Ennéades (trad. Bouillet)/III/Livre 4

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
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LIVRE QUATRIÈME.
DU DÉMON QUI EST PROPRE À CHACUN DE NOUS[1].

I. Parmi les principes, il en est qui produisent leur hypostase (ὑπόστασις[2]) en demeurant immobiles[3]. Quant à l’Âme universelle, elle entre en mouvement pour engendrer son hypostase, savoir, la Puissance sensitive avec la Nature [Puissance végétative], et descendre par cette dernière jusque dans les plantes[4]. L’âme même qui réside en nous a pour hypostase la Nature ; cependant la Nature ne domine pas alors, parce qu’elle n’est qu’une partie de notre être[5]. Mais, quand la Nature est engendrée dans les plantes, c’est elle qui domine, parce qu’elle est alors en quelque sorte seule. La Nature n’engendre donc rien, ou du moins, si elle engendre[6], c’est une chose fort différente d’elle-même [la Matière] : car la vie s’arrête à la Nature ; ce qui naît de la Nature est complètement privé de vie. Tout ce qui est né de l’Âme universelle avant la Matière est né informe, mais a reçu une forme en se tournant vers le principe qui l’a engendré et qui le nourrit en quelque sorte. Ce qui est né de la Nature n’est plus une forme de l’Âme, parce que ce n’est plus une espèce de vie ; c’est l’indétermination absolue (ἀοριστία παντελής). Les choses antérieures [à la Matière, savoir, la Puissance sensitive et la Nature] sont indéterminées sans doute, mais dans leur forme seulement ; elles ne sont pas absolument indéterminées ; elles ne sont indéterminées que sous le rapport de leur perfection. La Matière, au contraire, est absolument indéterminée. Quand elle arrive à être parfaite, elle devient le corps, en recevant la forme que comporte sa puissance[7] et qui est le réceptacle du principe qui l’a engendrée et qui la nourrit. C’est la seule trace qu’il y ait des choses de là-haut dans le corps, qui occupe le dernier rang parmi les choses d’ici-bas.

II. C’est à cette Âme [universelle] surtout que s’appliquent ces paroles de Platon : « L’âme en général prend soin de tout ce qui est inanimé[8]. » Les autres âmes [les âmes particulières] sont dans des conditions différentes. « L’âme fait le tour du ciel [ajoute Platon], en prenant successivement des formes diverses. » Ces formes sont la forme rationnelle, la forme sensitive, la forme végétative. La partie qui domine dans l’âme remplit la fonction qui lui est propre ; les autres restent inactives et lui semblent en quelque sorte extérieures. Dans l’homme, ce ne sont pas les puissances inférieures de l’âme qui dominent : elles existent seulement avec les autres ; ce n’est pas non plus la meilleure puissance [la raison] qui domine toujours : les puissances inférieures ont également leur place. Aussi l’homme [outre qu’il est un être raisonnable] est-il encore un être sensitif, parce qu’il possède les organes des sens. Il est également un être végétatif sous beaucoup de rapports : car son corps se nourrit et engendre comme une plante. Toutes ces puissances [la raison, la sensibilité, la puissance végétative] agissent donc ensemble dans l’homme ; mais c’est d’après la meilleure d’entre elles qu’on qualifie la forme totale de cet être [en l’appelant un être raisonnable]. L’âme, en sortant du corps, devient la puissance qu’elle a développée le plus[9]. Fuyons donc d’ici-bas et élevons-nous au monde intelligible, pour ne pas tomber dans la vie purement sensitive, en nous laissant aller à suivre les images sensibles, ou dans la vie végétative, en nous abandonnant aux plaisirs de l’amour physique et à la gourmandise ; élevons-nous dis-je, au monde intelligible, à l’Intelligence, à Dieu.

Ceux qui ont exercé les facultés humaines renaissent hommes. Ceux qui n’ont fait usage que de leurs sens passent dans des corps de brutes[10], et particulièrement dans des corps de bêtes féroces, s’ils se sont abandonnés aux emportements de la colère ; de telle sorte que, même en ce cas, la différence des corps qu’ils animent est conforme à la différence de leurs penchants. Ceux qui n’ont cherché qu’à satisfaire leur concupiscence et leurs appétits passent dans des corps d’animaux lascifs et gloutons[11]. Enfin ceux qui, au lieu de suivre leur concupiscence ou leur colère, ont plutôt dégradé leur sens par leur inertie, sont réduits à végéter dans des plantes : car ils n’ont dans leur existence antérieure exercé que leur puissance végétative, et ils n’ont travaillé qu’à devenir des arbres (δεδρωθῆναι)[12]. Ceux qui ont trop aimé les jouissances de la musique, et qui ont d’ailleurs vécu purs, passent dans des corps d’oiseaux mélodieux. Ceux qui ont régné tyranniquement deviennent des aigles, s’ils n’ont pas d’ailleurs d’autre vice[13]. Enfin, ceux qui ont parlé avec légèreté des choses célestes, tenant toujours leurs regards élevés vers le ciel, sont changés en oiseaux qui volent toujours vers les hautes régions de l’air[14]. Celui qui a acquis les vertus civiles redevient homme ; mais, s’il ne possède pas ces vertus à un degré suffisant, il est transformé en un animal sociable, tel que l’abeille ou tout autre être de cette espèce[15].

III. Qu’est donc notre démon ? C’est une des puissances de notre âme. Qu’est notre dieu ? C’est également une des puissances de notre âme[16]. [Est-ce la puissance qui agit principalement en nous comme le croient quelques-uns ?] Car la puissance qui agit en nous semble être ce qui nous conduit, puisque c’est le principe qui domine en nous[17]. Est-ce là le démon auquel nous sommes échus pendant le cours de notre vie[18] ? Non : notre démon est la puissance immédiatement supérieure à celle que nous exerçons : car elle préside à notre vie sans agir elle-même. La puissance qui agit en nous est la puissance inférieure à celle qui préside à notre vie, et c’est elle qui nous constitue essentiellement. Si donc nous vivons de la vie sensitive, nous avons pour démon la Raison ; si nous vivons de la vie rationnelle, nous avons pour démon le principe supérieur à la raison [l’Intelligence], principe qui préside à notre vie, mais n’agit pas lui-même et laisse agir la puissance inférieure. Platon dit avec vérité que « nous choisissons notre démon » : car, par le genre de vie que nous préférons, nous choisissons le démon qui préside à notre vie. Pourquoi

donc nous conduit-il ? Il nous conduit durant le cours de notre vie mortelle [parce qu’il nous est donné pour nous aider à accomplir notre destinée] ; mais il ne peut plus nous conduire quand notre destinée est accomplie, parce que la puissance à l’exercice de laquelle il présidait laisse agir à sa place une autre puissance (car elle est morte, puisque la vie dans laquelle elle agissait est terminée). Cette autre puissance veut agir à son tour, et, après avoir établi sa prépondérance, elle s’exerce durant le cours d’une nouvelle vie, ayant elle-même un autre démon[19]. Si nous venons alors à nous dégrader en laissant prévaloir en nous une puissance inférieure, nous en sommes punis. En effet, le méchant déchoit, parce que la puissance qu’il a développée dans sa vie le fait descendre à l’existence de la brute en le rendant semblable à elle par ses mœurs. S’il pouvait suivre le démon qui lui est supérieur, il deviendrait lui-même supérieur en partageant sa vie. Il prendrait ensuite pour guide une partie de lui-même supérieure à celle qui le gouverne, puis une autre partie supérieure encore, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à la plus élevée. En effet, l’âme est plusieurs choses, ou plutôt, elle est toutes choses : telle est à la fois les choses inférieures et les choses supérieures ; elle contient tous les degrés de la vie[20]. Nous sommes chacun en quelque sorte le monde intelligible : nous sommes liés par notre partie inférieure au monde sensible, et par notre partie supérieure au monde intelligible ; nous demeurons là-haut par ce qui constitue notre essence intelligible ; nous sommes attachés ici-bas par les puissances qui tiennent le dernier rang dans l’âme. Nous faisons passer ainsi de l’intelligible dans le sensible une émanation ou plutôt un acte qui ne fait rien perdre à l’intelligible[21].

IV. La puissance qui est l’acte de l’âme est-elle toujours unie à un corps ? Nullement. Quand l’âme se tourne vers les régions supérieures, elle y élève cette puissance avec elle. L’Âme universelle élève-t-elle aussi avec elle-même au monde intelligible la puissance inférieure qui est son acte [la Nature][22] ? Non : car elle n’incline pas vers sa partie inférieure, parce qu’elle n’est ni venue ni descendue dans le monde ; mais, tandis qu’elle reste en elle-même, le corps du monde vient s’unir à elle et s’offrir au rayonnement de sa lumière ; il ne lui cause pas d’ailleurs d’inquiétude, parce qu’il n’est exposé à aucun péril[23]. Quoi, le monde n’a-t-il point de sens ? « Il n’a point la vue, dit Timée : car il n’a point d’yeux. Il n’a pas non plus d’oreilles, ni de narines, ni de langue[24]. » A-t-il, commme nous, le sentiment de ce qui se passe en lui ? Comme toutes choses se passent en lui uniformément selon la nature, il est, sous ce rapport, dans une espèce de repos ; par conséquent il n’éprouve pas de plaisir. La puissance végétative est en lui sans y être présente ; il en est de même de la puissance sensitive. Au reste, nous reviendrons ailleurs sur le monde[25]. Pour le moment, nous en avons dit tout ce qui se rapporte à la question que nous traitons.

V. Mais si [avant de venir sur la terre] l’âme choisit sa vie et son démon, comment conservons-nous encore notre liberté ? C’est que ce qu’on appelle choix désigne d’une manière allégorique le caractère de l’âme et la disposition générale qu’elle a partout. — Mais [dira-t-on], si le caractère de l’âme est prépondérant, si l’âme est dominée par la partie que la vie précédente a rendue la plus active en elle, ce n’est plus le corps qui est pour elle la cause du mal : car, si le caractère de l’âme est antérieur à son union avec le corps, si elle a le caractère qu’elle a choisi, si, comme le dit Platon, elle ne change pas son démon[26], ce n’est pas ici-bas qu’un homme peut devenir bon ou mauvais. — L’homme est en puissance bon et mauvais également. Il devient en acte l’un ou l’autre [par son choix][27].

Qu’arrivera-t-il donc si un homme vertueux a un corps d’une mauvaise nature, un homme vicieux un corps d’une bonne nature ? — La bonté de l’âme a plus ou moins d’influence sur la bonté du corps. Les choses extérieures ne changent pas le caractère choisi par l’âme. Quand Platon dit que les sorts sont répandus devant les âmes, ensuite que les diverses espèces de conditions sont étalées devant elles, enfin que la fortune de chacun résulte du choix qu’il fait parmi les diverses espèces de vie présentes, choix qu’il fait selon son caractère[28], il attribue évidemment à l’âme le pouvoir de rendre conforme à son caractère la condition qui lui est échue[29].

Au reste, notre démon ne nous est pas tout à fait extérieur, et, d’un autre côté, il n’est pas lié à nous, n’agit pas en nous : il est nôtre, en ce sens qu’il a un certain rapport avec notre âme ; il n’est pas nôtre, en ce sens que nous sommes tels hommes, menant telle vie sous sa surveillance. C’est ce que signifient les termes dont Platon se sert dans le Timée[30]. Si on les prend dans notre sens, tout s’explique ; sinon, Platon se contredit.

On comprend encore ainsi pourquoi il dit que notre démon nous aide à remplir la destinée que nous avons choisie[31]. En effet, présidant à notre vie, il ne nous permet pas de descendre beaucoup au-dessous de la condition dont nous avons fait choix. Mais ce qui agit alors, c’est le principe qui est au-dessous du démon, et qui ne peut ni le dépasser, ni l’égaler : car il ne saurait devenir autre qu’il n’est.

VI. Quel est donc l’homme vertueux ? C’est celui dans lequel agit la partie la plus élevée de l’âme. Il ne mériterait plus d’être appelé vertueux si son démon concourait à ses actes. Or, c’est l’intelligence qui agit dans l’homme vertueux. Celui-ci est donc un démon, ou vit selon un démon ; son démon d’ailleurs est Dieu[32]. Ce démon est-il au-dessus de l’Intelligence ? Oui, si l’âme a pour démon le principe supérieur à l’Intelligence [le Bien]. Mais pourquoi l’homme vertueux ne jouit-il pas de ce privilége dès le principe ? À cause du trouble qu’il a éprouvé en tombant dans la génération. Il a cependant en lui, même avant l’exercice de la raison, un désir qui le porte aux choses qui lui sont propres[33]. Mais ce désir dirige-t-il souverainement ? Non, pas souverainement : car l’âme est disposée de telle sorte que, devenant telle dans telles circonstances, elle adopte telle vie et suit telle inclination.

Platon dit que le démon conduit l’âme aux enfers, et qu’il ne reste pas attaché à la même âme, à moins que celle-ci ne choisisse encore la même condition[34]. Que fait-il avant ce choix ? Platon nous apprend que le démon conduit l’âme au jugement, qu’il reprend après la génération la même forme qu’il avait auparavant ; ensuite, comme si une autre existence commençait alors, pendant le temps qui s’écoule d’une génération à l’autre, le démon préside aux châtiments des âmes, et cette période est moins pour elles une période de vie qu’une période d’expiation.

Les âmes qui entrent dans des corps de brutes ont-elles aussi un démon ? — Oui, sans doute, mais un démon méchant ou stupide.

Quelle est la condition des âmes qui se sont élevées là-haut ? Les unes sont dans le monde sensible, les autres en sont dehors.

Les âmes qui sont dans le monde sensible habitent dans le soleil, ou dans quelque planète, ou dans le firmament, selon qu’elles ont plus ou moins développé leur raison. Il faut en effet savoir que notre âme contient en elle-même non-seulement le monde intelligible, mais encore une disposition conforme à l’Âme du monde. Or, cette dernière étant par ses puissances diverses répandue dans les sphères mobiles et dans la sphère immobile, notre âme doit posséder des puissances qui soient conformes à celles-ci et qui exercent chacune leur fonction propre. Les âmes qui se rendent d’ici-bas dans le ciel vont habiter l’astre qui est en harmonie avec leurs mœurs et avec la puissance qu’elles ont développée, avec leur dieu ou leur démon ; alors elles auront ou le même démon, ou le démon qui est supérieur à la puissance qu’elles exercent. Reste à considérer ce qui est le meilleur.

Quant aux âmes qui sont sorties du monde sensible, elles sont au-dessus de la condition démoniaque et de la totalité de la génération tant qu’elles restent dans le monde intelligible. Elles y ramènent avec elles-mêmes cette partie de leur essence qui est désireuse d’engendrer et qu’on peut avec raison regarder comme l’essence qui est divisible dans les corps et qui se multiplie elle-même en se divisant avec les corps[35]. Au reste, si elle se divise, ce n’est pas sous le rapport de l’étendue : car elle est tout entière dans tous les corps ; d’un autre côté, elle est une, et d’un seul animal en naissent sans cesse une foule d’autres. Elle se divise comme la nature végétative dans les plantes : car cette nature est divisible dans les corps. Quand cette essence divisible demeure dans le même corps, elle lui donne la vie, comme la puissance végétative le fait pour les plantes. Quand elle se retire, elle a déjà communiqué la vie, comme on le voit par les arbres coupés ou par les cadavres où la putréfaction fait naître plusieurs animaux d’un seul animal. D’ailleurs la puissance végétative de l’âme humaine est secondée par la puissance végétative qui provient de l’Âme universelle et qui est ici-bas la même [que là-haut][36].

Si l’âme revient ici-bas, elle a soit le même démon, soit un autre démon, selon la vie qu’elle doit mener. Elle entre d’abord dans cet univers avec son démon comme avec une nacelle. Elle est alors soumise à la puissance que Platon nomme le fuseau de la Nécessité[37], et, s’embarquant dans ce monde, elle y prend la place qui lui est assignée par la fortune. Alors, elle est entraînée dans le mouvement circulaire du ciel, dont l’action agite, comme le ferait le vent, la nacelle dans laquelle l’âme est assise ou plutôt portée[38] : de là naissent des spectacles variés, des transformations et des incidents divers pour l’âme qui est embarquée dans cette nacelle, soit à cause de l’agitation de la mer qui la porte, soit à cause de la conduite du passager qui monte la barque et qui y conserve sa puissance d’action. En effet toute âme placée dans les mêmes conditions n’a pas les mêmes mouvements, les mêmes volontés, les mêmes actes. Les différences naissent donc pour les êtres différents de circonstances soit semblables soit différentes, ou bien les mêmes choses leur arrivent dans des circonstances différentes. C’est en cela que consiste le Destin.



  1. Ce livre se rattache par son sujet à la question générale du Destin et de la Providence. Mais il est lié beaucoup plus étroitement au suivant (De l’Amour), dans lequel Plotin parle aussi des démons (principalement § 6 et 7), et qu’il nous paraît indispensable de lire avec le livre quatrième pour bien comprendre la doctrine de notre auteur. Pour les autres Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre, à la fin du volume.
  2. Ficin rend ce mot par subsidens actus (acte substantiel).
  3. Ce sont le Bien et l’Intelligence.
  4. Voy. Enn. V, liv. ii, § 3.
  5. Il faut lire οὑ ϰρατεῖ μέρος οὖσα, en ajoutant la négation, ou bien μέρος οὖσαν, comme le fait M. Kirchhoff : car il y a une opposition entre ces deux phrases.
  6. Nous n’adoptons pas ici la correction faite par M. Kirchhoff, qui retranche γεννᾷ : la suite des idées nécessite la répétition de ce mot.
  7. Voy. t. I, p. 249.
  8. Voici dans son intégrité le passage de Platon cité par Plotin : « [fame en général prend soin de la nature inanimée (πᾶσα ἡ ψυχὴ παντὸς ἐπιμελεῖται τοῦ ἀψύχου), et fait le tour de l’univers sous diverses formes. Tant qu’elle est parfaite et conserve ses ailes dans toute leur force, elle plane dans la région éthérée et gouverne le monde entier ; mais, quand ses ailes tombent, elle est emportée çà et là, jusqu’à ce qu’elle s’attache à quelque chose de solide, où elle fait dès lors sa demeure. L’âme s’étant ainsi approprié un corps terrestre, et ce corps paraissant se mouvoir lui-même à cause de la force qu’elle lui communique, on appelle être vivant cet assemblage d’un corps et d’une âme, et on y ajoute le nom de mortel. » (Phèdre, p. 246 ; t. VI, p. 48 de la trad. de M. Cousin.)
  9. Proclus dit de même : « Toute âme est la partie qu’elle développe par sa vie, et c’est d’après cette partie qu’elle se définit. » (Commentaire sur l’Alcibiade, t. II, p. 114.)
  10. Plotin se borne ici à reproduire des passages empruntés aux dialogues de Platon. Voy. à ce sujet les remarques qui se trouvent dans les Éclaircissements sur ce livre, à la fin du volume.
  11. « Ceux qui se sont abandonnés à l’intempérance, aux excès de l’amour et de la bonne chère, et qui n’ont eu aucune retenue, entrent vraisemblablement dans des corps d’ânes et d’animaux semblables. Et ceux qui n’ont aimé que l’injustice, la tyrannie et les rapines, vont animer des corps de loups, d’éperviers, de faucons. La destinée des autres âmes est relative à la vie qu’elles ont menée. » (Platon, Phédon, t. I, p. 242, trad. de M. Cousin.)
  12. « Tout ce qui participe à la vie peut à très-juste titre être appelé animal ; et ce dont nous parlons [le végétal] participe du moins à la troisième espèce d’âme que l’on dit être placée entre le diaphragme et le nombril, et dans laquelle il ne peut y avoir ni opinion, ni raison, ni intelligence, mais des sensations agréables et douloureuses, avec des désirs. » (Platon, Timée, p. 77 ; trad. de M. H. Martin, p. 207.)
  13. « Er avait vu l’âme qui avait appartenu à Orphée choisir la condition d’un cygne… L’âme de Thamyris avait choisi la condition d’un rossignol… L’âme d’Agamemnon, ayant en aversion le genre humain à cause de ses malheurs passés, prit la condition d’aigle. » (Platon, République, liv. X ; t. X, p. 291, trad. de M. Cousin.)
  14. « Quant à la race des oiseaux, qui a des plumes au lieu de poils, elle résulte d’une petite modification de ces hommes exempts de malice, mais légers, qui aiment beaucoup à parler des choses célestes, mais qui croient bonnement que c’est du témoignage des yeux qu’on peut tirer sur ces objets les preuves les plus infaillibles. » (Platon, Timée, p. 91 ; trad. de M. H. Martin, p. 243.)
  15. « Les plus heureux d’entre eux et les mieux partagés sont ceux qui ont exercé cette vertu sociale qu’on nomme la modération et la justice, qu’on acquiert par habitude et par exercice, sans philosophie et sans réflexion : car il est probable qu’ils rentreront dans une espèce analogue d’animaux paisibles et sociaux, comme des abeilles, des guêpes, des fourmis, ou même qu’ils rentreront dans des corps humains et qu’il en résultera des hommes de bien. » (Platon, Phédon ; t. I, p. 242, trad. de M. Cousin.)
  16. Tout ce passage est fort obscur dans le grec par suite de la concision du texte. Nous donnons le sens qui s’accorde le mieux avec la liaison des idées. Plotin vient d’expliquer comment une faculté devient dominante en nous. Dans les lignes qui suivent, il fait voir que nous avons pour démon ou pour dieu la faculté qui est immédiatement supérieure à notre faculté dominante, c’est-à-dire notre idéal, comme il le dit p. 110 : « L’amour qui conduit chaque âme à l’essence du Bien, et qui appartient à la partie la plus élevée, doit être regardé comme un dieu. Quant à l’amour qui appartient à l’âme mêlée à la matière, c’est un démon. »
  17. Plotin n’expose pas ici son opinion propre, mais une opinion étrangère qu’il écarte. On le voit par un passage où Proclus combat cette opinion ainsi que l’opinion de Plotin lui-même : « Nous n’approuverons pas ceux qui disent que notre démon est la partie de notre âme qui agit en nous, la raison, par exemple, dans ceux qui vivent selon la raison, et le principe irascible dans ceux qui sont irascibles. Nous n’approuverons pas non plus ceux qui [comme Plotin] regardent comme notre démon la partie de notre âme immédiatement supérieure à celle qui agit en nous, la raison, par exemple, dans les hommes irascibles, le principe irascible dans les hommes livrés à la concupiscence. » (Proclus, Commentaire sur l’Alcibiade, t. II, p. 202.)
  18. Voici le passage de Platon que Plotin commente ici : « Âmes passagères, vous allez recommencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle. Vous ne devez point échoir en partage à un génie : vous choisirez chacune le vôtre. Celle que le sort appellera choisira la première, et son choix sera irrévocable. La vertu n’a point de maître : elle s’attache à qui l’honore et abandonne qui la néglige. On est responsable de son choix : Dieu est innocent….. Après que toutes les âmes eurent fait choix d’une condition, elles s’approchèrent de Lachésis dans l’ordre suivant lequel elles avaient choisi ; la Parque donna à chacune le génie qu’elle avait préféré, afin qu’il lui servît de gardien durant le cours de sa vie mortelle et qu’il lui aidât à remplir sa destinée. Ce génie la conduisait d’abord à Clotho, qui de sa main et d’un tour de fuseau confirmait la destinée choisie. Après avoir touché le fuseau, il la menait de là vers Atropos, qui roulait le fil pour rendre irrévocable ce qui avait été filé par Clotho. Ensuite, sans qu’il fût désormais possible de retourner en arrière, on s’avançait vers le trône de la Nécessité, sous lequel l’âme et son génie passaient ensemble. » (Platon, République, liv. X, p. 617, 620 ; t. I, p. 287, 293 de la trad. de M. Cousin.) Voy. aussi Enn. II, liv. III, § 9, 15.
  19. Nous ferons pour ce passage la même remarque que pour le commencement de ce paragraphe. La traduction de Ficin est elle-même aussi obscure que le texte. On ne trouve dans son Commentaire que les lignes suivantes qui soient susceptibles d’éclaircir un peu notre texte : « Post hanc in terreno corpore vitam, dæmon animam ad judicium ducit, antequam ad corpus terrenum redeat : dœmon, dico, alius, quatenus alia tunc in anima species sit vivendi. » On lit dans le livre suivant, § 7, p. 116 : « Ceux qui sont subordonnés à des démons divers sont subordonnés successivement à tel ou tel démon. ils laissent reposer celui qu’ils avaient antérieurement pour guide, et font présider à leurs actes une autre puissance de leur âme, laquelle est immédiatement supérieure à celle qui agit en eux. »
  20. Voy. Enn. IV, liv. VI, § 3.
  21. Ce passage de Plotin est cité et commenté par le P. Thomussin, Dogmata theologica, t. I, p. 324.
  22. Voy. Plotin, t. I, p. 180,191.
  23. Ibid., p. 146, 262, 275.
  24. « Le monde n’avait nullement besoin d’yeux, puisqu’il ne restait rien de visible hors de lui-même, ni d’oreilles, puisqu’il n’y avait rien à entendre. Il n’y avait pas non plus d’air autour de lui qu’il eût besoin de respirer. » (Platon, Timée, p. 33 ; p. 93 de la trad. de M. H. Martin.)
  25. Voy. Enn. IV, liv. IV, § 26.
  26. Voy. ci-dessus, p. 93, note 1.
  27. Porphyre complète la pensée de Plotin dans sa Lettre à Marcella (§ 29, p. 50) : « N’accusons pas la chair d’être la cause des grands maux ; n’imputons pas nos infortunes aux choses qui nous entourent ; cherchons-en plutôt les causes dans notre âme. » C’est précisément la doctrine que S. Augustin reproche à Plotin et à Porphyre de ne pas avoir professée assez explicitement. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 434.
  28. Voy. Platon, République, X, p. 617-620 ; t. X, p. 287-293, trad. de M. Cousin.
  29. Proclus interprète de la même manière ce passage de la République (Comm. sur l’Alcibiade, t. II, p. 302-305.)
  30. « Pour ce qui concerne l’espèce d’âme la plus parfaite qui soit en nous, il faut considérer que Dieu l’a donnée à chacun de nous comme un génie divin, elle qui habite le sommet de notre corps, et de laquelle nous pouvons dire au plus juste titre qu’en vertu de sa parenté céleste elle nous élève de terre, comme étant des plantes, non de la terre, mais du ciel. » (Platon, Timée, p. 90 ; trad. de M. H. Martin, p. 239.) Ficin commente ainsi ce passage de Plotin : « In tota vero hac disputatione memento non posse vel rerum nostrarum conditionem, vel Platonicorum verborum ordinem rite teneri, nisi præter externos dæmones interni quidam sint, atque vicissim, aliique aliis proprie coaptentur : item potentiam affectionemque animæ, quæ proxime est sub infimo dæmone, versari inter vitæ præsentis opera, propriumque esse operum effectorem ; dæmonem vero velut aurigam effectoris hujus atque rectorem ; atque hanc ipsam effectricem negotiosamque potentiam, neque supra dœmonis vires agere quidquam, neque rursus æqualia dæmonis dignitati. »
  31. Voy. ci-dessus, p. 93, note 1.
  32. « Les âmes parfaites, qui vivent dans la génération sans s’y mêler, ayant choisi une vie conforme à leur dieu, vivent selon un démon qui est Dieu et qui les avait unies à leur dieu propre quand elles demeuraient là-haut. C’est pourquoi l’Égyptien admira Plotin parce qu’il avait pour démon un dieu. » (Proclus, Comm. sur l’Alcibiade, t. II, p. 198.) L’Égyptien dont parle ici Proclus n’est pas Jamblique, comme le dit M. Cousin dans sa note sur ce passage (p. 1340), mais le prêtre dont il est question dans la Vie de Plotin, § 10, t. I, p. 12. Au reste, tout ce § 10, dans lequel Porphyre attribue à Plotin un démon d’une nature divine, est le meilleur commentaire de ce passage.
  33. Ficin commente ainsi ce passage : « Tum vero ait Plotinus animam noslram non formari semper intelligentsia : quoniam statim ab initio, ob operosam generationis fabricam, actus potentiæ vegetalis supra modum intenditur, ad quem et similia præcipitatur imaginatio, circa quam et similia negotiatur et ratio ; hæc vero intelligentiæ sunt opposita. Verumtamen antequam discursionibus rationis utamur, appetimus ipsum verum naturaliter atque bonum, per ipsam scilicet cognoscendi potentiam. Quum vero hæc non appetat aliquid prorsus incognitum, inest saltem menti veri bonique forma naturaliter insita. »
  34. Lorsque quelqu’un est mort, le même génie qui a été chargé de lui pendant sa vie le conduit dans un lieu où les morts se rassemblent pour être jugés avant d’aller dans l’autre monde, avec le même conducteur auquel il a été ordonné de les conduire d’ici jusque-là ; et après qu’ils ont reçu là les biens ou les maux qu’ils méritent, et qu’ils y ont demeuré tout le temps prescrit, un autre conducteur les ramène dans cette vie après de longues et nombreuses révolutions de siècles. » (Platon, Phédon, p. 107 ; t. I, p. 300, trad. de M. Cousin.) Voyez aussi le Gorgias, p. 525 de l’éd. de H. Étienne.
  35. L’essence divisible dans les corps est la puissance végétative ou nature animale. Voy. t. I, p. 362-367.
  36. Voy. les Éclaircissements du tome I. p. 475-478.
  37. « Aux extrémités du ciel était suspendu le fuseau de la Nécessité, lequel donnait le branle à toutes les révolutions des sphères. » (Platon, République, liv. X, p. 616 ; t. X, p. 284, trad. de M. Cousin.) Voy. aussi Enn. II, liv. III, § 15 ; t. I, p. 185.
  38. Voy. dans la Vie de Plotin la comparaison de Plotin lui-même avec Ulysse battu par la tempête, t. I, p. 25 et la note 2 de cette page.