Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 44

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 240-243).
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CHAPITRE XLIV.
Comment il faut prier Dieu.

Nous entendons les clameurs de nos ecclésiastiques ; ils nous crient : S’il faut adorer Dieu en esprit et en vérité, si les hommes sont sages, il n’y aura plus de culte public, on n’ira plus à nos sermons, nous perdrons nos bénéfices. Rassurez-vous, mes amis, sur la plus grande de vos craintes. Nous ne rejetons point les prêtres, quoique dans la Caroline et dans la Pensylvanie chacun de nos pères de famille puisse être ministre du Très-Haut dans sa maison. Non-seulement vous garderez vos bénéfices, mais nous prétendons augmenter le revenu de ceux qui travaillent le plus, et qui sont le moins payés.

Loin d’abolir le culte public, nous voulons le rendre plus pur et moins indigne de l’Être suprême. Vous sentez combien il est indécent de ne chanter à Dieu que des chansons juives, et combien il est honteux de n’avoir pas eu assez d’esprit pour faire vous-mêmes des hymnes plus convenables. Louons Dieu, remercions Dieu, invoquons Dieu à la manière d’Orphée, de Pindare, d’Horace, de Dryden, de Pope, et non à la manière hébraïque. De bonne foi, si vous commenciez d’aujourd’hui à instituer des prières publiques, qui de vous oserait proposer de chanter le barbare galimatias attribué au Juif David ?

Ne rougissez-vous pas de dire à Dieu[1] : Tu gouverneras toutes les nations que tu nous soumettras avec une verge de fer ; tu les briseras comme le potier fait un vase.

[2]Tu as brisé les dents des pécheurs.

[3]La terre a tremblé, les fondements des montagnes se sont ébranlés, parce que le Seigneur s’est fâché contre les montagnes ; il a lancé la grêle et des charbons.

[4]Il a logé dans le soleil, et il en est sorti comme un mari qui sort de son lit.

[5]Dieu brisera leurs dents dans leur bouche ; il mettra en poudre leurs dents mâchelières ; ils deviendront à rien comme de l’eau : car il a tendu son arc pour les abattre ; et ils seront engloutis tout vivants dans sa colère, avant d’entendre que tes épines soient aussi hautes qu’un prunier.

[6]Les nations viendront, vers le soir, affamées comme des chiens ; et toi, Seigneur, tu te moqueras d’elles, et tu les réduiras à rien.

[7]La montagne du Seigneur est une montagne coagulée ; pourquoi regardez-vous les monts coagulés ? Le Seigneur a dit : Je jetterai Basan, je le jetterai dans la mer, afin que ton pied soit teint de sang, et que la langue de tes chiens lèche leur sang.

[8]Ouvre la bouche bien grande, et je la remplirai.

[9]Rends les nations comme une roue qui tourne toujours, comme la paille devant la face du vent, comme un feu qui brûle une forêt, comme une flamme qui brûle des montagnes ; tu les poursuis dans la tempête, et ta colère les troublera.

[10]Le Seigneur racontera dans les Écritures des peuples et des princes, de ceux qui ont été en Sion.

[11]Et ma corne sera comme la corne de la licorne (qui n’existe point), et ma vieillesse dans la miséricorde de la mamelle.

[12]Ta jeunesse se renouvellera comme la jeunesse de l’aigle (qui ne se renouvelle point).

[13]Il jugera dans les nations ; il les remplira de ruines ; il cassera la tête dans la terre de plusieurs.

[14]Jérusalem, qui est bâtie comme une ville, dont la participation d’elle est en lui-même.

[15]Bienheureux celui qui prendra tes petits enfants, et qui les écrasera contre la pierre.

Vous m’avouerez que l’ode d’Horace[16] : Cœlo tonantem credidimus Jovem, et celle des jeux séculaires, valent un peu mieux que cet effroyable nonsense d’antiques ballades[17], pillé chez un peuple que vous méprisez. Considérez, je vous prie, à qui l’on attribue la plupart de ces chansons. C’est à un scélérat qui commence par être violon du roitelet Saül, qui devient son gendre, et qui se révolte contre lui ; qui se met à la tête de quatre cents voleurs ; qui pille, qui égorge femmes, filles, enfants à la mamelle ; qui passe sa vie dans les assassinats, dans l’adultère, dans la débauche ; et qui assassine encore par son testament. Tel est David, tel est l’homme selon le cœur de Dieu[18]. Notre digne concitoyen Hut ne fait nulle difficulté de l’appeler monstre. Grand Dieu ! ne peut-on pas vous louer sans répéter les prétendues odes d’un Juif si criminel ?

Au reste, mes chers compatriotes, chantez peu : car vous chantez fort mal. Prêchez, mais rarement, afin de prêcher mieux. Des sermons trop fréquents avilissent la prédication et le prédicateur.

Comme parmi vous il y a nécessairement beaucoup de gens qui n’ont ni le don de la parole, ni le don de la pensée, il faut qu’ils se défassent du sot amour-propre de débiter de mauvais discours, et qu’ils cessent d’ennuyer les chrétiens. Il faut qu’ils lisent au peuple les beaux discours de Tillotson, de Smalridge, et de quelques autres ; le nombre en est très-petit. Addison et Steele vous l’ont déjà conseillé.

C’est une très-bonne institution de se rassembler une fois par mois, ou même, si l’on veut, une fois par semaine, pour entendre une exhortation à la vertu. Mais qu’un discours moral ne soit jamais une métaphysique absurde, encore moins une satire, et encore moins une harangue séditieuse.

Dieu nous préserve de bannir le culte public ! On a osé nous en accuser : c’est une imposture atroce. Nous voulons un culte pur. Nous commençâmes depuis deux siècles et demi à nettoyer les temples qui étaient devenus les écuries d’Augias ; nous en avons ôté les toiles d’araignée, les chiffons pourris, les os de morts, que Rome nous avait envoyés pour infecter les nations. Achevons un si noble ouvrage.

Oui, nous voulons une religion, mais simple, sage, auguste, moins indigne de Dieu, et plus faite pour nous; en un mot, nous voulons servir Dieu et les hommes.


  1. Ps. ii. (Note de Voltaire.)
  2. Ps. iii. (Id.)
  3. Ps. xvii. (Id.)
  4. Ps. xviii. (Id.)
  5. Ps. lvii. (Note de Voltaire.)
  6. Ps. Lviii. (Id.)
  7. Ps. lxvii. (Id.)
  8. Ps. lxxx. (Note de Voltaire.)
  9. Ps. lxxxii. (Id.)
  10. Ps. lxxxvi. (Id.)
  11. Ps. xci. (Id.)
  12. Ps. cii. (Id.)
  13. Ps. cix. (Id.)
  14. Ps. cxxi. (Note de Voltaire.)
  15. Ps. cxxxvi. (Id.)
  16. Livre III, ode v.
  17. Le mot Ballad, en anglais, signifie chanson. (Note de Voltaire.)
  18. Voyez tome V, page 611.