Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Arrêté

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Panckoucke (1p. 30-31).
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ARRÊTÉ, (part. prés.) On dit arrêter un projet, pour signifier qu’on se détermine à l’exécuter. On dit aussi, arrêter une esquisse, une composition ; arrêter un contour, une figure, le trait d’une figure, & l’on veut faire entendre par-là que tous ces objets sont déterminés & n’éprouveront plus de changement.

Le mot arrêter, au propre, dans la langue générale, signifie retenir & fixer un corps vivant ou animé, qui, sans cela, suivroit un mouvement.

Ici, arrêter le trait ou la composition, veut dire : les fixer de manière qu’ils ne cèdent plus au mouvement d’une imagination indécise.

L’Artiste, quelqu’habile qu’il soit, hésite souvent en dessinant ou en composant : il essaye, il corrige ; enfin, plus satisfait, il s’arrête à une idée, à une forme ; il trace, le plus correctement qu’il lui est possible, les contours ou les différens objets d’une composition, dans la résolution de n’y rien changer. Ce qu’il a fait alors est arrêté, & même, quand ce ne seroit qu’une esquisse, le tableau semble lui-même arrêté d’avance, par la détermination que prend l’Artiste de suivre, en l’exécutant, ce qu’il vient de tracer.

Venons à quelques observations sur cette opération, qui appartient plus à l’esprit encore qu’à la main ; mais adressons-les aux jeunes Artistes, parce qu’elles leur conviennent plus qu’a ceux qui ne pratiquent pas l’Art, ou à ceux qui le pratique depuis longtemps.

Il y a certainement, dans les études que vous faites, des motifs d’incertitude ; car le trait de la beauté ou de la perfection, par exemple, de chaque objet, est tellement délicat, que l’ Artiste doit craindre toujours de l’avoir passé, ou de ne l’avoir pas atteint. Mais si, trop plein de cette crainte louable, vous tombez dans une indécision habituelle, ce défaut, qui vous fera perdre beaucoup de temps, qui mettra votre esprit & votre


main sans cesse à la gêne, nuira plus à votre talent que les incorrections même auxquelles vous seriez arrêté ; car, restant indécis, vous ne produisez réellement rien ; au lieu que, si vous vous déterminez, quand vous manqueriez votre but, le défaut dans lequel vous serez tombé vous instruira de ce que vous auriez dû faire pour l’éviter. Un voyageur qui, à l’aspect de plusieurs sentiers, trop incertain de celui qu’il faut prendre, n’en prend aucun, est bien plus loin d’arriver que celui qui, n’ayant pas choisi le meilleur, revient, lorsqu’il est mieux instruit, au point d’où il est parti, pour en prendre un autre.

Au reste, si votre indécision naît, non-seulement de la trop haute idée du beau, mais plus encore de votre caractère, il est bien difficile que vous vous en corrigiez. Car un homme, né indécis, ne peut se résoudre, même à combattre son indécision & à prendre les moyens d’en sortir.

Ce défaut est malheureusement très-commun ; la plûpart des hommes ne se déterminent souvent qu’à laisser le hasard décider leurs indécision. Demandez, après qu’ils ont discuté longtemps une affaire ou une opinion, ce qu’ils ont d’arrêté sur ces objets, ils seront tout aussi embarassés qu’au premier moment où il en a été question. Heureux s’ils ne le sont pas davantage ! Comme il est rare de trouver les hommes parfaitement déterminés sur ce qu’ils veulent, il est rare qu’ils le soient dans ce qu’ils font.

C’est dans la jeunesse qu’il est possible de corriger, ou de diminuer tout au moins, l’indétermination ; & c’est dans les premières études que les maîtres peuvent habituer les élèves à arrêter leurs productions. Pour les Artistes plus avancés, c’est en fixant leurs idées sur des principes surs, tels que ceux que donnent l’Anatomie, la perspective, sciences exactes, & sur la connoissance des belles formes, tirée de l’étude suivie des beaux modèles.

Si vous desirez que j’étende ces observations sur la composition & sur ce qu’on peut nommer les ensembles de vos ouvrages, je hazarderai de vous dire que vous parviendrez à arrêter vos idées, en vous faisant à vous-mêmes des questions précises, & vous imposant la loi d’y répondre.

Ai-je une connoissance bien arrêtée du sujet que je veux traiter ?

Ai-je lu avec assez d’attention les bons ouvrages dans lesquels ce sujet est consigné ?

Après les avoir lus, ai-je suivi la moralité ou l’impression qui doit essentiellement en résulter ?

Est-ce d’après ces points, bien arrêtés, que j’ai tenté de composer & de distribuer, soit mes objets, soit mes plans, soit les effets propres à remplir le but quee dois avoir ?

S’il s’agit de se déterminer sur quelques relations plus particulières, comme la destination de l’ouvrage, ou le desir de ceux qui employent vos talens ; il vous est facile encore de vous proposer d’autres questions qui, si vous y répondez clairement, lèveront vos doutes, & arrêteront vos idées.

Il y a quelques-unes de ces questions auxquelles une sorte d’inspiration du génie supplée presque sans que l’Artiste s’en rende compte ; mais s’en reposer sur ce moyen, c’est s’abandonner sur un appui qui peut manquer souvent au besoin.

Les inspirations heureuses du génie sont rares, pour ceux même qui ont du génie.