Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Nef

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NEF, s. f. La basilique antique romaine se compose d’une ou de trois nefs terminées par un hémicycle servant de tribunal, au-devant duquel, quand l’espace le permettait, au dire de Vitruve, on élevait des chalcidiques, ce que nous appelons aujourd’hui croisée, transsept. Le mot nef ne veut donc dire autre chose qu’une salle plus longue que large, fermée par deux murs et un comble, ou accompagnée latéralement de deux autres nefs plus basses, portant une galerie ou un comble en appentis. Dans les premières basiliques chrétiennes, comme Saint-Paul hors les murs, à Rome, les nefs ont été portées jusqu’au nombre de cinq : une nef centrale et deux collatéraux de chaque côté de la nef centrale. Aujourd’hui, on ne donne pas le nom de nefs aux ailes, aux collatéraux, mais seulement au vaisseau central, qu’il soit couvert par une charpente lambrissée ou voûté. L’ancienne église de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, aujourd’hui École des Arts et Métiers, ne se compose que d’une seule nef rebâtie vers le milieu du XIIIe siècle et terminée par un chœur du XIe entouré d’un bas-côté avec chapelles. Les cathédrales de Reims, d’Amiens, de Rouen, de Chartres, de Bayeux, de Coutances, de Tours, etc., possèdent une nef centrale avec bas-côtés simples, précédant le transsept. Les cathédrales de Paris, de Bourges, de Cologne, l’église abbatiale de Saint-Sernin de Toulouse, etc., ont une nef centrale accompagnée latéralement de bas-côtés doubles. Jusqu’à la fin du XIIe siècle, les nefs des églises avec collatéraux n’excèdent guère dix à onze mètres d’axe en axe des piles ; mais, à dater de la période gothique, ces nefs atteignent quinze et seize mètres d’axe en axe des piles. Quant aux églises à une seule nef, comme les cathédrales de Toulouse et d’Alby (XIIe et XIVe siècles), leur largeur dans œuvre atteint vingt mètres et au delà (voy. architecture religieuse, cathédrale, Travée). Les églises conventuelles des Jacobins, bâties pendant le XIIIe siècle, se composent habituellement de deux nefs égales en longueur, largeur et hauteur ; ces nefs jumelles sont séparées par un rang de piliers (voy. Architecture Monastique). Cette disposition est observée aussi pour des salles affectées à des services monastiques ou civils, comme le réfectoire de Saint-Martin-des-Champs à Paris, comme l’ancienne Grand’salle du Palais à Paris (voy. salle).

Nos plus anciennes cathédrales françaises ont été la plupart conçues avec une nef centrale accompagnée de collatéraux simples ou doubles, mais sans transsept. La cathédrale de Noyon, parmi celles élevées pendant le XIIe siècle, et celle de Soissons, font seules exception à cette règle. Non-seulement ces grandes églises ne contenaient pas de transsept, mais elles étaient dépourvues de chapelles latérales ; c’est à peine si quelques-unes d’entre elles en possédaient trois, très-petites, s’ouvrant sur les bas-côtés du sanctuaire. Des fouilles que nous avons fait faire dans la cathédrale de Sens bâtie, comme on sait, vers le milieu du XIIe siècle, ont mis à jour les bases des piliers qui passaient au milieu du transsept actuel, et lorsqu’on est prévenu de ce fait, on reconnaît aisément comment, au XIVe siècle, des bras de croix furent ajoutés à cette grande église en détruisant deux travées de la nef à droite et à gauche. À Senlis, même disposition ; la cathédrale se composait d’une nef avec collatéraux sans transsept. L’adjonction de la croisée est là facilement reconnaissable. La cathédrale de Meaux, qui datait de la fin du XIIe siècle, était originairement dépourvue de transsept. À Paris même, des fouilles, faites dans le prolongement des piliers du chœur et des travées restées visibles dans les reins de la grande voûte de la croisée, nous portent à croire que cette église avait été conçue sans transsept. À Bourges enfin, dont la construction remonte aux premières années du XIIIe siècle, mais dont la composition, comme plan, est plus ancienne (voy. cathédrale), il n’existe pas de transsept. On peut donc conclure de ces faits que le programme de la cathédrale française du XIIe siècle, donné au moment où les évêques réunissant les efforts des communes commencèrent ces grandes constructions, ne demandait qu’une nef centrale avec collatéraux, sans chalcidique, croisée ou transsept, et même souvent sans chapelles. La cathédrale française n’était donc qu’une salle, qu’une basilique ; lieu de réunion pour les citoyens, au centre duquel était l’autel et le trône de l’évêque, la cathedra. Remarquons encore que, dans la plupart de ces édifices, à Paris, à Senlis, à Meaux, il y avait des galeries supérieures disposées comme sont les allées de premier étage de la basilique antique. Un texte vient appuyer ce fait de l’absence des transsepts dans les églises cathédrales rebâties au moment où l’art de l’architecture passe aux mains des laïques.

Guillaume Durand, dans son Rational, en décrivant les diverses parties de l’église, dit (chap. I, § 17) : « Certaines églises sont faites en forme de croix, » et en prêtant un sens mystique à chacune des parties de l’église, depuis le chœur jusqu’au porche, il ne parle pas du transsept. Or, puisqu’il observe que « certaines églises » étaient, de son temps, en forme de croix, ce dont on ne peut douter, il en existait qui n’en possédaient point, et Guillaume Durand, évêque en 1285, mort en 1296, avait dû voir encore plusieurs cathédrales françaises dépourvues de transsepts. L’attention minutieuse avec laquelle le célèbre prélat cherche à donner une signification symbolique religieuse aux diverses parties de l’église indique d’ailleurs les tendances du haut clergé à l’époque où il écrivait. Il s’agissait alors d’enlever à la cathédrale, construite à l’aide de circonstances plutôt politiques que religieuses, le caractère civil qu’elle conservait dans l’esprit des populations urbaines ; et, pour nous, l’établissement des transsepts, des chapelles latérales et des clôtures de chœur, pendant la fin du XIIIe siècle et le commencement du XIVe ; la destruction, par conséquent, des grandes nefs primitives des églises épiscopales de la première période gothique, est un des faits les plus intéressants de notre histoire, en ce qu’il indique le mouvement communal appuyé par les évêques au XIIe siècle, parce qu’ils espéraient en profiter pour assurer leur pouvoir, et la réaction cléricale contre ce mouvement, dès que la puissance royale s’établit solidement et que l’épiscopat dut renoncer à soumettre la société française à une sorte de théocratie.