ] Gesner et ses abréviateurs assurent qu’Alde est le premier qui ait publié ce poëte. Ils ne marquent point en quelle année ; mais, s’ils entendent l’édition de Venise, en 1517, on les convaincra facilement de fausseté ; car, outre qu’Alde n’était point alors en vie, M. van Beughem assure qu’Ausone fut imprimé à Milan en 1490[76], et puis à Venise, l’an 1496, avec une préface de George Merula [77]. L’édition de Bâle, en 1523, chez Valentin Curion, est assez connue ; celle que Louis Mireüs fit faire à Lyon, chez Jean de Tournus, l’an 1557, est meilleure que les précédentes : les bibliographes en font mention ; mais je ne vois pas qu’ils parlent de celle que Ducheri procura, et à la louange de laquelle Nicolas Bourbon fit quatre vers que l’on voit au revers du titre de l’édition de Lyon, chez Sébastien Gryphius, en 1549. Je ne dis rien de l’édition de Plantin, en 1568, avec les notes de Théodore Pulman. Celle de Joseph Scaliger, à Lyon, chez Antoine Gryphius, en 1575, accompagnée d’un fort docte commentaire sous le titre d’Ausonianarum Lectionum, effaça les précédentes. Personne n’ignore qu’Elie Vinet est un des commentateurs qui ont le plus travaillé sur les ouvrages de notre poëte. Il régentait les belles-lettres à Bordeaux, et se voyait exhorté par plusieurs personnes de cette ville à procurer une édition de leur illustre compatriote : il tâcha de les satisfaire ; mais il ne trouva aucun manuscrit d’Ausone dans les bibliothéques de Bordeaux, et tout ce qu’il put faire fut de conférer ensemble les éditions. Il rétablit et il corrigea divers passages ; et, en attendant que les commentaires où il devait rendre raison de sa critique fussent prêts, il fit imprimer les Œuvres d’Ausone telles qu’il les avait corrigées. Jacques Goupil, son ami, eut soin de cette édition, qui est celle de Paris, en 1551. Vinet, quelques années après, recouvra un manuscrit qui avait été trouvé proche de Lyon, et qui lui donna beaucoup de lumières ; et, comme cela diminuait ses excuses auprès de ceux qui le pressaient de faire imprimer ses notes, il fit imprimer à Poitiers le poëme de claris Urbibus, accompagné de son commentaire, l’an 1565. Il envoya un exemplaire complet des Œuvres d’Ausone à Antoine Gryphius, qui le lui avait demandé, et qui promettait de l’imprimer promptement ; mais, cette édition ne paraissant pas, il fut exhorté de se servir de l’imprimerie qui avait été dressée à Bordeaux sur ces entrefaites. Il donna donc un autre exemplaire à Simon Millanges, qui commença de l’imprimer à Bordeaux, au mois de février 1575, et qui l’acheva au commencement de l’été de la même année. On reçut en ce temps-là l’édition de Gryphius ; et, parce que le papier manqua à Millanges, on ne put mettre sous la presse le Commentaire de Vinet. On ne l’imprima que quatre ans après l’édition que Millanges avait faite des Œuvres d’Ausone[78]. C’est pourquoi, si l’on veut parler exactement, il ne faut point dire que la meilleure édition d’Ausone est celle qui fut publiée à Bordeaux, l’an 1575, avec les Commentaires d’Élie Vinet. Præ reliquis verò laudanda luculenta Ausonii editio, cum Commentariis viri docti Eliæ Vineti vulgata, Burdigalæ A. 1575 ; et post ejus obitum A. 1590, 4[79] ; car, encore un coup, ces Commentaires ne parurent qu’en 1580. M. Moréri a été exact sur ce point : il s’est seulement trompé à dire que Vinet était de Xaintes ; le mot Santo ne signifiait ici que Saintongeois. La Bibliothéque de M. l’archevêque de Reims fait mention[80] d’un Ausone imprimé chez Millanges, à Bordeaux, l’an 1575, avec les Commentaires d’Élie Vinet. Je m’imagine que cette faute est venue de ce qu’on a appliqué à toutes les pièces reliées ensemble la date 1575, qui ne convient qu’aux Œuvres d’Ausone qui sont à la tête du volume. M. Borrichius a eu tort de débiter, 1°. que l’édition de Vinet est des meilleures ; 2°. que Vinet a commenté le poëme d’Ausone de Urbibus[81]. N’est-ce pas dire qu’il n’a point fait de commentaires sur les autres poésies d’Ausone ? La meilleure édition de ce poëte est celle d’Amsterdam, en 1671 ; mais j’ai déjà averti[82] que le titre promet faussement que l’on y a inséré tout entières les notes de Mariangelus Accurse. Je donnerai un supplément à tout ceci dans l’article d’Hugolin Martellius, à la fin de la remarque (A). N’ayant pas le livre du père Lacarry[83], je suis obligé de me contenter de ce que j’en trouve dans le Journal des Savans. « La double préfecture d’Ausone, qui a donné tant de peine à Scaliger, y est traitée fort nettement. On voit que, l’an 378, Ausone fut préfet du prétoire des Gaules et d’Italie, avec son fils Hespérius ; mais il ne fut préfet d’Italie que jusques environ le mois de juillet, qu’un certain Antoine fut créé préfet du prétoire d’Italie, comme il est marqué dans le code. Ainsi la préfecture d’Ausone et d’Hespérius dans l’Italie, fut interrompue par Antoine ; mais il la reprit avec son fils, en 359, et continua celle des Gaules avec lui sans nulle interruption, pendant les années 358 et 379[84]. » Cette hypothèse et cette chronologie ne sont pas conformes au sentiment du sieur Rubenius, que j’ai rapporté. Si j’avais le livre du père Lacarry, Je saurais peut-être lequel des deux a développé plus exactement cette matière.

(H) Trithème a prétendu qu’Ausone fut évêque de Bordeaux. ] Trithème assure que cet évêque était fort savant dans les saintes lettres, et aussi recommandable par sa piété que par son érudition, et qu’il florissait sous Maxime l’an 310, et qu’il fit de très-belles choses avec saint Martin, saint Ambroise et saint Jérôme, dans le synode que ce prince fit tenir à Trèves. Voilà un monceau de fables. Vinet observe qu’il y a des gens qui veulent qu’Ausone ait été canonisé : il dit aussi que les habitans d’Angoulême honorent comme l’un de leurs principaux saints un Ausone qui a été, disent-ils, leur premier évêque, et il ne trouve point impossible que le poëte Ausone, ayant été élu évêque par ceux d’Angoulême, ait accepté cette prélature[85]. Une chronique manuscrite d’Angoulême porte qu’Ausone, disciple de saint Martial, et évêque d’Angoulême, souffrit le martyre quand les Vandales ravagèrent les Gaules[86]. M. de Hauteserre réfute cela par la raison qu’un disciple de saint Martial n’a pu être encore en vie au commencement du IVe. siècle, lors de l’irruption des Vandales[87]. Quoi qu’il en soit, voilà notre Ausone bien différemment situé. Les uns disent qu’il n’a pas été chrétien, et les autres qu’il est dans le catalogue des saints canonisés.

  1. (*) Réponse de l’Université à l’Apologie du père Nic. Caussin, pag. 358.
  2. (*) Philipp. Briet, de Poët. latin., lib. IV, pag. 50.
  1. Auson., in Præfat. ad Siagr. et in Epiced. Parent.
  2. La province que l’on appelle aujourd’hui Bourgogne.
  3. Scaliger dit que c’est la ville d’Acqs, sur l’Adour.
  4. Auson., in Profess., cap. XVI, pag. 176.
  5. Auson., in Epiced., pag. 298.
  6. Indice me, nullus, sed neque teste, perit. Auson., in Epic., pag. 298,
  7. Idem, ibid., pag. 299.
  8. Idem, ibidem.
  9. Idem, ibidem.
  10. Idem, ibidem, pag. 300.
  11. Idem, in Parental., cap. I, pag. 110.
  12. Auson., in Parental., cap. I, pag. 110.
  13. Idem, in Epiced., pag. 208.
  14. Idem, in Parental., cap. I, pag. 110.
  15. Idem, in Epiced., pag. 298.
  16. Idem, ibid., pag. 302.
  17. Ibidem, pag. 303.
  18. Voyez Scaliger, in Vitâ Ausonii.
  19. Marcell., in Epist. præfixâ, lib. de Medicâ, et cap. XX ejusd. libri.
  20. Scaliger., in Vitâ Ausonii.
  21. Auson., in Parental., cap. IX, pag. 117.
  22. Idem, ibid., pag. 118.
  23. Idem, in Professoribus, cap. I, in fine, pag. 168.
  24. In Claris Urbibus, cap. VII, pag. 237.
  25. Et non l’an 391, comme l’assure Vinet sur cet endroit d’Ausone. Il est plus exact dans la Vie d’Ausone : il y marque l’an 388.
  26. Baron., Annal., ad ann. 394, num. 72, pag. 884.
  27. Auson., in Gratiar. Actione, pag. 709.
  28. Auson., Epist. I.
  29. Vossius, de Poët. lat., pag. 55.
  30. Brietius, de Poët. lat., lib. IV, pag. 50.
  31. Borrich., Dissertat. de Poëtis, pag. 73.
  32. Idem, ibid., pag. 74.
  33. C’est-à-dire à Ausone.
  34. Paullinus, in Epistolâ de fore ad Ausonium, in fine.
  35. Gyraldus, Histor. Poët., Dialog. X, pag. 514.
  36. Baron., ad ann. 394, num. 84.
  37. Je m’exprime ainsi, parce qu’encore que Paulin ait donné ce sens aux termes d’Ausone, il y a sujet de croire que ce n’est pas le véritable, et qu’il faut entendre ici une imprécation contre celui qui conseillait à Paulin de ne pas répondre aux Lettres d’Ausone.
  38. Auson., Epist. XXV, pag. 697, 698.
  39. Arnisæus, Relectionum politicar. pag. 9.
  40. Baron., ad ann. 394, num. 85. Voyez la remarque (F), num. VII.
  41. Victor Giselinus, in Scholiis ad secundum librum Prudentii contra Symmachum, apud Theophil. Raynaud. Hoploth., sect. II, serie I, cap. XIV, pag. 56.
  42. Theophil. Raynaudus, Hoploth., sect. II, serie I, cap. XIV, pag. 56.
  43. Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. II, pag. 470.
  44. Pag. 529.
  45. Julius Cæsar. Scalig., Poët., lib. VI, cap. V, pag. 761.
  46. Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. II, pag. 470, 471.
  47. Auson., in Præfat. Cent. nuptial., pag. 500, 501.
  48. Amm. Marcell., lib. XXX, cap. IX.
  49. Auson., in Præfat. Cent. nuptial., pag. 500, 501.
  50. Voyez ci-dessus, pag. 436, colon. 2, au commencement.
  51. Voyez M. Fléchier dans la Vie de Théodose, pag. 52.
  52. Amm. Marcell., lib. XXX, cap. XIX, et ibi Valesius.
  53. Gyrald., Histor. poët., Dialog. X, pag. 514.
  54. Voyez le Basium XX, sive Epithalamium de Jean Secundus, pag. 103.
  55. Conradus Rittershusius, Epist. ad Solom. Pantherum.
  56. Voyez la remarque (D) de l’article Vayer.
  57. Voyez la même remarque.
  58. Auson., in Centone nupt., pag. 513, 514.
  59. C’est-à-dire, la défloration.
  60. Auson., in Bissulâ, pag. 340.
  61. Voyez l’Ausone de Tollius, pag. 342.
  62. Auson., in Bissulâ, pag. 341.
  63. Scalig. Ausonian. Lection., lib. I, cap. II, et lib. V, cap. XVII, apud Alb. Petrum Rubenium, in Vitâ Mallii Theodori, pag. 16.
  64. Auson., in Gratiar. Actione, pag. 702, 703.
  65. Cod. Theod. Lege II de Patrociniis Virorum. Vide Valesium in Amm. Marcellin., lib. XXIX, cap. I, pag. 549.
  66. Auson., in Gratiar. Actione, pag. 705,
  67. Albertus Petrus Rubenius, in Vitâ Mallii Theodori, pag. 17 et seq.
  68. Auson., in Mosellâ, vs. 407, pag. 419.
  69. Cela est clair par le vers 450.
  70. Voyez Rubenius, in Vitâ Mallii Theodori, pag. 23.
  71. Scalig., in Vitâ Ausonii.
  72. Ruben., in Vitâ Mallii Theodori, pag. 24.
  73. Scalig., in Vitâ Ausonii.
  74. Idem, ibidem.
  75. Auson., in Parent., num. 26, pag. 140.
  76. Beughem, in Incunabul. Typographiæ, apud Joh. Albert. Fabricium, Biblioth. lat., pag. 177.
  77. Il y a un exemplaire de cette édition dans la bibliothéque de M. de Thou : elle est in-folio, et peut-être d’Alde.
  78. Tiré de la Préface d’Élie Vinet.
  79. Joh. Albert. Fabricius, Biblioth. lat., pag. 177.
  80. À la page 394.
  81. Ausonii editio selectior est Jos. Scaligeri, et Eliæ Vineti. Borrich., de Poëtis latinis, pag. 73.
  82. Ci-dessus, citation (b) de l’article de (Marie-Ange) Accurse.
  83. Intitulé Historia Galliarum sub præfectis prætorio Galliarum.
  84. Journal des Savans du 12 août 1675, pag. 225, édition de Hollande.
  85. Elias Vinetus, in Vitâ Ausonii.
  86. Alteserra, Rerum Aquitanicarum lib. V, cap. VIII, pag. 339.
  87. Idem, ibid.

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