Diderot inédit, d’après les manuscrits de l’Ermitage/01

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Diderot inédit, d’après les manuscrits de l’Ermitage
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 35 (p. 825-860).
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DIDEROT INEDIT
D’APRÈS LES MANUSCRITS DE L’ERMITAGE

I.
L’IDÉE DU TRANSFORMISME DANS DIDEROT.

Œuvres complètes de Diderot, éditées par J. Assézat et Maurice Tourneux, 20 vol. in-8o, 1875-1877; Garnier frères.

Est-ce là l’édition définitive que le public lettré attend depuis si longtemps ? Nous n’oserions le dire. Il ne peut y avoir une édition définitive, tant qu’il y manquera une partie considérable de la correspondance avec Mlle Volland, qui doit exister quelque part et dont il serait fâcheux d’avoir à désespérer. Mais cette publication nouvelle ajoute un contingent fort respectable de morceaux inédits à ceux qu’avaient successivement donnés Belin en 1818, Brière en 1821, en 1830 Sautelet et Paulin, en 1856 un amateur enthousiaste et fort instruit, M. Walferdin; et les travaux épars de plusieurs autres explorateurs habiles, qui ont enrichi nombre de recueils et de journaux, se trouvent ici réunis pour la première fois.

Cette difficulté de reconstruction, spéciale pour les travaux de Diderot, tient aux circonstances de sa vie et aux traits de son caractère. Il semait ses écrits dans des mains avides, comme il semait ses idées et sa vie dans la conversation, qui était la vraie forme littéraire de son esprit. Grimm avait gardé par devers lui plusieurs des écrits les plus importans, entre autres les lettres à Mlle Volland, qui ne se retrouvèrent qu’en 1830, très incomplètes et après avoir traversé bien des hasards. Beaucoup d’autres, parmi les amis de Diderot, étaient devenus de la même façon les dépositaires de quelqu’une de ces pages écrites dans une matinée, oubliées le lendemain et disparues dans le tourbillon. Et combien de solliciteurs improvisés, amis du jour ou de l’heure, obtenaient et ravissaient en se jouant les dons gratuits de l’improvisateur prodigue ! Ils emportaient de ce laboratoire d’idées, plein de flammes et de fumée, quelque arme mieux trempée pour la lutte du lendemain, ou quelque ornement, quelque ciselure, dont ils s’empressaient de décorer leurs propres ouvrages. Ce serait un travail bien difficile de rechercher ces fragmens dispersés à travers les écrits de l’abbé Raynal, du baron d’Holbach, d’Helvétius, de Pezay, de Grimm, de J.-J. Rousseau lui-même et de bien d’autres. Œuvre assez ingrate d’ailleurs et que l’on regretterait peut-être, après qu’on l’aurait accomplie, tant les résultats sembleraient disproportionnés à l’effort, la plupart de ces morceaux n’ayant qu’une valeur de circonstance ou de polémique !

Il restait une sérieuse exploration à faire en Russie. On sait que les manuscrits de Diderot furent transportés à sa mort au palais de l’Ermitage, avec sa bibliothèque, par suite de la cession qu’il en avait faite à l’impératrice Catherine, et dont le prix avait racheté le bien-être et la dignité de ses dernières années. C’est même cette circonstance qui a sauvé ces manuscrits d’une destruction à peu près certaine. Nous savons par Mme de Vandeul que le fameux chanoine, frère de Diderot, réclama tous les papiers du philosophe pour les jeter au feu : on ne put le calmer qu’en lui disant qu’ils étaient en Russie ; mais il vécut jusqu’à la fin dans la crainte de les voir renaître, et sa vieillesse en fut troublée. Que dirait aujourd’hui le pauvre chanoine ? — Il y a dix ans, on voyait encore, au rez-de-chaussée de l’Ermitage, la résidence favorite de Catherine II, la bibliothèque particulière de l’impératrice, enrichie sous son règne et par son ordre des livres de Voltaire, de Diderot, de d’Alembert. Depuis quelques années seulement, cette collection précieuse a été réunie à la bibliothèque publique. Ce qui ajoute un prix singulier à ces livres, c’est que les marges sont couvertes des notes les plus curieuses de ces mains illustres. Les manuscrits ne sont pas la partie la moins intéressante de cette collection. Il y en a jusqu’à trente-deux de Diderot, dont six complètement inédits, écrits de sa main, sauf quelques passages recopiés sans doute par Naigeon ou Mme de Vandeul. M. Léon Godard, à qui nous devons ces renseignemens, auteur d’un livre intitulé Pétersbourg et Moscou, souvenirs du couronnement d’un tzar, a pris le soin de transcrire ces six volumes, qui font le mérite et la nouveauté de la présente édition. Ils contiennent une Réfutation de l’homme d’Helvétius, les Élémens de physiologie, le Plan d’une université pour le gouvernement de Russie, analysé par M. Guizot, en 1813, dans les Annales de l’éducation ; des fragmens de psychologie, de morale et de logique sur les caractères, la diversité et l’étendue de l’esprit, le génie; le Discours d’un philosophe à un roi; des appréciations rapides d’ouvrages littéraires du temps; des plans inédits de pièces de théâtre; de nombreuses pages et feuillets détachés, appartenant à des ouvrages en préparation ou en projet. Si nous y joignons quelques lettres retrouvées dans ces derniers temps, il y a là de quoi renouveler un sujet déjà inépuisable par le nombre des questions que Diderot aborde et la variété des aperçus qu’il ouvre dans toutes les directions de la pensée.

On a tant étudié Diderot dans ces trente dernières années que c’est une bonne fortune d’avoir seulement à parler de ces inédits et d’éviter ainsi le péril de répétitions fastidieuses ou de dangereuses comparaisons. Non pas qu’on doive s’attendre à des révélations qui modifient la physionomie connue du philosophe ou rectifient les jugemens antérieurs; mais on nous fournit dans cette édition nouvelle des informations curieuses sur l’origine et le développement de quelques-unes des théories chères à Diderot; on nous permet de saisir, comme à sa source, cet esprit vraiment génial, comme disent les Allemands, novateur avec ivresse, qui verse dans tous les sujets un flot d’idées plus ou moins trouble, mais d’une abondance extraordinaire. Nous surprenons dans ses libres caprices cette verve immodérée, mais inventive et toujours en éveil, qui se répand à la surface de toutes les sciences, à travers tous les arts, avec l’ambition de les renouveler, et qui les agite du moins furieusement et leur imprime un mouvement sensible encore à la distance d’un siècle, à travers tant de révolutions de tout genre, scientifiques et littéraires. Il nous a paru qu’il y avait quelque intérêt à mettre en lumière ces témoignages nouveaux d’une activité intellectuelle que cinquante années n’épuisèrent pas, et de les replacer à leur lieu et à leur date parmi les travaux déjà connus, en rétablissant ainsi quelques anneaux disparus dans l’ordre des temps et la chaîne des idées.


I.

Le marquis de Chastellux[1] caractérisait ainsi les écrits de Diderot : « ce sont des idées, disait-il, qui se sont enivrées et qui se sont mises à courir les unes après les autres. » Ce mot nous donne bien la sensation de la rapidité agitée des conceptions qui se succèdent devant le lecteur, du vertige qui emporte ce mobile esprit à travers tous les sujets dans une sorte de course effrénée non sans but, mais sans repos. Nous savons par Naigeon qu’il avait contracté de bonne heure l’habitude d’écrire sur les premiers feuillets de ses livres et souvent sur des feuilles volantes qu’il y insérait, ses jugemens et ses réflexions. « En parcourant les titres parfois inconnus des ouvrages sur lesquels il a fait des observations, on voit qu’il lui importait fort peu que le livre qu’il analysait fût bon ou mauvais. » Dans le premier cas, il s’élevait avec l’auteur, s’emparant de ses principes et de ses idées avec cette faculté d’assimilation et cette puissance de transformation qui est un don chez lui. Dans l’autre cas, il se substituait à l’écrivain malhabile qui n’avait pas su profiter de son sujet; il refaisait le livre à sa manière et presque sans s’en apercevoir.

M. d’Holbach lui disait qu’il n’y avait point de mauvais livres pour lui. Lorsqu’après avoir lu quelque ouvrage sur son témoignage excessif et déclamatoire, on lui faisait remarquer qu’il n’y avait rien là de ce qu’il y avait vu : « Eh bien ! répondait-il, si cela n’y est pas, cela devrait y être. » C’est ainsi que naissaient les unes après les autres ces pages qui devenaient des livres, au jour le jour, au hasard d’une lecture ou d’une conversation. Les notes s’ajoutaient aux notes à mesure que les idées affluaient à son esprit, sous le coup d’une suggestion subite ou d’une contradiction. Le plus souvent il ne s’accordait ni la peine ni le temps de donner une forme définitive à sa pensée, qui courait plus vite que sa plume: telle était cette fécondité déréglée répandant à profusion des germes d’idées dont quelques-uns devaient revivre plus tard, croître et produire de véritables révolutions dans la philosophie et dans la science.

Ainsi sont nés, dans les dernières années de la vie de Diderot, les Élémens de physiologie, que l’on ne connaissait jusqu’ici que par quelques lambeaux de conversation rapportés par Naigeon. Ils sont remarquables à plus d’un titre, ne fût-ce que comme un des développemens les plus considérables de la philosophie naturelle, à laquelle il avait fini par réduire toute philosophie. Comment et par quels degrés en était-il arrivé à ces conclusions extrêmes ? Les Élémens de physiologie se rattachent par un lien étroit au Rêve de d’Alembert, qui lui-même, pour être bien compris, doit être replacé à son moment dans l’évolution de la pensée de Diderot. Nous verrons, sous l’action d’une logique fatale, se former et se dégager, dans chacun des écrits qui l’expriment, cette philosophie où abondent de jour en jour davantage les conceptions les plus hasardeuses, chères au naturalisme de notre temps et que Diderot a presque toutes pressenties.

Les premiers ouvrages philosophiques de Diderot eurent une origine assez compromettante pour la gravité de la philosophie nouvelle. On sait qu’il s’était lié intimement avec une sorte d’aventurière, Mme de Puisieux, l’année même qui suivit son mariage, pendant une absence de Mme Diderot. « Mme de Puisieux était pauvre, dit Mme de Vandeul ; elle demanda de l’argent à mon père; il publia l’Essai sur le mérite et la vertu, vendit cet ouvrage cinquante louis et les lui porta. Bientôt elle demanda une nouvelle somme; il publia les Pensées philosophiques, les vendit cinquante louis et les lui porta encore; il fit cet ouvrage dans l’intervalle du vendredi saint au jour de Pâques. Après les Bijoux indiscrets, qui furent écrits dans la même intention, mon père fit la troisième partie de l’Apologie de la Thèse de l’abbé de Prades; comme l’existence de Dieu y était niée, cela rendit l’affaire de l’abbé assez grave pour l’obliger à sortir de France. Mon père était inquiet des suites de cet événement, lorsque de nouveaux besoins de Mme de Puisieux l’engagèrent à publier les Lettres sur les sourds et les aveugles. » Nous arrêtons là cette nomenclature, admirant avec quelle exactitude Diderot tenait la comptabilité de ses galanteries et avec quelle candeur sa fille reproduit cette partie de ses notes intimes. Le nouvel éditeur, après avoir rappelé les circonstances particulières qui ont marqué l’origine des écrits philosophiques de Diderot, fait cette déclaration assez singulière : « Mme de Puisieux ayant puissamment excité par ses exigences réitérées la verve créatrice de Diderot, elle mérite quelque reconnaissance. » On avouera que, pour placer sa reconnaissance de cette manière, il faut en avoir de reste.

Quelle qu’ait été l’occasion qui donna lieu à la publication de ces divers écrits, on peut suivre, à la date de chacun d’eux, le changement qui s’accomplit dans l’esprit de Diderot et qui le fait passer d’une sorte de christianisme de convention au déisme, puis au scepticisme, et du doute provisoire, où il ne s’arrêta guère, à un naturalisme exalté. Il fallut quelque temps, selon la plaisante expression de Naigeon, avant que le philosophe se fût entièrement purgé de la matière superstitieuse. L’Essai sur le mérite et la vertu, paru en 1745, n’était qu’une traduction de l’ouvrage de Shaftesbury, mais les notes, le discours préliminaire et la dédicace à son frère marquent bien l’état d’esprit du traducteur au moment où il s’occupait de ce travail d’un genre secondaire, inférieur à son mérite. Il insiste sur le vrai caractère du théisme, l’opposant à l’athéisme, en faisant une sorte de préparation nécessaire et d’introduction au christianisme : « Le but de cet ouvrage, dit-il, est de montrer que la vertu est presque indivisiblement attachée à la connaissance de Dieu, et que le bonheur temporel de l’homme est inséparable de la vertu. Point de vertu sans croire en Dieu ; point de bonheur sans vertu, ce sont les deux propositions de l’illustre philosophe dont je vais exposer les idées... Tout ce que nous dirons à l’avantage de la connaissance du Dieu des nations s’appliquera avec un nouveau degré de force à la connaissance du Dieu des chrétiens... Voilà donc le lecteur conduit à la porte de nos temples. Le missionnaire n’a qu’à l’attirer maintenant au pied de nos autels : c’est sa tâche. Le philosophe a rempli la sienne. » Un an après, en 1746, paraissent les Pensées philosophiques. Diderot étudiait alors Bayle avec passion et l’on peut voir dans ce petit ouvrage une imitation assez piquante des habitudes d’esprit du fameux dialecticien, l’amasseur de nuages, habile à soulever les questions, évitant de les résoudre. — Au fond, la rupture est accomplie avec cette espèce de christianisme philosophique où Diderot était resté quelque temps engagé, par habitude d’esprit ou par prudence. Ce n’était pas tout à fait à tort qu’il craignait le parlement. Les Pensées philosophiques furent condamnées au feu, par arrêt du 7 juillet 1746, ce qui n’empêcha pas l’ouvrage de reparaître plusieurs fois, du vivant de l’auteur, sous différens noms. La Promenade du sceptique, composée en 1747, est une froide allégorie, dirigée contre la vie religieuse ; en 1749, dans la célèbre Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, le voici aux prises avec le problème de l’existence de Dieu; il ne dépasse pas encore les limites du doute. Pourtant Voltaire s’en émut et, dans une réponse fort embarrassée à l’envoi de cet ouvrage, il déclara que, quant à lui, « il n’est point du tout de l’avis de Saunderson, qui nie Dieu parce qu’il est né aveugle. »

On sait que Diderot paya de cent jours de captivité à Vincennes la hardiesse plus que philosophique de ce livre, où respire déjà le souille de tempête qui va soulever de terre l’Encyclopédie, et par elle l’opinion. Dans ses Mémoires récemment publiés, le marquis d’Argenson dit négligemment, à la date du mois d’août 1749 : « On a arrêté ces jours-ci quantité d’abbés, de savants, de beaux esprits, et on les a menés à la Bastille, comme le sieur Diderot, quelques professeurs de l’Université, docteurs de la Sorbonne, etc. Ils sont accusés d’avoir fait des vers contre le roi, de les avoir récités, débités, d’avoir frondé contre le ministère, d’avoir écrit et imprimé pour le déisme et contre les mœurs, à quoi l’on voudrait donner des bornes, la licence était devenue trop grande. Mon frère en fait sa cour et se montre par là grand ministre. » — Et un peu plus loin : «Le nommé Diderot, auteur des Bijoux indiscrets et de l’Aveugle clairvoyant (la Lettre sur les aveugles), a été interrogé dans sa prison à Vincennes. Il a reçu le magistrat (on dit même que c’est le ministre) avec une hauteur de fanatique. L’interrogateur lui a dit : « Vous êtes un insolent, vous resterez ici longtemps. » Ce Diderot venait de composer, quand on l’a arrêté, un livre surprenant contre la religion. »

La Suite de l’Apologie de M. L’abbé de Prades (1752) et les articles de l’Encyclopédie qui commencent à paraître ne dépassent pas cette moyenne d’incrédulité plutôt religieuse que philosophique, que l’on caractérisait alors du nom de déisme et que personne n’a mieux définie que Diderot lui-même : « La diversité des adversaires qui se sont élevés contre la religion, dit-il, a introduit une infinité de questions inconnues il y a cinquante ans ; et l’on a été contraint d’adopter des expressions peu communes et de distinguer des objets qu’on a souvent confondus. Ainsi, dans le nouvel usage, on n’attache point au théisme la même idée qu’au déisme. » Et, d’après ses explications fort nettes, on peut se convaincre que le théisme n’était pas considéré comme hostile à la religion, tandis que le déisme était un terme d’opposition contre toute religion. « Le théiste est celui qui est déjà convaincu de l’existence de Dieu, de la réalité du bien et du mal moral, de l’immortalité de l’âme, des peines et des récompenses à venir, mais qui attend, pour admettre la révélation, qu’on la lui démontre ; il ne l’accorde ni ne la nie. Le déiste au contraire, d’accord avec le théiste seulement sur l’existence de Dieu et la réalité du bien et du mal moral, nie la révélation, doute de l’immortalité de l’âme et des peines et des récompenses avenir[2]. » C’est ce mot qui peint le mieux l’état d’esprit de Diderot à cette époque. Il ne proteste qu’ironiquement contre cette appellation, et encore est-ce au nom de l’abbé de Prades. Une première phase de son évolution intellectuelle est accomplie. Il ne cherche plus « la voie par laquelle il faut passer pour arriver méthodiquement au pied des autels ; » ce passage, il le déclare infranchissable. Une seconde phase va s’accomplir, celle qui va le conduire du déisme au naturalisme pur. C’est dans les Pensées sur l’interprétation de la nature (1754) que cette nuance va se marquer pour la première fois ; elle s’accentuera de plus en plus dans la dernière partie de la vie du philosophe.

Il avait alors quarante et un ans. Les historiens de la philosophie qui n’ont pas tenu compte de ces phases diverses de son esprit ont tout brouillé, tout confondu. A l’aide de cette observation si simple des dates, on se reconnaît sans peine dans les apparentes contradictions de Diderot. Il y a dans sa philosophie une dégradation continue de l’idée de Dieu, jusqu’à son évanouissement dans le pur scepticisme, qui lui-même n’est qu’un passage par où il arrive promptement à l’idée de la nature, prise désormais comme objet unique de sa foi et de son culte.

Le Rêve de d’Alembert, écrit en 1769, mais non publié de son vivant, a une importance capitale dans son œuvre. C’est de son propre aveu un des seuls d’entre ses ouvrages dans lesquels il se complaisait. Il en parle à plusieurs reprises à Mlle Volland : « Les interlocuteurs sont d’Alembert, qui rêve, Bordeu et l’amie de d’Alembert, Mlle de l’Espinasse... Il n’est pas possible d’être plus profond et plus fou. J’y ai ajouté après coup cinq ou six pages capables de faire dresser les cheveux à mon amoureuse ; aussi ne les verra-t-elle jamais. » Et à quelques jours de là : « Si j’avais voulu sacrifier la richesse du fond à la noblesse du ton, Démocrite, Hippocrate et Leucippe auraient été mes personnages ; mais la vraisemblance m’aurait renfermé dans les bornes de la philosophie ancienne, et j’y aurais trop perdu. Cela est de la plus haute extravagance, et tout à la fois de la philosophie la plus profonde ; il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve : il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées. » — Pourtant, réflexion faite, il eut peur de « ces extravagances ». Il n’osa pas les publier, et il fit bien ; il eût encouru de terribles colères et soulevé une véritable émeute parmi ses amis. Mlle de l’Espinasse, qui figurait dans le dialogue et y jouait son rôle avec une bonne grâce et une compétence fort piquantes, se fâcha et fit adresser par d’Alembert de si vifs reproches à Diderot, que celui-ci promit de brûler le manuscrit. Ne nous fions pas trop à ces exécutions : rarement elles se font jusqu’au bout.

Peut-être le manuscrit fut-il brûlé; mais il en subsistait des copies, puisque l’œuvre a reparu en 1830 dans les quatre volumes de mémoires qui furent alors publiés. Cependant Diderot, ne se résignant ni à perdre ce travail, où il avait amassé beaucoup d’idées qui lui étaient chères, ni à en priver le public, avait composé une variante du Rêve; il nous reste seulement la lettre d’envoi, que l’on nous donne pour la première fois : « L’historique de ces dialogues, dit l’auteur, en excusera les défauts... Le plaisir de se rendre compte à soi-même de ses opinions les avait produits ; l’indiscrétion de quelques personnes les tira de l’obscurité; l’amour alarmé en désira le sacrifice; l’amitié tyrannique l’exigea; l’amitié trop facile y consentit; ils furent lacérés. Vous avez voulu que j’en rapprochasse les morceaux, je l’ai fait... Ce n’est ici qu’une statue brisée, mais si brisée qu’il fut presque impossible à l’artiste de la réparer. Il est resté autour de lui nombre de fragmens dont il n’a pu retrouver la place... D’ailleurs, en changeant le nom des interlocuteurs, ces dialogues ont encore perdu le mérite de la comédie. » Cette œuvre substituée à la première, qu’est-elle devenue? Il importe assez peu d’ailleurs, puisque nous avons le Rêve de d’Alembert et les Élémens de physiologie, qui en sont un commentaire du plus haut intérêt, plus intéressant même que le Rêve, si l’on ne consulte que les idées, qui s’y montrent plus directement et à découvert. En quoi donc consistait cette « philosophie profonde » que Diderot annonçait mystérieusement à son ami ? A travers les divagations, les fantaisies et le libertinage qui se mêlent à ses ouvrages les plus sérieux, percent quelques grandes conceptions qu’il attribue à d’Alembert rêvant, mais qui sont bien d’un homme singulièrement éveillé. C’est d’abord cette idée que, pour imaginer la manière dont la vie a pu naître et se propager sur la terre, il ne faut pas prendre garde à quelques centaines de siècles de plus ou de moins. Le temps n’est rien pour la nature, et le philosophe doit avec soin se garantir du sophisme de l’éphémère, celui d’un être passager qui croit à l’immortalité des choses, celui qu’exprimait si bien la rose de Fontenelle, qui disait « que de mémoire de rose, on n’avait vu mourir un jardinier. » — Ce n’est qu’à cette condition qu’on peut traiter ces graves sujets, la sensibilité générale, la formation de l’être sentant, son unité, l’origine des animaux, leur durée et toutes les questions de ce genre. « On suppose, disait-il, que les animaux ont été dans l’origine ce qu’ils sont à présent. Quelle folie ! on ne sait non plus ce qu’ils ont été qu’on ne sait ce qu’ils deviendront. Le vermisseau imperceptible qui s’agite dans la fange s’achemine peut-être à l’état de grand animal ; l’animal énorme, qui nous épouvante par sa grandeur, s’achemine peut-être à l’état de vermisseau ; il est peut-être une production momentanée de cette planète… L’homme lui-même se résout en une infinité d’animalcules dont il est impossible de prévoir les métamorphoses et l’organisation future. Qui sait si ce n’est pas la pépinière d’une seconde génération d’êtres, séparée de celle-ci par un intervalle incompréhensible de siècles et de développemens successifs ? Le vase où Needham apercevait tant de générations momentanées d’êtres microscopiques peut être comparé à l’univers. On voit dans une goutte d’eau l’histoire du monde. Sans doute, dans le monde, le même phénomène dure un peu davantage ; mais qu’est-ce que notre durée en comparaison de l’éternité des temps ? Moins que la goutte que j’ai prise avec la pointe d’une aiguille, en comparaison de l’espace illimité qui m’environne… Qui sait les races d’animaux qui nous ont précédés ? qui sait les races d’animaux qui succéderont aux nôtres ? Tout change, tout passe, il n’y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque instant à son commencement et à sa fin ; il n’en a jamais eu d’autre et n’en aura jamais d’autre. »

Voilà le cadre très vaste dans lequel se meuvent, à côté des imaginations les plus étranges, quelques-unes de ces théories qu’on pourrait appeler prophétiques, qui devancent les temps et que l’on ne comprend bien, dont on ne saisit exactement la portée que quand, à la suite de plusieurs tentatives, elles sont entrées dans l’esprit public, sinon à titre de vérités conquises, du moins comme des doctrines provisoires dignes d’examen. Ce sont, par exemple, le passage de l’inertie à la sensibilité, de l’inorganique à l’organique, de l’organique à l’être sensible, de l’être sensible à l’être pensant par une série de gradations insensibles; les générations spontanées, « une suite indéfinie d’animalcules dans l’atome qui fermente, une même suite indéfinie d’animalcules dans l’autre atome qu’on appelle la terre; » chaque être considéré comme une république d’êtres microscopiques, chaque animal comme un polype; la fibre un animal simple, l’homme un animal composé; chaque être étant la somme d’un certain nombre de tendances, et les espèces des tendances à un terme commun qui leur est propre; l’être normal un effet commun, le monstre un effet rare, tous les deux également naturels, également nécessaires, également dans l’ordre universel et général; la vie considérée comme une suite d’actions et de réactions, avec cette seule différence qui les distingue de la mort, c’est que vivant j’agis et je réagis en masse, mort j’agis et je réagis en molécules; tout enfin se tenant dans la nature et l’impossibilité qu’il y ait un vide dans la chaîne, les individus n’étant rien qu’une apparition, un moment dans la vie d’un seul grand individu, qui est le tout. — Voilà à coup sûr une philosophie qui nous est devenue familière, que nous reconnaissons sans peine sous les formes particulières de l’esprit de Diderot et de son siècle, que nous voyons s’étendre et se propager autour de nous sous les noms divers du transformisme, de l’évolution ou de la philosophie monistique, comme disent les Allemands, doctrines presque identiques au fond, ne différant guère entre elles que par le caractère métaphysique ou naturaliste qu’elles revêtent dans les divers esprits, ou bien encore par la hardiesse des synthèses qu’elles produisent, l’assurance plus ou moins impérieuse des hypothèses qu’on nous impose et la déduction plus ou moins outrée des conséquences qu’on en tire.

Quel est le naturaliste ou le philosophe de cette école qui ne reconnaîtrait son ancêtre dans celui qui disait, il y a un siècle : « Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces. Tout est en un flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante; toute plante est plus ou moins animal. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu, plus ou moins d’un règne ou d’un autre. » Celui qui tenait ce langage, avant de s’appeler Diderot, s’appelait dans l’antiquité Héraclite, Empédocle, Lucrèce; au XVIIIe siècle, il s’appela tour à tour Maillet, Robinet et Lamark; il s’est appelé successivement de notre temps Darwin, Haeckel, Herbert Spencer, il s’appelle aujourd’hui légion. C’est le même homme, au fond, le même penseur sous la diversité des formes et du langage, si l’on tient compte des temps et des progrès de la science. C’est aussi la même doctrine, la mobilité absolue des choses (si ces deux mots souffrent d’être rapprochés), la variabilité universelle des êtres et des espèces, l’évolution qui remplit de ses rythmes alternatifs l’infinité de l’espace et du temps, sans autre principe que la force éternelle, inconsciente, sans autre but que l’éternelle succession de ses métamorphoses.

Le sophisme de l’éphémère est une des idées qui reviennent le plus souvent dans ces improvisations ardentes de Diderot sur l’univers et sur l’homme. Mais ce sophisme se présente à lui sous différens aspects : tantôt c’est l’illusion de l’être passager qui croit à l’immortalité des êtres et des espèces, parce que ces grands objets de la nature existaient avant lui et existeront encore après, et qui de cette durée relativement longue conclut à une durée éternelle; tantôt c’est une autre illusion, contraire en apparence, celle de l’homme qui, perdu sur un atome de poussière, enfermé dans un moment de la durée, imperceptible dans cet immense océan de matière qui roule autour de lui, prétend du fond de sa chétive existence usurper l’infini par sa pensée ou par son cœur et s’arroge à lui, à ses idées et à ses sentimens, une immortalité dérisoire, quand tout meurt autour de lui, quand tout se transforme et change. On trouve une expression saisissante de cette pensée dans le Supplément au Voyage de Bougainville, quand « l’innocent Taïtien » Orou oppose la loi de la nature concernant l’union des sexes à la morale artificielle de l’aumônier.

« Tes préceptes, lui dit Orou, je les trouve opposés à la nature et contraires à la raison. Contraires à la nature, puisqu’ils supposent qu’un être pensant, sentant et libre peut être la propriété d’un être semblable à lui. Contraires à la loi des êtres; rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui prescrit le changement qui est en nous; qui commande une constance qui n’y peut être et qui viole la liberté de l’homme et de la femme en les enchaînant pour jamais l’un à l’autre; qu’une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu ; qu’un serment d’immutabilité de deux êtres de chair, à la face d’un ciel qui n’est pas un instant le même, sous des antres qui menacent ruine, au bas d’une roche qui tombe en poudre, au pied d’un arbre qui se gerce, sur une pierre qui s’ébranle? » Un fin lettré nous fait remarquer qu’Alfred de Musset s’est visiblement inspiré de ce passage et qu’il l’a presque littéralement traduit dans ces beaux vers, tout en transformant le sentiment naturaliste de Diderot par l’accent de sa mélancolie passionnée :

Oui, les premiers baisers, oui, les premiers sermens
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut aux pieds d’un arbre effeuillé par les vents.
Sur un roc en poussière.

Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nom, que leur propre lumière
Dévore incessamment.

Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs piés,
La source desséchée où vacillait l’image
De leurs traits oubliés.

Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir.
Ils croyaient échapper à cet Être immobile
Qui regarde mourir[3].


La morale à l’usage de Taïti nous amène à dire un mot de ce que Diderot appelait lui-même les idées folles mêlées à la profonde philosophie dans le Rêve de d’Alembert. — Une pareille désignation ne peut s’appliquer à la théorie physiologique sur l’origine de la conscience, de la perception, de la mémoire et des facultés qui en dérivent, sur le génie et l’esprit, sur le sommeil, sur la volonté et la liberté, aussi réelles dans le sommeil que dans la veille, tout cela expliqué par le rapport de l’origine du faisceau nerveux à ses ramifications. » Assurément il y a là bien des subtilités et des obscurités, et, quoi qu’en dise Naigeon, Condillac s’entend mieux lui-même dans son Traité des sensations et nous fait mieux entendre sa pensée. Mais enfin ce n’est pas pour si peu que Diderot se serait accusé à Mlle Volland « de haute extravagance. » Il parle évidemment, quand il s’accuse ainsi, de la Suite de l’entretien, où le médecin Bordeu, dans un dialogue avec Mlle de l’Espinasse, tire de si étranges conséquences de son système de physiologie sur le mélange possible des espèces, qu’il veut pousser jusqu’à l’espèce humaine, sur l’art de créer des êtres qui ne sont pas, sur la méthode propre à poursuivre en ce sens des tentatives graduelles, et les préparations nécessaires à faire subir aux espèces pour les adapter à ce genre d’expériences. Si l’on joint à cet exposé d’obscénités révoltantes et nullement scientifiques (quoi qu’en dise l’auteur) le Supplément au voyage de Bougainville ou le Dialogue entre A. et B. sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas, on aura réunis sous les yeux, dans le Rêve de d’Alembert et dans ces opuscules, les deux Diderot que nous connaissons : l’un vraiment philosophe, savant même par une vaste lecture, sinon par ses expériences personnelles, l’œil et l’esprit tendus vers toutes les nouveautés, passionné pour la méthode expérimentale, d’une puissance de pensée peu commune pour recueillir les observations des autres et en déduire les plus hardies conséquences, doué au plus haut degré de la curiosité intellectuelle et de la faculté de généraliser, tirant sans cesse de son cerveau toujours en ébullition, et sans l’épuiser jamais, des conceptions neuves sinon vraies, spécieuses, pleines de prestige, s’imposant à notre attention par un air de grandeur dans ses systèmes, devançant les âges et ne laissant guère au naturalisme contemporain, dans certaines théories qu’il a devinées, que la besogne des détails à classer et des preuves à faire, un de ces promoteurs d’idées dont la science profite, même quand ils se trompent et qui l’agitent par une sorte d’inquiétude salutaire en la troublant dans son repos, en stimulant son ambition vers les vastes horizons.

Voilà le Diderot qui appartient à l’histoire de la science comme à celle de la philosophie. Mais il y en a un autre, un fâcheux compagnon du penseur et qui malheureusement ne le quitte jamais : c’est une sorte de Diogène raffiné, un libertin d’imagination, poursuivant les problèmes qu’il pose dans leurs conséquences les plus extravagantes, portant une curiosité froide et une logique à outrance dans les questions équivoques, l’auteur des Bijoux indiscrets et de la Religieuse apparaissant tout à coup au milieu des plus graves sujets, l’origine des êtres ou la transformation des espèces, prétendant déniaiser l’humanité et spécialement ses contemporains, qui ne péchaient pourtant pas par excès de niaiserie, réduisant la morale à cette unique loi « que tout ce qui est né peut être ni contre nature ni hors de nature, » et par conséquent « que ce serait une vertu comme la continence qui serait le premier des crimes contre la nature, s’il pouvait y en avoir. « Il faut le voir pousser jusqu’au bout cette agréable facétie d’un logicien en gaîté, prêt à se tirer d’affaire, si la société se révolte, comme le faisait Bordeu avec Mlle de l’Espinasse : « Sans doute, disait Bordeu à l’aimable et facile amie de d’Alembert, ce serait fouler aux pieds toute décence, attirer sur soi les soupçons les plus odieux et commettre un crime de lèse-société que de développer ces principes... Je n’ôterais pas mon chapeau à l’homme suspecté de pratiquer ma doctrine; il me suffirait qu’on l’appelât un infâme. Mais nous causons sans témoins et sans conséquences... » Et comme Mlle de l’Espinasse se récriait, Bordeu la raillait doucement : « Ah ! après avoir été un homme pendant quatre minutes, voilà que vous reprenez votre cornette et vos cotillons, et que vous redevenez femme. A la bonne heure! eh bien ! il faut vous traiter comme telle. Voilà qui est fait. » Dieu sait cependant ce que Mlle de l’Espinasse et la société du XVIIIe siècle pouvaient entendre sans se fâcher. Bordeu avec l’une et Diderot avec l’autre allèrent vraiment trop loin.

Je sais comment Diderot se défendait. Ce germe d’apologie, nous le trouvons dans une curieuse lettre d’envoi (publiée pour la première fois) qui accompagnait la rédaction nouvelle du Rêve de d’Alembert, celle qui s’est perdue. Diderot rappelle la différence qu’il y a entre une morale illicite et une morale criminelle ; il veut qu’on n’oublie pas d’ailleurs que l’homme de bien ne fait rien de criminel, ni le bon citoyen d’illicite. « Il est, dit-il, une doctrine spéculative qui n’est ni pour la multitude ni pour la pratique, et, si sans être faux, on n’écrit pas tout ce que l’on fait, sans être inconséquent, on ne fait pas tout ce qu’on écrit. » Je comprends à peu près ce que veut dire l’auteur, mais il ne me convainc guère. Cette doctrine spéculative m’inquiète; si elle a pour elle la vérité, qu’importe, au moins pour la vie privée, qu’elle ait contre elle les mœurs, qui sont des préjugés, et les lois qui sont d’autres préjugés? Si l’on peut la pratiquer en secret, en dehors de l’action des lois et de l’opinion publique, pourquoi s’en priver? Diderot prétend que sans être inconséquent on ne fait pas tout ce qu’on écrit. D’accord ; mais est-il bien sûr que les lecteurs que la doctrine spéculative aura persuadés se réfugieront dans une pareille excuse? Et pourquoi le feraient-ils ? Ils répondront que si l’on peut sans inconséquence ne pas faire tout ce qu’on écrit, on est au moins assuré, en le faisant, d’être parfaitement d’accord avec soi-même et avec la nature, seul arbitre de la morale. Et ils auront raison contre Diderot. — Je comprends mieux l’autre argument donné dans la même lettre. Diderot supplie son ami de ne communiquer cette œuvre à personne. C’est là un argument tout pratique où nous n’avons rien à voir : « Il y va, dit-il, de mon repos, de ma vie et de mon honneur ou de la juste opinion qu’on a conçue de mes mœurs. » Cela n’intéresse que l’auteur et n’a rien de commun avec la distinction a de la doctrine spéculative et de la pratique » c’est-à-dire, en mots plus clairs, des deux morales, l’une pour les philosophes et l’autre pour le peuple. Il est bien certain, d’ailleurs, que les expériences sur le croisement des espèces, recommandées dans la Suite de l’entretien et l’indifférence proclamée dans le Supplément du Voyage de Bougainville à l’égard de certaines actions physiques auraient de graves conséquences si on les appliquait a à la multitude » ; mais est-ce à dire qu’elles seraient sans gravité entre savans? — C’est précisément cette distinction entre la morale philosophique et la morale pratique qui est fausse, et disons-le (puisqu’il s’agit de moralité), immorale. — Un gros mot qui fâche les amis de Diderot. La question a été, en effet, plus d’une fois discutée. Mais Diderot s’est chargé, dans la lettre que nous avons citée, de marquer le point délicat de la controverse, et, en posant si bien la question, il nous a mis en état de la résoudre contre ses amis et contre lui-même.


II.

Le Diderot que nous allons trouver dans les Élémens inédits de physiologie n’est pas le cynique, c’est l’homme d’étude, le penseur. Homme d’étude parfois ivre des libations hâtives d’une science trop neuve, penseur toujours agité par le mouvement excessif de sa pensée et comme étourdi par le bruit des idées dans son cerveau, mais sincèrement épris des découvertes nouvelles, enthousiaste des horizons réels ou imaginaires qui se révélaient à lui, prodigue d’aperçus, improvisateur merveilleux de systèmes, à certains égards le prophète de la philosophie naturaliste du XIXe siècle.

Ces Élémens sont un simple recueil de notes prises dans ses lectures, rapidement commentées, à peine classées. Les éditeurs ont raison de dire qu’elles sont certainement de dates et de provenances fort diverses, mais qu’il est probable qu’elles ont été réunies pendant le séjour de Diderot en Hollande et qu’elles ont reçu quelques additions pendant les dernières années de sa vie. Il y parle de la Hollande en disant : Ici, et dans un autre passage, à propos des ennuis de la vieillesse, il ajoute en note : « J’avais soixante-six ans quand j’écrivais cela. » De plus, il y est fait mention de l’Histoire de la chirurgie, qui ne fut achevée qu’en 1780. J’inclinerais à croire que Diderot l’entreprit vers 1766, à l’époque même où parurent à Lausanne les Elementa physiologiœ dont le philosophe français s’est tant inspiré. L’identité du titre adopté par Diderot est déjà un fait significatif. Une note des Mémoires de Naigeon rend cette hypothèse plus que probable : « Il avait lu deux fois, nous dit Naigeon, et la plume à la main, la grande Physiologie de Haller. Les extraits raisonnes qu’il en avait faits étaient en latin et en français, selon qu’il trouvait plus ou moins promptement les expressions qui correspondaient exactement aux idées de Haller. Ces extraits assez étendus ne pouvaient guère être utiles qu’à lui. Ce n’était souvent que de simples mots de réclame (sic) destinés à lui rappeler dans le besoin des idées analogues ou contraires. On y voyait quelquefois aussi, non-seulement ce que Haller avait pensé sur tels ou tels phénomènes de l’économie animale, mais même tout ce que Diderot avait conjecturé sur les causes de ces phénomènes; ces divers extraits n’existent plus; il les jeta au feu lorsqu’il eut fini les deux dialogues objet de ses recherches[4]. » C’est là évidemment l’origine de ce travail dont une première et informe rédaction fut peut-être détruite, comme on nous le dit, mais pour être améliorée, et qui subsista dans ses parties essentielles, s’accroissant de jour en jour par les nombreuses lectures de Diderot et par ses réflexions à propos de chacune d’elles. Il n’est pas douteux que c’est d’après ces notes que furent composés l’Entretien avec d’Alembert et le Rêve, où il est aisé de reconnaître l’identité des faits cités et des hypothèses qui en sont la conséquence; mais il n’est pas douteux aussi que le cahier dont Diderot avait tiré en 1769 la substance de ces Dialogues resta ouvert pour recevoir les nouveaux faits, les nouvelles expériences dont sa vieillesse, comme sa maturité, était avide, et les conjectures qui se pressaient en foule dans son esprit toujours jeune.

Il serait intéressant de connaître les sources principales où Diderot a puisé les élémens de sa science. Dans une lettre au célèbre chirurgien Petit, le maître de Vicq d’Azyr, il prétend « qu’il n’a de l’anatomie et de la physiologie que la pauvre petite provision que l’on prend au collège, ensuite ce qu’il en a pu prendre chez Verdier, puis chez Mlle Biheron[5]. » Cela est fort exagéré. D’abord nous savons qu’il a fait des extraits considérables du grand ouvrage de Haller. Les noms de Linné, qu’il aime médiocrement, et de Buffon reviennent sans cesse dans ses écrits. Il est au courant des travaux de Needham, l’Anguillard de Voltaire, de Camper, de Fontana, l’auteur d’expériences alors célèbres sur les parties irritables et sensibles, de tous ceux enfin qui apportent une contribution à la science. Et comment n’eût-il pas été bien informé de tout ce qui se produisait de nouveau de son temps dans cet ordre de connaissances, quand on sait dans quelle liaison intime, dans quel commerce d’amitié et d’idées il vivait avec Bordeu, avec quelle passion lui et Naigeon lisaient et discutaient les Recherches anatomiques sur les glandes, sur le tissu muqueux et l’organe cellulaire qui paraissaient de 1752 à 1767? Il était d’ailleurs bien préparé à des lectures et à des entretiens de ce genre par la connaissance qu’il avait prise de certaines sciences accessoires. Nous savons qu’il avait fait plusieurs cours de chimie, comme on disait alors, sous le grand démonstrateur Rouelle, celui qui forma les principaux chimistes du temps et le plus illustre de tous, Lavoisier, et duquel une tradition plaisante raconte qu’en arrivant à son amphithéâtre du Jardin du Roi, il commençait posément, puis s’animant, jetait à la tête de ses auditeurs son bonnet professoral, sa perruque, sa robe et, débarrassé de cet attirail bien gênant pour la circonstance, se livrait alors sans entrave à ses expériences et à ses démonstrations.

Nous ne prétendons pas juger la partie technique des Zléments de physiologie, ni même en rendre compte. Décider en quoi et jusqu’à quel point l’auteur est bien informé, sur quels points et dans quelle mesure il se trompe, les erreurs qu’il devait à son temps et celles qu’il ne devait qu’à lui-même, mesurer la distance qui sépare la physiologie de Haller de celle de Claude Bernard, voilà un travail que nous n’entreprendrons pas, mais qu’il serait d’un haut intérêt de voir mené à bonne fin par un physiologiste de profession. Ce savant marquerait d’une main précise la limite des connaissances exactes de Diderot et celle de son ignorance dans ces notes si nombreuses et si variées sur les fibres, le tissu cellulaire, le sang, le cœur, le cerveau, les nerfs et les muscles, la matrice, sur la sympathie et le consensus des organes, sur leurs fonctions propres et communes, sur les sensations, sur la génération, etc. Il y aurait là de quoi exercer une sagacité érudite dont le témoignage serait, je n’en doute guère, à l’honneur de Diderot, qui sut amasser tant de faits, enregistrer les expériences, noter les découvertes à mesure qu’elles se faisaient. Pour un littérateur, pour un philosophe, ce bagage n’est pas mince.

Évidemment toute cette science n’est que de seconde main; il n’y a aucune part ni d’expérience ni d’invention personnelle; mais il y a la preuve d’un véritable souci d’être bien informé. Ce qui mérite vraiment d’attirer notre attention, c’est la partie des réflexions que les faits suggèrent à l’auteur, c’est l’abondance et la hardiesse des conjectures qu’il sème, comme en se jouant, d’une main prodigue à travers ces notes amassées pêle-mêle et à peine rédigées, c’est l’interprétation qu’il nous donne du système de la nature, tel qu’il pense le saisir dans le creuset vivant où il étudie les métamorphoses de l’être.

L’idée maîtresse qui fait l’unité de cette interprétation est celle que l’on exprimerait aujourd’hui sous le nom devenu si populaire du transformisme, idée dont nous avons marqué la brillante esquisse dans le Rêve de d’Alembert, mais avec un mélange de fantaisie et d’art qui lui enlevait quelque chose de sa netteté. C’est vers 1754 que cette conception était apparue pour la première fois à l’esprit de Diderot. Il l’exprimait alors, mais timidement et avec un reste de respect ironique pour la religion : « Si la foi ne nous apprenait que les animaux sont sortis des mains du Créateur, tels que nous les voyons, si elle ne nous eût point éclairés sur l’origine du monde et sur le système universel des êtres, combien d’hypothèses différentes que nous aurions été tentés de prendre pour le secret de la nature!.. Heureusement la religion nous épargne bien des écarts et bien des travaux. » Une de ces hypothèses lui échappe comme malgré lui : « De même que dans les règnes animal et végétal, un individu commence, pour ainsi dire, s’accroît, dure, dépérit et passe, n’en serait-il pas de même des espèces entières?.. Le philosophe abandonné à ses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l’animalité avait de toute éternité ses élémens particuliers, épars et confondus dans la masse de la matière ; qu’il est arrivé à ces élémens de se réunir, parce qu’il était possible que cela se fit; que l’embryon formé de ces élémens a passé par une infinité d’organisations et de développemens, qu’il a eu, par succession, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentimens, des passions, des signes, des gestes, des sens, des sons articulés, une langue, des lois, des sciences et des arts; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre ces développemens; qu’il a peut-être encore d’autres développemens à subir ou d’autres accroissemens à prendre, qui nous sont inconnus; qu’il a eu ou qu’il aura un état stationnaire ; qu’il s’éloigne ou qu’il s’éloignera de cet état par un dépérissement éternel, pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées; qu’il disparaîtra pour jamais de la nature, ou plutôt qu’il continuera d’y exister, mais sous une forme et avec des facultés tout autres que celles qu’on lui remarque dans cet instant de la durée[6]? »

Il y a là tout un ensemble de conjectures suivies qui en font une théorie bien différente des vagues oracles d’Empédocle sur la génération confuse des organes et des organismes, et dont on ne pourrait rapprocher dans l’antiquité que les étonnans passages du cinquième livre du poème de Lucrèce, de Natura. Mais rien ne fait supposer que Diderot ait pris cette conception dans le poète romain. Il ne parle nulle part de Lucrèce comme philosophe, il en parle seulement comme poète. S’est-il inspiré de quelques-uns de ses contemporains? On a prétendu que les idées analogues qui se rencontrent dans le Rêve de d’Alembert ont pu être suggérées à Diderot par l’ouvrage de Robinet, la Nature, publié précisément dans l’année qui précéda la composition des deux fameux Dialogues. On donne comme preuve à l’appui la curiosité qui s’émut dans le monde des encyclopédistes autour de ce livre où étaient développées et appliquées l’idée d’une vie latente répandue dans tout l’univers, la loi de continuité des êtres, l’uniformité des procédés par lesquels se communique la vie, l’unité d’un prototype animal. Voltaire s’inquiéta de ce livre : « Est-ce un abrégé de Lucrèce? écrivait-il; est-ce du vieux? est-ce du neuf? s’il y a mica salis, envoyez-le à votre frère du désert. » Grimm en parle à plusieurs reprises : «Cet homme n’est pas à beaucoup près sans mérite, il a du style et la tête philosophique, il a un défaut ordinaire même aux meilleures têtes (et en écrivant cela, il pensait peut-être à l’ami Diderot), il a le goût des systèmes, et s’il avait fait de son livre un poème à l’imitation de celui de Lucrèce, il aurait eu justement le degré de vérité suffisant pour cela. Les gens à systèmes et à hypothèses devraient toujours écrire en vers. » Enfin Diderot lui-même cite deux ou trois fois le nom de cet écrivain : «Ce Robinet, dit-il quelque part, a de la chaleur, de la hardiesse et du nerf. » Rien ne s’opposerait donc à ce que Diderot eût pris dans l’ouvrage de Robinet quelques germes d’idée qui se seraient ensuite organisés et développés dans son cerveau fécond. Rien ne s’y oppose que les dates. L’Interprétation de la nature, où parait déjà très clairement la théorie transformiste, est de 1754; le livre de la Nature de Robinet, où elle est noyée dans un fatras de métaphysique obscure, parut en Hollande de 1763 à 1768.

Reste ce singulier écrivain, qui eut la mauvaise fortune d’être immortalisé par les épigrammes de Voltaire, à l’occasion de son trop fameux ouvrage : Telliamed, ou Entretiens d’un philosophe indien avec un philosophe français, qui précède de quelques années l’Interprétation de la nature[7]. Benoît de Maillet y soutient que le germe primitif vital n’avait donné que des espèces marines dont étaient descendues, par une série de transformations, toutes les espèces terrestres et aériennes, l’homme lui-même. Et voici une phrase que Lamarck n’aurait pas désavouée et où Darwin reconnaîtrait un ancêtre : « La transformation d’un ver à soie ou d’une chenille en papillon serait mille fois plus difficile à croire que celle des poissons en oiseaux, si cette métamorphose ne se faisait chaque jour sous nos yeux. La semence de ces poissons portée dans les marais peut avoir donné naissance à une première transmigration de l’espèce du séjour de la mer à celui de la terre. Que cent millions aient péri sans avoir pu en contracter l’habitude, il suffit que deux y soient parvenus pour avoir donné lieu à l’espèce. » Voltaire, qui ne devinait là ni Lamarck, ni Darwin, s’en donne à cœur-joie sur cette belle hypothèse[8]. On connaît ses vers :

Notre consul[9] Maillet, non pas consul de Rome
Sait comment ici-bas naquit le premier homme :
D’abord il fut poisson.


Mais c’est déjà un honneur, à tout prendre, pour de Maillet, que d’avoir rang dans cette illustre satire des Systèmes, à côté de Malebranche et de Spinoza. C’est une preuve que l’ouvrage fut loin de passer inaperçu. L’abbé Raynal le signale dès son apparition, en termes très expressifs, dans ses Nouvelles littéraires, qui précédèrent la Correspondance de Grimm : « Tout est extraordinaire, dit-il, dans un ouvrage qu’on vient d’imprimer en deux volumes et qui fait beaucoup de bruit par la hardiesse des sentimens qu’on y a hasardés. » Il est donc impossible que Diderot n’ait pas lu ce livre, bien qu’à ma connaissance, il n’en ait fait mention nulle part. Curieux comme il l’était, facilement enthousiaste, beaucoup plus porté que Voltaire par son genre d’esprit et son goût pour l’histoire de la nature vers ce genre d’hypothèses, il ne dut pas accueillir Telliamed par un éclat de rire, comme le terrible railleur des Systèmes, il dut y démêler du premier coup d’œil l’idée fondamentale sous les accessoires plus ou moins ridicules. Mais de tout cela, de ces influences et de ces suggestions possibles, nous ne savons rien de positif, nous en sommes réduits à de simples conjectures.

Il y a des momens où une idée est dans l’air. Plusieurs esprits la respirent ou la conçoivent en même temps. Cette conception plus ou moins vague du transformisme était née tout naturellement, vers la seconde moitié du XVIIIe siècle, des progrès si rapides de la science expérimentale, qui, enivrée de ses premiers triomphes et se livrant à une ambition sans frein, s’élançait à la conquête du monde qu’elle voulait posséder et dans l’avenir et dans le passé: dans l’avenir en s’emparant de toutes les forces et des agens de la nature, dans le passé en retrouvant le secret des origines et devinant le mystère primitif des choses. — À ces présomptueuses espérances de la science, se joignait un mouvement d’hostilité très vif contre les dogmes religieux, et ce n’était pas pour les philosophes de ce temps une médiocre satisfaction que de concevoir une Genèse scientifique en opposition avec la Genèse de Moïse. Une confiance passionnée dans la science positive qui naissait alors, et l’horreur du surnaturel à l’origine des choses, aussi bien que dans la suite de l’histoire, ces deux raisons suffisent pour expliquer l’éclosion simultanée de la même théorie naturaliste dans plusieurs de ces intelligences que tentent les grandes aventures d’idée et qui croient qu’on ne peut vraiment comprendre le monde qu’en le recréant par la pensée. Mais il y a toujours de ces intelligences maîtresses dans lesquelles la conception nouvelle prend un air d’originalité décisive : c’est l’histoire de Diderot. Il était de ces esprits qui ne souffrent pas de bornes à leur puissance de concevoir et qui aiment mieux combler l’abîme par leurs conceptions même chimériques que de s’arrêter devant l’inconnu.

Lisons quelques pages de ces Élémens de physiologie, et nous serons étonnés de voir comme son imagination se déploie librement à travers tous ces grands problèmes des origines et comme ses vues se rencontrent naturellement avec celles de nos contemporains qui se sont jetés en pleine hypothèse pour échapper aux bornes trop étroites que leur assignent les faits. A supposer que le transformisme soit appelé un jour à s’établir dans la science de la nature comme une vérité démontrée, à passer de l’état d’hypothèse au rang des lois (époque qui semble bien éloignée encore), — ou bien à supposer que ce soit là une de ces brillantes et décevantes conceptions qui apparaissent à certains âges et qui après une fortune momentanée finissent par s’évanouir faute de preuves positives, dans les deux cas il est incontestable que Diderot est un précurseur et que personne avant lui n’a saisi avec cette souplesse et cette liberté d’esprit les différens aspects sous lesquels pouvait s’offrir l’idée nouvelle. Il s’enchantait de ces généralisations hardies dont il développait toutes les conséquences, et se complaisait à trouver des formules saisissantes pour les imprimer fortement dans l’intelligence de ses lecteurs futurs, qui ne devaient pas être ses contemporains, puisqu’il était résolu à ne pas publier de son vivant ce genre d’ouvrages.

Nous allons tenter de rassembler les élémens de la théorie dispersés dans une multitude de notes jetées au hasard d’une plume négligente et précipitée, et sans lien apparent entre elles[10] : Pourquoi, demande Diderot, la longue série des animaux ne serait-elle pas des développemens différens d’un seul? Camper fait naître d’un seul modèle, dont il ne fait qu’altérer la ligne faciale, tous les animaux depuis l’homme jusqu’à la cigogne. N’est-ce pas une image de ce qu’a pu faire la nature? On parle de trois règnes et on a raison. Mais le règne végétal pourrait bien être et avoir été la source première du règne animal, et avoir pris la sienne dans le règne minéral, et celui-ci émaner de la matière universelle hétérogène. Il ne faut pas croire que les animaux ont toujours été et qu’ils seront toujours tels que nous les voyons. C’est l’effet d’une longue durée, pendant laquelle leur organisation, leur couleur, leur forme semblent garder un état stationnaire ; mais c’est une apparence seulement. — Les espèces sont-elles stables? Les règnes de la nature sont-ils vraiment séparés? Il faut commencer par classer les êtres, depuis la molécule inerte, s’il en est, jusqu’à la molécule vivante, à l’animal microscopique, à l’animal-plante, à l’animal, à l’homme. La chaîne est tendue à travers les êtres depuis le premier jusqu’au dernier. Mais il arrive que la diversité des formes nous fait croire que cette chaîne est interrompue : ne nous arrêtons pas à cette difficulté. La forme n’est souvent qu’un masque qui trompe : le chaînon qui paraît manquer existe peut-être dans un être connu à qui les progrès de l’anatomie comparée n’ont encore pu assigner sa véritable place. Cette manière de classer les êtres est très pénible et très lente et ne peut être que le résultat des travaux successifs d’un grand nombre de naturalistes. Attendons et ne nous pressons pas de juger.

Il y a contiguïté entre les règnes, comme il y a contiguïté entre les espèces et peut-être identité. Saura-t-on jamais, par exemple, fixer les frontières entre la plante et l’animal, frontières de plus en plus indécises, à mesure qu’une science plus exacte les serre davantage? La définition de l’animal et de la plante est la même. L’animal et la plante sont également une coordination de molécules infiniment actives, un enchaînement de petites forces vives que tout concourt à séparer. De là les phénomènes de la vie et de la mort par lesquels se rapprochent autant que possible l’animal et la plante. Où commence l’un? où finit l’autre? Lorsque Beccari à Bologne eut découvert le gluten en analysant les parties constituantes de la farine, le savant chimiste Rouelle, à Paris, reprit ces expériences et les poussa aussi loin qu’il put les conduire. Il démontra que le gluten était une substance qui ressemblait beaucoup à une substance animale, et il l’appela végéto-animal[11]. — « Par la chaleur et la fermentation, la matière végétale s’animalise dans un vase. Elle s’animalise aussi en moi. Il n’y a de différence que dans les formes. »

C’est surtout dans certains êtres ambigus, comme les oscillaires, que le naturaliste hésite. Doit-il les classer parmi les algues ou parmi les zoophytes? Que dire, par exemple, de la plante aquatique appelée la tremella ? Adanson est le premier qui y ait aperçu un mouvement singulier, et cependant il refuse la vie et le sentiment à cette plante, et par conséquent l’animalité, et la laisse plante. Fontana, au contraire, en fait le passage du règne végétal au règne animal. Diderot, après une longue discussion, se range à cet avis. Pour lui il n’y a pas de doute. Ce mouvement singulier ne peut venir que d’une spontanéité qui caractérise la vie. Il dure tant que la plante vit. Sèche, la plante perd cette propriété; humide, elle la reprend; elle naît et meurt à discrétion. La tremella et ses fils sont en réalité des animaux sensibles et vivans ; elle porte déjà en elle le principe de la sensibilité. Biais voici un exemple plus caractéristique encore où l’on peut mieux juger, s’il est possible, de la continuité des êtres et de la contiguïté des règnes ; c’est l’histoire de cette plante (que M. Darwin a étudiée récemment et qui a été l’objet ici même d’une curieuse étude), la dionée[12]. Diderot en parle comme un disciple de Darwin et avec le sentiment juste de l’importance de ce fait, qui est des plus singuliers pour la science et des plus saisissans pour l’imagination. « Cette plante a ses feuilles étendues à terre, par paires et à charnières : ces feuilles sont couvertes de papilles. Si une mouche se pose sur la feuille, cette feuille et sa compagne se ferment comme l’huître; la plante sent et garde sa proie, la suce, et ne la rejette que quand elle est épuisée de suc. Voilà une plante presque carnivore. » Et Diderot suggère à ce propos une expérience aux naturalistes de l’avenir : « Je ne doute point, dit-il, que la dionée ne donnât à l’analyse de l’alcali volatil, produit caractéristique du règne animal. » Il ne néglige pas non plus les anthérozoïdes. — « On tire de l’alcali volatil du champignon; aussi sa graine est-elle douée d’une vie particulière : elle oscille dans l’eau, se meut, s’agite, évite les obstacles et semble balancer entre le règne animal et le règne végétal avant que de se fixer à celui-ci. » Donc pas de classification absolue entre les règnes et une indécision complète sur les limites qui les séparent. La transmutation est partout : d’abord entre les espèces, chaque espèce paraissant bien n’être qu’un développement du même type animal ou végétal, différencié par les circonstances; puis, entre les règnes, chaque règne se confondant avec celui qui le précède ou qui le suit par des générations équivoques. La chaîne des êtres ne s’interrompt nulle part, et, quand elle paraît brisée, c’est la faute ou de notre attention qui se fatigue, ou de la diversité apparente des formes qui nous trompe, ou des doctrines préconçues qui nous aveuglent.

La question de l’origine de la vie est tranchée par Diderot de la même manière qu’elle l’est aujourd’hui par les représentans du transformisme radical. Il se déclare nettement pour l’hétérogénie et les générations spontanées ; il ne manque pas de citer à l’appui les fameuses expériences de Needham sur les anguilles du grain niellé et ergoté. Il résume avec soin tous les travaux du temps sur la fermentation et les animaux microscopiques. Il y a trois degrés, selon lui, dans la fermentation : la vineuse, l’acide, la putride. Ce sont comme trois climats différens sous lesquels les générations d’animaux changent. — Il y a des générations sans nombre d’animaux par putréfaction : chaque animal donne des animaux différens, chaque partie de l’animal donne les siens. Les mêmes espèces d’animaux différens se succèdent régulièrement, selon la substance animale ou végétale mise en fermentation ou en putréfaction. Prenez des chairs grillées au feu le plus violent. Exposez les végétaux dans la machine de Papin, où les pierres se réduisent en poudre, où les plus dures se mettent en gelée : cela n’empêche pas ces substances de donner des animaux par la fermentation ou la putréfaction[13]. Il y a une sorte de génération descendante, par division, qui va peut-être jusqu’à la molécule sensible, laquelle montre, réduite à cet état, une activité prodigieuse[14]. Cette molécule sensible de Diderot ressemble singulièrement à la cellule de la physiologie contemporaine, commencement et fin de tous les organismes.

Mais là encore, il y a de la matière organique : il y en a dans la fermentation, il y en a dans la putréfaction : c’est une matière qui a vécu, qui a été saturée de vie. Peut-on poursuivre plus loin la doctrine de la transmutation des êtres ? Peut-on prolonger la chaîne des êtres jusqu’à l’inorganique? Peut-on supposer que la vie puisse éclore en dehors même de ce qui a vécu ? Diderot ne refuse pas d’aller aussi loin. Prenez l’animal, dit-il, analysez-le, ôtez-lui toutes ses modifications l’une après l’autre, et vous le réduirez à une molécule qui aura longueur, largeur, profondeur et sensibilité. Supprimez la sensibilité, il ne vous restera que la molécule inerte. Mais si vous commencez par soustraire les trois dimensions, la sensibilité disparaît. Diderot ne doute pas qu’on n’en vienne à démontrer un jour que la sensibilité appartient à tous les êtres. Il y a déjà de nombreux phénomènes qui y conduisent. Alors la matière en général aura cinq ou six propriétés essentielles, la force morte ou vive, la longueur, la largeur, la profondeur, l’impénétrabilité et la sensibilité[15]. La sensibilité est en puissance dans la molécule inerte. Introduisez-y le mouvement animal, la sensibilité s’éveille du même coup. C’est la qualité propre à l’animal qui l’avertit des rapports existans entre lui et tout ce qui l’environne. — Entre la sensibilité en puissance de la molécule et la sensibilité de l’animal, il n’y a qu’une question de circonstances et de temps. C’est par cette théorie que débutait l’Entretien entre d’Alembert et Diderot :

« Mais cette sensibilité, si c’est une qualité générale et essentielle de la matière, il faut que la pierre sente. — Pourquoi non ? — Cela est dur à croire. — Oui, pour celui qui la coupe, la taille, la broie et qui ne l’entend pas crier. — Je voudrais bien que vous me dissiez quelle différence vous mettez entre l’homme et la statue, entre le marbre et la chair. — Assez peu; on fait du marbre avec de la chair, et de la chair avec du marbre. — Mais l’un n’est pas l’autre. — Comme ce que vous appelez la force vive n’est pas la force morte. — Serait-ce par hasard que vous reconnaîtriez une sensibilité active et une sensibilité inerte, comme il y a une force vive et une force morte? Une force vive qui se manifeste par la translation, une force morte qui se manifeste par la pression ; une sensibilité active qui se manifeste par certaines actions remarquables dans l’animal et peut-être dans la plante, et une sensibilité inerte dont on serait assuré par le passage à l’état de sensibilité active. — A merveille. Vous l’avez dit. »

C’est la sensibilité qui fait le passage entre le règne minéral et le règne végéto-animal : inerte dans l’un, active dans l’autre. Seulement Diderot néglige de nous dire sous quelles influences le passage s’opère et comment d’inerte la sensibilité devient active, comment la molécule devient le tissu vivant de la plante ou de l’animal. Évidemment, dans sa pensée, ce ne peut-être que sous l’action de certaines forces physiques, comme l’électricité et la chaleur, qui accumulées en proportions convenables et combinées d’une certaine manière, éveillent les énergies latentes des molécules, tirent la sensibilité de sa torpeur, et font passer la matière inorganique à la sensibilité et à la vie. C’est la logique qui se charge d’opérer ce passage, que l’expérience n’a pas démontré encore aujourd’hui, plus d’un siècle après Diderot. Revenons aux animaux et à l’homme. Diderot résume Maillet et pressent Lamarck dans cette hardie formule : « Animal : forme déterminée par des causes intérieures et extérieures qui, diverses, doivent produire des animaux divers[16]. » Ainsi, voilà déjà la variété des espèces expliquée par les circonstances, par l’adaptation au milieu, par l’habitude, par l’hérédité. Qu’on ne vienne donc pas chercher des intentions, là où il n’y a que des faits accidentels. Ces sortes d’explications téléologiques, Diderot les repousse énergiquement, il les signale avec mépris, il dénonce la bêtise de certains défenseurs des causes finales[17]. « Ils disent : Voyez l’homme, etc. — De quoi parlent-ils ? Est-ce de l’homme réel ou de l’homme idéal ? Ce ne peut-être de l’homme réel, car il n’y a pas sur toute la surface de la terre un homme parfaitement constitué, parfaitement sain. L’espèce humaine n’est qu’un amas d’individus plus ou moins contrefaits, plus ou moins malades. Or quel éloge peut-on tirer de là en faveur du prétendu Créateur? Ce n’est pas à l’éloge, c’est à une apologie qu’il faut penser. Ce que je dis de l’homme, il n’y a pas un seul animal, une seule plante, un seul minéral dont on n’en puisse dire autant. A quoi servent les phalanges au pied fourchu du pourceau? à quoi servent les mamelles au mâle? etc., etc. Si le tout actuel est la conséquence nécessaire de son état antérieur, il n’y a rien à dire. Si l’on en veut faire les chefs-d’œuvre d’un Être infiniment sage et tout-puissant, cela n’a pas le sens commun. Que font donc ces préconiseurs? Ils félicitent la Providence de ce qu’elle n’a pas fait; ils supposent que tout est bien, tandis que relativement à nos idées de perfection, tout est mal[18].

La sensibilité étant pour Diderot une propriété immanente de la matière, il n’est pas étonnant qu’il se sépare de son maître, Haller, qui prétendait qu’il n’y a que le cerveau, la moelle des nerfs, la peau, et en général les parties dans lesquelles il entre des nerfs, qui fussent doués de sensibilité. Diderot soutenait que toutes les parties du corps vivant sont sensibles, parce qu’elles sont toutes vivantes. La sensibilité (que d’ailleurs il réduit à l’irritabilité) est partout où est la vie, jusque dans le dernier élément des tissus. Elle est la vie propre aux organes. Il n’y a pas une seule partie animale quelconque qui en soit privée. Un organe intermédiaire non sensible, entre deux organes sensibles, arrêterait la sensation et deviendrait, dans le système, corps étranger : ce serait comme deux animaux couplés par une corde[19].

Diderot devance cette théorie de la physiologie moderne, d’après laquelle chaque organisme se résout en une multitude d’organismes élémentaires, tous également vivans, et qui soutient que l’animal n’est au fond qu’une réunion d’animaux.

Il y a une vie particulière des organes, et il y a une vie commune, qui résulte de la sympathie et des habitudes réciproques qu’ils contractent entre eux. La vie propre à chaque organe se caractérise très nettement. Chacun a son plaisir et sa douleur particulière, sa position, sa construction, sa fonction, ses maladies accidentelles, héréditaires, ses dégoûts, ses appétits, ses remèdes, ses sensations, ses volontés, ses mouvemens, sa nutrition, ses stimulans, son traitement approprié, sa naissance, son développement, sa vieillesse et sa décrépitude[20]. La même maladie transférée par métastase d’un organe à un autre présente des phénomènes et produit des sensations plus variées que la même maladie fixée au même lieu dans des animaux différens. La goutte brûle, pique, déchire le pied; à la main, c’est autre chose; sur les intestins, à l’estomac, aux reins, aux poumons, à la tête, aux yeux, aux articulations, autant de douleurs différentes. — Mais en même temps que la vie propre des organes, il y a leur vie commune qu’il faut considérer. Chacun d’eux a son caractère d’abord, puis son influence sur les autres. Te là la variété des symptômes qui semblent propres à un seul et étrangers aux autres, qui en sont pourtant affectés. — Ils sent forcés de se concilier et de se mettre en société. Chacun d’eux sacrifie pour cela une partie de son bien-être au bien-être d’un autre. Ce qui soustrait les organes à leur vie égoïste et isolée, c’est la sympathie (le partage de la sensation commune) et c’est aussi l’habitude[21]. L’animal chez lequel cette sympathie et ce que Diderot appelle les habitudes sourdes ne parviennent pas à s’établir meurt fatalement. Il meurt aussi celui chez lequel ces habitudes et ces sympathies sont violemment troublées, et la mort n’est que la rupture d’équilibre de ces fonctions réciproques et simultanées qui font l’harmonie et la vie.

Ce qui explique l’unité de sensation dans l’être vivant, c’est la continuité de la sensation, laquelle s’explique par la contiguïté des organes, c’est-à-dire des parties élémentaires de l’organisme, toutes sensibles et vivantes. Ces organes élémentaires, sensibles et contigus, ont été symbolisés par la célèbre image de la grappe d’abeilles, qui tient une si grande place dans le Rêve de d’Alembert : « Si l’une de ces abeilles, dit le philosophe rêvant, s’avise de pincer d’une manière quelconque l’abeille à laquelle elle est accrochée, celle-ci pincera la suivante ; il s’excitera dans toute la grappe autant de sensations qu’il y a de petits animaux ; le tout s’agitera, se remuera, changera de situation et de forme; il s’élèvera du bruit, de petits cris, et celui qui n’aurait jamais vu une pareille grappe s’arranger serait tenté de la prendre pour un animal à cinq ou six cents têtes et à mille ou douze cents ailes. » Vous pouvez transformer par l’imagination cette grappe d’animaux distincts en un seul et unique animal : « Amollissez les pattes par lesquelles se tiennent ces abeilles ; de contiguës qu’elles étaient, rendez-les continues. » Il en est de même de nos organes. « Ce sont des animaux distincts que la loi de continuité tient dans une sympathie, une unité, une identité générales. Chaque animal est un polype, l’homme comme les autres... »

Nous ne pouvons prolonger outre mesure l’analyse de ces notes, si confuses en apparence, mais ordonnées par l’unité intérieure d’une pensée qui se poursuit à travers la diversité infinie et le désordre des détails. J’aurais voulu recueillir ici les idées les plus intéressantes qui jaillissent à chaque instant d’un souvenir, d’un fait, d’une expérience, et qui donnent une vie, une couleur à cet exposé d’ailleurs si dénué d’art. Je me contenterai de citer, sans y insister davantage, les réflexions très curieuses sur le cerveau et la vie du cerveau[22], sur les différentes sortes de mouvemens que Diderot appelle volontaires, spontanés, involontaires, naturels, et où il n’est pas difficile de reconnaître ce que la science moderne appelle les mouvements volontaires, instinctifs et réflexes[23], sur l’instinct et l’habitude, sur le mécanisme de la volonté[24], sur le sommeil, dans lequel Diderot distingue comme les physiologistes modernes le sommeil total et le sommeil partiel des organes[25], etc. Mais je ne puis m’empêcher de signaler particulièrement à l’attention des savans une série d’aphorismes caractéristiques et complémentaires de l’idée du transformisme, perdus un peu partout.

Voici d’abord quelques principes qui joueront un grand rôle plus tard dans l’école : « L’organisation détermine les fonctions. L’aigle à l’œil perçant plane au haut des airs ; la taupe à l’œil microscopique s’enfuit sous terre ; le bœuf aime l’herbe de la vallée; le bouquetin, la plante aromatique des montagnes. L’oiseau de proie étend ou raccourcit sa vue, comme l’astronome étend ou raccourcit sa lunette[26]. Le besoin engendre l’organe. Les besoins refluent sur l’organisation, et cette influence peut aller quelquefois jusqu’à produire des organes, toujours jusqu’à les transformer [27]. » Sur l’hérédité, les conformations et les maladies héréditaires, notre moisson serait aisément abondante : « La nature se plie à l’habitude. Je ne suis pas éloigné de croire que la longue suppression d’un bras n’amenât une race manchote[28]. » Et, à ce propos, l’éditeur appelle en témoignage M. de Quatrefages, qui citait un jour ce fait, dans un rapport à la Société d’anthropologie, qu’au dire des voyageurs sérieux, les chiens des Esquimaux viennent au monde sans queue, à la suite de l’ablation de cet organe chez leurs parens. — Le développement des organes est généralement en rapport avec le besoin qu’on en a et la vie qu’on mène : « Le défaut continuel d’exercice anéantit les organes, l’exercice violent les fortifie et les exagère. Rameur à gros bras, portefaix à gros dos, jambes du sauvage[29], etc., etc. » L’animal crée donc et développe presque à volonté ses organes. La théorie des monstres est intimement liée à celle des organismes réguliers : « Qu’est-ce qu’un monstre ? Un être dont la durée est incompatible avec l’ordre subsistant. Il y a autant de monstres qu’il y a d’organes dans l’homme et de fonctions ; des monstres d’yeux, d’oreilles, de nez, qui vivent tandis que les autres ne vivent pas ; des monstres de position de parties, des monstres par superfétation, des monstres par défaut. » Et, à ce propos, Diderot s’égaie à l’idée d’un homme qui aurait deux têtes : l’une pourrait être incrédule, l’autre dévote. Dans le même moment, l’être serait sollicité par deux désirs contradictoires : celle-ci voudrait aller à la messe, l’autre à la promenade ; l’une prendrait telle femme en passion, l’autre en aversion, à moins peut-être qu’avec le temps l’harmonie ne s’établît entre les deux têtes et que l’homme n’agît comme s’il n’en avait qu’une[30].

N’y a-t-il pas quelque idée de la concurrence vitale et de la sélection naturelle dans cette sentence, qui est le dernier mot du livre : « Le monde est la maison du fort[31]. » Sous une forme trop concise, n’est-ce pas la traduction anticipée de cette loi célèbre d’après laquelle les mieux doués pour la bataille de la vie survivent, les individus ou les variétés privilégiées de quelque avantage triomphent, et le monde, livré à un combat sans pitié, devient le théâtre de la sélection qui s’opère au profit des plus forts ? « Les êtres contradictoires sont ceux dont l’organisation ne s’arrange pas avec le reste de l’univers. La nature aveugle qui les produit les extermine ; elle ne laisse subsister que ceux qui peuvent coexister avec l’ordre général[32]. » Du reste, il se pourrait que les espèces naturelles fussent éliminées à leur tour : « La nature extermine l’individu en moins de cent ans. Pourquoi n’exterminerait-elle pas l’espèce dans une plus longue succession de temps? » Les espèces peuvent devenir à leur tour incompatibles avec les circonstances extérieures, lesquelles ne sont pas stables : « L’ordre général change sans cesse; comment, au milieu de cette vicissitude la durée de l’espèce peut-elle rester la même? Il n’y a que la molécule qui demeure éternelle et inaltérable[33]. » Y a-t-il progrès dans ce développement, dans cette évolution perpétuelle du monde et de ses formes? Cette question n’a pas de sens pour qui a bien saisi la doctrine. Les défauts et les qualités de l’ordre précédent ont amené l’ordre qui existe aujourd’hui et dont les défauts et les qualités amèneront l’ordre qui suit, sans qu’on puisse déclarer si un ordre est meilleur ou pire qu’un autre. Ces expressions et d’autres semblables, progrès ou décadence, sont des termes relatifs aux individus d’une espèce entre eux ou aux différentes espèces entre elles[34]. Déjà, dans la Lettre sur les aveugles, en 1749, Diderot avait soutenu que l’ordre actuel n’est que le résultat de longs tâtonnemens et d’une longue élimination des êtres contradictoires. On dirait que Diderot traduit ici Lucrèce : « Qui vous dit que, dans les premiers instans de la formation des animaux, les uns n’étaient pas sans têtes et les autres sans pieds?.. Tels à qui un estomac, un palais et des dents semblaient promettre de la durée ont cessé par quelque vice du cœur ou des poumons; les monstres se sont anéantis successivement; toutes les combinaisons vicieuses de la matière ont disparu, et il n’est resté que celles où le mécanisme n’impliquait aucune contradiction importante et qui pouvaient subsister par elles-mêmes et se perpétuer[35]. »

La concurrence vitale est partout; elle est entre les formes d’êtres qui s’adaptent plus ou moins facilement à l’ordre général dans une certaine période de la dorée infinie; elle est aussi entre toutes les combinaisons de la matière, entre les mondes possibles; voilà le fond des idées cosmiques de Diderot. Et de là l’instabilité perpétuelle, les révolutions (nous dirions aujourd’hui l’évolution), les changemens dont nous ne pouvons juger que par la raison, non par l’expérience d’une si courte vie, — ou de l’histoire si brève de l’humanité, depuis qu’elle a une histoire. « Qu’est-ce donc que ce monde? Un composé sujet à des révolutions qui toutes indiquent une tendance continuelle à la destruction; une succession rapide d’êtres qui s’entre-suivent, se poussent et disparaissent; une symétrie passagère, un ordre momentané... Le monde est éternel pour vous, comme vous êtes éternel pour l’être qui ne vit qu’un instant... Cependant nous passerons tous, sans qu’on puisse assigner ni l’étendue réelle que nous occupions ni le temps précis que nous aurons duré. Le temps, la matière et l’espace ne sont peut-être qu’un point. » Nous voilà ramenés au sophisme de l’éphémère. Le monde actuel est un éphémère pour les millions de mondes réels ou possibles dans le passé et dans l’avenir, comme l’insecte de l’Hypanis en est un pour l’homme qui le voit naître et mourir dans la même journée. La journée d’un monde est plus longue, voilà tout. La conclusion est triste : « Qu’aperçois-je? Des formes. Et quoi encore? Des formes. J’ignore la chose. Nous nous promenons entre des ombres, ombres nous-mêmes pour les autres et pour nous. — Si je regarde l’arc-en-ciel tracé sur la nue, je le vois; pour celui qui regarde sous un autre angle, il n’y a rien[36]. »

Voilà des textes positifs d’où il ressort qu’aucune des idées essentielles qui constituent le transformisme n’avait échappé à la sagacité inventive de Diderot. Il rejette les causes finales et tout mode d’explication supra-naturelle; il y substitue l’unité et la continuité de la nature, la gradation insensible entre les règnes et les espèces, la conception de la concurrence vitale, de l’extermination des faibles et du triomphe assuré des forts, la loi des fonctions engendrées par l’organe, celle des organes engendrés par les besoins, les formes organiques s’adaptant à la diversité des milieux, déterminés par les circonstances intérieures et extérieures, l’action profonde et multiple de l’hérédité, enfin la mobilité perpétuelle de ces êtres, qu’aucun plan, aucune intention ne paraît déterminer en dehors des causes physiques et que d’autres causes du même ordre détruisent sans cesse, laissant la place vide pour les figures changeantes d’un monde qui, lui-même, soumis aux actions lentes, se transforme d’une manière insensible, mais certaine, et prépare, dans le secret travail de ses métamorphoses, l’éclosion de nouvelles générations d’êtres adaptés à de nouveaux milieux, et dont personne ne peut concevoir une idée ou se former une image.

Si l’on veut bien consulter de près les textes dont nous nous sommes servis, on verra que nous en avons respecté scrupuleusement l’esprit, que nous ne leur avons fait subir d’autre contrainte que celle de l’ordre dans lequel nous les avons rangés et de la liaison que nous avons mise entre eux, mais que nous nous sommes bien gardés de les solliciter à dire plus qu’ils ne veulent dire dans la pensée de Diderot lui-même. C’est donc à tort que nos transformistes contemporains ont voulu faire honneur à Lamarck de ces vues nouvelles, réservées à une si prodigieuse fortune. L’originalité véritable dans cet ordre d’idées, c’est à Diderot qu’elle revient. Ni dans ses Recherches sur les causes des principaux faits physiques, en 1801, ni dans ses Recherches sur l’organisation des corps vivans, en 1802, ni dans les pages devenu: s célèbres de sa Philosophie zoologique, en 1809, Lamarck n’a été vraiment créateur. Avec une science très supérieure à celle de Diderot, avec beaucoup plus d’ordre dans les idées et une force d’esprit toute spéciale appliquée à cet ordre de problèmes, il n’a pas produit une seule idée dont le germe ne puisse être retrouvé dans les Élémens de physiologie. Pour ceux qui auront lu attentivement ce curieux ouvrage, en y ajoutant le Rêve de d’Alembert, la Lettre sur les aveugles, l’Interprétation de la nature, qu’y aura-t-il de nouveau dans les principes qui constituent la Philosophie zoologique: le changement continu et indéfini proclamé comme la loi même de la nature, la négation de la fixité dans les types organiques, la substitution de l’évolution progressive des êtres à la doctrine des causes finales, et tous les moyens auxiliaires, tous les procédés à l’aide desquels s’accomplit cette grande et universelle opération de la nature, l’empire des circonstances extérieures, l’influence modificatrice des milieux, l’action souveraine des conditions de la vie, les organes naissant successivement des besoins que ressentent les vivans inférieurs, des habitudes qu’ils contractent ou des efforts qu’ils font pour accroître ou développer leur vie, d’où la formation graduelle et la disposition de la série organique?.. Voilà tout Lamarck. Mais n’est-ce pas aussi Diderot? Et lequel de ces principes n’avons-nous pas vu, à l’état de conception naissante ou même de vue très nette, dans l’ouvrage que nous avons analysé? La supériorité de Lamarck n’est pas dans la conception; elle est dans le système. Il a fait un tout organisé de ce qui n’était qu’une ébauche. il a constitué en théorie ordonnée et suivie des intuitions rapides, des conjectures jetées à la hâte, ce qui était le rêve d’un philosophe ou la brillante fantaisie d’un spéculatif. En cela comme en toute chose, Diderot n’a été qu’un prodigieux improvisateur : il a semé, c’est Lamarck qui a récolté.

A plus forte raison peut-on dire que Diderot a précédé les Allemands dans cette voie nouvelle du transformisme, où ils s’avancent depuis une vingtaine d’années, avec une intrépidité de dialectique qui défie la contradiction, mais qui ne supplée pas aux dates, s’il s’agit de l’invention de l’idée. Aussi n’est-ce pas sans une certaine surprise que nous entendons dire gravement par M. Hæckel: « A la tête de la civilisation se placent aujourd’hui les Anglais et les Allemands qui, par la découverte et le développement de la théorie de l’évolution, viennent de poser les bases d’une nouvelle période de haute culture intellectuelle. La disposition de l’esprit à adopter cette théorie et la tendance à la philosophie monistique qui s’y rattache fournissent la meilleure mesure du degré de développement intellectuel de l’homme[37]. » A supposer que la conception du transformisme devienne le critérium du développement intellectuel des races, ce qui est une assertion bien arrogante, c’est à la France qu’appartiendrait ce droit singulier de suprématie. De Maillet, Diderot, Robinet, Lamarck, ont enlevé d’avance cette initiative à la race anglo-germanique. Il faut qu’elle en prenne son parti. La Biologie de Tréviranus, le naturaliste de Brème, la Philosophie de la Nature de Owen, la Zoonomie d’Érasme Darwin, le grand-père du célèbre naturaliste, tous ces ouvrages et bien d’autres où s’annonce le transformisme, datent du commencement de ce siècle ou de la fin du siècle précédent. — C’est bien dans l’activité dévorante de notre XVIIIe siècle français, c’est dans la fermentation prodigieuse des idées de ce temps si fécond pour l’erreur comme pour la vérité, qu’il faut aller chercher les origines historiques de cette grande hypothèse qui devait remuer si profondément la philosophie et la science de notre âge.

Gœthe, celui qui, le premier parmi les Allemands, s’est pénétré de cette idée de l’évolution et de la métamorphose, est un disciple avoué de Diderot, qu’il ne connaissait cependant que par quelques-uns de ses écrits[38]. Ses Pensées, ses fragmens d’histoire naturelle, ses Conversations avec Eckermann en font foi. — La forme soumise à une perpétuelle métamorphose dans l’individu comme dans l’espèce, chaque espèce, chaque genre, chaque règne dérivant à l’origine « d’un point vital immobile ou doué de mouvemens à peine sensibles, » la nature répugnant à tout ce qui ressemble à un système, passant par des modifications insensibles d’un centre inconnu à une circonférence qu’on ne saurait atteindre, voilà le fond de la doctrine naturaliste de Gœthe, si l’on peut appeler cela une doctrine. A peine ose-t-il lui-même donner le nom de vues scientifiques à ces conjectures hardies. Peut-être ne sont-elles « qu’une de ces navigations vers les îles imaginaires, » dans lesquelles il nous dit qu’il aime à s’aventurer. En tout cas, quand il s’embarque pour les îles inconnues, c’est Diderot qu’il prend pour pilote.

Et maintenant, je pense, on n’attend pas de nous un examen critique des théories de Diderot qui nous mènerait trop loin du sujet que nous avons choisi. — Ce n’est pas l’occasion d’ouvrir à fond ce grand débat. Nous n’avons prétendu qu’à établir sur des textes péremptoires une enquête sur les origines de l’idée du transformisme, que nous avons trouvée expressément sous une forme littéraire dans le Rêve de d’Alembert, sous une forme plus précise et dogmatique dans les Élémens de physiologie, que l’on vient de nous restituer avec tant d’à-propos. La question est ouverte encore à l’heure qu’il est, et rien ne nous porte à croire qu’elle doive se fermer de si tôt. La théorie de M. Darwin, moins absolue que celle de Diderot, moins radicale, appuyée d’ailleurs sur une série d’expériences délicates, d’observations admirables, d’analogies ingénieuses, n’en est pas moins contestée aujourd’hui dans le monde savant avec autant d’ardeur et de force que le premier jour où elle s’est produite. Elle n’a pu encore traverser la région des hypothèses, parvenir au plein jour de la science expérimentale et positive. Et qui peut dire qu’elle y arrivera jamais? C’est encore une nébuleuse en voie de formation. Qui peut tirer l’horoscope de ses destins futurs? Et cependant que de circonstances propices ! et quel concours inouï de travailleurs infatigables, de prosélytes ardens, de savants distingués! En Angleterre les Lyell, les Huxley, les Lubbock, les Herbert Spencer; en Allemagne les Moleschott, les Carl Vogt, les Reich, les Wundt, les Ecker, les Jæger, et enfin le plus vif et le plus dogmatique de tous, le célèbre professeur à l’université d’Iéna, Hæckel. Nous ne parlons pas des savans français, que la question divise profondément, mais dont la portion jeune et militante semble entrer de plus en plus dans le courant nouveau qui emporte la science de la nature. Malgré tant de chances avantageuses dans ce grand combat pour la vie scientifique que soutient le transformisme, la victoire reste plus incertaine que jamais.

Plutôt que de soumettre à une discussion en règle les conceptions brillantes de Diderot, qui échappent à la critique par l’absence de documens positifs, par la fantaisie même de celui qui les produit, s’appuyant sur les élémens de la physiologie naissante qu’il étudie au jour le jour, souvent même sur des faits qu’il emprunte à des témoins sans autorité, à des voyageurs inconnus, ou bien encore aux légendes les plus apocryphes de l’antiquité, il est peut-être plus intéressant de caractériser l’idée de la nature, telle qu’elle ressort des Élémens de physiologie et qui nous paraît un peu différente de celle qui règne dans la plupart de ses autres ouvrages. Il y a, en effet, deux manières de concevoir la nature, quand on prétend se passer de Dieu : ou bien la nature est une grande artiste qui ne se connaît pas, — ou bien elle n’est autre chose que la nécessité aveugle et mécanique. Dans d’innombrables passages de ses œuvres, Diderot célèbre sous ce nom la puissance universelle, la puissance vive, éternellement féconde, le principe actif, innomé, qui élabore sans trêve la substance du monde, l’instinct artiste qui dispose les types et les formes, je ne sais quelle âme plastique de l’univers, ouvrière industrieuse, travaillant pour réaliser à son insu, un modèle invisible, se dirigeant par des chemins inconnus à elle-même vers un but qu’elle ignore. Voilà l’image de la nature qui charmait Gœthe et qui l’entraînait à la suite du philosophe français dans des navigations aventureuses. Mais cette conception s’est singulièrement altérée, abaissée dans les Élémens de physiologie. Ici il ne s’agit plus guère que de pur mécanisme; il n’y est question que des propriétés innées à la matière, de combinaisons nécessaires, de réussites accidentelles.

À ces deux conceptions de la nature se rattachent deux interprétations fort différentes du transformisme, selon que l’on reconnaît le progrès dans le travail de la nature ou qu’on ne le reconnaît pas. La différence est capitale. Pour les uns, l’évolution du monde est un travail purement mécanique, une forme de la nécessité physique et sans autre résultat que l’ordre momentané avec lequel peuvent coexister les formes actuellement existantes de l’être. Pour les autres, l’évolution est un travail intelligent par ses résultats, sinon par ses intentions, et bien qu’il s’exécute par des agens purement naturels, un travail dirigé vers le mieux et dont le vrai nom est progrès. C’est le sens dans lequel on peut interpréter le transformisme, tel qu’il nous apparaît dans Darwin, dans Hæckel et dans Herbert Spencer, Avec eux on est fort éloigné du hasard et de la nécessité brute. Les moyens sont mécaniques, le produit ne l’est pas, puisqu’il y a une amélioration continue et graduelle dans les types, dans les formes, dans les espèces, puisqu’il y a passage insensible et constant, par voie de sélection, du pire au moins mal et du moins mal au mieux. Conçu de cette façon, construit avec l’idée du progrès, le transformisme n’exclut, quoi qu’on en dise, ni l’idée de plan, ni la finalité. Il n’exclut que l’idée de hasard et celle de la nécessité aveugle. Qu’est-ce donc, en effet, que ce passage du pire au mieux, sans rétrogradation définitive, avec une lenteur infaillible et sûre d’opérations mécaniques qui semblent poursuivre un but, sinon la manifestation d’une idée directrice, ou si l’on aime mieux, d’une force secrète, d’un ressort de progrès déposé dans le premier atome, l’amenant à des combinaisons de plus en plus parfaites, de plus en plus élevées, quel que soit d’ailleurs l’ensemble des moyens physiques ou physiologiques, concurrence vitale, hérédité, influence des milieux, sélection naturelle, dont le résultat final est de tirer du chaos informe des élémens primitifs la figure du monde actuel et la série des mondes futurs?

C’est bien ainsi que Diderot paraît souvent entendre cette conception, mais non pas dans les Elémens. Ici il refuse de reconnaître le progrès dans le changement incessant des formes, et qu’est-ce alors que l’évolution sans progrès, sinon un jeu des forces brutes, et le monde ainsi formé sinon un résultat accidentel ou nécessaire des combinaisons de molécules éternelles ? Selon lui, le progrès n’a de sens que dans l’enceinte d’un monde donné. C’est une expression toute relative qui ne peut s’appliquer qu’à l’adaptation plus ou moins heureuse d’une forme organique à ses conditions d’existence. Mais ce monde lui-même qu’est-il ? Un ordre qui s’est formé accidentellement de telle manière plutôt que de telle autre, un ordre de circonstance qui ne durera pas, qui peut-être retombera dans le désordre des élémens primitifs, une symétrie passagère ; en un mot, un coup heureux dans le grand jeu de la nature, la réussite d’un coup qui visait au hasard ou plutôt qui ne visait à rien et qui, parmi des milliards de combinaisons possibles, a touché le but et fait éclore ce monde pour un temps indéterminé, sans veille et sans lendemain. C’est bien le dernier mot des Élémens de physiologie. Mais avec une imagination aussi ardente, aussi instable, il ne faut désespérer de rien, et nous verrons que, vers le même temps, dans un de ses derniers écrits, également inédit, Diderot se relève d’un vigoureux élan vers une plus haute conception de la nature et de l’homme. Il sait s’affranchir de tout et de lui-même au prix de contradictions manifestes qu’il ne semble pas craindre et qui sont une partie essentielle de l’histoire de son esprit.


E. CARO.

  1. Auteur d’un ouvrage momentanément célèbre vers 1772, sur la Félicité publique, et que Voltaire (avec quelque ironie, je suppose) plaçait au-dessus de l’Esprit des lois.
  2. Apologie de l’abbé de Prades, XVI.
  3. Poésies nouvelles. — Souvenir.
  4. Mémoires de Naigeon sur Diderot, édition Brière, p. 224.
  5. Lettre à M. Petit sur une question d’anatomie et de physiologie. Verdier était un chirurgien qui faisait des leçons publiques. Mlle Biheron a, la première, fabriqué avec une grande perfection des pièces d’anatomie. Les éditeurs nous apprennent qu’elle était fort dévote, fort pauvre, passionnée depuis sa jeunesse pour cette science, dont elle excellait à donner les figures; elle habitait, place de l’Estrapade, la maison d’angle où Diderot avait aussi demeuré.
  6. De l’Interprétation de la nature, question LVIII.
  7. Telliamed fut publié à Amsterdam, en 1748, par un ami de Benoît de Maillet, mort en 1738.
  8. Les Systèmes.
  9. De Maillet était consul de France au Caire.
  10. Pages 253-255, 264-265. Édition Assézat et Tourneux, tome IX. Nous serons contraints, pour la clarté de cette restitution, de resserrer le texte, de changer l’ordre là où règne le plus grand désordre, et de rétablir les intermédiaires entre des aphorismes séparés. Aussi supprimerons-nous d’ordinaire les guillemets qui sont la marque convenue des citations textuelles. Mais nous certifions d’avance l’exactitude de ces réductions qui s’éloignent aussi peu que possible de la lettre du texte. Aucune division en chiffres n’était marquée dans cet amas de notes, nous devons renvoyer le lecteur, pour qu’il puisse le contrôler, à la page de l’édition nouvelle.
  11. La fibrine végétale tirée du gluten par MM. Dumas et Cahours. Nous prévenons une fois pour toutes que nous bornant ici au rôle de rapporteur, nous ne nous portons garant ni des expériences citées par Diderot, ni des conséquences qu’il en tire, ni de l’exactitude du langage qu’il emploie en chimie et qui ne correspond plus au vocabulaire de la chimie moderne.
  12. Voyez, dans la Revue du 1er février 1876, le travail de M. Pranchon sur les Plantes carnivores.
  13. On connaît les belles expériences par lesquelles M. Pasteur a détruit l’illusion de ces phénomènes apparens et réduit ces créations spontanées d’organismes élémentaires à l’action des germes organiques contenus dans l’atmosphère.
  14. Pages 257, 264, 263, etc.
  15. Pages 267, 269, etc.
  16. Page 267.
  17. Page 271.
  18. Pages 267, 272.
  19. Pages 268-269, 330-331.
  20. Pages 332, 335.
  21. Page 334.
  22. Pages 310, 424.
  23. Pages 327, 330.
  24. Pages 329, 351, 374.
  25. Page 362.
  26. Page 264.
  27. Pages 330, 331
  28. Page 419.
  29. Pages 419-420.
  30. Page 419.
  31. Page 428.
  32. Page 253.
  33. Page 418.
  34. Page 419.
  35. Lettre sur les aveugles, p. 309, 311.
  36. Page 428.
  37. Hæckel, Leçons faites à Iéna en 1868.
  38. Que le lecteur nous permette de le renvoyer, pour un plus ample informé sur cette question, au chapitre cinquième de la Philosophie de Gœthe.