Ennéades (trad. Bouillet)/II/Livre 5

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade II, livre v :
De ce qui est en Puissance et de ce qui est en Acte | Notes



LIVRE CINQUIÈME.

DE CE QUI EST EN PUISSANCE ET DE CE QUI EST EN ACTE[1].

I. On dit que telle chose est en puissance, que telle chose est en acte[2] ; on compte l’acte parmi les êtres. Il faut donc examiner ce que c’est qu’être en puissance (τὸ δυνάμει εἶναι), être en acte (τὸ ἐνεργείᾳ εἶναι) ; il faut chercher si être en acte est la même chose qu’être un acte, si ce qui est un acte est aussi en acte, ou si ce sont deux choses différentes, en sorte que ce qui est en acte ne soit pas nécessairement un acte.

Il y a dans l’ordre des objets sensibles quelque chose qui est en puissance ; c’est évident. Y a-t-il aussi dans les intelligibles quelque chose qui soit en puissance ? C’est ce qu’il faut examiner : il faut voir si les intelligibles sont seulement en acte, et si, en admettant qu’il y ait dans les intelligibles quelque chose qui soit en puissance, ce qui y est en puissance n’y est toujours qu’en puissance, parce qu’il est éternel, et n’arrive jamais à l’état d’acte, parce qu’il est en dehors du temps[3].

Expliquons d’abord ce qu’on entend par être en puissance. Quand on dit qu’une chose est en puissance, ce n’est pas absolument (ἁπλῶς). Nécessairement, ce qui est en puissance est en puissance relativement à une autre chose : par exemple, l’airain est en puissance une statue[4]. En effet, si rien ne devait (ἔμελλε) être fait soit avec cette chose, soit en elle, si elle ne devait pas être quelque chose au delà de ce qu’elle est, s’il n’était pas possible (ἐνεδέχετο) qu’elle devînt quelque chose, elle serait seulement ce qu’elle était ; or elle était déjà ce qu’elle était, elle ne devait rien devenir. Que pouvait-elle devenir autre que ce qu’elle était ? Elle n’était donc pas en puissance. Par conséquent, si en considérant ce qui est une chose en puissance et une autre chose en acte, on dit qu’il est en puissance, il faut qu’il puisse devenir autre chose que ce qu’il est, soit qu’après avoir produit cette autre chose il reste ce qu’il est, soit que, en devenant cette autre chose qu’il est en puissance, il cesse d’être ce qu’il est lui-même[5]. En effet, si l’airain est une statue en puissance, ce n’est pas comme l’eau est en puissance l’airain, comme l’air est en puissance le feu[6].

Faut-il dire que ce qui est ainsi en puissance est une puissance par rapport à ce qui doit être, que l’airain, par exemple, est la puissance d’une statue ? Non, si l’on entend la puissance productrice : car on ne saurait dire que la puissance productrice est en puissance. Si l’on rapprochait être en puissance non-seulement d’être en acte, mais encore d’être un acte, il en résulterait que la puissance serait en puissance. Il vaut mieux, il est plus clair, d’opposer être en puissance à être en acte, être une puissance à être un acte. La chose qui est ainsi en puissance est le sujet des modifications passives, des formes, des caractères spécifiques (ὑποϰείμενόν τι πάθεσι ϰαὶ μορφαῖς ϰαὶ εἴδεσι) qu’elle doit recevoir par sa nature, auxquels elle aspire, et qui tantôt valent mieux, tantôt valent moins et détruisent les caractères différents qui sont en acte dans ce sujet[7].

II. Quant à la matière, il faut examiner si elle est une chose en acte en même temps qu’elle est en puissance les formes qu’elle reçoit, ou si elle n’est rien du tout en acte. En général toutes les autres choses, dont nous disons qu’elles sont en puissance, passent à l’état d’acte en recevant la forme et en restant les mêmes. On dira de la statue qu’elle est une statue en acte, et l’on opposera ainsi statue en acte à statue en puissance ; mais statue en acte ne s’affirmera pas de l’airain qu’on disait être une statue en puissance. S’il en est ainsi, ce qui est en puissance ne devient pas ce qui est en acte, mais de ce qui était précédemment [une statue] en puissance provient ce qui est ensuite [une statue] en acte. En effet, ce qui est en acte, c’est le composé et non la matière, c’est la forme ajoutée à la matière ; cela a lieu quand une autre essence est produite, quand de l’airain, par exemple, on fait une statue ; car c’est cette essence autre que l’airain qui constitue la statue, c’est-à-dire, le composé[8].

Dans les objets qui n’ont aucune permanence, ce qu’on dit être en puissance est évidemment une chose toute différente [de ce qu’on dit être en acte]. Mais quand le grammairien en puissance devient grammairien en acte, pourquoi n’y aurait-il pas alors identité entre ce qui est en puissance et ce qui est en acte ? Socrate sage en puissance est le même que Socrate sage en acte. — L’homme ignorant est-il donc le même que le savant, puisqu’il était savant en puissance ? — C’est par accident que l’homme ignorant devient savant : car ce n’est pas en tant qu’il était ignorant qu’il était savant en puissance ; l’ignorance n’était chez lui qu’un accident ; mais son âme, qui était disposée par elle-même [à être savante en acte], reste encore savante en puissance en tant qu’elle est savante en acte, et conserve toujours ce qu’on appelle être en puissance : ainsi le grammairien en acte ne cesse pas d’être grammairien en puissance[9]. Rien n’empêche que ces deux choses différentes [être grammairien en puissance, être grammairien en acte] n’aient lieu ensemble ; dans le premier cas, l’homme est seulement grammairien en puissance ; dans le second cas, l’homme est encore grammairien en puissance, mais cette puissance a reçu sa forme [a passé à l’état d’acte].

Si ce qui est en puissance est le sujet (τὸ ὑποχείμενον), si ce qui est en acte est le composé (τὸ σύνθετον, τὸ συναμφότερον), comme dans le cas de la statue, quel nom recevra la forme ajoutée à l’airain ? Il faut nommer acte la forme et le caractère spécifique par lesquels un objet est en acte au lieu d’être simplement en puissance ; ils sont l’acte, non dans un sens absolu, [mais dans un sens relatif, c’est-à-dire] l’acte de telle chose (ἡ τοῦδε ἐνέργεια)[10].

Le nom d’acte conviendrait mieux à l’acte autre [que l’acte de telle chose], à l’acte correspondant à la puissance qui amène une chose à l’acte (ἡ ἐνέργεια ἀντίθετος τῇ δυνάμει τῇ ἐπαγούσῃ ἐνέργειαν). En effet, quand ce qui était en puissance arrive à être en acte, il le doit à une autre chose[11].

Quant à la puissance qui produit par elle-même ce dont elle est la puissance, c’est-à-dire qui produit l’acte [correspondant à cette puissance], elle est une habitude (ἕξις) ; l’acte [qui correspond à cette habitude] lui doit son nom : l’habitude est, par exemple, la bravoure ; l’acte, être brave[12]. En voici assez sur ce sujet.

III. Expliquons pourquoi nous sommes entré dans les considérations précédentes. Elles avaient pour but de nous amener à déterminer en quel sens on dit que les intelligibles sont en acte, à voir si chaque intelligible n’est qu’en acte ou bien encore n’est qu’un acte ; enfin comment, si tous les intelligibles sont des actes, il peut y avoir aussi là-haut quelque chose en puissance. Si, dans le monde intelligible, il n’y a pas de matière dont on puisse dire qu’elle est en puissance, si nulle essence ne doit y devenir ce qu’elle n’est pas encore, ni se transformer, ni, tout en restant ce qu’elle est, en engendrer une autre, ni en s’épanchant en faire exister une autre à sa place, on ne saurait trouver quelque chose qui soit en puissance dans ce monde des essences éternelles et placées en dehors du temps. Supposons donc que ceux qui admettent que la matière existe, même

dans les intelligibles[13], s’entendent adresser cette question : « Comment peut-il y avoir de la matière dans le monde intelligible, si rien n’y est en puissance en vertu de cette matière ? Car lors même que la matière existerait dans le monde intelligible d’une autre manière que dans le monde sensible, il y aurait cependant dans chaque être la matière, la forme, et le composé qu’elles constituent. » Que répondront-ils ? Ils diront que, dans les intelligibles, ce qui joue le rôle de la matière est une forme, que l’âme est forme par elle-même et matière par rapport à une autre chose. Est-elle donc en puissance par rapport à cette autre chose ? Nullement : car elle possède la forme, elle la possède présentement, elle n’est divisible en forme et en matière que par la raison ; si elle contient de la matière, c’est parce que la pensée la conçoit double [y distingue la forme et la matière]. Mais ces deux choses forment une seule nature, comme Aristote dit que son cinquième corps est immatériel[14].

Que dirons-nous donc de l’âme ? Elle est en puissance l’animal, quand celui-ci n’est pas encore né et qu’il doit naître. Elle est en puissance la musique et toutes les choses qui deviennent, qui ne sont pas toujours. Ainsi, dans le monde intelligible, il y a des choses qui sont ou ne sont pas en puissance. Mais l’âme est la puissance de ces choses [la puissance de produire et non la puissance de devenir ces choses][15].

Comment être en acte doit-il s’entendre des choses intelligibles ? Chacune d’elles est-elle en acte parce qu’elle a reçu la forme, comme la statue (le composé)[16] est en acte, ou plutôt parce qu’elle est une forme et que son essence est une forme parfaite ? L’intelligence ne passe pas de la puissance de penser à l’acte de penser[17]. Sinon, elle supposerait une intelligence antérieure qui ne passerait pas de la puissance à l’acte, qui posséderait tout par elle-même : car ce qui est en puissance exige un autre principe dont l’intervention l’amène à l’acte afin qu’il soit quelque chose en acte[18]. Quand par lui-même un être est toujours ce qu’il est, il est un acte. Donc tous les premiers principes sont des actes : car ils possèdent par eux-mêmes et toujours tout ce qu’ils doivent posséder. Tel est l’état de l’âme qui n’est pas dans la matière, qui se trouve dans le monde intelligible. L’âme qui est dans la matière est un autre acte ; c’est l’âme végétative, par exemple : car elle est acte dans ce qu’elle est. Faut-il donc admettre que [dans le monde intelligible] tout est en acte et qu’ainsi tout est acte ? Il faut l’admettre parce qu’on a dit avec raison que la nature intelligible est toujours éveillée[19], qu’elle est une vie, une vie excellente, que là-haut sont les actes parfaits. Donc, dans le monde intelligible, tout est en acte, tout est acte et vie. Le lieu des intelligibles est le lieu de la vie, le principe et la source de l’âme véritable et de l’intelligence[20].

IV. Tous les autres objets [les objets sensibles], qui sont une chose en puissance, sont aussi en acte une autre chose, qui, par rapport à la première, est dite être en puissance[21]. Quant à la matière, qui est en puissance tous les êtres,

comment pourrait-elle être en acte quelqu’un des êtres[22] ? Évidemment elle ne serait plus en puissance tous les êtres. Si la matière n’est aucun des êtres, nécessairement elle n’est pas un être. Si elle n’est aucun des êtres, comment pourrait-elle être quelque chose en acte ? Elle n’est donc aucun des êtres qui deviennent en elle. Mais qui l’empêche d’être quelque autre chose, puisque tous les êtres ne sont pas dans la matière ? Si elle n’est aucun des êtres qui sont en elle, si ceux-ci sont réellement des êtres, la matière doit être le non-être. Étant conçue par l’imagination comme une chose informe (ἀνείδεόν τι)[23], elle ne saurait être une forme ; elle ne peut donc être comptée parmi les formes comme être : raison nouvelle pour qu’elle soit considérée comme non-être. N’étant un être ni par rapport aux êtres ni par rapport aux formes, la matière est le non-être au plus haut degré. Puisqu’elle ne possède pas la nature des êtres véritables, qu’elle ne peut pas même arriver à être placée au nombre des objets appelés faussement des êtres (car elle n’est même pas, comme ces derniers, une image de la raison), dans quel genre de l’être la matière pourrait-elle être comprise ? Si elle ne l’est dans aucun, comment pourrait-elle être quelque chose en acte ?

V. S’il en est ainsi, quelle opinion nous formerons-nous de la matière ? Comment est-elle la matière des êtres ? C’est qu’elle est les êtres en puissance. Mais, puisqu’elle est déjà en puissance, ne peut-on pas déjà dire d’elle qu’elle est en considérant ce qu’elle doit être ? L’être de la matière n’est que ce qui doit être (τὸ μέλλον) : il consiste dans ce qui sera (ὅ ἔσται)[24] ; donc il est en puissance ; il n’est pas en puissance une chose déterminée , il est en puissance toutes choses. N’étant ainsi rien par lui-même, étant ce qu’il est, c’est-à-dire la matière, il n’est rien en acte. S’il était quelque chose en acte, ce qu’il serait en acte ne serait pas la matière ; par conséquent, la matière ne serait plus absolument matière ; elle ne serait plus matière que relativement, comme l’airain[25]. La matière est donc le non-être ; ce n’est pas une chose qui diffère seulement de l’être, comme le mouvement, qui se rattache à l’être parce qu’il en procède et s’opère en lui[26]. La matière est dénuée et dépouillée de toute propriété : elle ne peut se transformer elle-même, elle reste toujours ce qu’elle était dès le principe, le non-être. Dès le principe elle n’était en acte aucun être, puisqu’elle était éloignée de tous les êtres, qu’elle n’était même devenue aucun d’eux : car jamais elle n’a pu garder un reflet des êtres dont elle a toujours aspiré à revêtir les formes. Son état permanent est de tendre vers autre chose, d’être en puissance par rapport aux choses qui doivent suivre. Comme elle apparaît là où finit l’ordre des êtres intelligibles, qu’elle est contenue par les êtres sensibles qui sont engendrés après elle, elle en est le dernier degré[27]. Étant contenue à la fois dans les êtres intelligibles et les êtres sensibles, elle n’est en acte par rapport à aucune de ces deux classes d’êtres. Elle n’est qu’en puissance ; elle se borne à être une faible et obscure image (ἀσθενές τι ϰαὶ ἀμυδρὸν εἴδώλον), qui ne peut prendre de forme. Ne peut-on pas en conclure que la matière est l’image en acte, qu’elle est, par conséquent, la fausseté (ψεῦδος) en acte ? Oui, elle est véritablement la fausseté, c’est-à-dire, elle est essentiellement le non-être. Si donc la matière est le non-être en acte[28], elle est le non-être au plus haut degré, et à ce titre encore elle est essentiellement le non-être. Elle est donc bien éloignée d’être en acte être quelconque, puisque le non-être est sa nature véritable. S’il faut qu’elle soit, il faut qu’elle soit le non-être en acte, en sorte qu’éloignée de l’être véritable, elle a [si l’on peut parler ainsi] son être dans le non-être. Enlevez aux êtres faux leur fausseté, vous leur ôtez leur essence. Introduisez l’acte dans les choses qui ont en puissance l’être et l’essence, vous anéantissez leur raison d’être, parce que leur être était d’être en puissance.

Donc, s’il faut conserver la matière comme incorruptible, il faut avant tout la conserver matière ; il faut, comme on le voit, dire qu’elle n’est qu’en puissance, en sorte qu’elle reste ce qu’elle est par son essence, ou bien on doit réfuter les raisons que nous avons données[29].


  1. Ce livre est étroitement lié au précédent parce que Plotin y traite encore de la Matière ; il y commente, dans le § 5, ce passage d’Aristote : « La matière, c’est ce qui n’est rien de réel en acte, mais seulement en puissance. » (Métaphysique, VIII, 6.)

    Pour les autres Remarques générales, Voy. la Note sur ce livre à la fin de ce volume.

  2. « Un être peut, soit parce qu’il a la puissance d’être modifié lui-même, soit parce qu’il a celle de modifier un autre être... Il y a d’abord la puissance dans l’être passif : c’est parce qu’il y a en lui un principe, c’est parce que la matière est un principe, que l’être passif est modifié, qu’un être modifie un autre être ; ainsi ce qui est gras est combustible, ce qui cède de telle manière est sujet à s’écraser. Il y a ensuite la puissance dans l’agent : tels sont la chaleur et l’art de bâtir, l’une dans ce qui échauffe, l’autre dans l’architecte. » (Aristote, Métaphysique, IX, 1 ; t. II, p. 87 de la trad. de MM. Pierron et Zévort). — « L’acte est, pour un objet, l’état opposé à la puissance... L’acte, ce sera donc l’être qui bâtit, relativement à celui qui a la faculté de bâtir ; l’être qui est éveillé, relativement à celui qui dort ; l’être qui voit, par rapport à celui qui a les yeux fermés, tout en ayant la faculté de voir ; l’objet tiré de la matière, relativement à la matière ; ce qui est fait, par rapport à ce qui n’est point fait. » (Métaphysique, IX, 6 ; t. II, p. 99 de la trad.)
  3. Au lieu de οὐ τῷ χρόνῳ ἐξείργεσθαι, que donnent les Mss., il faut lire avec Ficin τῷ χρόνῳ ἐξείργασθαι, eo quod tempore minime peragatur, ou avec Creuzer τῷ χρόνου ἐξείργεσθαι, eo quod tempore excluditur. M. Kirchhoff se contente de retrancher οὐ et lit τῷ χρόνῳ ἐξείργεσθαι : cette expression nous semble incorrecte. Le sens est d’ailleurs le même, quelle que soit la leçon que l’on adopte.
  4. « En passant d’un état à un état contraire, l’être devient ce qu’il n’était pas. Ce qu’il n’était pas, il pouvait l’être, et il l’est présentement ; de la puissance il a passé à l’acte. Le mouvement est donc la réalisation du possible. Mais avant de recevoir la forme d’une statue, l’airain n’existait-il pas ? L’enfant n’était-il pas avant de devenir homme ? L’airain existait, mais il n’était pas la statue ; l’enfant n’était pas homme. Le mouvement n’est donc pas la réalisation du mobile d’une manière absolue, mais la réalisation de sa puissance. » (M. Ravaisson, t. I, p. 385.) Voy. Métaphysique, XI, 9.
  5. Simplicius fait allusion à tout ce paragraphe dans son Commentaire sur la Physique d’Aristote, p. 90.
  6. « C’est la réunion de l’essence et de la matière qui est la nature des êtres. Telle est celle des animaux, celle de leurs parties. Mais il faut dire que la matière première est une nature, et qu’elle peut l’être sous deux points de vue : car elle peut être ou première relativement à un objet ou absolument première. Ainsi pour les objets dont la substance est l’airain, c’est l’airain qui est premier relativement à ces objets ; mais absolument, c’est l’eau peut-être, s’il est vrai que l’eau est le principe de tous les corps fusibles. » (Métaphysique, V, 4 ; t. I, p. 157 de la trad.).
  7. Voy. plus haut, p. 202, note.
  8. « La sphère d’airain est le produit de l’airain et de la sphère ; telle forme a été produite dans tel objet, et le produit est une sphère d’airain. Si l’on veut qu’il y ait réellement production de la sphère, l’essence proviendra de quelque chose ; car il faudra toujours que l’objet produit soit divisible, et qu’il y ait en lui une double nature : d’un côté la matière, de l’autre, la forme. Il y aurait donc d’une part le sujet sur lequel agit la cause efficiente, de l’autre, la forme qui se réalise dans ce sujet, enfin l’ensemble de ces deux choses, de la même manière que pour la sphère d’airain. » (Métaphysique, VII, 8 ; t. II, p. 27 de la trad.).
  9. « Comme sentir a pour nous une double acception, et que de l’être qui entend et qui voit en puissance, nous disons qu’il voit et qu’il entend, quoiqu’il soit endormi, tout aussi bien que de l’être qui agit réellement, il faut distinguer dans la sensation ce double sens, et reconnaître, d’une part la sensation en acte, et de l’autre, la sensation en puissance ; il en est de même pour sentir, sentir en puissance et sentir en acte… Il faut distinguer, même pour la puissance, comme pour la réalité parfaite ou entéléchie ; car ici, nous parlons de toutes deux d’une manière absolue. Ainsi nous disons qu’un être quelconque est savant, comme par exemple, nous dirions que l’homme est savant, parce que l’homme fait partie des êtres qui sont savants et qui ont la science [en puissance]. Mais aussi nous disons également d’un homme qu’il est savant, quand il possède la grammaire. Pourtant ces deux hommes ne peuvent pas de la même façon ; l’un peut savoir parce qu’il a tel genre et telle matière [telle substance matérielle organisée de façon qu’il est homme] ; l’autre peut employer son savoir dès qu’il le voudra, en supposant toujours que rien du dehors ne vienne faire obstacle. Mais c’est celui qui applique actuellement sa science, qui est savant en toute réalité, en entéléchie ; c’est celui qui sait, à proprement parler, telle chose spéciale [la grammaire par exemple]. Ces deux premiers hommes sont donc l’un et l’autre savants en puissance ; mais l’un est savant parce qu’il a été modifié par l’étude, qui l’a fait passer souvent d’un état tout contraire à l’état où il est [de l’ignorance à la science] ; l’autre est savant d’une autre façon, parce que, possédant la sensation ou la grammaire sans en faire usage, il passe à l’acte quand il le veut... Ainsi, l’être qui possède la science devient percevant tel objet de sa science ; cela, certes, n’est pas une altération : c’est un simple développement de l’être en lui-même vers sa parfaite réalité, son entéléchie. » (Aristote, De l’Âme, II, 5 ; p. 201 de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire).
  10. « Les principes des êtres sont, par analogie, identiques pour tous les êtres : ils se réduisent à l’acte et à la puissance... L’être en acte, c’est d’un côté la forme, dans le cas où la forme peut avoir une existence indépendante, et l’ensemble de la matière et de la forme ; de l’autre, c’est la privation : ainsi les ténèbres ou le malade. L’être en puissance, c’est la matière ; car la matière est ce qui peut devenir l’un ou l’autre des deux opposés. » (Métaphysique, XII, 6 ; t. II, p. 213 de la trad.)
  11. « La matière, la semence, la faculté de voir » sont antérieures, sous le rapport du temps, à cet homme qui est actuellement en acte, au froment, à la vision ; elles sont en puissance l’homme, le froment, la vision ; mais elles ne les sont pas en acte. Ces puissances viennent elles-mêmes d’autres êtres, lesquels sous le rapport du temps sont en acte antérieurement à elles ; car il faut toujours que l’acte provienne de la puissance, par l’action d’un être qui existe en acte : ainsi l’homme vient de l’homme, le musicien se forme sous le musicien ; il y a toujours un premier moteur, et ce premier moteur existe déjà en acte. » (Métaphysique, IX, 8 ; t. II, p. 105 de la trad.)
  12. La distinction que Plotin veut établir peut se formuler ainsi : dans le corps, la matière, le sujet, est une puissance passive, une capacité ; dans l’âme, les dispositions, les habitudes, sont des puissances actives, des facultés. Dans ce passage, Plotin commente encore Aristote : « Des puissances, les unes sont mises en nous par la nature : tels sont les sens ; d’autres nous viennent d’une habitude contractée : ainsi l’habileté à jouer de la flûte ; d’autres enfin sont le fruit de l’étude, par exemple les arts. » (Métaphysique, IX, 5 ; t. II, p. 95 de la trad.)
  13. Voy. le livre précédent, § 2-5.
  14. Sur la quinte-essence d’Aristote, Voy. plus haut, p. 145.
  15. « Des puissances dont nous parlons, les unes résident dans les êtres inanimés, les autres dans les êtres animés, dans l’âme, dans la partie de l’âme où se trouve la raison. On voit qu’il doit y avoir des puissances irrationnelles et des puissances rationnelles ; et tous les actes, toutes les sciences pratiques, toutes les sciences enfin sont des puissances : car ce sont là des principes de changement dans un autre être en tant qu’autre. » (Métaphysique, IX, 2 ; t. II, p. 89 de la trad.) Sur les puissances rationnelles ou raisons, Voy. plus loin, p. 240, note.
  16. Voy. plus haut, p. 226.
  17. Voy. Aristote, De l’Âme, III, 7 ; Métaphysique, XII.
  18. Voy. plus haut, p. 228, note 2.
  19. Ἡ φύσις ἄγρυπνος, expression de Platon, Timée, p. 52.
  20. Voy. Enn. II III, liv. vi, § 6, et liv. viii, § 3.
  21. La matière de la statue est l’airain en acte et la statue en puissance. Voy. plus haut, p. 224.
  22. Voy. Enn. II, liv. iv, § 10 ; Enn. III, liv. vi, § 7 ; Enn. VI, liv. i, § 27.
  23. Voy. plus haut, p. 206.
  24. Voy. plus haut, p. 224.
  25. Voy. plus haut, p. 225, note 2.
  26. Le mouvement est une des catégories du monde intelligible. Voy. Enn. VI, liv. ii.
  27. Voy. Enn. I, liv. viii, p. 129.
  28. « Tout provient de l’être, mais, sans doute, de l’être en puissance, c’est-à-dire du non-être en acte. » (Métaphysique, XII, 2 ; t. II, p. 205 de la trad.)
  29. On voit que, par sa conclusion, ce livre se rattache au précédent, comme nous l’avons indiqué p. 223, note 1.