Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Magni

La bibliothèque libre.

◄  Magius (Jérôme)
Index alphabétique — M
Mahomet  ►
Index par tome


MAGNI (Valérien) capucin milanais, s’est rendu célèbre dans le XVIIe. siècle. Il s’appliqua non-seulement à la controverse (A), mais aussi aux expériences physiques. On prétend qu’il se voulut attribuer l’invention de celles de Torricelli (B), et qu’on le convainquit d’être plagiaire. Il écrivit contre Aristote violemment [a]. Mais je ne sais s’il y a rien qui le fasse tant connaître, que l’usage que l’on a fait de l’une de ses pensées dans les Lettres Provinciales (C). Il eut de grandes querelles avec les jésuites (D), et y perdit sa liberté. Il fut l’un des convertisseurs du prince Ernest, landgrave de Hesse [b]. Je pense qu’il donnait trop d’étendue à son caractère de missionnaire apostolique aux pays du Nord.

Il était d’une famille noble, illustre, et nombreuse dans le Milanais, et il naquit vers l’an 1587 [c]. « Ce ne fut qu’en recevant l’habit de capucin qu’il prit le nom de Valérien. Il fut long-temps maître des novices et souvent gardien des maisons de son ordre. Il professa aussi la philosophie et la théologie, et comme il était fort expérimenté dans la controverse, le pape Urbain VIII, qui avait beaucoup d’estime et de considération pour lui, le fit missionnaire apostolique par toute l’Allemagne, la Pologne, la Bohème et la Hongrie, et le déclara chef des missions du Nord. On était persuadé qu’il n’était pas moins expérimenté dans la politique que dans la théologie : c’est ce qui porta les puissances de l’Europe à l’envoyer en diverses ambassades. Ils se trouva par ces routes fort près du cardinalat (E) ; mais le généreux mépris qu’il avait fait des grandeurs de la terre le fit réduire aux fatigues de la mission » qui furent grandes et périlleuses [d]. Il eut aussi beaucoup à souffrir de la part des péripatéticiens qui le considéraient comme l’ennemi de leur Aristote. On le jeta dans un affreux cachot sous quelque prétexte de nouvelle entreprise ; mais il en sortit à son honneur avec l’assistance de l’empereur Ferdinand III. Il se retira sur la fin de ses jours à Saltzbourg, où il mourut [e] âgé de soixante-quinze ans, dont il avait passé soixante dans l’ordre des capucins. L’histoire de sa mort se trouve dans un petit livre imprimé l’an 1662 in-12 sous le titre : Relatio veridica de pio obitu R. P. Valeriani [f]. Je dirai quelque chose d’une réponse qu’il fit à un livre de Coménius (F).

  1. Voyez la remarque (B).
  2. Il disputa, pour cet effet, verbalement à Rhinfelds, l’an 1651, avec Haberkorn, professeur luthérien en théologie à Giesse.
  3. Baillet, au Ier. tome des Anti, pag. 257, 259.
  4. Là même, pag. 259.
  5. L’an 1661.
  6. Baillet, tome I des Anti, pag. 260.

(A) Il s’appliqua..… à la controverse. ] Son Judicium de Acatholicorum regulâ credendi, publié l’an 1628, l’exposa à une longue dispute, parce qu’il fut obligé de répliquer à plusieurs écrits des protestans. J’en parle ailleurs [1].

(B) On prétend qu’il se voulut attribuer l’invention... de Torricelli. ] M. Baillet nous va instruire de cette affaire. « Le père Valérien Magni…. ne s’était avisé de faire l’expérience de Torricelli, qu’après avoir publié à Varsovie son traité de l’Athéisme d’Aristote, qu’il avait dédié [* 1] au père Mersenne ; et l’édition de ce livre était postérieure non-seulement à l’imprimé de M. Pascal, mais encore à la mort de Torricelli. Quoique le père capucin n’eût fait autre chose que répéter l’expérience de Torricelli sans y rien ajouter de nouveau, il ne laissa pas de se l’attribuer, comme si elle lui eût été propre, dans le récit qu’il en fit imprimer l’année suivante, sans reconnaître qu’elle eût été faite en Italie et en France avant lui. L’écrit du père Valérien surprit les connaisseurs qui découvrirent son usurpation : et sa prétention fut repoussée incontinent par M. de Roberval, qui se servit de l’imprimé de M. Pascal comme d’une preuve indubitable contre lui. Il le convainquit de n’avoir même fait son expérience que sur l’énonciation qu’il en avait vue dans l’écrit que M. Pascal en avait fait envoyer en Pologne comme dans le reste de l’Europe : et la lettre latine qu’il lui en écrivit lui ayant été rendue par l’entremise de M. de Noyers, secrétaire des commandemens de la reine de Pologne, ce bon père ne fit point de réponse, et l’on prit son silence pour un désistement de son usurpation [2]. » J’ai un livre de ce capucin, imprimé à Varsovie, l’an 1648 [* 2]. C’est un recueil de Traités Philosophiques dédié à la Sainte-Vierge, de Peripatu ; de Logicâ ; de per se Notis ; de Syllogismo demonstrativo ; Experimenta de incorruptibilitate Aquæ ; de Vitro mirabiliter facto. On y a joint une lettre d’un jésuite, où l’on soutient Experimenta vulgata non vacuum probare, sed plenum et antiperistasim stabilire. Il avait publié à Venise, l’an 1659, Ocularis Demonstratio loci sinè locato, corporis successivè moti in vacuo, et luminis nulli corpori inhærentis ; et à Rome, l’an 1642 de Luce mentium et ejus Imagine.

(C) L’usage que l’on a fait de l’une de ses pensées dans les Lettres Provinciales. ] Cette pensée est une méthode sûre de pousser à bout les médisans et les calomniateurs, qui cherchent une retraite dans des termes vagues. Ne semble-t-il pas, dit M. Pascal [3], qu’on ne peut convaincre d’imposture un reproche si indéterminé ? Un habile homme néanmoins en a trouvé le secret. C’est un capucin qui s’appelle le père Valérien, de la maison des comtes de Magni. Vous apprendrez par cette petite histoire comment il répondit à vos calomnies. Il avait heureusement réussi à la conversion du landgrave de Darmstadt. Mais vos pères, comme s’ils eussent eu quelque peine de voir convertir un prince souverain sans les y appeler, firent incontinent un livre contre lui, (car vous persécutez les gens de bien partout,) où falsifiant un de ses passages, ils lui imputent une doctrine hérétique. Ils firent aussi courir une lettre contre lui, où ils lui disaient : Oh ! que nous avons de choses à découvrir, sans dire quoi, dont vous serez bien affligé ! car si vous n’y donnez ordre, nous serons obligés d’en avertir le pape et les cardinaux..... Que ferai-je, répondit-il [4], contre ces injures vagues et indéterminées. Comment convaincrai-je des reproches qu’on n’explique point ? En voici néanmoins le moyen. C’est que je déclare hautement et publiquement à ceux qui me menacent, que ce sont des imposteurs insignes, et de très-habiles et très-impudens menteurs, s’il ne découvrent ces crimes à toute la terre. Paraissez donc, mes accusateurs, et publiez ces choses sur les toits ; au lieu que vous les avez dites à l’oreille, et que vous avez menti en assurance en les disant à l’oreille. L’auteur des Provinciales [5] observe que les jésuites, n’ayant point répondu à ce défi, ne laissèrent pas quelque temps après d’attaquer encore de la même sorte sur un autre sujet le père Valérien. Il se défendit aussi de même [6]. Il y a peu de gens, dit-il [7], qui soient capables de s’opposer à une si puissante tyrannie. C’est ce que j’ai fait néanmoins. J’ai arrêté leur impudence, et je l’arrêterai encore par le même moyen. Je déclare donc qu’ils ont menti très-impudemment, mentiris impudentissimè. Si les choses qu’ils m’ont reprochées sont véritables, qu’ils les prouvent, ou qu’ils passent pour convaincus d’un mensonge plein d’impudence. Leur procédé sur cela découvrira qui a raison. Je prie tout le monde de l’observer, et de remarquer cependant que ce genre d’hommes, qui ne souffrent pas la moindre des injures qu’ils peuvent repousser, font semblant de souffrir très-patiemment celles dont ils ne se peuvent défendre, et couvrent d’une fausse vertu leur véritable impuissance. C’est pourquoi j’ai voulu irriter plus vivement leur pudeur, afin que les plus grossiers reconnaissent, que s’ils se taisent, leur patience ne sera pas un effet de leur douceur, mais du trouble de leur conscience. M. Pascal n’a pas plus tôt rapporté cette méthode du père Valérien, qu’il s’en sert en faveur des jansénistes. Ce père, dit-il [8], a trouvé le secret de vous fermer la bouche ; c’est ainsi qu’il faut faire toutes les fois que vous accusez les gens sans preuves. On n’a qu’à répondre à chacun de vous comme le père capucin, mentiris impudentissimè. Il renouvela l’imitation quinze jours après. « Il faut parler, mes pères, il faut le nommer, ou souffrir la confusion de n’être plus regardés que comme des menteurs indignes d’être jamais crus. C’est en cette manière que le bon père Valérien nous a appris qu’il fallait mettre à la gêne et pousser à bout de tels imposteurs. Votre silence là-dessus sera une pleine et entière conviction de cette calomnie diabolique. Les plus aveugles de vos amis seront contraints d’avouer que ce ne sera point un effet de votre vertu, mais de votre impuissance [9]. » Depuis ce temps-là M. Arnauld s’est servi plus d’une fois de la pensée du capucin, et enfin elle est passée dans quelques livres des protestans. Elle a paru dans la Cabale chimérique [10], et n’a pas produit un autre effet que dans le livre de son inventeur ; car le dénonciateur de cette cabale n’a point relevé ce défi, et s’est obstiné à se taire. Mais, quoi qu’il en soit, le nom du père Valérien s’est fait connaître de toutes parts à la faveur de cette invention.

(D) Il eut de grandes querelles avec les jésuites. ] Ce que j’ai cité des Provinciales ne nous permet pas d’en douter ; mais on n’y voit point que ce capucin ne tira aucun avantage d’avoir trouvé le secret de faire taire ses calomniateurs ; il fit connaître leur impuissance de prouver leurs accusations, et il ne laissa pas d’être emprisonné. Ce fut, dit-on, à cause qu’il accordait aux protestans que la primauté et l’infaillibilité du pape n’étaient point fondées sur l’Écriture, mais seulement sur la tradition [11]. In œstu disputationis eò se abripi passus homo est, ut sua vineta graviter cædens, quod res est, scriberet, primatum et infallibilitatem Romani pontificis ex Scripturis probari non posse, sed solâ traditione constare. Quod majestati pontificiæ violatæ nefas interpretati jesuitæ λεγόμενοι, effecerunt, ut Valerianus in vincula raptus, ex iisdem causam dicere coactus fuerit [12]. Il ne s’agissait pas toujours d’hétérodoxie dans ses démêlés avec les jésuites : les intérêts pécuniaires y furent aussi mêlés. Ce capucin se plaint fort des piéges qui avaient été tendus à une veuve sa parente, au préjudice d’un pupille. Est quoddam genus hominum grave, dit-il [13], et intolerabile orbi christiano, viduis verò piis specialiter exitiale.…. Neminem nomino, sed do in argumentum veritatis, si nemo omnium sit, qui non intelligat quos designo : si nemo eorum sit, qui me postulet reum detractionis apud judicem competentem. Huic genti, eorumque mancipiis imputo, quæ sub nomine meæ charissimæ cognatæ fiunt. Hos enim nec postulante, vir omni exceptione major, ex meo scripto monuit, frustrà tamen, de omnibus, quæ iniquissimé perpetrantur, velut ex sententiâ viduæ, in quam pravis artibus conantur devolvere jura hæredis minorennis, futuri hæredes ipsius viduæ, in præmium quòd eam irretierint iis artibus.

(E) Il se trouva... fort près du cardinalat. ] Je citerai les paroles d’un écrivain allemand qui raconte, 1°. que ce capucin fit une harangue à Rome dans la congrégation de la Propagation de la foi, pour faire voir par de puissantes raisons, que l’on devait abolir la communauté de certaines femmes et filles qui prenaient le nom de jésuitesses. Elle fut abolie par une bulle d’Urbain VIII, publiée au mois de mai 1631 ; 2°. que les jésuites empêchèrent qu’il ne fût promu au cardinalat, quoique Uladislas, roi de Pologne, eût écrit en sa faveur sur ce sujet au pape Urbain VIII. Ille (Kortholtus ait) coram sacrâ congregatione de Propagandâ Fide, gravissimam et nervosis rationum momentis infructam orationem Romæ habuit, quâ movit et pervicit, ut nova, el ad morum virtutumque confusionem Viennæ ac Pragæ propagata jesuitissarum societas, pontificiâ autoritate dissolveretur. Sed eidem deinceps Lojolitæ, ne cardinalitiam dignitatem impetraret, obicem posuêre. Quæ Uladislao, Poloniæ regi, de Valeriano steterit sententia, testatum fecit vel una epistola ad Urbanum VIII perscripta, quâ prædictus rex Valeriano cardinalatus dignitatem acquirere contendit : ac præter difficultatem acquisita fuisset, nisi jam tùm societas, quam vocant, JESU, invidia et odia adversùs monachum flagrans, impetrandæ dignitati obstitisset ; veluti nominatus autor, Christianus Kortholtus, D. et Prof. Kiloniensis refert, in Valeriano confessore, lit. a. 4. 5. [14]. Notez que M. Kortholt, cité dans ces paroles latines, est un des auteurs qui ont écrit contre le père Valérien. Une infinité d’autres l’ont fait aussi, et nommément Dannhawerus, professeur en théologie à Strasbourg. Voyez son traité de Gorgiâ Leontino in Valeriano Magno redivivo.

(F) Je dirai quelque chose d’une réponse qu’il fit à un livre de Coménius. ] Ce livre, comme je l’ai dit ailleurs [15], est intitulé Absurditatum Echo, et parut sous le faux nom de Huldricus Newfeldius. Valérien Magni intitula sa réponse : Echo Absurditatum Ulrici de Neufeld blæsa, demonstrante Valeriano Magno, capucino, et la publia à Cracovie, l’an 1646, in-12.

  1. (*) La date de l’épître dédic. est du 19 de novembre, l’an 1647.
  2. * Leclerc dit que Wading cite une édition de Milan, 1645. Leclerc en conclut que l’expérience avait été faite par Magni avant le milieu de l’année. C’est peut-être remonter un peu haut. Mais comme c’est en 1647 que Pascal publia son livre, et que, surtout par rapport à Pascal, Leclerc veut prendre la défense de Magni, il fallait bien tirer la conséquence qu’il tire ; mais comme s’il sentait la faiblesse de ses conclusions, il insinue qu’il est probable que le livre de Pascal n’est parvenu en Pologne, où était Magni, que lorsque ce dernier avait fait son expérience.
  1. À la fin de la Dissertation sur Junius Brutus, à la fin de cet ouvrage.
  2. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 329, à l’an 1647.
  3. Pascal, XVe. lettre provinciale, p. m. 252.
  4. Dans un livre imprimé à Prague, l’an 1655, pag. 112.
  5. Pascal, Lettres provinciales, pag. 253.
  6. Je crois que ce fut dans son livre de Homine infami personato sub titulis M. Jocosi Severii medii. Dannhawer en cite quelques passages dans son Vale triumphale, pag. 8, 9, 136, 188.
  7. Pascal, Lettres provinciales, pag. 254.
  8. Là même.
  9. Le même Pascal, lettre XVI, pag. 275.
  10. Imprimée à Roterdam, 1691, pag. 357. 358 de la seconde édition.
  11. Voyez le passage de son livre de Homine infami personato, cité par Dannhawerus, in Vale triumphali, pag. 288.
  12. Heideggerus, Historiæ Papatùs p. 319. Notez que par un passage du Memorabilia ecclesiastica, lib. VI, cap. XII, ad ann. 1651, je trouve que M. Heidegger ne rapporte pas bien ce fait-là.
  13. In Comment. de Homine infami personato, apud Dannhaw., in Vale triumphali, pag. 136.
  14. Andreas Carolus, Memorabil. eccles. sæculi XVII, lib. IV, cap. IX, pag. 766.
  15. Citation (16) et (13) de l’article Coménius, tom. V, pag. 265.

◄  Magius (Jérôme)
Mahomet  ►