Gestes et opinions du docteur Faustroll/Livre 6

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Gestes et opinions du docteur Faustroll
Gestes et opinions du docteur FaustrollFasquelle éd. (p. 92-100).
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LIVRE VI

CHEZ LUCULLUS

XXXIII
DU TERMÈS

Or Faustroll dormait près de Visité.

Le grand lit taillé au couteau se carrait sur la nudité du sol, vieille part de la nébuleuse du monde, et versait à la terre les heures vermoulues de son sable.

Parmi ce nombreux silence, Visité voulut explorer si, par-dessous la tapisserie peinte de spirales, Faustroll, qui l’avait aimée comme la série indéfinie des nombres, possédait un cœur capable d’épandre de son poing ouvert et fermé la projection du sang circulaire.

Le tic-tac de montre, semblable au heurt de l’ongle, du bec d’une plume ou d’un clou sur une table, battit vers son oreille. Elle compta neuf coups, et la pulsation s’arrêta, puis reprit jusqu’à onze…

La fille de l’évêque entendit, avant d’autres battements, son propre sommeil, qu’ils n’interrompirent point, car elle ne survécut point à la fréquence de Priape.

Le termès, semblable à l’invisibilité d’un pou rouge aux yeux jaunes, sur le chêne du lit décrépit prêtait l’isochronisme des heurts de sa tête à la simulation du cœur de Faustroll.

XXXIV
CLINAMEN
À Paul Fort.

… Cependant, après qu’il n’y eut plus personne au monde, la Machine à Peindre, animée à l’intérieur d’un système de ressorts sans masse, tournait en azimut dans le hall de fer du Palais des Machines, seul monument debout de Paris désert et ras, et comme une toupie, se heurtant aux piliers, elle s’inclina et déclina en directions indéfiniment variées, soufflant à son gré sur la toile des murailles la succession des couleurs fondamentales étagées selon les tubes de son ventre, comme dans un bar un pousse-l’amour, les plus claires plus proches de l’issue. Dans le palais scellé hérissant seul la polissure morte, moderne déluge de la Seine universelle, la bête imprévue Clinamen éjacula aux parois de son univers :

nabuchodonosor changé en bête

Quel beau coucher de soleil ! ou plutôt c’est la lune, pareille à un hublot dans un foudre de vin plus grand qu’un navire ou au bouchon d’huile d’une fiasque italienne. Le ciel est d’un soufre d’or si rouge qu’il n’y manque plus vraiment qu’un oiseau de cinq cents mètres, qui nous éventera un peu des nuages. L’architecture, sorte de toutes ces flammes, est bien animée et mouvante un peu, mais trop romantique ! Il y a des tours qui ont des yeux et des becs et des tourelles coiffées en petits gendarmes. Deux femmes qui regardent ondulent au vent des fenêtres comme des camisoles de force qui sèchent. Voici l’oiseau :

Le grand Ange, qui n’est pas ange, mais Principauté, s’abat après un vol exactement noir de martinet, en métal d’enclume de couvreur. Une pointe sur le toit, le compas se ferme et se rouvre, et décrit un cercle autour de Nabuchodonosor. Le bras incante la métamorphose. Les cheveux du roi ne se hérissent point, mais tombent comme les poils mouillés du morse ; leurs pointes ne forcent point à se clore les sensitives pustules qui peuplent leurs algues couchées de zoophytes reflet de toutes les étoiles ; de petites ailes palpitent selon le rythme des palmes du crapaud. Des défenses bleues remontent le cours des larmes. L’ascension des prunelles désolées rampe vers les genoux du ciel lie-de-vin ; mais l’ange a enchaîné le monstre nouveau-né dans le sang du palais vitreux et l’a jeté dans un cul-de-bouteille.

le fleuve et la prairie

Le fleuve a une grosse face molle, pour les gifles des rames, un cou à nombreux plis, la peau bleue au duvet vert. Entre ses bras, sur son cœur, il tient la petite Ile en forme de chrysalide. La Prairie à la robe verte s’endort, la tête au creux de son épaule et de sa nuque.

vers la croix

A un bout de l’Infini, en forme de rectangle, la croix blanche où sont suppliciés, avec le mauvais Larron, les démons. Il y a une barrière autour du rectangle, blanche, avec des étoiles à cinq pointes hérissant la grille. Selon la diagonale vient l’ange, qui prie calme et blanc comme l’écume de la vague. Et les poissons cornus, singerie de l’Ichthys divin, refluent vers la croix plantée à travers le Dragon, vert sauf la bifidité de sa langue rose. Un être sanglant à chevelure hérissée et yeux lenticulaires s’enroule autour de l’arbre. Irrégulièrement accourt, faisant la roue, un Pierrot vert. Et tous les diables, à figure de mandrills ou de clowns, écartent grand leurs nageoires caudales en jambes d’acrobates, et, implorant l’ange inexorable (Voulez-vous jouïer avec moa, mister Loyal ?) secouent, cheminant vers la Passion, leurs cheveux de Paillasse du sel de la mer.

dieu défend à adam et ève de toucher à l’arbre du bien et du mal. l’ange lucifer s’enfuit.

Dieu est jeune et doux, avec un nimbe rose. Sa robe est bleue et ses gestes courbes. L’arbre a le pied tors et le feuillage oblique. Les autres arbres ne font rien qu’être verts. Adam adore et regarde si Ève adore. Ils sont à genoux. L’ange Lucifer, vieux et semblable au temps et au vieillard de la mer lapidé par Sindbad, plonge de ses cornes dorées vers l’éther latéral.

amour

L’âme est embobelinée d’Amour qui ressemble en tout à une gaze couleur du temps, et prend la figure masquée d’une chrysalide. Elle marche sur des crânes renversés. Derrière le mur où elle s’abrite, des griffes brandissent des armes. Du poison la baptise. Des monstres vieux, dont est bâti le mur, rient dans leur barbe verte. Le cœur reste rouge et bleu, violet sous l’artificiel éloignement de la gaze couleur du temps qu’il tisse.

le bouffon

Sa bosse toute ronde cache le monde, comme sa joue rouge ronge les lions de la tapisserie. Il a des trèfles et des carreaux sur la soie cramoisie de ses habits, et vers le soleil et la verdure il fait l’aspersion bénissante de son goupillon à grelots.

« plus loin ! plus loin ! » crie dieu aux résignés
La montagne est rouge, le soleil et le ciel. Un doigt montre vers en haut. Les rochers surgissent, la cime incontestable n’est pas en vue. Des corps qui ne l’ont pas atteinte redégringolent la tête en bas. Un tombe en arrière sur ses mains, lâchant sa guitare. L’autre attend à reculons, près de ses bouteilles. Un se couche sur la route, laissant ses yeux continuer l’ascension. Le doigt montre encore, et le soleil attend pour disparaître qu’on ait obéi.
la peur fait le silence

Il n’y a rien d’effrayant, si ce n’est une potence veuve, un pont aux piles desséchées, et de l’ombre qui se contente d’être noire. La Peur, détournant la tête, maintient la paupière baissée et closes les lèvres du masque de pierre.

aux enfers

Le feu des Enfers est du sang liquide, et on voit ce qui se passe au fond. Les têtes de la souffrance ont coulé, et un bras s’élève de chaque corps comme un arbre du fond de la mer, vers où il n’y a plus de feu. Là il y a un serpent qui mord. Tout ce sang qui flambe est contenu par la roche d’où l’on précipite. Et il y a un ange rouge qui n’a besoin que d’un geste, lequel signifie : du haut en bas.

de bethléem aux oliviers

C’est une petite étoile rouge, au-dessus de la crèche de la Mère et de l’Enfant, et de la croix de l’âne. Le ciel est bleu. La petite étoile devient un nimbe. Dieu a enlevé le poids de la croix à l’animal et la porte sur son épaule d’homme toute neuve. La croix noire devient rose, le ciel bleu se fait violet. La route est droite et blanche comme un bras de crucifié.

Hélas ! la croix est devenue toute rouge. C’est une lame qui s’est ensanglantée dans la plaie. Au-dessus du corps qui est au bout du bras de la route voici des yeux et une barbe qui saignent aussi, et au-dessus de son image dans le miroir de bois, Christ épèle : J-N-R-I.

simple sorcière

La bosse en arrière, le ventre en avant, le col tors, les cheveux sifflant dans la fuite du balai dont elle se transperce, elle passe sous les griffes, végétation du ciel tout rouge, et les index de la route vers le Diable.

sortant de sa felicite, dieu crée les mondes
Dieu monte nimbé d’un pentagramme bleu, bénit et sème et fait le ciel plus bleu. Le feu naît rouge de l’idée d’ascension, et l’or des étoiles, miroir du nimbe. Les soleils sont de grands trèfles à quatre feuilles, fleuris, selon la croix. Et tout ce qui n’est pas créé est la robe blanche de la seule Forme.
les medecins et l’amant

Il y a dans le lit, calme comme une eau verte, un flottement de bras étendus, ou plutôt ce ne sont pas les bras, mais les deux parties de la chevelure, végétant sur la mort. Et le centre de cette chevelure se recourbe selon un dôme et ondule selon la marche de la sangsue. Des faces, champignons boursouflés sur la pourriture, naissent complémentaires et rouges dans les vitres de l’agonie. Le premier médecin, orbe plus large derrière ce dôme, trapézoïdal de caractère, fend ses yeux et pavoise ses joues. Le deuxième jouit de l’équilibre forain des besicles, sphères jumelles, et à la libration de l’haltère pèse son diagnostic ; le troisième, vieux, se voile de l’aile blanche de ses cheveux et désespérément annonce que la beauté retourne au crâne en lissant le sien ; le quatrième regarde sans comprendre… l’amant qui, à rebours du sillage de larmes, les sourcils joignant en haut leurs pointes internes dans le sens du vol des grues et de la communion des deux paumes du priant ou du nageur, selon l’attitude de dévotion quotidienne dite par les brahmines Khurmookum, vogue à la suite de l’âme.