Essai sur le patois gallot

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ESSAI SUR LE PATOIS GALLOT


Si chevauchia le connestable premièrement Bretagne bretonnant, pour tant qu’il la sentoit plus encliné à Jehan de Montfort que Bretagne gallot.

Depuis un siècle, la Bretagne a été l’objet de remarquables travaux : on a étudié la langue, la littérature, les superstitions des Bretons bretonnants ; M. Le Gonidec a fait une grammaire qui jouit d’une réputation méritée ; M. de la Villemarqué a été le Mac Pherson de la poésie armoricaine, à laquelle il a rendu le service — certes considérable — d’y intéresser la masse du public. Plus tard sont venus les travaux de M. Luzel, moins agréables à lire pour les gens qui ne cherchent dans la lecture qu’un délassement de quelques instants, mais plus consciencieux, plus sincères et d’une utilité incontestablement plus grande pour la connaissance des véritables Bretons. M. de la Villemarqué a fait d’agréables tableaux de chevalet ; M. Luzel, des études d’après nature. La bibliographie des ouvrages publiés sur la Bretagne bretonnante formerait une longue liste.

La Bretagne française n’a guère été étudiée que dans son passé ; presque personne n’a semblé s’apercevoir qu’elle comprenait un groupe d’un million et demi d’habitants parlant un patois à part, ayant son originalité propre, moins saisissante que celle du pays bretonnant, mais intéressante encore.

J’ai essayé de recueillir les mots du patois gallot usités dans les pays que j’ai habités, d’en déterminer les sources, les modes de formation et la grammaire. C’est cette partie de mon travail qui fait l’objet du présent essai ; plus tard, je publierai les contes, superstitions et légendes que j’ai pu recueillir dans la Haute-Bretagne.

La Loire-Inférieure et la partie française du Morbihan sont complètement en dehors de mon travail, qui ne comprend que la langue de la portion du pays gallot située sur le versant de la Manche, et encore beaucoup de points de cette vaste contrée sont forcément restés en dehors de mes observations. Je n’ai exploré, au point de vue du langage, ni l’arrondissement de Redon, ni celui de Vitré, et je n’ai séjourné que passagèrement dans l’arrondissement de Montfort et dans la partie ouest de celui de Saint-Brieuc.

Voici, au reste, les pays où j’ai recueilli le plus de mots : Matignon, mon pays natal, et ses environs ; Ploubalay, les environs de Dinan, Saint-Glen, Penguilly (canton de Moncontour), La Malhoure (canton de Lamballe), Merdrignac (arrondissement de Loudéac) ; dartS l’arrondissement de Saint-Malo, Saint-Briac (canton de Pleurtuit) et Saint-Coulomb (canton de Cancale) ; dans l’arrondissement de Bennes, le canton de Liffré, et quelques communes de celui de Saint-Aubin-du-Cormier, dans l’arrondissement de Fougères. Je laisse de côté les pays où je n’ai fait que passer, et qui par conséquent ne m’ont fourni qu’un très-petit nombre de mots.

Comme j’ai entendu tous les mots qui figurent dans mon glossaire, je n’ai pu embrasser qu’un pays assez restreint ; cependant je crois pouvoir affirmer que mon travail comprend les parties essentielles du patois gallot en usage dans l’Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-du-Nord. Il y a un grand nombre de mots — la plupart, pourrais-je dire — qui sont communs à la fois à la côte de la Manche et aux environs de Rennes, de sorte qu’on peut affirmer que cette vaste étendue de pays a, si on considère son langage dans ses grandes lignes, un patois commun.

Les différences de prononciation constituent bien des dissemblances entre le langage de communes parfois assez rapprochées ; mais le fond est le même. C’est un dialecte de l’ancienne langue d’oïl, modifié par l’introduction de mots nouveaux, et qui a un assez grand nombre de mots qui sont usités dans les autres dialectes de la langue d’oïl, le normand, le berrichon, l’angevin, le picard et même le genevois.

Comme toutes les langues qui ne sont point écrites, le patois gallot subit des transformations ; il se francise tous les jours, surtout sur le littoral et dans les pays bien percés de chemins, dans ceux qui sont voisins des voies ferrées ou des villes.

Dans quelques communes, des mots usités couramment il y a dix ou quinze ans tendent à disparaître de l’usage général : on ne les retrouve plus guère que dans la bouche des personnes âgées.

J’ai aussi noté dans mon glossaire un certain nombre de mots qui, sans être à proprement parler du patois, constituent des provincialismes ; ils sont employés par les paysans, et souvent aussi par les gens instruits ; ceux-ci en font usage sans trop s’apercevoir, tant est grande la force de l’habitude, qu’ils se servent d’expressions non françaises.


§ 1. — ORIGINES.

A. — sources bretonnes.

Dans tout le pays gallot, un grand nombre de noms de lieux, de villages, de champs, de rochers, montrent encore des traces de la langue qui y fut autrefois parlée, soit que l’appellation bretonne subsiste intacte ou facile à reconnaître sous une légère déformation, soit que la moitié du nom ait été francisée, l’autre moitié restant celtique.

Dans plusieurs noms de villages ou de fermes, le ker breton est devenu « ville » par traduction, la fin du nom conservant sa forme bretonne. On trouve Kermarquer, Kermené, Kergourio, Kercado, Kerjégu, Kerjean, dans le pays bretonnant ; dans le pays gallot, c’est la ville Marquer, la ville Mené, la ville Gourio, la ville Cado, la ville Jégu, la ville Jehan.

Sur les 353 communes du département d’Ille-et-Vilaine, 50 environ ont des noms bretons (1/7) ; sur les 384 des Côtes-du-Nord, 300 (un peu plus de 3 sur 4) ont des noms bretons.

La trace celtique se retrouve aussi dans des noms de famille de cultivateurs ou de marins, qui souvent habitent loin du pays de langue bretonne.

Soit qu’on se range à l’hypothèse, assez probable du reste, qu’au moment de la formation des langues romanes, le latin était d’un usage à peu près général dans la partie française de la Bretagne ; soit qu’on admette qu’à différentes époques il y ait eu recul de la langue bretonne devant l’idiôme français, il est facile de constater un fait assurément curieux : c’est que le patois gallot contient un nombre très-restreint de mots d’origine celtique certaine ou fortement probable.

Sur les cinq mille mots que j’ai recueillis, une centaine seulement, c’est-à-dire un cinquantième, ont une origine bretonne.

Le mot yan est le reste le plus remarquable et le plus caractéristique de la langue autrefois parlée dans les endroits où le français règne maintenant sans partage. Yan est évidemment une prononciation nasale du ya breton ; comme lui, il signifie « oui ».

On le rencontre employé avec ce sens, non seulement dans les communes voisines de la limite des deux langues, mais encore dans la partie de l’ancienne province de Bretagne qui touche la Normandie, et qui forme la transition entre les deux pays.

Nonna, nona, nouna, un peu moins généralement employé, et qui semble avoir en quelques contrées une tendance à disparaître, est d’une origine bretonne moins certaine : on peut y voir une prononciation allongée et corrompue du nan breton (non), à moins qu’on ne préfère le rattacher au vieux français non a, qu’on trouve dans les auteurs des XIIe et XIIIe siècles, et qui est employé plusieurs fois dans l’immortelle farce de Maistre Pathelin.

L’interjection madé ou mada peut également être rattachée, soit au ma doué ou va doué breton (mon Dieu !), soit au juron du XVIe siècle, par mananda, dont il serait une forme contracte ; mais cette hypothèse est un peu subtile, et je ne m’y arrête pas.

J’ai indiqué à leur rang alphabétique les rares mois à origine bretonne,


B. — sources françaises.

L’ancien français, surtout celui du XVIe siècle, a légué au patois gallot un assez grand nombre de mots : j’ai retrouvé un millier d’entre eux employés par les anciens auteurs, depuis la chanson de Roland jusqu’au XVIIe siècle.

Parmi les très-anciens auteurs, c’est le Recueil des fabliaux qui m’a fourni la plus abondante moisson ; dans ceux que M. de Montaiglon a publiés d’après les manuscrits des bibliothèques d’Angleterre se trouvent plusieurs formes encore employées par les paysans de la Haute-Bretagne. J’ai relevé dans les œuvres de Noël du Fail, qui était, comme on sait, Breton et conseiller au Parlement de Rennes, près de deux cents mots qui sont encore d’un usage journalier dans le pays gallot ; la plupart des éditeurs du sieur de la Hérissaye, même le regretté Âssézat, dont l’édition est à d’autres points de vue excellente, n’ont pas compris plusieurs passages des œuvres facétieuses, passages qui s’expliquent facilement quand on connaît le langage des paysans de l’Ille-et-Vilaine. Rabelais, Montaigne, Ronsard, d’Aubigné, Béroalde de Verville, m’ont fourni de nombreux exemples de mots disparus aujourd’hui de la langue écrite, et qui, de leur temps, étaient employés à la fois par le peuple et par la bonne compagnie : le peuple seul les a gardés, comme certaines paysannes ont conservé, à travers les âges, les coiffures des grandes dames du moyen âge.


Cas régime.

Le patois gallot a conservé, dans un nombre assez considérable de mots, le nominatif et le cas régime qui existaient dans les débuts de l’ancienne langue française ; seulement ces mots sont indifféremment employés comme sujet ou comme régime.

Aigniau, aigné (ancienne forme agnel). — Batiau, bâté. — Caviau, cave ; chapiau, chapé (ancienne forme chapel) ; chantiau, chanté ; châtiau, chàté ; cisiau, cisé ; coipiau, coipé ; coutiau, coûté ; crapiau, crapé ; cuviau, cuvé. — Demiau, démé ; drapiau, drapé. — Escabiau, escabé. — Fouliau, foulé. — Hussiau, hussé. — Morciau, morcé ; moussiau, moussé. — Oisiau, oisé. — Platiau, platé ; pourciau, pourcé. — Ratiau, raté ; remussiau, remussé ; russiau, russé. — Tonniau, tonné ; tourtiau, tourte ; troussiau, troussé.


déformations de la langue correcte.

La prononciation paysanne fait subir au français correct un grand nombre de déformations : quelques-unes consistent en une simple substitution de lettres ; d’autres altèrent tellement le mot primitif qu’il est difficile, à première vue, de le reconnaître sous le vêtement dont le patois l’a affublé.

J’ai essayé, dans une sorte de grammaire, d’expliquer le mécanisme de ces transformations, qui ont lieu la plupart du temps en vertu de règles euphoniques. Il en est toutefois dont je n’ai pu retrouver le mode de formation, ni déterminer l’origine, soit qu’ils soient dus à un simple caprice, soit qu’ils résultent d’un fait local aujourd’hui publié.

Les paysans forment des verbes parfois heureux avec des mots dont nous n’avons que le substantif : d’orage, ils ont fait s’orager ; de colère, se colérer, qui était usité au XVIe siècle et que nous avons perdu.

Enfin le patois emploie des mots français qui ne sont pas déformés, mais simplement pris dans un sens différent de celui que leur donne la langue correcte.

Les mots comiques, les adjectifs expressifs, les onomatopées heureuses ne sont pas rares dans cette langue qu’on peut considérer comme un dialecte un peu modernisé de la langue d’oïl.

On trouve avec raison que notre langue actuelle — très-élaguée par les académiciens — est parfois un peu pauvre ; au lieu d’aller chercher chez nos voisins ou dans l’antiquité les mots qui nous manquent, il serait, je pense, plus naturel d’emprunter aux patois les mots bien frappés qu’ils contiennent. C’est ce que George Sand a essayé, non sans succès, dans ses romans champêtres, jugeant avec raison qu’un mot bien fait qui passe d’un patois dans la langue écrite n’est point un étranger : c’est tout au plus un paysan qui devient policé par la fréquentation de la bonne compagnie.

De même que la plupart des patois, celui de la Haute-Bretagne est pauvre en ouvrages écrits ; quelques journalistes locaux ont fait des lettres où se trouvent plusieurs tournures, plusieurs mots empruntés au langage des paysans ; mais ce n’est pas là, à proprement parler, un écrit patois.

Plusieurs brochures ont été pendant la période révolutionnaire écrites en patois ; leurs auteurs espéraient ainsi faire pénétrer plus facilement leurs idées dans les campagnes. C’était un soin à peu près inutile, les paysans qui savent lire comprenant très-suffisamment la langue écrite quand elle a une forme véritablement française, c’est-à-dire dépourvue de latinismes et de mots prétentieux.

Les paysans de la Haute-Bretagne forment une race mixte, dont le fond est sans doute celtique, ainsi que l’attestent un nombre considérable de noms de famille, mais qui a subi de nombreuses alluvions françaises et normandes ; ils n’ont point l’imagination poétique et l’enthousiasme des paysans du Finistère. On ferait difficilement un recueil, même mince, des chansons populaires dues à la muse patoise.

Elles ont dû être plus nombreuses autrefois qu’elles ne le sont maintenant ; il y a une dizaine d’années, on chantait encore des chansons populaires dont aujourd’hui il reste à peine trace. Les paysans trouvent qu’il est de meilleur ton de chanter, en les estropiant parfois étrangement, les airs à la mode dans les cafés-concerts ou ceux des pièces en vogue. Ces chansons mettent un ou deux ans à pénétrer dans les campagnes des Côtes-du-Nord et de l’Ille-et-Vilaine ; usées, rebattues, presque oubliées à Paris, elles sont ici de la nouveauté.

Les légendes qui se racontent le soir à la veillée sont plus nombreuses : dans un seul canton, j’ai pu en recueillir une dizaine[1]. Elles brillent peu par l’invention, et ont en général pour sujet des apparitions de revenants. Quelques-unes — en petit nombre — sont des histoires gouailleuses, agrémentées de plaisanteries ultra-rabelaisiennes.

Elles ont une tendance à disparaître, aussi bien que les superstitions qui leur ont donné naissance ; c’est un élément pittoresque qui s’en va, mais il ne faut pas trop s’en plaindre, le pittoresque disparaissant ici devant la civilisation, le bien-être général et l’instruction.


§ II. — GRAMMAIRE.

prononciation.

La manière de prononcer est très-variable : elle diffère parfois d’une commune à une autre. Mais aussi on trouve des groupes assez nombreux qui prononcent de la même manière, et sont cependant éloignés les uns des autres. C’est ainsi que le verbe aimer, à l’infinitif, est prononcé aimeu dans les environs de Rennes et dans plusieurs communes voisines de Loudéac. Certains pays ont une tendance à alourdir les mots en traînant sur la dernière syllabe ; d’autres, au contraire, semblent presque chanter en parlant.

Les pronoms moi, toi, sont, je crois, de tous les mots ceux qui subissent les plus grandes variations ; j’en connais cinq prononciations différentes :

Moue, mé, ma, mai, meu.
Toué, té, ta, tai, teu.

D’autres mots, sans avoir autant de variations, se prononcent cependant de deux ou trois manières :

Adesa, adesé, adesai, à ce soir. — Anva, anvé, anvai, orvet. — Bléna, bléné, blénai, blé noir. — Sa, se, sai, soif. — Fra, fré, frai, froid. — Hare, hère, brouillard, etc.


terminaisons.

La terminaison française eau devient iau ou é et et, parfois dans le même pays :

Couteau, coutiau, couté ; — chapeau, chapiau, chapé ; — château, châtiau, châté ; — morceau, morciau, morcé, etc.

La finale l ne se fait pas sentir en général :

Bouvreu, bouvreuil ; cheva, cheval ; fi, fil ; deu, deuil ; hôte, hôtel, maison ; seu, seul ; ava, aval, etc.

Souvent d’ailleurs les consonnes finales tombent dans le patois gallot, qui, comme toutes les langues populaires, a une tendance à abréger :

Respé, respect ; no, noc ; mié, miel ; , bec ; beu, bœuf, etc.

Nombre de mots en eurs ou en eur se prononcent eux ou oux, formes qui se retrouvent dans un grand nombre de patois : ailleurs, aillous ; laboureur, labourous.


pronoms.

Voici les changements les plus habituels :

Pronoms personnels. — Moi. ma, mé, maï, moue. — Toi, ta, té, lai, loué. — Lui, lu, li. — Leurs, lou, leux. — Elle, olle, aile, lé.

Pronoms démonstratifs. — « Celui-ci » devient slici, sluci ; « celui-là » devient slila, slula ; « ceci » devient c’si, héci ; « cela » devient héla, l’la.

Les pronoms employés dans les conjugaisons sont les mêmes qu’en français, sauf qu’en quelques pays on dit alle ou olle au lieu de elle ; que je, pronom de la première personne, remplace nous comme sujet devant le pluriel du verbe ; tu s’élide devant un e, et vous devient v’s par contraction, ou simplement v devant un e ; exemple : v’avez, vous avez. Ils devient aussi iz devant une voyelle : iz étaient, ils étaient.


verbes.

Être, qu’on prononce ête, fait je sé pour « je suis » à l’indicatif présent.

L’imparfait est : j’étas, tu étas, il était, j’étions ou j’étiômes, v’étiez, iz étain.

Le conditionnel est : je seras, tu seras, i serait, je sérions, vous sériez, i serain.

Impératif : ou sois, sayons, sayez.

Subjonctif : que je sais ou que je sége, que tu séges, qui sége, que je ségions, etc.

Avoir, ava, avai.

Imparfait : j’avas, tu avas, il avait, j’avions, ou j’aviem, ou j’aviômes, v’aviez, i zavnin.

Passé défini : j’ai z u, tu as z u, il a z u, etc.

Futur : j’arai, tu aras, etc.

Futur antérieur : j’arai z u, etc.

Conditionnel présent : j’aras, tu aras, etc.

Infinitif passé : avai ou ava z u ou ava eu.

Le subjonctif présent fait aussi, outre la forme française, dans quelques communes, que j’aigions à la première personne du pluriel.


Première conjugaison.

Verbes en er, que certaines communes prononcent eu (aimer, aimeu).

Imparfait. — J’aimas, tu aimas, il aimait, j’aimions, v’aimiez, i z aimain.

Dans toutes les conjugaisons, l’i est supprimé aux deux premières personnes de l’imparfait.

Passé défini. — J’aimis, tu aimis, il aimi, j’aimimes, etc.

Conditionnel présent. — Il obéit aux mêmes règles dans les quatre conjugaisons ; sa terminaison est ras, ras, rai, rain, au lieu de rais, rais, rait, raient : j’aimeras, tu aimerai, il aimerait, j’aimerions, v’aimeriez, i z aimerain.


Deuxième conjugaison.

En ir, prononcé i (finir, fini).

Se conjugue comme le français correct, sauf la construction des pluriels avec un pronom singulier, l’i supprimé dans les deux premières personnes de l’imparfait et la forme du conditionnel présent.

Il y a aussi la forme du subjonctif présent : que je finige, que tu finige, qu’il finige, que je finigions, etc.


Troisième conjugaison.

En oir, prononcé ai ou a (recevoir, receva, recevai).

L’indicatif présent fait : je reçais, tu reçais, il reçait ; le reste comme en français.

Le subjonctif remplace oi par è : que je recève, que tu recèves, etc.


Quatrième conjugaison.

En dre, qui se prononce re ou de (prende ou prenre, rende ou renre), d’où le futur fait régulièrement renrai.

Dans certains pays, on trouve au subjonctif l’ancienne forme : que je prenge, que tu prenges, qu’il prenge, que je prengions, etc.


participe présent.

Il est parfois employé adjectivement, et a le sens de facile ou difficile à faire :

Une mouche qui n’est pas tuante (facile à tuer).

Un ouvrage qui n’est pas faisant (facile à faire).

Ou bien il sert à indiquer une chose qui a de l’action sur une autre :

Une terre venante (une terre où tout pousse bien).

Un temps venant (un temps qui fait pousser les herbes).


mutations.

Voyelles.

A se change en e assez souvent, soit dans le corps d’un mot, soit au commencement :

Agace, egacé ; agacer, egacer ; allonger, elonger ; allumette, elumette ; allumer, elumer ; argent, ergent ; arriére, erière.

V. fr. abayer, abeyer ; fr. charbon, cherbon ; chardon, cherd&ii ; charrette, chérette ; charpente, clierpente ; charrée, cherrée ; charrue, cherrue ; faner, fener ; façon, fesson ; glaner, glener ; harpon, lierpon ; jardin, jerrftn ; marque, nierque ; nuage, niiège, etc.

Il se change aussi en o : danger, donger ; essanger, essonger ; armoire, ormoire ; payer, poyer ; saupoudrer, soupoudrer.

Ai devient agn : chaîne, changne ; v. fr. Champaigne, Champangne ; v. fr. montaigne, montangne ; saigner, sangner ; araigner, arangner, etc.

A est remplacé par i : igniau, agneau ; ignelle, agnelle.

Il s’ajoute au commencement de quelques mots : amonition, munition.

E se change en a, surtout dans les pays où la prononciation est traînante : bouteille, boutaille ; conseil, consail ; cresson, crasson ; écouter, acouter ; flétri, flâtri ; sommeil, sommail.

Ou en o : meunier, mounier ; nœud, nou ; peur, pou ; résine, rosine ; seul, sou ; cellier, sollier ; gueule, goule.

Ou en u ; lézard, luzard ; femelle, fumelle ; épervier, épurvier.

E se change encore en i : lécher, licher ; premier, primier ; semelle, simelle ; séminaire, siminaire.

E devient eu devant v : fève, feuve ; février, feuvrier ; fièvre, fieuve ; lièvre, lieuve.

Et aussi devant d’autres consonnes : lune, leune ; fumée, feumée ; clavure, claveure.

E devient aussi une sorte de préfixe euphonique : galoche, égaloche ; graine, égraine ; grafigner, égrafigner ; miette, émiette ; priver, épriver ; chaussée, échaussée.

E s’ajoute encore dans le corps des mots : noix, néoué ; joindre, jéondre ; poutreau, poutériau ; truelle, téruelle ; jouer, jéouer ; goudron, gouèdron ; trouver, térouér ; coutil, couéti.

E est remplacé par i dans la plupart des terminaisons en eau : château, châtiau ; chapeau, chapiau, etc.

I, par une sorte d’euphonie paysanne ou par souvenir de certaines formes employées dans la vieille langue, est assez souvent ajouté dans le corps des mots :

Argent, argient ; boucher, bouchier ; boulanger, boulangier ; clocher, clochier ; chère, chière ; léger, légier ; tonnerre, tonnierre ; gendre, giendre ; arracher, arraicher ; ouvrage, ouvraige.

I est remplacé par e : signifier, sénifier ; lit, let ; hirondelle, hérondelle ; diminuer, déminuer ; midi, médi ; critiquer, crétiquer.

Il est supprimé dans certains mots : huissier, hussier ; huis, hus.

I s’ajoute dans la plupart des cas aux terminaisons en er des substantifs et des adjectifs : boucher, bouchier ; oranger, orangier ; gaucher, gauchier ; rocher, rochier ; verger, vergier.

Oi devient parfois a ou ai : poire, paire ; poisson, paisson ; reçois, reçais ; avoir, avai ou ava.

Ou bien e : froid, fret ; étroit, étret ; moi, mé ; toile, telle.

Ou devient eu : fougère, feugière ; pouce, peuce ; bouger, beuger ; moudre, meudre.

Et parfois on : mouchoir, monchoir ; courroie, conroie.

La voyelle o devient aussi la diphthongue ou : figure, figoure ; oreille, oureille ; orage, ourage ; rosée, rousée ; ramoneur, ramouneur ; Pentecôte, Pentecoûte ; colombier, coulombier.

Ou bien est remplacé par eu : orme, eurme.

U se change en i : Mustampot, Mistampot ; rhume, rhime ; brume, brime’.

Ou bien est remplacé par a : cuir, cair ; puis, pais ; cuire, caire.

La voyelle u se prononce souvent comme la diphthongue eu : lavure, laveure ; plume, pleume ; mur, meur ; prune, preune ; fumer, feumer ; lune, leune ; enclume, encleume.


mutations ou suppressions de consonnes.

La consonne B est l’une de celles qui subissent le moins de mutations ; voici pourtant trois exemples de b changé en p : crabe, crape, béquille, péguille ; bègue, pègue, et un, par contre, d’un p changé en b : pesant, besant.

Quelquefois C est remplacé par g : bécasse, bégasse ; second, segond ; Claude, Glaude ; Clabaud, Glabaud.

C remplacé par f : faucille, faufille.

Ch se change en g : achever, agever ; dénicher, déniger.

Cl changé en q : boucle, bouque ; oncle, onque.

D, ainsi que nous l’avons vu, disparaît à l’infinitif et aux temps qui en sont formés dans les verbes qui correspondent à la quatrième conjugaison française : apprendre, apprenre ; vendre, venre, etc.

G disparaît dans le corps de certains mots : assigner, assiner ; témoigner, témoinner ; signer, siner.

Il s’ajoute en d’autres cas : manne, mangne ; bougonner, bougogner.

Gl devient gn, prononciation voisine, mais plus nasale : étrangler, étrangner ; étranglard, étrangnard.

L est remplacé par r ; calcul, carcu ; cloche-pied, croche-pied ; loir, roir ; érisypèle, résipère liméro.

Il est tantôt supprimé, comme dans : fluxion, fuxion ; plus, pus ; et dans les terminaisons françaises en ble : semblable, semblabe ; raisonnable, raisonnabe.

Tantôt ajouté : fuchsia, fluxia ; pêche, plêche.

La terminaison ble des verbes devient bêle par l’intercalation d’un e accentué : il semble, il sembèle ; il tremble, il trembèle.

L se change aussi en i dans certains mots ; c’est surtout une forme particulière à quelques communes situées entre Lamballe et Moncontour. Je l’ai aussi retrouvée dans le nord du canton de Liffré (Ille-et-Vilaine). Ex. : planter, pianter ; plancher, piancher ; clabauder, kiabauder.

N est parfois remplacé par l : numéro, luméro ; économie, écolomie.

Il est ajouté dans un assez grand nombre de mots, presque toujours après un i : mis, mins ; moitié, mointié ; dimanche, dinmanche ; amitié, amintié.

Presque toujours, dans les mots terminés en ne, na, ni, not, etc., la syllabe qui précède est nasalisée : « traîner » se prononce train-ner ; Nanon, Nan-non ; Jeanne, Jean-ne. Cette prononciation est commune au patois gallot et au patois berrichon. (Voyez Coudeheau, Sur le dialecte berrichon.)

De toutes les consonnes, r est celle qui subit le plus de mutations.

R est remplacé par l : rare, rale ; courant, coulant ; franc-maçon, flamaçon ; madère, madelle.

Il s’ajoute à certains mots : baquet, barquet ; sardine, sardrine ; soutirer, sourtirer ; toujours, tourjous.

Dans d’autres, elle est supprimée, soit dans le corps du mot, soit à la syllabe finale : être, êté ; patrouiller, patouiller ; couleuvre, caleuve ; cidre, cide ; coudre, coude.

Pour les verbes en dre, la suppression de l’r est de règle.

Les infinitifs en er se prononcent eu dans un assez grand nombre de communes : aimer, aimeu ; porter, porteu ; toucher, toucheu.

Les syllabes en re, ro, se changent fréquemment en er dans le corps des mots : brebis, berbis ; bredouiller, berdouiller ; trépied, terpied ; dresser, derser ; Breton, Berton ; prochain, perchain ; froidir, ferdir.

Où le français prononce er, comme dans « fermer », le patois prononce fro : fromer.

T est quelquefois remplacé par q : tuer, quer ; tuile, quile.

La syllabe vre devient vère à l’impératif de certains verbes, par l’intercalation d’un è : ouvre, ouvère ; couvre, couvère.


préfixes.

Un grand nombre de mots ont le préfixe a, soit qu’il exprime l’effort, soit par simple euphonie : biter, abiter ; fourrer, affourrer ; griffer, agriffer ; guetter, aguetter ; sourdre, assourdre ; hucher, ahucher ; monter, amonter.

De, comme dans le latin et ses dérivés, exprime l’action d’ôter : déboudiner, débonder, débraguer, débraiser, décarcasser, défoirer.

C’est aussi parfois un simple explétif : désignalement, signalement ; déblâme, blâme ; défluxion, fluxion ; dégouttière, gouttière ; déservitude, servitude.

Re ou ra indiquent le retour ou la répétition : rapasser, rattirer, remorcher, remusser.


élisions, suppressions, contractions.

La terminaison ble devient presque toujours be, par la suppression de l’l : raisonnabe, honorabe, escarabe.

Les contractions sont fréquentes : ét’lon, étalon ; d’licat, délicat ; c’mode, commode ; marcageux, marécageux ; orine, origine ; nourture, nourriture.


onomatopées.

Elles abondent dans le patois gallot, et parfois sont très-pittoresques ; en voici quelques pièces au hasard : afflassement, effort qui fait souffler ; brundir (c’est le verbe expressif que les paysans ont trouvé pour exprimerr le bruit des machines à battre). Les chevaux oinsent quand ils hennissent dans l’écurie en se donnant des coups de pied ; les chiens ouament, ce qui vaut bien aboyer ; les poules qui chantent cadaquent ; l’oie est une casaque, nom emprunté à son cri peu harmonieux ; le chat-huant est un chouhou.

On pourrait facilement allonger cette liste, et y ajouter certains proverbes bien faits et expressifs que les paysans ont conservés de l’ancienne langue ou qu’ils ont depuis fort heureusement imaginés. J’en ai cité quelques-uns comme exemples dans le corps de mon glossaire.

Paul Sébillot.
  1. Depuis que ceci a été écrit, j’ai fait dans l’Ille-et-Villaine une récolte de contes considérable, parmi lesquels sont des histoires de fées très-intéressantes.