Encyclopédie méthodique/Physique/AFFINITÉ

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AFFINITÉ. Ce terme, qui anciennement ne déſignoit qu’une qualité occulte & un mot vuide de ſens, eſt conſacré par les modernes pour exprimer la tendance ou force attractive que les parties conſtituantes & intégrantes des corps ont réciproquement pour s’unir & pour réſiſter après leur union à tout effort propre à les ſéparer. L’affinité ne diffère donc point de l’attraction mutuelle qui règne entre toutes les parties de la matière : celle-ci eſt un fait général bien prouvé, un effet conſtant d’une loi univerſelle qui maîtriſe tous les corps & toutes leurs parties, quelque petites qu’elles puiſſent être. Voyez les articles Attraction, Adhérence, Cohérence, Aggrégation, Parties constituantes, Parties intégrantes.

Quoiqu’il n’y ait qu’une ſeule cauſe de l’affinité, ſavoir, la force attractive qui ſe modifie ſuivant les différentes circonſtances dans leſquelles elle agit, quelques auteurs ont diſtingué pluſieurs ſortes d’affinité : l’affinité ſimple & l’affinité compliquée. La première ſe diviſe en affinité d’aggrégation, qui eſt la tendance qu’ont les parties intégrantes & homogènes d’un même corps à s’unir & à cohérer enſemble, & en affinité de compoſition, ou tendance à unir les parties conſtituantes & hétérogènes de corps de différente nature.

Dans l’affinité ſimple, il n’y a de tendance qu’entre deux ſubſtances homogènes ou hétérogènes ; mais dans l’affinité compliquée, on obſerve la diſpoſition à s’unir & à cohérer dans plus de deux ſubſtances hétérogènes, par exemple, de trois, de quatre, &c. Suppoſons d’abord que deux principes étant déjà unis, il en ſurvienne un troiſième qui ait avec eux une affinité égale à celle qu’ils ont entr’eux, il en réſultera un compoſé de trois principes. Si ce troiſième principe qui ſurvient, n’a aucune affinité avec un des deux principes déjà unis, mais avec l’autre principe une affinité égale à celle dont ces deux principes jouiſſent entr’eux, il y a toujours un phénomène de compoſition ; les deux principes qui n’ont aucune affinité entr’eux ſeront unis par le moyen ou l’intermède du troiſième, & cette affinité portera le nom d’affinité d’intermède. Les deux principes du foie de ſoufre ſont le ſoufre & l’alkali fixe combinés enſemble ; le ſoufre n’a aucune affinité avec l’eau, mais l’alkali fixe qui en a une avec l’eau & avec le ſoufre peut s’unir avec l’un & l’autre, & ſervir ainſi de lien ou d’intermède pour les unir & former ainſi un compoſé de trois principes.

Mais ſi le troiſième principe ſurvenu, dont nous venons de parler, n’a point d’affinité avec un des deux principes, & a de plus, avec l’autre principe, une affinité beaucoup ſupérieure à celle que les deux principes, d’abord unis, ont entr’eux, le troiſième principe ſurvenu, s’uniſſant avec l’un, obligera l’autre à ſe ſéparer & à ſe précipiter ; c’eſt pourquoi on a nommé cette affinité, affinité de compoſition par précipitation. On en a un exemple, en mêlant de l’alkali dans une diſſolution de matière métallique, faite par un acide ; l’alkali, par la ſupériorité de ſon affinité avec l’acide, s’unit à lui, & en ſépare & précipite le métal.

L’affinité réciproque aura lieu ſi le principe précipité fait à ſon tour tomber en précipitation celui qui avoit détruit la première union ; effet qui réſulte de pluſieurs circonſtances particulières à l’opération qui favoriſent tantôt un principe & tantôt l’autre.

Si quelqu’un déſire de plus grands détails ſur ces ſortes de diviſions, il peut avoir recours au dictionnaire de chimie de l’illuſtre Macquer. Nous obſerverons cependant que ces ſortes de diviſions ne préſentent point des eſpèces différentes d’affinités, qu’il n’y en a qu’une, modifiée ſelon les diverſes circonſtances dans leſquelles elle agit, il n’y a point de petites loix particulières pour les affinités ; toutes celles que l’on a aſſignées ne ſont que les effets d’une ſeule loi générale, celle de l’attraction univerſelle proportionnelle, & réciproque de toutes les parties de la matière. Les loix des affinités, dit M. de Buffon, ſont les mêmes que la loi générale par laquelle les corps céleſtes agiſſent les uns ſur les autres ; & ces attractions particulières ne varient que par l’effet des figures des parties conſtituantes, parce que cette figure entre comme élément dans la diſtance. Cette belle idée, ſelon M. Morveau, démontre en quelque ſorte, ce qu’elle explique ; elle indique la route à ſuivre pour parvenir à calculer les affinités, comme la marche des aſtres, & ouvre une carrière immenſe de connoiſſances nouvelles dans la détermination des figures des parties conſtituantes. M. Morveau s’eſt attaché à rapporter à cette théorie lumineuſe, tous les phénomènes de la diſſolution & de la cryſtalliſation dans ſes diſgreſſions académiques. Voyez auſſi ſon dictionnaire de chimie qui fait partie de l’encyclopédie par ordre des matières.

On ſera bientôt convaincu de ce que nous venons de dire, que les différentes diviſions d’affinité, rapportées plus haut, ne ſont qu’une ſeule & même affinité ; car que deux molécules homogènes ou hétérogènes s’attirent & s’uniſſent, qu’elles aient entr’elles une force de cohérence plus ou moins grande ; que l’une attire plus fortement une autre molécule que celle-ci n’eſt attirée par une troiſième, &c. il en réſultera ſeulement que l’attraction ſera univerſelle, réciproque & proportionnelle aux points du contact, leſquels peuvent varier dans une même opération. Sous ce rapport, peut-être que ces différentes diviſions ſont moins importantes qu’on ne le penſe communément.

Nous ajouterons encore que lorſqu’on dit qu’il n’y a aucune affinité entre deux ſubſtances, on doit entendre cela d’une affinité beaucoup moindre que d’autres avec leſquelles on la compare, car il y a affinité entre toutes les parties quelconques de la matière ; & cette affinité, de beaucoup inférieure, n’eſt telle qu’à cauſe d’une plus grande diſtance qui dépend de la figure des molécules ; l’attraction eſt alors ſi foible, & ſon effet ſi peu ſenſible, qu’on eſt tenté de croire qu’il n’y en a point, ſur-tout relativement à d’autres corps où elle eſt très-ſupérieure.

Rien ne ſeroit plus utile que de connoître les différens degrés d’affinité de tous les corps de la nature combinés entr’eux deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, cinq à cinq, & ainſi de ſuite ; on pourroit, pour ſoulager la mémoire, les nommer affinité du premier ordre, affinité du ſecond ordre, du troiſième ordre, du 4e, du 5e, &c. Mais la chimie eſt bien éloignée de ce point de perfection. Il s’en faut même de beaucoup qu’on connoiſſe les affinités de tous les corps combinés deux à deux. Néanmoins on a formé des tables d’affinité des principales ſubſtances, celles qui ſont le plus en uſage. M. Geoffroi eſt le premier qui a eu l’idée de préſenter, dans un tableau très-court, les effets des principales combinaiſons & décompoſitions. Mrs. Rouelle, Gellert & pluſieurs autres, ont rectifié & augmenté cette table : quoiqu’elle ait beſoin d’être encore beaucoup perfectionnée, elle eſt néanmoins très-utile.

Un des modernes qui a le plus étendu cette ſcience des rapports, & déterminé les affinités d’un plus grand nombre de ſubſtances, eſt le célèbre Bergman. On peut conſulter ſes opuſcules de phyſique & de chimie, & ſon Traité des attractions électives ; c’eſt ainſi qu’il nomme les affinités chimiques, & on y verra que le travail conſidérable qu’il a fait ſur cette matière, a exigé plus de trente mille épreuves. Cet illuſtre chimiſte a nommé l’affinité chimique, attraction électrique, parce qu’en effet elle ſemble annoncer une ſorte d’élection ou de choix entre les différens corps qu’on veut unir, paroiſſant préférer les uns aux autres.

M. Lavoiſier penſe que cette partie de la ſcience qui traite des affinités chimiques ou attractions électives, quoique pluſieurs ſavans aient déja raſſemblé une multitude de faits, manque des données principales, ou du moins que celles que nous avons, ne ſont ni aſſez préciſes, ni aſſez certaines pour devenir la baſe fondamentale ſur laquelle doit repoſer cette partie importante de la chimie.