Félicia/III/11

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Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 182-184).
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Troisième partie


CHAPITRE XI


Où l’on voit Sylvina attrapée d’une singulière façon.


L’honnêteté de Monrose se montra dans son empressement à venir me faire part de sa nouvelle aventure. Non seulement son récit fut fidèle ; mais il eut encore la bonne foi de m’avouer qu’il s’était senti de violentes tentations et que, sans les serments qu’il m’avait faits, il n’aurait pu supporter une épreuve aussi difficile sans demander du soulagement. J’avais différé jusque-là de rendre heureux une seconde fois ce bel enfant, quoiqu’il ne cessât de m’en solliciter. Je vis qu’il était temps de le favoriser et lui donner comme récompense méritée, un rendez-vous pour la nuit. Il fut si transporté que je crus qu’il avait perdu l’esprit.

Ce fut chez moi, pour lors, que se passèrent nos voluptueux ébats. Deux fois je fis goûter au passionné Monrose les suprêmes délices et fus beaucoup plus souvent heureuse…

Nous employâmes le reste du temps à combiner la conduite qu’il tiendrait dorénavant avec Sylvina. Il fallait absolument qu’elle passât son envie ; je fus d’avis que ce fût plus tôt que plus tard, et voici ce que je prescrivis au bel enfant :

Le lendemain matin, il devait aller de lui-même offrir ses services pour une lecture. On acceptait sûrement. Pour lors, il lisait avec distraction… il soupirait… on l’interrogeait… il tergiversait un peu… Enfin il lui échappait une déclaration de désir (d’amour ce n’était pas la peine), il se plaignait… On l’entendait à demi-mot… On lui demandait s’il concevait comment il serait possible de le soulager, il priait ingénument qu’on le lui apprît… et l’on ne demandait pas mieux. Un peu faible au sortir de mes bras, il se tirait mal d’affaire ; c’en était probablement assez pour qu’on se dégoûtât de lui, du moins pour un temps. Monrose souscrivit joyeusement à ce projet. Ses intentions étaient si franches qu’avant de me quitter il voulait absolument se mettre hors d’état de me laisser des doutes, mais je crus qu’il fallait à tout hasard lui laisser du moins de quoi faire contenance. Nous nous séparâmes plus contents que jamais l’un de l’autre. Je trouvai néanmoins plaisant qu’au rebours des autres amants qui se font en pareil cas mille protestations de fidélité, nous concertassions précisément le contraire, et que ce qui est réputé pour l’offense la plus grave en amour, je l’exigeasse et l’obtinsse à titre de sacrifice.

Je ne manquai pas de me cacher au même endroit que la veille : tout se passa comme je l’avais prévu. Sylvina reçut avec transport et la déclaration et la requête. Elle pria Monrose de pousser les verrous et l’ayant fait déshabiller, elle le reçut dans son lit.

— Pauvre petit, dit-elle, sans doute à l’aspect de ce qu’elle allait mettre à l’épreuve, hélas ! voilà bien peu de chose ! Tu veux donc manger ton blé en herbe ?… Voyons pourtant… baise-moi… viens prendre place sur mon sein… Mais je ne vois pas la possibilité… Ne t’arrive-t-il jamais d’être autrement ?… Je t’avoue que cela n’est pas flatteur… Allons, essayons… Ma foi, mon ami, je commence à désespérer… Rassure-toi…, ta timidité te fait tort… Est-ce dans un moment où je me rends si traitable que je puis encore t’inspirer du respect ? Tiens… que je suce cette belle bouche… Sens-tu mon âme s’exhaler dans ce baiser ?… Non, je n’y renonce pas… Je veux que mes désirs forcent la nature à t’accorder une vigueur qu’elle te refuse trop injustement… je meurs si j’ai la honte de ne réussir.

Tout cela voulait dire que M. Monrose n’était encore bon à rien : cependant un moment après, je reconnus que les choses commençaient à prendre une meilleure tournure. — Enfin, dit-elle, ce n’est pas sans peine… passe encore, tiens, bijou, le reste est facile.

Dès lors, je n’entendis plus que les mouvements passionnés de la lubrique Sylvina, qui paraissait seule faire tout l’ouvrage. « C’est forcer nature, dit-elle, après l’affaire. Vous voyez bien, Monrose, que vous n’êtes pas encore propre à l’amour. Je rougis de ma complaisance, dont j’espère qu’un secret inviolable éteindra le souvenir ; et je me flatte surtout que si jamais vous me priez de pareille chose, ce ne sera plus par un simple mouvement de curiosité. Laissez-moi, j’ai besoin d’un peu de sommeil. »

Le pauvre Monrose vint, confus, me trouver dans mon appartement où j’étais retournée, riant aux larmes de ce qui venait de se passer. Son air humilié redoubla mes éclats. Ils le mirent au désespoir. Cependant sa tendresse pour moi, surmontant bientôt la petite peine de l’amour-propre, il rit lui-même de son aventure ; nous nous applaudîmes beaucoup d’avoir détruit, par notre ingénieux stratagème, un obstacle qui serait devenu fatal à nos plaisirs.