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Encyclopédie méthodique/Economie politique/ADORATION DU PAPE

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Panckoucke (1p. 58-59).

ADORATION DU PAPE, cérémonie qui se fait après l’élection d’un nouveau pontife. « Dès que le pape est élu, dit l’auteur du Tableau de la cour de Rome, les cardinaux, chefs-d’ordre, lui demandent son consentement, & le nom qu’il a résolu de prendre.

» Les maîtres des cérémonies font un procès-verbal de ce qu’il déclare, & en donnent acte au collège. Les deux premiers cardinaux-diacres prennent le nouveau pape & le mènent derrière l’autel où, avec l’aide des maîtres des cérémonies & du sacristain qui est toujours de l’ordre des augustins, on le dépouille de ses habits de cardinal pour le revêtir de ceux de pape, qui sont la soutane de taffetas blanc, le rochet de fin lin, le camail de satin rouge & le bonnet de même, brodé en or & surmonté d’une croix. Le pape est alors porté dans sa chaire devant l’autel de la chapelle où s’est faite l’élection ; & c’est-là que le cardinal doyen & ensuite les autres cardinaux adorent à genoux sa sainteté ; lui baisent les pieds & la main droite : le saint-père les relève, leur donne le baiser de paix à la joue droite. Le premier cardinal-diacre, précédé du premier maître des cérémonies, qui porte la croix, & d’un chœur de musiciens qui chantent l’antienne Ecce sacerdos magnus, &c. voici le grand-prêtre, &c. va ensuite à la grande loge de S. Pierre, où le maître maçon fait ouvrir la porte, afin qu’un des cardinaux puisse passer dans la balustrade ; ce cardinal avertit le peuple de l’élection du pape, en criant de toute sa force : Annuntio vobis gaudium magnum, habemus papam. Nous vous annonçons une grande joie, nous avons un pape. Alors une grande coulevrine de S. Pierre tire un coup sans boucler, pour avertir le gouverneur du château Saint Ange de faire la décharge de toute son artillerie : on sonne toutes les cloches de la ville, & l’air retentit du bruit des tambours, des trompettes & des tymbales. Le même jour, deux heures avant la nuit, le pape, revêtu de sa chape & couvert de sa mître, est porté sur l’autel de la chapelle sixtine, où les cardinaux, avec leurs chapes violettes, viennent adorer une seconde fois le nouveau pontife, qui est assis sur les reliques de la pierre sacrée. On brise la clôture du conclave, & les cardinaux, précédés de la musique, descendent au milieu de l’église de S. Pierre. Le Pape arrive, porté dans son siège pontifical, sous un grand dais rouge, embelli de franges d’or ; ses estaffiers le mettent sur le grand autel de S. Pierre, où les cardinaux l’adorent pour la troisième fois ; &, après eux, les ambassadeurs des princes, en présence d’une multitude de spectateurs dont cette vaste église est remplie jusqu’au bout de son portique. On chante le Te Deum ; puis le cardinal-doyen, étant au côté de l’épitre, dit les versets & oraisons marqués dans le cérémonial romain. On descend le pape sur le marche-pied de l’autel : un cardinal-diacre lui ôte la mître, & il bénit solemnellement le peuple, après quoi on lui ôte ses ornemens pontificaux ; & douze porteurs, vêtus de manteaux d’écarlate qui vont jusqu’à terre, le mettent dans sa chaire, & le portent élevé sur leurs épaules jusques dans son appartement ».

L’usage de baiser les pieds du pape est fort ancien dans l’église ; &, suivant Baronius, on trouve, dès l’an 204, des exemples d’un pareil hommage rendu au vicaire de Jesus-Christ. Nous voyons, dans l’histoire, les plus puissans monarques déposer leur gloire aux pieds du successeur des apôtres ; &, si l’on en croit le pape Grégoire XIII, cet hommage étoit de leur part un devoir. L’église, dit ce fier pontife, dans la fausse idée qu’il avoit conçue des prérogatives de son siège : « l’église, en épousant le vicaire de Jesus-Christ, lui a apporté la plus riche & la plus précieuse dot, qui est la plénitude du pouvoir spirituel & temporel : elle lui a donné la mître comme un gage de son autorité spirituelle, & la couronne comme une marque de sa puissance temporelle. La mître est le symbole du sacerdoce, & la couronne celui de la royauté. En le revêtant de ces ornemens, elle l’a constitué le vicaire de celui qui porte écrit sur ses vêtemens & sur sa cuisse : le roi des rois, & le seigneur des seigneurs ».

De peur que les honneurs que l’on rend au chef de l’église ne devinssent un acte d’idolatrie, les papes ont fait mettre une croix sur l’empeigne de leurs souliers. Ainsi ce n’est pas, à proprement parler, les pieds du pape que l’on baise ; c’est la croix de J. C.

Quant à l’usage de porter le pape sur les épaules de quelques-uns de ses sujets, on peut le regarder comme un reste du faste des grands de l’ancienne Rome, qui se faisoient porter par des esclaves, dans une espèce de litière. Étienne II est le premier que l’on ait porté ainsi. Platina, historien des papes, laisse entrevoir que cet honneur fut rendu à Étienne, en considération de son grand mérite. Il se presente ici une question de diplomatique qu’il faut examiner.

Les ministres des princes protestans doivent-ils baiser les pieds du pape ? Les particuliers admis à l’audience du pape lui baisent les pieds. Les ambassadeurs des princes catholiques lui donnent aussi cette marque de respect. Mais il n’est pas décidé que les ministres des puissances protestantes lui doivent le même honneur. Des ambassadeurs de Russie & de Perse l’ont fait, après avoir témoigné quelque répugnance :[1] mais c’étoit dans des conjonctures où leurs maîtres avoient des ménagemens à garder avec la cour de Rome. Les deux exemples qu’on vient de citer ne prouvent rien : l’ambassadeur Russe & l’ambassadeur Persan ne virent peut-être dans ce baiser, qu’une des prostrations dont l’usage est établi dans les cours de l’Orient ; d’ailleurs ils sont contredits par d’autres exemples. Jamais le prince Zizin, fils de Mahomet II, empereur des Turcs, ne put se résoudre à se prosterner devant le pape Innocent VIII qui lui donnoit audience ; & le comte de Voronzow, vice-chancelier de Russie, qui eut une audience du pape en 1746, fut dispensé de tout cérémonial.

La raison paroît décider la question d’une manière négative. On baise les pieds du pape, comme chef de la religion catholique ; & les protestans ne lui doivent pas déférer un honneur attaché à une qualité qu’ils ne reconnoissent point. On ne soutiendra pas que l’on baise les pieds du pape, comme prince séculier ; car la croix brodée sur l’empeigne de ses souliers prouve le contraire, & il est sûr que les honneurs dûs aux princes séculiers comme tels, se règlent sur leur grandeur & leur puissance ; or sous ce point de vue, le pape le céderait aux rois de France, d’Espagne & à beaucoup d’autres princes catholiques ; & loin d’être en droit d’exiger d’eux un hommage qu’il ne leur accorde pas, il seroit dans le cas de leur rendre de plus grands honneurs qu’il ne pourroit en prétendre. Les protestans ne doivent donc point baiser les pieds du pape. Il est bon de dire que ces points de cérémonial n’obligent que ceux qui veulent s’y soumettre, & s’ils ont quelque chose d’avilissant, il est permis de ne pas les observer. Ainsi don Garcias de Silva Figueroa, ambassadeur d’Espagne en Perse, au commencement du XVIIe siècle, eut raison de refuser de se soumettre aux prostrations qu’on exigeoit de lui devant le seuil de la porte du palais des sophis. Cérémonial diplomatique des princes de l’Europe. Science du gouvernement. Droit des gens par M. de Réal. Voyez l’art. Pape, nous y parlerons de l’élection du pape par adoration.

  1. L’historien de Thou, liv. LXXIII, sous l’an 1581, rapporte que les ambassadeurs de Jean Basilowitz, grand-duc de Moscovie, schismastiques grecs, eurent bien de la peine à se déterminer à baiser les pieds du pape.