France, Algérie et colonies/Colonies/03

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 713-721).


CHAPITRE III

COLONIES D’OCÉANIE


1o Nouvelle-Calédonie. — Découverte en 1774 par Cook, illustre navigateur anglais, la Nouvelle-Calédonie nous appartient depuis 1853. Son nom, tout à fait insensé, rappelle un pays brumeux, l’Écosse ; or, cette île océanienne est chaude, sous des cieux étincelants.

Inclinée du nord-ouest au sud-est, à 1 300 kilomètres à l’orient des côtes du Queensland (Australie), sa pointe septentrionale est presque effleurée par le 20e degré de latitude sud, et sa pointe méridionale finit entre le 22e et le 25e degré. Elle a 375 kilomètres de long sur 48 à 60 de large, et 1 830 000 hectares : 1 972 000 avec les îles Loyauté, ses dépendances.

Elle a donc la grandeur de trois départements moyens. Des récifs madréporiques, ceinture dangereuse, l’environnent ; ils font office de brise-lames et sont coupés de passes menant à des eaux tranquilles. De nombreuses baies, quelques-unes vastes et sûres, s’ouvrent sur ces flots calmes et reçoivent des torrents sans longueur, la haute montagne étant voisine.

C’est dans le nord de l’île que se dressent les cimes les plus fières qu’on ait mesurées jusqu’à ce jour, là aussi que serpente la plus longue rivière.

La montagne la plus élevée, au-dessus de la côte du nord-est, a 1 700 mètres ; elle a détrôné le Humboldt (1 610 mètres), le Cando des sauvages, mont du sud qu’on avait pris d’abord pour le géant calédonien.

Parmi les torrents qui, de ravine en ravine, à travers des bois d’un vert foncé, s’abandonnent à la raideur de ces monts et courent à la mer d’orient ou à celle d’occident, le plus long, le Diahot, rivière aurifère, finit tout au nord de l’île, sur les plages qui virent Cook aborder en Calédonie.

La Calédonie, climat heureux, a une saison chaude où le thermomètre dépasse rarement 32 degrés, et une saison froide.

Froide ici veut dire fraîche, car dans les mois les plus rudes, qui sont juillet et août[1], le mercure ne descend jamais au-dessous de +9°, au bord de la mer s’entend ; la montagne, suivant ses altitudes, est moins ou beaucoup moins tempérée. En moyenne, il tombe un mètre de pluie par an.

Mais la douceur de ce beau climat n’en est point la première vertu : elle ne vaut pas sa parfaite salubrité. Bien que la Calédonie s’allonge entre le Tropique et l’Équateur, les Européens y vivent sans péril, ils y cultivent en plein soleil, ils y créent des familles robustes. Les Franco-Calédoniens vantent son air pur, les galériens qu’on y débarque trouvent en toute saison le joyeux printemps ; ils n’y meurent point à milliers comme ils mouraient en Guyane.

On attribue ce climat innocent à diverses causes : la Calédonie est une île étroite, accessible en tous lieux aux vents de la mer ; les alizés y soufflent une partie de l’année ; elle est fortement penchée, tant vers l’est que vers l’ouest, tant au nord qu’au sud, et l’inclinaison des terrains ordonne aux eaux de se hâter dans leur course vers la mer ; enfin beaucoup de ses roches de craie lâche boivent aussitôt les gouttes ou gouttelettes de pluie. Mais tout cela ne suffit pas.

Il y a dans ce pays des vallées fermées aux brises de l’Océan, des marais d’où devrait monter la mort ; et pourtant là-même Indigènes et Européens se portent à merveille. Le niaouli, qui est un myrte aromatique, croît précisément en forêts dans ces vallées et sur le tour de ces marécages. Serait-ce le bienfaiteur de la Calédonie, comme l’eucalyptus est celui de l’Algérie ?

Devant les témoignages éclatants de cette salubrité, la France n’envoie plus ses forçats en Guyane, sauf les Arabes et les Nègres, et nos assassins, nos empoisonneuses, nos escrocs, nos faussaires, nos pâles scélérats, nos mégères partent maintenant pour la Calédonie. Ainsi se peuple cette longue île : de bien tristes familles, s’il est vrai que l’instinct du crime se transmet de père en fils comme la phtisie, l’épilepsie, la folie et le cancer. En fait de colons libres, elle reçoit des Français de France, des Français et des Anglais d’Australie, des créoles des Mascareignes : ceux-ci trouvent bon de venir vivre sous un climat meilleur que celui de leurs deux îles sœurs, bien loin des épidémies apportées chez eux par les convois d’Indiens.

Les Calédoniens-Français ne sont encore qu’une quinzaine de mille, dont moitié de forçats et quelques centaines de déportés politiques. On regrette que, sous un pareil climat, dans une belle nature, cette île riche en or, prodigue en nickel, chaude et saine à la fois, et très bien arrosée, offre si peu de place à l’émigration française.

Car, de ses 1 830 000 hectares, ce qui fait un bien petit pays, des centaines de milliers sont montagne abrupte, roche, ou mauvaise herbe : surtout dans le Sud, région de volcans éteints.

Les indigènes, Papouas laids, jadis amateurs de chair humaine, sont brisés en faibles tribus. On ne sait pas leur nombre : 30 000, d’autres disent 40 000, ou même 50 000. Ils se soucient peu de suer pour les Européens. Ce qu’ils ne veulent pas faire, d’autres Noirs le font, qu’on va chercher dans les Nouvelles-Hébrides, archipel le plus voisin de la Calédonie, au nord-est. Nous devrions annexer au plus tôt ces îles, qu’on suppose peuplées, toutes ensemble, de 150 000 Papouas plus ou moins cannibales, sur environ 1 500 000 hectares.

Nouméa (6 000 habitants), la capitale, borde une fort belle baie du sud-ouest de l’île, non loin du Mont-d’Or (775 mètres), volcan éteint dont la mer heurte les falaises. La plupart des autres établissements longent le rivage occidental de l’île, qui a de plus larges, de plus longues et de meilleures vallées que le rivage oriental.


De la Nouvelle-Calédonie dépendent l’île des Pins et les îles Loyauté.

L’île des Pins, la Kounié des Indigènes, à 50 kilomètres au sud-est de la grande île, est ainsi nommée de ses forêts de pins colonnaires hauts de 50 mètres. Prise comme la Calédonie dans une ceinture de coraux, elle a des vallons fertiles, et, au centre, des champs de fougères ; au midi, sur la rive, monte un ancien volcan de 452 mètres. 500 à 600 Noirs y vivent dans un climat plus doux et plus salubre encore que celui de Nouméa : on en comptait 1 000 il y a vingt-cinq ans, quand nous prîmes possession de cette île, devenue depuis la prison et le préau de la plupart des détenus politiques.

À 100 kilomètres à l’est, un archipel de corail, les îles Loyauté, les Loyalty des Anglais, comprend environ 215 000 hectares. La plus grande est Lifou, qui se nomme aussi Chabrol : elle a 7 000 âmes ; il y a 4 000 ou 5 000 habitants à Maré ou Nengone, et seulement 2 000 dans le groupe d’Ouvéa ; soit 12 000 à 14 000 insulaires ; les Européens sont extrêmement rares dans ce petit monde « canaque » dont les sauvages ont presque tous accepté le protestantisme ou le catholicisme,




2o Taïti. — Taïti, Mooréa ou Aiméo, Tétouaroa et Maïtéa, dans l’archipel de la Société, reconnaissent le protectorat de la France. Ces quatre îles réunies, à peine le cinquième d’un département français, ont 22 000 habitants, des Polynésiens, venus autrefois des Samoa et ayant ensuite essaimé les colons qui peuplèrent l’archipel des Haouaï ou Sandwich.

Taïti, qui n’a que 25 000 hectares cultivables, a rempli l’univers de son nom. Il n’est pas de plus ravissant séjour, sous un plus admirable climat, tiède grâce au soleil du Tropique, frais grâce aux brises de l’Océan. Bien qu’à 17 degrés seulement de l’Équateur, la chaleur y monte rarement à 31 degrés et y descend rarement à 14, au mois de juillet, le janvier de là-bas. La moyenne annuelle, au bord de la mer, est de 24 degrés ; mais dans la montagne chaque val, chaque ressaut, chaque pie, a le climat de son altitude. La plus haute cime, l’Orohéna, domine la mer de 2 237 mètres ; le Diadème est un volcan refroidi.

Près des bois de cocotiers, sous les arbres à pain dont le fruit les nourrit, les Taïtiens vivent heureux au bord des ruisseaux tombés de la montagne. Ils sont grands, très bien faits, souvent beaux de visage. Ils parlent une langue mélodieuse, presque sans consonnes, gracieusement enfantine, et passent pour les plus voluptueux des sauvages. Les premiers Européens qui virent Taïti furent émerveillés de la bonne grâce de ce petit peuple, et Bougainville appela ce lieu charmant la Nouvelle-Cythère.

Une vallée taïtienne.

Taïti n’a plus, et n’a sans doute jamais eu les 80 000 Taïtiens que lui donnait Cook. Ces beaux sauvages ont pris le vêtement européen, quelques coutumes des Blancs, et le protestantisme des Anglais ou le catholicisme des Français. À notre contact, ces enfants de la nature ont dépouillé quelques-unes des puérilités et des grâces de l’enfance ; devant nos armes, nos soucis, nos travaux, ils ont compris que la vie n’est pas un songe heureux, mais une veille, un travail, un tourment.

S’ils ont vieilli, du moins ne semble-t-il pas que notre venue ait marqué leur fin : chez eux les morts ne dépassent plus les naissances ; ils perdront leur langue et s’uniront aux Blancs jusqu’à disparaître comme peuple, mais tout leur sang restera. Or, c’est le lot de bien peu de tribus du plus vaste Océan !

Il n’y a que 1 000 à 1 200 Blancs, en majorité Français ; la plupart dans la capitale, Papéiti.

Mooréa ou Aiméo, beaucoup plus petite que Taïti, mais tout aussi jolie, porte un mont dépassant 1 200 mètres ; elle a 1 300 habitants, presque tous de race taïtienne.

Tétouaroa et Maïtea n’ont point d’importance.




3o Les Marquises. — À 1 200-1 500 kilomètres au nord-est de Taïti, les dix-sept îles Marquises, grandes ensemble de 135 000 hectares, et toutes volcaniques, appartiennent à la France depuis 1842. Nous n’y avons rien fait, nous n’y faisons rien, et sur 5 754 habitants, elles n’ont que 109 Blancs, à côté desquels se sont établis 69 Chinois. Leurs Polynésiens, hommes superbes de proportions, de taille, et même de visage, sont aussi rudes que ceux de Taïti sont doux, et parlent un dialecte de la même langue ayant huit consonnes seulement. Les Marquésans des îles du nord, et en particulier de Nouka-Hiva, ont pour ancêtres des Polynésiens de Vavao, dans l’archipel de Tonga. Ceux des îles du sud sont d’origine samoane ou taïtienne. Nouka-Hiva, l’île principale, n’a guère que l’étendue du département de la Seine, environ 50 000 hectares. Des flancs de la montagne la plus élevée (1 170 mètres) plongent des cascades, dont l’une, celle de Taïvas, tombe de 335 mètres, d’autres disent même de 650. Hiva-Oa (35 000 hectares) porte le mont le plus haut de toutes les Marquises (1 260 mètres).

Le dixième degré de latitude australe passe sur cet archipel, dont la température moyenne est à peu près celle de Taïti.




4o Archipels disséminés. — À 600 kilomètres au sud de Taïti, sous le Tropique du Capricorne, la France protège les îles Toubouaï. Cet humble archipel de 10 000 hectares a pour habitants quelques centaines de Polynésiens avec une dizaine de Blancs.

Au nord-est, à l’est, au sud-est de Taïti, nous « protégeons » les 79 îles Touamotou, également nommées îles Basses et archipel Dangereux. Le mot polynésien Touamotou veut dire les îles Lointaines, l’ancien nom de Pomotou signifiait les îles Conquises. 8 000 hommes vivent là sur un espace immense, tellement mer et si peu terre, que toutes ces îles plates, îlots, écueils, atolls, n’ont ensemble que 660 000 hectares. Les atolls sont des récifs annulaires ou en croissant, lentement élevés par des polypes et des madrépores, autour de lagunes à l’eau d’un vert pâle.

Ces insulaires, parmi lesquels habitent encore très peu de Français, ont pour ancêtres des Négroïdes d’origine inconnue, alliés à des immigrants taïtiens.


Au sud des Touamotou, les îles Gambier n’ont que 2 600 hectares, avec moins de 950 hommes, seul reste des 1 500-2 000 de l’année de l’acceptation du protectorat, 1844. Sur ces 900-950 personnes, Magaréva en a 650, Taravaï 120, Akamarou 130, Aoukéna 97 ; le nombre des Blancs est de 5. Les gens des Gambier, devenus catholiques, ont pour aïeux des Polynésiens émigrés de Rarotonga, terre à l’ouest-sud-ouest de Taïti. On pêche l’huître perlière et la nacre dans la mer qui baigne ces îlots arides, où se profile un volcan mort, appelé le Mont Duff.

Plus près de la Nouvelle-Calédonie que de Taïti, la France est la suzeraine des Wallis et de Foutouna, îlots de corail, autour d’Ouvéa : celle-ci, charmante île volcanique, est fertile et de bon climat ; deux lacs, qu’on peut croire d’anciens cratères, y dorment parmi des collines de 200 mètres. Sur ses 2 500 hectares habitent 3 500 Polynésiens, bons catholiques en voie d’accroissement.



  1. En Nouvelle-Calédonie, terre australe, les saisons se comportent à l’inverse des nôtres.