Du crépuscule aux aubes/IV

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Imprimerie Beauregard (p. 33-38).

IV

LA SURVIVANCE


Espères-tu que ta poussière
Dorme, un jour, son dernier sommeil
Sous l’écrasement de la terre,
Sans perspective de réveil ?

Comme le naufragé qui sombre
Dans une tempête, à jamais,
Crois-tu que l’âme entre dans l’ombre
Sans un Peut-Être et sans un Mais ?

Crois-tu que le Mal et le Crime
Aient le même sort que le Bien,
Et qu’un même silence imprime
Sur tous les morts le même « Rien » ?


Crois-tu que toute vie achève
Avec le corps inanimé
Et qu’aucune affre ne s’élève
De l’être au cercueil enfermé ?

Crois-tu que le frêle squelette
Soit le suprême et dernier but
Où l’Intelligence complète
L’effort des jours au bref comput ?

Alors, que la Bonté se taise,
Si sa voix peut te secourir ;
Que l’Espérance qui t’apaise
Te laisse, comme un chien, mourir !

Que le frère attaque le frère,
Au lieu de lui tendre la main ;
Que chaque fils dans sa colère
Chasse l’aïeul sur le chemin !

Il n’est plus besoin de Justice.
Chaque homme fait sa propre Loi,
Avec le tombeau pour complice
De tous les attentats du Moi.


Il n’est plus besoin de prière,
Et la souffrance qui gémit
Sait que le Dieu qu’elle vénère
Avant son heure s’endormit.

La naïveté surannée
Ne met plus au front de l’enfant
L’auréole prédestinée
Qui contre le mal le défend !…

Mais s’il existe une autre vie
À laquelle, même sans foi.
La réflexion te convie
Quand le cœur est en désarroi,

Une autre vie où Dieu dispense
Son équitable jugement
Aux hontes de la violence
Comme au candide dévoûment ;

Vautre-toi dans toutes les joies,
Entoure-toi de tous les bruits,
L’âme recouvrera ses voies
Quand tes liens seront détruits ;


Elle franchira la frontière
Qui l’éloigne de l’inconnu,
Et découvrira la lumière
Dans l’ombre où ton œil est tenu ;

Elle sortira de ta geôle
Et reviendra vers le ciel bleu
Comme une aiguille vers le pôle
Et tout être vers son milieu.

Crois, si tu veux que l’on t’écoute.
Lève la tête, si tu veux
Que la croyance qui te coûte
Aille à sa source ultime, aux cieux !

Aime, si tu veux que l’on t’aime,
Et que la pitié dans ton cœur
Brise l’indifférence abstème
Pour suivre son élan vainqueur !

Chante, pour que dans l’harmonie
De toutes les choses du sol,
Ton allégresse rajeunie
Éclate virile et sans dol !


Travaille au secourir des autres
Sans gloire pour te conseiller ;
Que tes actes soient des apôtres
Qu’il ne faille pas soudoyer !

Prie — ô mot profond et sublime
Qui fait battre le cœur au chaud —
Prie, et vers l’invisible cime,
Monte toujours, toujours plus haut !