France, Algérie et colonies/Colonies/04

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 721-737).


CHAPITRE IV

COLONIES D’AFRIQUE


Sénégal. — Du Sahara jusqu’à Sierra Léone, de l’Atlantique au sommet des monts derrière lesquels le Niger fuit au nord-est vers Tombouctou, le Sénégal ou Sénégambie dépend pour moitié de la France, qu’on craint ici plus ou moins sur 25 millions d’hectares, mais qui ne règne directement que sur 208 000 personnes.

Longtemps on nous a jeté ce nom de Sénégal à la face ; mais ce vieux témoin de notre impuissance en Afrique, ce pays décrié, fournaise et marais, est à la veille de s’étendre au loin vers l’Orient : Riez, pauvre comptoir, il sera demain vaste empire. Après l’Algérie, nous n’avons rien d’aussi digne de la France.

La Sénégambie tient ce nom de ses deux maîtres fleuves, le Sénégal, possédé par la France, et la Gambie que l’Angleterre ne refuse qu’à demi de troquer avec les Français contre leurs comptoirs de Guinée. Le Sénégal, à son tour, s’appelle ainsi, par corruption, des Zénaga, l’une des principales familles, aujourd’hui bien diminuée, de la grande nation berbère ; lesquels Zénaga, comme d’autres tribus de leur race, ont en partie quitté le Tell pour les parcours du Sahara.

Le Sénégal (2 000 kilomètres) naît dans le Fouta-Diallon, pays de belles Alpes auxquelles on suppose 4 000 mètres de hauteur. Il s’appelle d’abord Bafing : ce qui, dans la langue des Malinkés, veut dire Fleuve Noir. À Bafoulabé, que 1 400 kilomètres séparent de l’Atlantique en suivant le fil de l’eau, le Bakhoy double ou à peu près le fleuve, déjà grand, du moins dans l’humide saison. À 220 kilomètres en aval de ce confluent, au Saut de Gouina, le Sénégal tombe de 146 mètres ; viennent ensuite une cascade de 4 mètres et demi, une autre de 4 mètres, puis la Chute du Félou, qui n’a pas moins de 25 mètres : d’autres disent 30 à 40 suivant que la rivière est en bas étiage ou en crue.

À Médine, port français voisin du Saut du Félou, le Sénégal devient navigable en tout temps pour les embarcations calant un mètre, et la saison des pluies le rend capable de porter des navires très lourds, les averses tropicales jetant dans le lit du Bafing, du Bakhoy, de la Falémé, notable tributaire, et jusque dans les moindres ravins un véritable déluge à partir du mois de mai. Alors les postes échelonnés sur la rive, Médine, Bakel, Matam, Saldé, Podor, Dagana, voient passer devant eux une espèce de Mississipi. Devant Bakel, au plus fort de la crue, en octobre, le fleuve domine de 14 mètres son étiage, à Matam de 9 mètres et demi, à Podor de 6, à Dagana de 4 ou un peu plus, à Saint-Louis de 80 centimètres seulement, le Sénégal baissant de l’amont à l’aval à mesure que l’inondation s’étend au loin dans les deux plaines des deux rivages. Ces divers postes ou comptoirs sont des bourgs unis par l’intercourse de petits bateaux à vapeur et protégés par des fortins suffisants contre les Nègres, même contre les Maures.

Au sortir de la montagne, après Bakel, il coule dans une vaste plaine, large, inconstant, semé d’îles, troublé par le reniflement des hippopotames. Lui qui a percé des Alpes, il fléchit devant les sables sahariens, et, du nord-ouest, tourne à l’ouest, puis au sud-ouest.

Avant qu’il se fende en delta, deux lacs s’unissent à lui par des chenaux : l’un sur la rive droite, le Cayor, et l’autre sur la rive gauche, le Paniéfoul. Ce sont là deux sortes de Mœris du Nil sénégalais : suivant la hauteur du niveau du fleuve, ils vont à lui ou il vient vers eux par un déversoir à courant alterné.

Il serre la ville de Saint-Louis entre deux bras, l’un de 1 800, l’autre de 3 000 mètres de large ; devant cette cité 150 mètres seulement séparent de l’Atlantique sa branche de droite ; mais les vents impérieux de l’ouest dressent contre lui des sables qu’il ne peut vaincre, et le Sénégal ne se mêle à la mer qu’à dix kilomètres en aval, sur une barre funeste.

Le Sénégal ne s’est pas toujours versé, du moins tout entier, par sa coupure actuelle dans la levée des sables riverains, coupure qui d’ailleurs se porte sur divers points de la dune, de 4 à 20 kilomètres au sud de la métropole de la colonie. Un bras, maintenant oblitéré, qui s’ouvre à quelque soixante kilomètres au-dessus de Saint-Louis, le marigot des Maringouins, témoigne encore d’un cours direct vers l’Océan, que le fleuve confit toutes ses eaux à ce chenal, ou qu’il n’y fît entrer qu’une partie de ses flots, peut-être même seulement des excédants de crue.

Le Sénégal inférieur ou Sénégal des plaines subit des chaleurs mal famées, qu’on indique à tort sur nos thermomètres comme le point suprême atteint par la torridité solaire à l’ombre ou sous l’astre. Aussi les « colons » français y sont-ils encore extrêmement rares, à peine quelques centaines, la plupart originaires de la Gironde, Bordeaux ayant de tout temps fait commerce avec ce pays de la gomme. Mais il ne faut pas outrer l’insalubrité de cette contrée, qui nous est cent fois plus précieuse qu’on ne pense. Ceux qui connaissent à la fois le Sénégal et le bas Niger, ou le littoral guinéen, ou le Gabon et l’Ogôoué, ou mainte autre région du Tropique d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, n’hésitent pas à préférer le fleuve de Saint-Louis. La côte de l’Atlantique sénégalais est saine, Saint-Louis peut le devenir ; la rive droite du Sénégal, terre mi-saharienne, sol de sable, a pour habitants des hommes chez qui le sang blanc domine ; enfin, dans la montagne où s’épanchent les sources du Bafing, du Bakhoy, de la Falémé et de plus d’un affluent du Niger dont nous allons avoir et le nom et le cours, il y a sûrement, à 1 000, 2 000, ou même 4 000 mètres de haut, des sites faits pour les familles du climat tempéré. Malgré tout, l’année n’y est pas éternellement électrique, ou tépide et molle ; elle a sa saison fraîche. Si les Français de France s’y acclimatent mal, il n’en sera pas de même de la race européenne et francophone qui naît sous nos yeux à Laghouat, à Bou-Saada, à Biskara : ces gens-là, destinés, tout le fait croire, à régner sur le coude du Niger, ne craindront point l’air des marigots sénégalais. D’autres qui le craindraient moins encore, ce sont les Nègres de nos Antilles, de Maurice, de Bourbon, qui porteraient à Saint-Louis notre langue, notre religion, et ce que les mélanges leur ont donné de notre sang.

Par la force de son soleil et l’abondance de ses pluies en leur saison, le Sénégal, en plein sous le Tropique, est un pays de grande production. Le colossal baobab, tronc de 36 mètres de tour avec 150 mètres pour le cercle des branches, le coton, l’arachide, le béraf, l’indigo, la gomme, il donne avec profusion toutes les plantes et les herbes de son climat ; il a des bœufs sur de magnifiques pâturages, l’hippopotame y remplit les fleuves, les éléphants ont des dents d’ivoire qu’on leur arrache avec la vie. L’or s’y trouve, et le fer et le bois, sans lesquels il n’y a pas d’industrie.

Cette contrée est une arène où luttent des Blancs et des Noirs. Les premiers sont des Arabes mélangés de Berbères, ou, si l’on veut, des Berbères mêlés d’Arabes ; les seconds forment plusieurs peuples.

Les tribus dites maures, les Trarzas, les Braknas, les Douaïchs, habitent le bord saharien du Sénégal. Par le prosélytisme et les razzias ils avançaient vers le sud quand la France les arrêta. De rares vieillards se souviennent encore du temps où les noirs Yoloffs s’étendaient aussi sur la rive droite du fleuve, en avant des Trarzas. Les Yoloffs sont sédentaires et leur case, qu’entoure un jardin, dépasse de tout un âge de l’humanité la tente arabe errant de pâture en pâture ; pourtant il leur a fallu céder aux Maures qui, plus hardis, sont, la lance à la main, les apôtres d’une religion supérieure aux grotesques imaginations des Noirs. Les Musulmans coupeurs de bourse ont vaincu les paysans ; et du Oualo, royaume nègre jadis prospère, ils ont fait un désert de 20 000 habitants.

Sur la rive gauche, les Noirs sont divisés en États ennemis, les races s’y superposant et ne s’y mêlant point, et les tribus païennes luttant contre les tribus récemment converties à la loi du Prophète.

Les Yotoffs habitent surtout l’immense plaine du Sénégal, au sud de Saint-Louis et de Podor. D’un noir de suie, braves et mous à la fois, ils usent d’une langue sonore, dans laquelle le mot yoloff signifie précisément noir.

Les Malinkés, partagés en Malinkés et en Soninkés, ont la peau moins noire que les Yoloffs, plus noire que les Foulahs. Ce sont les Juifs, les Grecs, les Arméniens de l’Afrique occidentale. À l’amour du commerce ils unissent le courage du Yoloff, les instincts pastoraux du Foulah, l’ardeur de prosélytisme de l’Arabe. Ils peuplent surtout des terres élevées d’où ils se répandent en marchands, en colporteurs, en colons, en missionnaires de l’Islam, jusque dans la Guinée et sur le moyen Niger.

Les FoulaksPeuls, race qui domine dans le Soudan central, n’ont pas les traits des Nègres ; ils rappellent les Abyssins ou les Cafres ; leur peau est d’un noir clair, leur langue d’une douceur exquise. Autrefois païens pastoraux et tranquilles, ils ont pour la plupart embrassé la foi de Mahomet, et l’ont propagée par le fer et la flamme tout le long du haut Sénégal, sur la Falémé, et sur la rive méridionale du fleuve en aval de sa sortie des montagnes. Les Français nomment Toucouleurs les tribus issues de l’alliance des Foulahs et des peuplades noires.

Au nord des chutes de Gouina et du Félou, dans Île Kaarta, les Bamanaos, encore idolâtres, ont essaimé sur le haut Niger : ils y ont fondé l’empire de Ségou Sikoro, qui est une grande ville du Niger sur notre futur chemin d’Alger à Saint-Louis par Tombouctou.


Saint-Louis (16 000 habitants) règne sur cette colonie, dont l’antique indolence fait place à des efforts d’expansion vers le Niger. Elle est bâtie sur le Sénégal, près de l’Atlantique, dont la séparent un bras du fleuve et une étroite langue de sable. La ville n’est point laide, mais les environs sont arides. « Qui n’a éprouvé un serrement de cœur en regardant, de la pointe du Nord, cet horizon terne où l’œil distingue péniblement des herbes flétries et le sombre feuillage de quelque manglier rachitique posé comme un regret sur les rives silencieuses du fleuve ? Bien des familles ont quitté Saint-Louis, quand il n’eût fallu pour les y retenir qu’un peu d’ombre et de fleurs[1]. »

Saint-Louis du Sénégal.

Sur le rivage de la presqu’île du Cap-Vert, qui a donné son nom à des îles peuplées de Portugais très mêlés de Nègres, Dakar est un port d’avenir qu’on va relier à Saint-Louis par un chemin de fer.

Gorée, îlot sans arbres, à 2 kilomètres de la presqu’île du Cap-Vert, a deux sources et 2 800 habitants, dont 150 Blancs, sur 17 hectares. Malgré 24 à 25 degrés de moyenne annuelle, Gorée est très saine, « africainement » parlant.


Sur le fleuve Cazamance, au sud de la Gambie, nous occupons Sédhiou et Carabane. Nous avons aussi des comptoirs au midi de la Cazamance, près de Sierra-Léone, à l’embouchure du Rio Nunez, estuaire où se jette la rivière Tiquilenta. Tous ces établissements, dans des plaines marécageuses, aux environs du 12e et du 10e degré de latitude, sont plus contraires que ceux du Sénégal à la santé des Français.




2o Comptoirs de Guinée. — Sur ce littoral étouffant, électrique, fiévreux, essentiellement « tropical », nous protégeons le pays de Porto-Novo, sur la côte du Dahomey, et, de l’ouest à l’est, nous possédons les comptoirs de Dabou, du Grand-Bassam, d’Assinie, postes fortifiés situés près du 5e degré de latitude : fortifiés, cela veut dire ici capables de braver quelques Nègres sans tactique et sans canons.

Dabou borde le rivage d’une lagune navigable communiquant avec le fleuve du Grand-Bassam.

Le Grand-Bassam regarde l’estuaire du Grand-Bassam ou Costa : ce fleuve, qu’on appelle plus haut l’Akka, peut avoir 200 à 250 mètres de largeur ; il gagne la mer par une barre périlleuse.

Assinie s’élève sur le fleuve du même nom ; qu’une barre incommode aussi : le fleuve Assinie est le déversoir du grand lac Ahi.

De ces comptoirs obérés de chaleur, sauf aux heures de brise, on monte en quelques jours sur des montagnes fraîches.




3o Le Gabon et l’Ogôoué. — Dans l’hémisphère austral, presque sous l’Équateur, la France, depuis 1842, possède le Gabon, qui est un très grand estuaire de la côte occidentale d’Afrique ; elle y règne sur des Noirs et des Négroïdes idolâtres : Gabonais, Enengas, Boulous, Bakalais, Pahouins, ces derniers race envahissante.

Sur cet estuaire navigable règne un climat néfaste par la chaleur humide que nargue le Noir et qui tue l’Européen ; la température pourtant n’y dépasse guère 32 degrés ; les pluies y sont longues, excessives. Le Gabon engloutit le Como et le Rhamboé, rivières descendues des Monts de Cristal (800 à 1 400 mètres).

Derrière ces montagnes passe l’Ogôoué, grande rivière que les Français ont reconnue jusque près de ses sources. Où nos derniers explorateurs[2] ont cessé de le remonter, ils n’avaient devant eux qu’un rapide torrent de 20 mètres de largeur, évidemment voisin de ses grottes natales.

Le lieu de ses sources est beaucoup moins éloigné de la côte, il est surtout beaucoup plus bas qu’on ne le supposait. Le bas Ogôoué roulant beaucoup d’eau, on comptait sur ce fleuve : il semblait qu’il devait venir de fort loin, comme un Zambèze, un Congo, tout au moins un Sénégal ; et que le pays de sa naissance, porté par de hautes montagnes, était un plateau salubre dominant la bande maremmatique du rivage, comme vis-à-vis, dans un autre continent, les Campos brésiliens, terres saines, commandent la Beiramar, rive dangereuse. Au lieu de cela, l’Ogôoué n’est qu’une rivière torride et péniblement navigable, un cul-de-sac homicide, dans un de ces pays où, suivant le mot terrible du général Duvivier, l’acclimatement n’est qu’une longue méditation sur la mort. L’Ogôoué cependant nous est infiniment précieux, car ses sources touchent aux sources de deux rivières qui marchent vers l’Afrique intérieure, probablement vers le fleuve Congo.

L’Alima et la Licona — ainsi se nomment-elles — ont 150 mètres de largeur ; elles sont, autant qu’on les connaît, facilement navigables ; enfin nul haut relief ne les sépare du bassin de l’Ogôoué. Complété par elles, le fleuve en qui nous espérions est donc un des grands chemins de l’Afrique centrale. Le poste qu’on va créer sur l’Ogôoué supérieur, vu sur le faîte entre les deux bassins, mettra cette route en notre pouvoir.

L’Ogôouë, long peut-être de 1 000 kilomètres, naît sans doute au sud du 2e degré de latitude ; il descend vers le nord-ouest par des biefs tranquilles qu’interrompent des rapides et des chutes peu élevées, atteint l’Équateur, le dépasse, et tournant au sud-ouest, retraverse la Ligne. De nombreux affluents l’augmentent, et quand, sous le nom d’Okanda, il rencontre le Ngounié, son grand tributaire, il a 600 mètres de largeur, le Ngounié, qui vient du sud, en ayant 250 à 250. Plus bas, quand il a reçu le déversoir du curieux lac de Jonanga, il prend jusqu’à 2 500 mètres d’ampleur : moins, il faut le dire, par la masse de ses eaux qu’à cause des îles et des bancs de sable.

La pointe Fétiche, sur l’Okanda ou Ogôoué.

Le bas Ogôoué traverse des forêts où gîte le fameux gorille, singe anthropomorphe herculéen, mais peu dangereux : on le disait agressif, inexorable ; il est timide, au contraire, et fuit l’homme.

Le fleuve atteint la mer aux environs du cap Lopez par les branches d’un delta dont le Nazareth et le Fernand Vaz semblent être les bouches les plus grandes.

Libreville, sur la rive septentrionale de l’estuaire du Gabon, est le chef-lieu de cette colonie qui, pour l’instant s’étend de plus en plus vers l’intérieur, et qui, sur le littoral, a 220 kilomètres de côte, depuis la baie de Corisco, possession espagnole, jusqu’au cap Sainte-Catherine, c’est-à-dire du 1er degré au nord de l’Équateur (ou peu s’en faut) au 2e degré sud.




4o Bourbon ou la Réunion. — Ce nom de Réunion ne veut rien dire. L’île s’appelait Bourbon quand on la colonisa : réellement elle s’appelle encore ainsi. Flagornerie pour les heureux, insulte aux vaincus, enthousiasmes naïfs, foi dans des « éternités » qui vieilliront, mépris du vrai, offense à l’histoire, il y a de tout cela dans les changements de nom qui bouleversent la carte du monde.

Bourbon s’élève dans la mer des Indes, sous le 21e degré de latitude australe, à plus de 4 000 kilomètres du cap de Bonne-Espérance, à 600 de la côte orientale de Madagascar, à 150 seulement de l’île Maurice ou île de France, qu’on appelle à Bourbon « l’île sœur » : ces deux colonies sont voisines, elles ont grandi des mêmes éléments, et Maurice, anglaise depuis 1815, est restée française par la langue de ses créoles. Toutes deux ensemble, on les appelle quelquefois Mascareignes, d’après Mascarenhas, le Lusitanien qui les découvrit.

Avec 207 kilomètres de tour, 71 kilomètres dans un sens et 51 dans l’autre, Bourbon n’a pas 200 000 hectares ou le tiers d’un département moyen, mais il n’est guère de pays plus grandement et gracieusement beau.

Une plage féconde, n’ayant par malheur que des rades foraines sur une mer triturée par les ouragans, y contourne un entassement de monts splendides, anciens volcans dont le plus haut est le Piton des Neiges (3 069 mètres), blanc sous le Tropique pendant la moitié de l’année. Le Grand-Bénard a 2 970 mètres ; le Piton de Fournaise, cratère actif, en a 2 625. De ces mornes ou pitons, des torrents sans nombre courent à la mer, qu’on voit étinceler de toutes les crêtes de l’île. Le plus long, la rivière du Mât (40 kilomètres), large de 20 mètres, commence au Piton des Neiges.

Un écrivain charmant, Bernardin de Saint-Pierre, a célébré l’île de France, terre gracieuse ; Bourbon, terre grandiose, mérite un puissant poète. En tout semblable à Maurice par son ciel, ses typhons, ses habitants, ses plantes, elle a de plus que les vallons de Paul et Virginie sa haute montagne à climats et frimas ; elle a sa plaine des Cafres, plateau de 1 600 mètres d’altitude, et sa plaine de Salazie, autre ressaut frais et salubre où l’on projeta, vers 1857, d’exiler les condamnés politiques ; elle a le Cilaos, grand cirque où regardent le Grand-Bénard et le Piton des Neiges ; elle a des lacs qui furent des cratères.

Cirque du Cilaos.

Les savanes, les bois et forêts, les terres vagues, les friches, couvrent la plus grande partie de l’île ; 50 000 hectares sont à la canne à sucre, 20 000 au maïs, 10 000 à d’autres cultures. Le café de Bourbon passe pour le meilleur après le moka ; ses millions de pieds viennent d’un caféier dérobé dans l’Yémen en 1711. Parmi les grands arbres, les plus beaux sont le cocotier, le dattier, le latanier, le palmiste, le vacoa, trop souvent détruits par les ouragans, car si l’Algérie a les sauterelles, Bourbon a les cyclones. En 1806 un typhon déracina presque tous les arbres de l’île ; en 1829 une seule tempête brisa les caféiers et les girofliers de la plupart des plantations.

Sur la côte, cette île a des chaleurs de 56 degrés, des froids de + 12 degrés, et une moyenne de 24. La saison des pluies, l’hivernage, y dure environ six mois, la saison sèche autant : de mai à novembre. Le climat était resté sain jusqu’à ces dernières années ; mais, depuis l’arrivée en foule d’Indiens engagés pour remplacer les esclaves devenus libres, le choléra, la petite vérole, ont fait des apparitions fatales ; et les naissances ne balancent plus les trépas.

Sur les 184 000 insulaires de Bourbon, il n’y a guère que 25 000 à 30 000 Blancs ou créoles ; le reste est fait de Noirs jadis esclaves, de mulâtres, d’immigrants de toute provenance : Négroïdes importés de Madagascar ou de la côte ferme d’Afrique, Hindous, Malais et Chinois en petit nombre, Arabes de Zanzibar, etc.

Les créoles de Bourbon, connus par leur hospitalité, leurs façons libérales, ont pour aïeux des Français venus dans la seconde moitié du xviie siècle : gens de toutes classes ; marins et soldats des fétides garnisons de Madagascar ; aventuriers, orphelines et ouvriers expédiés par Colbert ; Blancs qui avaient eu le bonheur de sortir vivants du Fort-Dauphin, poste de l’île Malgache enlevé par les Noirs ; calvinistes fatigués de la Hollande où ils s’étaient réfugiés après la révocation de l’édit de Nantes. Ces créoles ne sont point tous de race parfaitement droite, car, dans la période qui suivit l’année où les colons de la première heure débarquèrent à la Possession, entre Saint-Denis et Saint-Paul, les femmes blanches manquaient, et les Européens épousèrent des Négresses de Madagascar. On appelle Petits Blancs une belle race qui séjourne sur les plateaux élevés : elle descend d’anciennes familles françaises et de quelques esclaves affranchis.

Les créoles de Bourbon sont une race énergique : ils n’auraient demandé, ils ne demandent encore qu’à coloniser Madagascar, ils sont planteurs à Mayotte ou aux Seychelles, ils émigrent vers Saigon et la Calédonie.


La capitale, Saint-Denis, sur le littoral du nord, a 32 000 âmes ; sur le littoral du sud, Saint-Pierre en a 31 000 ; et Saint-Paul, sur le littoral du nord-ouest, 27 000. À la Pointe des Galets, entre Saint-Denis et Saint-Paul, plus près de cette dernière, on établit un port qui sera le seul de l’île.




Dépendances de Bourbon. — En attendant l’heure où la France osera prendre Madagascar, que tous les traités lui reconnaissent, nous avons plusieurs établissements près de cette grande île.


À l’est de Madagascar, à 5-12 kilomètres du rivage de Tintingue, sous le 17e degré, s’élève Sainte-Marie, la Nossi-Ibrahim[3] des Arabes, la Nossi-Boraha des Indigènes. Longue de plus de 50 kilomètres, sur une largeur dix fois moindre, elle a 17 400 hectares peu fertiles, peu salubres, et les Blancs lui résistent mal : il n’y a pas 30 Européens sur ses terres fiévreuses, forêts, marais, collines de quartz dont les plus hautes ont 60 mètres. Ses 6 500 à 7 000 natifs, catholiques ou païens, tirent leur origine de la grande île dont leurs pères furent chassés par les Hovas, peuple malais qui règne à Madagascar. Sa « capitale », Port-de-Sainte-Marie ou Port-Louis, couvre l’îlot Madame, rocher d’une baie où les navires entrent sans peine, la ceinture de madrépores qui ferme presque toutes les criques de Sainte-Marie étant interrompue sur ce point. Port-de-Saint-Marie regarde de très près Ambotifotro, bourgade indigène ayant 1 200 âmes, et de plus loin, sur l’autre bord du canal de Tintingue, le rivage de la grande île Malgache.


Près du rivage nord-ouest de Madagascar, littoral qui fait face à l’Afrique, nous avons Nossi-Bé, Nossi-Coumba, Nossi-Fali, Nossi-Mitsiou, quatre îles qu’habitent des Sakalaves chassés de Madagascar par les Hovas.

Entre le 13e et le 14e degré, Nossi-Bé seule a quelque valeur, si c’est valoir quelque chose pour un pays comme la France, digne de grandes colonies, que d’avoir une dizaine de milliers d’hectares, 13 600 avec les dépendances. Sol volcanique ou granitique, elle a des monts de 450, de 500, de 600 mètres, de petits lacs emplissant des cratères, des forêts, de nombreux ruisseaux dont le plus grand, le Djalaba, s’épanche en marais qui empoisonnent la capitale, Hellville, ainsi nommée de son fondateur, le contre-amiral Hell, gouverneur de Bourbon (1841). Le climat, très chaud, très lourd, entre 19 et 31 degrés, ne va pas aux Blancs, qui sont des marins, des soldats, des fonctionnaires, plus une centaine de créoles de Bourbon, presque tous concentrés dans Hellville. Nossi-Bé, dont le nom sakalave signifie la Grande Île, n’a, toutes annexes comprises, que 7 500 habitants, Sakalaves de Madagascar, Arabes des Comores et Blancs.

À 200 kilomètres environ du rivage nord-ouest de l’île malgache, dans le canal de Mozambique, séparant Madagascar de la côte africaine, entre le 12e et le 13e degré, Mayotte nous appartient depuis l’année 1843. C’est l’une des îles Comores, à la fois la plus méridionale et la plus orientale de cet archipel.

Mayotte, environnée de corail, émerge d’un océan tranquille. Elle est volcanique, avec des pitons de 600 mètres, extrêmement boisée, et couvre plus de 36 000 hectares de terres fécondes, sous un climat très chaud, d’une moyenne de 27 degrés, coloré, souriant, mais humide et dangereux pour nous.

En 1843 Mayotte avait 1 200 habitants ; elle en porte 11 000 aujourd’hui, Sakalaves, Africains, Arabes, avec au plus 200 Blancs, presque tous venus de Maurice et de Bourbon. La capitale est Dzaouazi.




Obok. — Dans un tout autre pays, au nord de l’Équateur, vers le 12e degré, nous possédons, sur la côte orientale d’Afrique, un lambeau de littoral qu’on appelle Obok. C’est en 1863 que la France acheta ce bout de rivage au sultan de Zeila, moyennant une cinquantaine de mille francs, elle n’y a rien créé depuis, bien qu’il soit, dit-on, facile d’y faire un port capable d’accaparer le commerce de l’Abyssinie et du Choa.

Mais ce port, si puissamment qu’on le fortifiât, aurait près de lui deux rivaux anglais formidables : Aden, et Périm, l’île qui veille jalousement sur l’entrée de la mer Rouge dans la mer des Indes.



  1. Raffenel.
  2. Savorgnan de Brazza, Ballay, Hamon.
  3. Nossi veut dire île dans la langue des Sakalaves.