Don César d’Avalos/Acte III

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Don César d’Avalos
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 107-127).
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ACTE III.



Scène I.

D. FERNAND, D. CÉSAR.
D. Fernand.

N’y pensons plus, mon fils, ces choses sont passées,
Qu’entre nous à jamais elles soient effacées.
Le brusque entêtement qui vous fit marier,
Fut un coup de jeune homme, il le faut oublier,
Et songer seulement à bien goûter la joie
Qu’après de longs chagrins le ciel par vous m’envoie.
Je vous aime, agissez avec moi comme un fils
À qui tout ce que j’ai de fortune est acquis.
Je veux avant ma mort pourvoir à ma famille.
Je ne suis déjà plus en peine pour ma fille,
Ce soir pour son hymen on doit tout arrêter.

D. César.

Mon pere, il seroit bon de ne se point hâter,
Vous avez du bien…

D. Fernand.

Vous avez du bien…Oui, mais non pas pour prétendre
Celui que mon bonheur m’a fait trouver pour gendre.
Il est riche au-delà de tout ce qu’on en croit.
Je sai depuis dix ans…

D. César.

Je sai depuis dix ans…Quelque riche qu’il soit,
Si j’osois proposer un ami que j’estime,
Le choix vous sembleroit peut-être légitime.
Quand il n’aurait de bien que ce que je connois,
Cela va loin. De taille il est fait comme moi,

Et si ma sœur savoit tout ce qui s’en publie…

D. Fernand.

Qu’elle n’en sache rien, mon fils, je vous en prie.
Son cœur a déjà pris je ne sais quels dégoûts
Pour celui que mon choix lui donne pour époux ;
Ils pourroient s’augmenter en lui parlant d’un autre.

D. César.

Je dois soumettre ici mon sentiment au vôtre ;
Mais si le mariage est souvent sans douceur,
Vous hazardez beaucoup en contraignant ma sœur ;
Le désordre est à craindre où l’époux ne peut plaire.

D. Fernand.

Je sai ce qu’il lui faut, qu’elle me laisse faire.
Si mon gendre n’est pas tout-à fait-sérieux,
S’il a l’humeur trop gaie, il n’en vaudra que mieux.
Les choses sont au point qu’on ne s’en peut défendre.
J’ai donné ma parole, & ne puis la reprendre.
C’est sur quoi je voulois vous parler en secret.
Vous avez l’esprit doux, insinuant, discret,
Conférez avec elle ; & sur cet hyménée
Dites-lui ce que doit une fille bien née,
Elle vous en croira.

D. César.

Elle vous en croira.Reposez-vous sur moi.
J’appuierai vos desseins autant que je le dois,
Et n’épargnerai rien pour vous faire connoître,
Qu’aimé par vous en fils, je mérite de l’être.

D. Fernand.

C’est là ce que mon cœur du vôtre s’est promis.
Cependant il nous faut assembler vos amis.
Ah, qu’en vous embrassant Dom Sanche aura de joie !
Dom Pedre…

D. César.

D. Pedre…Il ne faut pas encor que je les voie,
À moins qu’on prenne soin de m’en entretenir,
À peine de leurs noms puis-je me souvenir ;
Et je crois qu’il seroit à propos pour ma gloire
De cacher quelque temps ma perte de mémoire.

D. Fernand.

Dix ans hors de Madrid passés sans revenir,
Ont pû les éloigner de votre souvenir ;
Mais au moins je croirois que les choses récentes…

D. César.

J’ai peine à m’en tenir les images présentes.

D. Fernand.

Quoi, ce qui dans Goa depuis peu s’est passé,
Ce que vous avez vû…

D. César.

Ce que vous avez vû…C’est autant d’effacé.
Je sai confusément que Goa…

D. Fernand.

Je sais confusément que Goa…Belle Ville,
Fort grande.

D. César.

Fort grande.Oui, spacieuse, en habitans fertile,
Où qui veut s’employer, trouve aisément parti.

D. Fernand.

Je n’avois pas trente ans lorsque j’en suis sorti.
Vous remettez-vous point, vers le château de Garde…

D. César.

Ne me demandez rien de ce qui le regarde.
Si le discours vous plaît, Carlin, qui vient à nous,
En pourra mieux que moi raisonner avec vous.



Scène II.

D. FERNAND, D. CÉSAR, CARLIN.
D. César bas à Carlin.

Tiens ferme, s’il le faut, &…

Carlin, à Dom César

Tiens ferme, s’il le faut, &…J’ai bonne cervelle.

D. Fernand.

À propos de Carlin, dites-moi, Sganarelle,

Qu’en est-il ?

D. César.

Qu’en est-il ?Sganarelle ?

D. Fernand.

Qu’en est-il ?Sganarelle ?Oui, vous en faisiez cas.
Qu’en avez-vous fait ?

D. César.

Qu’en avez-vous fait ?Moi ? Je ne le connois pas.

Carlin à D. Fernand.

Il ne le connoît pas !

D. César.

Il ne le connoît pas !Non.

Carlin à D. Fernand.

Il ne le connoît pas !Non.Monsieur, quel dommage !
[à D. César.]
Quoi, ce diable d’escroc, ce renverse ménage,
Qu’en partant de Madrid pour venir à Goa,
Vous aviez amené comme un bon valet ?

D. César.

Vous aviez amené comme un bon valet ?Ah,
Je sais. Tu l’as connu, Carlin ?

Carlin.

Je sais. Tu l’as connu, Carlin ?Il me le semble.
Nous vous avons servi cinq ou six mois ensemble.

D. Fernand.

Qu’est-il devenu ?

Carlin.

Qu’est-il devenu ?Lui ? Vous ne le verrez plus.
Le Coquin à mon maître a volé mille écus.

D. Fernand.

Le Pendard ! Mille écus !

Carlin.

Le Pendard ! Mille écus !Oh, s’il est pris, je pense
Qu’il fera le pendard au bout d’une potence ;
En bon argent de mise & de poids tout autant,
Mille écus.

D. César.

Mille écus.Je n’avois que cela de comptant.

D. Fernand.

L’accident est fâcheux, quand à sa seule adresse
On doit le peu qu’on a, la moindre perte blesse.
Il vous sera resté quelques effets ?

Carlin.

Il vous sera resté quelques effets ?Vraiment.
Mon maître a fait son compte aux Indes grassement ;
Vous verrez apporter dans quelques jours… La peste !
En matiere d’enfans vous l’entendez de reste,
Vous avez fait un fils aussi fin… Croyez-moi,
Monsieur, qu’un sot & lui ce sont deux.

D. Fernand.

Monsieur, qu’un Sot & lui ce sont deux.Comme toi.
À ta mine…

Carlin.

À ta mine…Il est vrai, qu’à moins qu’on ne soit bête,
Quand on a vû Goa l’esprit…

D. Fernand.

Quand on a vû Goa l’esprit…On s’en entête,
Je ne l’ai pû quitter qu’avec peine.

D. César.

Je ne l’ai pû quitter qu’avec peine.Sans vous
J’y serois demeuré, le séjour m’étoit doux,
Je n’y manquois de rien.

D. Fernand.

Je n’y manquois de rien.Pour vous mettre à votre aise,
Et faire que Madrid après Goa vous plaise,
Je veux vous marier.

D. César.

Je veux vous marier.Ce doit m’être une loi,
Que ce qu’il vous plaira de résoudre de moi.
Disposez de ma main, si jamais je la donne,
Je prétens que l’amour par vous seul en ordonne,
Et fais de votre aveu dépendre mon destin.

D. Fernand.

On trouve Elvire aimable, elle est fort riche.

D. César.

On trouve Elvire aimable, elle est fort riche.Enfin

Vous contenter, vous plaire est tout ce qui m’importe.

D. Fernand.

Mais il faudra prouver que votre femme est morte,
N’en apportez-vous pas quelque attestation ?

Carlin à D. Fernand.

Il l’a ; mais pardonnez à son affliction.
Vous avez réveillé la douleur sans son ame.
La pauvre défunte ! Ah ! Monsieur, la brave femme !
Belle comme le jour, douce comme un agneau,
Franchement, c’est dommage.

D. César.

Franchement, c’est dommage.Elle est dans le tombeau.
Hélas !

Carlin.

Hélas !Depuis deux ans la pleurer c’est sa gloire.

D. Fernand.

Comment s’en souvient-il, s’il n’a point de mémoire ?

Carlin.

Ah, Monsieur, une femme est un mal d’embarras,
Qui tient comme le diable, on ne s’en défait pas.
Il n’est oubli qui tienne, il faut que l’on y songe.

D. Fernand.

Tire-le, si tu peux, du chagrin qui le ronge,
Je te laisse avec lui.

D. César.

Je te laisse avec lui.Mon pere, c’en est fait,
D’un tendre souvenir c’est le dernier effet ;
N’en appréhendez rien.

D. Fernand.

N’en appréhendez rien.Tâchez donc, je vous prie,
D’obtenir qu’au plûtôt votre sœur se marie.
Je vais vous l’envoyer.

D. César.

Je vais vous l’envoyer.Soyez sûr de mes soins.

D. Fernand.

C’est assez.

D. César.

C’est assez.Les effets en seront les témoins.



Scène III.

D. CÉSAR, CARLIN.
Carlin.

Ma foi, la piéce est drôle.

D. César.

Ma foi, la pièce est drôle.Et l’incident bizarre.
Des traits si ressemblans sont une chose rare.
J’ai d’abord comme folle écouté Béatrix ;
Mais, Carlin, ce vieillard me prendre pour son Fils ?

Carlin.

Profitons du bon temps que le hazard nous donne ;
Si je ne suis trompé, Monsieur, l’Auberge est bonne.
Pouvions-nous mieux choisir ?

D. César.

Pouvions-nous mieux choisir ?Je m’en trouve fort bien.

Carlin.

Sans la sœur, avouez que je ne tenois rien,
J’aurais eu beau prêcher.

D. César.

J’aurais eu beau prêcher.Il est vrai que sans elle
J’eusse eu peine à me rendre. Ah ! Carlin, qu’elle est belle !
L’as-tu bien regardée, & ne vaut-elle pas
Tous ses soins…

Carlin.

Tous ses soins…J’aurois fait tout comme, en pareil cas.
Mais n’osant plus ici l’entretenir qu’en frere,
Qu’en aurez-vous de joie ?

D. César.

Qu’en aurez-vous de joie ?Eh, mon Dieu, laisse faire.
L’amour, sous quelque habit qu’il s’ose déguiser,
A toujours certains temps dont il sait bien user.

Le plus grand embarras où par là je puisse être,
Consiste à voir des gens que je devrois connoître.
C’est dont, sans grande peine, on ne vient pas à bout.

Carlin.

La mémoire malade est un reméde à tout.

D. César.

Ma fuite de Madrid jointe à mon mariage,
M’a fait jouer d’abord un mauvais personnage.
Sans toi j’étois perdu.

Carlin.

Sans toi j’étois perdu.Je viens par Béatrix
De me faire compter l’aventure du fils.
Ainsi je parle instruit ; mais Béatrix est bonne,
J’ai feint en vous pour elle une amitié friponne,
Qu’ensemble au temps jadis dans vos transports ardens,
Vous aviez rendez-vous. Elle a donné dedans,
Et ce qu’elle m’a dit, m’a fait voir qu’avec elle
L’Indien certains soirs allait en sentinelle.
Mais lorsque vous passez pour Dom Lope en ces lieux,
S’il alloit revenir ?

D. César.

S’il alloit revenir ?Il n’en seroit que mieux.
La ressemblance est telle entre nous, que peut-être
J’aurai peine au besoin à me faire connoître.
On peut de Dom César me disputer le nom,
Mais au moins as-tu sû celui du pere ?

Carlin.

Mais au moins as-tu sû celui du pere ?Non.

D. César.

De la fille ?

Carlin.

De la fille ?Aussi peu.

D. César.

De la fille ?Aussi peu.Ce point est nécessaire.
S’il falloit en parler par hasard, comment faire !
Puisque avec Béatrix…

Carlin.

Puisque avec Béatrix…Au premier entretien,
Je saurai l’un & l’autre, ils ne tiennent à rien.
Mais voici cette sœur dont la beauté vous pique.



Scène IV.

ISABELLE, D. CÉSAR, BÉATRIX, CARLIN.
Isabelle.

Comment avecque vous faut-il que je m’explique,
Mon Frere ? Je rougis lorsque je me souviens,
Et de ma complaisance, & de nos entretiens.
Quelles plaintes de vous n’ai-je pas lieu de faire ?
Car vous saviez déja que vous étiez mon frere,
Et n’avez si long-temps caché votre retour,
Que pour voir sur mon cœur ce que pourroit l’amour.

D. César.

Oui, ma sœur, il est vrai, je vous avois connue.
J’appris qui vous étiez vous voyant dans la rue,
Et sans savoir pourquoi je ne vous parlois pas,
La curiosité me fit suivre vos pas.
C’est par-là que d’abord avecque tant de zéle,
Contre un lâche importun je pris votre querelle ;
Je vous cachai mon nom, pour avoir la douceur
De connoître à loisir le fond de votre cœur.
Plus vous vous expliquiez sur la reconnoissance,
Plus j’aimois à jouir de votre complaisance ;
Et pour pouvoir goûter plus long-temps avec vous
Les charmes innocens d’un commerce si doux,
Croyant qu’un autre ciel, l’air de la mer, & l’âge,
Auroient assez changé les traits de mon visage,
Rencontrant par malheur Béatrix sur mes pas,
J’ai feint d’en être crû ce que je n’étois pas ;

J’en avois déjà fait autant avec mon pere ;
Vous êtes survenue, il a fallu me taire.
Plus de feinte à poursuivre étant connue de vous.

Béatrix.

Pouvoir à Béatrix soutenir… Entre nous,
Monsieur, vous savez bien ce qu’il faut que j’en pense.

Carlin à D. César.

Là, deux pas en avant, renouez connoissance.

Isabelle.

Cependant la surprise est assez à blâmer,
On sait de quelle sorte un frere doit aimer ;
Et je ne conçois point à quel dessein votre ame,
Tournant tout sur l’amour, m’a fait voir tant de flamme.
Pourquoi par mille vœux avoir tenté ma foi ?

D. César.

Pour savoir ce qu’il faut que j’attende de moi,
Un Indien privé par une longue absence
De ce que du beau monde acquiert l’expérience,
Avant qu’il se hazarde à paroître au grand jour,
Doit par ce doux essais prendre l’air de la cour :
Ainsi j’ai crû, ma sœur, que, sans vous faire injure,
Je pouvois d’un beau feu vous tracer la peinture ;
Et ce que par le sang je sens pour vous d’ardeur,
N’avoit que trop de quoi faire parler mon cœur.

Isabelle.

Ne me blâmez donc point, si m’y laissant surprendre,
Il peut m’être échappé quelque soupir trop tendre.
Vous vous étiez pour moi déclaré hautement,
Vous avez du mérite, & parliez en amant.
C’est par-là que dans l’ame un beau feu se consomme,
Un frere qui se cache est fait comme un autre homme ;
Et pour se faire aimer, a d’autant plus d’appui,
Que le sang en secret s’intéresse pour lui.

D. César.

Quoi, vous repentez-vous d’avoir été capable
De suivre en me voyant un panchant favorable ?

D’avoir souffert mes soins ?

Isabelle.

D’avoir souffert mes soins ?Ne me demandez rien.

D. César.

Méritai-je si peu qu’on me veuille du bien ?
Soumis, passionné, suis-je indigne de plaire ?

Isabelle.

Qu’ai-je à vous dire, hélas ! quand vous êtes mon frere ?

D. César.

Hé, du moins dites-moi, si je ne l’étois pas,
Que de mes vœux offerts vous pourriez faire cas,
Que votre cœur sensible aimeroit à se rendre.

Isabelle.

Vous n’avez là-dessus besoin de rien entendre,
Et vouloir à l’hymen pour jamais renoncer,
C’est… J’en dis trop, pourquoi m’en osez-vous presser ?

D. César.

Que de gloire pour moi !

Isabelle.

Que de gloire pour moi !Je sais qu’avec mon pere,
En prenant ce dessein, je me fais une affaire.
Il veut sans résister que je donne ma main.

D. César.

Il vient de me l’apprendre.

Isabelle.

Il vient de me l’apprendre.Il le prétend en vain.
De mes sens abusés j’ai crû la flatterie ;
Plus d’hymen.

D. César.

Plus d’hymen.Quoi, ma sœur ? Et si je vous en prie ?
Voudrez-vous de ma main refuser un époux ?

Isabelle.

Je pourrois l’accepter, s’il étoit tel que vous.

D. César.

Fiez-vous-en à moi, dont la tendresse extrême
Me fait vous regarder comme un autre moi-même.

Dom César de vos jours peut faire le repos,
Il est…

Isabelle.

Il est…Dom César ? Quoi Dom César d’Avalos,
Dont le bien fait, dit-on, tant de bruit à Séville ?

D. César.

Lui-même.

Isabelle.

Lui-même.Vous prenez un soin fort inutile.
Jamais homme ne fut jusques à maintenant,
Et de moins de mérite, & plus impertinent ;
Un esprit bas, rampant, qui ne sent que la fange.

Carlin.

Monsieur, entendez-vous ? Vers à votre louange.

D. César.

On vous a prévenue avec un faux portrait,
Ma sœur, & Dom César…

Isabelle.

Ma sœur, & Dom César…Non, il est trait pour trait,
Je ne m’abuse point.

D. César.

Je ne m’abuse point.Quoi…

Béatrix.

Je ne m’abuse point.Quoi…Vous ayant en tête,
Tout autre auprès de vous, Monsieur, lui paroît bête ;
Mais Dom César n’est point si sot qu’elle vous dit,
Il a ce qui fait seul le mérite & l’esprit,
Des ducats à milliers.

Isabelle.

Des ducats à milliers.Mais aussi la nature…

D. César.

Encor qui vous a fait cette belle peinture ?

Isabelle.

Mes yeux.

D. César.

Mes yeux.Vous me raillez, ma sœur.

Isabelle.

Mes yeux.Vous me raillez, ma sœur.Mes propres yeux.
C’est la sottise même.

Carlin.

C’est la sottise même.On ne peut dire mieux.
Vous êtes en crédit, Monsieur.

Isabelle.

Vous êtes en crédit, Monsieur.Ainsi, mon frere,
Quoi que vous me disiez, quoi qu’ordonne mon pere…

D. César.

Et vous-même avez vû ce Dom César ?

Isabelle.

Et vous-même avez vû ce Dom César ?Oui, moi !
Mais à ce que je dis ne donnez point de foi,
N’en croyez que vous seul, le voici qui s’avance.

D. César.

Carlin, démêles-tu tout ceci ?

Carlin.

Carlin, démêles-tu tout ceci ?Patience.



Scène V.

D. CÉSAR, ISABELLE, D. PASCAL, BÉATRIX, CARLIN.
D. Pascal.

Ah ! Mon cher, de Goa soyez bien revenu.
À certain air sournois je l’aurois reconnu,
Et juré mille fois, en voyant sa figure,
Que de son propre pere il est la géniture.
Vers le menton aussi je lui trouve de vous
Je ne sais quoi, non pas aussi beau, ni si doux,
Mais assez approchant. Quoi qu’il en soit, beau-frere,
Touchez-là. Serez-vous jusqu’au soir à vous taire ?
Vous ne me dites mot.

D. César.

Vous ne me dites mot.De mon étonnement
Ne faites pas, de grace, un mauvais jugement.
Après avoir passé loin d’ici tant d’années,
Par un heureux retour voir mes courses bornées,
Arriver au moment qu’un homme tel que vous
Estime assez ma sœur pour s’en faire l’époux,
Un homme rare, en qui tout passe l’ordinaire,
C’est pour…

D. Pascal.

C’est pour…Vous dites bien, si vous ne parlez guere ;
Et ce ne sont point là selles à tous chevaux.
Peste ! les Indiens ne sont point des badauds,
On a là le bon sens

Isabelle à Dom César.

On a là le bon sensM’avoit-on prévenue ?
Le portrait est-il faux ?

D. Pascal.

Le portrait est-il faux ?Pour votre bien venue
Je veux presser la noce, afin qu’en fêtoyant
Nous fassions amitié.

Isabelle à Dom César.

Nous fassions amitié.Vous êtes clair-voyant.
Me conseilleriez-vous…

D. César.

Me conseilleriez-vous…Oui, ma sœur.

Isabelle.

Me conseilleriez-vous…Oui, ma sœur.Quoi, mon frere ?

D. César.

Épousez Dom César, vous ne sauriez mieux faire.

D. Pascal.

Le brave homme !

Isabelle.

Le brave homme !Pas mieux ?

D. Pascal.

Le brave homme !Pas mieux ?Nondea, je le maintiens :
On devient de bon goût parmi les Indiens,

Il se connoît en gens.

D. César.

Il se connoît en gens.C’est de quoi je me pique.

D. Pascal.

Votre sœur Isabelle est un peu lunatique.

D. César à Carlin.

Isabelle ! Vois-tu qu’il est de mon destin
Que j’aime une Isabelle ?

Isabelle.

Que j’aime une Isabelle ?Ah, mon frere !

D. César.

Que j’aime une Isabelle ?Ah, mon frere !Carlin,
Qu’elle est charmante !

Isabelle.

Qu’elle est charmante !Il faut l’avouer, j’eusse eu peine
À croire en vous pour moi ce sentiment de haine ;
Car sur ce triste hymen me parler d’obéir,
L’appuyer contre moi, c’est plus que me haïr.

D. Pascal.

Ah, vous en faites donc ainsi la dégoûtée ?
Sans le beau-frere, allez, vous seriez rejettée,
Et j’irois de ce pas, où me faisant honneur,
Je suis sûr que le oui se diroit de grand cœur

Isabelle.

Vous pouvez y aller ; car je vous certifie
Que si c’est sur vos biens que votre amour se fie,
Je n’en fais aucun cas, & croi valoir assez,
Pour ne pas m’abaisser autant que vous pensez.

D. Pascal.

Vous vous abaisseriez en m’épousant ?

Isabelle.

Vous vous abaisseriez en m’épousant ?Sans doute.

D. Pascal.

Gardez que je n’éclate, & qu’il ne vous en coûte.

D. César.

Ah, ma sœur !

Isabelle.

Ah, ma sœur !Qu’il éclate autant qu’il lui plaira ;
Je perdrai sans regret ce qu’il m’en coûtera.

Béatrix.

Hé, Madame.

D. Pascal.

Hé, Madame.Oui ?

Béatrix.

Hé, Madame.Oui ?Monsieur.

D. Pascal.

Hé, Madame.Oui ?Monsieur.Suffit, qu’elle y revienne.
Ma famille vaut mieux mille fois que la sienne ;
Et si nous supputions, sans tout prendre en un tas,
Le quart d’un Avalos vaudroit quinze Vargas ;
Soit dit sans offenser le Vargas, mon beau-frere.

D. César à Carlin.

Vargas !

Carlin à D. César.

Vargas !Si nous étions au logis du beau-pere ?

D. César.

Il n’en faut point douter, Carlin.

D. Pascal.

Il n’en faut point douter, Carlin.Dès maintenant,
J’en vais coucher ma plainte au vieux pere Fernand.

D. César à Carlin.

Entens-tu ?

Carlin.

Entens-tu ?Quel mâtois ! Voyez-vous la surprise ?

D. César à Carlin.

Sais-tu qui je le crois notre homme à la valise.

Carlin.

Cela pourroit bien être.

D. César.

Cela pourroit bien être.Il faut m’en éclaircir.
Ne fâchez point ma sœur, je saurai l’adoucir ;
Quand j’aurai dit trois mots, elle sera traitable.

Isabelle.

Quoi, vous-même vouloir me rendre misérable ?

Ah ! Qu’aux Indes encor n’étes-vous retenu !
Du moins…

D. Pascal.

Du moins…Il a bien fait d’en être revenu.
Ma foi, j’en suis d’avis, qu’à Goa, pour vous plaire,
Le reste de ses jours on vous confine un frere.

D. César.

C’est donc avec chagrin que vous me revoyez,
Ma sœur ?

Isabelle.

Ma sœur ?J’en ai bien lieu.

D. César.

Ma sœur ?J’en ai bien lieu.Pas tant que vous croyez.
Vos intérêts me sont mieux connus qu’à vous-même.
Je suis pour Dom César, je l’avoue, il vous aime,
Votre bonheur dépend de lui donner la main.

D. Pascal à Isabelle.

Avisez, car à moins que ce ne soit demain,
Serviteur.

Isabelle.

Serviteur.J’aime assez un amant qui menace.

Béatrix.

Madame.

D. César.

Madame.Rendez-vous, ma sœur, de bonne grace.
Prenez pour Dom César des sentimens plus doux ;
Aussi-bien je suis sûr qu’il sera votre époux.

Isabelle.

Lui ? Vous en étes sûr ?

D. César.

Lui ? Vous en étes sûr ?Oui, je vous le répete.
Votre hymen est conclu, mon pere le souhaite,
Et, quoi qu’à son amour vous puissiez opposer,
Vous tiendrez à bonheur enfin de l’épouser,
J’en ai la certitude.

Isabelle.

J’en ai la certitude.Et moi, je vous déclare,
À quoi que Dom César contre moi se prépare,

Que la chose avec lui n’ira pas plus avant,
Et que, s’il faut parler, j’entre dans un couvent.
Avec vous là-dessus qu’il prenne ses mesures ;
Viens.

Béatrix.

Viens.Qui vous a donné ces belles tablatures ?
Monsieur, ne croyez pas…

Isabelle.

Monsieur, ne croyez pas…Viens, te dis-je, suis-moi.



Scène VI.

D. CÉSAR, D. PASCAL, CARLIN.
D. Pascal.

La petite lionne ! Elle jase, ma foi.

D. César.

Ne vous étonnez point d’une telle réponse.
Au reste, vous saurez que j’ai vû Dom Alonse,
J’ai passé par Séville, où fus averti
Que depuis quatre jours vous en étiez parti.
J’appris là votre hymen.

D. Pascal.

J’appris là votre hymen.Vous avez vû mon pere ?
Dom Alonse ? À Séville ?

D. César.

Dom Alonse ? À Séville ?Oui.

D. Pascal bas.

Dom Alonse ? À Séville ?Oui.La maudite affaire !

D. César.

Il me parla, je croi, mais en termes confus,
Sur des lettres de change.

D. Pascal.

Sur des lettres de change.Oui, pour vingt mille écus.

Aux mains de Dom Fernand ces lettres sont remises.

D. César.

Carlin.

Carlin bas.

Carlin.Nous vous tenons, escroqueur de valise.

D. Pascal.

Mon pere est homme… Allez, je lui ferai savoir
Que pour moi le beau-frere a bien fait son devoir.
Cependant je crains fort…

D. César.

Cependant je crains fort…Vous n’avez rien à craindre.
Que ma sœur parle, crie, elle aura beau se plaindre,
Je me ris du couvent.

D. Pascal.

Je me ris du couvent.Si nous pouvions, demain,
Il faudroit que sans bruit…

D. César.

Il faudroit que sans bruit…Mon pere a ce dessein,
Et je vais d’autant plus presser le mariage,
Qu’à me rendre à Burgos certain devoir m’engage.

D. Pascal.

Quel ?

D. César.

Quel ?C’est pour y chercher un Dom Pascal Giron ;
Si je le trouve…

D. Pascal.

Si je le trouve…Et bien ?

D. César.

Si je le trouve…Et bien ?Le connoissez-vous ?

D. Pascal.

Si je le trouve…Et bien ?Le connoissez-vous ?Non.

D. César.

Il a fait d’un ami certaine raillerie,
Au talent de habler il joint l’effronterie,
Dit-on, & je lui veux montrer aux yeux de tous…

D. Pascal.

Cela mérite-t-il de vous mettre en courroux ?

D. César.

Si l’on n’en disoit mot, il n’auroit qu’à poursuivre,
À de pareils hâbleurs il faut apprendre à vivre ;
C’est un extravagant, un fat.

D. Pascal.

C’est un extravagant, un fat.Sans compliment,
Je vous quitte, & vais voir le beau-pere un moment.



Scène VII.

D. CÉSAR, CARLIN.
D. César.

Qu’en dis-tu ?

Carlin.

Qu’en dis-tu ?Vous avez bien rabattu sa joie.
Reste à vous découvrir…

D. César.

Reste à vous découvrir…J’en chercherai la voie ;
Mais sans tant me hâter, peut être il seroit bon,
Comme ici Dom Pascal fait connoître mon nom,
D’attendre sous celui que le hazard me prête,
Qu’avec nos obstinés mon affaire soit faite.
Si les parens du Mort s’avisoient d’éclater,
Ce seroit Dom Pascal qu’on viendroit arrêter.

Carlin.

Quand on le coifferoit, la prise seroit belle,
Il le mérite bien ; mais, Monsieur, Isabelle ?
La pourrez-vous laisser si long-temps en erreur ?

D. César.

Plus les dédains sont forts, mieux je lis dans son cœur.

Carlin.

Elle étoit en partant dans un dépit extrême.

D. César.

Qu’il est doux de me voir mépriser pour moi-même !

Carlin.

Mais quand vous en riez, elle en souffre.

D. César.

Mais quand vous en riez, elle en souffre.Allons voir
Quels mépris de nouveau j’en pourrai recevoir.