Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Arabesques

La bibliothèque libre.
Panckoucke (1p. 28-30).

AR

ARABESQUES, (subst. masc. plur.) On nomme arabesques certains ornemens dont l’Artiste forme des tableaux & décore des compartimens, des frises, ou des panneaux.

Ces ornemens sont en grande partie composés de plantes, d’arbustes, de branches légères & de fleurs. Tous ces objets, ou les formes qui en approchent, donnent lieu à ce qu’on appelle, en langage de l’Art, des rinceaux, des enroulemens, mais parmi ces objets, le Peintre choisit ceux qui, proportionnés entr’eux & analogues les uns aux autres, peuvent offrir des assemblages qui plaisent, ou faire naitre des idées riantes.

Les arabesques présentent donc le plus souvent des objets agréables & partiellement vrais ; mais dont la réunion & l’agencement sont chimériques.

Aussi ces représentations qui s’approchent de la nature par les formes, la couleur & le clairobscur, s’en éloignent en se découpant sur des fonds arbitraires, un ne se montrant disposées la plupart que sur un même plan, & en n’offrant d’effet relatif à l’ensemble d’un tableau, que ce qu’en peuvent produire quelques branchages entrelassés avec art, qu’on auroit arrangés & attachés sur un mur.

Si les arabesques n’étoient composés que de branchages & de fleurs, on pourroit croire que leur idée auroit été suggerée par les préparations que les hommes emploient assez généralement à la célébration des jeux & des fêtes. En effet, les hommes de tous les temps & presque de tous les pays ont cru appercevoir des rapports entre ces objets rians & les sentimens de joie qu’ils éprouvent & qu’ils cherchent à se communiquer ;


mais nos arabesques offrent des assemblages qui s’éloignent tellement de ces idées simples, dont je viens de parler, qu’on ne peut leur trouver de modèles vrai-semblables que dans les chimères produites par le sommeil.

Les arabesques peuvent donc être appellés les rêves de la Peinture.

La raison & le goût exigent qu’ils ne soient pas des songes de malades, mais des rêveries semblables à celles que l’opium, artistement dosé, procure aux Orientaux voluptueux, qui les préfèrent quelquefois à des erreurs moins chimériques.

Ces chimères pittoresques ressemblent encore à celles que se forme la jeunesse, dans les heureux momens où, disposée à folâtrer & à rire, elle ne reçoit que des idées agréables & gaies de tout ce que lui présente la Nature.

D’après ce que j’ai dit, les Peintres d’arabesques ne doivent pas perdre de vue les formes naturelles & les accidens heureux. Ils doivent même les chercher, en tirer parti & enrichir leurs porte-feuilles des études qu’ils en font.

Les arbrisseaux entrelassent & entremêlent quelquefois de la manière la plus agréable leurs branches, leurs feuillages & leurs fleurs. Le sep d’une jeune vigne qu’on abandonne à elle-même, s’étend par des courbures, modèles de souplesse & de grace, à plusieurs arbres voisins & rattachée aux branches, se plie en guirlandes de l’un à l’autre. Un jeune enfant vient s’y suspendre & s’y balancer, en se souriant à lui-même. Une jeune fille à quelques pas de-là, se blottit dans un buisson de roses, & desirant d’y être surprise, rougit d’une intention qu’elle ne croit pas cacher assez bien ; une autre s’approche d’une fontaine, &, si elle est seule, s’occupe à s’y mirer avec complaisance : elle se plonge ensuite dans l’eau, & l’Artiste qui a surpris ou qui imagine ces caprices & ces jeux de laNature, vivante ou inanimée, en les détachant de tout autre objet, les dispose par des combinaisons ingénieuses ; il les agence sur une surface, souvent à différens étages & sur un fond arbitraire ; il exécute des compositions du genre qui fait le sujet de cet article.

Faut-il les varier ? L’Artiste instruit, dont l’imagination ne doit pas être moins féconde qu’aimable, assemble & dispose des étoffes riches ou légères qu’il suspend, qu’il rattache avec grace, comme on le fait en décorant des tentes, des pavillons, des portiques, des balcons de palais, ou les bosquets dans lesquels Alcine vient d’ordonner des fêtes pour Roger.

Le Peintre d’arabesques a-t-il le projet de s’éloigner de la Nature pour enrichir & caractériser ses compositions ? Il rappelle aussi-tòt à son souvenir les ingénieuses métamorphoses chantées par les Poëtes. Il reproduit leurs Syrènes, leurs Sphinx, leurs Dryades, les Faunes, les Génies & ces enfans célestes, qui, voltigeant, caressent ou blessent les mortels au gré de leurs caprices. Ces Artistes instruits peuplent encore leurs compositions d’animaux chimériques ou réels ; ils rappellent les cultes bizarres qu’on leur a quelquefois rendus, ainsi qu’aux divinités tant célèbrées par tous les Arts ; & près des statues de Diane, de Vénus, de Flore ou d’Hébé, ils suspendent des guirlandes, des couronnes, des instrumens de musique & des trophées ; ils dressent des autels, des trépiés chargés de cassolettes, d’où s’exhale la fumée des parfums. Les vases les plus élégans sont couronnés par des chapeaux de fleurs ; les feuillages entourent des bas-reliefs, des cammées, des tableaux qui rappellent les vœux offerts dans les temples : des ornemens symboliques accompagnent, parent, & caractérisent les divinités graves, ou celles qui présidoient aux plaisirs des hommes. Ils n’oublient pas celles qui annoncent les saisons, les mois, l’amour, la guerre, la chasse, la pêche, enfin la sagesse ou la folie.

C’est lorsque le Peintre d’arabesques en est à ce dernier caractère, qu’il doit mettre une mesure à ses caprices & rappeller ce sentiment des convenances & des conventions reçues ; ce goût enfin, qui, d’après la juste relation que doivent avoir les choses entr’elles, contiendra son délire ; & si cette loi lui semble trop austère pour un genre qu’il pourroit croire absolument libre & indépendant de toute règle, qu’il fixe un regard sur les modèles en ce genre que Raphaël a consacrés au Vatican, & qu’il soit bien convaincu que plus on s’en écarte, plus on s’éloigne des véritables convenances du genre.

Artistes, qui, par délassement de travaux plus sérieux, vous exercez à composer des arabesques, que vos rinceaux, que les agencemens des parties souples & flexibles dont vous faites la charpente légère de vos ornemens, n’ayent donc rien de forcé ; que l’élégance & la grace les disposent. Il faut qu’en les voyant, on imagine qu’un hasard, un vent léger, la plus naturelle industrie, celle d’un enfant, ont courbé, enlassé, guirlandé les jeunes branches des arbrisseaux & les fleurs que vous employez. Moins on met d’effort à former une couronne de roses, plus son contour est agréable. La peine laisse partout sa trace. On le voit, on le sent dans l’exppression, dans le discours, dans le geste, dans l’action & dans tout ce qui est susceptible d’aisance, de naturel & de grace.

Songez encore, lorsque vous placez les objets dont vous enrichissez vos arabesques, & quand vous les disposez les uns sur les autres, pour remplir un espace, souvent ingrat, auquel vous êtes assujetti, songez, dis-je, que ce qui est plus solide doit, soutenir ce qui est plus léger,


Tout ce qui s’élève, soit par la végétation, soit par l’industrie naturelle des hommes, suit cette loi nécessaire. D’ailleurs, tous les objets tendent à diminuer & à s’alléger d’autant plus qu’ils s’éloignent de la terre & qu’ils participent davantage de l’air qui les invironne.


La pondération est une loi universelle. Les corps, les plus légers même, y sont sourmis. celui qui regarde un objet manquant d’appui, un poids qui ne paroît pas suffisamment soutenu, un assemblage de parties non équilibrées, éprouve une sensation inquiète & pénible.

La symétrie & certain balancement dans la composition, qui équivaut à la symétrie, sont par conséquent des obligations que vous impose presque tout ce que vous, voyez dans la Nature ; non cependant qu’elle soit toujours régulièrement symétrique ; mais lorsqu’elle ne l’est pas, elle se montre au moins équilibrée, & si l’homme le considère lui-même, il retrouve & apperçoit continuellement dans ses semblables, ainsi que dans tous les animaux vivans, des parties disposées symétriquement & toujours balancées & équilibrées dans le mouvement & dans le repos. C’est ainsi que l’homme, qui voit & juge presque tout en lui par lui, acquiert nécessairement un penchant irrésistible à placer symétriquement tout ce dont il dispose, & cette disposition, indiquée physiquement & inspirée par la Nature, est peut-être un des premiers & secrets principes de l’ordre moral qui lui est si nécessaire.

Les principales loix de vos ordonnances sont donc la légèreté graduée, en partant des bases, ainsi que la symétrie & un balancement dans la disposition des objets qui satisfasse le regard.

La variété est encore une de ces loix. Vous devez d’autant plus vous y soumettre que les objets que vous employez étant peu intéressans, attachent moins, & que l’on desire, par cette raison, d’en voir un plus grand nombre.

Mais si l’on attend de vous une d’autant plus grande variété que vous avez plus d’objets à votre disposition, d’une autre part, on exige que vos compositions destinées ordinairement à se trouver placées d’une manière relative les unes aux autres & à se présenter dans un ordre symétrique aux lieux qu’elles décorent, ayent une sorte de ressemblance & de rapport entr’elles, & ce rapport impose des loix aux variétés dont votre imagination pourroit être trop prodigue.

Il n’est pas inutile d’observer que les arabesques admettent des allégories. Elles peuvent hasarder de dire quelques mots à l’esprit, en amusant les regards ; mais gardez-vous de prétendre à leur faire tenir des discours recherchés & trop suivis, sur-tout si vous leur donnez un sens moral & sérieux. L’esprit mal employé est le plus ordinairenient une affectation qui déplaît, ou une pèdanterie qui choque.

Il ne faut pas plus de prétentions déplacées dans la Peinture, & sur-tout dans ses jeux, que dans les autres ouvrages des Arts. Quel est l’objet qu’on a en regardant des arabesques ? à-peu-près le même que lorsqu’on s’arrete à voir jouer des enfans. S’il leur échappe quelques mots spirituels, gais, naïfs ou piquans, on sourit : s’ils veulent raisonner, on les quitte.

Lorsque les arabesques sont du genre comique, ils sont dans la Peinture ce que la plaisanterie est dans les ouvrages littéraires, ou dans la conversation, & tout le monde sait que la plaisanterie, sous quelque forme qu’elle se montre, doit être de bon goût, légère, gaie, spirituelle, qu’il ne faut pas y insister trop. Vous direz que la plaisanterie n’est pas le meilleur genre dans les productions de l’esprit ; on peut dire la même chose des arabesques dans les productions de l’Art ; mais tous les genres ont leur mérite & le délassement nous est aussi nécessaire que le travail.