Essai sur les mœurs/Chapitre 179

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CHAPITRE CLXXIX.

De l’Angleterre jusqu’à l’année 1641.

Si l’Espagne s’affaiblit après Philippe II, si la France tomba dans la décadence et dans le trouble après Henri IV jusqu’aux grands succès du cardinal de Richelieu, l’Angleterre déchut longtemps depuis le règne d’Élisabeth. Son successeur, Jacques Ier, devait avoir plus d’influence qu’elle dans l’Europe, puisqu’il joignait à la couronne d’Angleterre celle d’Écosse ; et cependant son règne fut bien moins glorieux.

Il est à remarquer que les lois de la succession au trône n’avaient pas en Angleterre cette sanction et cette force incontestable qu’elles ont en France et en Espagne. (1603) On compte pour un des droits de Jacques le testament d’Elisabeth qui l’appelait à la couronne ; et Jacques avait craint de n’être pas nommé dans le testament d’une reine respectée, dont les dernières volontés auraient pu diriger la nation.

Malgré ce qu’il devait au testament d’Élisabeth, il ne porta point le deuil de la meurtrière de sa mère. Dès qu’il lut reconnu roi, il crut l’être de droit divin ; il se faisait traiter, par cette raison, de sacrée majesté. Ce fut là le premier fondement du mécontentement de la nation, et des malheurs inouïs de son fils et de sa postérité.

Dans le temps paisible des premières années de son règne, il se forma la plus horrible conspiration qui soit jamais entrée dans l’esprit humain ; tous les autres complots qu’ont produits la vengeance, la politique, la barbarie des guerres civiles, le fanatisme même, n’approchent pas de l’atrocité de la conjuration des poudres. Les catholiques romains d’Angleterre s’étaient attendus à des condescendances que le roi n’eut point pour eux ; quelques-uns, possédés plus que les autres de cette fureur de parti, et de cette mélancolie sombre qui détermine aux grands crimes, résolurent de faire régner leur religion en Angleterre, en exterminant d’un seul coup le roi, la famille royale, et tous les pairs du royaume. (Février 1605) Un Piercy, de la maison de Northumberland, un Catesby, et plusieurs autres, conçurent l’idée de mettre trente-six tonneaux de poudre sous la chambre où le roi devait haranguer son parlement. Jamais crime ne fut d’une exécution plus facile, et jamais succès ne parut plus assuré. Personne ne pouvait soupçonner une entreprise si inouïe ; aucun empêchement n’y pouvait mettre obstacle. Les trente-six barils de poudre, achetés en Hollande, en divers temps, étaient déjà placés sous les solives de la chambre, dans une cave de charbon louée depuis plusieurs mois par Piercy. On n’attendait que le jour de l’assemblée : il n’y aurait eu à craindre que le remords de quelque conjuré ; mais les jésuites Garnet et Oldcorn, auxquels ils s’étaient confessés, avaient écarté les remords. Piercy, qui allait sans pitié faire périr la noblesse et le roi, eut pitié d’un de ses amis, nommé Monteagle, pair du royaume ; et ce seul mouvement d’humanité fit avorter l’entreprise. Il écrivit par une main étrangère à ce pair : « Si vous aimez votre vie, n’assistez point à l’ouverture du parlement ; Dieu et les hommes concourent à punir la perversité du temps : le danger sera passé en aussi peu de temps que vous en mettrez à brûler cette lettre. »

Piercy, dans sa sécurité, ne croyait pas possible qu’on devinât que le parlement entier devait périr par un amas de poudre. Cependant la lettre ayant été lue dans le conseil du roi, et personne n’ayant pu conjecturer la nature du complot, dont il n’y avait pas le moindre indice, le roi, réfléchissant sur le peu de temps que le danger devait durer, imagina précisément quel était le dessein des conjurés. On va par son ordre, la nuit même qui précédait le jour de l’assemblée, visiter les caves sous la salle : on trouve un homme à la porte, avec une mèche, et un cheval qui l’attendait : on trouve les trente-six tonneaux.

Piercy et les chefs, au premier avis de la découverte, eurent encore le temps de rassembler cent cavaliers catholiques, et vendirent chèrement leurs vies. Huit conjurés seulement furent pris et exécutés ; les deux jésuites périrent du même supplice. Le roi soutint publiquement qu’ils avaient été légitimement condamnés ; leur ordre les soutint innocents, et en fit des martyrs. Tel était l’esprit du temps dans tous les pays où les querelles de la religion aveuglaient et pervertissaient les hommes.

Cependant la conspiration des poudres fut le seul grand exemple d’atrocité que les Anglais donnèrent au monde sous le règne de Jacques Ier. Loin d’être persécuteur, il embrassait ouvertement le tolérantisme ; il censura vivement les presbytériens, qui enseignaient alors que l’enfer est nécessairement le partage de tout catholique romain.

Son règne fut une paix de vingt-deux années : le commerce florissait ; la nation vivait dans l’abondance. Ce règne fut pourtant méprisé au dehors et au dedans. Il le fut au dehors, parce qu’étant à la tête du parti protestant en Europe, il ne le soutint pas contre le parti catholique, dans la grande crise de la guerre de Bohême, et que Jacques abandonna son gendre, l’électeur palatin ; négociant quand il fallait combattre, trompé à la fois par la cour de Vienne et par celle de Madrid, envoyant toujours de célèbres ambassades, et n’ayant jamais d’alliés.

Son peu de crédit chez les nations étrangères contribua beaucoup à le priver de celui qu’il devait avoir chez lui. Son autorité en Angleterre éprouva un grand déchet par le creuset où il la mit lui-même, en voulant lui donner trop de poids et trop d’éclat, ne cessant de dire à son parlement que Dieu l’avait fait maître absolu, que tous leurs priviléges n’étaient que des concessions de la bonté des rois. Par là il excita les parlements à examiner les bornes de l’autorité royale, et l’étendue des droits de la nation. On chercha dès lors à poser des limites qu’on ne connaissait pas bien encore.

L’éloquence du roi ne servit qu’à lui attirer des critiques sévères : on ne rendit pas à son érudition toute la justice qu’il croyait mériter, Henri IV ne l’appelait jamais que Maître Jacques, et ses sujets ne lui donnaient pas des titres plus flatteurs. Aussi il disait à son parlement : « Je vous ai joué de la flûte, et vous n’avez point dansé ; je vous ai chanté des lamentations, et vous n’avez point été attendris. » Mettant ainsi ses droits en compromis par de vains discours mal reçus, il n’obtint presque jamais l’argent qu’il demandait. Ses libéralités et son indigence l’obligèrent, comme plusieurs autres princes, de vendre des dignités et des litres que la vanité paye toujours chèrement. Il créa deux cents chevaliers baronnets héréditaires ; ce faible honneur fut payé deux mille livres sterling par chacun d’eux. Toute la prérogative de ces baronnets consistait à passer devant les chevaliers : ni les uns ni les autres n’entraient dans la chambre des pairs ; et le reste de la nation fit peu de cas de cette distinction nouvelle.

Ce qui aliéna surtout les Anglais de lui, ce fut son abandonnement à ses favoris. Louis XIII, Philippe III, et Jacques, avaient en même temps le même faible ; et tandis que Louis XIII était absolument gouverné par Cadenet, créé duc de Luines, Philippe III par Sandoval, fait duc de Lerme, Jacques l’était par un Écossais nommé Carr, qu’il fit comte de Sommerset, et depuis il quitta ce favori pour Georges Villiers, comme une femme abandonne un amant pour un autre.

Ce Georges Villiers est ce même Buckingham, fameux alors dans l’Europe par les agréments de sa figure, par ses galanteries, et par ses prétentions. Il fut le premier gentilhomme qui fut duc en Angleterre sans être parent ou allié des rois. C’était un de ces caprices de l’esprit humain, qu’un roi théologien, écrivant sur la controverse, se livrât sans réserve à un héros de roman. Buckingham mit dans la tête du prince de Galles, qui fut depuis l’infortuné Charles Ier, d’aller déguisé, et sans aucune suite, faire l’amour, dans Madrid, à l’infante d’Espagne, dont on ménageait alors le mariage avec ce jeune prince, s’offrant à lui servir d’écuyer dans ce voyage de chevalerie errante. Jacques, que l’on appelait le Salomon d’Angleterre, donna les mains à cette bizarre aventure, dans laquelle il hasardait la sûreté de son fils. Plus il fut obligé de ménager alors la branche d’Autriche, moins il put servir la cause protestante et celle du Palatin son gendre.

Pour rendre l’aventure complète, le duc de Buckingham, amoureux de la duchesse d’Olivarès, outragea de paroles le duc son mari, premier ministre, rompit le mariage avec l’infante, et ramena le prince de Galles en Angleterre aussi précipitamment qu’il en était parti. Il négocia aussitôt le mariage de Charles avec Henriette, fille de Henri IV et sœur de Louis XIII ; et, quoiqu’il se laissât emporter en France à de plus grandes témérités qu’en Espagne, il réussit : mais Jacques ne regagna jamais dans sa nation le crédit qu’il avait perdu. Ces prérogatives de la majesté royale, qu’il mêlait dans tous ses discours, et qu’il ne soutint point par ses actions, firent naître une faction qui renversa le trône, et en disposa plus d’une fois après l’avoir souillé de sang. Cette faction fut celle des puritains, qui a subsisté longtemps sous le nom de whigs ; et le parti opposé, qui fut celui de l’Église anglicane et de l’autorité royale, a pris le nom de torys. Ces animosités inspirèrent dès lors à la nation un esprit de dureté, de violence, et de tristesse, qui étouffa le germe des sciences et des arts à peine développé.

Quelques génies, du temps d’Élisabeth, avaient défriché le champ de la littérature, toujours inculte jusqu’alors en Angleterre. Shakespeare, et après lui Ben-Johnson, paraissaient dégrossir le théâtre barbare de la nation. Spencer avait ressuscité la poésie épique. François Bacon, plus estimable dans ses travaux littéraires que dans sa place de chancelier, ouvrait une carrière toute nouvelle à la philosophie. Les esprits se polissaient, s’éclairaient. Les disputes du clergé, et les animosités entre le parti royal et le parlement, ramenèrent la barbarie.

Les limites du pouvoir royal, des priviléges parlementaires et des libertés de la nation, étaient difficiles à discerner, tant en Angleterre qu’en Écosse. Celles des droits de l’épiscopat anglican et écossais ne l’étaient pas moins. Henri VIII avait renversé toutes les barrières ; Élisabeth en trouva quelques-unes nouvellement posées, qu’elle abaissa et qu’elle releva avec dextérité. Jacques Ier disputa : il ne les abattit point, mais il prétendit qu’il fallait les abattre toutes ; et la nation, avertie par lui, se préparait à les défendre. (1625 et suiv.) Charles Ier, bientôt après son avénement, voulut faire ce que son père avait trop proposé, et qu’il n’avait point fait.

L’Angleterre était en possession, comme l’Allemagne, la Pologne, la Suède, le Danemark, d’accorder à ses souverains les subsides comme un don libre et volontaire. Charles Ier voulut secourir l’électeur palatin, son beau-frère, et les protestants, contre l’empereur. Jacques, son père, avait enfin entamé ce dessein, la dernière année de sa vie, lorsqu’il n’en était plus temps. Il fallait de l’argent pour envoyer des troupes dans le bas Palatinat ; il en fallait pour les autres dépenses : ce n’est qu’avec ce métal qu’on est puissant, depuis qu’il est devenu le signe représentatif de toutes choses. Le roi en demandait comme une dette ; le parlement n’en voulait accorder que comme un don gratuit, et, avant de l’accorder, il voulait que le roi réformât des abus. Si l’on attendait dans chaque royaume que tous les abus fussent réformés pour avoir de quoi lever des troupes, on ne ferait jamais la guerre. Charles Ier était déterminé par sa sœur, la princesse palatine, à cet arrangement ; c’était elle qui avait forcé le prince son mari à recevoir la couronne de Bohême, qui ensuite avait, pendant cinq ans entiers, sollicité le roi son père à la secourir, et qui enfin obtenait, par les inspirations du duc de Buckingham, un secours si longtemps différé. Le parlement ne donna qu’un très-léger subside. Il y avait quelques exemples en Angleterre de rois qui, ne voulant point assembler de parlement, et ayant besoin d’argent, en avaient extorqué des particuliers par voie d’emprunt. Le prêt était forcé : celui qui prêtait perdait d’ordinaire son argent, et celui qui ne prêtait pas était mis en prison. Ces moyens tyranniques avaient été mis en usage dans des occasions où un roi affermi et armé pouvait exercer impunément quelques vexations. Charles Ier se servit de cette voie, qu’il adoucit ; il emprunta quelques deniers, avec lesquels il eut une flotte et des soldats, qui revinrent sans avoir rien fait.

(1626) Il fallut assembler un parlement nouveau. La chambre des communes, au lieu de secourir le roi, poursuivit son favori, le duc de Buckingham, dont la puissance et la fierté révoltaient la nation. Charles, loin de souffrir l’outrage qu’on lui faisait dans la personne de son ministre, fit mettre en prison deux membres de la chambre des plus ardents à l’accuser. Cet acte de despotisme, qui violait les lois, ne fut pas soutenu, et la faiblesse avec laquelle il relâcha les deux prisonniers enhardit contre lui les esprits, que la détention de ces deux membres avait irrités. Il mit en prison pour le même sujet un pair du royaume, et le relâcha de même. Ce n’était pas le moyen d’obtenir des subsides ; aussi n’en eut-il point. Les emprunts forcés continuèrent. On logea des gens de guerre chez les bourgeois qui ne voulurent pas prêter, et cette conduite acheva d’aliéner tous les cœurs. Le duc de Buckingham augmenta le mécontentement général par son expédition infructueuse à la Rochelle (1627). Un nouveau parlement fut convoqué, mais c’était assembler des citoyens irrités ; ils ne songeaient qu’à rétablir les droits de la nation et du parlement : ils votèrent que la fameuse loi Habeas corpus, la gardienne de la liberté, ne devait jamais recevoir d’atteinte ; qu’aucune levée de deniers ne devait être faite que par acte du parlement, et que c’était violer la liberté et la propriété de loger les gens de guerre chez les bourgeois. Le roi s’opiniâtrant toujours à soutenir son autorité, et à demander de l’argent, affaiblissait l’une, et n’obtenait point l’autre. On voulait toujours faire le procès au duc de Buckingham. (1628) Un fanatique nommé Felton, comme on la déjà dit, rendu furieux par cette animosité générale, assassina le premier ministre dans sa propre maison et au milieu de ses courtisans. Ce coup fit voir quelle fureur commençait dès lors à saisir la nation.

Il y avait un petit droit sur l’importation et l’exportation des marchandises, qu’on nommait droit de tonnage et de pontage. Le feu roi en avait toujours joui par acte du parlement, et Charles croyait n’avoir pas besoin d’un second acte. Trois marchands de Londres ayant refusé de payer cette petite taxe, les officiers de la douane saisirent leurs marchandises. Un de ces trois marchands était membre de la chambre basse. Cette chambre, ayant à soutenir à la fois ses libertés et celles du peuple, poursuivit les commis du roi. Le roi, irrité, cassa le parlement, et fit emprisonner quatre membres de la chambre. Ce sont là les faibles et premiers principes qui bouleversèrent tout l’État, et qui ensanglantèrent le trône.

À ces sources du malheur public se joignit le torrent des dissensions ecclésiastiques en Écosse. Charles voulut remplir les projets de son père dans la religion comme dans l’État. L’épiscopat n’avait point été aboli en Écosse au temps de la réformation, avant Marie Stuart ; mais ces évêques protestants étaient subjugués par les presbytériens. Une république de prêtres égaux entre eux gouvernait le peuple écossais. C’était le seul pays de la terre où les honneurs et les richesses ne rendaient pas les évêques puissants. La séance au parlement, les droits honorifiques, les revenus de leur siége, leur étaient conservés ; mais ils étaient pasteurs sans troupeau, et pairs sans crédit. Le parlement écossais, tout presbytérien, ne laissait subsister les évêques que pour les avilir. Les anciennes abbayes étaient entre les mains de séculiers, qui entraient au parlement en vertu de ce titre d’abbé. Peu à peu le nombre de ces abbés titulaires diminua. Jacques Ier rétablit l’épiscopat dans tous ses droits. Le roi d’Angleterre n’était pas reconnu chef de l’Église en Écosse ; mais, étant né dans le pays, et prodiguant l’argent anglais, les pensions et les charges à plusieurs membres, il était plus maître à Édimbourg qu’à Londres. Le rétablissement de l’épiscopat n’empêcha pas l’assemblée presbytérienne de subsister. Ces deux corps se choquèrent toujours, et la république synodale l’emporta toujours sur la monarchie épiscopale. Jacques, qui regardait les évêques comme attachés au trône, et les calvinistes presbytériens comme ennemis du trône, crut qu’il réunirait le peuple écossais aux évêques en faisant recevoir une liturgie nouvelle, qui était précisément la liturgie anglicane. Il mourut avant d’accomplir ce dessein, que Charles son fils voulut exécuter.

La liturgie consistait dans quelques formules de prières, dans quelques cérémonies, dans un surplis que les célébrants devaient porter à l’église. À peine l’évêque d’Édimbourg eut fait lecture dans l’église des canons qui établissaient ces usages indifférents que le peuple s’éleva contre lui en fureur, et lui jeta des pierres. La sédition passa de ville en ville. Les presbytériens firent une ligue, comme s’il s’était agi du renversement de toutes les lois divines et humaines. D’un côté cette passion si naturelle aux grands de soutenir leurs entreprises, et de l’autre la fureur populaire, excitèrent une guerre civile en Écosse.

On ne sut pas alors ce qui la fomentait, et ce qui prépara la fin tragique de Charles : c’était le cardinal de Richelieu. Ce ministre-roi, voulant empêcher Marie de Médicis de trouver un asile en Angleterre chez sa fille, et engager Charles dans les intérêts de la France, essuya du monarque anglais, plus fier que politique, des refus qui l’aigrirent (1637). On lit, dans une lettre du cardinal au comte d’Estrades, alors envoyé en Angleterre, ces propres mots bien remarquables, que nous avons déjà rapportés : « Le roi et la reine d’Angleterre se repentiront, avant qu’il soit un an, d’avoir négligé mes offres ; on connaîtra bientôt qu’on ne doit pas me mépriser. »

Il avait parmi ses secrétaires un prêtre irlandais, qu’il envoya à Londres et à Édimbourg semer la discorde avec de l’argent parmi les puritains ; et la lettre au comte d’Estrades est encore un monument de cette manœuvre. Si l’on ouvrait toutes les archives, on y verrait toujours la religion immolée à l’intérêt et à la vengeance.

Les Écossais armèrent. Charles eut recours au clergé anglican, et même aux catholiques d’Angleterre, qui tous haïssaient également les puritains. Ils ne lui fournirent de l’argent que parce que c’était une guerre de religion ; et il eut même jusqu’à vingt mille hommes pour quelques mois. Ces vingt mille hommes ne lui servirent guère qu’à négocier ; et quand la plus grande partie de cette armée fut dissipée, faute de paye, les négociations devinrent plus difficiles (1638 et suiv.). Il fallut donc se résoudre encore à la guerre. On trouve peu d’exemples dans l’histoire d’une grandeur d’âme pareille à celle des seigneurs qui composaient le conseil secret du roi : ils lui sacrifièrent tous une grande partie de leurs biens. Le célèbre Laud, archevêque de Cantorbéry, le marquis Hamilton surtout, se signalèrent dans cette générosité, et le fameux comte de Strafford donna seul vingt mille livres sterling ; mais ces libéralités n’étant pas à beaucoup près suffisantes, le roi fut encore obligé de convoquer un parlement.

La chambre des communes ne regardait pas les Écossais comme des ennemis, mais comme des frères qui lui enseignaient à défendre ses priviléges. Le roi ne recueillit d’elle que des plaintes amères contre tous les moyens dont il se servait pour avoir des secours qu’elle lui refusait. Tous les droits que le roi s’était arrogés furent déclarés abusifs : impôt de tonnage et pontage, impôt de marine, vente de priviléges exclusifs à des marchands, logement de soldats par billets chez les bourgeois, enfin tout ce qui gênait la liberté publique. On se plaignit surtout d’une cour de justice nommée la Chambre étoilée, dont les arrêts avaient condamné trop sévèrement plusieurs citoyens. Charles cassa ce nouveau parlement, et aggrava ainsi les griefs de la nation.

Il semblait que Charles prît à tâche de révolter tous les esprits : car, au lieu de ménager la ville de Londres dans des circonstances si délicates, il lui fit intenter un procès devant la Chambre étoilée pour quelques terres en Irlande, et la fit condamer à une amende considérable. Il continua à exiger toutes les taxes contre lesquelles le parlement s’était récrié. Un roi despotique qui en aurait usé ainsi aurait révolté ses sujets ; à plus forte raison un roi d’une monarchie limitée. Mal secouru par les Anglais, secrètement inquiété par les intrigues du cardinal de Richelieu, il ne put empêcher l’armée des puritains écossais de pénétrer jusqu’à Newcastle. Ayant ainsi préparé ses malheurs, il convoqua enfin le parlement, qui acheva sa ruine (1640).

Cette assemblée commença, comme toutes les autres, par lui demander la réparation des griefs, abolition de la Chambre étoilée, suppression des impôts arbitraires, et particulièrement de celui de la marine ; enfin elle voulut que le parlement fût convoqué tous les trois ans. Charles, ne pouvant plus résister, accorda tout. Il crut regagner son autorité en pliant, et il se trompa. Il comptait que son parlement l’aiderait à se venger des Écossais, qui avaient fait une irruption en Angleterre, et ce même parlement leur fit présent de trois cent mille livres sterling pour les récompenser de la guerre civile. Il se flattait d’abaisser en Angleterre le parti des puritains, et presque toute la chambre des communes était puritaine. Il aimait tendrement le comte de Strafford, dévoué si généreusement à son service, et la chambre des communes, pour ce dévouement même, accusa Strafford de haute trahison. On lui imputa quelques malversations inévitables dans ces temps de troubles, mais commises toutes pour le service du roi, et surtout effacées par la grandeur d’âme avec laquelle il l’avait secouru. Les pairs le condamnèrent ; il fallait le consentement du roi pour l’exécution. Le peuple, féroce, demandait ce sang à grands cris. (1641) Strafford poussa la vertu jusqu’à supplier lui-même le roi de consentir à sa mort, et le roi poussa la faiblesse jusqu’à signer cet acte fatal, qui apprit aux Anglais à répandre un sang plus précieux. On ne voit point dans les grands hommes de Plutarque une telle magnanimité dans un citoyen, ni une telle faiblesse dans un monarque.

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