Fin de la Guerre de la succession d’Autriche - Paix d’Aix-la-Chapelle/02

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Fin de la Guerre de la succession d’Autriche - Paix d’Aix-la-Chapelle
Revue des Deux Mondes3e période, tome 109 (p. 721-768).
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ETUDES
DIPLOMATIQUES

FIN DE LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE; — PAIX D'AIX-LA-CHAPELLE

II.[1]
SIGNATURE DES PRÉLIMINAIRES DE PAIX.

Le congrès, depuis si longtemps annoncé, allait donc enfin s’ouvrir. Mais j’ai fait comprendre par quelle raison cette réunion appelée de tant de vœux, et objet, au premier moment, de tant d’espérances, s’effectuait maintenant au milieu d’un défaut de confiance et d’un découragement général. La lenteur affectée que les plénipotentiaires avaient mise à s’y rendre contrastait avec l’activité des préparatifs militaires dont le lieu même, indiqué pour leurs séances, était entouré, et ils semblaient ainsi désespérer eux-mêmes, d’avance, du succès de leurs efforts pacifiques. Les spectateurs s’attendaient donc uniquement à une représentation de parade où toutes les puissances viendraient faire, chacune à son tour, montre de son amour pour la paix, afin d’acquérir par là le droit d’imposer ensuite un nouveau tribut de sang et d’argent aux populations épuisées. A peine quelques initiés soupçonnaient-ils ce que l’histoire même n’a appris que dans ces derniers temps, c’est qu’avant que le rideau fût levé, des intrigues particulières étrangères à la pièce annoncée étaient déjà nouées dans les coulisses avec le dessein d’apparaître à l’improviste sur la scène et d’y opérer un véritable coup de théâtre. En réalité, depuis que l’Autriche et l’Angleterre avaient l’une et l’autre, sans se consulter et se prévenir, invité la France à une entente secrète, le congrès était devenu une simple apparence et ne devait plus servir qu’à faciliter des entretiens tenus à voix basse par l’envoyé français tour à tour avec chacun de ses deux collègues, et à enregistrer ensuite, à un jour donné, le résultat inattendu de ces conférences occultes.

Pour bien suivre les incidens divers du drame qui allait se jouer, où devaient se succéder jusqu’à la dernière heure les péripéties imprévues et les surprises, et qui devait finir par une véritable journée des dupes, il est nécessaire de se rappeler quels étaient la situation exacte et l’état d’esprit de tous les acteurs appelés à y prendre part.

Pour commencer par l’envoyé de France, celui-là pouvait se donner facilement, sur tous les autres, l’avantage de la sincérité et de la franchise. C’était un mérite payé peut-être un peu cher, car il le devait principalement à l’extrême modestie des prétentions qu’il avait à défendre. Il arrivait avec une formule connue d’avance, circulant depuis longtemps dans toutes les chancelleries, et présentée à tous les peuples comme un modèle de désintéressement et de loyauté : restitution réciproque de toutes les conquêtes, et en retour du sacrifice très inégal que faisait ainsi la France, une indemnité assurée aux alliés qui avaient combattu avec elle, soit en Italie, soit en Allemagne, c’était tout ce qu’elle réclamait. De ces deux articles, le second était le corollaire indispensable, et à dire le vrai, la compensation très insuffisante du premier. Sans ce complément, l’échange des territoires conquis aurait eu vraiment pour la France un caractère d’abnégation qui aurait mérité un autre nom ; car les restitutions qu’elle offrait de faire, c’étaient les Pays-Bas soumis tout entiers par ses armes et où Maurice régnait en maître ; en outre, la Savoie et le comté de Nice, qui n’avaient pas cessé, pendant toute la guerre, de servir de quartier-général aux troupes espagnoles et françaises. Ce qu’elle demandait à ses ennemis de lui rendre, c’étaient quelques villes du littoral de la Méditerranée enlevées à la république de Gênes son alliée, et le petit duché de Modène, dont le mari d’une princesse française était dépouillé ; enfin, une île de l’Atlantique, le Cap-Breton, occupé par la marine anglaise. Quelque importante que fût cette dernière position, qui fermait l’embouchure du fleuve Saint-Laurent et dominait ainsi l’entrée de notre colonie du Canada, on ne pouvait pourtant pas la mettre sérieusement en comparaison avec deux des plus belles provinces du centre de l’Europe. Ce n’était donc pas un excès d’ambition à la France de vouloir ajouter à des satisfactions si modérées la demande d’un établissement pour un Bourbon en Italie, et d’un accroissement de l’électorat palatin en Allemagne. Même, en y mettant ces deux appoints, les plateaux de la balance seraient encore très mal équilibrés. C’est ce que Louis XV appelait, par une expression déclamatoire (que Voltaire a célébrée, peut-être avec un peu d’ironie), traiter en roi et non en marchand.

Muni ainsi d’instructions auxquelles il ne lui était permis de rien ajouter, et dont il n’était guère possible de rien rabattre, il semble que Saint-Séverin n’avait qu’à attendre qu’on le vînt trouver, puis à ouvrir l’oreille et à se décider en faveur de celui des représentans d’Autriche ou d’Angleterre qui s’accommoderait le plus facilement d’un programme si peu exigeant et se chargerait à meilleur compte d’en assurer l’accomplissement.

Une seule chose pouvait lui causer une gêne véritable, et c’était le même embarras qui avait fait le désespoir de la diplomatie de d’Argenson, aussi bien que de Belle-Isle et de Maillebois sur le champ de bataille : c’était l’obligation de ménager, dans ses rapports avec le représentant de l’Espagne, les soupçons et les caprices d’une alliée à la fois ombrageuse et peu sûre, toujours prompte à crier à la trahison, bien que menaçant à tout moment elle-même de fausser compagnie, gardant mal toutes les confidences et pourtant irritée qu’on traitât sans elle dans une cause où elle était intéressée. La nécessité d’user, avec une amie si susceptible et si douteuse, d’assez de réserve pour ne pas lui laisser tout connaître et la mettre en mesure de tout révéler, et cependant d’assez de confiance pour n’être pas accusé de lui tout cacher, la crainte d’en trop dire et de n’en pas dire assez, ne devait pas être l’une des moindres difficultés d’un négociateur qui, ayant un double secret à garder, avait à tout moment une double indiscrétion à craindre. — « De quelque façon, lui écrivait Puisieulx, que vous vous conduisiez avec le ministre d’Espagne, il sera toujours important que vous vous gardiez les motifs de justification et de répondre à ses plaintes, dans le cas où la cour de Vienne viendrait à révéler le secret de notre négociation. C’est ainsi que j’en ai usé avec M. le duc d’Huescar, et j’ai tellement compassé ma conduite et mes discours, que je lui ai tout dit sans pourtant me mettre à découvert. » L’exemple n’était pas aisé à suivre, ni l’instruction à exécuter. On se souvenait du désordre qu’avaient fait naître à Bréda les incartades de Macanas ; son successeur, Massonez, duc de Sotomayor, passait pour un meilleur choix, mais d’une capacité bornée qui ne le défendait ni des séductions qu’on pourrait lui offrir, ni des pièges qu’on pourrait lui tendre.

Quant à l’agent autrichien, ses instructions étaient connues au moins de la France, puisqu’elles avaient déjà été consignées par écrit dans le projet de préliminaires de paix, communiqué à Versailles par le ministre saxon. Malgré quelques réserves qui trahissaient l’embarras d’une subite évolution, c’était, on l’a vu, de la part de Marie-Thérèse, un changement complet d’attitude et d’allures. Avertie des dispositions pacifiques qui avaient fini par prévaloir dans les derniers conseils du cabinet britannique, et convaincue que c’était à ses dépens que ses alliés cherchaient à s’accommoder, elle prenait résolument les devans sur une défaillance qu’elle qualifiait déjà de défection, au besoin même de trahison. D’heure en heure, d’ailleurs, chaque courrier accroissait ses ressentimens et ses méfiances : c’était Charles-Emmanuel qui, informé, pensait-elle, de ce qui se tramait contre elle à Londres, opposait à tous les plans qu’elle proposait pour une nouvelle campagne autour de Gênes, des difficultés, des ajournemens sans cesse renaissans. Il se refusait à toute mesure offensive, il entendait s’enfermer strictement dans ses lignes de défenses : preuve évidente, disait Marie-Thérèse, qu’il voulait séparer sa cause de celle de l’Autriche. D’un autre côté, c’était Cumberland qui, arrivé à La Haye et trouvant partout la trace du dénûment et de l’imprévoyance du gouvernement hollandais, au lieu de s’appliquer à réparer le mal, semblait se plaire à le constater et même à l’exagérer. Tout, en un mot, paraissait à son esprit inquiet l’indice d’un plan concerté pour la réduire à accepter une paix dont les conditions fixées par avance, à son insu, seraient pour elle celles d’une véritable capitulation. Dans cette situation pleine d’angoisses, un arrangement particulier et direct avec la France était plus que jamais à ses yeux son unique recours et son moyen de légitime défense.

En réalité, elle ne tenait qu’à deux choses ; d’abord à acquérir, moyennant cette satisfaction donnée à la France, la facilité de reprendre sur ses perfides alliés, et principalement sur le roi de Sardaigne, les larges cessions de territoire qu’elle avait consenties par le traité de Worms, sous l’empire des injonctions de l’Angleterre et en échange d’une promesse qu’elle n’espérait plus voir accomplir. Elle désirait ensuite que la France s’engageât à ne pas confirmer le concours qu’elle avait donné autrefois à la conquête de la Silésie, en y ajoutant une garantie nouvelle pour assurer l’avenir. De ces deux désirs, aucun n’était incompatible avec l’intérêt sainement entendu de la France. Pour le traité de Worms en particulier et toutes ses conséquences, la France y était restée complètement étrangère ; c’était affaire de famille à régler entre ses ennemis d’hier ; et s’il en naissait un sujet de discorde entre eux, la France n’avait ni à prévenir, ni à regretter ce dissentiment. Elle avait d’autant moins à s’en préoccuper, que, parmi les territoires cédés au roi de Sardaigne par le traité de Worms, figuraient des points importans du littoral de la Méditerranée, tel que le marquisat de Final, enlevé à la république de Gênes, et dont, en vertu du principe de réparation générale qu’elle avait posé, elle devait elle-même demander la rétrocession. Il était plus délicat, sans doute, de retirer à Frédéric la garantie de sa conquête, qu’il ne cessait de réclamer, et qu’on lui avait plus d’une fois vaguement promise, et nul doute qu’il ne conçût de ce refus qui lui serait bientôt connu, et où il verrait un manque de parole, une vive irritation, dont la pensée seule devait faire pâlir Puisieulx. Mais tout le monde ne partageait pas autour de Louis XV ce souci de ne jamais déplaire à Frédéric, qui, chez Puisieulx lui-même, était un effet non pas d’amour comme chez son prédécesseur, mais seulement de crainte. Plus d’un des collègues de ce ministre pusillanime exprimait tout haut sa fatigue de cette alliance prussienne qui avait coûté tant de sacrifices en rapportant si peu de profit et même de sécurité. Des plans d’un système fédératif tout opposé, et dont un rapprochement avec l’Autriche devait être l’élément principal, étaient formés tout haut dans le conseil, et le roi de France, ennuyé de trouver dans un confrère en royauté de date si récente un auxiliaire exigeant et souvent un censeur insolent, laissait développer devant lui ces desseins nouveaux sans y contredire.

On peut croire que Saint-Séverin, très bien en cour et ayant plus d’une manière de savoir ce qu’on y pensait, était lui-même assez enclin à prêter l’oreille à des projets de cette espèce. Quoique dans sa correspondance il se mette toujours en garde pour ne pas laisser apercevoir des préférences qui pourraient déplaire à son ministre, on distingue assez clairement que, dans le choix qu’il avait à faire entre les offres de Vienne et celles de Londres, ses inclinations comme ses espérances étaient portées du côté de l’alliance autrichienne. On voit aussi que le déplaisir de la Prusse, dont il ne prononce jamais le nom, n’était pas ce qui le préoccupait. L’idée d’un rapprochement avec l’Autriche n’était d’ailleurs pas pour lui absolument nouvelle : car c’est d’Argenson lui-même qui, dans le portrait très noir qu’il trace de ce diplomate, nous apprend que, représentant la France à Francfort, au moment de l’élection de François de Lorraine, il avait donné le conseil de ne pas disputer une reconnaissance qu’on n’avait aucun moyen sérieux de contester. Il aurait très raisonnablement préféré qu’on fît acheter à Marie-Thérèse l’adhésion de la France, au prix de quelques concessions avantageuses : — De quoi, ajoute toujours d’Argenson, Frédéric étant informé, s’était montré fort irrité, sans doute, parce qu’ayant en tête un dessein du même genre, il ne se souciait ni d’être devancé, ni d’être obligé de surenchérir. L’occasion, manquée alors, se présentant de nouveau, il était tout naturel que Saint-Séverin cherchât à la ressaisir, d’autant plus qu’il trouvait cette fois des dispositions tout à fait pareilles aux siennes chez l’envoyé autrichien, le comte de Kaunitz, inspirateur, on l’a vu, encore plus qu’interprète des pensées nouvelles de Marie-Thérèse. Pour ce politique, destiné à une si longue vie ministérielle, la réconciliation de la France et de l’Autriche, qui devait être l’acte le plus éclatant de sa carrière, était déjà son plan favori et, si on peut se servir de ce terme, à propos d’un esprit si peu chimérique, le rêve de son ambition.

Ainsi avec l’Autriche, le désir de s’entendre étant sincère de part et d’autre, la négociation pouvait paraître en bon chemin vers un résultat favorable. Avec l’Angleterre, au contraire, dont les intentions n’étaient encore que vaguement connues, tout faisait craindre à première vue que le compte ne fût beaucoup moins facile à régler. Et tout de suite, pour commencer, on se trouvait transporté sur un terrain absolument différent. Les traités de Breslau, de Dresde et de Worms sur lesquels reposaient les agrandissemens nouveaux de la Prusse et de la Sardaigne, et dont Marie-Thérèse désirait effacer jusqu’au souvenir, avaient tous été conclus sous l’inspiration de l’Angleterre. Le traité de Worms, en particulier, était son œuvre, elle en avait presque dicté les termes. Elle ne pouvait guère se dispenser d’insister pour que des conventions, auxquelles elle avait directement concouru, fussent comprises dans l’acte final qui réglerait l’état de l’Europe. De là, en ce qui concernait au moins le traité de Worms, une difficulté contre laquelle on allait venir se heurter de front, car un des articles de ce traité avait dépouillé sans façon, comme je viens de le dire, la république de Gênes au profit du roi de Sardaigne de presque tout ce qu’elle possédait sur le littoral de la Méditerranée : et la France, soit pour faire honneur au principe général qu’elle avait posé, soit pour ne pas se donner le tort d’abandonner une alliée fidèle et dévouée, ne pouvait manquer d’en demander la restitution. Il fallait s’attendre que Charles-Emmanuel serait aussi éloigné d’y consentir que l’Angleterre, de qui il tenait cet avantage, serait embarrassée de le contraindre à y renoncer.

De plus, et à un point de vue plus général, la différence qui existait entre le mode d’agir et la situation intérieure des deux cours rendait toute espèce de relation plus difficile à entretenir et à mener à bonne fin avec l’Angleterre qu’avec l’Autriche. Marie-Thérèse, en effet, était maîtresse chez elle, libre de modifier à son gré la direction de sa politique. Les sacrifices qu’elle croyait devoir faire, c’est à elle-même et à elle seule qu’elle avait à en rendre compte. Il n’en allait pas du tout de même à Londres où un cabinet formé d’élémens disparates, placé entre un souverain irascible, un parlement divisé et une presse indépendante, se voyait obligé à tout moment de prévenir les ombrages qui pouvaient s’élever dans la pensée royale ou dans l’opinion populaire. Le parti pacifique, longtemps réduit au silence dans le conseil, venait bien de finir par se faire écouter sous l’empire d’une nécessité pressante ; mais c’était un avantage encore faible, très disputé, qui ne pouvait être maintenu qu’à la condition de ne pas imposer trop de sacrifices à l’orgueil britannique : et ce sentiment, toujours très susceptible chez une nation jalouse de sa grandeur, après avoir été un instant très vivement froissé par la victoire de nos soldats, était maintenant plus exalté que jamais par la revanche qui venait d’être prise avec éclat dans deux grandes batailles navales.

Obtiendrait-on facilement, d’une opinion publique surexcitée par des succès récens, l’abandon de cette conquête du Cap-Breton qui en était le résultat sensible, en même temps que le témoignage éclatant, et où on s’était plu à saluer avec joie un premier pas fait vers l’annexion d’une de nos plus belles colonies ? Supposé que le public anglais dût se résigner à cette pénible nécessité, il fallait s’attendre que la fibre de la vanité nationale deviendrait plus sensible par là même sur d’autres points. Si le patriotisme n’avait rien gagné, au moins voudrait-il n’avoir rien perdu à la guerre.

Or il était, on l’a vu, deux conditions particulièrement dures que la France avait dû subir dans les mauvais jours de la vieillesse de Louis XIV, — dont elle s’était affranchie avec joie pendant la guerre présente, — mais que l’Angleterre avait toujours annoncé, dans les pourparlers précédens, l’intention arrêtée de lui imposer de nouveau : je veux parler de la destruction du port de Dunkerque et du bannissement du prétendant Stuart et de sa famille. Rien ne faisait croire que le nouveau plénipotentiaire anglais fût d’humeur à se relâcher de cette double exigence. Et cependant ces servitudes déjà très pénibles, quand elles avaient été imposées par le traité d’Utrecht, le deviendraient plus encore par les événemens survenus depuis que l’effet en avait été suspendu. On avait reconstruit les fortifications du port de Dunkerque, faudrait-il donc laisser les Anglais les raser sous nos yeux, ou travailler à leur démolition de nos propres mains ? Puis le représentant de la dynastie déchue qu’on nous demanderait de proscrire, ce n’était plus le prince oublié et vieilli qui languissait à Rome, et dont l’exil et l’âge paraissaient avoir engourdi les qualités viriles : c’était son fils, le jeune rejeton de la souche antique, le brillant guerrier qui avait un instant mis la main sur la couronne d’Ecosse, et qui, trahi par la fortune et échappé ensuite à la mort, par une suite d’aventures romanesques, venait de faire sa rentrée avec éclat dans la société parisienne, le front ceint de la double auréole de la gloire et du malheur. C’était celui-là dont la renommée importunait le roi George et qu’à tout prix il voudrait éloigner de sa frontière. Mais pour le roi de France, qui avait publiquement encouragé l’entreprise du jeune héros et qui l’avait aidé de ses vœux, secondé par la promesse de ses secours, quel chagrin, quel dégoût ne serait-ce pas non-seulement d’avoir dû l’abandonner, mais d’avoir encore à reconduire ! C’était déjà beaucoup de le laisser succomber ; mais le proscrire soi-même, n’était-ce pas un comble de honte ? La France de Fontenoy subirait-elle ainsi, avec un redoublement d’amertume, des humiliations qui n’avaient paru justifiées que par les désastres de Malplaquet et de Ramillies, et n’y aurait-il point de différence pour elle entre avoir été victorieuse avec Maurice ou vaincue par Eugène et par Marlborough ?

Ce n’était pas seulement d’ailleurs l’amour-propre du peuple anglais, c’étaient aussi des intérêts devenus très exigeans et très susceptibles qui imposaient au gouvernement britannique des ménagemens de nature à rendre la tâche des négociations épineuse et leur succès incertain. Il fallait faire droit aux réclamations d’une classe sociale dont l’influence croissait de jour en jour, et qui, engagée dans les spéculations du commerce maritime, tirait de la guerre un profit inespéré et verrait toujours la paix de mauvais œil, à quelque condition qu’elle fût conclue.

Par un singulier contraste, en effet, tandis que le trésor anglais succombait sous le poids des frais énormes causés par des armemens excessifs et par les subsides dus aux auxiliaires étrangers, — tandis que le parlement, composé en grande partie de propriétaires fonciers, se refusait à ajouter, pour faire face à ces dépenses toujours croissantes, de nouvelles charges aux contribuables, — le commerce anglais, loin de souffrir de la prolongation des hostilités, n’avait qu’à s’en applaudir. Toute rivalité lui était ainsi épargnée, puisque c’était le nôtre et celui de l’Espagne qui, privés de toute défense par la destruction de notre marine militaire, étaient réellement réduits aux abois. Encore quelque temps d’une lutte dans de telles conditions, et les croisières anglaises donnant la chasse sans résistance dans la mer des Indes et dans l’Océan-Atlantique, il ne resterait plus vestige dans ces parages d’un navire parti de Nantes, de Bordeaux ou de Cadix, et le commerce anglais aurait recueilli partout l’héritage de la clientèle laissée vacante.

C’était déjà une grande déception pour ces hardis négocians que de perdre, par le rétablissement de la paix, l’espérance d’une domination absolue dont ils goûtaient déjà la jouissance anticipée. La moindre compensation que le ministère britannique leur dût, c’était d’insister pour rétablir dans son intégrité le régime qui présidait avant la guerre aux relations commerciales des grandes puissances maritimes : régime combiné par l’Angleterre elle-même avec une âpreté rigoureuse dans les grands traités du commencement du siècle, au moment de l’apogée de sa puissance et de sa gloire. C’était à l’Espagne surtout qu’elle en avait imposé le poids, en lui faisant payer cher, par une série de prescriptions vexatoires, aux dépens de sa suprématie dans le nouveau monde, la reconnaissance de la royauté de Philippe V. Parmi ces règlemens que la force seule avait pu faire accepter et qui avaient toujours été supportés avec impatience, il en était de très étranges, tel que celui qui accordait à une compagnie anglaise le droit exclusif d’introduire des esclaves noirs dans toute l’Amérique espagnole ; d’autres qui nous choquent moins aujourd’hui, mais qui paraissaient alors plus contraires aux idées reçues, comme la permission d’introduire chaque année dans les ports de ces mêmes contrées un vaisseau de commerce sous pavillon britannique, au préjudice du monopole commercial revendiqué alors par toutes les métropoles sur leurs colonies. C’est ce qu’on nommait dans la langue diplomatique du temps les contrats de l’assiento et du vaisseau de permission. Toutes ces exigences ne pouvaient manquer d’être reproduites dans le programme des négociateurs anglais, et nul doute qu’elles ne fussent suivies de vives protestations de la part de l’Espagne, auxquelles la France, pour ne pas délaisser son alliée, serait obligée de s’associer au moins en apparence. Autant de sujets de litige dont la discussion pouvait retarder indéfiniment et peut-être faire échouer toute solution pacifique.

Ajoutons que l’envoyé anglais Sandwich, dont les dispositions personnelles et le caractère étaient connus (puisque Puisieulx lui-même l’avait vu à l’épreuve dans les conférences de Bréda et dans leurs entretiens particuliers de Liège), n’avait fait preuve, ni dans l’une, ni dans l’autre occasion, d’une humeur bien conciliante. Dans les démêlés intérieurs de sa cour, bien loin qu’il eût pris comme Kaunitz le parti des concessions et de la paix, c’était lui que le roi George avait choisi pour confident de ses pensées belliqueuses, à l’insu et au grand déplaisir de ses propres ministres et pour se mettre en garde contre leurs faiblesses : ce fait ne pouvait être ignoré, puisque c’était le motif même de la retraite d’Harrington et de Chesterfield, qui l’avaient publié avec une certaine amertume[2].

Dût Sandwich arriver cette fois, comme on l’annonçait, animé des meilleurs sentimens pour la paix, il n’aurait pas la liberté de s’y livrer sans réserve, car il allait être suivi et surveillé de près par ses collègues de Sardaigne et de Hollande, le comte de Chavannes et Bentink, qui s’attachaient à ses pas et remettaient leur fortune entre ses mains : l’un et l’autre étaient très inquiets à des points de vue différens de ce que pourrait réclamer et obtenir la France ; l’un ayant l’instruction de son maître de ne rien laisser distraire de ce que la guerre ou les traités lui avaient acquis, l’autre soigneux de ne rien souffrir qui pût compromettre la popularité du stathouder auprès de la faction fanatique et tumultueuse dont il tenait le pouvoir.

On le voit, les deux transactions clandestines et séparées entre lesquelles Saint-Séverin avait à se prononcer, étaient loin de se présenter sous des auspices également favorables. Celle dont Vienne avait pris l’initiative, et dont Kaunitz était l’intermédiaire, se trouvait facilitée d’avance par les dispositions réciproques des deux cours et de leurs agens, et c’était celle aussi dont la conclusion, si elle avait lieu, serait certainement accueillie avec le plus de faveur par l’esprit public en France : car les humiliations infligées par l’Angleterre à notre marine et les souffrances aiguës de notre commerce causaient dans tous les rangs de la société française une irritation qui rendait presque impossible une réconciliation sincère entre les deux peuples ; au contraire envers l’Autriche vaincue sur tous les théâtres et réduite à l’impuissance de nuire, des ménagemens même excessifs avaient un air de condescendance qui flatteraient l’amour-propre national. L’une des deux voies semblait donc tout ouverte, tandis que dans l’autre on n’apercevait qu’obstacles, peut-être pièges et un terme éloigné autant qu’incertain.

Il reste à faire comprendre comment la solution qui semblait inspirer au plénipotentiaire français le moins de confiance et d’attrait fut pourtant celle qu’à la dernière heure il dut lui-même prendre la responsabilité de préférer ; et le même récit laissera prévoir que de toutes les manières de terminer cette longue guerre, cette conclusion peut-être inévitable ne devait pas être pourtant la plus propre à établir entre ceux qui y avaient pris part un accord sincère et durable[3].


III

Parti de Paris dans les derniers jours de mars, Saint-Séverin s’arrêta à Bruxelles, où il trouva tout préparé pour la rentrée de l’armée française en campagne, et Maurice prêt à mettre la main à l’exécution du plan secret dont, autour de lui, personne n’avait encore confidence. — « Je vois nos deux maréchaux (Saxe et Lowendal), écrit-il à Puisieulx, si pleins de confiance que malgré tous les justes sujets d’inquiétude qu’on peut avoir sans être timide, je croirais presque aux pressentimens : la position me paraît belle. » — Puis il ajoute en réponse à quelques observations qu’il était chargé de faire : « Il (Maurice) croit être sûr de son fait et que le coup doit être décisif de la façon dont il l’a projeté[4]. »

La force et la victoire étant assurément de tous les argumens qu’un négociateur peut employer les plus efficaces, le plénipotentiaire se remit en route très encouragé par cette assurance, et l’accueil qu’il trouva à Aix-la-Chapelle était plus fait pour le divertir que pour le troubler. Le comte de Kaunitz et lord Sandwich l’attendaient de pied terme depuis plusieurs jours, évitant, d’ailleurs, autant qu’il leur était possible de se rencontrer et de se parler. Dès qu’ils surent son arrivée, ils accoururent à sa porte, sans attendre les formalités habituelles du cérémonial, l’Anglais avant et l’Autrichien après son dîner, celui-ci même s’excusant de s’être laissé devancer pour ne pas se donner, disait-il, un air d’empressement qui aurait pu paraître suspect. De part et d’autre, on voulut entrer en matière sur-le-champ. Et d’après les comptes-rendus de ces premières entrevues, que chacun des envoyés dut en toute hâte transmettre à sa cour, on ne saurait dire ni duquel de ses collègues Saint-Séverin eut le plus à se louer, ni auquel, en répondant, il fit lui-même meilleur visage. Les dépêches, en vérité, à la différence près qui distingue la vivacité française et la netteté britannique de la lourde phraséologie propre à la chancellerie autrichienne du temps, ont l’air calquées l’une sur l’autre. Mêmes politesses affectueuses de tous côtés et chez les deux ennemis de la France, même assurance non-seulement d’une bonne intention générale à son égard, mais d’un désir de faire affaire en particulier et en secret avec elle, afin d’entrer ensuite, la main dans la main, dans la conférence publique et d’y faire la loi. Saint-Séverin, sans la moindre hésitation, se prête successivement à la pensée de ses deux interlocuteurs. Jamais comédie ne fut plus complète, c’est véritablement don Juan entre ses deux maîtresses. — « Le comte, dit Sandwich, me dit qu’il voyait bien que la paix dépendait des dispositions et des mesures de nos deux cours, que la réalité de la négociation se passerait dans nos conférences privées, et que ce qui se ferait en public ne serait plus qu’une apparence extérieure, puisque la conférence dépendrait entièrement de ce que nous aurions réglé auparavant entre nous. » Et Saint-Séverin répond qu’il est prêt à l’écouter où il voudra, surtout ici. — « J’entendais par là, dit-il, dans ma chambre. » — « Le comte de Saint-Séverin, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, a commencé l’entretien par les complimens les plus flatteurs de ma personne. Il proteste que sa cour est disposée à sceller une réconciliation parfaite avec Votre Majesté impériale et royale, et que, quant à lui, dans sa négociation secrète, il a reçu l’ordre formel de se mettre à l’œuvre avec moi loyalement et de tout son cœur. » — Enfin, Saint-Séverin lui-même, sans perdre un instant son sérieux, raconte à son ministre qu’il a donné avec une égale chaleur deux protestations confidentielles pourtant assez difficiles à mettre d’accord[5].

Les deux entretiens, bien qu’assez longs, se terminèrent encore dans les mêmes termes de courtoisie et presque de bonne amitié. Bien qu’on y eût passé en revue à peu près tous les points en litige, la discussion ne prit jamais, dans aucun des deux tête-à-tête, un caractère d’animosité ou d’aigreur. — « Tout s’est passé entre Sandwich et moi, écrit Saint-Séverin, sans la moindre vivacité, au contraire, avec l’air de la plus grande intimité et confiance. » — Avec Kaunitz, c’est aussi bien et mieux encore. — « Toute cette conversation s’est passée en douceur sans la moindre altération de part et d’autre dans le son de la voix ni dans le visage. »

Ce n’était pourtant pas que d’aucun côté on fût arrivé à se mettre d’accord : ce n’est guère l’usage, on le sait, de gens qui traitent entre eux, même de moindres intérêts, d’en venir à s’entendre, dès le premier jour. Personne n’est jamais pressé de dire son dernier mot, et chacun, en prenant position, a soin de garder derrière lui assez de terrain pour pouvoir en céder au besoin, et élève ses exigences à une hauteur dont il puisse ensuite sans trop d’inconvénient les faire descendre. C’est un marchandage qui est presque de rigueur dans tous les genres de trafic. Pour Saint-Séverin (c’était là, je l’ai dit, son avantage), la base des négociations depuis longtemps posée était simple : remise réciproque des conquêtes, et satisfaction modérée pour les alliés de la France. Sur le premier point, Sandwich paraissait cette fois disposé à prêter l’oreille, au moins en ce qui regardait les conquêtes propres à l’Angleterre ; car il refusait de laisser toucher à tout ce que le roi de Sardaigne tenait du traité de Worms, soit par concession de l’Autriche, soit aux dépens de la république de Gênes. Sur l’établissement espagnol en Italie et sur les points si délicats de la destruction du port de Dunkerque et du bannissement du prétendant, il ne paraissait encore autorisé à faire aucune concession. Aussi, bien qu’on se fût séparé avec des protestations amicales, Saint-Séverin n’emportait pas de l’ensemble de l’entretien une impression favorable. — « Nous nous sommes parlé clair, disait-il, et si c’est tout de bon, cela n’aura pas plus d’effet qu’à Bréda.

Avec Kaunitz, la dissidence, qui n’était pas moins grave en apparence, prenait un caractère différent. Le contre-projet expédié de Versailles, en réponse aux propositions de Vienne, était loin d’être agréé par Marie-Thérèse et Kaunitz, qui prétendait ne pas le connaître et s’en fit donner lecture par Saint-Séverin, afin de n’avoir pas de réponse positive à émettre séance tenante : mais il ne put l’entendre jusqu’au bout sans pousser de profonds soupirs. La substitution de la Savoie aux duchés de Parme et de Plaisance pour l’établissement de l’infant en Italie lui paraissait surtout inacceptable. Jamais l’impératrice n’y consentirait, non que la proposition ne fût à son avantage personnel, puisque le duché de Parme lui appartenait encore, tandis que la Savoie, bien que conquise en fait tout entière, était en droit sujette de Charles-Emmanuel ; mais on connaissait la droiture de sa conscience, elle aimerait toujours mieux sacrifier ce qui lui appartenait que de traiter de la propriété d’un allié sans son consentement. Assurément, ce que le roi de Sardaigne avait reçu d’elle récemment par le traité de Worms, comme le duché de Plaisance, par exemple, sous une condition qui ne pouvait plus être remplie, elle se croyait en droit de le reprendre et d’en disposer ; mais la Savoie était le patrimoine héréditaire de Charles-Emmanuel : ce serait un vol que d’y toucher. La nuance était assez délicate. On ne s’attendait peut-être pas à avoir à en tenir compte dans une négociation clandestine dont le caractère était d’une loyauté douteuse. Ce n’était pourtant pas un pur prétexte, et Kaunitz connaissait bien sa souveraine. Le mélange du scrupule religieux et de l’ambition royale, et, dans le conflit de ces sentimens d’ordre divers, une subtilité de casuiste appliquée à les concilier : c’était bien là Marie-Thérèse tout entière, telle qu’elle s’était montrée déjà, et telle qu’on devait la retrouver jusqu’à sa dernière heure dans toutes les crises importantes de son glorieux règne.

Pourtant, comme Saint-Séverin laissait entendre que la.demande de la Savoie, faite pour être agréable à l’Espagne, ne serait peut-être pas maintenue quand on aurait pu s’expliquer avec l’ambassadeur de Ferdinand VI qu’on attendait encore, il n’y avait donc pas là de difficulté suffisante pour justifier le désappointement visible peint sur le visage de Kaunitz. La vérité est que ce qui blessait l’impératrice et inquiétait son représentant, c’était moins ce qui était écrit dans le contre-projet que ce qui ne s’y trouvait pas. On avait retranché, sans en faire même mention, l’article secret du projet primitif par lequel la France aurait dû s’engager à ne pas apposer sa garantie au traité de Dresde et à l’incorporation de la Silésie dans la monarchie prussienne, et ce supplément tenant plus au cœur de l’impératrice que la pièce tout entière, il était à craindre que le document ainsi mutilé ne perdît beaucoup de sa valeur à ses yeux.

La nécessité de demander et d’attendre de nouvelles instructions après un entretien important n’est souvent qu’un prétexte pour éluder une explication embarrassante ou attendre un événement décisif ; mais quand le télégraphe n’existait pas, c’était un motif de retard qui devait paraître naturel. Dans le cas présent, l’absence des ministres d’Espagne et de Gênes en fournissait un autre qui ne l’était pas moins pour ajourner l’ouverture des conférences publiques. De là un temps d’arrêt de quelques jours pendant lequel, entre ambassadeurs séjournant dans le même lieu et se rencontrant à toute heure, des entretiens privés pouvaient avoir lieu et même n’auraient pu guère être évités sans affectation. Il y en eut plusieurs de ce genre entre Kaunitz et Saint-Séverin, et leurs récits laissent clairement voir qu’il s’établit entre eux une sorte d’inclination réciproque et un sincère désir de s’entendre qui n’apparaissent pas au même degré dans les relations correspondantes imposées avec le ministre anglais par cette négociation en partie double. Les deux agens se mettent en confiance, autant que cela est possible à des diplomates, et se livrent entre eux à de véritables épanchemens. Seulement comme les propos qui leur échappaient dans cette intimité improvisée auraient peut-être paru un peu trop vifs à leurs supérieurs, ce n’est jamais, dans leur correspondance, celui qui les tient, mais bien celui qui les entend, qui les rapporte ; ainsi c’est Kaunitz, écrivant à Marie-Thérèse, qui nous apprend que Saint-Séverin ne fait pas difficulté de faire avec lui une critique sévère de la politique de d’Argenson. — « Le comte de Saint-Séverin, dit-il, ne cherche pas à dissimuler la vérité, il reconnaît que le précédent ministère s’est conduit d’une façon absolument indigne envers Votre Majesté Impériale et Royale et a imprimé ainsi à sa mémoire une souillure bien difficile à effacer. »

C’est encore lui qui nous fait savoir que Saint-Séverin convient qu’après la paix conclue, « le système politique de l’Allemagne devra être modifié, qu’il se formera une puissante ligue protestante à laquelle il faudra opposer une ligue catholique capable de le tenir en respect. » — Mais c’est Saint-Séverin qui fait connaître à Puisieulx que Kaunitz s’excuse de ne pouvoir plaider assez chaudement à Vienne les intérêts français parce qu’on le soupçonne déjà de trop de partialité pour la France. — « Je suis, dit-il, dans un cas plus embarrassant qu’un autre, on m’accuse d’être tout Français, et les explications que je puis présenter pour assurer de la sincérité de votre cœur sont imputées à de la prévention de ma part. » — Crainte à la vérité un peu affectée, car, pendant qu’il tient ce langage, il a en poche plus d’une lettre autographe de Marie-Thérèse, où, après avoir discuté de nouveau tous les articles des projets et contre-projets en discussion, et l’avoir engagé à tenir bon sur les points contestés, elle finit toujours par conclure qu’à aucun prix cependant il ne faut rompre, parce que les deux puissances maritimes et la Sardaigne pourraient nous devancer, ce qui serait un péril bien autrement grave. Plus méfiante et plus irritée que jamais, elle soupçonne l’Angleterre qui accuse l’imprévoyance de la Hollande, et la Hollande qui se plaint de l’avarice de l’Angleterre, « de jouer contre elles un jeu concerté afin de sauver les apparences et de se rejeter l’une à l’autre la balle de la défection[6]. »

Quand on se mettait en si bonne amitié avec l’ennemi, il devait être assez incommode de rencontrer les envoyés des puissances avec qui on était encore nominalement en alliance. Aussi rien de plus froid et de plus gauche que les rapports de Kaunitz avec ses collègues d’Angleterre, de Sardaigne et de Hollande. Avec le Sarde et le Hollandais, on s’en tire encore, parce qu’ils se rangent derrière l’Angleterre dans un rôle à peu près muet. Mais avec Sandwich, il faut bien causer, quand ce ne serait que pour faire semblant de se mettre d’accord sur l’attitude à prendre le jour de l’entrée en commun dans la conférence publique. Aucune explication sérieuse n’est pourtant possible entre gens qui s’observent et se soupçonnent mutuellement, chacun ayant à part soi un secret et ne songeant qu’à défendre le sien, ou à surprendre celui de l’autre. Sandwich essaie bien d’entrer en matière en insistant sur la nécessité de la paix et la convenance de la fonder par un acte de désintéressement réciproque. Mais Kaunitz s’empresse de détourner le coup en rappelant que tous les sacrifices ont été faits jusqu’à présent par sa souveraine et qu’aucun des dédommagemens promis n’a été reçu par elle. C’était toucher à la question même du caractère du traité de Worms et du retour exigé par l’Autriche en cas d’inexécution de ses clauses principales ; mais le débat à peine soulevé n’est abordé directement ni de part ni d’autre, chacun sentant que, si on sort du vague, on tourne à l’aigre, et que la discussion pourrait l’amener à dévoiler prématurément le fond de sa pensée et de ses espérances[7]. Puis quand Sandwich veut couper’ court à l’entretien, il parle de la convenance qu’il y aurait à prier le roi de Prusse d’envoyer un représentant au congrès, et Kaunitz de se récrier à l’instant et de terminer à tout prix la conversation.

Quelques jours se passent ainsi, chacun restant en observation et en arrêt, quand subitement une bombe éclate. On apprend que le même jour, presque à la même heure, la ville de Maëstricht s’est vue abordée à la fois, sur la rive gauche de la Meuse, par le maréchal de Saxe lui-même, et sur la rive droite par le maréchal de Lowendal, et que, les deux généraux n’ayant plus qu’à se donner la main à travers le fleuve, cette place forte va être investie avant même qu’on soupçonnât qu’elle dût être attaquée.

C’était le secret de Maurice et le coup de partie qu’il avait tenu si soigneusement en réserve. Il ne pouvait oublier qu’à deux reprises différentes l’ennemi, battu sous les murs de Maëstricht, lui avait échappé parce que, pour des raisons diverses, il n’avait pu achever sa victoire en pressant les fugitifs, l’épée dans les reins, d’une des rives du fleuve à l’autre. La surprise pénible qu’il avait éprouvée, le lendemain de la journée de Lawfeldt, en voyant à son réveil les vaincus de la veille qui le regardaient, presque en le narguant, derrière un infranchissable cours d’eau ; ce mécompte, — qu’on lui avait tant reproché, et dont il ne pouvait au fond accuser que lui-même, — lui était resté sur le cœur, et il avait juré de n’être plus pris au même piège. Maëstricht serait à lui (il y allait de son honneur), et il en avait fait la promesse au roi : « La paix se fera dans Maëstricht, » lui avait-il dit ; mais la ville, ainsi condamnée d’avance, ne devait apprendre son sort que lorsque, enserrée de toutes parts, il serait trop tard pour qu’aucun de ses défenseurs pût lui venir en aide.

Dans cette vue, toutes les mesures prises par lui-même et sous ses yeux, et dont il paraissait uniquement préoccupé, furent combinées de manière à faire croire que, renonçant à une entreprise qui ne lui avait pas réussi, c’était du côté de la place, très importante également, de Bréda qu’il tournait sa pensée et ses efforts. Ce plan devait paraître même de sa part d’autant plus vraisemblable, qu’il avait opéré la même manœuvre avec succès après Lawfeldt en lâchant Maëstricht pour ne plus songer qu’à Berg-op-Zoom : et c’était de cette place même, sa dernière conquête (où il se transporta à plusieurs reprises de sa personne), qu’il faisait mine de préparer l’attaque de Bréda ; mais pendant qu’en causant aux ennemis cette illusion, ou en les laissant dans l’incertitude sur ses desseins, il les empêchait de se concentrer aussi bien sur leur gauche que sur leur droite, Lowendal, par ses ordres, partait de Namur et se portait à Givet, aux frontières mêmes de la France. Là il trouvait tout un corps d’armée qui avait passé l’hiver dans le pays messin : à Mézières, à Sedan, à Carignan, à Montmédy, à Longwy, dans la contrée, en un mot, où la Meuse qui la traverse est sur ses deux rives un fleuve français. A la tête de ce puissant détachement, il pénétrait dans le Luxembourg, et, traversant sans résistance cette province entière, où sa présence n’était pas attendue, il rejoignait le fleuve à Liège pour le remonter sur la droite : il arrivait enfin, le 10 avril, à Maëstricht, prenant ainsi la place à revers du côté même où elle passait pour inattaquable.

Il y avait déjà vingt-quatre heures que Maurice l’attendait sur l’autre rive. Dès qu’il avait su, en effet, que le mouvement de Lowendal était commencé et en bon train, jetant le masque et laissant brusquement Bréda et toute cette frontière de la Hollande sur ses derrières, Maurice avait repris en droiture le chemin de Maëstricht et était revenu se camper de nouveau en vue de la ville, à quelques lieues seulement du champ de bataille de l’année précédente. L’erreur de Lawfeldt était ainsi réparée, et on aurait dit qu’il reprenait son opération victorieuse pour la compléter au point même où il avait eu un an auparavant le tort ou le malheur de l’interrompre.

Du reste, l’achèvement se fit de lui-même et sans nouvel effort, car le général autrichien Batthiani, ne se trouvant pas en force pour résister à cette concentration de l’armée française opérée dans des conditions inattendues, n’essaya pas de disputer la partie et se retira, en descendant le fleuve, jusqu’à Ruremonde. Le siège put alors commencer et la tranchée fut ouverte sans obstacle : la ville se trouva cernée et comme elle n’avait pas de secours à attendre, malgré la forte garnison de près de dix mille hommes, moitié autrichienne et moitié hollandaise, qu’elle contenait, sa soumission n’était qu’une affaire de jours et peut-être d’heures. — « Vous allez entendre ronfler le canon, écrivait Maurice à Saint-Séverin, je ne sais si le son de cette agréable musique portera les esprits à des pensées de paix ou à une ardeur martiale. » C’est ce qu’on n’allait pas tarder à connaître[8]. Rien ne peut dépeindre, en effet, le trouble causé par cette surprise vraiment foudroyante, à la fois au quartier-général des alliés, dans la réunion des plénipotentiaires à Aix-la-Chapelle, et dans tous les centres politiques ou populaires de la Hollande. Là surtout l’épouvante fut générale et se communiqua de cité en cité avec la rapidité d’une chaîne électrique, produisant, comme il arrive quand le peuple est en émoi, les effets les plus opposés. Ici c’était un abattement subit, et le mot de paix, que naguère personne ne pouvait prononcer tout haut qu’au péril de sa vie, s’échappait des poitrines avec l’accent du désespoir. Ailleurs, au contraire, c’était un redoublement d’exaspération et de fanatisme ; et contre l’invasion française, qu’on attendait d’heure en heure, on réclamait les mesures les plus extrêmes, comme la levée de toutes les digues et l’inondation de toutes les provinces maritimes. D’autres voulaient aller en masse se jeter aux pieds du roi de Prusse pour le supplier de ne pas laisser périr le dernier asile de la foi réformée. Puis on demandait avec angoisse ce qu’était devenu le secours des Russes, si pompeusement annoncé par le stathouder et ses amis. C’était une désolation de s’entendre répondre que les Russes étaient bien en marche, mais que, n’ayant pas encore passé la frontière d’Allemagne, ils n’arriveraient pas sur le théâtre de la guerre avant les premiers jours du mois suivant. D’ici là Maurice serait entré, par toutes les portes désormais ouvertes devant lui, et la république n’existerait plus. Au milieu de cet effarement général, le pauvre stathouder ne savait auquel entendre, d’autant plus qu’il avait au même moment des scènes violentes à subir de la part de son beau-frère Cumberland, qui lui reprochait amèrement de n’avoir rien préparé, rien prévu, tenu aucune de ses promesses, et de lui rendre par là la suite des opérations impossible[9].

Et ce n’était pas un des signes des temps les moins apparens et les moins tristes que ce découragement profond dans lequel sembla tomber le général en chef, et dont il ne prit même pas soin de faire mystère. Un ordre de se replier sur toute la ligne lut immédiatement donné par lui à toutes les troupes sous son commandement, et, à voir les termes qu’il employait pour faire part à Londres de cette résolution, on serait tenté de croire que Marie-Thérèse n’avait pas tort quand elle le soupçonnait d’être entré dans les vues secrètes d’une partie des ministres anglais, et, au lieu de se préparer à la résistance, de pousser à la conclusion d’une paix précipitée dans des conditions réglées d’avance. — « Le siège de Maëstricht va son train, écrit-il au ministre Pelham, et nous ne sommes pas en mesure de tenter de le faire lever. Dans cette désagréable situation vous verrez, par mes lettres officielles, ce que j’ai proposé aux généraux alliés, et ce que nous sommes convenus de faire. Les mouvemens rétrogrades sont toujours ennuyeux et ont mauvaise apparence, mais ils sont aussi quelquefois salutaires. Je suppose que c’est le cas, et, quoi qu’il en soit, c’est ce que nous pouvons faire de moins mal ; car, dans notre situation présente, nous n’aurions pas tardé longtemps sans nous exposer à un affront fatal. » — « Je tiens comme je le dois (dit-il encore dans la même lettre) lord Sandwich au courant de tout… Il n’est pas moins convaincu que nous ne le sommes tous de la nécessité de conclure immédiatement avec M. de Saint-Séverin… Le temps presse, et je suis convaincu qu’il ne laissera pas échapper une occasion favorable[10]. »

Très touché d’entendre tenir ce langage par le chef de l’armée, partageant d’ailleurs l’émotion générale, le ministère anglais se décida sans délai à envoyer à Sandwich des instructions nouvelles. On l’autorisa à se montrer plus coulant sur la plupart des points (le bannissement du prétendant seul excepté) qui avaient fait matière à contestation dans la première conférence. Au sujet du port de Dunkerque, on consentait à entrer dans une distinction déjà proposée par d’Argenson et à borner la démolition demandée aux défenses maritimes du port, en laissant subsister les fortifications du côté de la terre auxquelles la France paraissait tenir essentiellement pour la sécurité de sa frontière septentrionale. Quant à l’établissement italien de l’infant, la concession était plus complète, et chose singulière, elle était faite exactement dans les mêmes termes que ceux qui étaient proposés par l’Autriche : à savoir l’érection en principauté indépendante des duchés de Parme et de Plaisance. Quelle était dès lors la différence entre les offres de Vienne et celles de Londres ? Elle devenait à peu près nulle, il faut en convenir, en ce qui touchait les conditions immédiates de la paix et celles où la France était personnellement intéressée. Mais voici où commençait la distinction et même la contradiction directe. L’Angleterre réclamait une adhésion explicite sous forme de confirmation ou de garantie, de toutes les cessions territoriales faites soit à la Prusse, soit à la Sardaigne, par les traités de Dresde et de Worms, tandis que l’Autriche mettait un prix égal à ne laisser attacher aucune sanction nouvelle à des stipulations qui lui étaient devenues toutes également odieuses. Ainsi, on n’allait plus disputer pour savoir quels termes la France aurait à accepter pour elle-même le jour de la paix (à cet égard, de guerre lasse, on finissait par tomber d’accord), mais dans quelles conditions elle apporterait son concours pour établir un système de paix générale, et, par suite, dans quelle communauté d’intérêts et d’alliance elle se trouverait engagée le lendemain ; et c’est sur ce point, regardant au fond l’avenir plus que le présent, que les ennemis coalisés la veille contre elle étaient déjà (et devaient devenir de jour en jour davantage) foncièrement en dissidence[11].

En même temps que ces instructions conciliantes, deux missives partaient également de Londres : l’une à l’adresse du ministre anglais à Vienne pour lui faire part des concessions auxquelles la nécessité forçait de se résigner et le charger de préparer Marie-Thérèse aux sacrifices indispensables ; l’autre à la destination du roi de Prusse pour lui demander d’intervenir auprès de la France, au moins par une médiation officieuse, afin d’obtenir qu’elle ne se montrât pas trop exigeante, surtout en ce qui regardait le compte à régler entre la république de Gênes et le roi de Sardaigne. Celle-ci devait être portée et remise en mains propres par le nouveau ministre que George envoyait à son neveu et qui devait, en se rendant à Berlin, s’arrêter sur son chemin à Aix-la-Chapelle. En prévenant de cette démarche le ministre prussien à Londres, Mitchell, le duc de Newcastle lui disait que, si le roi de Prusse leur rendait le service qu’on lui demandait, le roi d’Angleterre lui en garderait une reconnaissance éternelle : — « La triste mine, disait Mitchell, que le duc avait en me parlant, me lait comprendre dans quel embarras est le gouvernement anglais[12]. »

L’effet du siège et de la prise désormais certaine de Maëstricht eût été aussi grand à Vienne qu’à Londres, si la surprise n’y eût été moindre ; mais Batthiani, campé devant la ville, avait appris ou du moins soupçonné le mouvement tournant de Lowendal avant qu’il fût opéré, et put donner avis d’avance du résultat prévu aussi bien à sa cour qu’à Kaunitz : et, d’ailleurs, ne se laissant pas tromper comme Cumberland par les feintes manœuvres de Maurice, il n’avait jamais cessé de réclamer la concentration sur la Meuse de toutes les forces défensives[13]. Aussi dans la disposition où était Marie-Thérèse, l’imprévoyance et la facilité avec lesquelles on laissait se consommer une opération qui pouvait être décisive ne durent lui paraître qu’une preuve nouvelle de la complaisance criminelle qu’elle soupçonnait : c’était évidemment le parti-pris de se précipiter en l’entraînant elle-même dans ce qu’elle appelait une paix hâtive et déloyale. Résolue, pour ne pas souffrir cette pression, à gagner de vitesse ceux qui prétendaient l’exercer, elle se décida, quelques jours même avant que l’investissement de Maëstricht fût opéré, à faire un pas de plus pour se rapprocher des vues de la France et faciliter elle-même une solution dont elle voulait dicter et non subir les conditions ; ainsi l’opération faite si à propos par Maurice agissait en réalité comme une épée à deux tranchans, frappant à droite et à gauche, et décidait aussi bien Marie-Thérèse que les conseillers de George II à rechercher, on dirait volontiers à courtiser plus que jamais les bonnes dispositions et presque l’amitié de la France.

Seulement le moyen imaginé dans cette vue par Marie-Thérèse est si singulier qu’on aurait peine à le prendre au sérieux si on n’y voyait un trait caractéristique du soin qu’elle mettait à concilier ses principes de moralité et de justice politique avec la défense passionnée de ses intérêts. Puisque la France et l’Espagne tenaient à garder la Savoie dont leurs armées étaient encore en possession, on les autoriserait à y placer l’établissement italien qu’elles réclamaient : mais afin de ne pas exproprier le roi de Sardaigne sans indemnité d’un bien patrimonial, ce serait elle-même, l’impératrice, qui en fournirait sur son propre domaine la compensation. Ce qu’elle proposait ainsi en échange, c’était ce même duché de Parme qu’elle avait offert pour former l’apanage de l’infant. Il devait rester bien entendu que ce troc bizarre serait soumis aux mêmes conditions que l’offre dont il était destiné à tenir lieu, c’est-à-dire que l’effet cesserait et que chacun rentrerait dans son bien propre si l’infant venait à mourir sans postérité ou était appelé au trône d’Espagne ou de Naples. Ainsi, par cette résolution, suivant elle, aussi généreuse que mesurée, tous les droits seraient ménagés, et la transaction, disait-elle en propres termes, toujours due à un sacrifice dont elle faisait les frais, conserverait de sa part le même caractère de grandeur d’âme. De malins observateurs auraient pu pourtant faire remarquer que la magnanimité ne coûtait pas cher, puisque, par l’annulation du traité de Worms qu’elle se proposait toujours de réclamer, elle reprenait d’une main à Charles-Emmanuel bien plus qu’elle ne lui offrait de l’autre, et qu’ainsi, la balance faite, l’opération se solderait largement en sa faveur.

Rien n’est plus curieux, et il faut en convenir, plus pénible à lire que l’exposition de ce système compliqué qu’on trouve très largement développé, avec beaucoup de réserves et d’ambages, dans deux ou trois dépêches successives dues probablement à la plume de quelque commis principal de chancellerie. Mais de loin en loin la forme pesante et embarrassée est tout d’un coup relevée par des expressions à la fois vives et lumineuses, tenant souvent de la satire et de l’invective. On reconnaît la main et on croit entendre la voix de l’impératrice elle-même. Elle dénonce et elle raille sans pitié l’hypocrisie artificieuse de la Sardaigne et les pleurnicheries de la Hollande. Mais dès que le nom de l’Angleterre est prononcé, son irritation ne ménage plus rien : « Le plan que l’Angleterre nous propose, dit-elle (elle le comprenait à travers la réserve de Sandwich), est conçu de telle façon qu’on pourrait le croire rédigé à Versailles plus qu’à Londres. Sans doute, le contre-projet de la France renferme certaines choses qui sont pour nous menaçantes et nuisibles ; mais peut-on le mettre en parallèle avec les conditions que veut nous imposer l’Angleterre ? Un établissement de l’infant Philippe à nos dépens et toutes les concessions du traité de Worms gardant toute leur valeur ! et par-dessus le marché, on complète ce fameux projet par la proposition que le roi de Prusse serait associé à l’œuvre de la paix générale… Dites au comte de Saint-Séverin que sa cour aussi bien que nous doit tirer de ce qui se passe une leçon et un avertissement. Si jusqu’à ce jour la France s’est montrée hostile aux intérêts de notre maison, ce sentiment a imposé aux deux nations des sacrifices incalculables, et d’autres ont su les mettre à profit. Encouragés par les bénéfices du passé, ils se disposent à opérer de même dans l’avenir et à susciter des agitations nouvelles… L’objet principal de la réconciliation qu’il s’agit de sceller, est précisément de déjouer ces manœuvres… A la vérité, si nous acceptons les propositions françaises, un soupçon peut s’élever (car ils sont peu nombreux, ceux qui sont en situation de pénétrer des secrets d’État) : on croira dans le monde que si nous nous sommes réconciliés avec la France, ce n’était point par nécessité ni pour éviter d’être sacrifiés par nos alliés, mais pour notre avantage personnel. Aussi la France doit-elle comprendre la légitimité de nos scrupules,.. elle peut avoir une confiance inébranlable dans nos sentimens d’amitié, mais il faut qu’elle montre elle-même l’esprit de justice et de loyauté qui inspire notre politique… Il faut faire comprendre à la France que l’Angleterre et la Prusse travaillent, à l’envi, à l’affaiblissement des grandes puissances catholiques, par conséquent que nos intérêts communs exigent des mesures propres à tromper de telles manœuvres… Le cardinal de Fleury a pleinement reconnu que c’est la Prusse qui a provoqué le bouleversement dont l’Europe est victime depuis la mort de notre vénérable père. Les révélations qu’il a faites après la conclusion des préliminaires de Breslau peuvent être invoquées pour appuyer ces considérations. Toutefois, c’est la voix et non la plume qui doit servir en pareil cas… Le système anglais est percé à jour, il consiste à assurer à nos dépens la grandeur de la Prusse et de la Sardaigne. On opposerait ces deux rois à la maison de Bourbon, l’un en Allemagne avec ses partisans et l’autre en Italie… On peut se résigner à subir la volonté de l’ennemi quand la nécessité l’exige, et alors le sacrifice a ses limites ; mais c’est trop en vérité que de vouloir nous sacrifier du même coup sans nécessité à la Prusse et à la Sardaigne, et c’est cependant ce que l’Angleterre veut et elle ne s’en cache pas[14]. »

La Prusse et la Sardaigne, ce sont donc là les deux mots qui reviennent à toutes les lignes, les deux craintes, je dirais volontiers les deux fantômes qui hantent par des visions vraiment prophétiques l’imagination de l’héritière de Charles-Quint ; c’est la menace de ces deux ambitions rivales qu’elle aperçoit et qu’elle poursuit dans les deux traités dont l’un lui a en quelque sorte subtilisé, par une promesse restée vaine, une partie de son patrimoine italien, tandis que l’autre lui arrachait, avec la Silésie, comme un lambeau de sa chair.

Aussi la première de ces conventions détestées, elle entend la déchirer à l’heure même. — « Je suis prête à accomplir le traité de Worms stante reciproco, s’écrie-t-elle (dans un langage bizarrement mêlé de formules juridiques et d’images passionnées), pourvu qu’on l’accomplisse aussi à mon égard. Sinon, je suis déliée de tout engagement, je le déclare devant le monde entier. » Quant à l’autre traité que la force lui a imposé et l’oblige encore de subir, au moins ne veut-elle pas souffrir que l’adhésion de la France vienne y ajouter une valeur de plus, et elle exige encore dans ces nouvelles instructions, comme dans les précédentes, un engagement à cet égard, sinon sous la forme solennelle d’un article de traité, au moins par une déclaration verbale, dont une attestation resterait entre ses mains.

Ce nouveau terrain ainsi nettement établi, elle attend de pied ferme la demande annoncée du ministre anglais, porteur d’une mission qui lui est connue d’avance. Ce ministre était toujours notre ancienne connaissance, sir Thomas Robinson, que le lecteur de ces études, s’il a bonne mémoire, peut se rappeler avoir déjà vu à plusieurs reprises, chargé de la tâche ingrate de réclamer de l’impératrice des cessions territoriales, et par suite aux prises avec elle dans des discussions orageuses. Mais, cette fois, il arrivait plus résigné qu’inquiet, certain d’avance qu’il n’obtiendrait rien, et s’attendant à ne pas être écouté jusqu’au bout. Il savait parfaitement comment l’impératrice comprenait le traité de Worms, elle-même lui en ayant plusieurs fois donné l’interprétation. Il comptait donc qu’au premier mot qu’il prononcerait sur la nécessité d’une cession nouvelle en Italie, on lui répondrait que la conséquence devait être le retrait de toutes les précédentes. C’est ce dont le ministre Uhlfeldt le prévint, quand il vint demander une audience, en l’engageant à y renoncer parce qu’elle serait superflue. Il tint bon cependant et obtint qu’une heure lui fût indiquée pour le lendemain. Dans l’intervalle, il aurait désiré s’entretenir avec l’empereur, qu’en plusieurs circonstances il avait trouvé d’un abord plus facile que Marie-Thérèse ; mais François eut soin de partir et de rester en chasse toute la journée. Introduit au palais, Robinson remarqua qu’il n’était pas reçu dans la salle ordinairement réservée aux audiences, mais dans une galerie que la princesse devait traverser pour aller à la messe et où elle passait, accompagnée des gens de sa suite. — « Il n’est pas aisé, écrit-il à son ministre, de dire ce qui se passa alors. Vous m’avez rappelé vous-même que j’avais eu plusieurs fois à m’acquitter d’instructions d’une nature aussi délicate. C’est bien aussi le reproche qu’elle m’a fait. — C’est donc vous, m’a-t-elle dit, qui avez eu tant de part au sacrifice que j’ai fait de la Silésie, vous qui avez contribué plus que personne à amener les cessions conditionnelles que j’ai faites au roi de Sardaigne, c’est vous qu’on charge de me convaincre… Je ne suis ni un enfant, ni une sotte (neither a child, nor a fool). Les récits qu’on vous fait de l’état de la Hollande sont exagérés… On peut se défendre encore, il y a assez de force pour résister. Si vous voulez faire la paix tout de suite, eh bien ! faites-la, je verrai si je dois y adhérer : je puis aussi négocier pour moi-même, et pourquoi n’ai-je pas le droit de faire mes propres affaires ? Mes ennemis me font de meilleures conditions que mes amis ; au moins ils ne me refuseront pas une paix dont ils ont aussi besoin que moi uniquement pour un peu plus ou un peu moins de territoire à céder au roi de Sardaigne, ou pour l’interprétation d’un traité. Et qui vous dit que l’Espagne désire Parme et Plaisance ? Je sais qu’elle préfère la Savoie. Remettez-moi dans l’état où j’étais avant la guerre, et c’est moi qui ferai l’établissement de l’infant. Mais votre roi de Sardaigne ; il faut donc que tout soit pour lui ! .. Bon Dieu, comme cette cour nous a traités ! .. Et puis, il y a encore votre roi de Prusse : en vérité, tout ce qui se passe rouvre les anciennes blessures et en fait de nouvelles. — Ce ne sont là, milord, que des échantillons de ce qu’elle m’a dit : c’est mon devoir de rapporter ces propos tels qu’ils sont, et c’est bien assez en vérité sans que le besoin soit d’y rien ajouter. »

« Je lui ai répondu que je la suppliais de vouloir bien faire les plus mûres réflexions elle-même, de tenir conseil avec l’empereur, d’entendre ses ministres, et si j’osais le dire, je la conjurais de se laisser fléchir pour son salut, pour celui de sa famille, et enfin pour celui de toute l’Europe. » A force d’instances il obtint enfin qu’elle lui demandât comment il entendait les conditions de l’établissement de l’infant. Mais la réponse suscita une nouvelle explosion de colère, car il n’eut pas plus tôt dit que le nouveau duché en cas de vacance prévue devrait retourner à ses anciens possesseurs : — « Les anciens possesseurs ! s’écria la princesse (Plaisance donc au roi de Sardaigne), non ! non ! je perdrai plutôt ma tête que d’y consentir. » Et elle fit de la main un geste significatif.

En sortant, l’impératrice se vantait elle-même à ses ministres de la manière dont elle avait traité l’ambassadeur du roi d’Angleterre. — « À ce qu’elle m’a dit aujourd’hui, écrivait Uhlfeldt à Kaunitz, elle l’a bien remboursé ; il avait voulu l’attendrir, comme il a fait autrefois lorsqu’il s’agissait de faire la paix avec le roi de Prusse, mais elle lui a dit que, pour la troisième fois, elle ne se laisserait ni attendrir, ni tromper, » — Aussi, quand Robinson, en désespoir de cause, essaya encore de frapper à la porte de quelques-uns des ministres, il trouva partout, ou l’accès fermé, ou un accueil d’une froideur glaciale. — « Cette cour, écrivait-il, est comme un homme mourant qui sait bien que le dernier moment doit venir, mais veut lutter jusqu’à la dernière heure[15]. »

Mais pendant ces allées et venues et cette agitation dans le vide, la scène changeait à Aix-la-Chapelle et se précipitait vers un dénoûment dont ni Autriche, ni Angleterre, ne pouvaient plus déterminer le caractère à leur gré. Non cependant que le plénipotentiaire français se fût trouvé en mesure de profiter, autant qu’il eût été en droit de le faire, du puissant renfort que lui apportait l’intervention armée, mais au fond non moins diplomatique que militaire, de Maurice. Il restait astreint par la lettre impérieuse de ses instructions à un programme de générosité déclamatoire que plus d’une fois, se sentant porté par la fortune, il dut, j’imagine, intérieurement maudire. L’ambassadeur d’Espagne étant arrivé, l’ouverture des conférences générales ne pouvait tarder. Quelle entrée brillante lui eût été réservée, s’il eût pu prendre l’attitude qui lui appartenait ! Personne de ceux auprès de qui il prenait séance ne pouvait ignorer que chaque coup de canon tiré à Maëstricht portait une angoisse mortelle dans le cœur de la Hollande consternée. Tous savaient également que le commandant en chef de l’armée alliée déclarait lui-même sa partie perdue d’avance. Chaque courrier apportait les nouvelles d’une retraite dont la précipitation prenait le caractère d’une déroute. Le ministre de France entrait donc dans une réunion de diplomates en désarroi, portant le trouble et l’effroi sur leurs visages et pressés de le prendre à part pour lui conter leurs griefs réciproques et préparer le tour qu’ils comptaient se jouer l’un à l’autre. Enfin, il arrivait (suivant la vive expression employée autrefois par d’Argenson lui-même) pour plaider les mains garnies, c’est-à-dire possédant, par la conquête de deux des plus belles provinces d’Europe, le gage assuré d’avance de toutes les satisfactions que le droit de la guerre permet au vainqueur de réclamer. On se demande, en vérité, quel parti n’aurait pas tiré de cet ensemble de bonnes fortunes un ambassadeur à qui la confiance de son souverain aurait permis d’élever la voix au ton que justifie le sentiment de la force. Mais Saint-Séverin ne recevait de Versailles aucun encouragement de cette nature. Les dépêches ministérielles, bien loin de l’autoriser à émettre des prétentions nouvelles qui auraient donné lieu à des contestations ou à des retards, ne respiraient que la hâte d’en finir pour fermer la bouche aux critiques impatientes du public parisien, aux gémissemens du commerce en souffrance et aux réclamations suscitées par les exigences d’un fisc aux abois.

Ce cri de douleur poussé par ceux de qui on aurait pu attendre des chants de victoire causait dans l’Europe attentive une surprise assez générale : on en trouve l’expression dans les lettres de Frédéric, qui savait mieux que personne comment on doit faire la paix après une victoire : on dirait un grand artiste qui éprouve une irritation dédaigneuse à voir dénaturer par une main timide ou maladroite une œuvre dont il sent ce qu’il saurait faire si l’exécution lui en était confiée. — « A dire le vrai, écrit-il à Chambrier, les Français me paraissent bien superficiels à cette heure. La France, pour un de ses vaisseaux pris en dernier lieu par les Anglais, n’est ni perdue, ni ruinée. Fait-elle jusqu’ici la guerre sans succès ? Tout autre puissance ne serait-elle pas glorieuse d’avoir pu faire ce que cette dernière a fait jusqu’à présent ? Toutefois, pour quelques vaisseaux qu’elle perd sur mer, la voilà qui jette de hauts cris et se voit réduite à telle crise où elle se trouvait en l’an 1709… Il est étonnant, au suprême degré, écrit-il encore, de voir l’impatience de la France… pour sortir de la guerre présente, pendant un temps où elle se trouve dans une situation qui ne laisse pas de lui promettre beaucoup de succès favorables par la continuation de cette même guerre. Il me semble qu’elle pourrait fort bien se tranquilliser plus qu’elle ne le fait sur l’état actuel de ses affaires, évitant surtout de marquer du faible… et si elle se conduisait ainsi, son rôle n’en serait que plus brillant, et elle ne manquerait pas de faire la paix à son gré en voyant accomplir ses volontés[16]. »

Ne pouvant prendre sur lui l’initiative d’aucune proposition nouvelle, Saint-Séverin dut se borner à attendre, en gagnant du temps, et en disputant sur des points de détail tantôt avec Kaunitz, tantôt avec Sandwich, le contre-coup que ne pouvait manquer de produire soit à Londres, soit à Vienne, l’effet de terreur et de surprise répandu par l’investissement inattendu de Maastricht. Il n’eut pas du reste à user de patience bien longtemps ; on vient de voir que des deux cours partirent presque au même moment, et sous l’impression d’une crainte pareille, des instructions modifiées dans un sens de conciliation et de rapprochement. La communication autrichienne, expédiée, ainsi que je l’ai dit, avant l’anglaise (puisqu’elle avait devancé l’arrivée de Lowendal devant Maëstricht), parvint aussi la première à Aix-la-Chapelle, et Kaunitz la porta, dès le soir même, à Saint-Séverin avec d’autant plus d’empressement que le même courrier lui apportait l’expression de la vive irritation causée à Marie-Thérèse par les premières ouvertures de l’Angleterre, et que ses relations avec Sandwich prenaient de jour en jour un caractère d’aigreur et d’animosité croissante.

Une conférence s’engagea dans la demeure du ministre français et dura la nuit presque entière. Après des débats par moment assez animés, après beaucoup d’insistances faites par Kaunitz sur un ton tantôt menaçant, tantôt pathétique, on se sépara sans être arrivé encore à une entente complète, mais avec l’espérance fondée des deux parts que, les différends se réduisant à de légères dissidences, on ne tarderait pas à tomber d’accord.

Tout d’abord, l’étrange invention de l’impératrice qui consistait à substituer la Savoie au duché de Parme pour l’établissement de l’infant, en offrant ce duché même, comme compensation, à Charles-Emmanuel, fut acceptée sans difficulté par Saint-Séverin. C’était plutôt, à la vérité, comme une preuve d’un sincère désir de concorde que comme un arrangement définitif puisqu’on pourrait toujours espérer que l’Espagne retirerait l’exigence qui pouvait rendre cet échange nécessaire. Mais où l’entente fut moins facile à établir, ce fut au sujet de la précaution que Kaunitz tenait toujours à prendre contre toute garantie que la France pouvait être appelée à donner au traité de Dresde et à la conquête de la Silésie.

Saint-Séverin consentait bien, avec une facilité assez inattendue, à donner de bouche à bouche et d’homme à homme, à cet égard, toutes les assurances désirables, mais il se refusait absolument à en laisser une attestation écrite. — « A quoi bon ? disait-il. La France n’a pas été mêlée aux traités de Dresde ni de Breslau, dont elle a souffert et dont elle n’a eu connaissance qu’après qu’ils étaient conclus : elle n’a pas à retirer une adhésion qu’elle n’a pas donnée. Son silence équivaut à l’abstention qui lui est demandée. — A quoi Kaunitz répondait comme le fit dans une occasion pareille un diplomate aussi fameux que lui : « Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant. » Mais Saint-Séverin fut inflexible, tout en donnant à son engagement verbal une telle netteté que Kaunitz, sans être autorisé à s’en déclarer satisfait, dut laisser voir qu’il y reconnaissait une valeur véritable.

Une autre difficulté était plus grave ; mais celle-là même prouvait qu’on regardait comme possible, et même comme probable, le cas où on pourrait s’accommoder sur toutes les autres ; car il s’agissait uniquement de fixer les conditions et les délais dans lesquels devrait s’opérer, une fois les préliminaires de paix signés, la restitution promise des Pays-Bas. Kaunitz la demandait immédiate. Saint-Séverin entendait l’ajourner jusqu’à la signature de la paix générale, et donnait pour ce retard la meilleure raison du monde. La remise des Pays-Bas ne devait-elle pas avoir essentiellement pour contre-partie la restitution pareille des conquêtes de la marine anglaise en Amérique ? Comment l’un des objets de l’échange serait-il donc livré avant l’autre ? Or, à l’égard de ces conquêtes anglaises, l’Autriche ne pouvait rien promettre de certain, ni surtout rien exécuter à elle seule, puisque ni Louisbourg, ni le Cap-Breton n’étaient en sa possession. Sans doute il était moralement certain que l’Angleterre, délaissée par son principal auxiliaire, ne pourrait longtemps continuer, au moins sur terre, une lutte trop inégale qui exposerait sa fidèle amie la Hollande à tous les maux d’une invasion. Son adhésion à des préliminaires signés sans elle, ou plutôt contre elle, ne pouvait manquer d’avoir lieu tôt ou tard ; mais sans la refuser, elle pourrait la faire attendre, et quelques mois lui suffiraient pour achever sur mer ce qui restait de la marine de la France, et en prolongeant l’agonie de son commerce, le condamner à une ruine irrémédiable. Et dans cet intervalle, que de difficultés pourraient s’élever avant que les bases de paix qu’on allait poser fussent converties en articles de traités définitifs ! Jamais créancier prudent s’est-il dessaisi d’un gage avant le remboursement ?

Kaunitz, de son côté, éprouvait une répugnance qu’on peut concevoir à rester ainsi, pour l’un des objets les plus importans de la paix qu’il allait signer, à la discrétion de l’Angleterre, et cela, au moment où il était en train de l’offenser peut-être mortellement. Ce fut Saint-Séverin qui proposa de trancher le différend par la moitié, en offrant de ne garder en dépôt que la partie maritime des provinces flamandes, pourvu qu’on lui procurât au moins l’accession de la Hollande et que la France se trouvât n’avoir plus, du côté de la terre, ni opérations de guerre à poursuivre, ni représailles à craindre.

Ce n’étaient là pourtant que des propos officieux qu’il fallait encore renvoyer à l’examen et soumettre à l’approbation des deux cours, et cependant, tous les plénipotentiaires étant arrivés, on n’avait plus de raison à donner pour retarder la séance solennelle de l’ouverture du congrès. Ce fut encore Saint-Séverin, homme de ressource, qui se chargea de trouver au moins un prétexte pour motiver un nouveau délai. Le ministre de Gênes, le marquis Doria, demandait à être accueilli avec tous les honneurs rendus aux représentai de têtes couronnées, et sa prétention soulevait d’assez vives contestations. Saint-Séverin déclara qu’il ne pouvait se prononcer sur la question sans en référer à Versailles, ce qui donnait le temps d’attendre le retour des courriers. Kaunitz s’engagea de son côté à apporter avant la fin du mois, date extrême, une réponse décisive. On ne pouvait évidemment s’y préparer, de part et d’autre, avec plus de désir et d’espérance de la recevoir favorable[17].

Ce qui prouve avec quel empressement Saint-Séverin était à ce moment porté à conclure presque à tout prix avec l’Autriche, c’est le ton même des communications qu’il avait à taire à son ministre. Dans le compte-rendu de la conversation, dans l’exposé qu’il présente des difficultés soulevées et des moyens qu’il a lui-même proposés pour les résoudre, il s’exprime avec une réserve calculée qui déguise ses vrais sentimens. Il se méfie évidemment que Puisieulx, toujours en crainte et en susceptibilité du côté de la Prusse, pourrait lui reprocher de témoigner à l’ennemie de Frédéric une complaisance excessive et compromettante. Mais dans une autre lettre moins officielle, il se plaît à peindre la situation générale sous des couleurs très sombres, nullement en rapport avec la réalité des faits qu’il avait sous les yeux, et dont l’exagération a évidemment pour but de faire considérer les offres autrichiennes comme une ressource précieuse à saisir contre les embarras qu’on doit prévoir. De gros nuages, suivant lui, se rassemblent à l’horizon. « Les Russes, dit-il, n’arriveront pas de sitôt, mais enfin ils arriveront… le mouvement des cercles (germaniques) chemine et prend forme et consistance : le nombre des ennemis augmente tous les jours, et bien que dans mon maintien et mes discours, j’affecte toute la tranquillité possible, je vous avoue qu’il s’en faut beaucoup que je ne le sois (sic). Un seul événement peut nous jeter dans des embarras et des malheurs affreux. » C’est tout au plus, en vérité, s’il ne prévoit pas le cas où on serait obligé de défendre l’Alsace contre l’invasion allemande.

Évidemment, rien n’est sérieux dans de telles craintes et n’a pu lui paraître tel. Les Russes, que Marie-Thérèse a cessé de presser, avancent avec une lenteur magistrale ; la diète germanique, dont elle n’a jamais pu secouer l’inertie, est moins disposée que jamais à se mettre en mouvement. On ne peut donc voir dans ces terreurs affectées que la malice d’un agent qui se fait un jeu de la pusillanimité de son supérieur. Mais sa véritable pensée est celle-ci : « Je finirai par une réflexion, c’est que, si nous ne concluons pas avec la cour de Vienne, cette assemblée-ci embarrassera, embrouillera les affaires au lieu de les avancer : les soupçons, les méfiances, les mystères se succéderont et se multiplieront à l’infini. » Réflexion très judicieuse et qui lui suffirait pour justifier son inclination pour l’Autriche s’il ne voulait se défendre du soupçon de partialité[18].

Si cette insistance, faite autant au nom de mauvaises que de bonnes raisons, ne produisit pas tout de suite sur l’esprit de Puisieulx toute l’impression que Saint-Séverin pouvait désirer, au moins l’effet fut-il assez grand pour jeter l’esprit du timide ministre dans une extrême perplexité, entre la crainte de laisser échapper une occasion favorable et l’inquiétude d’offenser Berlin. Des notes de sa main jetées en marge du récit de Saint-Séverin, et traduites ensuite dans ses dépêches en termes plus mesurés, portent la trace visible de ce trouble. Il semble bien reconnaître que tout se réduit désormais avec l’Autriche à des termes sur lesquels on pourrait s’entendre. Il serait encore préférable de traiter avec l’Angleterre, « mais il est à craindre qu’elle ne soit instruite de notre négociation avec l’Autriche, et que son dessein ne soit plutôt de l’embarrasser que de conclure avec nous. » — Puis vient le point capital de l’engagement demandé au sujet de la Silésie. Saint-Séverin est pleinement approuvé de n’avoir pas voulu laisser à cet égard un mot écrit, car le roi ne veut connaître ni en noir, ni en blanc, les traités de Worms et de Breslau, qui lui sont aussi odieux qu’à la reine de Hongrie, mais par d’autres raisons. Mais le silence même suffira-t-il ? Quoi que nous fassions sur cet article, le roi de Prusse en aura connaissance et nous en saura toujours mauvais gré ; c’est ce qu’il faudrait éviter ! Bref, il finit par laisser à Saint-Séverin une sorte de blanc-seing pour conclure ou rompre suivant les circonstances. — « Le roi, écrit-il dans un billet particulier, me charge de vous dire qu’il ne vous fera pas pendre pour avoir pris quelque chose sur vous. » Et deux jours après : « Le roi ne craindra jamais de vous mettre à votre aise et de vous confier son ultimatum[19]. »

Quand ces instructions ambiguës arrivèrent à destination, Saint-Séverin avait déjà pris quelque chose sur lui et quelque chose même de très important et de très décisif, mais dans un sens tout opposé à ce que lui-même avait fait prévoir.

Voici, en effet, ce qui s’était passé. Dans une conférence tenue à l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle, entre tous les plénipotentiaires, au sujet des prétentions du ministre de Gênes, Saint-Séverin remarqua que Sandwich le recherchait avec une certaine affectation. — « Je ne m’y fiais nullement, dit-il, ne croyant pas qu’il y ait rien à faire avec l’Angleterre. » Et effectivement dans leurs dernières rencontres, Sandwich s’était montré encore assez raide, surtout sur les sujets qui, touchant à un point d’honneur royal, excitaient les plus légitimes susceptibilités de la France. Saint-Séverin désira pourtant savoir d’où provenait ce changement apparent d’humeur et demanda lui-même un rendez-vous pour le lendemain, « afin de récapituler, dit-il, les divers points sur lesquels on était soit en accord, soit en dissidence. » A la veille d’une rupture possible et même probable, c’était une bonne précaution, ne fût-ce que pour préparer de quoi la motiver et la justifier.

Mais, dès le premier moment de l’entretien, quelle ne fut pas sa surprise de trouver le ton de l’Anglais sensiblement radouci, et dans l’énumération des sujets de litige, de se voir offrir non sans doute des concessions tout entières, mais du moins des atténuations qui enlevaient à la plupart des prétentions britanniques ce qu’elles avaient d’aigu et d’impérieux ; en un mot, une moitié du chemin fait et une espèce d’invite, à lui adressée, pour faire l’autre ! Ce changement à vue, nous le savons, résultait de l’effet produit par l’événement de Maëstricht, et Saint-Séverin dut s’en douter, mais la transaction était pourtant si brusque qu’il demanda le temps de la réflexion, en emportant une note écrite des avances qui lui étaient faites[20].

Rentré chez lui, sa surprise restait extrême, mais son embarras n’était pas moindre. Des deux solutions que, depuis plusieurs semaines, il tenait en balance, on a vu que son penchant, aussi bien instinctif que raisonné, était pour celle qui amenait la réconciliation avec l’Autriche, et il se croyait arrivé à la veille de l’obtenir. Mais le dernier débat même qu’il venait d’avoir avec Kaunitz, sans le détourner de cette solution préférée, en avait mis pourtant à découvert le côté faible : il avait bien fallu reconnaître que le résultat était destiné à rester imparfait et incertain tant qu’à l’arrangement convenu manquerait l’adhésion de l’Angleterre, qui pouvait ne l’accepter que tardivement et à regret. C’était le désavantage de l’Autriche que, dans une négociation dont les échanges réciproques étaient la base, elle avait tout à recevoir et rien à donner. L’Angleterre avait, au contraire, un objet des plus précieux à offrir, puisqu’elle tenait ses conquêtes maritimes, et n’avait qu’à ouvrir la main pour nous les rendre. De plus, l’Angleterre, même abandonnée par l’Autriche, pouvait encore prolonger la lutte avec ses escadres ; l’Autriche, privée des contingens piémontais en Italie, hollandais et britanniques en Flandre, ne pouvait disputer le terrain même un seul jour. En un mot, avec l’Autriche, la paix n’était encore qu’une promesse faite sous condition et à échéance ; avec l’Angleterre, c’était une jouissance immédiate, apportant à la France une joie et une surprise dont lui-même Saint-Séverin aurait tout l’honneur. La tentation était donc forte de profiter de cette occasion inespérée pour tout terminer d’un seul coup. Mais, d’un autre côté, ne s’était-il pas trop avancé lui-même ? N’avait-il pas engagé son gouvernement trop avant pour qu’il tût honorable et même possible de reculer ? Et si, pendant qu’il se lancerait sur une piste nouvelle, arrivait de Vienne la réponse favorable qu’on pouvait espérer, dans quelle situation serait-il alors placé ? Comment refuser d’accepter ce qu’il avait lui-même proposé et provoqué ? Vouloir courir les deux chances à la fois, n’était-ce pas s’exposer à les perdre l’une et l’autre ?

Pour ne pas se trouver pris de la sorte dans les fils croisés d’une double intrigue, il ne fallait pas moins à Saint-Séverin que cette habileté dont ses amis, comme ses détracteurs, faisaient honneur à la race dont il sortait ; et de fait le tour d’adresse et le trait d’audace qui allaient lui servir à sortir d’embarras, s’ils ne le placent pas tout à fait à côté des plus célèbres compatriotes de Machiavel, lui donnent un air de famille avec les types connus de la comédie italienne.

Tout d’abord, il s’empressa d’aller retrouver Kaunitz. — « Avez-vous enfin, lui dit-il, une réponse satisfaisante ? Et quand l’attendez-vous ? » — Kaunitz lui fit remarquer que le délai convenu n’était pas expiré et qu’avant huit jours, il ne pouvait compter[21] qu’on lui accusât réception de son rapport. Saint-Séverin témoigna alors la plus vive impatience, « me répétant, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, avec les protestations les plus chaleureuses que non-seulement lui, mais le marquis de Puisieulx et la cour de France en général et tout le monde n’avait qu’un désir, un désir loyal de se réconcilier de préférence avec ma cour, et ajoutant que, depuis que les difficultés principales relatives à la Savoie étaient levées, il serait déplorable qu’un nouvel incident vînt à la traverse. » — Ses affirmations étaient si nettes et paraissaient si sincères, que Kaunitz, à qui certains mots échappés à Sandwich avaient inspiré des soupçons, se tint pour parfaitement rassuré[22].

Saint-Séverin était donc sûr d’avoir huit jours devant lui avant d’être mis au pied du mur par la réponse de Vienne. Huit jours, c’était suffisant pour mener à bien une affaire, mais à la condition de n’avoir à attendre ni retour de courrier de Versailles, ni surtout des communications avec Londres sujettes à tous les hasards d’une traversée maritime. Aussi, entrant brusquement chez Sandwich, au moment où celui-ci fermait la dépêche qu’il allait faire porter pour rendre compte de son premier entretien : « Je viens, dit-il, vous poser une question décisive. Pouvez-vous, oui ou non, conclure avec moi ici-même et sur-le-champ ? Si vous ne pouvez pas le faire immédiatement, il sera trop tard, et tout est manqué. — « Il me dit alors, écrit Sandwich, qu’il avait des preuves positives que les cours de Vienne et de Madrid mettaient la main à un traité particulier, assurant un large établissement à l’infant, aux dépens du roi de Sardaigne, qu’il était certain que l’envoyé d’Espagne s’était rendu secrètement la nuit dernière chez le comte de Kaunitz, qu’ils hâtaient leur négociation autant que possible, que, si nous ne prenions pas les devans sur eux, c’étaient eux qui nous devanceraient et rendraient tout ce que nous faisions impraticable… Il conclut que, si nous voulions prévenir cette trahison et la confusion qui en résulterait, je devais abandonner tous les points qui restaient contestés entre nous et en particulier ce qui regardait Dunkerque et le marquisat de Final, sans quoi il devait m’avenir que, cette occasion perdue, on n’en pourrait retrouver d’autres, vu que le temps nécessaire pour attendre le retour de nos courriers suffirait à nos alliés pour achever d’embarrasser nos affaires et que si je ne lui donnais pas une réponse à ce moment même (le seul qui nous restât), il serait obligé lui-même de prendre d’autres mesures et de considérer notre négociation comme terminée[23]. »

La vérité m’oblige de convenir que, toute recherche soigneusement faite, je n’ai pu découvrir un mot de vrai dans le fait allégué par Saint-Séverin. Ni Autriche, ni Espagne ne songeaient à préparer une si noire trahison, et du prétendu traité passé entre eux pas plus que de l’entrevue nocturne de leurs ambassadeurs, il n’y a pas le moindre vestige dans les correspondances de Kaunitz, qui ne l’aurait certainement pas laissé ignorer à Marie-Thérèse. Saint-Séverin lui-même, qui probablement ne tenait pas à se vanter de son artifice, n’en touche pas un mot à son ministre ; le tout était donc, pour parler comme Molière, tiré de l’imaginative de Saint-Séverin. Seulement la loyauté de l’Espagne n’était pas en bon renom ; on l’avait accusée plusieurs fois, et on la soupçonnait toujours de vouloir faire ses affaires à elle seule : le dessein qu’on lui prêtait n’avait donc rien en soi d’invraisemblable ; de plus, l’attitude inquiète de son ministre, le duc de Sotomayor, honnête homme d’un esprit borné et ombrageux qui, ne recevant de Saint-Séverin que des demi-confidences, se doutait qu’on ne lui disait pas tout et s’agitait pour savoir davantage, donnait une certaine apparence à la supposition.

Sandwich donna donc tête baissée dans le piège, non pourtant sans quelque trouble de conscience. — « Je conviens, dit-il, que ce langage de M. de Saint-Séverin me mit dans un grand embarras, car je voyais toutes les raisons possibles d’être convaincu de la vérité de ce qu’il me dit sur les négociations de la cour de Madrid et de Vienne. Il était dur cependant, soit de prendre sur moi d’agir sur des points importans en dehors de mes instructions, soit d’être celui qui aurait refusé une offre de paix, dans un moment où tous les rapports que je reçois me montrent que les sujets de Sa Majesté en ont besoin… et où l’affection que Sa Majesté porte à son peuple la lui fait désirer. »

La conséquence fat qu’on se mit à l’œuvre séance tenante, et que, sur le bureau même du ministre anglais, des préliminaires de paix en neuf articles furent rédigés et mis en forme de manière à pouvoir être signés aussitôt que transcrits.

Naturellement, Saint-Séverin, ayant trouvé pour agir sur son collègue un moyen de pression qui opérait à souhait, ne le laissa pas respirer, et se fît faire largement la meilleure part dans les arrangemens convenus. Ainsi la restitution complète de toutes les conquêtes dans les deux mondes est stipulée sans aucune réserve. Final et son territoire sont restitués à la république de Gênes sans compensation ou indemnité d’aucune sorte pour le roi de Sardaigne ; enfin l’établissement assigné à l’infant est grossi du petit duché de Guastalla, dépendance naturelle de Parme, mais dont le nom n’avait pas même été prononcé. Au sujet du port de Dunkerque, il n’était guère possible d’aller au-delà de ce que d’Argenson avait autrefois accepté ; ainsi il fallut se contenter du maintien des fortifications territoriales en acceptant la destruction des défenses maritimes. Seulement il demeura entendu que l’accomplissement de cette triste obligation serait laissé à la bonne foi du gouvernement français, et qu’aucun commissaire anglais n’en devrait surveiller l’exécution, et Sandwich ne craignit pas de dire tout bas : « Vous en ferez ce que vous voudrez ; nous ne vous ferons pas la guerre pour cela. »

On n’obtient pourtant jamais tout ce qu’on veut en ce monde, et il fallait craindre jusqu’au dernier moment que Sandwich, dont l’inquiétude était visible, fût poussé par un excès d’exigence à un coup de désespoir, et à aucun prix il ne fallait le laisser sortir de la chambre. Il fallut donc lui céder sur deux points : l’exclusion de Charles-Edouard du territoire français dut être accordée ; on voila seulement la rigueur de cette condition par cette forme adoucie qu’on étendait à tous les descendans du prétendant, les engagemens pris à son égard dans les traités antérieurs. De plus, parmi ces traités préexistans que la guerre avait suspendus et que, suivant une formule générale dont on convint, la paix allait remettre en vigueur, figuraient les prescriptions commerciales touchant, et à dire le vrai, blessant particulièrement l’Espagne. Sandwich exigea et obtint qu’on en mentionnât nommément le rétablissement, soit qu’il eût à cet égard des recommandations formelles au nom des intérêts du commerce anglais, soit que Saint-Séverin, venant de dénoncer la mauvaise foi du roi catholique, ne se trouvât plus en mesure de plaider sa cause.

De l’ensemble de ces dispositions résultait naturellement la confirmation implicite (sauf les quelques modifications consenties) de tout l’état territorial créé en Italie par le traité de Worms, et en Allemagne par celui de Dresde. On aurait pu se dispenser de le dire : deux articles spéciaux furent pourtant consacrés à donner une forme expresse à cette garantie. C’était frapper Marie-Thérèse du coup le plus rude aux deux points les plus sensibles. Saint-Séverin, qui ne l’ignorait pas, ne sentit pas trembler sa main en le lui infligeant, et malgré les assurances contraires qu’il venait de lui faire porter par Kaunitz, il ne paraît pas s’être fait beaucoup prier pour y consentir.

Enfin, par un article qui dut rester secret, il fut réglé que, si quelques-unes des puissances intéressées dans ces arrangemens y refusaient ou même faisaient attendre leur assentiment, l’Angleterre et la France procéderaient à l’exécution, sans plus tarder, sauf à ceux qui auraient tenu à rester en dehors à perdre le bénéfice des dispositions arrêtées en leur faveur.

Pour compléter et assurer ce succès d’une œuvre mystérieuse qui ressemblait plus à un complot qu’à une négociation, le mieux aurait été de signer tout de suite et de conclure ainsi l’affaire à deux et sans prévenir personne. Sandwich se refusa absolument à cette mesure précipitée, donnant pour motif qu’on lui avait enjoint de ne rien faire qui pût faire accuser l’Angleterre d’avoir trompé ou trahi ses alliés. Ce refus faillit même un instant tout compromettre, parce que Saint-Séverin, de son côté, reculait avec une inquiétude visible devant la nécessité de communiquer quoi que ce soit à l’Espagne à qui sa conscience devait lui reprocher d’avoir fait tort. Mais Sandwich, qui avait autant que lui envie d’en finir, ne se montra pas trop difficile sur la manière de lever son scrupule, car il consentit que le document rédigé et prêt à être souscrit fût présenté par chacun des contractans à l’adhésion de ses alliés, sauf en cas de refus à passer outre sans admettre ni changement, ni discussion[24].

Vingt-quatre heures furent réservées pour remplir cette formalité, dont, à vrai dire, l’exécution ne devait pas être agréable à faire. Avec le ministre de Hollande, à qui on dut s’adresser le premier, la difficulté, bien que réelle, ne fut pas des plus grandes, Bentink ayant l’instruction générale de ne pas se séparer de l’envoyé d’Angleterre. Le cas, pourtant, lui parut imprévu et extrême, et l’acte de subordination qu’on lui demandait bien considérable ; il aurait voulu obtenir un délai pour se munir d’une autorisation nouvelle. Saint-Séverin lui ferma la bouche en lui promettant de faire rendre par la France à la république toutes les faveurs commerciales dont elle jouissait avant la guerre, et en lui faisant savoir à l’oreille que la mine était déjà placée sous les remparts de Berg-op Zoom, et que, si on perdait seulement un jour, la république serait privée d’une de ses plus importantes barrières.

Par ce mélange de caresses et de menaces, on obtint qu’un troisième contreseing fût placé à côté de ceux que portait déjà le document préparé. Ce premier pas fait, non sans quelque peine, Saint-Séverin aurait encore désiré en rester là. Il lui en coûtait, on le conçoit, et son trouble le laissa voir, d’aller trouver Kaunitz, qu’il avait leurré de fausses espérances, ainsi que le ministre d’Espagne, qu’il venait d’accuser à tort, et de s’exposer de leur part à un accueil injurieux. Mais Sandwich, qui n’avait rien de pareil à se reprocher, ne comprenant rien à cette hésitation tardive, y crut voir un piège pour se dégager après l’avoir compromis, et, n’entendant pas raillerie, se fâcha cette fois tout de bon. D’ailleurs, avec le sang-froid britannique, une fois son parti pris, il allait tout droit au but, et l’idée qu’on pût y faire plus de façon ne lui entrait pas dans l’esprit. Son impatience fut telle que peu s’en fallut que, même à cette dernière heure, une rupture ne pût s’ensuivre. — « Cet Italien, disait-il plus tard en rapportant cet incident final, est bien l’homme le plus difficile à traiter que j’aie rencontré ; il change à tout moment de langage. » De gré ou de force, il fallut donc que Saint-Séverin se décidât à l’accompagner chez Kaunitz, qui, par un singulier hasard, avait convié ce jour-là tous les plénipotentiaires à dîner.

L’air d’intimité, joint à l’apparence d’embarras que Kaunitz remarqua, dès leur entrée, chez ses deux collègues, lui donna tout de suite à penser, et il se proposait de les sonder l’un et l’autre après le repas ; mais ils semblèrent s’être donné le mot pour se retirer tous deux en sortant de table. Trois heures après, tous les autres convives étant partis, il voyait revenir Sandwich tenant à la main la pièce de conviction, dont il fut invité à prendre connaissance.

La surprise, la confusion, la colère dont l’empreinte dut passer successivement sur le visage de Kaunitz pendant cette lecture sont plus aisées à imaginer qu’à dépeindre. — « Jamais, finit-il par s’écrier, ma souveraine n’acceptera ces conditions, et jamais je ne me déciderai à les lui proposer. » — Puis il ajouta qu’avant de prêter foi à un fait d’une telle gravité, il lui fallait le témoignage verbal et personnel du ministre de France. — « Allez donc le trouver, » lui dit Sandwich, offrant en même temps de l’aider à obtenir de meilleures conditions, mais sans lui laisser aucun espoir d’y réussir.

Chez Saint-Séverin, où Kaunitz se rendit sur-le-champ, nouvelle scène, au premier moment un peu différente : car, malgré l’heureux succès de sa manœuvre, Saint-Séverin ne put se défendre de quelque embarras quand, obligé de convenir que Sandwich avait dit vrai, il dut s’entendre rappeler par Kaunitz ses protestations contraires si nettes et si récentes. Mais il n’était pas homme à perdre aisément contenance, et il ne se mit même pas beaucoup en frais d’imagination pour trouver une excuse, car il lui suffit d’avoir recours, avec un très léger changement de mots, au même tour qui lui avait déjà si bien réussi ; ce fut encore (peut-on le croire ? ) sur l’Espagne et la nécessité de couper court à ses intrigues qu’il se rejeta. C’était encore l’Espagne qu’il avait prise en flagrant délit de négociation secrète (non pas avec l’Autriche cette fois, comment le soutenir à Kaunitz ? ), mais bel et bien avec l’Angleterre. L’Espagne allait traiter avec l’Angleterre, c’était fait : il n’était arrivé que juste à temps pour l’en empêcher. En vérité, si on n’avait sous les yeux les dépêches anglaises et autrichiennes à mettre en regard, on aurait peine à croire à tant d’aplomb ; mais, après en avoir douté un moment, le trait est vraiment trop plaisant pour n’en pas sourire[25].

Le lendemain tout était connu, et une pierre, lancée dans une fourmilière, ne donne qu’une faible idée du trouble qui se répandit à l’instant dans tout le personnel diplomatique réuni à la porte du congrès pour en attendre l’ouverture. Au premier moment personne, absolument personne, ne voulait s’associer à un acte aussi subrepticement improvisé : Bentink partait sans rien dire pour éviter de s’expliquer, sous prétexte d’aller rendre compte au stathouder ; Kaunitz rédigeait une protestation en règle et épanchait tout haut sa douleur. Le ministre d’Espagne tombait littéralement des nues : il était arrivé tout gonflé d’espérances et de prétentions ; il s’était même flatté d’en obtenir la restitution de Gibraltar ; on lui imposait au contraire le retour au joug humiliant des contrats de l’assiento et du vaisseau de permission. La surprise, seule, retenait sur ses lèvres l’expression de sa fureur. Le ministre de Sardaigne, Chavannes, qui avait remis avec pleine confiance aux mains de Sandwich les intérêts de son souverain, sommé maintenant de sacrifier Plaisance à l’infant et Final à la république de Gènes, se lamentait avec l’amère expression de l’amitié trompée. Il n’en fallait pas moins, dès le lendemain, envoyer la pièce et chercher une ratification à Versailles et à Londres. On peut supposer avec quelle anxiété les trois signataires, on aurait dit volontiers les trois complices, attendaient la réponse qui leur ferait connaître l’impression causée par leur brusque opération à leur cour et dans leur patrie. Au premier moment, Saint-Séverin voulait partir lui-même pour aller plaider sa cause, en passant d’abord par Maëstricht pour y gagner, s’il le pouvait, le maréchal de Saxe. Réflexion faite, il se borna à envoyer son premier secrétaire, Tercier, agent déjà très estimé (le même qui devait être destiné plus tard aux premiers emplois du ministère), en le chargeant d’ajouter à sa dépêche toutes sortes d’explications et de justifications verbales, et en lui remettant de plus des lettres pour le comte d’Argenson, le maréchal de Noailles et plusieurs personnages influens de la cour. Il avait soin d’ailleurs, dans sa dépêche, de n’exprimer son inquiétude qu’en la déguisant par l’accent de la joie et même du triomphe : « J’ai cru devoir, disait-il, prendre la balle au bond et terminer à la fois toutes les querelles de terre et de mer. Je désire que le roi soit content. J’ai craint, jusqu’au dernier moment, qu’il arrivât chose qui culbutât l’édifice. C’est la peur que j’ai faite à lord Sandwich d’un accommodement opposé (il n’en indique pas autrement la nature) qui l’a forcé à doubler de jambes. Plus je lis et j’examine mes instructions, plus je trouve que j’en ai rempli tous les objets au-delà de ce que je pouvais espérer… J’aurais bien voulu supprimer l’article qui regarde le prétendant et celui du vaisseau de permission : le sieur Tercier a été témoin de la violente agitation où ils m’ont mis ; j’ai été vingt fois sur le point de rompre, mais je n’ai vu que le bien de la chose… Je suis au comble de la joie d’avoir été l’instrument d’un ouvrage aussi glorieux pour le règne de Sa Majesté qu’à la France[26]. »

La crainte que Saint-Séverin devait éprouver au fond de l’âme, bien qu’il n’eût garde d’en parler, c’était qu’ayant tout fait lui-même pour préparer son ministre à l’accommodement avec l’Autriche, et même réussi à l’y résigner, on trouvât singulier que ce fût lui aussi qui, du soir au lendemain, proposât de passer du blanc au noir. Tant de promptitude et de souplesse dans les mouvemens ne sont pas des qualités communes et peuvent surprendre ceux qui n’en sont pas doués au même degré : aussi la première impression de Puisieulx fut-elle celle d’un homme qui, entré péniblement dans un ordre d’idées, a quelque peine aussi à en sortir. La nouvelle lui arriva, à la vérité, au moment même où il terminait une dépêche qui résumait avec les avantages de la solution autrichienne toutes les précautions dont on devait pourtant l’entourer, ce ne fut qu’en post-scriptum qu’il dut mettre : — « Vous venez de faire un grand ouvrage et bien brusquement : il ne reste plus qu’à y donner de la solidité. » — Puis tout de suite les inconvéniens apparaissent, et l’approbation n’est plus donnée qu’avec réserve. L’affaire du prétendant, quoique « plus désagréable que désavantageuse, sera pourtant difficile à accepter. Et quelle incartade va nous faire l’Espagne ? » Aussi dans les dépêches suivantes, il demande encore s’il est décidément impossible d’obtenir pour cette exigeante alliée des conditions plus favorables[27].

Mais le temps était déjà passé où les événemens qui intéressent tout un peuple pouvaient être décidés à huis-clos et de sang-froid par ceux qui les gouvernent et où l’opinion publique, pour se prononcer, attendait qu’on lui dictât ses jugemens, et, pour les exprimer, qu’on lui donnât la parole. A peine le bruit de l’arrivée du message porteur de la paix fut-il répandu à Paris que le sentiment public se fit jour avec une vivacité qu’on ne put contenir. C’était la paix conclue n’importe avec qui, et on pensait tout bas : n’importe à quelles conditions. — « Le courrier, dit le chroniqueur Barbier, est le secrétaire d’ambassade de M. le comte de Saint-Séverin d’Aragon, qui a causé une grande joie et une grande nouvelle dans Paris, hier dimanche, 5 mai, que la paix était faite. Tout le monde a couru chez ses amis, au spectacle, à la promenade, bien qu’il ne fit guère beau, pour apprendre les détails. » — L’élan fut plus vif encore et plus impétueux dans les provinces et principalement dans les villes de commerce où la souffrance était cruelle et où la paix annonçait une résurrection inespérée. Dans la Guyenne, entre autres, la dernière récolte ayant été mauvaise, et tous les arrivages de blé par mer étant interrompus, on se croyait menacé de la famine. — « Le jour où ce bienheureux courrier arriva à franc étrier (dit un récit du temps) à Bordeaux, criant partout la grande nouvelle, les boutiques des boulangers étaient quasi-assiégées par un grand nombre de personnes attendant le moment où le pain serait tiré du four pour en avoir : à peine de tout ce monde en resta-t-il la dixième partie. Le reste s’en fut courant comme des fous, dansant, chantant, s’embrassant, criant : « La paix est faite ! » et oubliant qu’il avait besoin de pain[28]. »

Il n’y avait pas moyen de résister à une pression pareille. Saint-Séverin reçut donc après quelques jours d’hésitation un assentiment sans réserve. — « Vous avez eu de grandes difficultés, disait Puisieulx, vous en sortez triomphant. » Le ministre était encouragé par l’opinion du contrôleur-général qui disait que, si la guerre avait duré, il voyait l’enfer ouvert devant lui, et par l’approbation du comte d’Argenson, dont le sentiment avait en sa qualité de ministre de la guerre un prix tout particulier. — « Le besoin de nos affaires intérieures l’exigeait, lui écrivit-il, et le peu de confiance que nous pouvons avoir dans nos alliés semblait en imposer la loi ; nos succès militaires ont été heureux, mais cet État a besoin de repos, et de reprendre de nouvelles forces en ajoutant à l’expérience qu’il vient d’acquérir l’esprit d’ordre et de discipline dont tant de motifs ont encore à l’écarter ! » Et effectivement il ne savait que trop que les derniers contingens, levés à grand’peine, étaient composés de chétives recrues dont grand nombre désertaient en campagne.

Une adhésion plus significative encore était celle du marquis son frère, qui oubliait qu’il n’avait pas cessé d’être prophète de malheur depuis sa disgrâce et qui, pour se consoler de n’avoir pas été l’auteur de la paix, voulut au moins l’avoir prédite : — « Je prévoyais bien, dit-il dans son journal, que la paix suivrait bientôt, dans le désarroi où étaient nos ennemis. Voici des préliminaires signés et un armistice établi[29]. »

En Hollande, la satisfaction ne fut pas moindre, et le prince de Nassau ne fut pas celui qui la ressentit le moins vivement ; car la rapidité même de la solution le tirait d’un embarras cruel. Comme toutes les popularités factices, la sienne était fort compromise : car il ne réussissait plus à satisfaire ni les partisans fanatiques de la guerre, qui l’accusaient de l’avoir mal préparée, ni les timides et les pacifiques, qui avaient subi son avènement à regret et, parlant maintenant tout haut, y voyaient la cause de la ruine prochaine de leur patrie. Dans ce conflit, la proposition de rendre son pouvoir héréditaire (actuellement en délibération dans les divers États) courait grand risque de n’être pas adoptée. A Groningue, la résistance était déclarée et des mouvemens insurrectionnels déjà prêts à l’appuyer. La résolution de l’Angleterre mettait fin à tout débat, car personne, même les plus belliqueux, ne pouvait sincèrement lui demander de rester en guerre sans cette unique et indispensable amie. Aussi le contentement général s’exprima sans détour, et le chargé d’affaires de France à La Haye, Chiquet, voyait arriver chez lui notre ancienne connaissance Van Hoey, naguère ministre à la cour de France, l’ami personnel de d’Argenson, et qui n’avait jamais cessé (peut-être peut-on se le rappeler) de travailler de concert avec lui au maintien de la paix dans des vues à la fois chrétiennes et philosophiques. — « Vive le roi, s’écriait ce brave homme dans un véritable état d’exaltation, le plus puissant des rois et le plus sage des hommes ! Quel bien pour la France et pour ma chère patrie ! Puisse la France, puissent les hommes, pendant un temps infini, admirer de telles vertus et en recueillir le fruit salutaire[30] ! »

Et peu de jours après, le chargé d’affaires, admis à la cour du stathouder pour la première fois depuis l’entrée des troupes françaises sur le territoire de la république, y était comblé de complimens et presque de caresses. « Plusieurs, dit-il, allèrent jusqu’à me dire qu’ils avaient versé des larmes de joie à la première nouvelle qu’ils avaient eue de la signature de la paix, quoiqu’ils en ignorassent encore les conditions, et que ces sentimens s’étaient tournés en admiration de voir tant de modération et de désintéressement de la part du roi. Vous voyez, ajoutait-il, que si Sa Majesté n’a pas étendu les frontières de ses États, elle a fait de plus solides conquêtes encore en se conciliant l’estime et l’affection d’un peuple chez qui nous avions beaucoup perdu en perdant l’une et l’autre. »

« Vous voilà à votre aise, » disait Sandwich à Saint-Séverin et à Bentink qui lui montraient les témoignages d’approbation qu’ils avaient reçus, « mais moi je ne le suis pas. » — Effectivement, l’assentiment du cabinet britannique fut le dernier qui parvint à Aix-la-Chapelle. Non que là, pas plus qu’ailleurs, la résolution définitive fut un instant douteuse. Mais entre la nation anglaise et son gouvernement, les sentimens et les rôles se partageaient précisément à l’inverse de ce qui se passait en France. Ce fut le public qui reçut l’annonce de la paix avec une certaine froideur. La classe puissante des commerçans se voyait arracher à regret une proie certaine, et après avoir salué avec joie dans la prise du Cap-Breton les prémisses de la conquête du Canada tout entier, c’était une déception de renoncer à un accroissement de l’empire colonial, dont on jouissait déjà en espérance. Il fallut quelques jours et la hausse marquée des fonds publics pour faire taire tous les mécontens. Le ministère, au contraire, et ses amis, ne savaient que trop à quels embarras financiers la continuation de la guerre les exposait, et les difficultés qu’ils auraient à obtenir du parlement une aggravation de charges devenue indispensable ; et Cumberland ne leur avait laissé aucune illusion sur la faiblesse des ressources militaires dont il disposait. La paix les délivrait d’un cruel souci : et il n’y eut qu’une impression parmi ceux qui avaient connaissance du secret de la politique ; c’était la surprise que la France se fût contentée de pareilles conditions, et n’eût pas été tentée de mieux profiter du bon vent qui s’élevait en sa faveur. La peinture de cet état d’esprit assez complexe est faite en termes piquans et dans ses moindres nuances dans une lettre de Chesterfield, où respire une joie maligne d’avoir eu raison avant tout le monde et peut-être aussi quelque regret d’avoir quitté le pouvoir avant que la démonstration fût faite. — « Ma prophétie est accomplie, écrit-il à son ami, le ministre d’Angleterre à La Haye, je vous en félicite aussi bien que moi, car si une partie de ma prédiction n’était pas réalisée, c’eût été l’autre, c’est-à-dire notre ruine inévitable. Si les Français n’avaient pas signé les préliminaires au moment où ils l’ont fait et s’ils avaient voulu profiter des avantages qu’ils avaient entre les mains, nous étions perdus. Beaucoup de personnes sont étonnées ici de la modération de la cour de France et ne peuvent s’en rendre compte d’après les règles connues de la politique. De profonds historiens qui veulent toujours donner de grandes causes à tout événement auront de la peine à en assigner une pour celui-ci. Moi qui aime à voir les choses sous un jour plus simple et qui cherche plutôt les causes dans les faiblesses que dans la sagesse des hommes, voici comment je m’en rends compte : le roi de France est un prince tranquille et sans ambition qui était fatigué de la guerre et particulièrement de la vie des camps à laquelle il ne pouvait renoncer, l’ayant une fois adoptée, tant que la guerre durait. Les courtisans français ne sont pas assez maladroits pour ne pas conformer leurs sentimens aux désirs du prince, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont contraires ou non à l’intérêt public. Changez le mot de paix en celui de guerre et le même principe vous expliquera pourquoi nous avons, nous, continué la guerre quand il était clair que nous n’étions pas en état de la soutenir. Mais quelles que soient les causes de l’événement, nous l’échappons belle, et nous tous en général, et quatre personnes en particulier : le duc de Cumberland échappe à la défaite et à la disgrâce, le prince d’Orange échappe à être déposé et le duc de Newcastle et lord Sandwich à être… Bien loin donc de blâmer la paix, ajoute-t-il, je suis cordialement satisfait qu’elle soit faite : j’étais pour la faire plus tôt et par conséquent meilleure… mais ma démission est peut être ce qui l’a amenée en ouvrant les yeux au pays… La république est sauvée d’une ruine complète et l’Angleterre de la banqueroute[31]. »

Dans cette satisfaction générale de la première heure, un seul osa laisser voir son mécontentement. Ce fut Maurice, qui n’avait pas caché son désir de pousser jusqu’au bout une campagne si heureusement commencée. Personne n’ignorait qu’il aurait vu avec plaisir la négociation se prolonger sans aboutir, pour lui donner le temps de changer et d’étendre, par quelque coup d’éclat, le terrain étroit et ingrat où elle était placée. On savait qu’il pressait vivement le roi de se rendre à l’armée, pensant que la présence royale rendrait toute concession excessive impossible. « Nous demandons la paix comme des lâches, lui avait-on entendu dire, et nous ne pouvons pas l’obtenir. » Aussi Saint-Séverin, se rendant parfaitement compte de la surprise pénible que la signature précipitée des préliminaires allait lui causer, avait eu soin, en stipulant l’armistice qui en était la conséquence naturelle, d’excepter de la suspension d’armes les opérations engagées devant Maastricht, afin de ne pas priver le maréchal, avec la prise de cette place célèbre, du couronnement de ses exploits.

Il n’était que temps : quand la nouvelle de l’armistice parvint au camp, tous les travaux du siège étaient terminés, et il ne restait plus qu’à commencer l’attaque décisive. Si l’on en croit même le récit, toujours sujet à caution, du brillant chevalier de Valfons, depuis vingt-quatre heures déjà le signal aurait pu être donné. Seulement, c’étaient les gardes-françaises qui, d’après leur tour de service, auraient dû, ce jour-là, ouvrir le feu, et Lowendal fit remarquer que la moindre perte, dans ce corps d’élite, ferait crier tout Paris. — « Demain, dit-il, ce sera le tour des Suisses ; leurs morts passeront inaperçus, car on n’entendra pas les cris de leurs montagnes. — Vous pensez à tout, avait dit Maurice en riant. A demain donc[32] ! »

Mais le lendemain on vit arriver un aide-de-camp du duc de Cumberland, accompagné d’un officier hollandais, annonçant tout haut que la paix était faite et comptant que le siège serait levé sur-le-champ. Maurice, ne pouvant dissimuler son impatience, le prit de très haut et déclara que, si la ville n’arborait pas à l’instant le drapeau blanc pour demander à être admise à capitulation, les opérations ne subiraient aucun retard. « Vous êtes des faibles et des vaincus, dit-il, c’est à vous de recevoir la loi que je vous impose. » Le Hollandais insista pour obtenir un délai de quarante-huit heures afin de recevoir des états-généraux la permission de se rendre, et Maurice n’y consentit qu’à la condition que des otages lui seraient immédiatement remis.

Le 10 mai, enfin, tous les articles de la capitulation étant réglés, l’armée française eut la satisfaction de voir défiler devant elle les Autrichiens et les Hollandais qui formaient la garnison, l’arme au bras, n’emportant avec eux que quelques pièces de campagne et laissant au vainqueur tout le matériel de défense. Le maréchal de Lowendal prit possession de la ville, et Maurice, en faisant lui-même son entrée, alla droit à l’église faire chanter le Te Deum. La soumission ainsi bien constatée, l’armistice put être proclamé, à son de trompe, à la tête des deux armées.

Pendant les relations nécessaires pour préparer ce glorieux cérémonial, il n’était sorte d’empressement et d’honneurs qui ne fut témoigné au maréchal par Cumberland lui-même et par les représentans du stathouder. Ce n’était pas seulement de la politesse, c’était presque de la déférence. Tant d’égards, sans dissiper sa mauvaise humeur, qui restait visible, en adoucirent pourtant l’expression. — « Ces messieurs, le duc de Cumberland et le stathouder, écrivait-il au roi, ne savent où donner de la tête. Je suis joliment avec eux, et ils m’écrivent des lettres des plus polies. » — Et il ajoutait d’un air résigné : — « Voici enfin le chemin de la paix, j’en suis bien aise ! » — A Saint-Séverin, il se décidait enfin à faire compliment, mais d’un ton qui sentait encore l’épigramme. — « Je n’ai jamais douté, lui disait-il, de la satisfaction que le roi et le royaume ont naturellement de ce que vous venez de conclure, et je suis persuadé que vous ne pouviez rien faire qui leur fût plus agréable ; mais comme il est dans les hommes (sic) d’être inconstans et qu’ils désirent la guerre quand ils ont eu la paix pendant quelque temps, je suis persuadé qu’ils auront regret à la conclusion de celle-ci. Mais vous ne pouviez et vous ne pouvez faire autrement : ainsi mes réflexions là-dessus ne sont qu’un radotage inutile[33]. »

Puis, quelques jours après, ne pouvant contenir son déplaisir, il épanchait son humeur dans le sein du ministre Maurepas, le membre du conseil royal avec qui il entretenait la relation d’amitié la plus familière. Il se rattachait à l’espérance que, si les négociations qui devaient suivre venaient à ne pas aboutir, la restitution promise n’aurait pas lieu, et il annonçait très clairement l’intention de ne pas rendre pour sa part un pouce de terrain, tant qu’il resterait un moyen et une chance quelconque de faire autrement.

« Je ne suis qu’un bavard en fait de politique, disait-il, et si la partie militaire m’oblige quelquefois d’en parler, je ne vous donne pas mes opinions pour bien bonnes ; ce que je crois savoir et vous assurer est que les ennemis, en quelque nombre qu’ils viennent, ne peuvent plus pénétrer en ce pays-ci, et qu’il me fâche de le rendre, car c’est en vérité un bon morceau, et nous nous en repentirons, dès que nous aurons oublié notre mal présent. Je n’entends rien à la finance, et ne connais pas nos moyens : ce que je sais est que l’argent en Angleterre n’était à la fin de la grande guerre qu’à 4 pour 100, et qu’il était ces jours passées à 14 et à 15 pour 100, de quoi il n’y a point d’exemple ; et comme le crédit est la seule chose qui soutient les Anglais et les Hollandais, je conclus qu’ils sont à bas, et qu’ils n’en peuvent plus. Ce n’est pas comme chez nous, nous avons une force intrinsèque, et quoique l’argent nous manque, nous allons encore longtemps, et je crois que ce n’est pas faire un mauvais marché, que de se mettre mal à son aise pour acquérir une province comme celle-ci, qui vous donne des ports magnifiques, des millions d’hommes, et une barrière impénétrable et de petite garde : telles sont mes pensées. Au demeurant, je ne connais rien à votre diable de politique ; je vois, je sais que le roi de Prusse a pris la Silésie, et qu’il l’a gardée, et je voudrais que nous puissions faire de même ; au bout du compte, il n’est pas si fort que nous, il est beaucoup plus mal posté, on peut le prendre par les pieds et par la tête, et il a de furieux voisins qui ne l’aiment assurément pas plus que nous : nous n’avons lien de tout cela, et il me paraît difficile, ou plutôt impossible, que l’on nous fasse rendre ce que nous tenons.

« Voilà, monsieur, ce que je pense. Vous ne laissez pas que de me tranquilliser beaucoup, et si les fanfreluches des négociations commencent une fois à se mêler, nous en avons pour dix ans sans tirer un coup de fusil ; c’est votre affaire, la mienne est de prendre et garder, et je vous réponds de m’en acquitter en conscience ! Je vous promets aussi de combattre jusqu’au trépas pour des vérités que je ne comprends pas ; c’est à vous de prêcher et de bien établir les principes, les détailler, les prouver, que les hérésies soient confondues, et qu’on écrive de part et d’autre plus de volumes là-dessus qu’il n’y en avait dans la bibliothèque d’Alexandrie, et que n’en ont écrit tous les pères de l’église ! Je vous promets d’attendre tranquillement sur le Demer, jusqu’à ce que la vérité soit triomphante. Les ennemis ne s’enrichiront pas pendant ce temps-là, s’ils restent armés, et cette position leur coûtera plus qu’à nous ; s’ils désarment, nous désarmerons aussi, et songerons à l’épargne. Battez-vous donc bien, monsieur. Que Dieu donne de la force à votre plume. Je vous proteste que je n’ai nulle envie d’interrompre vos occupations, mais jusqu’à ce que tout cela soit évident ; ne rendons rien, ou ne rendons guère[34]. »

Si Saint-Séverin eut, dès lors, connaissance de cette répugnance assez bien motivée du grand homme de guerre, c’était un memento homo dont, dans toute la jouissance de son succès, il pouvait avoir besoin. Lui-même cependant, il faut lui rendre cette justice, pressentait déjà qu’une fois passé le premier instant de soulagement, quand on viendrait à comparer les fruits réels de la paix avec les efforts que la guerre avait coûtés, on les trouverait médiocres, presque nuls, et qu’un retour d’opinion pourrait s’ensuivre assez peu favorable à ceux qui y attachaient leur nom ; aussi à défaut d’avantages matériels, il en indiquait d’autres, d’une nature différente que la France était sûre au moins de recueillir. — « Ce que je vois de meilleur dans cette affaire, écrivait-il dès le 2 mai, c’est que de longtemps les cours de Vienne et de Sardaigne n’oublieront pas le tour que les puissances maritimes viennent de leur jouer, et je mets le comble au commencement de méfiance et d’aigreur qui sont établis parmi nos ennemis[35]. »

La réflexion était juste, et les éclaircissemens qui me restent à donner pour compléter ce récit feront voir, en effet, que, si les pacificateurs s’étaient proposé de dissoudre toutes les anciennes alliances, et de laisser ainsi tous les États d’Europe dans un état de défiance et d’hostilité réciproque, le résultat était complètement atteint. Mais une paix dont l’effet principal était de jeter de nouvelles semences de discorde et de préparer par là de nouvelles luttes, était-ce une paix véritable et méritait-elle d’être appelée de ce nom ?


Duc DE BROGLIE.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier.
  2. Voir, sur les rapports de Sandwich avec le roi et avec les premiers ministres à l’insu du ministre des affaires étrangères, Chesterfield’s Correspondance, t. III, p. 220.
  3. Pour rendre cet exposé tout à fait complet, j’aurais dû faire figurer parmi les résultats de la guerre auxquels la paix devait pourvoir, les faits dont les Indes orientales avaient été le théâtre : la prise de Madras par Mahé de La Bourdonnais et le siège de Pondichéry par les Anglais, qui durait encore au moment de la réunion du congrès. Mais je me suis abstenu de mentionner ces événemens dont la suite seule a fait sentir l’importance, parce qu’au moment où ils ont eu lieu, ils n’attirèrent que peu d’attention en Europe et ne paraissent avoir tenu presque aucune place dans la préoccupation des divers cabinets. Parmi les points discutés entre eux pour le rétablissement de la paix, je trouve partout la prise et la restitution de Louisbourg et du Cap-Breton, je ne rencontre jamais le nom de Madras ou de Pondichéry. Dans l’acte final qui termine la guerre, il est dit simplement que toutes les conquêtes faites soit en Europe, soit dans les deux Indes, seront restituées, sans aucune mention spéciale des lieux occupés dans les Indes orientales. — Je ne puis m’expliquer ce silence et cette indifférence (au moins de la part du gouvernement français) que par ce fait que la compagnie des Indes, de qui relevaient nos possessions coloniales dans ces régions, avait déclaré à ses agens qu’elle entendait ne pas profiter de la guerre pour se procurer un agrandissement de territoire. On ne considérait donc de part et d’autre les points occupés que comme des positions militaires dont la paix amènerait tout naturellement l’évacuation. C’est dans cette pensée et pour accomplir les instructions de la compagnie que La Bourdonnais, dans la capitulation de Madras, s’était contenté d’imposer à cette ville une forte contribution et qu’il annonçait l’intention de l’évacuer, quand le gouverneur de la colonie, le célèbre Dupleix, s’opposa à l’exécution d’une clause à laquelle il avait d’abord adhéré. De là, la vive contestation qui s’éleva entre ces deux hommes éminens et qui aboutit pour La Bourdonnais à une si rigoureuse condamnation. Ce conflit auquel évidemment on ne s’attendait pas et auquel on ne comprit rien en France, acheva de détourner absolument l’attention de ces incidens dont personne alors, pas plus dans le gouvernement que dans le public, ne parait avoir apprécié la portée.
  4. Saint-Séverin à Puisieulx, 23-27 mars 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  5. Sandwich au duc de Newcastle, 27 mars 1748. (Record office.) — Kaunitz à Marie-Thérèse, 28 mars. (Archives de Vienne.) — Saint-Séverin à Puisieulx, 30 mars 1748. — (Ministère des affaires étrangères.) — Tout le récit de la négociation que je vais faire est rédigé d’après les dépêches françaises, anglaises et autrichiennes dont la comparaison et le contraste paraîtront peut-être au lecteur aussi instructifs qu’amusans. La plupart des détails sont entièrement inédits.
  6. Marie-Thérèse à Kaunitz, 28 mars, 4 avril 1748. (Archives de Vienne.)
  7. Sandwich à Newcastle, 29 mars 1748. (Record office.) — Kaunitz à Marie-Thérèse, même date. (Archives de Vienne.)
  8. Maurice à Saint-Séverin, 12 avril 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  9. Chiquet à Puisieulx, 18 avril 1748. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  10. Cumberland à Pelham, 23 avril 1748. (Pelham administration, t. Ier, p. 418.)
  11. Newcastle à Sandwich, 19 avril 1748. (Pelham administration, t. Ier, p. 414.)
  12. Droysen, t. III, p. 44.
  13. Kaunitz à Marie-Thérèse, 4 avril 1748. À cette date, l’ambassadeur fait savoir qu’il est averti par Batthiani qu’un corps d’armée français s’avance par la rive droite de la Meuse.
  14. Marie-Thérèse à Kaunitz, 9, 13, 18 avril 1748. (Archives de Vienne.)
  15. Robinson au duc de Newcastle, 1er mai 1848. L’entrevue rapportée est du 26 avril, le récit, d’abord expédié en chiffres, n’est envoyé que cinq jours après par courrier. (Correspondance de Vienne. — Record office.) Uhlfeldt à Kaunitz, 27 avril 1748. — D’Arneth, t. III, p. 483.
  16. Frédéric à Chambrier, 6 et 30 avril 1748. — (Pol. Corr., t. VI, p. 74, 89.)
  17. Saint-Séverin à Puisieulx, 22, 23, 26 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Kaunitz à Marie-Thérèse, 19-24 avril 1748. (Archives de Vienne.) — J’ai supprimé de ce compte-rendu tous les détails relatifs à des sujets de discussion peu importans (la restitution des capitaux pris aux Génois, le partage de l’ordre de la Toison d’or entre l’Espagne et l’Autriche) ; aucun de ces objets n’ayant figuré, comme on le verra, dans les arrangemens de paix définitifs, j’ai cru inutile d’en fatiguer l’attention du lecteur.
  18. Saint-Séverin à Puisieulx, 17-26 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  19. Puisieulx à Saint-Séverin, 17-24-26 avril, 1er mai 1748 et passim.
  20. Saint-Séverin à Puisieulx, 25 et 26 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Sandwich à Newcastle, 28 avril 1748. — (Treaty Papers. — Record office.)
  21. On était au 27 avril et il indiqua le 6 mai comme la date qu’il attendait.
  22. Kaunitz à Marie-Thérèse, 3 mai 1748. (Archives de Vienne.)
  23. Sandwich au duc de Newcastle, 28 avril 1748. (Treaty Papers. — Record office.)
  24. Saint-Séverin à Puisieulx, 29 avril 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Sandwich au duc de Newcastle, 28 avril 1748. (Treaty Papers. — Record office.) — La parole de Sandwich relative à l’exécution de la clause de Dunkerque est tirée d’une dépêche postérieure (du 4 mai).
  25. Voici les deux textes : « Il me dit, écrit Sandwich, le 28 avril, qu’il avait des preuves positives que les cours de Vienne et de Madrid étaient sur le point de conclure un traité de paix. » — Kaunitz, de son côté, écrit le 30 avril : « Sa confusion (à Saint-Séverin) était telle qu’il ne trouvait qu’une excuse, les négociations secrètes entre l’Angleterre et l’Espagne étaient fort avancées, il y avait lieu de s’inquiéter : l’Espagne pouvait prévenir la France. Voilà pourquoi il n’avait pu différer davantage à s’entendre avec milord. » (Kaunitz à Marie-Thérèse. — Archives de Vienne.)
  26. Saint-Séverin à Puisieulx, 29 avril, 1er mai 1748. (Conférences de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  27. Puisieulx à Saint-Séverin, 2 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  28. Journal de Barbier, mai 1748. (Voir Revue historique, n° de juillet, année 1791, p. 203.)
  29. Le comte d’Argenson à Puisieulx, 4 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères. — Journal et Mémoires de d’Argenson, t. V, p. 248.)
  30. Chiquet à Puisieulx, 7-17 mai 1848. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  31. Chesterfield à Dayroll, 13 mai 1748. (Correspondance générale, t. III, p. 261-263.)
  32. Vallons, Souvenirs.
  33. Maurice de Saxe à Saint-Séverin, 11 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  34. Le maréchal de Saxe au comte de Maurepas au camp sous Maëstricht, 15 mai 1748. Lettres et Mémoires du maréchal de Saxe, publiés par Grimoard, 1791, t. V, p. 263.
  35. Saint-Séverin à Puisieulx, 2 et 3 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)