Extraits d’une lettre privée

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III
extraits d’une lettre privée
à propos des objections
soulevées par l’article « aux femmes[1]. »

La vocation de chaque personne, homme ou femme, est de servir les hommes ; je pense que toutes les personnes non immorales reconnaissent cette proposition générale. La différence entre l’homme et la femme, dans l’accomplissement de leur destinée n’est que dans les moyens par lesquels ils la remplissent, c’est-à-dire par lesquels ils servent les hommes.

L’homme sert les hommes par les travaux physiques, en acquérant le moyen de vivre par le travail intellectuel, en étudiant les lois de la nature, pour la vaincre, et par le travail social : par l’institution des formes de la vie, par l’établissement du rapport entre les hommes. Pour l’homme les moyens de servir ses semblables sont très variés. Toute l’activité de l’humanité, à l’exception de la production et de l’allaitement des enfants, constitue le champ de son service aux hommes. La femme a la possibilité de servir les hommes par le même côté de son existence que l’homme ; par sa nature physique elle est appelée inévitablement au seul service dont est privée l’activité de l’homme. Le service de l’humanité se divise en deux parties : l’une, l’augmentation du bien de l’humanité existante ; l’autre, la continuation de l’humanité elle-même.

Les hommes sont principalement appelés à la première parce qu’ils sont privés de la possibilité de servir par la seconde. Les femmes sont appelées à la deuxième parce qu’elles en sont exclusivement capables. On ne peut pas, on ne doit pas et c’est un péché (c’est-à-dire une erreur) ne pas rappeler, cette différence. D’elle découlent les devoirs des uns et des autres, les obligations non inventées par les hommes, mais qui sont dans la nature des choses. C’est de la même différence que découle l’appréciation de la vertu et du vice de la femme et de l’homme, appréciation qui exista dans tous les siècles et qui existe maintenant et ne disparaîtra pas tant que l’homme aura la raison.

Il y eut et il y aura toujours ceci que l’homme qui passe la plus grande partie de sa vie dans le travail varié : physique, intellectuel et social propre à lui ; et la femme qui passe la plupart de sa vie au travail propre, exclusif à elle, à la production, l’allaitement et l’éducation des enfants, sentiront également qu’ils font ce qu’il faut et exciteront également le respect et l’amour d’autrui parce que tous les deux remplissent ce qui leur est imposé par la nature.

La vocation de l’homme est plus variée, plus large ; celle de la femme est plus monotone, plus étroite, mais plus profonde, et c’est pourquoi, toujours, l’homme qui trahira un, dix de ses devoirs sur la centaine qu’il a, pourra ne pas être mauvais, ne pas être nuisible, s’il remplit en grande partie sa vocation. La femme qui a un petit nombre de devoirs, si elle en trahit un seul, tombe moralement plus bas que l’homme qui a trahi une dizaine de ses centaines de devoirs.

Telle fut toujours l’opinion générale, telle elle sera toujours, parce que tel est le sens du fait.

L’homme, pour accomplir la volonté de Dieu, doit le servir dans le domaine du travail physique, de la pensée, de la morale. Avec toutes ces œuvres il peut accomplir sa vocation. Pour une femme, le moyen de servir Dieu est principalement et presque uniquement, (parce que sauf elle personne ne peut le faire) les enfants. Par ses actes, l’homme est appelé à servir Dieu et les hommes ; la femme est appelée à ce service par ses enfants.

C’est pourquoi l’amour pour ses propres enfants est introduit en la femme ; amour exclusif contre lequel il est tout à fait inutile de lutter avec la raison. Il est et doit toujours appartenir à la femme mère. Cet amour pour son enfant — quand il est petit — n’est pas du tout égoïste, c’est l’amour de l’ouvrier pour le travail qu’il fait pendant qu’il est entre ses mains. Ôtez cet amour pour l’objet de son travail, il devient impossible. Pendant que je fais des bottes, je les aime plus que tout. Si je ne les aimais pas, je ne pourrais pas travailler. Si on me les abîmait, je serais au désespoir ; mais je les aime ainsi juste pendant que je les travaille. Quand j’ai terminé, il reste l’attachement, la préférence faible et illégitime. Il en est de même pour la mère.

L’homme est appelé à servir autrui par divers travaux et il aime ces travaux pendant qu’il les fait. La femme est appelée à servir autrui par ses enfants et elle ne peut ne pas les aimer jusqu’à trois, sept ou dix ans.

Par leur vocation générale, servir Dieu et les hommes, l’homme et la femme sont tout à fait égaux malgré la différence de forme de leur service.

L’égalité est en ce que le service de l’un est aussi important que celui de l’autre. Un est la condition de l’autre, et pour un service efficace, il faut également, à l’homme et à la femme, connaître la vérité sans laquelle l’activité de l’homme ou de la femme devient inutile, même nuisible pour l’humanité. L’homme est appelé à remplir un travail varié, mais son travail, physique, intellectuel ou social, n’est utile et fertile que s’il se fait au nom de la vérité et du bien des autres hommes. Quelque zèle que mette l’homme à s’occuper de l’augmentation de ses plaisirs, des raisonnements oisifs et de l’activité sociale pour son utilité, son travail ne sera pas fertile. Il sera fertile seulement quand il visera à diminuer les souffrances des hommes produites par la misère, l’ignorance et le faux ordre social.

Il en est de même pour la vocation de la femme : la naissance, l’allaitement et l’éducation des enfants seront utiles à l’humanité, seulement quand elle élèvera ses enfants non pour sa joie, mais comme futurs serviteurs de l’humanité, quand l’éducation de ses enfants se fera au nom de la vérité et pour le bien des hommes, c’est-à-dire quand elle élèvera ses enfants de façon qu’ils soient les meilleurs hommes, les meilleurs ouvriers pour les autres.

Selon moi, la femme idéale sera celle qui, en s’appropriant la conception supérieure du monde et du temps où elle vit, s’adonne à sa vocation de femme, indubitablement imposée en elle, à produire, allaiter, élever le plus grand nombre d’enfants, capables de travailler pour autrui, selon la conception du monde qu’elle a adoptée.

Et pour s’approprier la conception supérieure du monde il me semble qu’il n’est point besoin de fréquenter les cours. Il faut seulement lire l’Évangile, ne pas fermer ses yeux, ses oreilles et principalement son cœur.

Eh bien ! et celles qui n’ont pas d’enfants, qui ne sont pas mariées, ou les veuves ? Elles feront bien si elles participent au travail masculin multiforme. Mais on ne pourra point ne pas regretter qu’une arme précieuse comme la femme soit privée de la possibilité de remplir la grande destinée propre à elle seule. D’autant plus que chaque femme après avoir mis au monde des enfants, si elle a des forces, aura le temps de s’occuper de l’aide à autrui par le travail. L’aide des femmes dans ce travail est très précieuse, mais voir une jeune femme, prête pour la production d’enfants, s’occuper de travail masculin, c’est toujours pénible. C’est la même chose que voir la terre noire, très fertile, pleine de graviers pour les revues militaires ou pour la promenade. C’est encore plus triste, car cette terre pourrait seulement produire du blé et la femme pourrait mettre au monde, ce qui vaut plus que tout, ce que rien ne surpasse, des hommes. Et c’est elle seule qui peut le faire.

  1. Cet article forme le chapitre XL de l’ouvrage intitulé : « Que devons-nous faire ? »