Don César d’Avalos/Acte IV

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Don César d’Avalos
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 128-145).
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ACTE IV.



Scène I.

D. FERNAND, ENRIQUE.
Enrique.

Voilà ce qu’on m’écrit.

D. Fernand.

Voilà ce qu’on m’écrit.Vous m’étonnez, Enrique ;
Et quel rang parmi vous tenoit ce Dom Fadrique ?
Ceux que le sang oblige à venger cette mort,
Sont-ce des gens à ne point vouloir parler d’accord ?
Mon gendre a-t-il affaire à puissante partie ?

Enrique.

Non pas, sans doute, assez pour lui coûter la vie ;
Outre que l’action, à la prendre en rigueur,
Telle qu’on me la mande, est d’un homme de cœur ;
Mais c’est toujours un mort, & tout mort embarrasse.

D. Fernand.

Il faut agir en cour, nous obtiendrons sa grace.

Enrique.

Si l’affaire est tombée en accommodement,
Nous en aurons bien-tôt plus d’éclaircissement.
Au moins, à voir le jour dont ma Lettre est dattée,
C’est de beaucoup trop tard qu’elle m’est apportée.
Comme avant cette mort Dom Alonse avoit dit
Que son fils se viendroit marier à Madrid,
Et qu’on nous voit toujours ennemis, on veut croire
Qu’agissant contre lui, je dois en faire gloire,
Et que s’il est chez vous, comme on n’en peut douter,
Je prêterai la main à le faire arrêter ;
Mais la division n’empêche point l’estime,
Et quand ma haine encor seroit plus légitime,

Le nom de votre gendre, & ce que je vous doi,
Contre ses ennemis lui répondroient de moi.

D. Fernand.

Cette mort qu’il m’a tûe est sans doute l’affaire
Que me recommandoit la lettre de son pere.
Vous en donner l’avis, c’étoit bien s’adresser ;
Mais, Enrique, avec moi c’est peu de commencer ;
Vous protégez mon gendre, après ce bon office
Souffrez avecque lui que je vous réunisse,
Je ne saurois vous voir plus long-temps ennemis.

Enrique.

Ordonnez, je suis prêt, & tout vous est permis ;
Mais comme Dom César est plus fier qu’il me semble,
Ne vous commettez point à nous trouver ensemble,
Que vous n’ayez pris soin vous-même de savoir,
S’il pourra, sans aigreur, consentir à me voir ;
Me montrant tout-à-coup, j’ai peur qu’il ne s’emporte.
Cependant empêchez quelques jours qu’il ne sorte,
Il s’est trop fait connoître en arrivant chez vous,
La nouvelle en est sûe, il a force jaloux,
On l’épie, & pour lui la prison est à craindre.

D. Fernand.

Je doute qu’il soit homme à se vouloir contraindre.
Au reste, de Goa mon fils est de retour.

Enrique.

Dom Lope est à Madrid ?

D. Fernand.

D. Lope est à Madrid ?Oui, de ce même jour.
Absent depuis douze ans, le Ciel me le renvoie.

Enrique.

Croyez qu’avecque vous j’en partage la joie.
Quand Dom César & moi nous serons réunis,
Il faudra que je vienne embrasser ce cher fils.

D. Fernand.

Je vous le menerai, c’est à quoi je m’engage.

Enrique.

Et l’aimable Isabelle ? À quand le mariage ?

D. Fernand.

Dom César n’a point eu le don de la charmer,
Quoi que j’en puisse dire, elle a peine à l’aimer ;
Et si je veux pour elle écouter ma tendresse,
Je dois suspendre au moins l’hymen dont il me presse.
Entre nous, je ne sai si l’air provincial
Donne à certaines gens un trait original ;
Mais dans sa gaie humeur ce Dom César s’oublie,
Et le bon sens toujours n’est pas de la partie.
Au portrait dont pour lui vous m’aviez prévenu,
Il faut vous l’avouer, je ne l’ai point connu,
Je lui croyois l’esprit poli, galant, docile.

Enrique.

Depuis de deux ans que j’ai quitté Séville,
J’ignore ce qu’il est ; mais quand je suis parti,
C’étoit de mille dons un esprit assorti,
Je ne sai quoi d’aisé, du brillant, du solide.

D. Fernand.

Il est brusque, & de tout en souverain décide.
Si l’hymen, dès demain, ne remplit ses désirs,
Il ne sait ce que c’est que pousser des soupirs.
Il est riche, & par tout peut choisir une femme.

Enrique.

Ah, Dom César n’a point cette bassesse d’ame,
Il est civil, honnête, & dans ce que j’en sais…



Scène II.

D. FERNAND, D. CÉSAR, D. PASCAL, ENRIQUE, CARLIN.
D. Fernand voyant D. Pascal.

Le voici qui paroît.

Enrique voyant D. César.

Le voici qui paroît.C’est lui-même, il est vrai.

Carlin.

Monsieur.

D. César.

Monsieur.Je vois Enrique, il faut rentrer.

Enrique.

Monsieur.Je vois Enrique, il faut rentrer.Je pense
Qu’il auroit quelque peine à souffrir ma présence.
Je m’éloigne, & vous laisse en pouvoir d’obtenir
Qu’il consente à l’accord qui nous doit réunir.



Scène III.

D. FERNAND, D. PASCAL.
D. Fernand.

De peur de vous choquer, vous voyez qu’il me quitte.

D. Pascal.

Il pouvoit jusqu’au soir prolonger sa visite ;
C’est à quoi nul de nous n’eût voulu s’opposer.
Vous autres vieux grisons, vous aimer à jaser,
Vous ne finissez point.

D. Fernand.

Vous ne finissez point.Il est prudent & sage ;
Et pour ne pas aigrir les choses davantage,
Il a voulu savoir avant que vous parler…

D. Pascal.

À moi ? Qu’avons-nous donc ensemble à démêler ?

D. Fernand.

Rien ; il m’a tout conté, c’est une bagatelle.

D. Pascal.

La Lune a-t-elle point disloqué sa cervelle ?

D. Fernand.

Il n’en faut point parler avec tant de mépris,
Enrique a du mérite, & chacun vaut son prix.

D. Pascal.

Enrique soit ; Enrique est pour moi peu de chose.

D. Fernand.

Vos différens n’ont pas une assez juste cause,
Il faut, pour vivre amis, mettre tout sous le pied.

D. Pascal.

Vous avez comme lui le timbre estropié,
Beau-pere.

D. Fernand.

Beau-pere.Vous pourriez parler mieux, ce me semble.

D. Pascal.

Que diable aussi veut-on que nous ayons ensemble ?
Je ne l’ai jamais vû.

D. Fernand.

Je ne l’ai jamais vû.Jamais vu !

D. Pascal.

Je ne l’ai jamais vû.Jamais vu !Non jamais.

D. Fernand.

Vous n’avez point tous deux sur certains intérêts,
Lorsqu’un jour son avis fut si contraire au vôtre,
Qu’il fallut…

D. Pascal.

Qu’il fallut…Non, vous dis-je, il me prend pour un autre.

D. Fernand.

Et dans ce même instant que vous êtes venu,
Pour Dom César encor il vous a reconnu.

D. Pascal.

D’Avalos ?

D. Fernand.

D’Avalos ?D’Avalos. Il est né dans Séville,
A du bien, des amis, connoît toute la ville ;
Il ne se passe rien qui par lui ne soit sû.

D. Pascal bas.

Serois-je Dom César sans m’en être apperçû ?
N’importe, avouons tout.

D. Fernand.

N’importe, avouons tout.Çà, plus d’aigreur, mon gendre.
Enrique veut la paix, c’est trop vous en défendre.

L’accord vous déplaisant, pour en fuir l’embarras,
Vous auriez bien voulu ne le connoître pas ;
De grace, oubliez tout, vous avez l’ame bonne ;
S’il a dit quelque chose…

D. Pascal.

S’il a dit quelque chose…Hé bien, je lui pardonne,
Mais à condition que je ne le verrai
Qu’après que de l’hymen j’aurai fait plein essai.

D. Fernand.

Il ne mérite point ce reste de colere,
Il m’a montré pour vous une estime sincere ;
Et tout-à-l’heure encor il vient de m’avertir
De ce que l’on hazarde à vous laisser sortir.

D. Pascal.

Parce que je puis mettre une femme à son aise,
Il craint qu’on ne m’engage ailleurs ? Ne vous déplaise ;
Je veux aller, courir, voir, me faire prier ;
Si l’on craint de me perdre, on peut me marier.
Je suis, jusqu’à demain, de l’épouse future
Le très-futur époux ; passé cela, j’en jure,
Je porte le mouchoir où le cœur m’en dira.

D. Fernand.

Vous serez satisfait, ma fille obéira.

D. Pascal.

Tantôt qu’elle a voulu jaser avec son frere,
Il l’a bientôt réduite au parti de se taire ;
Voyant que pour l’hymen elle n’alloit pas droit,
Il vous l’a chapitrée.

D. Fernand.

Il vous l’a chapitrée.Il agit comme il doit.
Mais craignez tout pour vous, si l’on vous voit paroître,
Chez moi pour Dom César on a su vous connoître ;
Et pour vous arrêter on est au guet.

D. Pascal.

Et pour vous arrêter on est au guet.Comment ?
M’arrêter ! Et pourquoi ?

D. Fernand.

M’arrêter ! Et pourquoi ?Le beau déguisement.
À quoi bon vous cacher, quand la chose est publique ?
Quoi qu’il en ait coûté la vie à Dom Fadrique,
On sait qu’en le tuant…

D. Pascal.

On sait qu’en le tuant…Alte-là, s’il vous plaît.
Moi, j’ai tué ?

D. Fernand.

Moi, j’ai tué ?L’honneur…

D. Pascal.

Moi, j’ai tué ?L’honneur…Je ne sai ce que c’est.
Suis-je un tueur de gens ?

D. Fernand.

Suis-je un tueur de gens ?On paliera l’affaire.
C’est d’elle assurément que m’écrit votre pere,
Quand il veut qu’on vous trouve au besoin du support.

D. Pascal bas.

Tirons-nous de la lettre avouant cette mort.
[haut.]
Sur tout cas chagrinant j’ai recours au silence ;
Mais puisqu’enfin du fait vous avez connoissance…

D. Fernand.

Oui, je sais que l’honneur qui vous a fait agir,
Vous doit sur cette mort empêcher de rougir.
Comment arriva-t-elle ?

D. Pascal.

Comment arriva-t-elle ?Ah, l’importun beau-pere !
Payons d’effronterie.

D. Fernand.

Payons d’effronterie.En me contant l’affaire,
Enrique ne m’a point expliqué comme quoi…

D. Pascal.

Ce détail est de lui plus séant que de moi ;
Puisqu’il a commencé, qu’il vous dise le reste.

D. Fernand.

Sur les cas de bravoure on doit être modeste,

Je le sai, mais non pas s’en taire entiérement.
Fut-ce duel, rencontre ?

D. Pascal.

Fut-ce duel, rencontre ?Environ.

D. Fernand.

Fut-ce duel, rencontre ?Environ.Mais, comment ?
Sur le pré ? Dans la rue ?

D. Pascal.

Sur le pré ? Dans la rue ?Enfin vaille que vaille,
Le mort mourut, & moi j’eus le champ de bataille.
C’est un mort bien complet, qu’un mort de ma façon.

D. Fernand.

Il faut…



Scène IV.

D. FERNAND, D. PASCAL, ISABELLE, BÉATRIX.
D. Pascal.

Il faut…Ah, vous voilà, mon aimable dondon.
Çà, qu’un peu moins de brun sur votre front se voie,
Le chagrin ne vaut rien, tournez-vous à la joie ;
Je vous donne l’exemple.

Isabelle.

Je vous donne l’exemple.En puis-je profiter,
Quand Enrique me dit qu’on vous doit arreter ?
Qui jamais aurait cru ce qu’il vient de m’apprendre,
Mon Pere ? Dom César…

D. Fernand.

Mon Pere ? Dom César…Il m’a tout fait entendre.
Cela n’est rien, ma fille, & malgré les jaloux…

Isabelle.

Quand un homme est tué, ce n’est rien, dites-vous ?

D. Fernand.

Épargnant Dom Fabrique, il eût passé pour lâche ;
Il a dû le tuer.

D. Pascal.

Il a dû le tuer.Je vous l’ai… Qu’on me fâche,
Par la mort… Avez-vous des ennemis secrets ?
Parlez, j’estramaçonne, & je vous en défais.

Isabelle.

Si de vous seulement vous vouliez me défaire…

D. Pascal.

De moi ?

D. Fernand.

De moi ?L’impertinente !

D. Pascal.

De moi ?L’impertinente !À vous le dé, beau-pere.
Vous pouvez bien user du pouvoir paternel ;
Autrement, & j’en fais un serment solennel,
Si vous ne la rendez, avant que le jour passe,
D’humeur à souhaiter d’emplifier ma Race,
Je prens parti.

D. Fernand.

Je prens parti.De quoi vous chagriner ? Demain
Vous la trouverez prête à vous donner la main.

Isabelle.

Moi ?

D. Fernand.

Moi ?Vous.

Isabelle.

Moi ?Vous.L’aveuglement pour moi seroit honnête.
L’épouser, & qu’ensuite on lui coupe la tête.

D. Pascal.

Couper la tête ! Diable, elle y va d’un plein saut.

Isabelle.

Qu’il se tire d’affaire ; ensuite, s’il le faut,
Je m’expliquerai net sur ce qui le regarde.

D. Pascal.

Beau-pere, encor un coup, si vous n’y prenez garde,

Rien de fait entre nous. Il faut vous donner temps
De pouvoir seul-à-seul lui rendre le bon sens,
Et cependant j’irai…

D. Fernand.

Et cependant j’irai…Ne sortez point, de grace.
S’il falloit…

D. Pascal.

S’il falloit…Que pour moi rien ne vous embarrasse.
Je vais vous envoyer le beau-frere, avec lui
Vous pouvez en résoudre encor tout aujourd’hui.
Cela fait, je déloge.



Scène V.

D. FERNAND, ISABELLE, BÉATRIX.
D. Fernand.

Cela fait, je déloge.Il est donc fort honnête,
Qu’une fille avec moi n’en fasse qu’à sa tête ?
En matiere d’époux vous allez à grands frais ;
Si l’on veut qu’il vous plaise, il faut le faire exprès.
Allez, pour vous punir, si je n’étois bon pere,
Vous voulez perdre tout, je vous laisserois faire.
Ne voir pas qu’un parti si riche, si puissant…

Isabelle.

Le bien pour l’hyménée est un motif pressant ;
Mais à quoi voulez-vous, mon pere, qu’il m’engage,
S’il n’est accompagné de quelqu’autre avantage ?

D. Fernand.

Quand on vous a nommé Dom César pour époux,
Qu’on l’a laissé venir, que ne l’empêchiez-vous ?

Il falloit m’opposer alors votre scrupule.

Isabelle.

Pouvais-je deviner qu’il étoit ridicule ?
Que son discours rempli de termes affectés…

D. Fernand.

Taisez-vous, il vaut plus que vous ne méritez.
C’est, si votre morale en devient la maîtresse,
Dans votre cerveau seul que loge la sagesse ;
Et quand sur cet hymen nous sommes si pressans,
Votre frere, ni moi n’avons pas le bon sens.

Isabelle.

À parler franchement, j’admire que mon frere
Sur le choix d’un tel gendre à vos souhaits défere.

D. Fernand.

Il a tort, & son goût devroit choquer le mien.
Est-ce vous Béatrix, qui l’instruisez si bien ?
Qui remplissez son cœur de ces belles idées ?

Béatrix.

Encor tout maintenant nous nous sommes grondées ;
Il ne tient pas à moi qu’elle n’ait le bon pli.
Je trouve Dom César un époux accompli,
C’est le bien que j’en dis qui fait notre querelle ;
Je ne puis… Mais que vois-je ?

D. Fernand.

Je ne puis… Mais que vois-je ?Ah ! voici Sganarelle.



Scène VI.

D. FERNAND, ISABELLE, BÉATRIX, SGANARELLE avec un habit de deuil.
D. Fernand.

Bonjour.

Sganarelle pleurant.

Bonjour.Bonjour, Monsieur. Qui se fût attendu…

D. Fernand.

Pourquoi tant sangloter ?

Béatrix bas.

Pourquoi tant sangloter ?C’est autant de pendu ;
Où vas-tu, malheureux ?

Sganarelle.

Où vas-tu, malheureux ?La douleur qui me presse…
Ah, Monsieur !

D. Fernand.

Ah, Monsieur !Apprens-nous quelle est cette tristesse,
D’où te vient ce grand deuil ?

Sganarelle.

D’où te vient ce grand deuil ?Monsieur, si je l’ai pris,
C’est à mon grand… Bonjour, ma pauvre Béatrix.

Béatrix.

Dieu te garde.

Sganarelle montrant Isabelle.

Dieu te garde.Est-ce là la petite Barbete,
Qui n’étoit qu’un bouchon quand nous fîmes retraite ?

Béatrix.

Elle-même.

Sganarelle.

Elle-même.En douze ans comme une fille vient ?
Je l’ai bien fait sauter.

Béatrix.

Je l’ai bien fait sauter.Est-ce qu’il t’en souvient ?

Sganarelle.

La voilà belle & grande.

Béatrix.

La voilà belle & grande.Assez.

Sganarelle.

La voilà belle & grande.Assez.Mon pauvre maître,
En partant de Goa, brûloit de la connoître ;
Mais sa mort…

D. Fernand.

Mais sa mort…Tu viens donc m’annoncer son trépas ?
Il est mort ?

Sganarelle.

Il est mort ?Si bien mort qu’il n’en reviendra pas.

D. Fernand.

Et l’as-tu vû mourir ?

Sganarelle.

Et l’as-tu vû mourir ?Oui, la mort de sa femme
L’a si bien tourmenté, qu’il en a rendu l’ame.

D. Fernand.

Où donc est arrivé ce funeste accident ?

Sganarelle.

À Cadix, chez Gomez votre correspondant,
En cinq jours. Il m’est dû la moitié de mes gages.

D. Fernand.

Coquin.

Sganarelle.

Coquin.Comment, coquin ?

D. Fernand.

Coquin.Comment, coquin ?Hé !

Sganarelle.

Coquin.Comment, coquin ?Hé !Quoi ?

D. Fernand.

Coquin. Comment, coquin ? Hé !Tu m’envisages ?

Sganarelle.

Les injures encor seront mon réconfort.

D. Fernand.

Donc, tu voles ton maître, & soutiens qu’il est mort ?

Sganarelle.

Moi ?

D. Fernand lui montrant Dom César.

Moi ?Regarde.



Scène VII.

D. FERNAND, ISABELLE, D. CÉSAR, BÉATRIX, SGANARELLE, CARLIN.
Sganarelle.

Moi ?Regarde.Au secours.

D. Fernand.

Moi ?Regarde.Au secours.Tu commences à craindre.

Sganarelle.

La voix me manque, ah, ah.

D. César.

La voix me manque, ah, ah.Qu’a-t-il donc à se plaindre ?

Sganarelle.

Qu’il ne m’approche point, j’ai si peur des esprits…

D. Fernand.

Ah ! Monsieur Sganarelle, enfin vous voilà pris.

Carlin à D. César.

Sganarelle ! Monsieur, continuez la piéce ;
C’est le valet du fils.

D. César à Sganarelle.

C’est le valet du fils.Que cette frayeur cesse,
Et sachons seulement où sont les mille écus.

Sganarelle.

Pouvez-vous…

D. César.

Pouvez-vous…Point de bruit, j’en sai trop là-dessus.
Tu me les as volés.

Sganarelle.

Tu me les as volés.Volés ?

D. César.

Tu me les as volés.Volés ?Toi.

Sganarelle.

Tu me les as volés.Volés ?Toi.Patience,
Pour un mort, vous n’avez guére de conscience.

D. César à D. Fernand.

Que dit-il ?

D. Fernand.

Que dit-il ?Il prétend qu’arrivant à Cadis,
En cinq jours chez Gomez vous êtes mort.

D. César.

En cinq jours chez Gomez vous êtes mort.Tant pis,
Me voilà mal.

Sganarelle à D. Fernand.

Me voilà mal.Il croit vivre encor ?

D. Fernand.

Me voilà mal.Il croit vivre encor ?Quoi, tu penses
Te sauver du gibet par tes extravagances ?

D. César.

Dans quelque chambre sûre il le faut enfermer.
Là…

D. Fernand.

Là…Non, puisqu’à le perdre il nous veut animer,
Tout droit à la potence, il est juste qu’il meure.

Carlin à Sganarelle.

Courage, il ne s’agit que d’un méchant quart d’heure ;
C’est à quoi dès long-temps tu dois t’être attendu.
N’es-tu pas bienheureux de n’être que pendu ?

Sganarelle.

Au diable soient les morts, & toute leur sequelle.

Béatrix.

Que j’ai pitié de toi, mon pauvre Sganarelle !

D. Fernand.

Suis-moi, certain caveau sera là-bas ton fait.
Si tu n’y parles, va.

Sganarelle.

Si tu n’y parles, va.J’ai dit ce que j’ai fait.

Carlin.

Marchons vîte.

D. Fernand.

Marchons vîte.Carlin, tiens-le bien, qu’il n’échappe.

Carlin.

Au cachot noir.

Sganarelle.

Au cachot noir.Monsieur.

Carlin.

Au cachot noir.Monsieur.Tu viendras dans la trape.



Scène VIII.

ISABELLE, D. CÉSAR, BÉATRIX.
Isabelle.

S’il fût ici venu quelque temps avant vous,
L’imposture eût trouvé tout crédit parmi nous ;
Nous vous aurions cru mort.

D. César.

Nous vous aurions cru mort.Quand on ne perd qu’un frere,
Ma sœur, on se console, & la perte est légere.

Isabelle.

Ne vous connoissant pas, je dois tomber d’accord
Que j’aurais moins senti l’ennui de votre mort ;
Vous pleurant, j’eusse au moins évité le supplice
Où de vos sentimens m’expose l’injustice.
Me vouloir engager à Dom César ?

D. César.

Me vouloir engager à Dom César ?Ma sœur,
Je ne prens son parti que pour votre bonheur.
Je vous l’ai déjà dit.

Isabelle.

Je vous l’ai déjà dit.Et quel bonheur attendre,
Quand je ne trouve en lui que du bien à prétendre ?

D. César.

Et si je vous disais que lorsqu’on le connoît,
Dom César n’est rien moins que ce qu’il vous paroît. ?

Isabelle.

Ah, mon frere ! Toujours, encor qu’il se déguise,
Il aura l’air choquant, dira quelque sottise ;
Le dégoût que j’en ai ne se peut surmonter.

D. César.

N’en jurez pas trop fort, je prétens vous l’ôter.

Isabelle.

Vous ?

D. César.

Vous ?Oui, J’ai pris plaisir, par des raisons secrettes
À jouïr quelque temps de l’erreur où vous étes ;
Mais enfin apprenez qu’on vous abuse tous,
Que le vrai Dom César n’est point connu de vous,
Et qu’un Extravagant qui tient ici sa place,
Lui dérobant son nom, vous gêne, & s’embarrasse.

Isabelle.

Seroit-il vrai, mon frere ?

D. César.

Seroit-il vrai, mon frere ?En pouvez-vous douter ?

Isabelle.

J’admirois, à le voir, qu’on me l’eût pû vanter,
Un homme qui paroît n’aimer qu’à faire rire.

Béatrix.

J’y trouvois comme vous quelque chose à redire,
Je le cherchois en lui, mais je savois en gros
Qu’il étoit honnête homme, & j’étois en repos.
Ai-je eu tort de vouloir toujours le mariage ?

Isabelle.

Mais quand cet imposteur joue un faux Personnage,
Où le vrai Dom César peut-il être ?

D. César.

Où le vrai Dom César peut-il être ?À Madrid.

Isabelle.

En êtes-vous content du côté de l’esprit ?

D. César.

Vous le verrez ; du moins on l’estime à Séville.
Il a l’humeur accorte, obligeante, civile,

Et si depuis l’instant que nous nous sommes vûs,
Je l’aimois un peu moins, j’en pourrois dire plus ;
Mais l’amitié séduit alors qu’elle est extrême.

Isabelle.

Vous l’aimez donc, mon frere ?

D. César.

Vous l’aimez donc, mon frere ?À l’égal de moi-même.

Isabelle.

S’il l’a pû mériter, il doit être parfait ;
Mais, mon frere, daignez m’achever son portrait.
L’air, les traits ?

D. César.

L’air, les traits ?Tels que moi. Ce rapport de visage
Est-ce qui l’un pour l’autre à l’envi nous engage.
Le voudrez-vous, ma sœur, accepter pour époux ?

Isabelle.

Comment le refuser, s’il est fait comme vous ?
Mais ce faux Dom César qu’ici l’on voit paroître,
Se dit le vrai, comment peut-il ne le pas être ?
Mon pere qui connoît l’écriture du sien,
A pour lui…

D. César.

A pour lui…Là-dessus, ne me demandez rien.
Le temps éclaircira cet embrouillé mystere.

Isabelle.

Allez donc en donner la nouvelle à mon pere,
Afin qu’instruit du piège, il puisse, en l’évitant
S’assurer, s’il le faut, du fourbe qui le tend.

D. César.

J’y vais ; mais, attendant que Dom César vous voie,
Je pourrai lui parler ; que voulez-vous qu’il croie,
Ma sœur ?

Isabelle.

Ma sœur ?Que s’il est tel que vous l’avez peint…
Adieu mon frere.

Béatrix à D. César.

Adieu mon frere.On fuit. Bonne marque, on vous craint.