Encyclopédie méthodique/Physique/AIR

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AIR. L’air eſt une ſubſtance matérielle, fluide, peſante, élaſtique, conſéquemment capable de compreſſion & de dilatation, tranſparente, ſans couleur, & inviſible par elle-même, ſans odeur ni ſaveur, diſtincte des vapeurs & des exhalaiſons, compoſée eſſentiellement de deux parties, l’une méphitique, & l’autre éminemment reſpirable, répandue par-tout, & environnant le globe juſqu’à une hauteur conſidérable. Ce n’eſt jamais par une ſimple définition qu’on viendra à bout de connoître l’air ; la nature intime des corps ne nous eſt point dévoilée, & on ne peut en avoir une idée ſatisfaiſante, que par une deſcription, c’eſt-à-dire, par l’énumération des propriétés & des effets.

I. L’air eſt un corps, une ſubſtance vraiment matérielle, car il a tous les attributs de la matière. Les propriétés de la matière ſont l’étendue, la figurabilité, la diviſibilité, l’impénétrabilité, la porosité, la mobilité & la cohérence. Or, tous ces attributs ſe remarquent dans l’air. Il eſt étendu, puiſqu’il jouit des trois dimenſions qui caractériſent l’étendue, ſavoir : la longueur, largeur & profondeur qui lui ſont propres en tous lieux & en tous temps. Son étendue étant bornée & circonſcrite dans tous les endroits où il exiſte, il s’y moule en quelque ſorte, & prend une figure qui n’eſt autre choſe que la détermination des limites d’une ſubſtance. L’air étant étendu, doit être impénétrable ; parce que l’étendue lui faiſant occuper un eſpace proportionnel à ſa maſſe, il ne peut y admettre en même temps une autre ſubſtance ; & lorſqu’il lui eſt impoſſible de ſortir de cet eſpace, & qu’il a obéi à la force comprimante, il oppoſe une réſiſtance inſurmontable. Un grand nombre d’expériences prouvent cette propriété de l’air. Nous les expoſerons à l’article Impénétrabilité. L’air eſt diviſible, car la diviſibilité eſt une ſuite de l’étendue : point d’étendue ſans parties placées à côté les unes des autres ; & s’il y a multiplicité de parties dans une ſubſtance, on peut les ſéparer ou les concevoir ſéparées ; d’ailleurs, nous le diviſons tous les jours très-facilement, en exécutant, dans l’atmoſphère qui nous entoure, divers mouvemens. S’il y a un grand nombre de parties différemment arrangées entr’elles, & très-mobiles, il eſt néceſſaire qu’elles ſoient plus ou moins éloignées les unes des autres ; qu’elles laiſſent des intervalles divers, c’eſt-à-dire, qu’il y ait une poroſité. L’expérience prouve encore que l’air eſt doué d’une grande poroſité, puiſqu’il contient dans ſon ſein une grande quantité d’eau, de vapeurs & d’exhalaiſons qu’il tient en diſſolution ou en ſuſpenſion. Voyez Porosité, Dissolution, Hygromètre. L’air eſt encore très-mobile, puiſqu’il reçoit les impreſſions d’une infinité de puiſſances motrices, & qu’il leur obéit avec la plus grande facilité. Il eſt ſuſceptible de toutes les ſortes de mouvemens, de toutes les directions poſſibles, de toutes les vîteſſes imaginables. Des maſſes d’air plus ou moins conſidérables ſont aiſément tranſportées d’un lieu dans un autre, & communiquent également à d’autres corps une partie de leur mouvement. Enfin, on ne ſauroit douter que l’air ne jouiſſe de cette propriété connue ſous le nom de cohérence, d’adhérence, d’adhéſion, c’eſt-à-dire, d’attraction. Voyez l’article Adhérence, dans lequel nous avons rapporté pluſieurs expériences ſur cet objet ; voyez auſſi Cohérence & Attraction. L’attraction étant une propriété générale de la matière, tout corps attirant & étant attiré, l’air doit conſéquemment être doué de cette propriété. Tous les attributs qui conſtituent la matière convenant à l’air, on ne ſauroit donc s’empêcher de conclure de ce qu’on vient de dire, que l’air eſt un corps, une ſubſtance matérielle.

[On peut reconnoître l’air, à une infinité de caractères : nous en allons ici expoſer quelques uns.

1o. Lorſqu’on renferme l’air dans quelque vaiſſeau de métal ou dans un verre, il y reſte ſans qu’il lui arrive aucun changement, & toujours ſous la forme d’air : mais il n’en eſt pas de même des vapeurs ; car dès qu’elles deviennent froides, elles perdent toute leur élaſticité, & vont s’attacher tout-autour des parois internes du verre, d’où elles dégouttent & tombent enſuite en bas, de ſorte que les verres & les vaiſſeaux, qui auparavant, étoient remplis de vapeurs élaſtiques, ſe trouvent enſuite comme vuides. Il en eſt à-peu-près de même des exhalaiſons des autres corps, qui ſe diſſipent avec le temps, & ſe perdent en quelque manière, lorſque leurs parties, après avoir perdu l’élaſticité qu’elles avoient, viennent à ſe réunir & à ne faire qu’un corps. Cela paroît par pluſieurs expériences qui ont été faites par M. Boyle avec l’air que l’on tire des raiſins, de la pâte de farine, de la chair, & de pluſieurs autres corps. Cela ſe confirme auſſi par les expériences dont M. Hales a donné la deſcription dans ſon ouvrage intitulé la Statique des végétaux, & l’analyſe de l’air.

2o. Une autre propriété de l’air, c’eſt que par ſon moyen les corps terreſtres qui ſont en feu, continuent de brûler juſqu’à ce que les parties qui peuvent contenir du feu, ſoient conſumées ; au contraire les vapeurs & les exhalaiſons éteignent dans l’inſtant le feu le plus vif, de même que l’éclat des charbons & du fer ardent. Ces mêmes vapeurs, bien loin d’être néceſſaires à la reſpiration, comme l’air, y nuiſent, & quelquefois ſuffoquent ; témoin l’effet du ſoufre allumé, & celui de la grotte d’Italie, où un chien eſt ſuffoqué en un clin d’œil.

3o. Si l’air n’eſt pas un fluide différent des vapeurs & des exhalaiſons, pourquoi reſte-t-il tel qu’il étoit auparavant, après une groſſe pluie mêlée d’éclairs & de tonnerre ? En effet, lorſqu’il fait des éclairs, les exhalaiſons ſe mettent en feu, & tombent ſur la terre en forme de pluie avec les vapeurs : mais après la pluie on ne remarque pas qu’il ſoit arrivé aucun changement à l’air, ſi ce n’eſt qu’il ſe trouve purifié : il doit donc être différent des exhalaiſons terreſtres. Muſſch. Eſſai de Phyſ.

Quant à la nature & à la ſubſtance de l’air, nous n’en ſavons que bien peu de choſe, ce que les auteurs en ont dit juſqu’à-préſent n’étant que de pures conjectures. Il n’y a pas moyen d’examiner l’air ſeul & épuré de toutes les matières qui y ſont mêlées ; & par conſéquent on ne peut pas dire quelle eſt ſa nature particulière, abſtraction faite de toutes les matières hétérogènes parmi leſquelles il eſt confondu.

Le docteur Hook veut que ce ne ſoit rien autre choſe que l’éther même, ou cette matière fluide & active répandue dans tout l’eſpace des régions céleſtes ; ce qui répond au medium ſubtile, ou milieu ſubtil de Newton. Voyez Éther, Milieu.

Conſidéré comme tel, on en fait une ſubſtance ſui generis, qui ne dérive d’aucune autre, qui ne peut être engendrée, qui eſt incorruptible, immuable, préſente en tous lieux, dans tous les corps, &c. D’autres s’attachent à ſon élaſticité, qu’ils regardent comme ſon caractère eſſentiel & diſtinctif ; ils ſuppoſent qu’il peut être produit & engendré, & que ce n’eſt autre choſe que la matière des autres corps, devenue, par les changemens qui y ſont faits, ſuſceptible d’une élaſticité permanente. M. Boyle nous rapporte pluſieurs expériences qu’il a lui-même faites ſur la production de l’air. Ce philoſophe appelle produire de l’air, tirer une quantité d’air ſenſible de corps où il ne paroiſſoit pas y en avoir du tout, du moins où il paroiſſoit y en avoir moins que ce qui en a été tiré. Il obſerve que parmi les différentes méthodes propres à cet effet, les meilleures ſont la fermentation, la corroſion, la diſſolution, la décompoſition, l’ébullition de l’eau & des autres fluides, & l’action réciproque des corps, ſur-tout des corps ſalins, les uns ſur les autres. Hiſt. de l’air. Il ajoûte que les différens corps ſolides & minéraux, dans les parties deſquels on ne ſoupçonneroit pas la moindre élaſticité, étant plongés dans des menſtrues corroſives, qui ne ſoient point élaſtiques non plus, on aura cependant, au moyen de l’atténuation des parties, cauſée par leur froiſſement, une quantité conſidérable d’air élaſtique. Voyez ibid.

Newton eſt du même ſentiment. Selon ce philoſophe, les particules d’une ſubſtance denſe, compacte, & fixe, adhérentes les unes aux autres par une puiſſante force attractive, ne peuvent être ſéparées que par une chaleur violente, & peut-être jamais ſans fermentation ; & ces corps raréfiés à la fin par la chaleur ou la fermentation, ſe transforment en un air vraiment élaſtique. Voyez l’Optique de Newton. Sur ce principe, il ajoute que la poudre à canon produit de l’air par ſon exploſion. Ibid,

Voilà donc non-ſeulement des matériaux pour produire de l’air, mais auſſi la méthode d’y procéder ; en conſéquence de quoi on diviſe l’air en réel ou permanent, & en apparent ou paſſager. Car pour ſe convaincre que tout ce qui paroît air ne l’eſt pas pour cela, il ne faut que l’exemple de l’éolipyle, où l’eau étant ſuffiſament raréfiée par le feu, ſort avec un ſifflement aigu, ſous la forme d’une matière parfaitement ſemblable à l’air, mais bien-tôt après perd cette reſſemblance, ſur-tout au froid, & redevient eau par la condenſation, telle qu’elle étoit originairement. On peut obſerver la même choſe dans l’eſprit-de-vin, & autres eſprits ſubtils & fugitifs qu’on obtient par la diſtillation ; au lieu que l’air réel ne ſe peut réduire ni par la compreſſion, ni par la condenſation ou autre voie, en aucune autre ſubſtance que de l’air. Voyez Éolipyle.

On peut donc faire prendre à l’eau pour quelque temps l’apparence de l’air ; mais elle reprend bientôt la ſienne. Il en eſt de même des autres fluides ; la plus grande ſubtiliſation qu’on y puiſſe produire, eſt de les réduire en vapeurs, leſquelles conſiſtent en un fluide extrêmement raréfié, & agité d’un mouvement fort vif : car pour qu’une ſubſtance ſoit propre à devenir un air permanent, il faut, dit-on, qu’elle ſoit d’une nature fixe, autrement elle ne ſauroit ſubir la tranſmutation qu’il faudroit qu’il s’y fît, mais elle s’envole & ſe diſſipe trop vîte. Ainſi la différence entre l’air paſſager & l’air permanent, répond à celle qui eſt entre les vapeurs & les exhalaiſons, qui conſiſte en ce que celles-ci ſont ſèches, & celles-là humides, &c. Voyez Vapeur & Exhalaison

La plûpart des philoſophes font conſiſter l’élaſticité de l’air dans la figure de ſes particules. Quelques-uns veulent que ce ſoit de petits flocons ſemblables à des touffes de laine ; d’autres les imaginent tournées en rond comme des cerceaux, ou roulées en ſpirale comme des fils d’archal, des copeaux de bois, ou le reſſort d’une montre, & faiſant effort pour ſe rétablir en vertu de leur contexture ; de ſorte que pour produire de l’air, il faut, ſelon eux, produire des particules diſpoſées de cette manière ; & qu’il n’y a de corps propres à en produire, que ceux qui ſont ſuſceptibles de cette diſpoſition ; or, c’eſt de quoi, ajoutent-ils, les fluides ne ſont pas ſuſceptibles, à cauſe du poli, de la rondeur, & de la lubricité de leurs parties.

Mais Newton (Opt. pag. 371.) propoſe un ſyſtême différent ; il ne trouve pas cette contexture des parties ſuffiſante pour rendre raiſon de l’élaſticité ſurprenante qu’on obſerve dans l’air, qui peut être raréfié au point d’occuper un eſpace un million de fois plus grand que celui qu’il occupoit avant ſa raréfaction : or, comme il prétend que tous les corps ont un pouvoir attractif & répulſif, & que ces deux qualités ſont d’autant plus fortes dans les corps, qu’ils ſont plus denſes, plus ſolides, & plus compacts, il en conclut que quand par la chaleur, ou par l’effet de quelqu’autre agent, la force attractive eſt ſurmontée, & les particules du corps écartées au point de n’être plus dans la ſphère d’attraction, la force répulſive commençant à agir, les fait éloigner les unes des autres avec d’autant plus de force, qu’elles étoient plus étroitement adhérentes entr’elles, & ainſi il s’en forme un air permanent. C’eſt pourquoi, dit le même auteur, comme les particules d’air permanent ſont plus groſſières, & formées de corps plus denſes que celles de l’air paſſager ou des vapeurs, le véritable air eſt plus peſant que les vapeurs, & l’atmoſphère humide plus légère que l’atmoſphère ſèche. Voyez Attraction, Répulsion &c.

Mais, après tout, il y a encore lieu de douter ſi la matière ainſi extraite des corps ſolides, a toutes les propriétés de l’air ; ſi cet air n’eſt pas paſſager, ou ſi l’air permanent qu’on tire des corps n’y exiſtoit pas déjà. M. Boyle prouve par une expérience faite dans la machine pneumatique avec une mêche allumée, que cette fumée ſubtile que le feu élève même des corps ſecs, n’a pas autant de reſſort que l’air, puiſqu’elle ne ſauroit empêcher l’expanſion d’un peu d’air enfermé dans une veſſie qu’elle environne. Phyſic. méch. exper. Néanmoins, dans quelques expériences poſtérieures, en diſſolvant du fer dans l’huile de vitriol & de l’eau, ou dans de l’eau-forte, il a formé une groſſe bulle d’air qui avoit un véritable reſſort, & qui, en conſéquence de ſon reſſort, empêchoit que la liqueur voiſine ne prît ſa place ; lorſqu’on y appliqua la main toute chaude, elle ſe dilata aiſément comme tout autre air, & ſe ſépara dans la liqueur même en pluſieurs bulles, dont quelques-unes s’élevèrent hors de la liqueur en plein air. Ibid.

Le même phyſicien nous aſſûre avoir tiré une ſubſtance vraiment élaſtique de pluſieurs autres corps ; comme du pain, du raiſin, de la bière, des pommes, des pois, du bœuf, &c. & de quelques corps, en les brûlant dans le vuide, & ſingulièrement du papier, de la corne de cerf : mais cependant cette ſubſtance, à l’examiner de près, étoit ſi éloignée de la nature d’un air pur, que les animaux qu’on y enfermoit, non-ſeulement ne pouvoient reſpirer qu’avec peine, mais même y mouroient plus vîte que dans un vuide où il n’y auroit point eu d’air du tout. Phyſic. méchan. exper.

Nous pouvons ajouter ici une obſervation de l’académie royale des ſciences, qui eſt que l’élaſticité eſt ſi éloignée d’être la qualité conſtitutive de l’air, qu’au contraire s’il ſe joint à l’air quelques matières hétérogènes, il devient plus élaſtique qu’il ne l’étoit dans toute ſa pureté. Ainſi M. de Fontenelle aſſure, en conſéquence de quelques expériences faites à Paris par M. de la Hire, & à Boulogne par M. Stancari, que l’air rendu humide par le mélange des vapeurs, eſt beaucoup plus élaſtique & plus capable d’expanſion que quand il eſt pur ; & M. de la Hire le juge huit fois plus élaſtique que l’air ſec. Hiſt. de l’acad. an. 1708.

Mais il eſt bon d’obſerver auſſi que M. Jurin explique ces expériences d’une autre manière, & prétend que la conſéquence qu’on en tire, n’en eſt pas une ſuite néceſſaire. Append. ad Varen. Geogr.

Tout ce que nous venons de dire, s’entend de l’air conſidéré en lui-même : mais comme nous l’avons remarqué, cet air n’exiſte nulle part pur de tout mélange. Or, ces ſubſtances hétérogènes des propriétés & des effets deſquels nous avons à traiter ici, ſont ſelon M. Boyle, d’une nature toute différente de celle de l’air pur. Boerhaave même fait voir, que c’eſt un chaos & un aſſemblage de toutes les eſpèces de corps créés. Tout ce que le feu peut volatiliſer s’élève dans l’air : or, il n’y a point de corps qui puiſſe réſiſter à l’action du feu. Voyez Feu, Volatil, &c.

Par exemple, il doit s’y trouver, 1o. des particules de toutes les ſubſtances qui appartiennent au règne minéral : car toutes ces ſubſtances, telles que les ſels, les ſoufres, les pierres, les métaux, &c. peuvent être converties en fumée, & par conſéquent prendre place parmi les ſubſtances aériennes. L’or même, le plus fixe de tous les corps naturels, ſe trouve dans les mines fortement adhérent au ſoufre, & peut conſéquemment être élevé avec ce minéral. Voyez Or, &c.

2o. Il faut auſſi qu’il y ait dans l’air des particules de toutes les ſubſtances qui appartiennent au règne animal. Car les émanations abondantes qui ſortent perpétuellement des corps des animaux par la tranſpiration qu’opère ſans-ceſſe la chaleur vitale, portent dans l’air pendant le cours entier de la vie d’un animal, plus de particules de la ſubſtance qu’il n’en faudroit pour recompoſer pluſieurs corps ſemblables. Voyez Transpiration, Émanation, &c.

De plus, quand un animal mort reſte expoſé à l’air, toutes ſes parties s’évaporent & ſe diſſipent bien-tôt ; de ſorte que la ſubſtance dont étoit compoſé un animal, un homme, par exemple, un bœuf ou tout autre, ſe trouve preſque toute convertie en air

Voici une preuve entre mille autres, qui fait bien voir que l’air ſe charge d’une infinité de particules excrémenteuſes : on dit qu’à Madrid, on n’eſt point dans l’uſage d’avoir des privés dans les maiſons ; que les rues en ſervent la nuit : que cependant l’air enlève ſi promptement les particules fétides, qu’il n’en reſte aucune odeur le jour.

3o. Il eſt également certain que l’air eſt auſſi chargé de végétaux ; car on ſait que toutes les ſubſtances végétales deviennent volatiles par leur putréfaction, ſans même en excepter ce qu’il y a de terreux & de vaſculaire qui s’échappe à ſon tour. Voyez Végétal, Plantes, &c.

De toutes ces émanations qui flottent dans le vaſte océan de l’atmoſphère, les principales ſont celles qui conſiſtent en parties ſalines. La plûpart des auteurs imaginent qu’elles ſont d’une eſpèce nitreuſe : mais il n’y a pas à douter qu’il n’y en ait de toutes ſortes ; du vitriol, de l’alun, du ſel marin, & une infinité d’autres. Voyez Sel, Nitre, &c.

M. Boyle obſerve même qu’il peut y avoir dans l’air quantité de ſels compoſés qui ne ſont point ſur terre, formés par la rencontre fortuite & le mélange de différens eſprits ſalins. Ainſi l’on voit des vitrages d’anciens bâtimens, corrodés comme s’ils avoient été rongés par des vers, quoique aucun des ſels que nous connoiſſons en particulier, ne fût capable de produire cet effet.

Les ſoufres ſont ſans-doute une partie conſidérable de la ſubſtance aérienne, à cauſe du grand nombre de volcans, de grottes, de cavernes, & de ſoupiraux ; d’où il ſort une quantité conſidérable de ſoufres qui ſe répand dans l’atmoſphère. Voyez Soufre, Volcan, &c.

Et l’on peut regarder les agrégations, les ſéparations, les frottemens, les diſſolutions, & les autres opérations d’une matière ſur une autre, comme les ſources d’une infinité de ſubſtances neutres & anonymes qui ne nous ſont point connues.

L’air pris dans cette acception générale, eſt un des agens les plus conſidérables & les plus univerſels qu’il y ait dans la nature, tant pour la conſervation de la vie des animaux, que pour la production des plus importans phénomènes qui arrivent ſur la terre. Ses propriétés & ſes effets ayant été les principaux objets des recherches & des découvertes des philoſophes modernes, ils les ont réduits à des lois & des démonſtrations préciſes qui font partie des branches des mathématiques qu’on appelle Pneumatique & Airométrie, Voyez Respiration, Pneumatique & Airométrie, &c.]

II. L’air eſt fluide. Un corps fluide eſt celui dont les parties intégrantes ſont ſi foiblement unies entr’elles, qu’au moindre mouvement elles ſe ſéparent les unes des autres & peuvent être diſjointes ſans opérer la diſſolution du tout. Lorſque nous marchons ſur la ſurface de la terre, nous diviſons avec la plus grande facilité la maſſe d’air qui nous environne ; il en eſt de même d’un brin de paille ou de tout autre corps léger qui tombe dans l’air. La fluidité de l’air eſt démontrée par l’uſage fréquent de pluſieurs eſpèces d’inſtrumens que nous avons preſque tous les jours entre les mains ; par le moyen des ſoufflets nous pompons l’air, & nous le faiſons enſuite jaillir à une diſtance notable, comme il arrive à l’eau que nous lançons fort loin de nous avec une ſeringue. Les vents ſont des courans qui ont lieu dans l’air, comme ceux qui ſont dans la mer. En un mot, toutes les raiſons qu’on peut apporter pour démontrer que l’eau, par exemple, eſt un fluide, prouvent également que l’air jouit de la fluidité. (Voyez Fluidité).

La propagation des ſons, celle des odeurs & émanations de toutes ſortes qui s’échappent des corps, montrent encore tous les jours des effets de cette fluidité, puiſque dans ces différentes circonſtances, les parties de l’air cèdent à un effort preſqu’imperceptible, & ſe meuvent avec la plus grande facilité.

L’air eſt conſtamment fluide ; car ni le froid, ni la compreſſion, ni le mélange avec diverſes ſubstances ni aucun, moyen connu, ne peuvent lui faire perdre ſa fluidité, ainſi qu’il eſt prouvé par l’expérience. Si on plonge un thermomètre d’air dans de la glace mêlée avec du ſel ammoniac, pour augmenter le degré de froid ; ſi on verſe deſſus ce mélange de l’acide nitreux fumant, afin de rendre l’intenſité du froid beaucoup plus conſidérable, on ne verra jamais la fluidité de l’air diſparoître, même dans les circonſtances où le froid a été capable de congeler le mercure, ſoit qu’on produiſe ce froid naturellement ou artificiellement ; jamais on ne remarquera que l’air ſoit réduit en parties ſolides, ce qui, ſelon M. Formey, vient de ſa rareté, de ſa mobilité & de la figure de ſes parties.

La compreſſion ne peut pas non plus détruire la fluidité de l’air. Quoiqu’on comprime fortement l’air dans des vaiſſeaux, par exemple, dans la machine à condenſer l’air, dans les fuſils à vent, dans diverſes pompes propres à cet effet, l’air conſerve toujours ſa fluidité. Le rapprochement des parties que la compreſſion occaſionne, & qui eſt proportionnel aux forces comprimantes qu’on emploie, quelque grandes qu’elles aient été juſqu’ici, n’a jamais pu faire ceſſer la fluidité de l’air. Le temps qu’a duré cette compreſſion, quoique conſidérable, ne l’a en aucune manière pu altérer. Roberval, après avoir condenſé de l’air, & l’avoir conſervé dans cet état pendant quinze ans, ne trouva pas qu’il en fût moins fluide.

Avec quelques ſubſtances qu’on mêle & qu’on combine l’air, que ces matières ſoient ſolides ou fluides, l’air conſerve toujours ſa fluidité. Ni la diverſité des eſpèces, ni la quantité des doſes ne ſont capables d’altérer cette qualité.

[Comme l’air eſt un fluide, il preſſe dans toutes ſortes de directions avec la même force, c’eſt-à-dire, en haut, en bas, latéralement, obliquement, ainſi que l’expérience le démontre dans tous les fluides. On prouve que la preſſion latérale de l’air eſt égale à la preſſion perpendiculaire, par l’expérience ſuivante, qui eſt de M. Mariotte. On prend une bouteille haute, percée vers ſon milieu d’un petit trou ; lorſque cette bouteille eſt pleine d’eau, on y plonge un tuyau de verre ouvert de chaque côté, dont l’extrémité inférieure deſcend plus bas que le petit trou fait à la bouteille. On bouche le col de la bouteille avec de la cire ou de la poix, dont on a ſoin de bien envelopper le tuyau, enſorte qu’il ne puiſſe point du tout entrer d’air entre le tuyau & le col : lors donc que le tuyau ſe trouve rempli d’eau, & que le trou latéral de la bouteille vient à s’ouvrir, l’eau s’écoule en partie du tuyau, mais elle s’arrête proche de l’extrémité inférieure du tuyau à la hauteur du trou, & toute la bouteille reſte pleine. Or, ſi la preſſion perpendiculaire de l’air l’emportoit ſur la preſſion latérale, toute l’eau devroit être pouſſée hors du tuyau, & ne manqueroit pas de s’écouler ; c’eſt pourtant ce qui n’arrive pas, parce que l’air preſſe latéralement avec tant de force contre le trou, que l’eau ne ſe peut échapper de la bouteille.]

Quelle eſt la cauſe de la fluidité de l’air ? il y en a qui prétendent, avec Descartes, que cette qualité dépend d’un mouvement continuel & inteſtin des parties ; ainſi, dit-on, dans une chambre obſcure où les repréſentations des objets extérieurs ne ſont introduites que par un ſeul rayon, on voit les corpuſcules dont l’air eſt rempli, dans une fluctuation perpétuelle ; & les meilleurs thermomètres ne ſont jamais dans un repos parfait.

D’autres phyſiciens attribuent la cauſe de la fluidité de l’air, au feu qui y eſt contenu, ſans lequel toute l’atmoſphère, ſelon eux, ſe durciroit en une maſſe ſolide & impénétrable ; plus, ajoutent-ils, le degré de feu y eſt conſidérable, plus il eſt fluide, mobile & perméable ; & ſelon que les différentes poſitions du ſoleil augmentent ou diminuent ce degré de feu, l’air en reçoit toujours une température proportionnée : c’eſt, ſans doute, en grande partie, ce qui fait que ſur le ſommet des plus hautes montagnes, les ſenſations de l’ouie, de l’odorat & les autres, ſe trouvent plus foibles.

Cette fluidité conſtante de l’air lui vient donc probablement du feu ou calorique (Voyez Fluidité) ; car il eſt très-vraiſemblable que la privation abſolue du feu, ou du moins une privation beaucoup plus grande que celle qui nous eſt connue, eſt ſeule capable de congeler l’air. Mais il eſt néceſſaire de faire dépendre auſſi la congélation des fluides en général, de la configuration des parties dont l’attraction réciproque eſt toujours en raiſon du contact, puiſque tous les fluides & liquides ne ſe gélent pas à un même degré de froid, c’eſt-à-dire, au même degré de privation de feu. L’huile, l’eau, l’eſprit-de-vin & le mercure, par exemple, exigent des degrés de froid progreſſivement plus grands pour ſe geler. Il en eſt, ſans contredit de même de la ſubſtance de l’air.

Les particules de l’air ont une grande ténuité, puiſqu’elles pénètrent dans des eſpaces très-peu étendus, dans des pores d’une très-grande exiguité. Par le moyen de la machine pneumatique, on fait ſortir l’air de l’intérieur de la ſubſtance de différens corps. Voyez Porosité.

Il y a cependant des corps qui ſont imperméables pour l’air ; tel eſt, par exemple, le verre & toutes les ſubſtances analogues. Si l’air pouvoit pénétrer le verre, jamais on ne feroit le vide ſous un récipient de verre. Il en eſt de même des métaux & demi-métaux, des pierres denſes, des veſſies, &c. ; car des récipiens de ces matières peuvent être employés pour faire le vide. Il y a même des ſubſtances que l’eau pénètre, & qui ſont imperméables à l’air.

On ignore quelle eſt la figure particulière des molécules de l’air ; on ne peut pas faire même des conjectures fondées ſur cet objet. Deſcartes a prétendu que les molécules de l’air étoient rameuſes & branchues ; quelques-uns ont penſé qu’elles étoient de figure ſpirale, comme des reſſorts de fil-de-fer à boudin ; d’autres ont cru qu’elles étoient cylindriques ou ellipſoïdes, &c. pluſieurs, comme de petits tourbillons, &c. ; mais on ne peut apporter aucune preuve de ces différentes hypothèſes ſur leſquelles le vrai phyſicien ne doit point s’arrêter.

III. La peſanteur de l’air. Il eſt étonnant que la peſanteur ou gravité de l’air ait été méconnue par les anciens & pendant tant de ſiècles. On penſoit que l’air étoit eſſentiellement léger, parce qu’il s’élevoit au-deſſus des autres fluides. En vain Ariſtote objectoit-il, contre le préjugé commun, qu’une veſſie pleine d’air étoit plus peſante que lorſqu’elle étoit vuide ; on aima mieux attribuer cet excès de poids aux vapeurs & aux exhalaisons contenues dans la maſſe de l’air, qu’à l’air lui-même. L’air pur & ſec n’avoit, diſoit-on, aucune pesanteur. Un grand nombre d’effets palpables, une multitude d’expériences déciſives, frappoient tous les yeux ; mais on préféra de les attribuer à des qualités occultes plutôt qu’à la peſanteur de l’air. Si, après l’élévation du piſton dans une pompe aſpirante, on voyoit monter l’eau, on diſoit que cet effet venoit de l’horreur que la nature avoit pour le vuide.

Un fontainier du grand duc de Toſcane, ayant voulu élever l’eau par le moyen d’une pompe à une hauteur conſidérable, fut fort ſurpris de n’avoir pas réuſſi, tandis qu’il avoit eu conſtamment des ſuccès en l’élevant à des hauteurs moindres que 32 pieds. Il alla conſulter un des plus célèbres phyſiciens de ce temps, Galilée, qui étoit alors à Florence. Cet illuſtre philoſophe, embarraſſé de la queſtion, lui répondit que la nature n’avoit horreur du vuide que juſqu’à 32 pieds ; mais, peu satiſfait de cette prétendue ſolution, il ſoupçonna bientôt, après pluſieurs réflexions, que cet effet venoit d’une cauſe mécanique extérieure ; mais la mort l’empêcha de terminer ſes recherches ſur ce point. Toricelli, ſon diſciple, à qui on penſe qu’il avoit communiqué ſon idée, fut plus heureux. Il prit un tube de verre, de quatre pieds environ de longueur, fermé hermétiquement par une extrémité, & ouvert par l’autre. Il le remplit de mercure, boucha avec le doigt l’orifice ouvert, retourna le tube, & le plongea perpendiculairement dans un petit vaſe plein de mercure. Ayant enſuite ôté le doigt, il vit une partie du mercure deſcendre, & le reſte ſe ſoutenir en équilibre dans le tube, à la hauteur de 27 pouces & demi.

Cette expérience faite en 1643, fut le fruit des réflexions ; car ſi une cauſe mécanique extérieure, par exemple, la peſanteur de l’air ſoupçonnée, eſt la cauſe qui tient ſuſpendue l’eau à 32 pieds de hauteur dans les pompes aſpirantes, elle ne doit pas ſoutenir, à une ſi grande élévation, un fluide plus peſant que l’eau, tel qu’eſt le mercure : celui-ci devoit être d’autant moins élevé, qu’il eſt plus peſant que l’eau ; & ſi le mercure eſt, comme l’expérience le prouve, quatorze fois environ plus peſant que l’eau, il doit être élevé quatorze fois moins haut. Alors la même cauſe, ſavoir, la peſanteur de l’air produira ces deux effets qui ſeront équivalemment le même, puiſqu’une colonne de mercure de 27 pouces ½, eſt égale au poids d’une autre colonne d’eau de même baſe, & de 32 pieds de hauteur environ ; car 14, multipliés par 27 pouces ½, donnent un produit de 385 pouces, qui font 32 pieds que nous négligeons ici, parce que le rapport du poids du mercure à celui de l’eau, n’eſt pas tout à fait comme 14 eſt à 1, ainſi que nous le dirons ailleurs ; mais ici il étoit à propos de former un nombre rond. Ce raiſonnement eſt évident, d’après les lois de cette partie de l’hydroſtatique qui traite de l’équilibre des liqueurs hétérogènes. L’expérience le confirme ; il n’eſt donc plus permis de douter de la peſanteur de l’air & de ſon influence ſur pluſieurs effets que les anciens avoient ridiculement attribué à l’horreur de la nature pour le vuide. Voyez Baromètre.

À peine cette expérience de Toricelli eut-elle été faite, que le père Mersenne, célèbre minime de Paris, chez qui tous les ſavans ſe réuniſſoient ſouvent, s’empreſſa de la faire connoître par toute la France en 1744. L’explication de cette expérience fût conteſtée par quelques ſavans de Rouen, qui objectèrent que le haut du tube de Toricelli étoit rempli par des eſprits évaporés du mercure, & qu’ainſi, l’horreur du vuide ſubſiſtoit toujours. M. Paſcal, qui avoit été inſtruit de l’expérience de Toricelli par M. Petit, intendant des certifications, qui l’avoit appriſe du père Merſenne ; M. Paſcal réſolut de convaincre ces mauvais phyſiciens par leurs propres principes. Pour cet effet, il fit attacher à un mât deux tubes de verre, comme celui de Toricelli, mais de 40 pieds de hauteur ; l’un fut rempli de vin & l’autre d’eau. Tous les deux furent de même retournés & plongés enſuite, chacun dans un vaſe plein de ſa longueur reſpective. L’eau reſta ſuſpendue à 31 pieds 1 pouce 4 lignes, & le vin à 33 pieds 3 pouces : on changea enſuite les liqueurs de tubes, & il n’y eut aucun changement dans les élévations des liqueurs, qui furent conſtamment les mêmes. Cette expérience fut faite, en 1646, ſur la place de la vénerie de Rouen, en préſence des ſavans de cette ville, qui étoient encore reſtés attachés à la doctrine péripatéticienne, & elle les réduisit au ſilence : car, ſelon les principes, le vin ayant plus d’eſprits que l’eau, devoit laiſſer au haut du tube un plus grand eſpace que l’eau, ce qui fut démenti par l’expérience ; le vin étant plus léger, monta au contraire plus haut pour compenſer, par l’excès de ſa hauteur, le défaut de ſon poids relatif, plus petit que celui de l’eau. Par la même raiſon, l’eau-de-vie, l’eſprit de vin, l’éther, ſe ſeroient élevés plus haut que le vin, en raiſon de leur légèreté reſpective.

M. Perrier, encouragé par ſes ſuccès, ſe détermina bientôt à faire des obſervations jour par jour, depuis le commencement de l’année 1649 juſqu’au dernier mars 1651, dans la ville de Clermont, afin d’examiner ſi la diverſité de la température, dans différens lieux & dans le même endroit, produisoit des variations dans les élévations ou abaiſſemens du mercure. Pour cet effet, il laiſſa en expérience continuelle un tube de Toricelli dans ſon cabinet, & le conſulta : il tint compte chaque jour, le matin, à midi & le ſoir, des différences qu’il appercevoit au moyen des diviſions en pouces & en lignes qu’il avoit faites à ſon tube. Il engagea un de ſes amis, à Paris, à s’occuper des mêmes obſervations : il écrivit à M. Chanut, ambaſſadeur de France, en Suède, pour qu’il lui communiquât les expériences de ce genre, que Deſcartes faiſoit avec lui à Stockolm, & leur envoya le réſultat de ſes obſervations.

De ces différentes obſervations, comparées entre-elles, M. Perrier penſa qu’on pouvoit conclure, avec quelque certitude, cette règle générale ; que le mercure s’élève toutes les fois que ces deux choſes arrivent enſemble, ſavoir, que le temps ſe refroidit, & qu’il ſe charge ou ſe couvre ; & qu’il s’abaiſſe, au contraire, toutes les fois que ces deux choſes arrivent enſemble, que le temps devient plus chaud, & qu’il ſe décharge par la pluie ou par la neige. Mais quand il ne ſe rencontre qu’une de ces deux choſes, par exemple, que le temps ſeulement ſe refroidit & qu’il ne ſe couvre point, il peut bien arriver que le vif argent ne ſe hauſſe pas, quoique le froid le faſſe hauſſer d’ordinaire, parce qu’il ſe rencontre une qualité en l’air, comme de la pluie ou de la neige, qui produit un effet contraire ; & en ce cas, celle des deux qualités du froid ou de la neige qui prévaut, l’emporte. M. Chanut avoit conjecturé, par ſes premières obſervations, que c’étoit les vents régnans qui cauſoient ces divers changemens.

L’expérience du Puy-de-Dôme étant une des plus importantes qu’il y ait ſur cette matière, nous avons cru à propos de remonter aux ſources mêmes, d’en donner un détail circonſtancié, bien perſuadé de l’intérêt qu’il inſpirera aux vrais phyſiciens. Nous ne paſſerons point ici, ſous ſilence, la réclamation, qu’on a faite depuis peu, en faveur de Jean Rey, à qui on a attribué la première découverte de la peſanteur de l’air. Cet auteur, qui écrivoit en 1629, antérieurement à Galilée, à Toricelli, Deſcartes & Paſcal, a reconnu & prouvé la peſanteur & l’élaſticité de l’air. Voyez ſon eſſai quatrième, & ſur-tout l’eſſai dixième, où il cite l’exemple de l’air comprimé qui augmente de poids. Il nous paroît ſeulement que Jean Rey a été perſuadé de la peſanteur de l’air, comme Ariſtote & quelques autres l’avoient été avant lui ; que les preuves qu’on en apportoit, quoique bonnes en elles-mêmes, n’étoient pas capables de convaincre l’incrédulité péripatéticienne. Ainſi les brillantes preuves données par Toricelli, Deſcartes, Paſcal, Perrier, &c., doivent leur aſſurer l’honneur de la découverte. Voyez au mot Pesanteur, l’article peſanteur de l’air. Voyez encore Pneumatique, Machine pneumatique. Paſcal fit encore une autre expérience « avec un tube de verre de 46 pieds de haut, ouvert par un bout, & ſcellé hermétiquement par l’autre qu’il remplit d’eau, ou plutôt de vin rouge, pour être plus viſible ; & l’ayant fait élever en cet état, en bouchant l’ouverture, & poſer perpendiculairement à l’horiſon, l’ouverture en-bas étant dans un vaiſſeau plein d’eau, & enfoncée dedans environ d’un pied, en la débouchant le vin du tuyau deſcendoit juſqu’à la hauteur d’environ trente-deux pieds, depuis la ſurface de l’eau du vaiſſeau, à laquelle il demeuroit ſuſpendu, laiſſant au haut du tuyau un eſpace de treize pieds vide en apparence : & en inclinant le tuyau ; comme alors la hauteur du vin du tuyau devenoit moindre par cette inclination, le vin remontoit juſqu’à ce qu’il vînt à la hauteur de trente-deux pieds & enfin, en l’inclinant juſqu’à la hauteur de trente-deux pieds, il ſe rempliſſoit entièrement, en reſſuçant ainſi autant d’eau qu’il avoit rejeté de vin ; enſorte qu’on le voyoit plein de vin, depuis le haut juſqu’à treize pieds près du bas, & rempli d’eau dans les treize pieds inférieurs, parce que l’eau eſt plus peſante que le vin. »

Mais une des preuves les plus déciſives de la peſanteur de l’air, fut l’expérience fameuſe du Puy-de-Dôme, dont Deſcartes donna l’idée à Paſcal, comme il l’atteſte dans une lettre écrite le 11 juin à M. Caſcavi, pour lui en demander le ſuccès. Il s’y plaint de ce que Paſcal ne l’a pas informé lui-même de ſa tentative ſur les montagnes d’Auvergne, dont il dit lui avoir fourni l’idée deux ans auparavant, en l’aſſurant d’avance que le mercure baiſſeroit dans le baromètre, à meſure qu’on s’éleveroit ſur une montagne. Deſcartes attribue ce ſilence de Paſcal aux liaiſons de celui-ci avec M. de Roberval, ſon antagoniſte (R. Deſcartes Epiſtolæ. Ep. 67).

Paſcal, étant à Paris, écrivit à M. Perrier, ſon beau-frère, conſeiller en la cour des aides de Clermont en Auvergne, pour le prier de faire cette expérience. Dans cette lettre, datée du 15 novembre 1647, il lui parle de cette épreuve, comme pouvant ſeule ſuffire pour donner la lumière qu’on cherche, ſi elle peut être exécutée avec juſteſſe. « C’eſt de faire, dit-il, l’expérience ordinaire du vide pluſieurs fois en même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas & tantôt au ſommet d’une montagne élevée, pour le moins, de cinq ou ſix cents toiſes, pour éprouver ſi la hauteur du vif-argent ſuſpendu dans le tuyau, ſe trouvera pareille ou différente dans ces deux ſituations. Vous voyez déjà ſans doute que cette expérience eſt déciſive de la queſtion, & que s’il arrive que la hauteur du vif-argent ſoit moindre au haut qu’au bas de la montagne (comme j’ai beaucoup de raiſons pour le croire, quoique tous ceux qui ont médité ſur cette matière ſoient contraires à ce ſentiment), il s’enſuivra néceſſairement que la peſanteur & preſſion de l’air ſont les ſeules cauſes de cette ſuſpenſion du vif-argent, & non pas l’horreur du vide, puiſqu’il eſt bien certain qu’il y a beaucoup plus d’air qui pèſe ſur le pied de la montagne, que non pas ſur le ſommet, au lieu qu’on ne ſauroit pas dire que la nature abhorre le vide, au pied de la montagne, plus que ſur ſon ſommet. »

M. Perrier étant à Moulins, ne put exécuter cette expérience que l’année ſuivante, le 19 ſeptembre 1648. On la commença ſur les huit heures du matin, dans le jardin des minimes, qui eſt le lieu le plus bas de la ville de Clermont. Premièrement on verſa dans un vaſe ſeize livres de mercure rectifié, & on en remplit deux tubes de verre d’un égal diamètre, & longs de quatre pieds chacun, ſcellés hermétiquement par un bout. L’expérience de Toricelli ayant été faite, le mercure ſe trouva à la même hauteur dans les deux tubes, ſavoir, vingt-ſix pouces trois lignes & demie au-deſſus du niveau de la ſuperficie du mercure ſtagnant dans les vaſes où les tubes avoient été plongés. Le réſultat fut encore le même, après avoir rechargé ces tubes avec le même vif-argent. Cela fait, on fixa un de ces deux tuyaux ſur ſon vaſe, en expérience continuelle, & on marqua ſur le verre la hauteur du mercure. Un obſervateur fut enſuite chargé d’examiner de moment en moment, pendant toute la journée, s’il y ſurvenoit du changement.

M. Perrier, accompagné de pluſieurs perſonnes inſtruites, prit l’autre tuyau & du mercure ; il alla enſuite au haut de la montagne du Puy-de-Dôme, élevée, au-deſſus du jardin des minimes d’environ cinq cents toiſes. Là, il fit les mêmes expériences, & le mercure ne fut trouvé ſe ſoutenir dans le tube, qu’à la hauteur de vingt-deux pouces trois lignes, tandis que, dans le jardin des minimes, il avoit reſté à 26 pouces 3 ½ lignes, la différence étant de 4 pouces ½ ligne. Cette expérience fut répétée avec le même ſuccès, pendant cinq fois, à divers endroits de la montagne, ayant à chaque fois purgé très-ſoigneuſement d’air le tuyau.

En deſcendant de la montagne, M. Perrier refit en chemin la même expérience, toujours avec le même tube, le même vif-argent ; &, dans cet endroit intermédiaire, appelé Lafon-de-l’arbre, il trouva le mercure ſuſpendu à 25 pouces. Étant revenu aux minimes, on vit le mercure du tube qui avoit été laiſſé en expérience à la même hauteur où il étoit lors du départ, ſavoir 26 pouces 3 ½ lignes ; & l’obſervateur, qui avoit continuellement demeuré à cette ſtation, certifia qu’il n’étoit ſurvenu aucun changement pendant toute la journée. L’expérience fut encore faite de nouveau avec le tube qui avoit été tranſporté au ſommet de la montagne, & le mercure reſta en équilibre à la même hauteur.

Le lendemain, on fit l’expérience de Toricelli, au bas de la tour de Notre-Dame, lieu le plus élevé de la ville, & de ſix ou ſept toiſes plus haut que le jardin des minimes, le mercure ſe ſoutint à 26 pouces 3 lignes. Enſuite on la fit ſur le haut de la même tour, élevé par-deſſus ſon pied de 20 toiſes ; on y trouva le vif-argent à la hauteur d’environ 26 pouces une ligne.

M. Paſcal, inſtruit du réſultat de ces expériences, qui avoient été faites avec beaucoup d’exactitude & d’intelligence par M. Perrier, très-verſé dans les matières de phyſique, répéta à Paris les dernières. Ayant rempli un tube de Toricelli avec du mercure, en la manière ordinaire, il trouva au haut & au bas de la tour de Saint-Jacques-la-Boucherie, haute de 24 à 25 toiſes, plus de 2 lignes de différence, à la hauteur du mercure. Il fit enſuite cette expérience dans une maiſon particulière, élevée de 90 marches, & il obſerva très-ſenſiblement ½ ligne de différence, ce qui étoit entièrement conforme aux réſultats des expériences que M. Perrier fit à Clermont. On peut voir le mot Atmosphère ; atmoſphère terreſtre ; poids de l’atmoſphère.

[Cette propriété de l’air eſt peut-être une ſuite de ce qu’il eſt une ſubſtance corporelle ; la peſanteur étant ou une propriété eſſentielle de la matière, ou du moins une propriété qui ſe rencontre dans tous les corps. Voyez Attraction, Pesanteur, Gravité.

Nous avons une infinité de preuves de cette propriété par les expériences. La peſanteur de l’air paroît d’abord en ce qu’il n’abandonne point le centre de la terre. Si on pompe l’air d’un verre, & qu’on ouvre enſuite ce verre en-haut, l’air ſe précipitera ſur le champ dans le verre par l’ouverture, & le remplira. Toutes les expériences de la machine pneumatique prouvent cette qualité de l’air. Voyez Pneumatique. Qu’on applique la main ſur l’orifice d’un vaiſſeau vuide d’air, on ſent bien-tôt le poids de l’atmoſphère qui la comprime. Des vaiſſeaux de verre dont on a pompé l’air, ſont aiſément briſés par la peſanteur de l’air qui les comprime en dehors. Si l’on joint bien exactement deux moitiés d’une ſphère creuſe, & qu’on en pompe l’air, elles ſeront preſſées l’une contre l’autre par le poids de l’air voiſin, avec une force égale à celle d’un poids de cent livres.

Lorſqu’on poſe ſur un récipient de machine pneumatique un diſque mince & plat de plomb ou de verre, & qu’on pompe enſuite l’air du récipient, l’air extérieur preſſe alors par ſa peſanteur le diſque de plomb dans le récipient, ou il briſe en pièces avec beaucoup de violence le verre en le pouſſant en dedans. Si on enveloppe un cylindre ouvert par en-haut, d’une veſſie de cochon bien mince, dès qu’on aura pompé l’air de ce cylindre, la veſſie ſera déchirée avec beaucoup de violence. Lorſqu’on poſe ſur la plaque de la machine pneumatique des verres ou vaſes ſphériques dont on pompe l’air, ils ſe trouvent d’abord preſſés avec beaucoup de force contre cette plaque, par la peſanteur de l’air extérieur qui les comprime ; de ſorte qu’on ne peut les en retirer enſuite qu’avec beaucoup de force.

Autre expérience : Prenez un tuyau fermé par un bout, empliſſez-le de mercure, plongez-le par le bout ouvert dans un baſſin plein du même fluide, & le tenez droit ; le mercure ſera ſuſpendu dans le tuyau à la hauteur d’environ 27 à 28 pouces, au-deſſus de la ſurface du mercure qui eſt dans le baſſin. La raiſon de cette ſuſpenſion eſt que le mercure du tuyau ne ſauroit deſcendre plus bas, ſans faire monter celui qui eſt dans le baſſin, lequel étant preſſé par le poids de l’atmoſphère qu’il ſupporte, ne permet pas à celui du tuyau de deſcendre, à moins que le poids de ce dernier n’excède celui de l’air qui preſſe ſur le baſſin. Ce qui prouve que c’eſt-là la cauſe de cette ſuſpenſion, c’eſt que ſi l’on met le baſſin & le tuyau ſous le récipient de la machine pneumatique, à meſure que l’on pompera l’air, le mercure du tuyau baiſſera ; & réciproquement à meſure que l’on laiſſera rentrer l’air, le mercure remontera à ſa première hauteur. C’eſt-là ce qu’on appelle l’expérience de Toricelli, ainſi qu’on l’a vu précédemment.

C’eſt auſſi à la peſanteur de l’air qu’on doit attribuer l’effet des pompes. Car ſuppoſons un tuyau de verre ouvert de chaque côté, & qu’on pouſſe dedans juſqu’en bas un piſton attaché à un manche, qu’on mette ce tuyau dans un petit baſſin de mercure, & qu’on tire le piſton en haut, qu’en arrivera-t-il ? Comme il n’y a pas d’air & par conſéquent point de réſiſtance ni aucune cauſe qui agiſſe par la preſſion, entre le piſton & le mercure qui eſt dans le petit baſſin, placé à l’ouverture du tuyau, il faut que le mercure du baſſin étant preſſé par l’air ſupérieur & extérieur, monte dans le tuyau, & ſuive le piſton ; & lorſque le piſton eſt arrivé à la hauteur de 28 pouces environ, & qu’on continue de le tirer, il faut que le mercure abandonne le piſton, & qu’il reſte ſuſpendu dans le tuyau, à la hauteur de 28 pouces. Car le poids de l’air extérieur n’a pas la force de l’élever davantage. Si on prend de l’eau au lieu du mercure, comme elle eſt environ 14 fois plus légère, l’air la fera auſſi monter plus haut, c’eſt-à-dire juſqu’à environ 32 pieds.

L’action des enfans qui tètent ne diffère pas beaucoup de celle d’une pompe ; car un enfant qui tète, avale l’air qui eſt dans ſa bouche ; il bouche les narines par-derrière dans le goſier, & prend le mammelon qu’il ſerre tout autour avec ſes lèvres. Il gonfle enſuite ſes joues & produit de cette manière un vuide dans ſa bouche. L’air preſſe par ſa peſanteur ſur les mammelles, & pouſſe le lait vers le mammelon, & de-là dans la bouche.

On peut auſſi expliquer l’action des ventouſes par le même principe. Car la partie de la peau qui eſt enfermée ſous la ventouſe, ſe trouve ſous un vaſe dont on a pompé l’air ; de ſorte que les humeurs du corps ſont pouſſées vers cette partie par l’action de l’air extérieur : ce qui fait que la peau & ſes vaiſſeaux ſe gonflent & ſe lèvent ſous la ventouſe. Muſſch.

Enfin on peut peſer l’air ; car ſi l’on met un vaiſſeau plein d’air commun dans une balance bien juſte, on le trouvera plus peſant que ſi l’air en avoit été retiré ; & le poids ſera encore bien plus ſenſible, ſi l’on pèſe ce même vaiſſeau rempli d’air condenſé ſous un récipient d’où on aura pompé l’air. Voyez Balance hydrostatique.

Quelques perſonnes douteront peut-être que l’air ſoit peſant de lui-même, & croiront que ſa peſanteur peut venir des vapeurs & des exhalaiſons dont il eſt rempli. Il n’y a aucun lieu de douter que la peſanteur de l’air ne dépende effectivement en partie des vapeurs, comme on peut l’expérimenter, en prenant une boule de verre pleine d’air, qu’on pompera enſuite fort exactement. Pour cet effet, on mettra en haut ſur l’ouverture par laquelle l’air devra rentrer dans la boule, un entonnoir fait exprès, qui aura une cloiſon percée de petits trous ; on mettra enſuite deſſus de la potaſſe fort sèche, ou du ſel de tartre, & on laiſſera entrer l’air lentement à travers ces ſels dans la boule. On attendra aſſez long-temps afin que la boule ſe rempliſſe d’air, & qu’elle ne ſe trouve pas plus chaude que l’air extérieur, en cas qu’il puiſſe s’échauffer par quelque fermentation en paſſant à travers des ſels. Si l’air de l’atmoſphère eſt ſec, on trouve que l’air qui avoit auparavant rempli la boule, étoit de même peſanteur que celui qui y eſt entré en traverſant les ſels ; & s’il fait un temps humide, on trouvera que l’air qui a paſſé à travers les ſels, eſt plus-léger que celui qui auparavant avoit rempli la boule. Mais quoique cette expérience prouve que la peſanteur de l’air dépende en partie des vapeurs qui y nagent, on ne peut s’empêcher de reconnoître que l’air eſt peſant de lui-même ; car autrement il ne ſeroit pas poſſible de concevoir comment les nuées qui pèſent beaucoup pourroient y reſter ſuſpendues, ne faiſant le plus ſouvent que flotter dans l’air avec lequel elles ſont en équilibre. Ôtez cet équilibre, & vous les verrez bien-tôt ſe précipiter en bas. Muſſch.

Le poids de l’air varie perpétuellement, ſelon les différens dégrés de chaleur & de froid. Riccioli eſtime que ſa peſanteur eſt à celle de l’eau, comme un eſt à 1 000 : Merſenne, comme un eſt à 1 300, ou à 1 356 : Galilée, comme un eſt à 400 : M. Boyle, par une expérience plus exacte, trouve ce rapport aux environs de Londres, comme 1 eſt à 938, & penſe que tout bien conſidéré, la proportion de 1 à 1 000 doit être regardée comme ſa peſanteur reſpective moyenne ; car on n’en ſauroit fixer une préciſe, attendu que le poids de l’air, auſſi bien que celui de l’eau même, varie à chaque inſtant : ajoutez que les mêmes expériences varient en différens pays, ſelon la différente hauteur des lieux, le plus ou le moins de denſité de l’air qui réſulte de cette différente hauteur. Boyle, Phyſ. mécan. expér.

Il faut ajouter cependant que par des expériences faites depuis en préſence de la ſociété royale de Londres, la proportion du poids de l’air à celui de l’eau s’eſt trouvée être de 1 à 840, dans une expérience poſtérieure, comme 1 eſt à 852 ; & dans une troiſième, comme un eſt à 890, Phil. Tranſ. no 181, & enfin en dernier lieu, par une expérience fort ſimple & fort exacte, faite par M. Hawksbée, comme 1 eſt à 885. Phyſ. mec. expér. Mais toutes ces expériences ayant été faites en été, le docteur Jurin eſt d’avis qu’il faut choiſir un tems entre le froid & le chaud, & qu’alors la proportion de peſanteur de l’air à celle de l’eau ſera de 1 à 800.

M. Muſſchenbroeck dit avoir quelquefois trouvé que la peſanteur de l’air étoit à celle de l’eau, comme 1 à 606, lorſque l’air étoit fort peſant. Il ajoute qu’en faiſant cette expérience en différentes années & dans des ſaiſons différentes, il a obſervé une différence continuelle dans cette proportion de peſanteur ; de ſorte que, ſuivant les expériences faites en divers endroits de l’Europe, il croit que le rapport de la peſanteur de l’air à celle de l’eau, doit être réduit à certaines bornes, qui ſont comme 1 à 606, & de-là juſqu’à 1 000. Voyez Pesanteur,ſpécifique de l’air.

L’air une fois reconnu peſant & fluide, les lois de ſa gravitation & de ſa preſſion doivent être les mêmes que celles des autres fluides ; & conſéquemment ſa preſſion doit être proportionnelle à ſa hauteur perpendiculaire. Voyez Fluide.

D’ailleurs, cette conſéquence eſt confirmée par les expériences. Car ſi l’on porte le tube de Torricelli en un lieu plus élevé, où par conſéquent la colonne d’air ſera plus courte, la colonne de mercure ſoutenue ſera moins haute, & baiſſera d’un quart de pouce lorſqu’on aura porté le tube à cent pieds plus haut, & ainſi de cent pieds en cent pieds, à meſure qu’on montera.

De ce principe dépend la ſtructure & l’uſage du baromètre. Voyez Baromètre.

De ce même principe, il s’enſuit auſſi que l’air, comme tous les autres fluides, preſſe également de toutes parts. C’eſt ce que nous avons déjà démontré ci-deſſus, & dont on voit encore la preuve, ſi l’on fait attention que les ſubſtances molles en ſoutiennent la preſſion, ſans que leur forme en ſoit changée, & les corps fragiles ſans être briſés, quoique la preſſion de la colonne d’air ſur ces corps ſoit égale à celle d’une colonne de mercure de 30 pouces, ou d’une colonne d’eau de 32 pieds. Ce qui fait que la figure de ces corps n’eſt point altérée, c’eſt la preſſion égale de l’air qui fait qu’autant il preſſe d’un côté, autant il réſiſte du côté oppoſé. C’eſt pourquoi ſi l’on ôte ou ſi l’on diminue la preſſion ſeulement d’un côté, l’effet de la preſſion ſur le côté oppoſé ſe ſentira bientôt.

De la gravité & la fluidité conſidérées conjointement, s’enſuivent pluſieurs uſages & pluſieurs effets de l’air. 1o. Au moyen de ces deux qualités conjointes, il enveloppe la terre avec les corps qui ſont deſſus, les preſſe, & les unit avec une force conſidérable. Pour le prouver, nous obſerverons que dès qu’on connoît la peſanteur ſpécifique de l’air, on peut ſavoir d’abord combien pèſe un pied-cube d’air ; car ſi un pied-cube d’eau pèſe 64 liv., un pied-cube d’air pèſera environ la 800e partie de 64 livres : de-là on pourra conclure quel eſt le poids d’une certaine quantité d’air. On peut auſſi déterminer quelle eſt la force avec laquelle l’air comprime tous les corps terreſtres : car il eſt évident que cette preſſion eſt la même que ſi tout notre globe étoit couvert d’eau à la hauteur de 32 pieds environ. Or, un pied-cube d’eau peſant 64 livres, 32 pieds pèſeront 32 fois 64 livres, ou environ 2 048 livres ; & comme la ſurface de la terre contient à-peu-près 5 547 800 000 000 000 pieds quarrés ; il faudra prendre 2 048 fois ce grand nombre pour avoir à-peu-près le poids réduit en livres avec lequel l’air comprime notre globe. Or, on voit aiſément que l’effet d’une telle preſſion doit être fort conſidérable. Par exemple, elle empêche les vaiſſeaux artériels des plantes & des animaux d’être exceſſivement diſtendus par l’impétuoſité des ſucs qui y circulent, ou par la force élaſtique de l’air dont il y a une quantité conſidérable dans le ſang. Ainſi nous ne devons plus être ſurpris que par l’application des ventouſes, la preſſion de l’air étant diminuée ſur une partie du corps, cette partie s’enfle ; ce qui cauſe néceſſairement un changement à la circulation des fluides dans les vaiſſeaux capillaires, &c.

Cette même cauſe empêche les fluides de tranſpirer & de s’échapper à travers les pores des vaiſſeaux qui les contiennent. C’eſt ce qu’éprouvent les voyageurs à meſure qu’ils montent des montagnes élevées : ils ſe ſentent lâches de plus en plus à meſure qu’ils avancent vers le haut ; & à la longue, il leur vient un crachement de ſang ou d’autres hémorrhagies ; & cela parce que l’air ne preſſe pas ſuffiſamment ſur les vaiſſeaux des poumons. On voit la même choſe arriver aux animaux enfermés ſous le récipient de la machine pneumatique : à meſure qu’on en pompe l’air, ils s’enflent, vomiſſent, bavent, ſuent, lâchent leur urine & leurs autres excrémens, &c. Voyez Machine pneumatique.

2o. C’eſt à ces deux mêmes qualités de l’air, la peſanteur & la fluidité, qu’eſt dû le mélange des corps contigus les uns aux autres, & ſingulièrement des fluides. Ainſi pluſieurs liquides, comme les huiles & les ſels qui dans l’air ſe mêlent promptement & d’eux-mêmes, ne ſe mêleront point s’ils ſont dans le vide.

3o. En conſéquence de ces deux mêmes qualités, l’air détermine l’action d’un corps ſur un autre. Ainſi le feu qui brûle du bois s’éteint, & la flamme ſe diſſipe ſi l’on retire l’air, parce qu’alors il n’y a plus rien qui puiſſe appliquer les corpuſcules du feu contre ceux de la ſubſtance combuſtible, & empêcher la diſſipation de la flamme. La même choſe arrive à l’or en diſſolution dans l’eau régale. Ce menſtrue ceſſe d’agir ſur le métal dès qu’on a retiré l’air ; & c’eſt en conſéquence de cette faculté déterminante de l’air, que Papin a imaginé le digeſtoire qui porte ſon nom. Voyez Digesteur.

C’eſt auſſi pour cela que ſur les ſommets des plus hautes montagnes, comme ſur le pic de Ténériffe, les ſubſtances qui ont le plus de ſaveur, comme le poivre, le gingembre, le ſel, l’eſprit-de-vin, ſont preſque inſipides ; car, faute d’un agent ſuffiſant qui applique leurs particules ſur la langue, & qui les faſſe entrer dans ſes pores, elles ſont chaſſées & diſſipées par la chaleur même de la bouche. La ſeule ſubſtance qui y retienne ſa ſaveur, eſt le vin de Canarie ; ce qui vient de ſa qualité onctueuſe qui le fait adhérer fortement au palais, & empêche qu’il n’en puiſſe être écarté aiſément.

Ce même principe de gravité produit auſſi en partie les vents, qui ne ſont autre choſe qu’un air mis en mouvement par quelque altération dans ſon équilibre. Voyez Vent.

IV. Une autre qualité de l’air d’où réſultent un grand nombre de ſes effets, & dont nous avons déjà parlé, eſt ſon élaſticité, par laquelle il cède à l’impreſſion des autres corps, en rétréciſſant ſon volume, & ſe rétablit enſuite dans la même forme & la même étendue, en écartant ou affoibliſſant la cauſe qui l’avoit reſſerré. Cette force élaſtique eſt une des propriétés diſtinctives de l’air ; les deux autres propriétés, dont nous avons parlé plus haut, lui étant communes avec les autres fluides.

Une infinité de preuves nous convainquent que l’air a cette faculté. Si, par exemple, on preſſe avec la main une veſſie ſoufflée, on trouve une réſiſtance ſenſible dans l’air qui y eſt enfermé ; & ſi l’on ceſſe de la comprimer, la partie qui étoit comprimée ſe tend & ſe remplit auſſitôt.

C’eſt de cette propriété de l’air que dépend la ſtructure & l’uſage de la machine pneumatique. Voyez Machine pneumatique.

Chaque particule d’air fait un continuel effort pour ſe dilater, & ainſi lutte contre les particules voiſines qui en font auſſi un ſemblable ; mais ſi la réſiſtance vient à ceſſer ou à s’affoiblir, à l’inſtant la particule dégagée ſe raréfie prodigieuſement. C’eſt ce qui fait que ſi l’on enferme, ſous le récipient de la machine pneumatique de petites balles de verre minces, ou des veſſies pleines d’air & bien fermées, & qu’enſuite on pompe l’air, elles y crèvent par la force de l’air qu’elles contiennent. Si l’on met ſous le récipient une veſſie toute flaſque, qui ne contienne que très-peu d’air, lorſqu’on vient à pomper l’air, elle s’y enfle & paroît toute pleine. La même choſe arrivera ſi l’on porte une veſſie flaſque ſur le ſommet d’une haute montagne.

Cette même expérience fait voir d’une manière évidente, que l’élaſticité des corps ſolides eſt fort différente de la vertu élaſtique de l’air, & que les corps ſolides & élaſtiques ſe dilatent tout autrement que l’air. En effet, lorſque l’air ceſſe d’être comprimé, non-ſeulement il ſe dilate, mais il occupe alors un plus grand eſpace, & reparoît ſous un plus grand volume qu’auparavant ; ce qu’on ne remarque pas dans les corps ſolides & élaſtiques, qui reprennent ſeulement la figure qu’ils avoient avant que d’être comprimés.

L’air tel qu’il eſt tout proche de notre globe, ſe raréfie de telle manière que ſon volume eſt toujours en raiſon inverſe des poids qui le compriment, c’eſt-à-dire, que ſi l’air preſſé par un certain poids occupe un certain eſpace, ce même air preſſé par un poids qui ne ſoit que la moitié du précédent, occupera un eſpace double de celui qu’il occupoit dans le premier cas. M. Boyle & M. Mariotte ont établi cette règle par des expériences. La même règle a lieu lorſqu’on comprime l’air, comme M. Mariotte l’a fait voir auſſi. Cependant il ne faut pas regarder cette règle comme parfaitement exacte ; car, en comprimant l’air bien fortement, & le réduiſant à un volume quatre fois plus petit, l’effet ne répond plus à la règle donnée par M. Mariotte ; cet air commence alors à faire plus de réſiſtance, & a beſoin, pour être comprimé davantage, d’un poids plus grand que la règle ne l’exige. En effet, pour peu qu’on y faſſe attention, on verra qu’il eſt impoſſible que la règle ſoit exactement vraie : car, lorſque l’air ſera ſi fort comprimé que toutes ſes parties ſe toucheront & ne formeront qu’une ſeule maſſe ſolide, il n’y aura plus moyen de comprimer davantage cette maſſe, puiſque les corps ſont impénétrables. Il n’eſt pas moins évident que l’air ne ſauroit ſe raréfier à l’infini, & que ſa raréfaction a des bornes ; d’où il s’enſuit que la règle des raréfactions en raiſon inverſe des poids comprimans, n’eſt pas non plus entièrement exacte ; car il faudroit, ſuivant cette règle, qu’à un dégré quelconque de raréfaction de l’air, on trouvât un poids correſpondant qui empêcheroit cette raréfaction d’être plus grande. Or, lorſque l’air eſt raréfié le plus qu’il eſt poſſible, il n’eſt alors chargé d’aucun poids, & il occupe cependant un certain eſpace.

On ne ſauroit aſſigner des bornes préciſes à l’élaſticité de l’air, ni la détruire ou altérer aucunement. M. Boyle a fait pluſieurs expériences, pour voir s’il pourroit affoiblir le reſſort d’un air extrêmement raréfié dans la machine pneumatique, en le tenant long-temps comprimé par un poids dont il eſt étonnant qu’il ſoutînt la force pendant un ſeul inſtant ; & après tout ce temps, il n’a point vu de diminution ſenſible dans ſon élaſticité. M. de Roberval ayant laiſſé un fuſil à vent chargé pendant ſeize ans d’air condenſé, cet air mis enfin en liberté, pouſſa une balle avec autant de force qu’auroit pu faire un air tout récemment condenſé.

Cependant M. Hawksbée a prétendu prouver par une expérience qu’il a faite depuis, que le reſſort de l’air peut être tellement dérangé par une violente preſſion, qu’il ne puiſſe plus ſe rétablir qu’au bout de quelque temps. Il prit pour cet effet un vaiſſeau de cuivre bien fort, dans lequel il verſa d’abord une demi-pinte d’eau ; il y comprima enſuite trois ou quatre fois plus d’air qu’il n’y en avoit eu auparavant : une heure après il ouvrit le vaſe, & en laiſſa ſortir l’air en y ſerrant avec une vis un tuyau ouvert dont l’un des bouts étoit plongé dans l’eau : il trouva, peu de temps après, que l’eau s’étoit élevée d’un pied dans le tuyau, & qu’elle venoit juſqu’à la hauteur de 16 pouces. Il conclut de-là, que la force élaſtique de l’air avoit été affoiblie pendant quelque-temps ; car ſi elle fût reſtée la même qu’elle étoit auparavant, tout l’air n’eût pas manqué de s’échapper du vaſe après qu’il eût été ouvert : d’où il s’enſuit, ſelon M. Hawksbée, que cet air étant reſté dans le vaſe, il s’y étoit enſuite raréfié, & avoit fait monter l’eau dans le tuyau. Cependant, on pourroit ſoupçonner qu’il ſeroit peut-être entré une plus grande quantité d’air dans l’eau, parce que l’air qui repoſoit deſſus, ſe trouvoit trois ou quatre fois plus comprimé, & que l’air n’auroit été en état de ſe dégager de l’eau qu’après un certain temps ; enſorte que celui qui avoit pu s’échapper librement, ſeroit en effet ſorti du vaſe, tandis que celui qui avoit pénétré l’eau en trop grande quantité, aurait eu beſoin de temps pour en ſortir. M. Muſſchenbroeck ayant verſé du mercure dans un tuyau de 8 pieds de long, dont un des bouts étoit recourbé, & ayant de cette manière comprimé l’air dans le bout recourbé, ſcella enſuite l’autre bout hermétiquement, & marqua le degré de chaleur que l’air avoit alors. Depuis ce temps, il dit avoir toujours obſervé que le mercure ſe tenoit à la même hauteur dans le tuyau, lorſque l’air avoit le même degré de chaleur qu’au commencement de l’expérience. Au contraire, lorſque l’air devenoit plus chaud, le mercure montoit dans le tuyau ; d’où il paroîtroit s’enſuivre que la compreſſion de l’air ne lui fait point perdre ſon élaſticité. On ne ſauroit cependant nier que l’air ne puiſſe perdre de ſa force élaſtique, puiſque M. Hales a prouvé que la choſe étoit poſſible, en mettant le feu à du ſoufre dans un verre plein d’air ; & peut-être y a-t-il un plus grand nombre d’exhalaiſons qui produiſent le même effet. Muſſch.

Il eſt viſible que le poids ou la preſſion de l’air ne dépend pas de ſon élaſticité, & qu’il ne ſeroit ni plus ni moins peſant, quand il ne ſeroit pas élaſtique. Mais de ce qu’il eſt élaſtique, il s’enſuit qu’il doit être ſuſceptible d’une preſſion qui le réduiſe à un tel eſpace, que ſon élaſticité qui réagit contre le poids qui le comprime, ſoit égale à ce poids.

En effet, la loi de l’élaſticité eſt qu’elle augmente à proportion de la denſité de l’air, & que ſa denſité augmente à proportion des forces qui le compriment. Or, il faut qu’il y ait une égalité entre l’action & la réaction ; c’eſt-à-dire que la gravité de l’air qui opère ſa compreſſion, & l’élaſticité de l’air qui le fait tendre à ſa dilatation, ſoient égales. Voyez Denſité, Réaction &c.

Auſſi l’élaſticité augmentant ou diminuant généralement à proportion que la denſité de l’air augmente ou diminue, c’eſt-à-dire, à proportion que l’eſpace entre ſes particules diminue ou augmente, il n’importe que l’air ſoit comprimé & retenu dans un certain eſpace par le poids de l’atmoſphère, ou par quelque autre cauſe ; il ſuffit qu’il tende à ſe dilater avec une action égale à celle de la cauſe qui le comprime. C’eſt pourquoi ſi l’air voiſin de la terre eſt enfermé dans un vaiſſeau, de manière qu’il n’ait plus du tout de communication avec l’air extérieur, la preſſion de cet air enfermé ne laiſſera pas d’être égale au poids de l’atmoſphère. Auſſi voyons-nous que l’air d’une chambre bien fermée ſoutient le mercure dans le baromètre, par ſa force élaſtique, à la même hauteur que ſeroit le poids de l’atmoſphère. Voyez l’article Élasticité.

Suivant ce principe, on peut par de certaines méthodes condenſer l’air. Voyez Condenſation.

C’eſt ſur ce même principe qu’eſt fondée la ſtructure de l’arquebuſe-à-vent, Voyez Fusil-à-vent.

L’air peut donc être condenſé : mais juſqu’à quel point le peut-il être, ou à quel volume eſt-il poſſible de le réduire en le comprimant ? Nous n’en connoiſſons point encore les bornes. M. Boyle a trouvé le moyen de rendre l’air treize fois plus denſe en le comprimant : d’autres prétendent l’avoir vu réduit à un volume ſoixante fois plus petit. M. Hales l’a rendu trente-huit fois plus denſe à l’aide d’une preſſe, mais en faiſant geler de l’eau dans une grenade ou boulet de fer, il a réduit l’air en un volume 1 838 fois plus petit, de ſorte qu’il doit avoir été plus de deux fois plus peſant que l’eau ; ainſi comme l’eau ne peut être comprimée, il s’enſuit de-là que les parties aériennes doivent être d’une nature bien différente de celles de l’eau : car autrement on n’auroit pu réduire l’air qu’à un volume 800 fois plus petit ; il auroit alors été préciſément auſſi denſe que l’eau, & il auroit réſiſté à toutes ſortes de preſſions avec une force égale à celle que l’on remarque dans l’eau, Muſſch.

M. Halley aſſure dans les Tranſactions philoſophiques, en conſéquence d’expériences faites à Londres, & d’autres faites à Florence dans l’académie del Cimento, qu’on peut en toute ſûreté décider qu’il n’y a pas de force capable de réduire l’air à un eſpace 800 fois plus petit que celui qu’il occupe naturellement ſur la ſurface de notre terre. Et M. Amontons combattant le ſentiment de M. Halley, ſoutient dans les mémoires de l’académie royale des ſciences, qu’on ne peut point aſſigner de bornes préciſes à la condenſation de l’air ; que plus on le chargera, plus on le condenſera ; qu’il n’eſt élaſtique qu’en vertu du feu qu’il contient ; & que comme il eſt impoſſible d’en tirer tout le feu qui y eſt, il eſt également impoſſible de le condenſer à un point au-delà duquel on ne puiſſe plus aller.

L’expérience que nous venons de rapporter de M. Hales, prouve du moins que l’air peut être plus condenſé que ne l’a prétendu M. Halley. C’eſt à l’élaſticité de l’air qu’on doit attribuer les effets de la fontaine de Hiéron, & de ces petits plongeons de verre, qui étant enfermés dans un vaſe plein d’eau, deſcendent au fond, remontent enſuite, & ſe tiennent ſuſpendus au milieu de l’eau, ſe tournent & ſe meuvent comme on le veut. C’eſt encore à cette élaſticité que l’on doit l’action des pompes à feu. Voyez Fontaine & Pompes.

L’air, en vertu de ſa force élaſtique, ſe dilate à un point qui eſt ſurprenant ; le feu a la propriété de le raréfier conſidérablement. L’air produit par cette dilatation a le même effet que ſi ſa force élaſtique augmentoit ; d’où il arrive qu’il fait effort pour s’étendre de tous côtés. Il ſe condenſe au contraire par le froid ; de ſorte qu’on diroit alors qu’il a perdu une partie de ſa force élaſtique. On éprouve la force de l’air échauffé, lorſqu’on l’enferme dans une phiole mince, ſcellée hermétiquement, & qu’on met enſuite ſur le feu ; l’air ſe raréfie avec tant de force, qu’il met la phiole en pièces avec un bruit conſidérable. Si on tient ſur le feu une veſſie à demi ſoufflée, bien liée & bien fermée, non-ſeulement elle ſe gonflera par la raréfaction de l’air intérieur, mais même elle crèvera. M. Amontons a trouvé que l’air rendu auſſi chaud que l’eau bouillante, acquéroit une force qui eſt au poids de l’atmoſphère, comme 10 à 33, ou même comme 10 à 35, & que la choſe réuſſiſſoit également ſoit qu’on employât pour cette expérience une plus grande ou une plus petite quantité d’air. M. Hawksbée a obſervé en Angleterre, qu’une portion d’air enfermée dans un tuyau de verre lorſqu’il commençoit à geler, formoit un volume qui étoit celui de la même quantité d’air dans la plus grande chaleur de l’été comme ſix à ſept.

Lorſque l’air ſe trouve en liberté, & délivré de la cauſe qui le comprimoit, il prend toujours une figure ſphérique dans les interſtices des fluides où il ſe loge, & dans leſquels il vient à ſe dilater. Cela ſe voit lorſqu’on met des fluides ſous un récipient dont on pompe l’air : car on voit d’abord paroître une quantité prodigieuſe de bulles d’air d’une petiteſſe extraordinaire, & ſemblables à des grains de ſable fort menu, leſquelles ſe diſperſent dans toute la maſſe du fluide & s’élèvent en-haut. Lorſqu’on tire du récipient une plus grande quantité d’air, ces bulles ſe dilatent davantage, & leur volume augmente à meſure qu’elles s’élèvent, juſqu’à ce qu’elles ſortent de la liqueur, & qu’elles s’étendent librement dans le récipient.

Mais ce qu’il y a ſur-tout de remarquable, c’eſt que dans tout le trajet que font alors ces bulles d’air, elles paroiſſent toujours ſous la forme de petites ſphères.

Lorſqu’on met dans la liqueur une plaque de métal, & qu’on commence à pomper, on voit la ſurface de cette plaque couverte de petites bulles ; ces bulles ne ſont autre choſe que l’air qui étoit adhérant à la ſurface de la plaque, & qui s’en détache peu-à-peu. Voyez Adhérence & Cohérence.

On n’a rien négligé pour découvrir juſqu’à quel point l’air peut ſe dilater lorſqu’il eſt entièrement libre & qu’il ne ſe trouve comprimé par aucune force extérieure. Cette recherche eſt ſujette à de grandes difficultés, parce que notre atmoſphère eſt compoſée de divers fluides élaſtiques, qui n’ont pas tous la même force ; par conſéquent, ſi l’on demandoit combien l’air pur & ſans aucun mélange peut ſe dilater, il faudroit, pour répondre à cette queſtion, avoir premièrement un air bien pur : or, c’eſt ce qui ne paroît pas facile. Il faut enſuite ſavoir dans quel vaſe & comment on placera cet air, pour faire enſorte que ſes parties ſoient ſéparées ; & qu’elles n’agiſſent pas les unes ſur les autres. Auſſi pluſieurs phyſiciens habiles déſeſpèrent-ils de pouvoir arriver à la ſolution de ce problême. On peut néanmoins conclure, ſelon M. Muſſchenbroeck, de quelques expériences aſſez groſſières, que l’air qui eſt proche de notre globe, peut ſe dilater juſqu’à occuper un eſpace 4 000 fois plus grand que celui qu’il occupoit. Muſſch.

Mr Boyle, dans pluſieurs expériences, l’a dilaté une première fois juſqu’à lui faire occuper un volume neuf fois plus conſidérable qu’auparavant ; enſuite il lui a fait occuper un eſpace 31 fois plus grand ; après cela, il l’a dilaté 60 fois davantage, puis 150 fois, enfin, il prétend l’avoir dilaté 8 000 fois davantage, enſuite 10 000 fois, & en dernier lieu 13 679 fois, & cela par ſa ſeule vertu expanſive, & ſans avoir recours au feu. Voyez Raréfaction.

C’eſt ſur ce principe que ſe règle la conſtruction & l’uſage du manomètre. Voyez Manomètre.

Il conclut de-là que l’air que nous reſpirons près de la ſurface de la terre, eſt condenſé par la compreſſion de la colonne ſupérieure en un eſpace au moins 13 679 fois plus petit que celui qu’il occuperoit dans le vide. Mais ſi ce même air eſt condenſé par art, l’eſpace qu’il occupera, lorſqu’il le ſera autant qu’il peut l’être, ſera à celui qu’il occupoit dans ce premier état de condenſation, comme 550 000 eſt à 1. Voyez Dilatation.

L’on voit par ces différentes expériences, qu’Ariſtote ſe trompe lorſqu’il prétend que l’air rendu dix fois plus rare qu’auparavant, change de nature, & devient feu.

M. Amontons & d’autres, comme nous l’avons déja obſervé, font dépendre la raréfaction de l’air du feu qu’il contient : ainſi, en augmentant le degré de chaleur, la raréfaction ſera portée bien plus loin qu’elle ne pourroit l’être par une dilatation ſpontanée. Voyez Chaleur.

De ce principe ſe déduit la conſtruction & l’uſage du thermomètre. Voyez Thermomètre.

M. Amontons eſt le premier qui ait découvert que plus l’air eſt denſe, plus, avec un même degré de chaleur, il ſe dilatera. Voyez Densité.

En conſéquence de cette découverte, cet habile académicien a fait un diſcours pour prouver que « le reſſort & le poids de l’air, joints à un degré de chaleur modéré, peuvent ſuffire pour produire même des tremblemens de terre, & d’autres commotions très-violentes de la nature. »

Suivant les expériences de cet auteur, & celles de M. de la Hire, une colonne d’air ſur la ſurface de la terre, de la hauteur de 36 toiſes, eſt égale au poids de trois lignes de mercure ; & des quantités égales d’air occupent des eſpaces proportionnels au poids qui les comprime. Ainſi le poids de l’air qui rempliroit tout l’eſpace occupé par le globe terreſtre, ſeroit égal à celui d’un cylindre de mercure, dont la baſe égaleroit la ſurface de la terre, & qui auroit en hauteur autant de fois trois lignes, que toute l’atmoſphère contient d’orbes égaux en poids à celui que nous avons ſuppoſé haut de 36 toiſes. Donc, en prenant le plus denſe de tous les corps, l’or par exemple, dont la gravité eſt environ 14 630 fois plus grande que celle de l’air que nous reſpirons ; il eſt aiſé de trouver par le calcul que cet air ſeroit réduit à la même denſité que l’or, s’il étoit preſſé par une colonne de mercure qui eût 14 630 fois 28 pouces de haut, c’eſt-à-dire, 409 640 pouces ; puiſque les denſités de l’air, en ce cas, ſeroient en raiſon directe des poids par leſquels elles ſeroient preſſées. Donc 409 640 pouces expriment la hauteur à laquelle le baromètre devroit être dans un endroit où l’air ſeroit auſſi peſant que l’or, & lignes d’épaiſſeur à laquelle ſeroit réduite, dans ce même endroit, notre colonne d’air de 36 toiſes.

Or, nous ſavons que 409 640 pouces ou 43 528 toiſes ne ſont que la 74e partie du demi-diamètre de la terre. Donc ſi, au lieu de notre globe terreſtre, on ſuppoſe un globe de même rayon, dont la partie extérieure ſoit de mercure à la hauteur de 43 538t & l’intérieur pleine d’air, tout le reſte de la ſphère dont le diamètre ſera de 6 451 538t. ſera rempli d’un air denſe, plus lourd par degré que les corps les plus peſans que nous ayons. Conſéquemment, comme il eſt prouvé que plus l’air eſt comprimé, plus le même degré de feu augmente la force de ſon reſſort, & le rend capable d’un effet d’autant plus grand ; & que, par exemple, la chaleur de l’eau bouillante augmente le reſſort de notre air au-delà de sa force ordinaire d’une quantité égale au tiers du poids avec lequel il eſt comprimé : nous en pouvons inférer qu’un degré de chaleur, qui dans notre orbe ne produiroit qu’un effet modéré, en produiroit un beaucoup plus violent dans un orbe inférieur ; & que, comme il peut y avoir dans la nature bien des degrés de chaleur au-delà de celle de l’eau bouillante, il peut y en avoir dont la violence, ſecondée du poids de l’air intérieur, ſoit capable de mettre en pièces tout le globe terreſtre. Mém. de l’Ac. R. de Sc. ann. 1703. Voyez Tremblement de terre.

La force élaſtique de l’air eſt encore une autre ſource très-féconde des effets de ce fluide. C’eſt en vertu de cette propriété qu’il s’inſinue dans les pores des corps, y portant avec lui cette faculté prodigieuſe qu’il a de ſe dilater, qui opère ſi facilement ; conſéquemment, il ne ſauroit manquer de cauſer des oſcillations perpétuelles dans les particules du corps auxquelles il ſe mêle. En effet, le degré de chaleur, la gravité & la denſité de l’air ; & conſéquemment ſon élaſticité & ſon expanſion ne reſtant jamais les mêmes pendant deux minutes de ſuite, il faut néceſſairement qu’il ſe faſſe dans tous les corps une vibration, ou une dilatation & contraction perpétuelles.

On obſerve ce mouvement alternatif dans une infinité de corps différens, & ſingulièrement dans les plantes dont les trachées des vaiſſeaux à air font l’office de poumons : car l’air qui y eſt contenu, ſe dilatant & ſe reſſerrant alternativement à meſure que la chaleur augmente ou diminue, contracte & relâche tour-à-tour les vaiſſeaux, & procure ainſi la circulation des fluides.

Auſſi la végétation & la germination ne ſe feroient-elles point dans le vide. Il eſt bien vrai qu’on a vu des fèves s’y gonfler un peu ; & quelques-uns ont cru qu’elles y végétoient : mais cette prétendue végétation n’étoit que l’effet de la dilatation de l’air qu’elles contenoient.

C’eſt par la même raiſon que l’air contenu en bulles dans la glace, la rompt par ſon action continuelle ; ce qui fait que ſouvent les vaiſſeaux caſſent quand la liqueur qu’ils contiennent eſt gelée. Quelquefois des blocs de marbre tout entiers ſe caſſent en hiver, à cauſe de quelque petite bulle d’air qui y eſt enfermée, & qui a acquis un accroiſſement d’élaſticité.

C’eſt le même principe qui produit la putréfaction & la fermentation : car rien ne fermentera ni ne pourrira dans le vide, quelque diſpoſition qu’il ait à l’un ou à l’autre.

Boerhaave dit qu’en réfléchiſſant ſur la prodigieuſe quantité de force que l’on pourroit communiquer à l’eau qui ſeroit au centre de la terre, il avoit trouvé, en ſuivant le calcul de Mariotte, qu’à la profondeur de 409 640 toiſes, le poids de l’air ſeroit égal à celui de l’or. Traité du Feu.

On a obſervé que le thermomètre, placé ſous le récipient de la machine pneumatique, deſcendoit de deux ou trois degrés lorſqu’on faiſoit le vide ; &. MM. Galéati & Cygna penſent que cet effet eſt dû à la dilatation du verre, lorſqu’il ceſſe d’être comprimé par l’air.

Pluſieurs phyſiciens, d’après M. Hales, ont ſoutenu que le feu conſommoit l’air, comme ſon aliment, ce qu’ils fondoient principalement ſur ce qu’une bougie allumée, enfermée ſous une cloche de verre, y laiſſoit un vide après ſon extinction ; mais l’auteur de cet article a fait voir, par pluſieurs expériences contre l’hypothèſe de l’abſorption de l’air de M. Hales, 1o. que le vide n’étoit dû qu’à l’état différent de raréfaction & de condenſation du volume d’air enfermé ſous la cloche, au moment où il a été ſéparé du reſte de l’atmoſphère, & au moment où il a ceſſé d’être dilaté par la flamme de la bougie ; tout de même que le vide qui ſe trouve dans le vaſe où on a enfermé un animal vivant, dès que le mouvement vital a ceſſé d’en raréfier l’air ; 2o. que l’extinction n’étoit pas due au défaut d’air, ni même au défaut d’air ſuffiſamment condenſé, mais au contraire à la ceſſation du mouvement oſcillatoire, mouvement néceſſaire pour retenir la flamme ſur ſon aliment, & favoriſer l’expanſion des matières qu’elle détache, lequel eſt inſenſiblement gêné & détruit, ſoit par le reflux des vapeurs fuligineuſes, ſoit parce que le fluide environnant devient trop denſe, au moyen de ce que l’effort de raréfaction dans un eſpace borné, équivaut à denſité. Mémoire de l’Académie de Dijon, tome I. C’eſt par le même principe que l’auteur explique le phénomène du charbon qui ne ſe conſume pas dans les vaiſſeaux clos, à quelque feu qu’on les expoſe.

V. L’air eſt une ſubſtance tranſparente ; c’eſt-à-dire, que la lumière la traverſe avec facilité, qu’elle y trouve un paſſage aiſé, & par conſéquent qu’on peut très-bien voir & diſtinguer les divers objets qui ſont ſéparés de l’œil du ſpectateur par une maſſe d’air intermédiaire, même d’une épaiſſeur conſidérable. En effet, nous voyons ſur terre un grand nombre d’objets ; placés à différentes diſtances de nous ; nous apercevons les planètes & les étoiles qui nous envoient des rayons de lumière, leſquels font une impreſſion ſuffiſante pour les diſcerner ſur l’organe de l’œil. Si la diſtance de quelques-uns de ces objets eſt trop grande pour pouvoir produire efficacement un effet, en empruntant le ſecours des lunettes & des téleſcopes, nous les découvrons très-bien ; ce qui démontre d’une manière déciſive que l’air eſt tranſparent, c’eſt-à-dire, qu’il donne paſſage à la lumière, comme l’eau, le verre, &c. qui ſont des ſubſtances tranſparentes par cette raiſon. Voyez Transparence.

L’air eſt encore ſans couleur ; car l’air n’a par lui-même aucune des couleurs priſmatiques ; il n’eſt pas rouge, ni orangé, jaune, bleu, indigo, violet ; il n’eſt pas blanc, ni noir, comme il eſt aiſé de s’en convaincre, en regardant une maſſe d’air quelconque contenue dans l’eau, dans le verre ou dans toute autre ſubſtance tranſparente, on ne lui trouvera aucune des couleurs, ni aucune nuance de couleur.

À la vérité, le ciel nous paraiſſant azuré, on ſeroit tenté de croire que cet effet dépend de l’air qui a cette couleur ; mais le contraire a été prouvé au mot Azurée auquel nous renvoyons.

D’ailleurs, ſi cette couleur étoit propre à l’air, on devroit la remarquer dans des maſſes aſſez conſidérables d’air, comme ſont celles à travers deſquelles nous pouvons faire, près de la terre, des expériences ; on devroit voir tous les objets teints d’une même couleur, de la couleur de l’air : & cet effet ſeroit le même que celui qui a lieu en conſidérant un objet à travers un verre coloré, par exemple, en bleu ou jaune, il paroîtroit teint de la couleur du verre.

L’air eſt donc inviſible ; car un objet n’eſt viſible qu’autant qu’il réfléchit toutes les eſpèces de rayons de lumière, ce qui forme le blanc, ou une eſpèce particulière de rayon, ce qui donne une couleur déterminée, ou pluſieurs eſpèces, d’où réſulte une couleur mixte ; mais l’air ne produit aucune de ces réflexions. Il n’abſorbe pas non plus tous les rayons de lumière, comme le noir qui eſt indirectement viſible par les contours éclairés qui l’environnent. D’un autre côté, cet air qui n’eſt point coloré, eſt parfaitement tranſparent, puiſqu’il n’eſt aucunement opaque ; il laiſſe tellement paſſer les rayons de lumière, qu’on ne diſcerne pas ceux qui peuvent être réfléchis par ſa ſurface, à cauſe du petit nombre de ces rayons, & de la grande ténuité de ſes molécules. Au contraire, l’eau & le verre étant imparfaitement tranſparens ; & conſéquemment en partie opaques, ſont viſibles par la réflexion des rayons de lumière qui ſont renvoyés par leur ſuperficie antérieure.

Si on veut rendre l’air indirectement viſible, on eſt obligé de le faire paſſer à travers une maſſe d’eau ; on l’aperçoit alors ſous forme de bulles : il ne devient, dans ce cas, ſenſible que comme le noir l’eſt pour nous, par la figure éclairée qui le circonſcrit ; ce n’eſt, ſi on peut s’exprimer ainſi, que par l’art des contraſtes qu’on le diſtingue.

VI. L’air eſt ſans odeur ni ſaveur. L’air pur n’a aucune odeur ; ſa préſence ne fait aucune impreſſion diſcernable ſur l’organe de l’odorat ; & on ne ſauroit aſſigner quelle eſt l’eſpèce d’odeur que l’air auroit en propre. Quand même il auroit une odeur, elle deviendroit bientôt nulle par rapport à nous, par l’habitude conſtante que nous en aurions. Si quelquefois nous apercevons dans l’air des odeurs, ſoit agréables, ſoit déſagréables, c’eſt que des émanations odoriférentes des plantes, ou des exhalaiſons plus ou moins méphitiques, altèrent la pureté de l’air, & font une impreſſion ſur le ſens de l’odorat ; mais ce n’eſt pas l’air par lui-même qui produit cet effet. L’air eſt donc abſolument inodore.

L’air en lui-même n’a pas non plus de ſaveur, car il eſt impoſſible de caractériſer la prétendue ſaveur qu’on voudroit accorder à l’air ; elle ne reſſemble à aucune des eſpèces connues : d’ailleurs, l’habitude de le reſpirer empêcheroit qu’on ne pût s’en apercevoir, s’il en avoit une. L’air eſt donc en lui-même inſapide ; & ſi quelquefois l’air d’une cuiſine paroît avoir une eſpèce de goût, il faut l’attribuer aux émanations des ſubſtances étrangères qui ont été volatiliſées, & qui ſont ou diſſoutes ou ſuſpendues dans ſa maſſe.

VII. L’air eſt une ſubſtance diſtincte des exhalaiſons & des vapeurs. On ne ſauroit diſconvenir que l’air ne contienne un grand nombre de vapeurs & d’exhalaiſons de toute eſpèce ; & que ſi l’air de l’atmoſphère avoit été d’abord un fluide ſimple, il n’eût, bientôt après ſon origine, renfermé dans ſon ſein une eſpèce d’extrait, ſi on peut parler ainſi, de toutes les ſubſtances fluides ou ſolides des trois règnes de la nature. La chaleur n’auroit pas tardé à faire évaporer dans l’air les fluides qui ſont ſur la terre, leſquels auroient entraîné un grand nombre de parties ſolides ; d’autres cauſes auroient encore concouru à produire ou à augmenter cet effet. Voyez ce qui a été dit ſur cet objet, à l’article Atmosphère terrestre, ſur la nature de la conſtitution & de la formation de l’atmoſphère terreſtre, au mot Atmosphère.

Mais ces différentes parties hétérogènes, contenues dans l’air de l’atmoſphère, ne ſont pas plus l’air lui-même, que le ſel diſſous dans l’eau, ou la terre ſuſpendue dans l’eau, ſont l’eau. Car ces ſubſtances ont une nature toute différente, elles produiſent des effets divers. On peut les ſéparer de l’air ; & bien loin que, dans ce cas, l’air ait perdu ſa nature, c’eſt qu’il en eſt plus pur, & bien plus propre à produire les effets qui le caractériſent. Si on mêle à l’air des exhalaiſons & des vapeurs, il eſt alors plus ou moins vicié, & devient enſuite incapable de jouir de ſes propriétés diſtinctives.

Lorſqu’on dépouille l’air des vapeurs qui le contenoient, on retrouve auſſitôt celles-ci ſous la forme d’eau. Suppoſons, par exemple, qu’on ait renfermé dans un grand ballon bien bouché de l’air contenant des vapeurs, & qu’on le tranſporte d’un air chaud dans un air froid, ou qu’on environne un peu de glace, une partie du ballon ou autre vaiſſeau de verre, on obſervera bientôt que les parois ſeront intérieurement mouillées d’une grande quantité de gouttes d’eau qui, après avoir ruiſſelé, ſe réuniront dans la partie la plus baſſe. Si enſuite on porte ce ballon, toujours bien bouché, dans un endroit chaud, on verra peu après ces gouttes d’eau ſe diſſoudre dans l’air, & devenir inviſibles. Dans ces deux expériences, on ne peut pas dire que l’eau ait été anéantie ou changée en air, ou réciproquement ; autrement il faudroit en dire autant du ſel que l’eau ſalée laiſſeroit précipiter au fond d’un vaſe qu’on refroidiroit, & qui ſeroit de nouveau diſſous lorſqu’on l’échaufferoit, ce qui eſt abſurde. Il eſt inutile de s’étendre davantage ſur cet objet, dont on a déja parlé au commencement de cet article, en traitant des caractères propres à reconnoître l’air.

VIII. L’air eſt une ſubſtance compoſée principalement de deux parties, dont l’une eſt éminemment reſpirable & propre à la combuſtion, & l’autre eſt abſolument impropre à ces deux fonctions.

[Quelques anciens ont conſidéré l’air comme un élément ; mais ils ne prenoient pas le mot élément dans le même ſens que nous. Voyez Élément.

Il eſt certain que l’air, pris dans ſa ſignification ordinaire, eſt très éloigné de la ſimplicité d’une ſubſtance élémentaire, quoiqu’il puiſſe avoir des parties qui méritent cette dénomination ; c’eſt pourquoi on peut diſtinguer l’air en air vulgaire ou hétérogène, & en propre ou élémentaire.

L’air vulgaire ou hétérogène eſt un aſſemblage de corpuſcules de différentes ſortes, qui toutes enſemble conſtituent une maſſe fluide dans laquelle nous vivons & nous nous mouvons, & que nous inſpirons & expirons alternativement. Cette maſſe totale eſt ce que nous appelons atmoſphère. Voyez Atmosphère.

À la hauteur où finit cet air ou atmoſphère, commence l’éther, ſelon quelques philoſophes. Voyez Éther & Réfraction.

Les ſubſtances hétérogènes dont l’air eſt compoſé, peuvent ſe réduire à deux ſortes ; ſavoir, 1o. la matière de la lumière ou du feu, qui émane perpétuellement des corps céleſtes. Voyez Feu. À quoi quelques phyſiciens ajoutent les émanations magnétiques de la terre, vraies ou prétendues. Voyez Magnétisme.

2o. Ce nombre infini de particules qui s’élèvent en forme de vapeurs ou d’exhalaiſons sèches de la terre, de l’eau, des minéraux, des végétaux, des animaux, &c. ſoit par la chaleur du ſoleil, ou par celle des feux ſouterrains, ou par celle des foyers. Voyez Vapeur & Exhalaison.

L’air élémentaire, ou air proprement dit, eſt une matière ſubtile, homogène & élaſtique, qui eſt la baſe, pour ainſi dire, & l’ingrédient fondamental, de tout l’air de l’atmoſphère, & qui lui donne ſon nom.]

Pour être inſtruit de ce qui regarde cet objet particulier, il eſt néceſſaire d’entrer dans des détails ſuffiſans, & de traiter expreſſément de ce que les modernes appellent analyſe de l’air atmoſphérique.

Analyſe de l’air atmosphérique, on a vu à l’article Atmosphère terrestre quelle étoit la compoſition & la conſtitution de l’atmoſphère ; c’eſt un mixte très-compoſé d’air proprement dit, & de toutes les ſubſtances qui peuvent s’évaporer, ſoit ſolides, ſoit fluides ; c’eſt un mélange d’air & de tous les gaz qui ſe ſont formés au degré de température & de preſſion exiſtantes, lors de l’origine de l’atmoſphère, & qui, depuis cette époque, ſe ſont formées ſucceſſivement. On y a prouvé que notre atmoſphère eſt un compoſé de la réunion de toutes les ſubſtances ſuſceptibles de demeurer dans l’état aériforme au degré habituel de température & de preſſion que nous éprouvons actuellement. Mais comme les différens gaz ont différentes gravités ſpécifiques, que les uns ſont plus peſans, & d’autres plus légers, & qu’il en eſt de même de pluſieurs autres ſubſtances, il en réſulte que la maſſe de l’air atmoſphérique eſt compoſée de différentes grandes couches de nature ſpécifiquement diverſe quoiqu’elles aient des rapports génériques ſemblables. Auſſi a-t-on reconnu que c’étoit une erreur de croire que l’air étoit plus pur à une grande élévation dans l’atmoſphère, le gaz inflammable qui a plus de légéreté ſpécifique que l’air ordinaire s’élevant au-deſſus de la baſſe région ; & pluſieurs bons phyſiciens ont obſervé que l’élévation moyenne entre deux ou trois cents toiſes au-deſſus du niveau de la mer, étoit celle où l’air étoit plus favorable à la ſanté ; & que l’air des montagnes élevées à plus de cinq ou ſix cents toiſes au-deſſus de la mer, étoit plus vicié que celui des plaines baſſes. Les couches atmoſphériques ſont donc de différente nature & de différente denſité en les conſidérant depuis la ſurface de la terre juſqu’aux confins de l’atmoſphère. Mais, quoiqu’il y ait entr’elles de la diverſité ſpécifique, nous pouvons regarder comme une maſſe de nature, à-peu-près homogène, celles qui s’étendent depuis la ſurface de la terre juſqu’à la plus grande hauteur à laquelle on ſoit encore parvenu, parce qu’un air plus ou moins pur (la variation étant renfermée dans des limites propres à la reſpiration) n’empêche pas que la nature de cet air ne ſoit à-peu-près homogène.

Ces obſervations préſuppoſées, il eſt à propos d’examiner quel eſt le nombre et quelle eſt la nature des fluides élaſtiques qui compoſent la couche inférieure de l’air atmoſphérique que nous habitons. Pour cet effet, il faut faire l’analyſe de cet air, de la même manière qu’on analyſe les ſubſtances dont on veut déterminer la nature des parties conſtituantes, c’est-à-dire, qu’il faut employer les deux moyens connus ſous le nom de compoſition & de décompoſition. Or, en ayant recours à cette double méthode, on trouvera que l’air atmoſphérique eſt formé de deux fluides élaſtiques, l’un reſpirable & l’autre qui ne l’eſt pas, le premier nommé air vital (ou air déphlogistiqué, gaz oxigène, &c.,) le ſecond mofette (gaz azote).

Cette aſſertion qui a l’air d’un paradoxe, demande d’être rigoureuſement prouvée, & c’eſt ce que nous allons faire par les expériences ſuivantes. M. Lavoiſier ayant pris un matras Α, figure 149, de 36 pouces cubiques environ de capacité, dont le col B C D E étoit courbé, afin de pouvoir engager ſous la cloche G ſon extrémité E, tandis que le matras ſeroit placé dans un fourneau M M N N, introduiſit dans ce matras quatre onces de mercure très-pur. La cloche F G étoit placée dans un bain de mercure R R S S. En ſuçant avec un ſyphon introduit ſous cette cloche par une extrémité, on vint à bout d’élever le mercure juſqu’en L L. On marqua enſuite exactement cette hauteur avec une bande de papier collé, & on obſerva en même temps le baromètre & le thermomètre. Après on alluma le feu dans le fourneau, & on l’entretint pendant douze heures ; de ſorte que le mercure fut échauffé juſqu’au degré néceſſaire pour le faire bouillir.

Le premier jour on obſerva quelques goutelettes de mercure qui tapiſſoient l’intérieur des vaiſſeaux & qui retombèrent enſuite, le ſecond jour on commença à voir nager ſur la ſurface du mercure de petites parcelles rouges qui, pendant quatre ou cinq jours, augmentèrent en nombre & en volume ; après quoi elles ceſſèrent de groſſir, & reſtèrent abſolument dans le même état. Au bout de douze jours, comme la calcination du mercure ne faiſoit plus aucun progrès, on éteignit le feu & on laiſſa refroidir les vaiſſeaux. Le volume de l’air contenu tant dans le matras que dans ſon col & ſous la partie vide de la cloche, réduit à une preſſion de 28 pouces & à 10 lignes du thermomètre, étoit, avant l’opération, de 50 pouces cubiques environ. L’opération étant finie, ce même volume, à preſſion & à température égales, ne ſe trouva plus que de 42 à 43 pouces. Il y avoit eu par conſéquent une diminution de volume d’un ſixième environ. D’un autre côté, on raſſembla ſoigneuſement les ſeules parcelles rouges, qui ſe trouvèrent d’un poids de 45 grains.

L’air reſtant après l’opération, & réduit au cinq ſixièmes de ſon volume, par la calcination du mercure, n’étoit plus propre à la reſpiration ni à la combuſtion ; car les animaux qu’on y introduiſoit, y périſſoient en peu d’inſtans, & les lumières s’y éteignoient ſur le champ.

D’un autre côté, les 45 grains de matière rouge formée pendant l’opération, furent introduits dans une très-petite cornue de verre à laquelle étoit adapté un appareil propre à recevoir les produits liquides & aériformes qui pouvoient ſe ſéparer. Le feu étant allumé dans le fourneau, on obſerva qu’à meſure que la matière rouge étoit échauffée, ſa couleur augmentoit d’intenſité. La cornue approchant enſuite de l’incandeſcence, la matière rouge commença à perdre peu-à-peu de ſon volume, & en quelques minutes elle diſparut entièrement ; en même temps il ſe condenſa dans le petit récipient 41 grains ½ de mercure coulant, & il paſſa ſous la cloche 7 à 8 pouces cubiques d’un fluide élaſtique, beaucoup plus propre que l’air de l’atmoſphère à entretenir la combuſtion & la reſpiration des animaux. Une bougie plongée dans cet air répandoit un éclat éblouiſſant, un charbon y brûloit avec une flamme très-brillante & avec décrépitation.

Cette expérience prouve donc que le mercure en ſe calcinant, abſorbe la partie ſalubre & reſpirable de l’air, ou plus exactement la baſe de cette partie reſpirable ; que la portion d’air qui reſte eſt une eſpèce de mofette, incapable d’entretenir la combuſtion & la reſpiration ; & conſéquemment elle démontre que l’air atmoſphérique eſt compoſé de deux fluides élaſtiques de nature différente, & pour ainſi dire, oppoſée.

Une autre preuve de cette importante vérité, c’eſt qu’en recombinant les deux fluides élaſtiques qu’on a ainſi obtenus ſéparément, c’eſt-à-dire, les quarante-deux pouces cubiques de mofette, ou air non reſpirable, & les huit pouces cubiques d’air reſpirable, on reforme de l’air, en tout ſemblable à celui de l’atmoſphère, & qui eſt propre à-peu-près au même dégré, à la combuſtion, à la calcination des métaux & à la reſpiration des animaux. La proportion de ces deux airs qui compoſent l’air atmoſphérique, eſt ainſi qu’on l’a prouvé dans le rapport de 73 à 27, au moins pour les climats que nous habitons.

On remarquera, avec M. Lavoiſier, 1o. que l’affinité du mercure pour la base de la partie reſpirable de l’air, n’eſt pas aſſez grande pour qu’elle puiſſe vaincre entièrement les obſtacles qui s’oppoſent à cette combinaiſon ; obſtacles qui ſont l’adhérence des deux fluides conſtitutifs de l’air de l’atmoſphère, & la force d’affinité qui unit la baſe de l’air vital au calorique. C’eſt pourquoi la calcination du mercure finie, ou au moins portée auſſi loin qu’elle peut l’être, dans une quantité d’air déterminée, il reſte encore un peu d’air reſpirable combiné avec la mofette, le mercure ne pouvant en ſéparer cette dernière portion.

On remarquera encore, 2o. que puiſqu’il y a décompoſition de l’air dans la calcination du mercure, & puiſqu’il y a fixation & combinaiſon de la baſe de la partie reſpirable avec le mercure, il y a dégagement de calorique & de lumière, quoiqu’on ne l’apperçoive pas. Deux cauſes empêchent que ce dégagement ne ſoit ſenſible dans l’expérience précédente. La première, parce que la calcination, durant pendant pluſieurs jours, le dégagement de chaleur & de lumière, réparti ſur un auſſi long intervalle de temps, eſt infiniment foible pour chaque inſtant en particulier ; la ſeconde, parce que l’opération ſe faiſant dans un fourneau & à l’aide du feu, la chaleur, occaſionnée par la calcination, ſe confond avec celle du fourneau. On peut même ajouter que la partie reſpirable de l’air ou plutôt ſa baſe, en ſe combinant avec le mercure, n’abandonne pas la totalité du calorique qui lui étoit uni, qu’une partie demeure engagée dans la nouvelle combinaiſon.

On peut cependant rendre ſenſible le dégagement de la chaleur & de la lumière, en opérant d’une manière plus prompte la décompoſition de l’air, & en employant le fer, qui a beaucoup plus d’affinité que le mercure avec la baſe de la partie reſpirable de l’air. Pour cet effet, on remplit une cloche Α, figure 150, de ſix pintes environ de capacité, d’air vital (ou air pur, gaz oxigène) ; on tranſporte cette cloche ſur un bain de mercure contenu dans le baſſin B C ; & on ſèche ſoigneuſement, avec du papier gris, la ſurface du mercure, tant dans l’intérieur qu’à l’extérieur de la cloche. Après on met dans une petite capſule de porcelaine D, plate & évaſée, de petits copeaux de fer tournés en ſpirale. À l’extrémité d’un de ces copeaux, on attache un petit morceau d’amadou, auquel il faut ajouter un fragment de phoſphore, qui pèſe à peine un ſeizième de grain. La capſule a été introduite ſous la cloche, en ſoulevant un peu cette dernière. (La petite portion d’air commun, introduite de cette manière, ne nuit point au ſuccès de l’expérience.) On ſuce enſuite une partie de l’air contenu dans la cloche Α, afin d’élever le mercure dans ſon intérieur juſqu’en E F ; & on ſe ſert pour cela d’un ſiphon G H I, qu’on paſſe par-deſſous, & afin qu’il ne ſe rempliſſe pas de mercure, on tortille un petit morceau de papier à ſon extrémité.

Tout étant ainſi préparé, on fait rougir au feu un fer recourbé, qu’on paſſe par-deſſous la cloche ; & avant qu’il ait eu le temps de ſe refroidir, on l’approche du petit morceau de phoſphore contenu dans la capſule D. Auſſitôt le phoſphore s’allume, communique ſon inflammation à l’amadou, & celui-ci au fer. Quand les copeaux ont été bien arrangés, tout le fer brûle juſqu’au dernier atome, en répandant une lumière blanche, brillante, & ſemblable à celle qu’on obſerve dans les étoiles d’artifice chinois. « La grande chaleur qui s’opère pendant cette combuſtion, liquéfie le fer, & il tombe en globules ronds de groſſeur différente, dont le plus grand nombre reſte dans la capſule, & dont quelques-uns ſont lancés au-dehors, & nagent ſur la ſurface du mercure. Dans le premier inſtant de la combuſtion, il y a une légère augmentation dans le volume de l’air, en raiſon de la dilatation occaſionnée par la chaleur ; mais bientôt, une diminution rapide ſuccède à la dilatation ; le mercure remonte dans la cloche : & lorſque la quantité de fer eſt ſuffiſante, & que l’air avec lequel on opère eſt bien pur, on parvient à l’abſorber preſqu’en entier. » On obſervera qu’il eſt bon de ne brûler qu’un gros & demi de fer ſous une cloche de huit pintes de capacité, de crainte que ſi on vouloit pouſſer l’expérience trop loin, & abſorber preſque tout l’air, la capſule D qui nage ſur le mercure, ſe rapprochant trop de la voûte de la cloche, la grande chaleur, jointe au refroidiſſement ſubit occaſionné par le contact du mercure, ne fît éclater le verre.

En détachant enſuite les globules de fer qui ſont contenus dans la capſule, on trouve que le fer eſt dans l’état d’éthiops martial ; il a une ſorte de brillant métallique ; il eſt très-caſſant, très-friable, & ſe réduit en poudre ſous le marteau & ſous le pilon. Lorſque l’opération a bien réuſſi, avec cent grains de fer, on obtient 135 à 136 grains d’éthiops. On peut donc compter ſur une augmentation de poids au moins de 35 livres par quintal. D’un autre côté, l’air ſe trouve diminué d’une quantité en poids exactement égale à celle dont le fer eſt augmenté ; & ſi on a brûlé cent grains de fer, & que l’augmentation de poids que ce métal a acquiſe, ait été de 35 grains, la diminution du volume eſt aſſez exactement de 70 pouces cubiques, à raiſon d’un demi-grain par pouce. Le poids de l’air vital eſt en effet aſſez exactement d’un demi-grain par pouce cube.

On remarquera que, dans cette expérience, comme dans toutes celles du même genre, il faut ramener par le calcul le volume de l’air, au commencement & à la fin de l’expérience, à celui qu’on auroit eu à dix degrés du thermomètre, & à une preſſion de 28 pouces. Voyez les élémens de chimie de M. Lavoiſier, d’où on a extrait la plus grande partie de cette analyſe de l’air.

On peut également opérer la compoſition de l’air, en empruntant de différens règnes, les matériaux qui doivent le former. On ſait que lorſqu’on diſſout des matières animales dans de l’acide nitrique, il ſe dégage une grande quantité d’un air qui éteint les lumières, qui eſt nuiſible pour les animaux, & qui eſt en tout ſemblable à la partie non reſpirable de l’air de l’atmoſphère. Si à 73 parties de ce fluide élaſtique, on en ajoute 27 d’air vital tiré du mercure, réduit en chaux rouge par la calcination, on forme un fluide élaſtique parfaitement ſemblable à celui de l’atmoſphère, & qui en a toutes les propriétés. Voyez Azote, Gaz azote ; & Gaz oxigène.

L’air de l’atmoſphère eſt donc principalement compoſé de deux fluides aériformes ou gaz ; l’un reſpirable, ſuſceptible d’entretenir la vie des animaux, dans lequel les métaux ſe calcinent & les corps combuſtibles peuvent brûler ; l’autre qui a des propriétés abſolument oppoſées. La baſe de la portion reſpirable de l’air a été nommée Oxygène, de deux mots grecs εξυς acide, & γείνομαι, j’engendre, parce qu’en effet une des propriétés les plus générales de cette baſe, eſt de former des acides, en ſe combinant avec la plupart des ſubſtances. La réunion de cette baſe avec le calorique a été nommée gaz oxygène. Sa peſanteur dans cet état eſt aſſez exactement d’un demi-grain, poids de marc, par pouce cube, ou d’une once & demie par pied cube, le tout à 10 degrés de température, & à 28 pouces du baromètre.

Le nom de la baſe de la portion non reſpirable de l’air de l’atmoſphère, a été tiré de la propriété, qu’a ce gaz, de priver de la vie les animaux qui le reſpirent : on l’a donc appellé azote de l’α privatif des Grecs, & de ζωη, vie ; & on a nommé gaz azotique, la partie non-reſpirable de l’air. Sa peſanteur eſt d’une once, 2 gros 48 grains le pied cube, ou de 0 grain 4444 le pouce cube.

On a dit que l’air de l’atmoſphère eſt principalement compoſé de deux fluides aériformes, parce que pluſieurs prétendent qu’il contient une partie très-peu conſidérable de Gaz fixe, ou Gaz acide carbonique. Voyez ce mot. Selon eux, l’air atmoſphérique contient

Air vital 27
Gaz fixe 1
Gaz azotique 72
Total 100

IX. L’air eſt répandu par-tout. Si l’air eſt fluide, s’il eſt peſant & élaſtique, s’il eſt ſuſceptible conſéquemment de compreſſion & de dilatation, ſi tous les corps ſont poreux, & ſi ces pores ſont, par la chaleur & le froid, ſuſceptibles d’être augmentés ou diminués de capacité, il eſt abſolument néceſſaire que la ſubſtance aérienne ſoit répandue par-tout, dans les grands comme dans les petits eſpaces : dans les intervalles conſidérables que laiſſent les corps ſublunaires, de même que dans les petits vacuoles qui ſont dans leur ſubſtance ou au moins dans les pores de leur ſuperficie. Ainſi, dans les grandes cavités de la terre, dans les différentes capacités des végétaux & des animaux, dans les pores extérieurs des minéraux, l’air ſe trouve renfermé ou contenu. On peut prouver cette vérité par voie d’expériences, par l’extraction de l’air de ces différens corps, ſoit ſolides, ſoit fluides, & en ayant recours à divers procédés, ſavoir, à la machine pneumatique, à la chaleur, à la congélation & à une diviſion, opérée de différentes façons par les diſſolutions, les efferveſcences, les fermentations, &c.

D’abord, il eſt certain que ſi on met de l’eau, même la plus pure, dans un vaſe, & qu’on place celui-ci ſous le récipient de la machine pneumatique, dès qu’on fait le vide, on voit l’air ſortir du ſein de l’eau, ſous la forme d’une infinité de petits globules qui viennent crever à ſa ſurface. Il en eſt de même de la plûpart des autres liqueurs.

Je conviens que ſi on ſoumet à cette épreuve, par exemple, de la bierre, on retirera beaucoup de gaz fixe, & ainſi des autres liqueurs analogues ; mais ces liqueurs, outre les divers fluides aériformes qu’elles renferment, contiennent auſſi de l’air ; & la preſſion de l’atmoſphère qu’on leur ſupprime dans le vide, permet à l’air, auſſi bien qu’aux fluides aériformes, de ſe dégager par l’élaſticité & l’expanſibilité dont-ils ſont doués. En un mot, il n’eſt aucun fluide qui ne renferme, entre ſes diverſes parties, de l’air ou des ſubſtances aériformes.

Les corps ſolides, tels que les fruits, les bois, les écorces & les divers végétaux ou parties de végétaux, montrent, aux yeux mêmes, les différentes portions qu’elles contenoient, lorſqu’on les ſoumet à la même épreuve, c’eſt-à-dire, lorſqu’on les place dans un vaſe contenant de l’eau, ſous le récipient d’une machine pneumatique miſe en jeu.

Les animaux recèlent dans leurs grandes & petites cavités une quantité d’air plus ou moins grande, & perſonne n’en doute. Mais les matières animales, même les plus dures, en laiſſent échapper une quantité conſidérable, lorſqu’on emploie la machine pneumatique. Un œuf, même frais, mis avec de l’eau dans un vaſe, des cartilages, des os, &c. en fourniſſent beaucoup ſous le récipient de la même machine dont on fait jouer la pompe.

Les ſels, le ſucre, les terres & beaucoup d’autres minéraux préſentent le même phénomène. Il n’eſt pas juſqu’aux métaux qui n’en laiſſent dégager quelques petites parcelles de leurs pores extérieurs ; car leur nombre diminue, lorſqu’on les a lavés dans l’eau & qu’on les a fait chauffer. Ces moyens doivent être employés parce que l’air a une adhérence avec la ſurface de tous les corps, à plus forte raiſon avec la ſuperficie des pores.

En un mot, la diminution de preſſion de l’atmoſphère qu’on opère, en faiſant agir la machine pneumatique, permet à l’air contenu dans tous les corps, & à raiſon de ſon élaſticité, de ſortir des diverſes cavités qui le receloient.

On voit à préſent la raiſon pour laquelle on rend des vents, après qu’on a mangé pluſieurs ſubſtances végétales qui contiennent une plus grande quantité d’air ou de ſubſtances aériformes ; pourquoi les carminatifs produiſent le même effet, c’eſt plutôt parce qu’ils renferment beaucoup de ſubſtance aériforme, que parce qu’ils ont la propriété de chaſſer un air ſurabondant à l’économie animale ; pourquoi les alimens cuits ſurchargent moins l’eſtomac et donnent moins de coliques que ceux qui ſont crûs ; la chaleur étant un moyen d’expulſer une grande partie d’air ou de fluides aériformes.

La chaleur dégage bien plus facilement l’air des ſubſtances liquides ou ſolides qui y ſont expoſées ; & ce moyen rend bien plus efficace tout autre procédé ; parce que la chaleur dilatant l’air, augmente ſon élaſticité & ſon volume, & force l’air à ſortir des cavités où il étoit en quelque ſorte empriſonné.

La congélation qui concentre les liqueurs, concentre de même en quelque ſorte l’air, en le réuniſſant dans un plus grand eſpace : ainſi, l’eau qui s’eſt tranſformée en glace, préſente de grands intervalles remplis d’air qui y étoit auparavant diſſéminé dans une infinité de petits vacuoles.

Toute diviſion mécanique ou chimique, les diſſolutions, les efferveſcences, les fermentations, &c. facilitant à l’air contenu dans les corps de s’en échapper, ſont conſéquemment des moyens de prouver que l’air eſt contenu ou répandu dans tous les corps.

À l’article Eau, nous traiterons plus particulièrement de l’air contenu dans l’eau.

Non ſeulement l’air eſt répandu par-tout, mais il adhère encore à tous les corps : cette vérité eſt établie ſur un grand nombre d’expériences qu’on peut voir au mot Adhérence. Une aiguille de fer ou d’acier placée horiſontalement ſur l’eau, ſe ſoutient ſur la ſurface de ce fluide, quoique le fer ſoit huit cents fois plus peſant que l’eau. Il en eſt de même des aiguilles d’or, d’argent, de cuivre & de tout autre métal, & de tout autre corps. Ce phénomène, qui paroît oppoſé aux lois de l’hydroſtatique, y eſt réellement conforme, parce que l’aiguille de métal ne repoſe ſur l’eau que par le milieu de ſa partie inférieure, & que, par ſes côtés, les particules d’air qui y adhèrent, forment une eſpèce de gondole aérienne qui rend la totalité de ce ſyſtême de corps plus léger qu’un égal volume d’eau qui lui répond. Auſſi, lorſqu’on mouille l’aiguille, & qu’on chaſſe par-là l’air adhérent, voit-on cette aiguille tomber auſſitôt au fond de l’eau. Cette expérience, variée de différentes manières, a toujours le même ſuccès ; car des feuilles d’or, de cuivre ou d’autres métaux très-minces, non-ſeulement ſe ſoutiennent ſur l’eau, à cauſe des molécules d’air qui adhèrent à leur ſurface inférieure & à leurs côtés, mais encore elles remontent à la ſuperficie de l’eau, lorſqu’on les a plongées dans ce fluide. M. Petit, de l’académie de Paris, ayant chiffonné ces feuilles & diminué par-là leur ſurface, & conſéquemment le volume d’air qui adhéroit à la ſuperficie en contact avec l’eau, obſerva que ces feuilles tomboient au fond de l’eau, quoique leur poids n’eût pas augmenté.

X. L’air environne le globe de la terre juſqu’à une hauteur conſidérable. En effet, quelque part que nous allions ſur la ſurface de la terre, du midi au ſeptentrion, & de l’orient à l’occident, ſoit que nous deſcendions dans les grottes les plus profondes, ſoit que nous montions ſur les montagnes les plus élevées, que nous nous élevions dans les aéroſtats les plus légers, par-tout nous ſommes environnés d’un air plus ou moins propre à la reſpiration.

Dans l’article Atmosphère terrestre, on a traité de la formation de cet air atmoſphérique, de ſa conſtitution, du poids de l’atmoſphère, de la preſſion qu’elle exerce ſur les différentes ſurfaces des corps, de ſa hauteur, &c. des ſubſtances diverſes qui y ſont dans un état de mélange, ou bien dans un état de compoſition, &c. &c.

La définition ou deſcription de l’air, que nous avons donnée au commencement de cet article, étant ſuffiſamment développée & prouvée, il faut examiner maintenant ſi l’air a une grande influence dans les opérations de la nature.

XI. L’air eſt le principal inſtrument de la nature dans toutes ſes opérations ſur la ſurface de la terre & dans ſon intérieur.

Aucun végétal, ni animal terreſtre ou aquatique, ne peut être produit, vivre ou croître ſans air. Les œufs ne ſauroient éclorre dans le vide. L’air entre dans la compoſition de tous les fluides, comme le prouvent les grandes quantités d’air qui en ſortent. Le chêne en fournit un tiers de ſon poids ; les pois autant ; le blé de Turquie, un quart, &c. Voyez la Statique des végétaux de M. Hales.

L’air produit en particulier divers effets ſur le corps humain, ſuivant qu’il eſt chargé d’exhalaiſons, & qu’il eſt chaud, froid ou humide. En effet, comme l’uſage de l’air eſt inévitable, il eſt certain qu’il agit à chaque inſtant ſur la diſpoſition de nos corps. C’eſt ce qui a été reconnu par Hippocrate, & par Sydenham, l’Hippocrate moderne, qui nous a laiſſé des épidémies écrites ſur le modèle de celle du prince de la Médecine, contenant une hiſtoire des maladies aiguës, en tant qu’elles dépendent de la température de l’air. Quelques ſavans médecins d’Italie & d’Allemagne ont marché ſur les traces de Sydenham ; & une ſociété de médecins d’Edimbourg ſuit actuellement le même plan. Le célèbre M. Clifton nous a donné l’hiſtoire des maladies épidémiques, avec un journal de la température de l’air par rapport à la ville d’Yorck, depuis 1715 juſqu’en 1725. À ces ouvrages il faut joindre l’eſſai ſur les effets de l’air, par M. Jean Arbuthnot.

L’air rempli d’exhalaiſons animales, particulièrement de celles qui ſont corrompues, a ſouvent cauſé des fièvres peſtilentielles. Les exhalaiſons du corps humain ſont ſujettes à la corruption. L’eau où l’on s’eſt baigné acquiert, par le ſéjour, une odeur cadavéreuſe. Il eſt démontré que moins de 3 000 hommes placés dans l’étendue d’un arpent de terre, y formeroient de leur propre tranſpiration, dans 34 jours une atmoſphère d’environ 71 pieds de hauteur, laquelle n’étant point diſſipée par les vents, deviendroit peſtilentielle en un moment. D’où l’on peut inférer que la première attention en bâtiſſant des villes, eſt qu’elles ſoient bien ouvertes, les maiſons point trop hautes, & les rues bien larges. Des conſtitutions peſtilentielles de l’air ont été quelquefois précédées de grands calmes. L’air des priſons cauſe ſouvent des maladies mortelles : auſſi le principal ſoin de ceux qui ſervent dans les hôpitaux, doit être de donner un libre paſſage à l’air. Les parties corruptibles des cadavres enſevelis ſous terre, ſont emportées, quoique lentement, dans l’air ; & il ſeroit à ſouhaiter qu’on s’abſtînt d’enterrer dans les égliſes, & que tous les cimetières fuſſent hors des villes en plein air.

On peut juger de là, que dans les lieux où il y a beaucoup de monde aſſemblé, comme aux ſpectacles, l’air s’y remplit en peu de temps de quantité d’exhalaiſons animales très-dangereuſes par leur prompte corruption. Au bout d’une heure on ne reſpire plus que des exhalaiſons humaines ; on admet dans ſes poumons un air infecté ſorti de mille poitrines, & rendu avec tous les corpuſcules qu’il a pu entraîner de l’intérieur de toutes ces poitrines, ſouvent corrompues & puantes.

L’air extrêmement chaud peut réduire les ſubſtances animales à un état de putréfaction. Cet air eſt particulièrement nuiſible aux poumons. Lorſque l’air extérieur eſt de pluſieurs degrés plus chaud que la ſubſtance du poumon, il faut néceſſairement qu’il détruiſe & corrompe les fluides & les ſolides, comme l’expérience le vérifie. Dans une rafinerie de ſucre, où la chaleur étoit de 146 degrés, c’eſt-à-dire de 54 au-delà de celle du corps humain, un moineau mourut dans 2 minutes, & un chien en 28 ; mais ce qu’il y eut de plus remarquable, c’eſt que le chien jetta une ſalive corrompue, rouge & puante. En général, perſonne ne peut vivre long-temps dans un air plus chaud que ſon propre corps.

Le froid condenſe l’air proportionnellement à ſes degrés. Il contracte les fibres animales & les fluides, auſſi loin qu’il les pénètre ; ce qui eſt démontré par les dimenſions des animaux, réellement moindres dans le froid que dans le chaud. Le froid extrême agit ſur le corps en manière d’aiguillon, produiſant d’abord un picotement, & enſuite un léger degré d’inflammation, cauſé par l’irritation & le reſſerrement des fibres. Ces effets ſont bien plus conſidérables ſur le poumon, où le ſang eſt beaucoup plus chaud & les membranes très-minces. Le contact de l’air froid entrant dans ce viſcère, ſeroit inſupportable, ſi l’air chaud en étoit entièrement chaſſé par l’expiration. L’air froid reſſerre les fibres de la peau ; & refroidiſſant trop le ſang dans les vaiſſeaux, arrête quelques-unes des parties groſſières de la tranſpiration, & empêche quantité de ſels du corps de s’évaporer. Faut-il s’étonner que le froid cauſe tant de maladies ? Il produit le ſcorbut avec les plus terribles ſymptômes, par l’irritation & l’inflammation des parties qu’il reſſerre. Le ſcorbut eſt la maladie des pays froids, comme on le peut voir dans les journaux de ceux qui ont paſſé l’hiver dans le Groënland & dans d’autres régions froides. On lit dans les voyages de Martens & du capitaine Wood, que les Anglois ayant paſſé l’hyver en Groënland, eurent le corps ulcéré & rempli de veſſies ; que leurs montres s’arrêtèrent ; que les liqueurs les plus fortes ſe gelèrent, & que tout ſe glaçoit même au coin du feu. M. Formey.

L’air humide produit le relâchement dans les fibres animales & végétales. L’eau qui s’inſinue par les pores du corps, en augmente les dimenſions ; c’eſt ce qui fait qu’une corde de violon mouillée baiſſe en peu de temps. L’humidité produit le même effet ſur les fibres des animaux. Un nageur eſt plus abatu par le relâchement des fibres de ſon corps, que par ſon exercice. L’humidité facilite le paſſage de l’air dans les pores. L’air paſſe aiſément dans une veſſie mouillée. L’humidité affoiblit l’élaſticité de l’air ; ce qui cauſe le relâchement des fibres en temps de pluie. L’air ſec produit le contraire. Le relâchement des fibres dans les endroits où la circulation du ſang eſt imparfaite, comme dans les cicatrices & dans les parties luxées ou contuſes, cauſe de grandes douleurs.

Un des exemples de l’efficacité merveilleuſe de l’air, c’eſt qu’il peut changer les deux règnes, l’animal & le végétal, l’un en l’autre.

En effet, il paroît que c’eſt de l’air que procède toute la corruption naturelle & l’altération des ſubſtances ; & les métaux, & ſinguliérement l’or, ne ſont durables & incorruptibles que parce que l’air ne les ſauroit pénétrer. C’eſt la raiſon pourquoi on a vu des noms écrits dans le ſable ou dans la pouſſiére ſur de hautes montagnes, ſe lire encore bien diſtinctement au bout de quarante ans, ſans avoir été aucunement défigurés ou effacés.

Quoique l’air ſoit un fluide fort délié, il ne pénètre pourtant pas toutes ſortes de corps. Il ne pénètre pas, comme nous venons de dire, les métaux : il en eſt même quelques-uns qu’il ne pénètre pas, quoique leur épaiſſeur ne ſoit que de de pouce ; il paſſeroit à-travers le plomb, s’il n’étoit battu à coups de marteau : il ne traverſe pas non plus le verre, ni les pierres dures & ſolides, ni la cire, ni la poix, la réſine, le ſuif & la graiſſe ; mais il s’inſinue dans toutes ſortes de bois, quelque durs qu’ils puiſſent être. Il paſſe à-travers le cuir ſec de brebis, de veau, le parchemin ſec, la toile sèche, le papier blanc, bleu ou gris, & une veſſie de cochon tournée à l’envers ; mais lorſque le cuir, le papier, le parchemin ou la veſſie, ſe trouvent pénétrés d’eau, ou imbibés d’huile ou de graiſſe, l’air ne paſſe plus alors à-travers : il pénètre auſſi bien plus facilement le bois ſec que celui qui eſt encore vert ou humide. Cependant, lorſque l’air eſt dilaté juſqu’à un certain point, il ne paſſe plus alors à travers les pores de toutes ſortes de bois.

Venons aux effets que les différentes ſubſtances mêlées dans l’air produiſent ſur les corps inanimés. L’air n’agit pas uniquement en conſéquence de ſa peſanteur & de ſon élaſticité ; il a encore une infinité d’autres effets, qui réſultent des différens ingrédiens qui y ſont confondus.

Ainſi, 1o. non-ſeulement il diſſout & atténue les corps par ſa preſſion & ſon froiſſement, mais auſſi comme étant un chaos qui contient toutes ſortes de menſtrues, & qui conſéquemment trouve partout à diſſoudre quelque ſorte de corps. Voyez Dissolution.

On ſait que le fer & le cuivre ſe diſſolvent aiſément & ſe rouillent à l’air, à moins qu’on ne les garantiſſe en les enduiſant d’huile. Boerhaave aſſure avoir vu des barres de fer tellement rongées par l’air, qu’on les pouvoit mettre en poudre ſous les doigts. Pour le cuivre, il ſe convertit à l’air en une ſubſtance à-peu-près ſemblable au vert-de-gris qu’on fait avec le vinaigre. Voyez Fer, Cuivre, Vert-de-gris, Rouille, &c.

M. Boyle rapporte que, dans les régions méridionales de l’Angleterre, les canons ſe rouillent ſi promptement, qu’au bout de quelques années qu’ils ſont reſtés expoſés à l’air, on en enlève une quantité conſidérable de crocus de Mars.

Acoſta ajoute que, dans le Pérou, l’air diſſout le plomb, & le rend beaucoup plus lourd ; cependant l’or paſſe généralement pour ne pouvoir être diſſous par l’air, parce qu’il ne contracte jamais de rouille, quelque long-temps qu’on l’y laiſſe expoſé. La raiſon en eſt que le ſel marin, qui eſt le ſeul menſtrue capable d’agir ſur l’or, étant très-difficile à volatiliſer, il n’y en a qu’une très-petite quantité dans l’air, à proportion des autres ſubſtances. Dans les laboratoires de chimie, où l’on prépare l’eau régale, l’air étant imprégné d’une grande quantité de ce ſel, l’or y contracte de la rouille comme les autres métaux. Voyez Or, &c.

Les pierres même ſubiſſent le ſort commun aux métaux : ainſi, en Angleterre, on voit s’amollir & tomber en pouſſière la pierre de Purbec, dont eſt bâtie la cathédrale de Salisbury ; & M. Boyle dit la même choſe de la pierre de Blacaington.

Il ajoute que l’air travaille conſidérablement ſur le vitriol, même lorſque le feu n’a plus à y mordre. Le même auteur a trouvé que les fumées d’une liqueur corroſive agiſſoient plus promptement & plus manifeſtement ſur un métal expoſé à l’air, que ne faiſoit la liqueur elle-même ſur le même métal qui n’étoit pas en plein air.

2o. L’air volatiliſe les corps fixes : par exemple, ſi l’on calcine du ſel, & qu’on le fonde enſuite, qu’on le ſèche & qu’on le refonde encore, & ainſi de ſuite pluſieurs fois, à la fin il ſe trouvera tout-à-fait évaporé, & il ne reſtera au fond du vaſe qu’un peu de terre. Voyez Volatil, Volatilisation, &c.

Van-Helmont fait un grand ſecret de chimie de volatiliſer le ſel fixe de tartre ; mais l’air tout ſeul ſuffit pour cela : car ſi l’on expoſe un peu de ce ſel à l’air, dans un endroit rempli de vapeurs acides, le ſel tire à lui tout l’acide ; & quand il s’en eſt ſoûlé, il ſe volatiliſe.

3o. L’air fixe auſſi les corps volatils : ainſi, quoique le nitre ou l’eau-forte s’évaporent promptement au feu, cependant, s’il y a près du feu de l’urine putréfiée, l’eſprit volatil ſe fixera & tombera au fond.

4o. Ajoutez que l’air met en action les corps qui ſont en repos, c’eſt-à-dire, qu’il excite leurs facultés cachées. Si donc il ſe répand dans l’air une vapeur acide, tous les corps dont cette vapeur eſt le menſtrue, en étant diſſous, ſont mis dans un état propre à l’action. Voyez Acide, &c.

En chimie, il n’eſt point-du-tout indifférent qu’un procédé ſe faſſe à l’air ou hors de l’air, ou même à un air ouvert, ou à un air enfermé. Ainſi le camphre brûlé dans un vaiſſeau fermé, ſe met tout en ſel ; au lieu que ſi, pendant le procédé, on découvre le vaiſſeau, & qu’on en approche une bougie, il ſe diſſipera tout en fumée. De même, pour faire du ſoufre inflammable, il faut un air libre. Dans une cucurbite fermée, on pourroit le ſublimer juſqu’à mille fois, ſans qu’il prît feu. Si l’on met du ſoufre ſous une cloche de verre avec du feu deſſous, il s’y élèvera un eſprit de ſoufre ; mais s’il y a la moindre fente à la cloche par-où l’air enfermé puiſſe avoir communication avec l’air extérieur, le ſoufre s’enflammera auſſitôt. Une once de charbon de bois enfermée dans un creuſet bien luté, y reſtera ſans déchet, pendant quatorze ou quinze jours, à la chaleur d’un fourneau toujours au feu, tandis que la millième partie du feu qu’on y a conſumé, l’auroit mis en cendres dans un air libre. Van-Helmont ajoute que, pendant tout ce temps-là, le charbon ne perd pas même ſa couleur noire ; mais que s’il s’y introduit un peu d’air il tombe auſſitôt en cendres blanches. Il faut dire la même choſe de toutes les ſubſtances animales & végétales, qu’on ne ſauroit calciner qu’à feu ouvert, & qui, dans des vaiſſeaux fermés, ne peuvent être réduits qu’en charbons noirs.

L’air peut produire une infinité de changemens dans les ſubſtances, non-ſeulement par rapport à ſes propriétés mécaniques, ſa gravité, ſa denſité, &c. mais auſſi à cauſe des ſubſtances hétérogènes qui y ſont mêlées. Par exemple, dans un endroit où il y a beaucoup de marcaſſites, l’air eſt imprégné d’un ſel vitriolique mordicant, qui gâte tout ce qui eſt ſur terre en cet endroit, & ſe voit ſouvent à terre en forme d’effloreſcence blanchâtre. À Fahlun en Suède, ville connue par ſes mines de cuivre, qui lui ont fait auſſi donner le nom de Copperberg, les exhalaiſons minérales affectent l’air ſi ſenſiblement, que la monnoie d’argent & de cuivre qu’on a dans la poche, en change de couleur. M. Boyle apprit d’un bourgeois qui avoit du bien dans cet endroit, qu’au-deſſus des veines de métaux & de minéraux qui y ſont, on voyoit ſouvent s’élever des eſpèces de colonnes de fumée, dont quelques-unes n’avoient point-du-tout d’odeur, d’autres en avoient une très-mauvaiſe, & quelques-unes en avoient une agréable. Dans la Carniole, & ailleurs, où il y a des mines, l’air devient de temps en temps fort mal-ſain ; d’où il arrive de fréquentes maladies épidémiques, &c. Ajoutons que les mines qui ſont voiſines du cap de Bonne-Eſpérance, envoient de ſi horribles vapeurs d’arſenic, dont il y a quantité, qu’aucun animal ne ſauroit vivre dans le voiſinage ; & que dès qu’on les a tenues quelque temps ouvertes, on eſt obligé de les refermer.

On obſerve la même choſe dans les végétaux : ainſi lorſque les Hollandois eurent fait abattre tous les girofliers dont l’île de Ternate étoit toute remplie, afin de porter plus haut le prix des clous de girofle, il en réſulta un changement dans l’air qui fit bien voir combien étoient ſalutaires dans cette île les corpuſcules qui s’échappoient de l’arbre & de ſes fleurs : car auſſitôt après que les girofliers eurent été coupés, on ne vit plus que maladies dans toute l’île. Un médecin qui étoit ſur les lieux, & qui a rapporté ce fait à M. Boyle, attribue ces maladies aux exhalaiſons nuiſibles d’un volcan qui eſt dans cette île, leſquelles vraiſemblablement étoient corrigées par les corpuſcules aromatiques que répandoient dans l’air les girofliers.

L’air contribue auſſi aux changemens qui arrivent d’une ſaiſon à l’autre dans le cours de l’année. Ainſi dans l’hiver, la terre n’envoie guere d’émanations au-deſſus de ſa ſurface, par la raiſon que ſes pores ſont bouchés par la gelée ou couverts de neige. Or, pendant tout ce temps la chaleur ſouterraine ne laiſſe pas d’agir au-dedans, & d’y faire un fond dont elle ſe décharge au printemps. C’eſt pour cela que la même graine ſemée dans l’automne & dans le printemps, dans un même ſol & par un même temps également chaud, viendra pourtant tout différemment. C’eſt encore pour cette raiſon que l’eau de la pluie ramaſſée dans le printemps, a une vertu particulière pour le froment, qui y ayant trempé, en produit une beaucoup plus grande quantité qu’il n’auroit fait ſans cela. C’eſt auſſi pourquoi il arrive d’ordinaire, comme on l’obſerve aſſez conſtamment, qu’un hiver rude eſt ſuivi d’un printemps humide & d’un bon été.

De plus, depuis le ſolſtice d’hiver juſqu’à celui d’été, les rayons de ſoleil donnant toujours de plus en plus perpendiculairement, leur action ſur la ſurface de la terre acquiert de jour en jour une nouvelle force, au moyen de laquelle ils relâchent, amoliſſent & putréfient de plus en plus la glèbe ou le ſol, juſqu’à ce que le ſoleil ſoit arrivé au tropique, où avec la force d’un agent chimique, il réſout les parties ſuperficielles de la terre en leurs principes, c’eſt-à-dire en eau, en huile, en ſels, &c. qui s’élèvent dans l’atmoſphère. Voyez Chaleur.

Voilà comme ſe forment les météores, qui ne ſont que des émanations de ces corpuſcules répandus dans l’air. Voyez Météore.

Ces météores ont des effets très-conſidérables ſur l’air. Ainſi, comme on ſait, le tonnerre fait fermenter les liqueurs. Voyez Tonnerre.

En effet, tout ce qui produit du changement dans le degré de chaleur de l’atmoſphère, doit auſſi en produire dans la matière de l’air. M. Boyle va plus loin ſur cet article, & prétend que les ſels & autres ſubſtances mêlées dans l’air, ſont maintenus par le chaud dans un état de fluidité, qui fait qu’étant mêlés enſemble, ils agiſſent conjointement ; & que par le froid ils perdent leur fluidité & leur mouvement, ſe mettent en cryſtaux, & ſe ſéparent les uns des autres. Si les colonnes d’air ſont plus ou moins hautes, cette différence peut cauſer auſſi des changemens, y ayant peu d’exhalaiſons qui s’élèvent au-deſſus des plus hautes montagnes. On en a eu la preuve par certaines maladies peſtilentielles, qui ont emporté tous les habitans qui peuploient un côté d’une montagne, ſans que ceux qui peuploient l’autre côté, s’en ſoient aucunement ſentis.

On ne ſauroit nier non plus que la ſéchereſſe & l’humidité ne produiſent de grands changemens dans l’atmoſphère. En Guinée, la chaleur jointe à l’humidité, cauſe une telle putréfaction, que les meilleures drogues perdent en peu de temps toutes leurs vertus, & que les vers s’y mettent. Dans l’île de Saint-Jago, on eſt obligé d’expoſer le jour les confitures au ſoleil, pour en faire exhaler l’humidité qu’elles ont contractée pendant la nuit, ſans quoi elles ſeroient bien-tôt gâtées.

C’eſt ſur ce principe que ſont fondés la conſtruction & l’uſage de l’hygromètre. Voyez Hygromètre

Ces différences dans l’air ont auſſi une grande influence ſur les expériences des philoſophes, des chimiſtes & autres.

Par exemple, il eſt difficile de tirer l’huile du ſoufre, per campanam, dans un air clair & ſec, parce qu’alors il eſt très-facile aux particules de ce minéral de s’échapper dans l’air : mais dans un air groſſier & humide, elle vient en abondance. Ainſi tous les ſels ſe mêlent plus aiſément, & étant fondus, agiſſent avec plus de force dans un air épais & humide ; toutes les ſéparations de ſubſtances s’en font auſſi beaucoup mieux. Si le ſel de tartre eſt expoſé dans un endroit où il y ait dans l’air quelque eſprit acide flottant, il s’en imprégnera, & de fixe deviendra volatil. De même les expériences faites ſur des ſels à Londres, où l’air eſt abondamment imprégné du ſoufre qui s’exhale du charbon de terre qu’on y brûle, réuſſiſſent tout autrement, que dans les autres endroits du royaume où l’on brûle du bois, de la tourbe, ou autres matières. C’eſt auſſi pourquoi les uſtenſiles de métal ſe rouillent plus vîte ailleurs qu’à Londres ; où il y a moins de corpuſcules acides & corroſifs dans l’air, & pourquoi la fermentation qui eſt facile à exciter dans un lieu où il n’y a point de ſoufre, eſt impraticable dans ceux qui abondent en exhalaiſons ſulphureuſes. Si du vin tiré au clair après qu’il a bien fermenté, eſt tranſporté dans un endroit où l’air ſoit imprégné des fumées d’un vin nouveau qui fermente actuellement, il recommencera à fermenter. Ainſi le ſel de tartre s’enfle comme s’il fermentoit, ſi on le met dans un endroit où l’on prépare de l’eſprit de nitre, du vitriol, ou du ſel marin. Les braſſeurs, les diſtillateurs & les vinaigriers font une remarque qui mérite bien d’avoir place ici : c’eſt qu’il n’y a pas de meilleur temps pour la fermentation des ſucs des plantes, que celui où ces plantes ſont en fleurs. Ajoutez que les taches faites par les ſucs des ſubſtances végétales ne s’enlèvent jamais mieux de deſſus les étoffes, que quand les plantes d’où ils proviennent ſont dans leur primeur. M. Boyle dit qu’on en a fait l’expérience ſur des taches de jus de coing, de houblon & d’autres végétaux ; & que ſingulièrement une qui étoit de jus de houblon, & qu’on n’avoit pas pû emporter, quelque choſe qu’on y fît, s’en étoit allée d’elle-même dans la ſaiſon du houblon.

Outre tout ce que nous venons de dire de l’air, quelques naturaliſtes curieux & pénétrans ont encore obſervé d’autres effets de ce fluide, qu’on ne peut déduire d’aucune des propriétés dont nous venons de parler. C’eſt pour cela que M. Boyle a compoſé un traité exprès, intitulé : Conjectures ſur quelques propriétés de l’air encore inconnues. Les phénomènes de la flamme & du feu dans le vide portent à croire, ſelon cet auteur, qu’il y a dans l’air une ſubſtance vitale & ſingulière, que nous ne connoiſſons pas, en conſéquence de laquelle ce fluide eſt ſi néceſſaire à la nutrition de la flamme. Mais quelle que ſoit cette ſubſtance, il paroit, en examinant l’air qui en eſt dépouillé, & dans lequel conſéquemment la flamme ne peut plus ſubſiſter, qu’elle y eſt en bien petite quantité en comparaiſon du volume d’air qui en eſt imprégné, puiſqu’on ne trouve aucune altération ſenſible dans les propriétés de cet air. Voyez Flamme.

D’autres exemples, qui ſervent à entretenir ces conjectures, ſont les ſels qui paroiſſent & qui s’accroiſſent dans certains corps, qui n’en produiroient point du tout, ou en produiroient beaucoup moins, s’ils n’étoient pas expoſés à l’air. M. Boyle parle de quelques marcaſſites tirées de deſſous terre, qui étant gardées dans un endroit ſec, ſe couvroient aſſez vîte d’une effloreſcence vitriolique & s’égrugeoient en peu de temps en une poudre qui contenoit une quantité conſidérable de coupe-roſe, quoique vraiſemblablement elles fuſſent reſtées en terre pluſieurs ſiècles ſans ſe diſſoudre. Ainſi la terre où la mine d’alun & de quantité d’autres minéraux, dépouillée de ſes ſels, de ſes métaux & autres ſubſtances, les recouvre avec le temps. On obſerve la même choſe du fraiſi dans les forges.

M. Boyle ajoute que ſur les enduits de chaux de vieilles murailles, il s’amaſſe avec le temps une effloreſcence copieuſe d’une qualité nitreuſe dont on tire du ſalpêtre. Le colcothar de vitriol n’eſt point naturellement corroſif, & n’a de lui-même aucun ſel ; mais ſi on le laiſſe quelque temps expoſé à l’air, il donne du ſel, & beaucoup. Voyez Colcothar.

Autre preuve qui conſtate ces propriétés cachées de l’air ; c’eſt que ce fluide, introduit dans les médicamens antimoniaux, les rend émétiques, propres à cauſer des foibleſſes de cœur & des brûlemens d’entrailles, & qu’il gâte & pourrit en peu de temps des arbres déracinés qui s’étoient conſervés ſains & entiers pendant pluſieurs ſiècles qu’ils étoient reſtés ſur-pied. Voyez Antimoine.

Enfin les ſoies dans la Jamaïque ſe gâtent bien-tôt, ſi on les laiſſe expoſées à l’air, quoiqu’elles ne perdent pas toujours leur couleur ; au lieu que quand on ne les y expoſe pas, elles conſervent leur force & leur teinture. Le taffetas jaune porté au Bréſil y devient en peu de jours gris-de-fer, ſi on le laiſſe expoſé à l’air ; au lieu que, dans les boutiques, il conſerve ſa couleur. À quelques lieues au-delà du Paraguai, les hommes blancs deviennent tannés ; mais dès qu’ils quittent cette contrée, ils redeviennent blancs. Ces exemples, outre une infinité d’autres que nous ne rapportons point ici, ſuffiſent pour nous convaincre que, nonobſtant toutes les découvertes qu’on a faites juſqu’ici ſur l’air, il reſte encore un vaſte champ pour en faire de nouvelles.

Par les obſervations qu’on a faites ſur ce qui arrive, lorſqu’après avoir été ſaigné dans des rhumatiſmes, on vient à prendre du froid, il eſt avéré que l’air peut s’inſinuer dans le corps avec toutes ſes qualités, & vicier toute la maſſe du ſang & des autres humeurs. Voyez Sang.

Par les paralyſies, les vertiges & autres affections nerveuſes que cauſent les mines, les lieux humides & autres, il eſt évident que l’air, chargé des qualités qu’il a dans ces lieux, peut relâcher & obſtruer tout le ſyſtême nerveux. Voyez Humidité, &c. Et les coliques, les fluxions, les toux & les conſomptions que produit un air humide, aqueux & nitreux, font bien voir qu’un tel air eſt capable de gâter & de dépraver les parties nobles, &c. Voyez l’article Atmosphère.

M. Deſaguliers a imaginé une machine pour changer l’air de la chambre d’une perſonne malade, en en chaſſant l’air impur, & y en introduiſant du frais, par le moyen d’une roue qu’il appelle roue centrifuge, ſans qu’il ſoit beſoin d’ouvrir ni porte, ni fenêtre ; expédient qui ſeroit d’une grande utilité dans les mines, dans les hôpitaux, & autres lieux ſemblables, où l’air ne circule pas. On a déja pratiqué quelque choſe de ſemblable à Londres, pour évacuer de ces lieux l’air échauffé par les lumières & par l’haleine & la ſueur d’un grand nombre de perſonnes ; ce qui eſt très-incommode, ſur-tout dans les grandes chaleurs. Voyez Tranſact. philoſ. n°. 437. page 41.

M. Hales a imaginé depuis peu une machine très-propre à renouveler l’air. Il appelle cette machine le ventilateur. Il en a donné la deſcription dans un ouvrage qui a été traduit en français par M. de Mours, docteur en médecine, & imprimé à Paris il y a peu d’années. Voyez Ventilateur ] & Renouvellement de l’Air.

XII. De l’air relativement à l’économie animale en particulier. Tous les rapports phyſiques qui intéreſſent directement l’économie de notre corps, méritent un examen particulier. L’air eſt d’abord néceſſaire à tous les animaux ; ils ont tous un beſoin de reſpirer. Les quadrupèdes ſont ceux qui peuvent ſupporter moins de temps la privation de cet élément. La plupart périſſent au bout d’une demi-minute, dans une bonne machine pneumatique à double corps de pompe. Ils ſont agités de convulſions, écument, enflent & meurent.

Les oiſeaux éprouvent auſſi des mouvemens convulſifs, ſe vuident aſſez ſouvent par le bec ou par les voies ordinaires, & périſſent bientôt. Ceux qui, volant très-haut, ſont accoutumés à un air fort raréfié, meurent plus tard.

Les poiſſons ne ſont pas exceptés de cette loi ; ils périſſent dans le vide, lorſqu’il eſt continué ; mais indépendamment de cette preuve, nous en avons une autre : nous les voyons ſouvent s’élancer hors de l’eau pour reſpirer l’air. En hiver, lorſque la ſurface des étangs eſt gelée, ils meurent, ſi on n’a ſoin de caſſer la glace en divers endroits.

Les amphibies & les reptiles ont auſſi beſoin de l’air, quoiqu’il ſoit moins preſſant. Les grenouilles vivent depuis 6 juſqu’à 20 heures dans le vide, mais enfin elles ſuccombent. Les ſerpens ont un poumon fort étendu ; le grand volume d’air que l’inſpiration leur a procuré, les diſpenſe de la néceſſité de reſpirer auſſi ſouvent que les autres animaux ; mais, privés abſolument d’air pendant un certain temps, ils meurent. Les vipères réſiſtent 60 heures.

Si on bouche avec de l’huile les ſtigmates des inſectes, ils meurent. Une chenille, par exemple, meurt auſſitôt, l’air ne pouvant alternativement ſortir & rentrer par les ſtigmates. Des chenilles peuvent reſter dans le vide deux ou trois jours mortes en apparence, & reprendre leur vigueur, dès qu’on fait rentrer l’air. Cependant elles meurent bientôt, ſi on les laiſſe plus long-temps ſous le récipient de la machine pneumatique. Les œufs même des chenilles & des vers-à-ſoie ne peuvent éclore dans le vide de cette machine. Les inſectes aquatiques périſſent auſſi dans le vide, quoique beaucoup plus tard que les autres animaux. Si on examine avec attention tout ce qui concerne les inſectes aquatiques, on ſera convaincu de la néceſſité de l’air pour eux, même dans des états de métamorphoſe où il ſembleroit qu’ils peuvent ſe paſſer d’air. Dans l’eau qui a été ſtagnante pendant quelque temps, par exemple, dans celle dont les jardiniers ſe ſervent pour arroſer, on trouve des vers qui un jour ſe transformeront dans cette eſpèce d’inſecte aîlé, ſi connu ſous le nom de couſin. Les organes de la reſpiration ſont, dans ces vers, au-deſſous d’un tuyau placé ſur un des anneaux de leurs corps, & toujours ils en tiennent le bout un peu au-deſſus de la ſurface de l’eau. Si on les inquiète, ils ſe précipitent au fond ; mais bientôt après ils reviennent près de la ſurface de l’eau, comme ils étoient auparavant. Les vers du couſin vivent, à la vérité, pluſieurs jours dans le vide ; ils y nagent avec vivacité, & s’y transforment. Les couſins marchent ſur la ſurface de l’eau, ſans ſe ſervir de leurs aîles ; mais enſuite ils périſſent par un vide trop continué. On connoît une eſpèce de teigne aquatique qui enſuite devient une mouche à quatre aîles ; lorſqu’avant ſa métamorphoſe elle paſſe, comme tous les inſectes, par un état de mort apparente, qu’elle eſt chryſalide ; ces teignes ont encore beſoin de reſpirer l’air qui eſt dans l’eau ; elles ont ſoin de fermer les deux bouts de leurs fourreaux, ſeulement avec de gros fils de ſoie qui ſe croiſent, afin que l’air puiſſe y entrer librement. Ainſi tous les animaux, même ceux qui paroiſſent s’écarter de la loi générale, y rentrent, & l’air eſt néceſſaire à leur reſpiration.

Les jeunes animaux cependant, en qui le trou botal n’eſt pas fermé, peuvent réſiſter plus long-temps à l’épreuve du vide, parce que le ſang reprend ſon ancienne route. On prétend qu’on a trouvé le trou botal ouvert dans quelques adultes ; on a cité l’exemple du jardinier de Tronningolm, qui étoit dans le même cas, & qui pouvoit reſter pluſieurs heures ſous l’eau. Ce fait certainement n’eſt pas impoſſible, ſi le trou botal étoit ouvert, mais il n’eſt pas bien prouvé. On a encore cité le fameux plongeur Peſcecola (Nicolas poiſſon) en Sicile, au quinzième ſiècle, qui avoit le trou botal ouvert, & pouvoit reſter 2 ou 3 heures ſous l’eau. Ceci ſuppoſé, il ſeroit à ſouhaiter, pour le dire en paſſant, qu’on plongeât, après leur naiſſance, les animaux dans l’eau, pour empêcher le trou botal de ſe fermer ; alors ils ne pourroient pas ſe noyer.

La néceſſité de reſpirer l’air s’obſerve encore juſque dans les animaux microſcopiques ; car on voit, par exemple, les petites anguilles du vinaigre s’amaſſer en beaucoup plus grand nombre vers la ſurface de la liqueur que par-tout ailleurs ; & ſi elles deſcendent quelquefois au fond du vaiſſeau qui les renferme, elles remontent bientôt après juſqu’au haut pour y reſpirer.

Dans les cours de phyſique, on fait pluſieurs expériences pour prouver la néceſſité de l’air pour la reſpiration. On met un oiſeau ſous le récipient de la Machine pneumatique (Voyez ce mot) : dès qu’on fait le vide, on voit l’animal bientôt inquiet, agité de mouvemens convulſifs, rendre les excrémens, tomber & périr. Dès qu’on pompe l’air du récipient, on ne fait autre choſe que raréfier cet air, le rendre moins denſe que celui de l’atmoſphère que l’animal reſpiroit ; & cette ſouſtraction d’une partie de la maſſe de l’air, cette raréfaction dans ce fluide, ſi néceſſaire à la reſpiration, produit la mort. Les déjections par l’anus ſont un effet de l’expanſion de l’air renfermé dans le corps de l’animal, expanſion qui eſt une ſuite de la diminution de preſſion de l’air qui environne l’oiſeau. Les oiſeaux qui volent très-haut ſoutiennent mieux le vide que les autres. L’hirondelle, par exemple, y vit plus long-temps que le moineau, &c. Un petit oiſeau périt dans le vide en moins d’une demi-minute.

On place encore des lapins, des chiens & des chats, ſous le récipient de la machine pneumatique. En évacuant l’air, on obſerve ces animaux s’agiter & éprouver des mouvemens convulſifs très-violens ; on les voit ſauter, tomber, ſe relever avec force, &c, ſur-tout ſi on ne fait pas agir la pompe pneumatique avec rapidité. Les évacuations d’excrémens ont également lieu. Un chat fait les mêmes grimaces que s’il crioit ; il s’efforce de grimper contre le verre, il enfle, il écume & meurt bientôt, à moins que l’expérience ne ſoit faite peu de jours après ſa naiſſance, le trou botal n’étant pas encore fermé.

Les poiſſons, mis ſous le récipient de la machine pneumatique, dans un grand vaſe contenant de l’eau, préſentent d’autres phénomènes. Suppoſons qu’on y ait mis, par exemple, des carpes ; on obſerve, 1o. qu’après pluſieurs coups de piſton, le corps du poiſſon eſt tout couvert de petites bulles qui ſortent d’entre les écailles, & ſe ramaſſent ſur leurs bords, que l’air ſort encore de leurs ouies & de leurs bouches ; 2o. que plus on répète les coups de piſton, plus le mouvement de la bouche & celui des opercules ſont fréquens ; 3o. que pour lors le poiſſon vient à la ſurface de l’eau, qu’il ſemble y reſpirer plus librement, & que ſon ventre s’enfle beaucoup ; 4o. que ſi on pompe avec force, les bulles d’air diſparoiſſent toutes, que le ventre ſe déſenfle tout-à-coup, que l’animal deſcend au fond & qu’il y expire enſuite, après pluſieurs mouvemens convulſifs. 5o. Si on ouvre le poiſſon, on obſervera que la veſſicule aérienne qui eſt dans ſon corps ſera déſemplie, & jamais crevée : ſon tiſſu eſt trop fort pour ne pas réſiſter puiſſamment à l’expanſion de l’air qui y eſt contenu. Si on ſouffle cette veſſie avec un tuyau de verre, elle s’enfle comme dans l’état naturel ; ce qui prouve qu’elle n’a point été déchirée, comme quelques phyſiciens l’ont avancé ſans preuve.

Il n’eſt pas étonnant que l’air, contenu ſous les écailles des poiſſons, dans les cavités de leur corps, étant très-élaſtique & expanſible, ne ſorte des interſtices & des eſpaces où il étoit contenu, lorſque la preſſion extérieure de l’air environnant lui permettra d’augmenter le volume, & que pour rétablir l’équilibre, il ſe répandra dans l’eſpace ambiant d’où l’on a chaſſé l’air atmoſphérique : cet effet ſe conçoit aiſément. Mais pourquoi le poiſſon s’élève-t-il à la ſurface de l’eau ; lorſqu’on fait le vuide, ſans pouvoir deſcendre au fond, & enſuite après qu’on a fait rentrer l’air dans le récipient, reſte-t-il au fond, ſans pouvoir s’élever de nouveau à la ſurface ? ce phénomène eſt entièrement hydroſtatique. Lorſqu’on pompe l’air du récipient, le corps du poiſſon & ſa veſſie ſont moins preſſés qu’auparavant, la veſſie augmente de volume, ainſi que le corps. Devenant ainſi plus léger qu’un égal volume d’eau, le poiſſon ſurnage néceſſairement. Mais à meſure qu’on évacue l’air du récipient, une portion de l’air intérieur de la veſſie ſe dilatant trop, ſort de cette capacité ſans que le volume diſtendu de la veſſie diminue. D’où il réſulte que, lorſqu’on fait rentrer l’air dans le récipient, la veſſie ſera comprimée par toute la puiſſance de la colonne d’air qui lui répond ; ſon volume ſera alors plus petit qu’il n’étoit avant l’émigration de l’air de la veſſie ; la totalité du corps deviendra donc plus peſante ſpécifiquement qu’elle ne l’étoit dans l’état naturel ; & le poiſſon qui rampe au fond, ne pourra s’élever, parce que l’air ne pourra rentrer dans la veſſie. C’eſt par un mécaniſme à-peu-près ſemblable, que les poiſſons à veſſie, qui forment le grand nombre, s’élèvent ou deſcendent dans l’eau. La nature leur a donné le pouvoir de reſſerrer ou de dilater leur veſſie. Lorſqu’ils diminuent l’étendue de cette veſſie, ils ſont moins gros ſans être d’un moindre poids, & ils deſcendent au fond de l’eau ; s’ils dilatent leur veſſie, leur corps déplaçant une plus grande quantité d’eau, eſt plus ſoutenu par les colonnes d’eau qui leur répondent en plus grand nombre ; ils deviennent conſéquemment plus légers ſpécifiquement, & ils s’élèvent. Voyez Hydrostatique.

Ajoutons ici pour confirmer ces vérités, que les plantes ne croiſſent preſque plus dans le vide, & qu’elles périſſent enſuite, que leurs graines n’y germent pas. Les tranſactions philoſophiques rapportent que la même graine de laitue ayant été miſe dans deux pots dont l’un fut laiſſé à l’air libre, & l’autre ſous un récipient vide d’air, la première produiſit des plantes qui s’élevèrent à deux pouces & demi de hauteur en huit jours, tandis qu’il ne parut rien dans l’autre. L’air ayant été rendu à cette dernière, la graine germa auſſitôt & donna des plantes. Ainſi, la néceſſité de l’air a lieu pour les végétaux.

Mais quelle eſt la cauſe de la mort de l’animal dans le vide ? il n’eſt pas douteux qu’une grande privation d’air ne ſoit capable de faire périr un animal dans le vide, parce que, dans l’état naturel & ordinaire, l’air eſt néceſſaire pour la reſpiration, & celle-ci pour la circulation du ſang, fonctions eſſentielles pour les animaux : ainſi on ne peut former un doute ſous ce rapport. La queſtion doit donc s’entendre de la cauſe d’un animal qui, après les premiers coups de piſton, meurt ſous le récipient de la machine pneumatique. Ce n’eſt pas la privation abſolue de l’air qui le fait périr, car il eſt impoſſible de priver de tout air le récipient, parce que l’évacuation ne s’en fait que ſelon une progreſſion géométrique, & que d’ailleurs après le petit nombre de coups de piſton qui occaſionnent la mort d’un animal, il reſte encore beaucoup d’air ſous le récipient dans lequel il périt. Ce n’eſt pas non plus tel ou tel degré de raréfaction de l’air, car il n’y en a point de déterminé ; & au même degré où on fait mourir un animal, on peut le conſerver en vie en l’accoutumant peu-à-peu à reſpirer cet air raréfié, ainſi que l’expérience le prouve.

Suppoſons deux oiſeaux, ou deux autres animaux égaux en force ; qu’on en place un ſous le récipient de la machine pneumatique, qu’on raréfie l’air en comptant le nombre des coups de piſton, ou plutôt en examinant les degrés de raréfaction, marqués ſur l’échelle de l’éprouvette. (Voyez Éprouvette, lorſque l’animal meurt. Subſtituez enſuite l’autre animal vivant, égal en force au premier ; après avoir un peu raréfié l’air, laiſſez les choſes dans cet état pendant quelques momens, rendez un peu d’air, pompez de nouveau, & répétez la manœuvre précédente pluſieurs fois ſucceſſivement, en augmentant toujours un peu plus le degré de raréfaction de l’air du récipient. Vous verrez que l’animal vivra non-ſeulement à un degré de raréfaction où l’autre étoit mort, mais encore à un degré où l’air ſera notablement plus rare. La raiſon de cet effet vient de ce qu’en pompant l’air lentement, l’air intérieur du corps des animaux ſe met peu-à-peu en équilibre de denſité avec l’air environnant, & la différence entre le reſſort de l’air intérieur & la preſſion extérieure, devient nulle ou preſque nulle. On ne peut donc pas aſſigner un degré déterminé de raréfaction dans l’air, qui ſoit la cauſe de la mort d’un animal dans le vide, à moins que ce degré d’exhauſtion de l’air ne ſoit conſidérable. (On peut dire cependant, en général, que la plupart des animaux, ſur-tout les quadrupèdes & les oiſeaux, meurent lorſqu’on a évacué les deux tiers de l’air du récipient.) Il en eſt, à quelques égards, de l’animal qu’on accoutume peu-à-peu à vivre dans un air raréfié ſous le récipient de la machine pneumatique, comme d’un homme qui ſeroit peu-à-peu tranſporté du pied d’une montagne ſur ſon ſommet ; il ne s’apperçoit pas du changement de denſité, ou plutôt de rareté de l’air. Il en ſeroit de même s’il paſſoit inſenſiblement du fond d’une mine profonde, aux hautes régions de l’atmoſphère où peuvent atteindre les aéroſtats. Si, au contraire, ce paſſage ſe faiſoit tout-à-coup, il en ſeroit extrêmement incommodé. Le mal ſeroit encore plus grand, s’il s’élevoit rapidement à ces couches de l’atmoſphère où les aéroſtats n’ont pu encore parvenir.

On ne ſauroit douter que la cauſe dont nous venons de parler, n’influe beaucoup ſur l’économie animale, & ne puiſſe même occaſionner la mort, lorſqu’elle eſt portée à un certain point, dans un petit eſpace de temps, & qu’elle ne concoure efficacement, avec la privation de l’air reſpirable, à produire la mort d’un animal dans le vide. Pour le prouver, plaçons ſous le récipient de la machine pneumatique l’appareil repréſenté dans la figure 276, dont la pièce eſſentielle eſt un tube de verre tortueux d’un petit diamètre, contenant de l’eau ou de l’eſprit-de-vin coloré en rouge. Dès qu’on fait agir la pompe pneumatique, on obſerve que l’air, contenu intérieurement dans la liqueur colorée, ſe dilate ſucceſſivement, & fait voir des interruptions plus ou moins grandes dans la maſſe de la liqueur ; de telle ſorte que ces différentes parties d’air entremêlées parmi celles de la liqueur, forment une ſolution multipliée de continuité ; effet qui réſulte du reſſort & de l’expanſibilité de l’air de la liqueur, qui n’eſt plus comprimé par le poids de l’air extérieur. Dès qu’on fait rentrer l’air dans le récipient, les bulles dilatées ſont de nouveau comprimées, & on n’apperçoit preſque plus de diſſolution de continuité ; je dis preſque plus, parce que communément on en apperçoit quelques-unes qui réſultent de ce que pluſieurs portions d’air intérieur, originairement ſéparées, ſe ſont extraordinairement réunies, & que la preſſion de l’air qui rentre, n’eſt plus ſuffiſante pour les comprimer au point de les rendre inſenſibles.

Ce qu’on obſerve dans cette expérience, a lieu dans le ſyſtême général des liqueurs contenues dans le corps animal. L’air, renfermé dans ces liqueurs différentes, éprouve une expanſion qui produit un grand nombre d’interruptions dans leurs maſſes ; la circulation du ſang ne peut qu’en être interrompue, & ſa néceſſité eſt ſi grande, qu’on ne ſera point étonné que de cette ſuſpenſion, que de l’engorgement général de tous les liquides, la mort n’en réſulte. D’où il ſuit que cette cauſe doit concourir avec celle de la raréfaction de l’air portée à un certain point, laquelle rend l’air impropre à la reſpiration, le jeu alternatif d’inſpiration & d’expiration ne pouvant avoir lieu dans ce cas.

Il eſt inutile d’obſerver que, dans un animal placé dans le vide, ce ne ſont pas ſeulement les liqueurs & l’air qui y eſt renfermé qui augmentent de volume, mais encore les vaiſſeaux qui les contiennent. Ceux-ci éprouvent une grande diſtention capable de rompre les fibrilles & les dernières ramifications de ces vaiſſeaux. Les liqueurs animales ſortent alors de leurs réſervoirs, & s’extravaſent en plus ou moindre quantité. Maintenant on ne ſera pas étonné que les animaux ſe vident aſſez ſouvent par les voies ordinaires, par un effet de l’expanſion de l’air intérieur, ainſi que nous l’avons dit ; & que, de toute la ſurface de leurs corps, il y ait une ſueur plus ou moins abondante, ſelon la nature des animaux. Les plumes & les poils empêchent ordinairement de s’en appercevoir ; mais ſi on en dépouille l’animal, on en ſera convaincu. Une expérience plus facile à faire ne permet pas d’en douter. Si on place la paume de la main ſur un petit récipient, ou tube de verre ouvert par ſes deux extrémités, & qu’on faſſe le vide, on verra la ſueur ſortir de la ſurface de la main qui répond à l’ouverture ſupérieure. On ſait que les bords de cette ouverture ſont arrondis. Voyez Pesanteur de l’air.

Ajoutons ici que les animaux à qui on a fait pluſieurs fois de ſuite ſubir l’épreuve du vide, y réſiſtent mieux après. Je me ſuis ſervi quelques jours de ſuite d’un même oiſeau, qui, quoique affroidi, réſiſtoit mieux qu’un animal vigoureux de même eſpèce, qui n’avoit point encore été mis en expérience. On doit cependant convenir que, pluſieurs jours après l’expérience, les animaux ſoumis à l’épreuve du vide, & auxquels on a rendu l’air à-propos, meurent par une fuite de l’air & des liquides extravaſés. L’expérience relative à la figure que nous venons de citer immédiatement, celle du tube capillaire tortueux, rempli d’eau colorée ou d’eſprit-de-vin, le démontre.

La rentrée ſubite & rapide de l’air dans les poumons des animaux ſoumis à l’expérience du vide, & qu’on déſire de conſerver en leur rendant l’air, eſt encore une cauſe du mal-aiſe qu’ils en reſſentent, & capable d’occaſionner leur mort quelques jours après. Selon le calcul qu’on en a fait, l’air de l’atmoſphère, en entrant dans le vide, va avec une vîteſſe qui lui feroit parcourir 1 305 pieds dans une ſeconde, c’eſt-à-dire, ſelon le docteur Papin, que la vîteſſe avec laquelle l’air entre dans un récipient vide, lorſqu’il y eſt pouſſé par la preſſion de toute l’atmoſphère, eſt à raiſon de 1 305 pieds pendant l’eſpace d’une ſeconde, ce qui fait 889 mille par heure, vîteſſe près de 18 fois plus grande que celle des plus fortes tempêtes, qui eſt eſtimée être environ de 50 mille par heure. Or, qui pourra ſe perſuader que cette impulſion rapide de l’air qui rentre dans les poumons particulièrement, que ce choc terrible dont la vîteſſe eſt d’autant plus grande que l’air intérieur a été plus raréfié ? qui pourra ſe perſuader que cette cauſe n’influe pas puiſſamment ſur la mort des animaux ſoumis à l’épreuve du vide ?

L’air eſt non ſeulement néceſſaire aux animaux, mais encore il doit être pur ; car s’il eſt vicié, il trouble ſingulièrement les fonctions de l’économie animale, & l’animal peut périr ſi l’air eſt chargé à un certain point de ſubſtances hétérogènes, ainſi que l’expérience le prouve, en employant l’appareil ſuivant qu’on voit dans la figure 151, ſur une platine circulaire b, b, on place un trépied ſurmonté d’une tablette c, c, ſur laquelle on poſe le vaſe de terre cuite d, dans lequel on met un morceau de fer e, concave dans ſa partie ſupérieure & rougi au feu. Le tout eſt recouvert après y avoir mis un animal, d’un récipient cilindrique de verre Α, Α, B, ouvert par ſes deux bouts & fermé ſupérieurement par une platine Α, Α, percée au milieu, pour y recevoir un entonnoir H.

Ceci ſuppoſé, voici les réſultats des expériences qu’a faites Muſſchenbroeck, & que je répète dans mes cours publics de phyſique. Si on verſe de l’eau par l’entonnoir, elle ſe change en vapeur épaiſſe qui cauſe à un oiſeau de fortes inquiétudes, en lui occaſionnant des convulſions, néanmoins il n’en meurt pas. La vapeur du vinaigre produit le même effet ſur un autre oiſeau. Celle de l’eſprit-de-vin fait tomber en convulſion un nouvel oiſeau qui vacille de moment à autre ; ordinairement il ne ſe rétablit pas comme dans les deux cas précédens. La fumée d’eſprit de térébentine ſuffoque l’animal qu’on ſoumet à cette épreuve. J’y ai vu périr non ſeulement des oiſeaux, mais des lapins. Il en eſt de même de celles de l’huile d’olive, & de l’huile de pétrole ; les oiſeaux tombent alors en convulſion, chancellent, tombent dans l’eſpace d’une minute, & ne peuvent plus ſe ſouſtraire à la mort. Les vapeurs d’alkali volatil fluor produiſent de fortes convulſions, quoique toujours incommodes, quelques-uns en échappent. On peut facilement multiplier ces expériences.

La vapeur des charbons, qui fument fait tomber les animaux qu’on y expoſe, & ils périſſent auſſitôt, à moins qu’on ne les retire auſſitôt pour leur donner des ſecours. Mais rien n’eſt plus nuiſible que la vapeur du ſoufre, car ſi on laiſſe tomber ſur le fer rougi, de la fleur de ſoufre par l’entonnoir, un animal quelconque périt ſans reſſource & dans l’inſtant. J’ai fait pluſieurs fois cette épreuve ſur des chiens, des chats, des moineaux, des poulets & des canards. Quand on a vu ces expériences, on n’eſt point ſurpris qu’on ait toujours regardé comme le poiſon le plus ſubtil & le plus mortel pour tous les animaux, la vapeur du ſoufre. Auſſi juſqu’à préſent n’en a-t-on point trouvé d’auſſi efficace pour faire périr ces inſectes deſtructeurs qui rongent les collections d’oiſeaux, de quadrupèdes & les ſuites d’entomologie qui compoſent les cabinets d’hiſtoire naturelle. Je m’en ſuis ſervi pluſieurs fois avec ſuccès, je puis l’aſſurer, pour conſerver les diverſes ſuites d’animaux qui compoſent mon cabinet d’hiſtoire naturelle.

On peut faire cette ſuite d’expériences que je viens de rapporter avec un autre appareil, & en employant la machine pneumatique, ainſi qu’on le voit dans la figure 277. On place ſous le récipient un animal ; lorſqu’on fait agir la pompe pneumatique, la fumée des charbons eſt portée par la preſſion de l’air extérieur du réchaud dans l’entonnoir, dans le tube de communication, & enſuite dans le récipient. On peut faire entrer de cette vapeur en plus grande quantité, en multipliant les coups de la pompe pneumatique. On intercepte à volonté la communication entre le réchaud & le récipient, par le moyen du robinet de l’entonnoir qu’on ouvre ou ferme, ſelon qu’on le juge à propos. De cette manière on peut varier les expériences, & obſerver attentivement les divers effets des vapeurs de différens genres ſur pluſieurs eſpèces d’animaux, & comparer les réſultats. On peut mettre de l’encens ſur les charbons ardens du réchaud, du ſoufre, &c. &c.

On ne ſera donc pas ſurpris des maux qui arrivent ſi ſouvent, lorſque l’air qu’on reſpire eſt altéré & vicié par différentes cauſes. Les perſonnes qui ont l’imprudence de dormir dans les appartemens où elles ont laiſſé de la braiſe mal éteinte, des charbons qui fument encore ; celles qui reſpirent les exhalaiſons qui émanent du blé renfermé dans des greniers, ou d’autres végétaux accumulés dans des granges ; celles qui habitent dans des appartemens nouvellement blanchis à la chaux, ſont toutes la victime de leur ignorance ou de leur imprudence.

La fumée des bougies, & des chandelles ſur-tout, des lampes multipliées, altère auſſi beaucoup l’air. Des oiſeaux ſoumis à cette épreuve, dans l’appareil précédent, meurent bientôt ; & ces animaux y périſſent d’autant plus tôt, qu’on y allume un plus grand nombre de chandelles. En diſſéquant ceux qu’on a fait mourir par ce procédé, on obſerve que le poumon eſt plus rouge qu’il ne devroit être, que le cœur & les gros vaiſſeaux ſont alors diſtendus par une trop grande abondance de ſang, & qu’une partie de l’air intérieur eſt conſommé, ou qu’il a perdu de ſon reſſort. Cette multiplicité de luſtres, de bougies & de lampes, qui brûlent dans les ſpectacles, jointes aux émanations de la reſpiration & de la tranſpiration d’une multitude de perſonnes, doivent donc beaucoup vicier l’air : auſſi voit-on aſſez ſouvent des perſonnes délicates y tomber en défaillance.

L’air eſt néceſſaire à l’entretien du feu, en général, à toute combuſtion ; car la combuſtion n’eſt qu’une combinaiſon de l’oxigène, ou baſe de l’air vital, avec les corps ſuſceptibles de combuſtibilité. Après la combuſtion, le gaz oxigène, qui eſt une des parties conſtituantes de l’air atmoſphérique, étant donc conſommé, le réſidu de l’air doit n’être, en grande partie, que du gaz azote, entièrement impropre à la combuſtion & à la reſpiration ; d’où il ſuit qu’après la combuſtion, le volume & la maſſe de l’air vicié ont dû diminuer très-ſenſiblement. Voyez les mots Combustion, Feu.

L’air non-renouvellé eſt très-nuiſible à l’économie animale, parce qu’il eſt bientôt vicié par les émanations différentes qui s’exhalent des ſubſtances qu’il contient. La tranſpiration pulmonaire & cutanée ſont capables d’altérer l’air en peu de temps, & de produire des effets bien pernicieux. L’expérience ſuivante que je fais dans mes cours de phyſique, frappe ſingulièrement tous ceux qui en ſont témoins. Prenez un bocal de verre, plongez-y une bougie allumée, la flamme s’y conſervera. Ôtez enſuite cette bougie ; mettez à votre bouche un tube de verre, ou de papier fait à l’inſtant, inſpirez par ce moyen l’air du bocal, en fermant les narines avec les doigts, & en faiſant une ou deux profondes inſpirations, après leſquelles vous chaſſerez lentement par l’expiration l’air du poumon dans ce bocal. Vous obſerverez qu’en plongeant de nouveau la bougie allumée, elle s’éteindra ; ce qui prouve que la reſpiration eſt capable de vicier l’air au point de le rendre abſolument impropre à être reſpiré. D’où on conclut qu’il y a du danger à reſter trop long-temps dans un lit au fond d’une alcove & environné de rideaux, comme ne le pratiquent que trop les perſonnes qui n’ont pas des notions de phyſique, & dont la ſanté s’affoiblit & s’altère de cette manière. Auſſi les animaux renfermés pendant quelque temps ſous un récipient, même aſſez-grand, dont l’air ne ſe renouvelle pas, meurent-ils bientôt ; un lapin peut être mis facilement à cette épreuve. La raiſon en eſt, que la tranſpiration & la reſpiration vicient l’air ; peu de temps même après le commencement de l’expérience, les parois du récipient ſont humides.

On comprendra facilement comment les priſonniers qui ſont renfermés dans de petits cachots exactement fermés de tous côtés ; un grand nombre de malades qui ſont dans les hôpitaux ; les gens de mer qui ſont renfermés dans un petit eſpace, & ſur-tout à fond de calle pendant la tempête ; comment toutes ces perſonnes ſont ſouvent attaquées de différentes maladies, principalement de fièvres malignes produites ſur-tout par les exhalaiſons qui s’échappent par la tranſpiration. On obſerve même très-ſouvent que quantité de perſonnes très-ſaines & très-robuſtes qui fréquentent les hôpitaux, ſont attaquées de fièvres malignes avant qu’elles ſe ſoient accoutumées à reſpirer l’air putride qu’on y reſpire ; on y remarque auſſi habituellement que ſes opérations chirurgicales qu’on y pratique, n’y réuſſiſſent jamais parfaitement bien, quoiqu’elles ſoient faites par les chirurgiens les plus expérimentés, &c. &c. Muſſchenbroeck.

C’eſt par cette cauſe qu’on explique la mort ſubite de perſonnes qui ont été expoſées aux exhalaiſons de différentes ouvertures, puits, foſſes d’aiſance, antres, mines, caves, tombeaux, cuves ; aux émanations de diverſes matières en fermentation, en putréfaction, en efferveſcence, &c. ; c’eſt par cette raiſon que les perſonnes d’un tempérament délicat ſouffrent plus ou moins, ou même tombent en défaillance lorſqu’elles entrent dans des ſalles où un grand nombre de perſonnes ſont raſſemblées, ſur-tout s’il y a beaucoup de bougies allumées, comme les ſalles de compagnie, celles de ſpectacle, &c.

Rapportons quelques faits qui démontreront ces vérités. Les funeſtes effets de la vapeur du charbon ne ſont guères révoqués en doute, mais preſque tous les jours on voit des victimes de l’imprudence ou de l’ignorance. Le premier mars 1785, ces effets furent conſtatés de nouveau à Salisbury, d’une manière frappante. Miſtriſs Seymour étant, depuis quelque temps, d’une mauvaiſe ſanté, ſes deux ſœurs & une garde voulurent paſſer la nuit avec elle. Vers le matin une ſervante, entrant dans cette chambre, trouva ces quatre perſonnes couchées en divers endroits ; elle courut auſſitôt appeler du ſecours, mais ce ne fut que trop tard pour les trois premières ; il n’y eut que la dernière qui put en profiter. Celle-ci revenue à elle, déclara que, vers minuit, le froid les ayant incommodées, & la chambre étant ſans cheminée, elle étoit allée allumer du charbon dans un réchaud qu’elle avoit porté dans cette chambre, après que la fumée étoit paſſée ; qu’enſuite elle s’étoit couchée à côté de miſtriſs Seymour ; qu’ayant obſervé que ſa ſœur & la garde paroiſſoient tomber en défaillance, & trouvant la chambre trop échauffée, elle avoit porté dehors le réchaud ; qu’étant auſſitôt rentrée pour ſecourir ſa ſœur, elle étoit tombée à la renverſe ; que quoiqu’elle eût fait diverſes tentatives, à certains intervalles, pour porter ſecours à ſa ſœur, elle n’avoit jamais pu y réuſſir, & qu’enfin elle avoit perdu elle-même connoiſſance.

Un maître plombier de Soiſſons étant deſcendu, il y a quelques années, avec deux de ſes garçons, dans un puits, pour y ſouder un tuyau de plomb, à 25 pieds de profondeur, ils eurent l’imprudence de deſcendre avec eux une terrine de charbon, pour faire chauffer leurs fers. Ils y reſtèrent pendant deux heures, occupés à travailler ; mais ils furent obligés, pendant ce temps, de remonter tous les quarts-d’heure, à cauſe des vapeurs, qui les rendoient ivres. Peu après on les trouva couchés ſur l’eſpèce de plancher qu’ils s’étoient conſtruits au niveau de l’eau du puits. Heureuſement on les rentra à temps, & les ſecours qu’on leur adminiſtra furent aſſez efficaces pour les rappeler à la vie. On peut voir dans mon journal des ſciences utiles, année 1790, tom. II, pag. 325, les moyens qu’on employa.

M. de la Condamine rapporte, dans ſa relation du voyage du Pérou, que, dans la province de Quito, il y a un foſſé où les lapins & les oiſeaux meurent, & que s’ils y ſont expoſés à une certaine hauteur, ils n’en ſont point incommodés. Telle eſt auſſi la Grotte du Chien en Italie : dans ces circonſtances, & dans pluſieurs autres analogues, ces effets pernicieux dépendent du gaz fixe ou gaz acide carbonique de la nouvelle nomenclature. Sur le mont Parnaſſe, près de Paris, on voyoit, il y a quelque temps, une ouverture d’où il ſortoit des exhalaiſons qui portoient à la tête, & qui enivroient.

L’accident terrible, arrivé à Saulieu en Bourgogne, le 20 avril 1773, exige d’être rapporté. Des foſſoyeurs découvrirent le cercueil d’un corps enterré le 3 mars précédent. En deſcendant un nouveau cadavre dans cette foſſe, ſa bière & celle du corps qu’on avoit découvert s’entr’ouvrirent. Une odeur fétide ſe répandit auſſitôt, & tous les aſſiſtans furent forcés de ſortir. De 120 jeunes gens des deux ſexes, qu’on préparoit à des exercices de religion, 114 tombèrent dangereuſement malades d’une fièvre putride vermineuſe, accompagnée d’hémorragie, éruption & diſpoſition inflammatoire : 18 perſonnes en moururent, &c. &c.

Le chevalier Pringle rapporte qu’en 1750, le lord maire, trois juges, & plus de quarante perſonnes moururent par l’effet d’une vapeur exceſſivement maligne qui s’éleva dans une ſalle où on avoit amené des criminels pour les juger : cette vapeur fut portée ſur eux par un courant d’air occaſionné par une des fenêtres de la ſalle qu’on avoit ouverte. Voyez Miasme, Méphitisme, Charbon.

La reſpiration attire l’air, ainſi que nous l’avons prouvé par l’expérience du bocal où la bougie s’éteint après une profonde inſpiration & expiration. Diverſes opinions ont été imaginées pour expliquer comment la reſpiration peut vicier l’air, & le rendre enſuite propre à être de nouveau reſpiré. Les uns ont dit que l’air inſpiré ſe chargeoit de phlogiſtique ; les autres que l’air perdoit, au contraire, de ſon phlogiſtique ; quelques-uns, &c. Mais ces hypothèſes, toutes infiniment oppoſées entr’elles, prouvent qu’il n’y a rien de certain ſur cet objet : d’ailleurs, elles ne ſont appuyées ſur aucunes bonnes raiſons. L’exiſtence du phlogiſtique, comme on l’entend ordinairement, n’eſt pas démontrée, il s’en faut de beaucoup. Des ſavans diſtingués, qui ont fait des recherches ſuivies ſur cette matière, penſent que ce phlogiſtique eſt un être chimérique qu’on emploie ſelon le beſoin des ſyſtêmes.

L’expérience ſuivante ſera plus ſatisfaiſante que toutes les hypothèſes qu’on pourroit rapporter. Placez ſous l’appareil repréſenté dans la fig. 351, une poule, un lapin, un petit chien, &c. Ce récipient mis ſur une eſpèce de guéridon où j’ai fait pratiquer une rainure circulaire, pour y mettre de l’eau, ou mieux du mercure, afin que l’air ne s’échappe pas par le bas, le tube recourbé permet à l’air de ſortir ou d’entrer par le haut du récipient, & l’animal renfermé y reſpire librement. Mais dès qu’on verſe de l’eau colorée dans ce tube, on intercepte toute communication entre l’air de l’atmoſphère & celui qui eſt contenu dans le récipient. Auſſi remarque-t-on qu’à chaque inſpiration de l’animal, la liqueur s’élève au-deſſus de ſon niveau (qu’on a eu ſoin de marquer par un fil ou ſigne quelconque), & qu’à chaque expiration, elle revient à-peu-près au même point ; effet qui marque d’abord, d’une manière viſible, la reſpiration alternative de l’animal ; mais, après un certain temps, on obſerve que la liqueur s’élève plus haut que dans le commencement de l’expérience, & cela d’un nombre de degrés qui ira toujours en augmentant, & qui ſera très-viſible ſur une petite règle graduée qu’on y place.

Cet effet vient directement de la peſanteur de l’air qui, par l’ouverture extérieure, preſſe plus efficacement la liqueur, pour la faire monter dans le tube du côté de la capacité intérieure du récipient. Mais cette preſſion de l’air extérieur ne peut prévaloir, dans cette circonſtance, ſur la réaction de la maſſe d’air renfermée dans le récipient, qu’autant que celle-ci perd de ſon reſſort ou une partie de ſa maſſe. Il eſt difficile de décider, par voie d’expérience, ſi l’air reſpiré a perdu de ſon élaſticité ; & ſi c’eſt à ce défaut de reſſort qu’il faut attribuer la prépondérance qu’obtient alors l’action de la colonne d’air qui paſſe par l’orifice extérieur du tube recourbé ; ou ſi elle dépend d’une diminution de la maſſe d’air contenue dans le récipient, dont l’animal aura abſorbé ou conſommé une partie. Les modernes penſent que ce dernier ſentiment eſt plus probable ; que l’air, dans l’acte de la reſpiration, eſt affecté de la même manière que dans la combuſtion & la calcination, où il perd une partie du gaz oxigène qui le compoſe. Nous verrons ailleurs des preuves de cette doctrine, en traitant des gaz & de tout ce qui y a rapport. En effet, la reſpiration n’eſt qu’une eſpèce de combuſtion qui diminue l’air, ou plutôt le décompoſe. Voyez Combustion.

Ajoutons ici que l’effet de l’expérience précédente eſt toujours beaucoup plus grand qu’il ne paroît ; car le corps de l’animal échauffe néceſſairement la maſſe d’air renfermée dans le récipient. Or, cette chaleur communiquée doit tendre à en augmenter le volume, conſéquemment à faire baiſſer la liqueur colorée dans la grande branche du ſyphon, au-deſſous du premier niveau qui a été marqué ; ainſi l’abſorption ou conſommation de l’air eſt plus grande que les apparences ne l’indiquent.

Les expériences ſuivantes de M. Cigna, de l’académie de Turin, méritent d’être citées. Il ſuſpendit d’abord une cloche de verre, pouvant contenir environ ſeize pouces d’eau, ſur un autre vaiſſeau plein d’eau, de ſorte que le bord du récipient étoit plongé dans ce liquide, à la profondeur de trois travers de doigt. Une poulie étoit ſuſpendue à la partie ſupérieure & interne du récipient ; cette poulie étoit traverſée par une petite corde dont un des bouts étoit attaché à une petite cage ; l’autre extrémité, paſſant par-deſſous les bords du récipient & à travers l’eau, aboutiſſoit à la main du phyſicien, & lui ſervoit à élever & à baiſſer la cage, enfin à la retirer du récipient, en la faiſant paſſer à travers l’eau. Par ce moyen, on pouvoit introduire dans le récipient un oiſeau renfermé dans ſa cage, & le retirer à volonté, ſans changer l’état de l’air, à cauſe de l’obſtacle que l’eau du récipient lui oppoſoit de tous côtés. Cet appareil fut ainſi diſpoſé, & un chardonneret introduit dans cette eſpèce de priſon.

Pendant les deux premières heures, cet oiſeau abſorba tellement l’air ou le vicia, que l’eau s’éleva environ à deux pouces au-deſſus de ſon niveau, & l’élévation augmenta enſuite peu-à-peu. L’oiſeau ne parut pas ſouffrir dans le commencement ; mais, peu de temps après, la reſpiration devint laborieuſe, les angoiſſes augmentèrent ; & après quatre heures & un quart, il fut ſuffoqué. Ce chardonneret étant retiré, un ſecond fut auſſitôt introduit par le même moyen. Il y fut ſuffoqué en deux minutes, &, dès le commencement, la reſpiration fut cruellement laborieuſe, quoique quelques bulles d’air ſe fuſſent introduites dans le récipient, lors du paſſage de la cage. Un troiſième chardonneret n’y vécut qu’une minute, & le quatrième y périt dans une ſeconde. D’autres oiſeaux furent introduits dans cet air vicié, & ſur-le-champ ils furent attaqués de convulſions violentes, de vomiſſement, d’aſſoupiſſement profond. L’eau, après les quatre premières heures, n’a plus paru s’élever ſenſiblement. On verſa enſuite une partie de cette eau, de manière que, l’air étant moins condenſé dans le récipient, l’eau revint à ſon premier niveau. Un nouveau chardonneret fut introduit, & il n’y vécut pas une minute.

On a obſervé que la durée de la vie des animaux ainſi renfermés dans l’air vicié, eſt en raiſon directe du volume de l’air, & inverſe du nombre des animaux renfermés. M. Verati, qui a fait cette obſervation, aſſure cependant avoir remarqué une différence dans les grenouilles ; elles ne périſſent pas plus tôt, quel que ſoit le nombre employé à ces expériences. La reſpiration de ces animaux ne paroît point être laborieuſe, quoiqu’ils vicient l’air & y périſſent comme les autres animaux renfermés.

M. Cigna, ayant déſiré de nouvelles connoiſſances ſur cet objet, fit des expériences intéreſſantes. Pour s’aſſurer d’abord ſi les grenouilles périſſoient faute de reſpiration, il voulut s’aſſurer ſi elles pouvoient vivre dans l’eau, ſans remonter ſouvent à la ſurface pour y reſpirer comme le ſemble indiquer leur manière de vivre. Pour cet effet, il les retint, au moyen d’un lien, au fond d’un vaſe plein d’eau. Au bout d’une heure, elles parurent mortes & flotter comme des cadavres, ſans donner aucun ſigne de mouvement ; mais il apperçut, en les obſervant attentivement pendant huit ou dix minutes, qu’elles avoient, même ſous les eaux, un mouvement ſemblable à celui de la reſpiration ; qu’elles faiſoient enſuite des efforts pour ſe débarraſſer de leurs liens, & qu’enfin elles paroiſſoient mortes de nouveau pendant huit ou dix minutes. « Cinq heures après, n’apercevant plus, dit-il, aucun des mouvemens dont je viens de parler, j’en retirai une ; mais, croyant avoir vu les mêmes mouvemens dans les autres, j’attendis encore une heure avant d’en retirer une ſeconde : enfin, ſept heures après, ne voyant plus aucun mouvement, je retirai les trois dernières grenouilles. Elles furent ſucceſſivement placées dans des endroits différens. Les deux grenouilles retirées de l’eau après la cinquième & ſixième heure, commencèrent à donner ſigne de vie ; & les trois autres, qui avoient reſté ſous l’eau pendant ſept, n’ont jamais pu être rappelées à la vie, même avec les ſecours de l’art : ces expériences furent faites au mois de ſeptembre ; la liqueur du thermomètre, échelle de Réaumur, étoit au quinzième degré au-deſſus de zéro. Cette obſervation eſt eſſentielle, relativement à d’autres expériences ſuivant leſquelles des grenouilles ont reſté ſous l’eau pendant plus de ſix jours. Il peut très-bien arriver, ſuivant la remarque de M. Haller, que les grenouilles & pluſieurs autres animaux engourdis par le froid, vivent pendant long-temps ſans reſpirer. »

À préſent nous allons rapporter les différens phénomènes obſervés ſur les grenouilles renfermées dans l’air. Une grenouille fut placée dans un vaſe capable de contenir deux onces d’eau ; la ſeconde dans un vaſe du double de capacité ; la troiſième dans un vaſe trois fois plus grand que le premier, & la quatrième fut laiſſée à l’air libre. Le thermomètre de Réaumur étoit alors au 20e degré. Toutes les grenouilles, après 48 heures, étoient pleines de vie ; mais, après 60 heures, elles furent réellement mortes, & il ne fut plus poſſible de les rappeler à la vie. Aucun ſigne de reſpiration gênée ne ſe manifeſta avant leur mort.

Comme M. Cigna avoit obſervé que les grenouilles périſſoient à-peu-près dans le même temps, & dans l’air libre, & dans l’air renfermé, il ſoupçonna que leur mort devoit être attribuée à une autre cauſe, par exemple, au manque d’eau, puiſqu’il eſt prouvé que des grenouilles vivent des ſemaines & des mois entiers dans de l’eau très-pure, ſans autre aliment. Cet habile phyſicien crut donc devoir renfermer les grenouilles dans l’air, & avec de l’eau, afin de pouvoir connoître ſûrement juſqu’à quel point le vice d’un air renfermé contribuoit à leur mort, après en avoir retranché toute autre cauſe. Pour cela il renferma une grenouille dans un vaiſſeau de verre, plein d’eau ; trois autres furent miſes dans des vaiſſeaux ſemblables. L’eſpace occupé par l’air au-deſſus de l’eau, auroit pu, dans l’un & l’autre vaiſſeau, contenir encore vingt onces de ce liquide. Une autre grenouille fut renfermée avec le même volume d’air ſans eau ; enfin, la quatrième laiſſée à l’air libre. Le thermomètre de M. de Réaumur étoit alors au quinzième degré au-deſſus de zéro. Après quinze heures, ces grenouilles étoient pleines de vie ; mais au bout de vingt heures, les trois renfermées dans l’eau étoient mortes, & ne donnèrent aucun ſigne de vie, après que le vaſe fut ouvert ; celle, au contraire, qui avoit été placée toute ſeule & dans l’eau, vivoit encore après cinquante-cinq heures ; mais elle mourut à la 63e : celle qui étoit renfermée dans l’air & ſans eau, vivoit à la 26e, & mourut à la 28e ; l’air extérieur lui fut alors rendu inutilement ; enfin, celle qui avoit été laiſſée en plein air, vivoit encore le cinquième jour ; ſon état étoit celui de langueur.

Ces mêmes expériences furent répétées avec les mêmes ſoins & très-exactement. Il en réſulta que de trois grenouilles, renfermées enſemble dans l’eau, l’une ne vécut que 20 heures, l’autre 30, & la dernière 35. De ſorte que la durée de la vie de chacune, additionnée, ne paſſoit pas 85 heures. La grenouille renfermée toute ſeule dans l’eau parut morte après 75 heures, & le vaſe ayant été découvert, elle revint à la vie. Celle qui étoit renfermée ſans eau, périt dans l’eſpace de 24 heures ; & celle qui avoit été laiſſée en plein air, vivoit encore le dixième jour. Les grenouilles renfermées avec de l’eau, ſe précipitoient auſſitôt au fond du vaſe, & remontoient ſeulement & de temps en temps à la ſurface du fluide, pour reſpirer ; peu-à-peu elles y venoient plus fréquemment, & à la fin elles nageoient & reſpiroient continuellement. Leur reſpiration étoit dans le commencement petite & fréquente, enſuite fréquente, forte & laborieuſe ; enfin, lorſque ces animaux approchoient de leur fin, ils ne pouvoient preſque plus ſurnager l’eau, leur tête s’enfonçoit la première ; ils revenoient de temps en temps vers la ſurface, y reſpiroient alors avec force, & étoient agités de violentes convulſions. Les grenouilles, au contraire, renfermées ſans eau, n’éprouvèrent aucune convulſion, & leur reſpiration ne paroiſſoit pas ſenſiblement gênée.

Il paroît réſulter de ces expériences, que les grenouilles renfermées dans l’eau, ne vivent que relativement à la quantité d’air contenu dans l’étendue du vaiſſeau ; qu’elles y périſſent comme les autres animaux, par la difficulté de reſpirer. La preuve la plus ſenſible de la juſteſſe de ces concluſions, eſt que ſi dans le moment où elles ſont tourmentées par les convulſions ou ſur le point d’expirer, on leur donne un air nouveau, elles reviennent ſur le champ, on peut voir dans les mémoires de l’académie de Turin d’autres expériences du même auteur. Quoiqu’en général on rencontre ſouvent des anomalies qui dépendent ou d’une conſtitution particulière des animaux, ou d’autres cauſes particulières, cependant il eſt conſtamment vrai que la reſpiration vicie l’air, & qu’il devient impropre à être reſpiré de nouveau ; & que cette altération dépend principalement de l’abſorption ou conſommation de la portion reſpirable de l’air à laquelle on a donné le nom d’air vital, de gaz oxygène.

L’obſervation prouve encore que les plantes renfermées dans un air qui ne ſe renouvelle pas, le vicient par les émanations qui s’en échappent, de telle ſorte que ces plantes languiſſent bientôt, périſſent enſuite ; & que de nouvelles plantes qu’on introduit, périſſent tout-à-coup, ſelon M. Cigna.

La pureté de l’air eſt ſi néceſſaire pour tous les animaux, que les poiſſons même périſſent, lorſqu’ils ſont expoſés à un air méphitique quoiqu’ils ſoient dans l’eau. Si on met un vaſe d’eau contenant des poiſſons ſous un récipient rempli de gaz fixe, de gaz inflammable ou de tout autre gaz méphitique, on les voit bientôt s’agiter d’une manière inſolite, être dans un état de ſouffrance & d’une violente inquiétude & mourir enſuite dans un temps plus ou moins court ſelon la force & la quantité des gaz, ſelon la nature du poiſſon, & ſuivant d’autres circonſtances. Pluſieurs faits naturels confirment cette vérité, nous en choiſiſſons un récent.

On ſait que l’hiver de 1788 à 1789 a été remarquable ſoit par l’intenſité du froid qui s’eſt fait ſentir dans l’Europe entière, ſoit par l’énorme quantité de neige dont la terre a été couverte, ſoit par les animaux & les végétaux. Or, on a remarqué dans cet hiver que, quoiqu’on n’ait pas perdu de poiſſon dans les étangs profonds dont on caſſoit la glace en quelques endroits, & dans leſquels il ſe trouvoit des ſources ; cependant les étangs dont le terrain étoit vaſeux & marécageux, ont été funeſtes aux poiſſons, parce que l’air méphitique qui s’exhaloit de cette vaſe, ne trouvant point d’iſſue, a corrompu l’air de ces étangs, ſuivant la remarque du P. Cotte, & fait périr le poiſſon.

Puiſque l’air eſt ſi néceſſaire aux animaux & qu’il peut être vicié, il eſt donc indiſpenſable de pouvoir connoître ſa ſalubrité & le degré de ſalubrité qu’il peut avoir, c’eſt ce dont on vient à bout par le ſecours de ces inſtrumens qu’on nomme Eudiomètres. Voyez Eudiomètre & Salubrité. Ce genre d’appareils appartient à la phyſique moderne, & ſuppoſe la connoiſſance de la doctrine des gaz qu’il eſt néceſſaire de connoître avant que de traiter des Eudiomètres & de la manière de s’en ſervir.

Lorſqu’on s’eſt aſſuré par le moyen des eudiomètres que l’air dans un endroit particulier, comme dans des appartemens, dans des hôpitaux, dans des priſons, dans des ſalles de ſpectacle, &c. eſt vicié & corrompu, on a recours aux divers moyens qui ont été imaginés pour purifier & renouveller la maſſe d’air qui y eſt contenue. Voyez Renouvellement de l’air, Ventouses, Soufflets, Ventilateur, Respirateur.

Pour connoître ſi une eſpèce d’air eſt mortelle, on ſe ſert ordinairement de l’épreuve d’une bougie allumée. Si elle s’éteint, on conclut communément que cet air eſt pernicieux, mais ſi elle y brûle, il faut examiner, ſi elle y brûle ſombrement ou non, car dans ce premier cas, il ſeroit encore vicieux & funeſte aux animaux. M. Sage, dans un mémoire intitulé : examen du tartre manganéſé fulminant, ou muriate de potaſſe oxigéné, parle d’un gaz retiré de la maganèſe & de l’acide marin où la bougie ne s’éteint point, mais brûle ſombrement. Il frappe auſſitôt de mort les animaux ; ſi on plonge une grenouille dans ſon atmoſphère, elle y perd auſſitôt la vie, & en ſort, toute blanche. J’aurois pu rapporter d’autres faits analogues, mais celui-là, m’a paru auſſi curieux que déciſif.

Afin que l’air ſoit très-propre à la reſpiration, il doit avoir pluſieurs qualités. Il ne doit pas être trop ſec, autrement il deſſécheroit trop le poumon : auſſi les perſonnes dont la poitrine eſt délicate, ſouffrent-elles dans des lieux où l’air n’a pas aſſez d’humidité ; & on doit leur conſeiller d’habiter les endroits où coulent des rivières. Mais l’air d’une habitation ne doit pas être trop humide, parce que, dans ce cas, il ne pourroit ſe ſaiſir & emporter la portion ſurabondante de l’humidité des poumons dont il doit ſe charger. L’air qu’on reſpire ne doit être ni trop chaud, ni trop froid, ni trop raréfié, ni trop condenſé. Un air qui a un juſte degré de température, eſt bien préférable à celui qui approcheroit d’un des deux extrêmes, & il n’eſt perſonne qui ne ſoit perſuadé qu’un air trop échauffé ou trop refroidi, eſt nuiſible. Les perſonnes dont la poitrine eſt affectée l’éprouvent journellement dans le fort de l’été ou dans celui de l’hiver. Un air trop condenſé comprime plus qu’il ne faut les véſicules bronchiques, & les vaiſſeaux ſanguins. Si au contraire l’air qu’on reſpire eſt trop raréfié, celui qui eſt contenu dans les poumons acquiert alors plus d’expanſion : de là, des diſtenſions nuiſibles & des ruptures de pluſieurs petits vaiſſeaux capillaires, lorſque la raréfaction eſt portée trop loin. Ainſi, dans le fond des mines ou ſur le ſommet des montagnes, on ſouffre également & par trop de condenſation, & par trop de raréfaction dans l’air, ainſi que l’expérience le prouve. La théorie eſt ici parfaitement d’accord dans tous ces points avec l’expérience, puiſque celle-ci démontre que les poitrines ſont plus ou moins affectées par un excès d’humidité ou de ſiccité, de froid ou de chaud, de condenſation ou de raréfaction, de peſanteur ou de légèreté, &c. &c., comme la théorie l’indique. Des températures plus chaudes ou plus froides qu’on n’a coutume de l’éprouver ; un air plus humide ou plus ſec que d’ordinaire &c. &c. ſont ſouvent cauſes de maladies épidémiques qui ne ceſſent que lorſque l’air d’un pays a recouvré ſes qualités ordinaires. Je vais apporter ici en preuve pluſieurs obſervations.

L’air ſec eſt plus ſain que l’air humide ; le premier eſt moins mêlé avec les émanations des corps qui y tranſpirent, c’eſt pourquoi Celſe appelle la ſéchereſſe de l’air, la ſérénité du temps. L’air humide, au contraire, eſt plus chargé de différentes matières élevées dans l’air avec les matières aqueuſes, ce qui le rend plus ſuſceptible de corruption ; c’eſt pourquoi l’humidité de l’air produit un plus grand nombre de maladies, mais celles qui viennent de la ſéchereſſe ſont plus vives, ſelon les obſervations de M. Malouin. L’humidité fait les maladies plus longues, en affoibliſſant les fibres par relâchement, & elle peut produire toutes les maladies qui viennent de cacochymie ; elle fait auſſi des catarres, des bouffiſſures & des hydropiſies. Les maladies que cauſe la ſéchereſſe ſont la mélancolie, la conſomption, la pulmonie, des éréſipèles & des inflammations bilieuſes, ſur-tout des ophtalmies ſèches. mem. de l’académie des ſc. 1749.

L’humidité qui eſt dans l’air, plus abondamment dans certaines contrées que dans d’autres, & ſur mer que ſur terre, produit ou occaſionne des maladies qu’on ne peut guérir, ou dont on ne peut ſe préſerver qu’en détruiſant le principe du mal. Si le capitaine Cook eſt venu à bout de conſerver tous les gens de ſon équipage, durant de longues navigations, autour du monde, qui ont duré pluſieurs années, c’eſt en grande partie aux ſoins de faire ſécher les habits & les appartemens du vaiſſeau, qu’il faut l’attribuer. Voici ce qu’il dit dans ſon ſecond voyage (page 68.) « Pour conſerver notre ſanté, & d’après quelques idées que m’avoient ſuggérées Sir Hugh Palliſer & le capitaine Campbell, je pris toutes les précautions néceſſaires, en faiſant aérer & ſécher le vaiſſeau, en allumant des feux entre les ponts, en fumant l’intérieur, & obligeant les équipages d’expoſer à l’air leurs lits, de laver & ſécher leurs habits, quand on en trouvoit l’occaſion. Si on néglige ſes précautions, le vaiſſeau exhale une odeur déſagréable, l’air ſe corrompt, & on manque rarement d’avoir des maladies, ſur-tout dans les temps chauds & humides. »

Lors donc que les différens degrés de reſſort & de peſanteur de l’air intérieur & extérieur, de chaleur & d’humidité, &c., ne ſont pas proportionnés entr’eux, ou qu’ils ne ſont pas tels qu’ils doivent être dans chaque ſaiſon, les animaux & même les végétaux auxquels l’air eſt ſi néceſſaire, en ſont plus ou moins affectés : ces variations ſont donc capables de produire diverſes maladies, & ſur-tout des maladies communes dans certains temps, & qu’on nomme épidémiques & populaires, comme on en voit dans certains pays qui leur ſont propres & qu’on appelle endémiques.

Il ſeroit donc à-propos qu’on apportât plus d’attention qu’on ne le fait communément dans le choix des habitations, ſur-tout dans les campagnes ; & qu’on examinât les circonſtances locales, & les qualités de l’air qu’on ſe propoſe d’habiter. Combien de fautes de ce genre n’ont pas fait diverſes perſonnes, libres de conſtruire des édifices dans un lieu plutôt que dans un autre ? combien n’en ont pas fait les adminiſtrations de provinces & d’états, en fondant des villes, ſur-tout dans les colonies, &c ? Il ſeroit à ſouhaiter qu’on penſât également à rendre plus ſalubre l’air des lieux habités, en détruiſant tant de cauſes, ſans ceſſe renaiſſantes, qui vicient cet air & qui détruiſent ordinairement ſes qualités, dans ces gouffres habités qu’on décore du nom de villes, & où des millions d’hommes vont ſe précipiter.

Ces conſidérations diverſes ſont d’autant plus importantes, que, quelque pur que ſoit l’air d’une contrée, il deviendra bientôt vicié uniquement par l’habitation d’un grand nombre d’hommes réunis dans un eſpace circonſcrit ; car il eſt bien prouvé 1o. qu’un homme vivant conſomme ou vicie en 24 heures, par ſa ſeule reſpiration, vingt muids d’air, chacun de 288 pintes, & quarante muids par les vapeurs qui ſortent de ſon corps ; de ſorte que, renfermé dans une chambre, il altéreroit ainſi 60 muids d’air pendant cet eſpace de temps. 2o. Que 300 hommes, qui durant un mois ſeroient placés dans l’étendue d’un arpent de terrain, y formeroient, de leur propre reſpiration, une atmoſphère de 71 pieds de hauteur, qui deviendroit bientôt peſtilentielle ſi elle n’étoit pas diſſipée par les vents ; obſervation démontrée par ce qui arrive dans les camps, qui reſtent trop long-temps au même endroit.

Que ſeroit-ce ſi à cette cauſe, toujours ſubſiſtante, on ajoute celles qui réſultent de l’établiſſement de pluſieurs arts nuiſibles à la pureté de l’air, qu’on s’obſtine à renfermer dans l’enceinte des villes, &c. tandis que d’un autre côté on détruit tout ce qui pourroit corriger l’air, en arrachant le peu d’arbres & de végétaux qui ſe trouvent répandus dans leurs divers quartiers. Voyez Fosse d’aisance, & Pompe anti méphitique.

On ſera bientôt convaincu que l’air qui a de bonnes ou de mauvaiſes qualités, peut avoir une grande influence ſur la reſpiration, & conſéquemment ſur la ſanté, lorſqu’on fera attention à la grande capacité du poumon. Elle eſt telle qu’à chaque inſpiration, il reçoit environ 40 pouces cubiques d’air, & qu’il en chaſſe 38 à chaque expiration. Or, dans l’eſpace d’une minute on exécute vingt fois ce mouvement d’inſpiration, 1 200 fois dans une heure, & 28 800 fois dans un jour. Donc le poumon reçoit dans une minute 800 pouces cubiques d’air, 148 000 par heure, & 1 152 000 par jour.

Pour m’aſſurer de cette quantité d’air qu’on reçoit dans le poumon à chaque inſpiration, j’ai fait faire une eſpèce de nez de métal, dont l’ouverture propre à la reſpiration eſt ſoudée avec un tube recourbé en manière de ſiphon renverſé. La grande branche du ſiphon entre dans un vaſe cylindrique plein d’eau & d’air, & renverſé ſur la tablette de la machine hydro-pneumatique. On marque avec un index la hauteur de l’eau dans le vaſe cylindrique dont on connoît le diamètre. Lorſqu’on inſpire par le nez l’air du vaſe cylindrique, l’extrémité ſupérieure de la longue branche du ſiphon étant plongée dans l’air de ce vaſe, on voit l’eau de la cuve s’élever pour remplacer l’air qu’on a fait entrer dans le poumon, alors on marque le nouveau niveau de l’eau du vaſe. Les deux marques ou indices déſignent la hauteur du cylindre d’eau dont on connoît le diamètre, qui eſt celui du vaſe, & conſéquemment déſignent la quantité d’air qui a été reçue dans le poumon ; quantité qu’il eſt facile de réduire en pouces ; les plus ſimples notions de géométrie & d’arithmétique ſuffiſent pour faire cette évaluation. Cette expérience étant faite pluſieurs fois par une même perſonne, & enſuite par différentes, on prendra un milieu entre tous les réſultats, & on trouvera qu’il approche aſſez de la quantité que nous avons aſſignée. Il eſt inutile de prévenir qu’il faut fermer la bouche pour n’aſpirer l’air que par le nez. J’ai nommé cet inſtrument nazelière pneumatique.

On connoîtra l’air qui ſort du poumon à chaque expiration avec un autre appareil, qui ne diffère du précédent que parce qu’on a ſoudé à un ſiphon renverſé de même dimenſion, une eſpèce de muſelière qui recouvre la bouche. Avant que de faire le mouvement d’expiration, on ferme les narines avec les doigts pour forcer l’air à ſortir ſeulement par la bouche. Alors on voit l’eau du vaſe cylindrique deſcendre dans la cuve hydro-pneumatique, & l’air le remplacer. Les deux indices mis aux deux niveaux de l’eau du vaſe, indiquent la quantité d’air expiré, qui eſt communément moindre d’un vingtième, conſéquemment elle eſt d’environ 38 pouces cubiques, nombre moyen entre pluſieurs réſultats. J’ai donné à cet inſtrument le nom de muzelière pneumatique. Il eſt inutile d’obſerver que les bords des parties de ces inſtrumens qui s’appliquent ſur le contour du nez & de la bouche, ſont garnis avec de l’étoffe, pour que l’air extérieur ne paſſe pas par les joints.

On peut varier ces ſortes d’expériences de différentes manières ; par exemple, il eſt facile de rechercher quelle eſt la quantité d’air qui entre ou qui ſort dans une inſpiration ou expiration très-forte. Il paroît qu’elle eſt les trois-quarts de l’inſpiration ou expiration naturelles. On peut reſpirer plus fréquemment ou plus lentement dans un temps donné, & examiner les réſultats, &c. &c.

Mais outre la quantité d’air qu’on expire à chaque fois, il reſte encore dans le poumon une quantité d’air conſidérable, qui me paroît être d’environ 160 pouces cubiques ; car la capacité des véſicules du poumon réunies eſt de plus de 200 pouces cubiques.

Pour avoir à-peu-près une idée de l’organiſation intérieure du poumon, & des capacités ſenſibles de cet organe, on peut jeter un coup d’œil ſur une injection faite avec de l’étain fondu dans un poumon ; elle préſentera, après le refroidiſſement, & après qu’on aura diſſéqué & ôté la ſubſtance du poumon, une eſpèce d’arbre métallique en relief, avec différentes branches, ramifications & ſous-ramifications analogues ou plutôt correſpondantes aux diviſions & ſous-diviſions des routes de l’air dans le poumon. J’en ai pluſieurs de ce genre dans mon cabinet de phyſique.

Cependant les hommes & les animaux peuvent ſupporter une grande condenſation de l’air, comme on l’obſerve dans les mines de Pologne, de Suède, &c. où les ouvriers & des chevaux ſont employés à diverſes opérations. Des oiſeaux & des lapins que je mets dans mes cours d’expériences ſous le récipient de la machine à condenſer, (Voyez Condenser, Machine à condenser l’air) réſiſtent parfaitement à cette épreuve, quoique j’opère une condenſation égale à plus de quatre fois le poids de l’atmoſphère. Les plongeurs vivent auſſi ſous une ample cloche, plongée à une grande profondeur dans la mer. Lorſque cette cloche eſt deſcendue à 300 pieds de diſtance de la ſurface de la mer, l’air y eſt neuf fois environ autant comprimé par la preſſion de l’eau qu’à la ſurface de la terre. Cependant les perſonnes qui ſont ſous cette machine n’en meurent pas, elles évitent même les incommodités qui ſeroient les ſuites de cette grande condenſation, en prenant des précautions dont nous parlerons au mot Cloche du plongeur, & dont les principales ſont de deſcendre lentement la cloche & de renouveler l’air.

M. Boyle ayant renfermé deux ſouris dans deux récipiens égaux ; l’air avoit dans l’un ſa denſité naturelle, & il étoit deux fois plus denſe dans l’autre. Il obſerva enſuite que la ſouris renfermée dans ce dernier récipient, avoit vécu quinze fois plus long-temps que dans l’air naturel, quoique la quantité d’air fût ſeulement double.

Les expériences qu’on a faites ſur l’air condenſé, comparées avec celles ſur l’air raréfié, prouvent que les animaux ſupportent plus facilement les changemens arrivés à la denſité de l’air, lorſque cette denſité augmente, que lorſqu’elle diminue.

Les hommes & les animaux peuvent encore ſupporter une grande raréfaction de l’air ; car MM. Bouguer & la Condamine, se sont trouvés sur le sommet du Pichincha, à une hauteur de 2 420 toises, où le mercure n’avoit que 15 pouces 9 lignes d’élévation dans le baromètre, ensorte que l’air y étoit environ deux fois plus rare que celui qu’on respire dans les pays qui sont près des bords de la mer. Ils n’en ressentirent pas d’incommodité notable ; ils s’y accoutumèrent bientôt ; mais ceux de leur suite, dont la poitrine étoit délicate, éprouvèrent des défaillances, des vomiſſemens, des hémorragies. La laſſitude, à la vérité, avoit beaucoup de part à ces funestes accidens, auxquels ceux qui faiſoient ce voyage à cheval, n’étoient pas exposés. Les habitans des montagnes, accoutumés à respirer un air très-rare, n’en ſont pas plus incommodés que ceux qui ſont habitués à un air condenſé.

M. Cigna a prouvé, par pluſieurs expériences, que ſi les quantités d’air d’un espace toujours le même, sont en raiſon de 128, 169, 330 ; c’est-à-dire, comme 3, 4, 8 ; la durée de la vie des animaux, des moineaux, par exemple, eſt de 35, 70, 210, c’eſt-à-dire, 1, 2, 6 ; ce qui prouve que la durée de la vie, dans l’air de différens degrés de raréfaction par la machine pneumatique, ne répond pas à la quantité d’air, lorſque ſa denſité augmente, par conſéquent que la même quantité d’air ſoutient plus long-temps la vie des animaux quand il eſt moins raréfié que quand il l’eſt davantage.

Une obſervation importante, qu’on ne doit pas paſſer ici ſous ſilence, eſt que les animaux ſe portent très-bien dans l’air raréfié du ſommet des montagnes, & que les bougies y brûlent, tandis que le contraire arrive dans l’air raréfié au même degré, par le moyen de la machine pneumatique. La raiſon en eſt que l’air étant libre au sommet des montagnes, ſe renouvelle de lui-même à chaque inſtant, au lieu que l’autre étant renfermé, eſt bientôt corrompu ; & il eſt hors de doute que ſi l’air du ſommet des montagnes étoit renfermé, il cauſeroit auſſi promptement la mort que celui qu’on a raréfié au même degré, par le moyen de la pompe pneumatique.

On peut encore s’accoutumer très-bien à vivre dans un air très-chaud ou très-froid : on trouve des habitans dans l’intérieur de l’Afrique, il y en a dans le Groënland ; & des voyageurs européens supportent très-bien les deux températures opposées qui ſont propres à ces climats.

Les mémoires de l’académie citent encore l’expérience que pluſieurs perſonnes ont faite devant MM. Tillet, Guettard & Fougeroux, en reſtant pendant quelques minutes dans le four d’un boulanger. On connoit les bains de vapeurs des ruſſes & des turcs. Voyez Bains.

Une des qualités eſſentielles de l’air, pour être propre à la reſpiration, eſt certainement de contenir une doſe ſuffiſante de gaz oxygène. Si l’air que reſpirent des animaux ne contient point d’air oxygène, ils meurent auſſitôt. Ils ne reſpirent qu’avec peine, lorſqu’il n’en tient plus qu’un huitième & l’expérience prouve encore qu’à la longue, l’air qui eſt au-deſſous de 0,28, n’eſt pas exempt de danger ; & ſi l’expérience ne l’avoit appris, on n’auroit jamais pu croire que l’homme pût vivre ſans en être incommodé dans un air auſſi chaud. L’abbé Chappe d’Auteroche nous apprend que les ruſſes prennent leurs bains chauds au 60 degré du thermomètre de Réaumur, c’eſt-à-dire, au 60 de celui de Farenheit.

Le docteur Fordyce a fait, en Angleterre, pluſieurs expériences ſuivies ſur cet objet ; ce fut dans le milieu de janvier 1774. Il ſe procura, ainſi que le rapporte le docteur Blagden, une ſuite de chambres dont la plus haute étoit chauffée par des courans d’eau bouillante verſée ſur le plancher, qui paſſoient dans la ſeconde, & traverſoient par le plancher de celle-ci dans la troiſième. Aucune de ces chambres n’avoit de cheminée, ni de ſoupirail qui pût donner accès à l’air, ſi ce n’eſt les fentes du plancher. Il y avoit trois thermomètres dans la première chambre ; l’un dans ſa partie la plus chaude, l’autre dans celle qui l’étoit moins, & le troiſième ſur une table, pour ſervir au beſoin dans le cours de l’expérience.

Dans la première chambre, le plus haut thermomètre monta à 120 degrés du thermomètre de Farenheit, & le plus bas à 110 ; la chaleur de la ſeconde alla de 90 degrés à 85 ; celle de la troiſième fut médiocre, tandis que la température de l’air extérieur étoit au-deſſus du therme de la glace. Trois heures après avoir déjeûné, le docteur Fordyce quitta, dans la troiſième chambre, tous ſes habits, hors ſa chemiſe, prit à ſes pieds de ſimples ſandales, & entra ainſi dans la ſeconde chambre. Après y avoir reſté cinq minutes, à une chaleur de 90 degrés, il commença à ſuer légèrement ; il paſſa alors dans la première, & s’y tint dans la partie chauffée à 110 ; en une demi-minute, ſa chemiſe devint ſi trempée, qu’il fut obligé de s’en dépouiller ; après quoi l’eau ruiſſela par tout ſon corps. Il s’arrêta là dix minutes, & paſſa enſuite dans la partie chauffée à 120 degrés ; quand il y eut reſté 20 minutes, il trouva que le thermomètre placé ſous ſa langue, dans ſa main ou dans ſon urine, ſe fixa exactement à 110 degrés. Son pouls s’éleva, par degrés, au point de battre 145 fois dans une minute. La circulation extérieure parut conſidérablement accrue ; les veines groſſirent beaucoup, & il ſe répandit à la ſurface du corps une rougeur univerſelle, ſuivie d’une vive ſenſation de chaleur : cependant la reſpiration fut peu affectée. Le docteur Fordyce a penſé que l’humidité de ſa peau venoit indubitablement, pour la plus grande partie, de la vapeur de la chambre, condenſée ſur ſon corps. Il termina cette expérience dans la ſeconde chambre, en ſe plongeant dans une eau chaude au 100e degré ; & après s’être eſſuyé, il s’habilla & ſe rendit chez lui en chaiſe. La circulation dura deux heures à ſe ralentir : enſuite il ſe promena en plein air, & ſentit à peine le froid.

La ſeconde expérience du docteur Fordyce ne préſente pas des différences eſſentielles ; les réſultats en furent à-peu-près les mêmes. Depuis, il s’eſt ſouvent expoſé à une chaleur beaucoup plus grande, dans une atmoſphère sèche, & l’a ſoutenue bien plus long-temps, ſans en être incommodé, ce qu’il attribue à deux cauſes : ſavoir, à la ſéchereſſe de l’air, qui ne lui permet pas de communiquer la chaleur comme l’humidité ; & à l’évaporation du corps, qui, plus copieuſe dans un air ſec, aide les forces vitales à produire le froid.

Le 23 janvier, MM. Phillips, Banks, Solander & Blagden, avec M. Fordyce, répétèrent les expériences précédentes. Dans la chambre chaude où ils entrèrent, ils trouvèrent le mercure d’un thermomètre qui y avoit été ſuſpendu, fixé au-deſſus de 150 degrés. En vingt minutes qu’ils y reſtèrent, la chaleur monta environ de 12 degrés, ſur-tout dans le premier moment. Ils y revinrent une heure après, ſans éprouver aucune différence ſenſible, quoique la chaleur eût été conſidérablement augmentée. En y entrant pour la troiſième fois, on obſerva que le mercure étoit monté à 198 degrés du ſeul thermomètre qui leur reſta ; car cette grande chaleur avoit tellement fait déjeter les châſſis d’ivoire des autres, qu’ils ſe caſsèrent tous ; ces meſſieurs demeurèrent alors tous à-la-fois dix minutes dans la chambre ; mais, trouvant que le thermomètre baiſſoit extrêmement vîte, ils convinrent qu’on n’y entreroit déſormais qu’un à-la-fois, & on fit pouſſer le feu auſſi vivement qu’il fut poſſible. Bientôt après, M. Solander, étant entré ſeul dans la chambre, trouva le thermomètre à 210 degrés ; mais, en trois minutes qu’il y reſta, le mercure deſcendit à 196.

L’air chauffé à ces degrés de force, imprime une ſenſation déſagréable, mais qu’on peut très-bien ſupporter. La plus diſgracieuſe pour eux étoit un ſentiment de cuiſſon ou de brûlure au viſage & aux jambes. Leurs jambes ſur-tout ſouffroient extrêmement, parce qu’elles ſe trouvoient expoſées, plus qu’aucune autre partie du corps, à la chaleur du poêle qui étoit chauffé à rouge. Leur reſpiration ne fut nullement affectée ; elle ne devint ni prompte ni laborieuſe. L’unique différence conſiſtoit dans la privation de ce ſentiment de fraîcheur, qui accompagne la libre reſpiration de l’air frais. Autant qu’on put juger, le pouls de M. Blagden battit cent fois dans une minute, vers la fin de la première expérience ; celui de M. Solander faiſoit 92 pulſations dans une minute, immédiatement après être ſorti de la chambre chaude. M. Banks ſua abondamment, mais il fut le ſeul. Toutes les fois qu’ils reſpiroient ſur un thermomètre, l’argent-vif deſcendoit de pluſieurs degrés. Chaque expiration, ſur-tout quand elle étoit forte, imprimoit un très-agréable ſentiment de fraîcheur aux narines qui étoient, pour-ainſi-dire, brûlées par l’air enflammé de l’inſpiration. Leur haleine rafraîchiſſoit de même leurs doigts, toutes les fois qu’ils en étoient atteints. « Quand je la dirigeois ſur mon côté, dit M. Blagden, je la ſentois auſſi froide que ſi j’euſſe touché un cadavre : cependant la chaleur actuelle de mon corps, meſurée ſous ma langue, & par l’application exacte d’un thermomètre à ma peau, étoit à 98 degrés, c’eſt-à-dire, à un degré plus haut que ſa température ordinaire. Lorſque la chaleur de l’air approchoit du plus haut degré que cet appareil fût capable de produire, ſi nous étions dans la chambre, nos corps l’empêchoient d’y parvenir ; & ſi elle l’avoit atteint avant notre arrivée, dès que nous y entrions, nous la faiſions infailliblement baiſſer. Toutes nos expériences confirment cette vérité. À la fin de la première, le thermomètre reſta ſtationnaire : dans la ſeconde, il deſcendit un peu durant le court intervalle que nous reſtâmes dans la chambre : il baiſſa ſi vîte dans la troiſième, que nous fûmes contraints de décider qu’il n’entreroit, à l’avenir, qu’une perſonne à-la-fois, Enfin, M. Banks & le docteur Solander ſe ſont ſéparément aperçus que leur corps faiſoit baiſſer conſidérablement le mercure, lorſque la chambre avoit preſque acquis le plus haut degré de chaleur qu’elle pût atteindre. Ces expériences prouvent, de la manière la plus évidente, que le corps a la vertu de détruire la chaleur. » Ce qu’il y a de plus étonnant, c’eſt que les perſonnes ſoumiſes à ces expériences aient conſervé à-peu-près leur température naturelle, et que l’air de la chambre ſi échauffé, ne ſe ſoit pas communiqué au même degré à leurs corps. Mais il faut obſerver que leurs habits les préſervèrent de la chaleur, par le même principe qu’ils garantiſſent du froid, que la chaleur de l’air ſe communique, non avec rapidité, mais avec lenteur ; & que s’ils avoient reſté plus long-temps expoſés à cette chaleur de la chambre chaude, la température de leurs corps ſe ſeroit beaucoup plus élevée ſucceſſivement.

XIII. De la quantité d’eau contenue dans l’air de l’atmoſphère. L’air tient en diſſolution une grande quantité d’eau. Nous avons prouvé, à l’article Atmosphère terrestre, de la nature, de la formation & de la conſtitution de l’atmoſphère, que l’air contenoit une quantité conſidérable d’eau qui s’évapore continuellement en hiver comme en été de la ſurface des étangs, des rivières, des fleuves, des mers, des terres, des végétaux & des animaux. Or, cette quantité d’eau, que l’air tient en diſſolution, eſt très-grande.

Pluſieurs expériences prouvent encore cette vérité. De l’alkali fixe végétal, bien deſſéché, mis dans une balance, devient bientôt plus peſant. Une livre de ce ſel tombe bientôt en déliquium, & pèſe trois livres ; renfermé dans un vaſe bien ſec, plein d’air ſec & enſuite bouché, il ſe fond en partie & acquiert une peſanteur plus grande. Il en eſt de même de pluſieurs autres ſels, quoique l’expérience ne ſoit pas ſi ſenſible qu’avec l’alkali fixe. Or, cette augmentation de poids ne vient que de l’eau contenue dans l’air qui a été abſorbée par ces ſels, & qui a ajouté à ſon propre poids celui de ces ſubſtances ſalines.

Si on met, par exemple, du ſel ammoniac en poudre dans un vaſe plein d’eau, ou ſeulement de la glace, on remarquera bientôt une vapeur aqueuſe qui couvrira la ſurface extérieure du vaſe. Or, cette vapeur, qui augmentera juſqu’à produire des goutes d’eau qui ruiſſeleront, ne vient que de l’eau contenue dans l’air de l’atmoſphère qui environne le vaſe, & qui eſt condenſée par le froid que produit le ſel ammoniac. (Il en eſt de même de quelques autres ſels) ; car il ſeroit abſurde de penſer que cette eau eût traverſé ſa ſubſtance d’un vaſe de verre, de métal, de porcelaine, dans lequel on peut faire l’expérience.

L’expérience ſuivante eſt également concluante. Placez un récipient ſur la platine de la machine pneumatique, ſans employer de cuir mouillé, mais un ſimple cordon de cire pour luter les bords du récipient avec la platine. Lorſqu’on pompera l’air, on obſervera une légère vapeur qui tournoie & qui ſe précipite ſur la platine. Mais cette vapeur n’eſt autre choſe que l’eau contenue dans l’air, & qui ne peut plus y être ſoutenue quand on raréfie l’air. Alors ces molécules aqueuſes diſſéminées, ſe rapprochent les unes des autres, deviennent plus ſenſibles & plus peſantes, & tombent vers le bas du récipient. On fera durer cette expérience autant qu’on le déſirera, en rendant du nouvel air, & en faiſant jouer alternativement la pompe pneumatique. La précaution de ne point employer de cuir mouillé dans cet appareil, eſt afin qu’on ne puiſſe pas objecter que cette vapeur aqueuſe vient de l’humidité du cuir.

Cet appareil, que je viens de décrire, eſt plus ſimple & ſans doute plus rigoureuſement exact que celui de l’abbé Nollet, décrit dans ſes leçons de phyſique. La figure 332 le repréſente ; il conſiſte dans un globe de verre viſſé ſur le goulot d’un récipient, & placé entre l’œil & une bougie allumée pour l’expérience. On fait le vide ſeulement dans le récipient qui eſt ſur la platine de la machine pneumatique, la communication, entre les deux vaiſſeaux, étant fermée. Enſuite on tourne le robinet pour faire communiquer les deux capacités : alors l’air du ballon ſphérique qui eſt au-deſſus, ſe répandant dans le récipient pour ſe mettre en équilibre de denſité, on obſerve, le ballon étant entre la lumière & l’œil du ſpectateur, une vapeur légère qui, après avoir tournoyé, ſe précipite vers le bas de ce vaiſſeau. Cette expérience peut être réitérée à volonté, autant de fois qu’on a fait rentrer du nouvel air dans le ballon.

Toutes les fois qu’on fait jouer la machine pneumatique, on obſerve un phénomène ſemblable : mais comme on auroit pu s’imaginer que la vapeur vient des cuirs mouillés qu’on met ſur la platine de la machine ; M. l’abbé Nollet a employé un grand récipient avec un ballon qui n’ait jamais ſervi à aucune expérience. On trouvera d’autres preuves de ce genre dans un mémoire de M. l’abbé Nollet, inſéré dans ceux de l’académie des ſciences, année 1740, pag. 243.

M. de Sauſſure prétend, dans ſon eſſai ſur l’hygrométrie, que cette expérience ne réuſſit que lorſque dans les tuyaux d’une pompe pneumatique, il y a de l’humidité cachée qui, ſe changeant en vapeur élaſtique, quand l’air ſe raréfie, s’élance avec force dans l’intérieur du récipient. Au moment l’air ſe raréfie, dit-il, la ſurface de cette eau délivrée d’une partie de la preſſion de l’air, ſe réſout en vapeur élaſtique ; cette vapeur ſature d’abord les couches d’air les plus voiſines de la ſurface dont elle ſort, & le ſurplus, que ces couches ne peuvent pas diſſoudre, ſe change en vapeur véſiculaire. Ces véſicules, entraînées par le mouvement que la ſuccion de la pompe imprime à l’air du récipient, s’y agitent & tourbillonnent juſqu’à ce qu’elles aient été diſſoutes par l’air s’il n’eſt pas ſaturé, ou condenſées contre les parois du récipient, ſi l’air ne peut plus en diſſoudre.

Ce phyſicien employa une pompe dont tout l’intérieur avoit été récemment nettoyé, dont les cuirs & les piſtons avoient été graiſſés avec de l’huile ſans aucun mélange d’eau. Un récipient très-ſec fut mis ſur la platine de la machine, bien ſéchée, & le tout fut luté avec de la cire propre & ſèche. L’appareil étant ainſi préparé, on raréfia l’air contenu dans le récipient, & il ne s’y forma point de vapeurs. Mais lorſqu’on eut introduit, ſous le récipient, une carte humectée, alors on vit les vapeurs.

J’ai répété avec ſoin cette expérience, & j’en ai obtenu le même réſultat. Lorſque l’appareil eſt parfaitement ſec, on ne voit pas les vapeurs qui ſe montrent dans une circonſtance oppoſée, & qui paroiſſent d’autant plus abondantes, qu’il y a plus d’humidité dans le corps renfermé ſous le récipient. Mais je penſe que ſi on pouvoit opérer ſur de grandes maſſes d’air, & avoir de très-grands récipiens, on verroit des vapeurs être précipitées de l’air, que nous regardons comme très-ſec : c’eſt le petit volume de l’air qui rend peu ſenſibles à notre vue, les vapeurs aqueuſes qui peuvent retomber. Cependant, quoique la preuve, apportée par M. l’abbé Nollet, ſoit ſujette à diſcuſſion, l’exiſtence des vapeurs dans l’air n’en eſt pas moins démontrée par un grand nombre d’autres raiſons. Au reſte, on ne croit plus aujourd’hui aux vapeurs véſiculaires de M. de Sauſſure, depuis qu’un habile phyſicien, M. Monge, en a montré le peu de fondement à l’académie des ſciences.

L’acide vitriolique qui devient plus peſant, expoſé à l’air, parce qu’il attire l’humidité répandue dans l’atmoſphère, éprouve, ſuivant les expériences de M. Nairne, ſous le récipient de la machine pneumatique, une déperdition de ſa partie aqueuſe qui entre en expanſion à meſure que le vide ſe forme. Il en eſt de même de l’eau que contient le mercure. Voyez les obſervations ſur la phyſique, l’hiſtoire naturelle & les arts. Février & avril 1778.

En un mot, non-ſeulement l’acide vitriolique acquiert une augmentation de poids à l’air, comme on vient de le voir, mais encore tous les acides minéraux deviennent ainſi plus peſans par l’eau diſſoute dans l’air, qu’ils attirent plus ou moins puiſſamment, & qui a avec eux une grande affinité. Tous les extraits ſecs tirés des végétaux, abſorbent en peu de temps l’humidité de l’air. La chaux vive s’éteint à l’air, & abſorbe ainſi l’eau qu’il contient en tout temps & en tout lieu. Une pierre à cautère, placée de même dans l’air, devient humide & plus peſante. Il en eſt de même de toutes les ſubſtances douées de cauſticité. Par-tout, & à toute hauteur, ces effets arrivent ; d’où il réſulte qu’il n’y a aucun eſpace dans l’atmoſphère, juſqu’à la hauteur des plus hautes montagnes, où l’expérience ne prouve que l’air contient beaucoup d’eau.

On a penſé aſſez généralement que l’air avoit une faculté diſſolvante de l’eau, & c’eſt à elle qu’on doit, dit-on, attribuer cette grande quantité de vapeurs aqueuſes qui eſt dans l’air. Quoiqu’il y ait des phyſiciens, même modernes, qui n’admettent pas ce ſentiment, néanmoins nous croyons qu’il eſt de notre devoir & de notre impartialité de rapporter les preuves ſur leſquelles on l’établit.

Si on introduit de l’eau purgée d’air par l’ébullition & par la machine pneumatique, avec une bulle d’air de la groſſeur d’un pois dans un tube de verre d’un pied de long & de 4 à 5 lignes de diamètre, fermé enſuite hermétiquement, on verra bientôt la bulle d’air diſparoître, ſur-tout ſi on le chauffe. Cette expérience eſt de M. Amontons. Il y a donc une grande affinité entre l’air & l’eau ; il y a donc diſſolution entre ces deux ſubſtances ; & c’eſt toujours la plus grande maſſe qui eſt cenſée diſſoudre la plus petite.

M. d’Obſon de Liverpool, ayant placé 3 onces d’eau dans une taſſe de porcelaine, ſous un récipient de machine pneumatique qu’on priva enſuite d’air, obſerva qu’une égale quantité d’eau miſe dans un même vaſe, à la même température & dans un air libre, perdit un gros huit grains, tandis que la première n’avoit pas ſenſiblement diminué. D’où on conclut que l’air diſſout l’eau. Mais nous avons vu, il n’y a qu’un inſtant, que ſuivant les expériences de M. Nairne, l’acide vitriolique, qui augmente de poids, expoſé à l’air libre, éprouve dans le vide une déperdition de ſa partie aqueuſe, qui entre en expanſion à meſure qu’on raréfie l’air ; & qu’il en eſt de même du mercure. Or, ces dernières expériences ont été faites avec beaucoup plus de préciſion, & avec des appareils très-exacts. En parlant de l’élévation des vapeurs dans l’atmoſphère, & de la cauſe de l’évaporation, de l’électricité, &c. Nous rapporterons les raiſons que pluſieurs phyſiciens ont eues de douter de la vérité de cette opinion aſſez généralement répandue, & par le moyen de laquelle on explique commodément un grand nombre de phénomènes.

Néanmoins nous ajouterons ici que les raiſons principales qui militent en faveur du ſentiment qui établit que le fluide aqueux eſt intimement combiné avec l’air, ou qu’il y exiſte dans l’état d’une vraie diſſolution chimique, c’eſt la parfaite tranſparence d’un air ſaturé de vapeurs par la chaleur, leur apparition ſubite par le froid, leur union intime avec l’air, malgré la différence de leur denſité. « Il ſeroit difficile, dit un célèbre chimiſte, de concevoir que cela pût être autrement. L’eau reſte unie à l’air tant que les circonſtances ne changent pas, c’eſt ce qui n’arrive pas aux fluides ſans affinité, parce que leur mobilité ne permet pas de ſuppoſer que leurs molécules puiſſent demeurer ainſi interpoſées & ſuſpendues par le frottement d’une manière purement mécanique. La ſeule équipondérance prouveroit donc la combinaiſon, & à plus forte raiſon, cette diſtribution uniforme, cette condition d’homogénéité qui ne peut jamais être le réſultat d’un ſimple mélange.

L’hygromètre nous indique encore la préſence univerſelle des vapeurs aqueuſes dans l’air, car il n’eſt pas d’endroit où ſi on ſéche l’air, par divers procédés, on n’obſerve l’aiguille de cet inſtrument tourner vers le ſec, ce qui prouve qu’avant le deſſéchement, l’air contenoit de l’humidité ; & ſi on augmente encore ſucceſſivement la ſiccité de l’air, on verra l’aiguille augmenter ſon mouvement d’une manière correſpondante, preuve que l’air ſec contient des vapeurs aqueuſes, & qu’il n’y a pas plus de ſiccité abſolue que d’humidité extrême, puiſqu’on peut toujours augmenter indéfiniment l’une & l’autre de ces qualités. Voyez Hygromètre.

Pour connoître la quantité d’eau que contient un pied cube d’air, on a propoſé d’étendre une demi-once d’alkali fixe en poudre ſur une ſurface de neuf pouces quarrés, & d’examiner quel ſeroit le poids déterminé dont le pied cube d’air augmenteroit. On a trouvé, en ſuivant des procédés analogues, que la quantité d’eau qu’un pied cube d’air de l’atmoſphère peut diſſoudre, eſt de 12 grains. Nous dirons ici en paſſant, que le gaz fixe & quelques autres fluides élaſtiques en diſſolvent davantage, & que la quantité d’eau diſſoute dans l’air & dans les gaz eſt très-variable, ſuivant les circonſtances des lieux & des temps.

Cette quantité conſidérable d’eau qui eſt dans l’air eſt la matière des Météores aqueux. Voyez cet article & ceux de Pluie, Rosée, Serein, Bruine, Brouillard, Grêle, Neige, Givre ; voyez les mots Nuées, Nuages ; ſans oublier le mot Eau.

Cette propriété que l’air a d’être toujours chargé d’humidité, eſt eſſentielle pour les animaux qui le reſpirent, & pour la germination & l’accroiſſement des végétaux, car les uns & les autres ſouffrent d’un air trop ſec ; les premiers ne reſpirent qu’avec peine un air trop ſec, & les ſeconds languiſſent & périſſent dans un air qui n’eſt pas humide, comme on l’obſerve dans les années où les pluies ſont très-rares.

Si l’air contient de l’eau dans un état de combinaiſon, l’eau contient de même de l’air en diſſolution. Voyez le mot Eau.

XIV. De quelques autres propriétés, qualités & effets de l’air.

L’air ſe charge des émanations des corps odoriférans. Voyez Odeur, Émanation, Méphitisme, Fosse d’aisance.

L’air eſt néceſſaire pour l’entretien du Feu, de la Flamme, & en général de toute Combustion. Voyez ces mots.

L’air peut être conſidéré en mouvement. Voyez les articles Son & Vent.

L’air influe beaucoup ſur les couleurs ; il en eſt de même de la lumière. Les couleurs, non ſeulement celles qui ſont vives mais encore celles qui ſont foncées & qui ont le plus d’intenſité, perdent bientôt de leur éclat, ſuivant qu’elles ſont plus ou moins de temps expoſées à l’air. Des expériences journalières démontrent cette vérité ; elles ſont trop connues pour les rapporter. Il ſuffira de citer ici l’expérience ſuivante d’une couleur qui paroît & diſparoît ſuivant que le contact de l’air a lieu ou non. Si on met dans un flacon de l’alkali volatil fluor, dans lequel on aura fait diſſoudre de la limaille de cuivre, on aura une belle teinture bleue. Si on bouche bien ce flacon, la couleur diſparoîtra peu après ; mais en le débouchant enſuite, la couleur bleue reparoîtra auſſitôt : & ces alternatives d’apparitions & de diſparitions peuvent ſe répéter un grand nombre de fois. On ſait encore que la diſſolution d’orcanète par l’eſprit de vin, qui forme une liqueur colorée qu’on met dans quelques thermomètres, perd ſa couleur au bout de pluſieurs années, & qu’il ſuffit d’ouvrir l’extrémité ſupérieure du tube, pour lui faire reprendre ſa couleur primitive. La liqueur propre du coquillage appellé pourpre, prend ſucceſſivement pluſieurs eſpèces de couleur lorſqu’elle eſt expoſée à l’air, ainſi que l’a remarqué M. de Reaumur : Voyez Couleur. Sur la couleur de l’air. Voyez Azurée, Bleu.

L’air ayant des rapports avec tous les objets que la phyſique conſidère, il eſt néceſſaire de conſulter les articles reſpectifs ſur leſquels l’air a une influence plus ou moins immédiate. Ainſi, par exemple, pour ſavoir ſi l’air a la propriété d’être abſorbé par le charbon, il faut conſulter l’article Charbon, où cette matière ſera traitée.

On a découvert depuis peu une ſingulière propriété de l’air, celle d’exciter le vomiſſement. M. Goſſe a ſouvent employé ce moyen ingénieux pour ſe faire vomir à volonté : ſon but avoit été de faire des expériences ſur la facilité ou la difficulté que les divers alimens ont à être digérés. Il conſiſte à avaler une certaine quantité d’air atmoſphérique ; cet air parvenu dans l’eſtomac devient alors un émétique ſûr qui produit ſon effet ſans dégoût ni fatigue. On peut voir les expériences très nombreuſes de ce ſavant, à la ſuite des expériences ſur la digeſtion de l’homme & de différentes eſpèces d’animaux, par l’abbé Spallanzani, traduites par M. Sennebier. 1783.

Parmi les qualités de l’air, on doit compter l’Électricité ; elle exige d’être traitée avec une étendue ſuffiſante, & de n’être expoſée qu’après avoir établi les principes relatifs à cette matière, c’eſt pourquoi nous renvoyons ce que nous avons à en dire à l’article Électricité ; électricité de l’air ; électricité de l’atmoſphère ; on y verra que l’air n’eſt pas ſimplement conducteur, mais électrique par ſa nature.

On ne doit point s’attendre à trouver ici, au moins en détail, ce qui a rapport aux propriétés chimiques de l’air atmoſphérique, il faut avoir recours pour cet objet au dictionnaire de chimie. Il ſuffira de dire, 1o. que l’air atmoſphérique a de l’affinité pour l’eau ; qu’il la diſſout dans ſon état de liquidité ; que la condition de température n’influe dans cette union que comme dans toute autre diſſolution ; que cette dernière perſiſte tant que la température ne change pas, ou que l’eau n’eſt pas ſéparée par une affinité plus puiſſante, telle que celle qu’exercent les ſubſtances hygrométriques ; qu’il exiſte un point de ſaturation au-delà duquel ce compoſé d’air & d’eau n’agit plus ſur l’eau, même en état de vapeurs ; que celles qui forment les brouillards ne ſont véritablement que des ſphères plus légères que l’air, pleines d’un compoſé homogène de calorique & d’eau, & qui ſont ſimplement mélangées avec l’atmoſphère ; que l’air humide eſt plus léger que l’air ſec ; qu’un air froid non ſaturé d’eau peut en diſſoudre une plus grande quantité qu’un air chaud ſaturé d’humidité ; que la portion d’eau que l’air atmoſphérique dépoſe dans les limites de l’humidité extrême au plus grand deſſéchement connu, eſt d’environ 11 grains par pied cube ; que la cauſe la plus probable de la précipitation de l’eau dans des mélanges d’air à divers dégrés de température, eſt que le pouvoir qu’il a de diſſoudre l’eau, décroit en plus grande raiſon que ſa température (c’eſt une des expériences les plus plauſibles de la formation de la pluie) ; que de tous les hygromètres celui à cheveux eſt un du très petit nombre de ceux qui ſont les plus réglés & les plus comparables ; que comme il ne peut ſervir que pour l’air atmoſphérique, on eſt contraint d’employer pour les autres fluides permanens les terres & les ſels cauſtiques, ou tout autre corps hygrométrique ; que cependant parmi ces ſubſtances, l’acide ſulfurique paroît préférable en ce qu’il n’abſorbe pas de gaz acide carbonique.

2o. Que l’air atmoſphérique a de l’affinité pour le gaz acide carbonique ; qu’il en tient preſque toujours en diſſolution ; que c’eſt en vertu de cette affinité que l’air atmoſphérique ne cède pas à la chaux ou aux autres alkalis toute la quantité de gaz acide carbonique qu’il tient en diſſolution ; que ce gaz ne manque jamais aux végétaux qui ne peuvent croître qu’en s’appropriant le charbon qui eſt un de ſes principes conſtituans, & qu’il exiſte ſur le ſommet des plus hautes montagnes dont n’approche aucun être organiſé qui puiſſe en fournir les matériaux, & loin deſquelles il devroit être enchaîné par ſon poids. Voyez l’ouvrage déjà cité, & le mot Eau ; article eau dans l’air.

Air acide marin. C’eſt la même choſe que le gaz acide marin. (Voyez Gaz acide muriatique.)

Air acide marin déphlogistiqué. Voyez Gaz acide muriatique oxigène.

Air acide spatique, ou gaz acide ſpatique. Voyez Acide, acide-fluorique, & Gaz acide flurique.

Air acide végétal. Voyez Gaz acide acéteux.

Air-acide vitriolique. Voyez Gaz-acide sulphureux.

Air alkalin. Voyez Gaz ammoniacal.

Airs artificiels ; c’eſt le nom très-impropre qu’on a donné aux divers gaz. Voyez l’article Gaz, & les différentes eſpèces de ce genre où ſe trouvent les articles qui ont rapport à tout ce qui a été nommé airs dans l’origine de la découverte.

Air déphlogistiqué ; c’eſt la même choſe que l’air pur, l’air végétal, l’air de feu, l’air éminemment reſpirable ; c’eſt le gaz oxigène de la nouvelle nomenclature. Voyez le mot Gaz oxigène.

Air de vent ; c’eſt la même choſe que rumb de vent. Voyez Rumb de vent.

Air fixe, c’eſt la même choſe que gaz fixe ; gaz acide crayeux ; gaz acide carbonique de la nouvelle nomenclature : quelques-uns lui ont donné le nom de gaz méphitique ; mais cette dénomination eſt vicieuſe, parce qu’il y a pluſieurs autres gaz, que le gaz fixe, qui ſont méphitiques. Voyez Gaz acide carbonique.

Air hépatique. Voyez Gaz hydrogène sulphuré.

Air inflammable ; c’eſt la même choſe que le gaz inflammable ; gaz hydrogène de la nouvelle nomenclature. Voyez Gaz hydrogène.

Air inné. Les anciens anatomiſtes ont donné ce nom à une ſubſtance aérienne extrêmement ſubtile qu’ils ſuppoſoient être enfermée dans le labyrinthe de l’oreille interne, & qui ſervoit à tranſmettre les ſons au ſenſorium commune. Mais l’exiſtence de cet air n’eſt point prouvée.

Air méphitique. Cette dénomination convient à tout air malfaiſant.

Air nitreux ; c’eſt le Gaz nitreux.

Air nitreux déphlogistiqué. Voyez Gaz acide nitrique.

Air phlogistiqué, gâté, vicié. Voyez Gaz azote.

Air phosphorique ou gaz phoſphorique. Voyez Gaz hydrogène phosphorisé.

Air puant du ſoufre ; c’eſt le Gaz hydrogène sulphuré.

Air pur. La ſubſtance à laquelle on donne le nom d’air pur ; ceux d’air vital, de gaz déphlogiſtiqué, d’air de feu, de gaz oxigène, eſt l’air éminemment reſpirable, le ſeul propre à la reſpiration des animaux & à la combuſtion. À l’article Gaz, & à celui de Gaz vital, on traitera de tout ce qui a rapport à cet important ſujet, en même temps un des plus brillans de la phyſique moderne. On verra mieux alors la liaiſon que cet air pur, que ce gaz vital a avec les autres gaz, & ſa nature ſera plus facilement connue : d’un autre côté, on évitera de cette manière les répétitions. Voyez Gaz oxigène.